Bien le bonjour, ami lecteur, et bienvenue!
Voici donc la première partie de Légendes d'Automne...
Disclaimer : tous les personnages appartiennent à Hidekaz Himaruya.
Genre : UA, drame
Contexte : à l'aube de la première guerre mondiale, la famille Beilschmidt se réunit autour d'un heureux événement...
Résumé : Octobre 1913. Tout avait commencé avec les fiançailles de Ludwig. Un événement heureux... Jamais ils n'auraient pensé que ces réjouissances diviseraient à jamais la famille Beilschmidt et changeraient son destin. Et pourtant...
Protagonistes : Gilbert, Roderich et Ludwig Beilschmidt, Elizabeta Hedervary.
Pairings : Germany x Nyo!Italy ; Prussia x Hungary ; Austria x Hungary ; Prussia x Nyo!Canada ; Spamano
Playlist : YouTube ( /watch?v=NLtFsiOFn-4&list=PLiAGOJyChRm3Bbei8-XWkamcbTvzsrPvO )
Inspiré du film Légendes d'Automne (avec Brad Piiiit) de 1994.
Notes : nous y voilà! Si vous me suivez sur Twitter, vous savez peut-être que durant les vacances de Noël j'ai regardé le film Légendes d'Automne et que mon esprit infernal m'en a aussitôt proposé une version hétalienne... Il m'aura fallu 6 jours pour écrire les quelques 15 500 mots de cet OS, et j'ai corrigé le tout durant les vacances de carnaval, ce qui fait un total de 16 665 mots. Ce qui est trop pour un OS en une seule partie, je l'ai donc scindé en trois. Les deux suivantes paraîtront dans les semaines qui viennent.
J'espère que vous apprécierez cette élucubration de mon esprit, n'hésitez pas à laisser une review!
Bonne lecture.
P.S. : rendez-vous à la fin pour des notes historiques/géographiques/diverses...
Légendes d'Automne
Octobre 1913.
C'était un matin brumeux d'automne. De sa fenêtre, il pouvait voir les arbres du parc émerger fièrement du brouillard. Les vertes feuilles se paraient de nuances orangées et rougeoyantes.
Roderich Beilschmidt aimait contempler la nature se réveiller le matin, avec sa première tasse de thé. La tasse de breuvage fumant entre les doigts, le regard perdu dans l'immensité du parc du manoir silencieux…
Tout cela était si paisible.
Il roula des yeux lorsqu'un élément vint perturber la parfaite et calme harmonie de la nature.
Monté sur un cheval noir, une chemise blanche à moitié ouverte sur la peau d'albâtre, les cheveux en bataille et les bottes crottées jusqu'aux mollets, son frère revenait au grand trot d'une promenade matinale.
Gilbert.
L'aîné de la fratrie Beilschmidt. Il était tellement différent de ses frères cadets. Les cheveux blancs, la peau pâle, les yeux couleur de rubis. Il était albinos, et cela lui conférait un charme fou dont il jouait sur les femmes qui croisaient sa route. Habile de ses mains, il aimait le grand air, la liberté et les longues chevauchées. Il lui arrivait de disparaître pendant plusieurs jours pour aller chasser avec des amis. Des trois frères Beilschmidt, c'était de loin le plus aventureux, le plus fougueux.
Bientôt, il rentra dans le manoir. Ses bottes claquèrent sur le parquet. Il fit irruption dans la salle à manger, où Roderich terminait sa tasse de thé.
Roderich.
De deux ans le cadet de Gilbert, leur différence se marquait non seulement dans leur physique, mais aussi dans leurs intérêts. Contraire presque parfait de son aîné, Roderich avait des cheveux bruns, des yeux améthyste et un grain de beauté près de la bouche. Plus mince, moins musclé, il ne ressemblait à son frère que par la peau diaphane qu'ils partageaient. Roderich était aussi élégant et raffiné que Gilbert pouvait être rude, et, virtuose du piano, il rêvait d'une carrière de musicien quand son frère songeait à un tour du monde.
"Salut, Roddy! Quelle belle matinée, n'est-il pas?"
Roderich haussa un sourcil au surnom, comme il le faisait depuis… Vingt ans maintenant, ou peu s'en fallait.
"Où étais-tu?" demanda-t-il à son aîné.
"Insomnie. Je suis parti à l'aube, jusqu'à Munich. Au retour, j'ai rattrapé le courrier!" dit-il fièrement en exhibant des enveloppes un peu froissées. "Il y en a une de Ludwig." précisa l'aîné avec un large sourire.
"Fais voir!" exigea Roderich avec empressement, perdant sa façade calme.
Gilbert, avec un sourire en coin, maintint les lettres hors de portée du plus jeune, qu'il dépassait d'une bonne tête, ce qui arracha un soupir agacé au pianiste.
"Où est le vieux?"
Le brun roula des yeux.
"Père est à la bibliothèque."
"Etait." le reprit une voix dans leur dos.
Les deux frères se retournèrent comme un seul homme. Dans l'encadrement de l'imposante porte de bois foncé, vêtu d'un pantalon brun et d'un gilet assorti sur une chemise blanche, de longs cheveux blonds autour d'un visage sévère mais souriant, Ulrich Beilschmidt fit son entrée.
"Bonjour, les garçons. Des nouvelles de Ludwig, c'est ça?"
Ils s'attablèrent tous les trois pour le petit-déjeuner. Roderich s'empressa de lui servir une tasse de café.
"Toutes fraîches de ce matin." commenta Gilbert en déposant le tas de courrier devant son père.
Ulrich n'accorda aucune attention aux autres missives, et se saisit de la première. Une enveloppe oblitérée à Berlin, sur laquelle il reconnut l'écriture fine et courbe de son plus jeune fils.
Il lut à haute voix.
"Cher père, chers Gilbert et Roderich. Je sais que je n'ai pas écrit beaucoup depuis…"
"Ah! C'est rien de le dire!" commenta l'albinos avec une pointe d'agacement perceptible dans sa voix rocailleuse. "Pardon." ajouta-t-il avec un sourire navré devant les regards incendiaires de ses frère et géniteur.
"Je sais que je n'ai pas écrit beaucoup depuis mon arrivée à Berlin. Je vous présente mes excuses. Néanmoins, sachez que la vie ici est tellement animée! Je n'ai pas une minute à moi. Les cours sont passionnants, et j'ai rejoint divers groupes littéraires et politiques, ce qui me prend beaucoup de mon temps libre. Aussi, cela va peut-être vous étonner, car j'en suis le premier surpris, mais… J'ai rencontré une jeune femme. Elle vient d'Italie, et ses frères étudient avec moi. Elle prend part à bon nombre de nos activités, et je peux dire avec honnêteté que je n'ai jamais posé les yeux sur plus belle créature de ma vie. Nous sommes fiancés…"
Gilbert siffla, admiratif. Nouveaux regards noirs de la part des deux autres Beilschmidt.
"…Et nous aimerions nous marier l'été prochain. Avant cela, bien sûr, je compte vous présenter Felicia. Je pensais venir vous rendre visite en novembre avec elle, pour que vous appreniez à vous connaître. Nous serons accompagnés d'une de ses amies, qui séjournera quelques jours au manoir avant de rejoindre sa famille à Budapest. J'ai supposé que le manoir serait suffisamment grand que pour nous accueillir tous les trois ne serait-ce qu'un temps. J'attends votre approbation. Portez-vous bien, votre Ludwig."
Ludwig.
Dernier de la fratrie, deux ans plus jeune que Roderich, il était aussi celui qui ressemblait le plus à leur père. Grand, blond, bien bâti, il avait des yeux aussi bleus que le ciel pouvait l'être, et un visage neutre qui se colorait facilement malgré un abord froid. Taciturne et timide, il étudiait à l'université Humboldt de Berlin. Depuis toujours, il s'appliquait aux études et avait été meilleur élève que ses aînés. A des capacités intellectuelles remarquables, par lesquelles il ressemblait à Roderich, il associait les mêmes dispositions physiques que Gilbert, mais encore plus musculeux.
Un ange passa au-dessus de la table des Beilschmidt. Ce fut Gilbert qui rompit le silence en partant d'un grand rire.
"Ah! Ce cher Lulu… Fiancé! Voilà une bonne surprise!"
"Il a agi sans te concerter…" remarqua Roderich à l'adresse de son père.
"Bha, Ludwig est assez grand pour savoir ce qu'il fait. Et je n'ai pas mon mot à dire dans ses histoires de cœur." décréta Ulrich.
"Et donc?"
"Et donc il épousera cette jeune fille s'il le veut."
"Je suis impatient de voir à quoi elles ressemblent…" marmonna Gilbert.
oOo
Novembre 1913.
L'habitacle de la diligence était calme, le silence uniquement troublé par la voix douce de Felicia dont l'enthousiasme ne tarissait pas à mesure qu'ils progressaient dans la campagne en provenance de Munich. Ils étaient partis voilà plusieurs jours de Berlin en train, et avaient logé en route à Leipzig et Nuremberg.
Ludwig se plaisait en la compagnie de sa fiancée, et il apprenait à connaître un peu mieux Elizabeta Hedervary, qui sous des dehors indomptables se révélait être une jeune femme tout à fait élégante et distinguée.
Lorsqu'il était arrivé à Berlin, Ludwig, peu habitué à la ville et aux mœurs urbaines, avait été grandement surpris d'y trouver des femmes cultivées… Felicia elle-même possédait une culture générale étonnante. Il était immédiatement tombé sous le charme de la délicate Italienne, de ce divin sourire, de ces enchanteurs yeux ambrés et de ces abondantes boucles auburn. Il connaissait bien ses frères, envoyés étudier en Allemagne par leur grand-père. Aussi, lorsque Ludwig avait émis le souhait de se fiancer, la famille Vargas avait bien accueilli cette proposition, à part peut-être l'aîné des petits-enfants, Lovino, qui faisait autorité en l'absence du grand-père. Il n'avait toutefois pas pu refuser le bonheur à sa sœur cadette, et quant à Feliciano, du même âge que Ludwig et jumeau de Felicia, il s'était montré ravi d'accueillir un si bon ami dans la famille.
Ludwig espérait que ses propres frères réserveraient un accueil chaleureux à sa promise.
Une fois à l'arrêt, Ludwig jeta un regard au dehors pour apercevoir les grilles délimitant le parc du manoir.
Le ciel menaçait de pleuvoir. Autant en profiter pour rentrer tant que le sol était encore sec.
Il ouvrit la portière de la voiture, et se posta galamment à l'extérieur pour aider ces dames à en descendre.
Ils marchèrent quelques instants à travers le parc avant d'atteindre le bâtiment de taille modeste.
Il était exactement comme Ludwig se rappelait l'avoir vu la première fois. Une grande bâtisse de pierre claire, à laquelle on accédait par un escalier de marbre blanc.
La famille n'était pas d'origine noble, mais issue de la bourgeoisie. Leurs aïeux avaient fait fortune dans l'industrie minière au siècle dernier. Ulrich Beilschmidt avait racheté ce petit manoir, ancienne résidence secondaire d'une famille aristocratique, lorsque son épouse était décédée des suites d'une maladie. Ludwig avait… Quatre ans, tout au plus. Il ne se rappelait pas vraiment sa mère… Et avait l'impression d'avoir toujours vécu dans cette campagne munichoise, à l'écart de tout, élevé par leur père et quelque précepteur avec ses deux frères.
Mais il était arrivé un âge où rester cloîtré hors du monde ne lui avait plus suffi, et il avait décidé d'entreprendre des études à la capitale. Autant dire qu'il ne regrettait pas sa décision.
Mais, quand même… Il devait avouer qu'il était content d'être de retour chez lui.
Sur le perron se tenait son père, ses longs cheveux blancs noués en catogan, qui lui souriait avec bienveillance. A ses côtés se trouvait Roderich, fier et droit dans son blazer bleu nuit, qui semblait très heureux lui aussi de voir revenir son petit frère.
Ludwig remarqua avec une pointe de déception que Gilbert manquait à l'appel.
On entendit un bruit de sabots derrière les visiteurs, qui se retournèrent d'un même mouvement pour voir apparaître un jeune homme albinos sur son étalon noir, visiblement de retour d'une promenade dans les bois.
"Ludwig! Bien le bonjour!" le héla-t-il, perché sur sa monture.
Il mit l'étalon au pas, et franchit les quelques mètres qui le séparaient de l'attroupement avec l'un de ses sourires ravageurs accrochés aux lèvres. Arrivé à hauteur des dames, il saisit deux roses jusqu'alors accrochées à sa selle et en tendit une à Felicia, une à Elizabeta.
"Oh!" s'extasia l'Italienne. "Tous les fils de la famille Beilschmidt sont-ils de tels gentlemen?"
"Vous épouserez le meilleur, je vous l'assure, Mademoiselle Vargas." rétorqua-t-il avec un clin d'œil. "Nous n'avons pas été présentés." ajouta-t-il à l'adresse de l'autre jeune femme.
Les cheveux relevés en une coiffure compliquée qui disparaissait sous un chapeau, la jolie Hongroise souriait malgré elle au geste de Beilschmidt. Dans son tailleur crème, elle lui apparut comme une femme indépendante, si différente des poupées de salon, et peu encline à se laisser séduire. Le sourire du cavalier n'en fut que plus grand lorsqu'il plongea ses yeux rouges dans ceux, émeraude, de l'invitée.
"Elizabeta Hedervary." répondit-elle finalement.
"Gilbert Beilschmidt, Mademoiselle. C'est un honneur."
Il attrapa la main qui avait réceptionné la rose et y déposa un chaste baisemain. D'autres auraient peut-être rougi, mais Elizabeta ne manifesta aucune réaction, quoique son sourire s'élargit imperceptiblement.
Il daigna enfin descendre de cheval, et se tourna vers Ludwig.
"Bruder!" l'accueillit-il avant de lui offrir une étreinte, à laquelle le plus jeune répondit gauchement.
Du haut du perron, où Roderich et Ulrich attendaient toujours, le musicien ne put s'empêcher de remarquer avec un certain agacement que, parmi la famille mise sur son trente et un, Gilbert jurait atrocement dans sa chemise ample, son pantalon tâché, ses bretelles lâches et sa casquette.
Enfin, il avait fait son petit effet, et Roderich supposa que c'était ce qu'il voulait…
Ils firent finalement rentrer leurs visiteurs dans le manoir et les guidèrent jusqu'au salon, tandis que Gilbert disparaissait pour un brin de toilette.
oOo
Ce soir-là, le dîner fut très spécial. Il y avait presque quinze ans que les Beilschmidt n'avaient pas dîné en présence de dames dans le cadre strictement privé. Il y avait bien eu quelques réceptions et repas d'affaires, mais cette fois, c'était différent.
Ulrich siégeait en bout de table. A sa droite, les deux jeunes femmes, tandis que le dernier de ses fils occupait la place à sa gauche. A côté de lui, ses deux frères. Roderich faisait face à Elizabeta, mais celle-ci lançait fréquemment des regards en direction de Gilbert.
L'aîné était en effet plus présentable maintenant. Il avait revêtu une redingote et coiffé ses cheveux en arrière, dévoilant un visage impeccablement net à la perfection de marbre. Ses yeux rougeoyaient à la lueur des chandelles et des lustres.
"Et vous étudiez aussi à Berlin, Mademoiselle Hedervary?" demanda l'albinos.
Ces derniers temps, de plus en plus de femmes se voyaient octroyer l'accès à l'université, alors pourquoi pas?
"Pas exactement, Monsieur Beilschmidt…"
"Je vous en prie, appelez-moi Gilbert." la reprit-il avec un sourire.
"Hé bien, Gilbert… Je suis montée à Berlin pour prendre part aux mouvements féministes."
Il faillit recracher sa gorgée de vin –mais ç'aurait été atrocement impoli.
"Ah oui?" releva Ulrich.
"Oui." confirma la jeune femme. "Mais laissons nos considérations politiques de côté, je ne crois pas que cela intéresse qui que ce soit."
"Oh, détrompez-vous, je suis très intéressé. Alors ainsi, vous prônez l'égalité entre les sexes? Vous vous adonnez donc à des activités masculines comme l'escrime ou…"
"Je monte à cheval aussi bien qu'un homme, entre autres. Vous ne pouvez pas savoir à quel point j'avais envie de vous imiter, tout à l'heure."
"S'il n'y a que ça pour vous faire plaisir… Je serais curieux de vous voir à l'œuvre! Que diriez-vous de m'accompagner en forêt, demain matin? Nous serons de retour pour le déjeuner."
"Avec plaisir. Je serai très heureuse de vous démontrer que femmes et hommes peuvent s'en tirer de la même façon dans une même discipline."
Elle lui adressa un sourire et un regard appuyé par-dessus son verre de vin.
"Sur ces considérations, Roderich, que dirais-tu de nous jouer quelque chose après le repas?" suggéra Ulrich.
"Hé bien…"
"Je vous en prie, Roderich!" le pria Felicia, "Ludwig dit que vous êtes le meilleur pianiste de ce siècle!"
"Ah oui?" s'amusa le brun. "Tu exagères peut-être un tantinet, petit frère, mais… Si cela peut vous être agréable, Felicia, je me ferai une joie de vous jouer un morceau ou deux ce soir."
oOo
Gilbert était accoudé à la cheminée, un dernier verre de vin pourpre en main. Il admirait les fiancés qui dansaient lentement au rythme d'une valse viennoise jouée magistralement par Roderich. L'aîné avait rarement contemplé son petit frère aussi heureux, ce fin sourire timide sur ses lèvres étant presque nouveau pour lui.
Ulrich, confortablement installé dans son fauteuil, écoutait. Elizabeta se tenait debout à côté du piano, et suivait chaque mouvement de main du musicien avec une fascination flagrante.
Une fois le morceau terminé, elle ne tarit pas d'éloges:
"C'était fantastique, Roderich!"
"Vous êtes musicienne?" s'enquit-il.
"Pas le moins du monde! Mais j'aurais aimé l'être… Vous êtes si talentueux… Vous avez déjà songé à… partir pour vous faire connaître?"
"J'ai déjà donné quelques concerts, mais jusqu'ici rien de bien important."
"Je suis sûre que votre carrière décollerait immédiatement à Vienne."
"Vous croyez? Oh, j'en suis flatté, mais…"
Gilbert préféra ne pas écouter le reste de la conversation et quitta la pièce. Ces flatteries et courbettes polies n'étaient pas du tout pour lui plaire. Encore moins en sachant que son frère excellait bien plus que lui dans le domaine.
oOo
De la fenêtre de sa chambre, où Roderich était monté lire, il put voir les deux cavaliers revenir de leur promenade. Elizabeta semblait si différente aujourd'hui d'hier, dans sa tenue d'équitation! Elle en devenait presque masculine, mais Roderich trouvait un certain charme dans cette silhouette élancée mise en valeur par l'accoutrement moulant.
Ils descendirent de cheval, les menant par la bride à travers l'herbe. Une fois devant le manoir, Gilbert remplit un seau d'eau pour abreuver les montures, mais un éclair de malice passa dans les orbes rouges et il éclaboussa Elizabeta, qui récompensait alors son cheval. L'eau claire la frappa dans le bas du dos et lui arracha un cri de surprise. Elle identifia bien vite l'origine des troubles, et Gilbert se mit à courir pour échapper à sa vengeance, abandonnant probablement par jeu le seau à la portée de la jeune cavalière, qui l'attrapa et entreprit de le poursuivre.
Roderich ne sut trop comment, elle échoua entre les bras puissants de l'albinos, qui ne la laissa pas partir tout de suite et la retint un moment contre son coeur en une étreinte étroite, alors qu'ils riaient tous deux aux éclats.
Il serra les dents. Qui sait ce qui avait pu se produire entre ces deux-là dans les bois…
Il détourna les yeux de sa fenêtre, déposa le livre sur sa table de chevet et quitta la pièce pour jouer un peu avant le déjeuner.
oOo
Elizabeta ne passa pas plus d'une semaine chez les Beilschmidt. Le septième jour, elle avait plié bagage, et avait commandé un fiacre pour l'amener jusqu'à la gare de Munich, où elle continuerait son périple jusqu'à Budapest.
Les trois frères Beilschmidt et leur père, ainsi que sa bonne amie, lui faisaient leurs adieux devant le manoir, à mi-chemin entre la porte et la voiture.
"Faites bon voyage." lui souhaita Ulrich.
"Croyez-vous que c'est prudent de voyager seule?" s'enquit Roderich.
"Ne vous en faites pas pour ma sécurité, Roderich. Je peux me débrouiller seule." assura-t-elle avec un sourire.
"Revenez nous voir lorsque vous remonterez à Berlin." suggéra Gilbert.
"Je n'y manquerai pas."
Elle échangea une étreinte avec Felicia, puis avec Ludwig, et s'encourut vers le fiacre.
Roderich risqua un regard vers son aîné. Il arborait un sourire en coin victorieux, et ça ne lui plaisait pas du tout.
oOo
Février 1914.
Ludwig et Felicia étaient repartis, eux aussi, non sans la bénédiction du père de famille qui se réjouissait du mariage prochain.
La vie au manoir reprit son cours. Ennuyeux selon Gilbert, paisible d'après Roderich, qui se complaisait dans le calme et la quiétude.
Il entretenait une correspondance suivie désormais, à la fois avec Ludwig et avec Elizabeta. Elle lui avait acheté un petit quelque chose lors d'une escale à Vienne, et ne pouvait attendre de le revoir pour le lui offrir.
Plus il lui écrivait, et plus il se prenait à attendre son prochain séjour au manoir, lui aussi.
Et plus Gilbert le voyait, au coin du feu, en train de rédiger ses longues épîtres, comme il l'avait fait tout l'hiver, plus il avait envie de courir à Budapest conquérir le cœur de la belle avant son frère ou les stupides mots qu'ils pouvaient échanger.
Ce n'était pas spécialement une question de sentiments. Certes, Elizabeta Hedervary était une femme attirante, énigmatique, et valait bien qu'on se donne la peine de briser la façade de misandrie pour la faire succomber à ses charmes, mais au-delà de ça…
C'était une affaire de fierté pour l'aîné de la fratrie. Lui, le Don Juan, le Casanova. C'était lui qui faisait tourner la tête à toutes les jeunes filles et toutes les dames! Jamais aucune ne s'était intéressée à Roderich après l'avoir vu, lui, Gilbert. Pourquoi Mademoiselle Hedervary dérogerait-elle à la norme? Evidemment, elle dérogeait à toutes les normes, de ce que l'albinos en savait, mais… le cœur des femmes n'était-il pas le même?
Il se consolait en se disant qu'Hedervary avait autant besoin de liberté que lui. Et puisqu'elle reviendrait cet été, il n'aurait qu'à sortir le grand jeu pour l'ajouter à son tableau de chasse. La rivalité nouvelle entre les deux frères ne faisait que pimenter un peu le jeu.
oOo
Juin 1914.
Il avait été convenu que le mariage aurait lieu en août, le temps que les Italiens retournent chercher leur grand-père à Rome. Mais, sitôt l'université terminée, Ludwig revint dans sa famille avec sa fiancée. Elle redécouvrait les environs, maintenant dorés par le soleil et florissants. Et le jeune Allemand redécouvrait ses frères, plus froids l'un envers l'autre qu'il ne les avait vus, comme si quelque chose s'était brisé entre eux, comme si la distance s'était invitée entre deux êtres qui se côtoyaient pourtant tous les jours et vivaient si proches.
La relation des aînés avait toujours été complexe, Ludwig le savait –il avait eu tout le loisir d'observer ce phénomène. D'un côté, Gilbert était un athlète et recevait les félicitations de son père pour ses exploits physiques, mais se sentait détrôné dans l'estime du paternel par un cadet artiste qui savait si bien charmer les oreilles d'Ulrich. Il y avait cette rivalité entre eux, cette impression de ravir et de décevoir à la fois le patriarche alors que l'autre lui apportait la satisfaction dans le domaine contraire.
Et pourtant, tous s'accordaient à adorer Ludwig, le petit Ludwig, le timide Ludwig qui semblait réussir en tout –il était même plutôt bon violoniste. Ses deux aînés l'aimaient autant l'un que l'autre, sans aucune pointe de jalousie, et auraient tout fait pour lui, sans que leur rivalité ne l'atteigne. Il ne s'en plaignait pas, au contraire, mais était toujours attristé de constater que les contacts entre ses aînés étaient envenimés par de telles sottises.
Toutefois, Ludwig évitait d'y penser, et cela était plus facile lorsqu'il n'était pas en présence de ses aînés. Il passait donc la plupart de ses journées en compagnie de Felicia. Lorsqu'ils ne prenaient pas le soleil dans le parc, la jeune femme dessinait son fiancé qui prenait alors la pose pendant des heures. Il leur arrivait aussi de se rendre à Munich pour quelques emplettes et, parfois, Ulrich se joignait à eux.
Bientôt, Elizabeta leur revint d'Autriche-Hongrie, plus souriante que jamais à l'idée de retrouver ses deux amis de Berlin et la famille Beilschmidt. Sur l'invitation du père de famille, elle passerait l'été chez eux.
Elle demeura plus avenante avec Ludwig et Felicia, les gratifiant d'une étreinte à son arrivée, tandis que les trois autres Beilschmidt n'eurent droit qu'à des poignées de main.
Gilbert, comme il fallait s'y attendre, lui refit le coup du baisemain.
"Vous nous revenez encore plus ravissante, Mademoiselle." commenta-t-il avec un clin d'œil aguicheur.
"Je suis ravie de vous retrouver égal à vous-même, Gilbert!" répliqua-t-elle en riant.
Roderich lui offrit son bras pour la mener à l'intérieur, et ils entamèrent une discussion sur Vienne, qu'elle avait eu le plaisir de visiter lors de ses allées et venues entre l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie.
Sitôt arrivés au salon, elle pria Roderich de bien vouloir lui jouer un morceau, doléance à laquelle le musicien céda bien volontiers. Il s'installa derrière son piano, s'assit bien droit sur son siège, et posa délicatement les doigts sur les touches pâles, avant de les faire voyager d'un bout à l'autre du clavier en une danse envoûtante, arrachant à l'instrument des notes précises et délicieuses à l'oreille.
Elizabeta l'écouta avec grande attention. Le morceau terminé, elle le complimenta en conséquence, une fois de plus charmée par les talents de Roderich qui, disait-elle, lui avaient manqué lorsqu'elle avait été de retour dans sa famille.
D'une petite valise, elle sortit un paquet de papier kraft et le tendit au pianiste qui, une fois debout, se retrouvait sans savoir quoi faire de ses mains.
"Comme promis, Roderich… Voilà un petit cadeau que je vous ai rapporté de Vienne." dit-elle avec un sourire amical.
"Huh, oh, merci beaucoup, Elizabeta… Je vous avoue avoir cherché quoi vous offrir pour vous remercier de ce présent, mais je n'ai rien trouvé qui…"
"Ne vous excusez pas, Roderich." l'interrompit-elle.
Il se tut et prit l'enveloppe de kraft, qu'il ouvrit précautionneusement. Il en retira un grand cahier à la couverture bleu nuit, finement relié. Il l'ouvrit à une page et caressa du bout des doigts le papier d'une grande qualité. Un cahier de partitions. Provenant à l'évidence d'une papeterie huppée de Vienne.
"Je… Merci beaucoup, Elizabeta. Je ne sais que dire."
"J'ai vu ces cahiers et j'ai tout de suite songé à vous. Vous composerez vos premières œuvres en pensant à moi, ainsi!" ajouta-t-elle avec un sourire. "Vous êtes trop talentueux que pour ne pas être reconnu pour vos propres créations, Roderich."
"Merci, du fond du cœur."
"Que diriez-vous de me rejouer un morceau pour me remercier?"
"C'est dans mes cordes."
oOo
Août 1914.
La nouvelle était tombée. L'assassinat de l'archiduc Franz Ferdinand. Les déclarations de guerre.
Ludwig enserrait dans son poing un article de journal annonçant les derniers événements, si fort que ses jointures en devenaient blanches.
Ils étaient tous réunis dans le salon, un silence consterné et choqué régnant sur la pièce.
"Je m'engage dans l'armée." annonça Ludwig de but en blanc.
Son père le dévisagea avec un regard désapprobateur.
Felicia leva vers lui des yeux implorants.
Roderich se leva de son siège.
"Ludwig!" balbutia-t-il.
"Ma décision est prise. Je pars demain. N'essayez pas de m'en empêcher ou de me retenir. C'est mon devoir et je suis fier de partir l'accomplir. Je crois que nous devrions tous en faire autant ici."
Il darda un regard azur sur Roderich, puis sur Gilbert, avec plus d'insistance. Ensuite, il échangea un regard avec son père, qui n'avait toujours pas l'air d'approuver ses projets.
"Je ne suis pas sûr que te voir t'engager soit ce que j'attends pour le bonheur de mes fils." dit-il finalement. "Si jamais…"
Gilbert se leva à son tour et mit fin à cette phrase qu'il ne voulait pas entendre. Il marcha vers son frère et l'étreignit.
"J'irai avec toi." décida-t-il.
"Gilbert, tu n'es pas obligé…"
"Je le veux, Ludwig."
L'aîné se tourna vers l'assistance, comme pour la mettre au défi de s'opposer à sa décision. Personne ne prononça un mot.
"De toute façon, je peux pas passer mon existence entière à m'ennuyer ici. Faut bien que je fasse quelque chose de ma vie! Allez, Ludwig, on a des préparatifs à faire!"
Il quitta la pièce d'un pas décidé, lançant une œillade du côté d'Elizabeta. Ses doigts crispés sur l'accoudoir d'un fauteuil, elle ne cilla pas.
Felicia se réfugia entre les bras puissants de son fiancé. Elle versa probablement quelques larmes sur son épaule, inquiète de savoir Ludwig bientôt parti pour le front.
"Je t'attendrai." assura-t-elle entre deux sanglots. "Je t'attendrai, Ludwig!"
"Je te reviendrai." promit-il.
oOo
Le lendemain, les deux frères étaient prêts pour le voyage. Comme Gilbert l'avait prévu, Roderich n'avait aucune intention de les accompagner. Il n'avait effectué qu'un service civil, après tout, contrairement à ses aîné et cadet, et la loi ne l'obligeait pas à prendre part à la mobilisation puisque deux Beilschmidt répondraient à l'appel sous les drapeaux.
Une fois de plus, la famille se retrouvait donc réunie sur le perron pour des adieux.
Felicia ne cachait plus ses larmes, étreignait et embrassait Ludwig sans se résoudre à le laisser partir. Les adieux d'Elizabeta et de Gilbert furent moins chaleureux.
"Faites attention à vous, Gilbert." le pria-t-elle néanmoins à bonne distance.
"Comptez sur moi."
"J'attendrai votre retour ici avec Felicia."
Gilbert acquiesça, et déposa un baiser sur la main de la jeune femme. Il se tourna ensuite vers son père, qui lui donna l'accolade.
"Veille sur Ludwig, je t'en prie."
"Il ne lui arrivera rien, je te le promets."
Les deux hommes se séparèrent. L'albinos arriva alors face à Roderich. Un silence flotta quelques brefs instants entre eux, avant qu'un sourire en coin naisse sur les lèvres pales de Gilbert et qu'il serre son frère dans ses bras à son tour. Roderich lui rendit son étreinte, mais elle ne dura pas.
"J'te confie la maison, Roddy! Et le vieux." ajouta-t-il à voix basse et avec un clin d'œil.
Roderich roula des yeux au surnom, mais son sourire persista.
Les deux Beilschmidt dévalèrent les marches du manoir et avec un dernier signe de la main, disparurent dans le bois pour attraper la diligence qui passerait bientôt pour les amener à Munich, vers leurs prochaines affectations.
Felicia pleurait en silence, et essuyait ses yeux à l'aide d'un mouchoir en une vaine tentative de stopper ses pleurs. Roderich lui offrit son bras, qu'elle saisit, et posa la tête sur son épaule une fois que Ludwig eut disparu de son champ de vision.
"Ils reviendront." assura Roderich.
La jolie rousse hocha la tête.
Le pianiste se retrouvait à compatir. D'un bonheur presque total, comprenant un fiancé bien élevé, très gentil, et très amoureux, ainsi qu'un mariage éminent, elle passait à une profonde incertitude et une grande inquiétude. Ludwig, exposé au danger, reviendrait-il? Leur mariage et leur bonheur se voyaient reportés à une date qu'elle ne pouvait prédire. De plus, elle restait sans nouvelle de ses frères. Or, la situation en Italie se rapprochait d'une guerre civile… Et si elle n'avait rien à craindre pour Feliciano, peu intéressé par la politique, elle s'inquiétait plus pour Lovino qui, de retour en Italie, s'investissait certainement dans quelque mouvement révolutionnaire et se jetterait dans toutes les mêlées qui se présenteraient. La pauvre Italienne était au bord de la crise d'angoisse, c'était indéniable. Aussi Roderich ne se déroba pas et offrit à la jeune femme le soutien dont elle avait probablement besoin.
Les choses se gâtent dans la seconde partie!
Traductions
Bruder : frère (allemand)
Vati : Papa (allemand)
Notes
L'université Humboldt est une université de Berlin. Fondée par un Prussien.
Lors de la mobilisation des troupes, un homme n'était pas obligé de s'enrôler si deux membres de sa famille rejoignaient déjà l'armée, ce qui explique que Roderich reste à Munich. C'était une mesure prise de façon à ce que tous les fils d'une même famille ne tombent pas sur le champ de bataille en laissant leur famille en difficulté.
La semaine prochaine nous partons en guerre avec Ludwig et Gilbert!
Merci de votre lecture, à la semaine prochaine~
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