Et oui, me revoilà déjà avec la (courte) suite et fin de ce three-shot ! :) Ce sont toujours des thèmes qui me tiennent à cœur : le moment propice, le cheminement personnel... bon, et la guimauve fondante aussi, faut être honnête. Ah, et le titre est une musique de The Turtles ! Bonne indigestion ! ^^
So happy together :
Les yeux rivés sur la porte d'entrée du Chaudron Baveur, Charlie agitait la jambe sans s'en rendre compte et tapotait de ses ongles le bord de son verre d'hydromel. Il mit un moment avant de prendre conscience de son état d'effervescence ridicule, après quoi il s'imposa de demeurer immobile en respirant profondément. La porte s'ouvrit soudain et il en eut le souffle coupé, mais seules deux Sorcières entrèrent en jacassant. Il sourit pour lui-même, affligé par son attitude grotesque, avant de porter son verre à ses lèvres. Tout ça parce qu'il allait revoir Théodore Nott...
Un an avait passé depuis qu'il avait quitté la réserve ; on était en février 2004. Cette année écoulée, il l'avait passée à voyager de pays en pays avec Luna Lovegood, tantôt étudiant une espèce farfelue et oubliée de lutins au Canada, tantôt protégeant un troupeau de licornes des braconniers en Allemagne. Il devait ce tour du monde à Théodore qui, quatorze mois plus tôt exactement, l'avait poussé à quitter la Roumanie pour faire équipe avec la jeune naturaliste. Charlie se mordit la lèvre en se remémorant le baiser qu'ils avaient partagé avant son départ. Est-ce que Théodore s'en souvenait aussi ? Est-ce qu'il avait eu un sens particulier pour lui aussi ? Le Weasley tentait de se rassurer en se disant que Théodore avait longuement vécu à la réserve depuis qu'ils s'étaient quittés, un endroit fort inapproprié pour tomber amoureux d'une autre personne. C'était pathétique, mais cette idée le rassurait dans une certaine mesure.
Charlie, qui s'était toujours cru aromantique, manifestait pour la première fois un intérêt quasi obsessionnel pour un humain, à tel point que le charme de Théodore avait mis plusieurs mois avant de l'émouvoir. Une fois cela fait, de la même façon qu'un morceau de bois s'enflamme en un battement de cil, il était devenu incapable de se sortir le jeune homme de la tête. L'absence de Théodore n'avait pas atténué son engouement – au contraire, elle l'avait attisé. C'était en partie pour cela que Charlie avait délibérément évité de communiquer avec l'ancien stagiaire. Il avait la sensation que ce n'était pas le bon moment... que s'il lui écrivait, il lui laisserait inévitablement entrevoir ses sentiments, alors que ce n'était pas une chose à révéler dans une lettre. Aurait-il pour autant le courage de lui faire comprendre son intérêt en face ? Si oui, comment réagirait le concerné ? Était-il seulement célibataire, ou au moins attiré par les hommes ?
Le regard plongé dans sa boisson ambrée, il ne vit pas l'objet de ses réflexions décousues entrer dans le pub et se planter devant sa table. Charlie releva la tête en l'entendant se racler la gorge.
- Bonsoir, murmura Théodore.
Souriant à s'en décrocher la mâchoire, le rouquin se leva pour serrer fermement son ami dans ses bras. L'ancien Serpentard lui rendit son étreinte avec un petit rire, puis Charlie se recula afin de l'étudier.
- Tu... tu as changé !
Lorsqu'il l'avait quitté, Théodore faisait plus jeune que son âge. Il donnait l'impression d'avoir été étiré comme un pull déformé au lavage et ses cheveux trop longs lui tombaient sur les yeux. À présent, le jeune homme paraissait largement son quart de siècle. Il avait notamment opté pour une coupe plus courte et plus virile, et son corps avait enfin consenti à s'élargir.
L'intéressé sourit timidement, un peu gêné d'être ainsi dévisagé.
- On ne peut pas en dire autant de toi, Charlie.
Son vis-à-vis l'invita à s'asseoir et commanda pour lui une seconde pinte d'hydromel aux épices. Théodore s'amusa de le voir si enjoué et fébrile tout à la fois.
- Alors ? Qu'est-ce que tu deviens ? Mon Dieu, un an déjà...
- Eh bien... mon stage à la réserve s'est terminé l'été dernier – Eirin te passe le bonjour, d'ailleurs, je l'ai revue la semaine dernière.
Charlie hocha la tête d'un air intéressé pour mieux refouler sa jalousie et la question qui lui brûlait les lèvres : « Vous vous voyez souvent, avec Eirin ? ». [*]
- Quand j'ai quitté la réserve, j'ai presque tout de suite été mis en relation avec Rolf Scamander qui m'a demandé d'écrire un traité sur la Langardente, étant donné que c'est un talent très rare et méconnu. Ce type est formidable, je suis sûr qu'il vous plairait beaucoup, à Luna et toi. Et puis à la rentrée scolaire de cet automne, je suis devenu l'assistant d'Hagrid à Poudlard : il veut me former pour que je devienne professeur de Soins aux Créatures Magiques à sa suite.
- Wahou... c'est génial, souffla Charlie en souriant bêtement. Félicitations !
- Merci...
Théodore but une longue gorgée d'hydromel pour dissimuler son sourire embarrassé, tandis que l'ex-dragonologiste le contemplait pensivement.
- Je ne vais pas te cacher que Luna me tient régulièrement informé de vos expéditions, reprit le brun, et donc que tu n'as pas grand chose à m'apprendre de ce côté-là. Mais ça te plaît ?
Charlie opina.
- Oui. Je n'ai pas vu le temps passer. On est rentrés hier à Londres et je n'ai pas encore revu ma famille, mais j'ai pris l'habitude de ne pas les rencontrer souvent. J'ai l'impression d'être le seul à avoir coupé le cordon ombilical dans la famille, ajouta-t-il en riant.
- C'est la Saint Valentin, de toute façon. Ce n'est pas quelque chose qu'on fête en famille.
- Carrément ! C'est cool que t'aies pu te libérer aujourd'hui.
Prenant l'air aussi dégagé que possible en faisant tournoyer son alcool dans son verre, Charlie ajouta :
- En parlant de ça... les amours...
- Rien de spécial, le coupa Théodore. Pas le temps, ni l'envie.
- Ah oui ?
Il fit mine d'ignorer que Théodore souriait narquoisement en arquant un sourcil, peu dupe.
- Et toi ?
- Néant, répliqua-t-il sans le quitter des yeux.
Le sourire du plus jeune s'élargit alors que ses joues prenaient une teinte soutenue en laquelle Charlie vit un présage fortuné – une sorte de feu vert aux allures cramoisies.
- Donc tu n'as personne...
Théodore éclata soudainement de rire, si bien que l'aîné se tut, penaud.
- C'est rien, c'est rien... gloussa Théodore. C'est juste que tu réfléchis tellement comme un dragon que, parfois, j'ai l'impression que j'arrive à établir une connexion avec toi.
- Je suis rustre, c'est ça ? s'enquit-il avec un sourire contrit.
- Oh que oui... si tu savais comme ça m'a manqué.
Charlie déglutit.
- Toi aussi, tu m'as manqué. Vraiment.
Ce fut Théodore le distant, Théodore l'ironique, Théodore l'indifférent qui tendit discrètement sa main vers celle du Weasley pas si bourru que ça. Celui-ci le laissa caresser sa paume calleuse en le fixant d'un air enamouré, avant de comprendre subitement ce qui le troublait jusqu'alors : Théodore avait laissé tomber toutes ses barrières. Il lui avait parlé de sa vie, il avait exprimé sur son visage tout ce qu'il n'avait pas eu le courage de lui dire de vive voix et, à présent, il le touchait. Mieux que ça, il le caressait.
Le cœur léger, Charlie referma sa main sur la sienne et la serra.
- Alors, tu as fait le deuil de ton rêve ? demanda le plus jeune.
- Il me suffisait de repartir à l'aventure. Maintenant, dans l'idéal, il faudrait que je mette un peu d'ordre dans ma vie et que je réapprenne à connaître ma famille.
- Renouer avec ta tribu de rouquins ? Ça m'a tout l'air d'une nouvelle aventure palpitante, en effet.
- Et aussi, on pourrait... oh, je ne sais pas, moi... (Charlie haussa les épaules.) Ça te brancherait une aventure avec moi ?
Théodore prit sur lui pour rester sérieux alors que son interlocuteur réalisait que le double-sens du mot choisi rendait son invitation maladroite, voire grossière.
- Enfin, j'entends par-là quelque chose de plus romantique qu'une « aventure » au sens débauché du terme. Tu vois... ma proposition c'était de passer du temps avec moi... alors qu'une aventure, ça a une connotation de brièveté qui... mais je n'exclue aucunement qu'on ait des rapports sexuels, au contraire : je n'attends que ça.
L'ancien stagiaire se mit à hocher la tête en se mordant les joues, à deux doigts d'exploser de rire.
- Enfin, non ! Pas que ça. Ce n'est pas la seule chose que j'attends d'une relation avec toi, seulement je ne veux pas te faire peur en donnant l'impression que je veux m'engager – même si c'est un peu mon intention... je dis « un peu » parce qu'honnêtement, si ça se passe bien, on n'a aucune raison d'arrêter de se voir et je ne vois pas pourquoi ça se passerait mal. Euh... Théodore ? Tu peux arrêter de rire, s'il te plaît ? C'est suffisamment gênant comme ça...
- Charlie... le plus simple serait que tu m'invites à manger. Chez toi. Tout de suite.
- Tout de suite ? répéta Charlie. Mais il n'est que dix-sept heures... ah. Oh. Oui, tout de suite.
Les deux Sorciers enfilèrent rapidement leurs vestes, puis Charlie régla leur consommation en toute hâte avant d'offrir son bras à Théodore. Il était trop empressé pour se concentrer vraiment sur le transplanage ; heureusement pour lui, Théodore ne sembla pas trop se formaliser de se retrouver directement debout sur le lit de la chambre d'hôtel du plus âgé.
- Tu me crois si je te dis que c'est un pur hasard ? murmura le rouquin en rapprochant son visage du sien.
- Non, asséna son futur amant en l'embrassant sans plus attendre.
Ce baiser n'avait pas grand chose à voir avec leur timide bécot d'il y a un an, à la réserve. Celui-là était carrément vorace.
Donner trop d'importance à quelqu'un n'apporte jamais rien de bon, souviens-t'en.
Le leitmotiv de son père s'était frayé un chemin dans la tête de Théodore, bien qu'elle fut remplie d'amour et résonnante de plaisir. Il contempla ces mots avec détachement, comme s'ils n'avaient pas influencé son rapport avec les autres durant des années. Est-ce que son pauvre père était mort l'an passé persuadé de cet adage stupide ? S'enfermer dans la solitude pour guérir revenait à ne pas toucher à ses plaies. Au mieux, ça cicatrisait péniblement ; au pire, ça s'infectait.
Théodore soupira tristement en songeant à son paternel. Comme Charlie l'attirait contre lui pour embrasser sa nuque, il lui tira un second soupir nettement plus satisfait. Le brun se vautra un peu plus dans un cocon affectueux où se mêlaient l'odeur de Charlie, celle salée de la sueur, ainsi qu'une légère note de brûlé. [**]
« Je t'aime. »
Charlie n'avait pas parlé à voix haute, Théodore en était certain. Le Weasley bourru était bien trop timide pour lui avouer ses sentiments, quand bien même ils étaient présentement nus et enlacés. Théodore se promit donc d'approfondir ses recherches sur la Langardente et son élargissement aux individus qui avaient cohabité plus de dix ans avec des dragons, puis chuchota :
- Moi aussi.
Ils étaient en train de se risquer sur une nouvelle voie sans trop savoir où elle allait les mener, et c'était divin.
[*] A traduire par « Vous couchez ensemble ? ».
[**] Théodore en avait conclu l'existence d'un parfum Cramé n°5 dont Charlie s'aspergeait quotidiennement.