- Nous voici de retour.

- Ouais...

- Mouais...

Léonardo feignait un air moins abattu que celui de ses frères, néanmoins il n'y parvint que très brièvement. Après leur exil forcé dans la ville de North Hampton, ils étaient enfin revenus à New-York. L'état dans lequel ils venaient de retrouver leur ancien repère, bâti dans les égouts de la ville, les désespérait.

Des objets gisaient sur le sol froid et humide, brisés en milliers de morceaux. Les tapis étaient éventrés, de même que les coussins et les caisses dans lesquels Michelangelo rangeait ses cassettes vidéo. Les voir choir de la sorte lui arracha un sanglot. Pas une de leurs affaires n'était restée intacte suite à l'invasion des Kraangs.

Si cela leur causait une peine immense, ce n'était cependant rien à côté de celle qu'ils éprouvaient de savoir la ville aux mains des extra-terrestres, et encore moins d'ignorer où se trouvait leur maître. Ils n'avaient pas eu de nouvelles de Splinter depuis qu'ils avaient quitté New-York en catastrophe.

- Comment allons-nous réparer les dégâts occasionnés par les Kraangs ? Mon labo... se lamenta Donatello, ce qui convainquit Mikey de poser une main réconfortante sur son épaule.

- T'inquiète pas, frérot. On est là et c'est le plus important. Etre ensemble.

La tortue au bandeau mauve aurait aimé lui sourire, mais il en fut incapable. C'était au-dessus de ses forces. Il n'arrivait pas à croire ce qu'il avait sous les yeux. Cet endroit, qui avait été leur maison pendant plus de quinze ans, n'était désormais plus qu'un champ de ruines. A l'instar de la ville au-dessus de leur tête, comment se relèveraient-ils d'une telle désolation ?

- Bon, les gars, vous avez l'intention de rester là les bras croisés à déplorer la situation ou vous allez vous décider à agir ? lâcha Raphaël avec son sarcasme habituel. Attendre ici ne va sûrement pas nous dire quoi faire.

- Tu as raison, approuva Léo avec un pincement au cœur. Je propose que l'on se sépare et que nous nous mettions à la recherche de maître Splinter.

- Il faut également que je retrouve mon père ! rappela April. Quand nous sommes partis, les Kraangs venaient à nouveau de le muter en un monstre abominable.

- Sans parler de ma petite soeur. Je dois absolument savoir où elle se trouve, et défoncer les pourris qui se seront avisés de lui faire du mal, surenchérit Casey.

Léo acquiesça d'un hochement de tête et décida de les répartir en binôme, afin d'élargir le champ de leurs recherches. Ce fut ainsi que, quelques minutes plus tard, il se lança dans l'exploration des égouts avec Mikey, tandis que les quatre autres, respectivement Donnie et April et Raph et Casey, remontaient à la surface afin d'y mener leurs propres investigations.


Léonardo n'en avait soufflé mot au moment de se séparer, mais ce n'était pas seulement pour Splinter qu'il s'inquiétait. Ses pensées étaient également tournées vers Karai. Qui savait quel sort elle avait bien pu subir suite à l'invasion extra-terrestre ? Sa forme mutante la rendait plus redoutable que jamais, mais cela avait-il suffi à la tirer d'affaire ?

Michelangelo marchait à côté de lui en fredonnant gaiement. Même si parfois l'immaturité de son frère l'agaçait particulièrement, il lui arrivait parfois de s'en montrer envieux. Comment faisait-il pour garder son calme et sa bonne humeur quand la situation était aussi désespérée ? Bientôt, la Terre serait peut-être aux tentacules des Kraangs, or lui chantonnait.

Ils progressèrent pendant un temps qui leur sembla infini. Ils explorèrent même des galeries, humides et souterraines, dans lesquelles ils n'avaient pas mis les pattes depuis des années. S'ils n'avaient pas eu une aussi bonne mémoire visuelle, ils se seraient certainement égarés.

De temps en temps, ils croisaient des robots kraangs éventrés sur le sol et cela les encourageait à poursuivre leur chemin. Quelqu'un les avait forcément réduits à cet état de débris et ce quelqu'un ne pouvait être nul autre que maître Splinter. Ils en étaient convaincus.

Ils erraient désormais depuis plus d'une heure quand, enfin, ils entendirent un son différent que celui émit par les gouttes d'eau qui se décrochaient du plafond vouté pour s'écraser à leurs pieds. Cela ressemblait à un râle léger, voire à un ronflement.

- Par ici ! s'exclama Léo en pointant un ninjato dans la direction adéquate.

Il s'élança aussitôt, Mikey sur ses talons. La galerie qu'ils suivaient amorçait un tournant, qu'ils négocièrent en prenant appui contre la paroi crasseuse. Les armes à la main, ils s'immobilisèrent. Au milieu d'un véritable cimetière de robots extra-terrestres gisait un rat démesuré, au kimono en lambeau.

Son pelage suintait par endroits, le sang le collait à d'autres. De vilaines estafilades parcourait l'ensemble de son corps. Non seulement il était grièvement blessé, mais aussi extrêmement affaibli. Léo rengaina ses sabres et Mikey l'imita, avant qu'ils ne se précipitent sur Splinter.

Dès qu'ils tentèrent de le toucher, leur maître gémit. Apparemment, ses plaies lui causaient d'atroces douleurs. Qui savait depuis combien de temps il se trouvait ici ? Il avait dû puiser dans ses dernières forces pour tenter de regagner le repère avant de s'effondrer dans ce tunnel, à cours d'énergie.

- Nous n'avons pas le choix, nous allons devoir le déplacer, annonça Léo. C'est trop dangereux de le laisser ici, ramenons-le à la maison.

Mikey ne fit aucune plaisanterie pour détendre l'atmosphère, contrairement à son habitude. Cela angoissa davantage son frère, car son sérieux inhabituel ne faisait qu'accentuer la gravité de la situation. Sans un mot, ils s'emparèrent respectivement des pattes inférieures et supérieures de Splinter, puis le soulevèrent.


- Papa ? Papa !

- Pas si fort, les Kraangs risquent de nous entendre.

Donatello plaqua ses trois doigts sur la bouche d'April, mais celle-ci s'en dégagea aussitôt pour le fusiller du regard. Il baissa les yeux, penaud. Pourquoi ne s'y prenait-il jamais bien avec elle ?

- Je n'ai pas envie de revivre le même cauchemar que la première fois, je dois absolument le retrouver ! répliqua l'adolescente.

- Je sais ce que tu ressens, nous sommes tous à cran depuis notre retour. Nous avons tous perdu des êtres chers dans cette invasion et la seule chose qui nous importe vraiment, pour l'instant, est d'être à nouveau réunis. Sauf qu'il ne faut pas agir bêtement. Si les Kraangs nous attrapent, comment rechercherons-nous ton père ou maître Splinter ?

April dut admettre qu'il avait raison. Un voile de tristesse s'abattit sur ses yeux et Donnie étendit un bras dans sa direction, qu'il immobilisa juste avant de la frôler. Il ne savait pas où en était la situation entre eux deux. Il ne s'écoulait pas une heure sans qu'il ne repense au baiser qu'elle lui avait donné à North Hampton, mais depuis lors, leur relation semblait être revenue au point mort.

Il ne devait pas songer à cela, encore moins maintenant. Ses sentiments devraient attendre et il n'avait pas le temps de les ménager. Il suivit April jusqu'à l'appartement de son père, où elle espérait qu'il aurait trouvé refuge. Hélas, ils ne rencontrèrent dans le salon des O'Neil qu'une épaisse couche de poussière.

Kirby avait dû déserter les lieux suite à sa mutation, à moins qu'il n'ait été capturé par les Kraangs. Si tel était le cas, sa fille ne voulait pas penser au pire. Elle se sentait assez mal ainsi. Devant la vision offerte par la pièce déserte, elle étouffa un sanglot. Cette fois-ci, Donnie céda à son instinct et la prit dans ses bras, afin de lui offrir une épaule réconfortante.

- Si les extra-terrestres avaient souhaité tuer les humains, ils n'auraient pas perdu leur temps à les muter avant. Je suis sûr que ton père est bien vivant, quelque part. Dès que nous l'aurons localisé, je concocterai un rétro-mutagène et tout sera à nouveau comme avant.

- Je n'arrive pas à être optimise, pas comme toi, répondit April d'un ton déprimé. Comment les existences des New-Yorkais et les nôtres pourront redevenir normales après ce que nous venons de traverser ? Même si nous parvenons à repousser l'envahisseur, le traumatisme vécu par des milliers de gens ne partira jamais, lui.

- Sortons d'ici, proposa la tortue. Tu es bouleversée et rester ici ne t'aide pas. Continuons à patrouiller les rues un moment au cas où nous remarquerions quelque chose de suspect, puis nous rentrerons au repère.

April l'approuva, après avoir balayé ses yeux rendus humides par les larmes du revers de la main. Le silence qui régnait sur la ville était angoissant. Il n'y avait pas âme qui vive aux alentours. Les immeubles, les cafés, les cinémas... Tout était à l'abandon. Depuis combien de temps personne n'avait parcouru ce trottoir sur lequel ils marchaient d'un pas lent ?

- Tu penses que les Kraangs ont capturé des millions d'humains ? interrogea l'adolescente afin de rompre ce calme morbide.

- J'en suis persuadé. A la vue de l'armada qu'ils avaient envoyé le jour où nous nous sommes enfuis, je doute qu'ils aient eu le temps de se mettre à l'abri.

- On se croirait dans une ville-fantôme. C'est... effrayant.

Donnie ne releva pas, mais il partageait son avis. Les rues de New-York, autrefois bondées et pleines d'activités, étaient beaucoup trop tranquilles, désormais. Si ses habitants étaient certainement captifs quelque part, la cité, elle, était littéralement morte.

- Je sens quelque chose... murmura soudain Apris en l'agrippant par le poignet. Il y a quelqu'un, tout près. Non, ils sont même plusieurs. Ils... Ah !

Elle n'eut pas le temps d'achever sa phrase qu'une demi-douzaine de Foot-bots se dressa devant eux. Donnie dégaina aussitôt son bo et la jeune fille empoigna son tessen, tandis qu'ils se plaçaient en posture de combat. Les soldats robots de Schredder attendaient face à eux le moment opportun pour attaquer.

Ils lancèrent l'assaut de façon concomitante. Les sabres métalliques des humanoïdes se heurtèrent dans une gerbe d'étincelle au bâton de la tortue, avant que leur buste d'acier ne soient perforés par la lame rétractable dissimulée à l'intérieur du morceau de bois longiligne.

April et le tranchant acéré de son éventail coupèrent quelques bras, lorsqu'il ne s'agissait pas de tête. Elle récupéra son arme quand celle-ci tomba sur le bitume, après avoir repoussé l'offensive d'un Foot-bot, et laissa à Donnie l'honneur d'achever le dernier. Ils allaient poussé un soupir de soulagement, quand dix autres soldats mécaniques apparurent aux angles des ruelles environnantes.

- Que veulent-ils ? demanda l'adolescente.

- A ton avis ? Nous, sûrement, pour nous livrer à Schredder. Il faut croire que le sort qu'il a fait subir à maître Splinter n'a pas suffi à le satisfaire. Battons en retraite et retournons au repère.

Les combattre n'aurait servi à rien. Ce n'était pas leur mission, or ils ne pouvaient continuer leurs recherches dans les rues de New-York poursuivis par une armée de simili-ninjas. Donnie attrapa le bras d'April et, ensemble, ils foncèrent vers une bouche d'égout après avoir semé les Foot-bots lancés à leurs trousses.


- C'est ici que tu vis ? s'étonna Raphaël.

Casey l'avait mené dans l'un des quartiers les plus lugubres et insalubres de la cité. Parvenus sur place, il lui avait désigné un immeuble à la façade crasseuse, rongée par l'humidité. L'état d'abandon dans lequel il se trouvait n'arrangeait rien à son apparence repoussante.

- Mon père se ruine la santé au travail en échange d'une misère pour réussir à payer le loyer de ce taudis. On n'a pas les moyens d'aller ailleurs. Attends-moi ici.

- Je vais plutôt aller étudier les environs. Peut-être que ceux qui ont échappé à l'invasion Kraang se sont réfugiés quelque part et ont monté un front commun face à l'envahisseur.

- Pas bête, comme théorie. D'accord, on se retrouve ici dans dix minutes.

Casey n'eut pas besoin de clé pour pénétrer à l'intérieur de la vieille masure, car la porte tenait à peine sur ses gonds. Il lui suffit de la pousser avec la pointe de sa batte de baseball pour qu'elle pivote. Il franchit le seuil, prudent. Il ne s'attendait pas réellement à découvrir sa famille dans son appartement, mais il redoutait de se retrouver nez à nez avec un Kraang.

Raphaël escalada l'immeuble voisin, plus grand mais pas moins défraîchi, pour avoir une vue d'ensemble sur le quartier. Tout était désert. Les seuls mouvements qu'il percevait étaient ceux des câbles téléphoniques qui tenaient encore debout, agités par le vent. Sans cela, il ne distinguait rien.

Il se déplaça de toit en toit, jusqu'à s'être totalement éloigné de l'habitation de Casey. Comme il ne remarquait toujours rien, ni humain, ni mutant, ni extra-terrestre, il décida de faire demi-tour pour rejoindre son ami, qui allait bientôt l'attendre. Ce fut à cet instant qu'il entendit un bruit qu'il ne connaissait que trop bien.

Ces tirs réguliers appartenaient à un pistolet kraang. Les créatures à tentacules dans leur corps robotisés ne devaient pas se trouver loin. Raphaël prit son élan pour s'agripper à un lampadaire tordu, le long duquel il se laissa glisser jusqu'au trottoir. Son ouïe l'informa sur la direction à suivre.

Les sons le conduisirent à un carrefour, où ce qu'il vit lui arracha une expression médusée. Les robots gris et bleus encerclaient une jeune fille, qui les pourfendait les uns à la suite des autres avec un fleuret, qu'elle maniait avec une parfaite dextérité. L'arme semblait être le prolongement de son bras tant son mouvement était fluide.

L'adolescente avait une longue chevelure châtaine aux nuances diverses, attachée sur l'arrière de son crâne. Sa peau était claire, presque pâle, ce qui contrastait avec la noirceur de ses iris, qui fusillaient ses adversaires. De taille et de corpulence moyenne, elle ne semblait pas particulièrement agile, pourtant elle repoussait les assauts avec ardeur.

Raphaël l'observa, avant de s'apercevoir qu'elle était blessée. Elle avait reçu un tir à la jambe, qui avait éraflé le tissu de son pantalon, et elle peinait à prendre appui sur son membre meurtri. Du sang s'écoulait le long de sa cuisse, cependant elle n'y prêtait aucune attention, trop préoccupée par son combat pour se soucier de ce détail.

Le surnombre des Kraangs leur permit de prendre l'avantage sur la jeune fille, en dépit de tous ses efforts. Ils rétrécirent le cercle qu'ils avaient formé autour d'elle, de façon à l'acculer totalement entre eux. Sans réfléchir une seule seconde, Raphaël passa à l'action. Ils captureraient la demoiselle s'il n'intervenait pas.

Il dégaina ses sais et jeta l'un d'eux au visage de l'un des robots. Il utilisa ensuite le second pour poignarder plusieurs d'entre eux, qui s'effondrèrent sur le sol où les cerveaux à tentacules les abandonnèrent pour tenter de s'enfuir. L'adolescente trancha le bras mécanique qui s'était refermé sur son coude, puis projeta son assaillant à terre.

Quand tous les humanoïdes eurent été décimés, elle repoussa une mèche de cheveux défaite qui tombait devant sa face, rendue brillante par une fine pellicule de sueur due à l'affrontement, pour observer celui qui venait de la secourir.

Raphaël s'attendait à la voir hurler. Quelle autre réaction aurait-elle pu avoir face à une tortue géante qui mesurait près d'un mètre soixante et qui se tenait debout au milieu de cadavres extra-terrestres ? Au lieu de cela, néanmoins, il fut désarçonné par les propos qu'elle lui tint.

- Je n'avais pas besoin d'aide.

Sa voix était forte, grave, et n'exprimait surtout aucune reconnaissance. Elle essuya son fleuret par un pan de sa manche, puis l'accrocha à sa ceinture, sans quitter Raphaël des yeux. Elle paraissait le jauger.

- Les Kraangs t'auraient certainement enlevée si je n'étais pas intervenu, répliqua-t-il, piqué dans son orgueil. Tu as eu de la chance que je me sois trouvé dans le coin.

- Je ne t'ai rien demandé.

Sur ces mots, la jeune fille tourna les talons pour s'éloigner en boitant. Elle arrivait à peine à marcher à cause du laser qui l'avait frappée, pourtant elle ne grimaçait même pas à chaque fois qu'il lui fallait tirer sur le muscle de sa cuisse. Raphaël s'apprêtait à ajouter quelque chose, juste avant qu'elle ne disparaisse au coin d'une rue, mais la voix de Casey dans son dos l'en empêcha.

- Eh, qu'est-ce que tu fais là, vieux ? Ca fait un moment que je t'attends devant l'immeuble. Où est-ce que tu étais passé ? l'interrogea-t-il après être parvenu à sa hauteur.

- Je... Rien. Laisse tomber.

Les yeux de Raphaël fixaient encore le point où l'adolescente s'était envolée. Quelle singulière personne... Il secoua la tête et se concentra sur la conversation, car Casey avait repris la parole pour lui indiquer qu'il n'avait trouvé aucune trace des siens, avant de conclure :

- On devrait retourner dans les égouts en espérant que les autres aient eu plus de chance que nous.

D'un simple hochement de tête, la tortue l'approuva. Il restait des survivants à New-York, comme cette jeune fille au caractère visiblement bien trempé, mais pas ceux qu'ils avaient recherché. April avait-elle localisé son père et ses frères maître Splinter ? Il ne le saurait qu'une fois revenu au repère.