Bonjour à tous, et bienvenue sur ma première vraie longue publication sur le fandom Sherlock ! Entrez et installez-vous confortablement, le voyage risque de durer un moment ! :)
Bêtas: Elie Bluebell Louisalibi. Ces deux filles sont géniales. Je ne le dirais jamais assez. Et il n'y aura sans doute jamais assez de mots sur Terre pour exprimer mon immense reconnaissance à leur égard.
Disclaimer: dieu alpha et dieu bêta, aka Moffat et Gatiss. Qui ont l'extrême amabilité de nous prêter leurs personnages pour qu'on joue avec. Moi, j'abîme toujours mes jouets… *sourire sadique*
Rating : M. Pour cause de lemons ultérieurs, ne nous en cachons pas, mais également des thèmes abordés. Vous aurez tous compris au vu du résumé qu'on va passer plus de temps dans un lit d'hôpital que dans un lit tout court à faire des galipettes.
Infos sur l'histoire : si j'ai voulu que la publication commence aujourd'hui, samedi 26 Décembre 2015, c'est parce que l'histoire commence un samedi férié… Précisément ce samedi 26 Décembre 2015 (férié en Angleterre : boxing day). Toutes les dates qui interviendront par la suite sont donc des dates réelles. La publication ne pourra cependant pas toujours suivre le même rythme dans la fic et dans la vraie vie, principalement pour des raisons de volume des chapitres, que je vais essayer de faire à peu près similaire. De plus, l'histoire se déroule sur un an, mais la publication est prévue sur davantage de temps ^^
Actuellement, plus de 350 pages ont été écrites, sur un total d'environ 500 selon le plan établi. J'ai de la marge, mais faut pas que je traîne. Quant à vous chers lecteurs, vous vous embarquez avec moi pour un sacré moment si vous le désirez ! ;) (entre quarante et cinquante chapitres à peu près, pour vous donner une estimation)
Rythme de publication : Les mercredis et les samedis, tous les dix jours. Donc premier chapitre le Sa 26, et pas le Me 30, pas le Sa 2, mais le Me 6. Capite ?
Il ne me reste plus qu'à vous souhaiter une bonne lecture ! :) (et bien sûr, de joyeuses fêtes de fin d'année !)
Crabe
John détestait les téléphones. Ou du moins, depuis ce jour, il prit la décision ferme et résolue de les détester. Les exécrer au plus haut point. Surtout lorsqu'il s'agissait de téléphones fixes. Surtout qu'ils sonnaient à huit heures du matin un samedi férié. Les téléphones, qui stridulaient si tôt un jour où toute l'Angleterre se prélassait au fond d'un lit, ça n'annonçait que des mauvaises nouvelles, John en était persuadé. Il aurait tant voulu avoir tort. Tant voulu. Mais les téléphones ne sont que des messagers de mauvaises nouvelles.
C'était un samedi ordinaire. Férié, certes, mais ordinaire. John avait entendu du bruit sur le coup des six heures et demi du matin, et en avait conclu que Sherlock ne dormait pas le moins du monde. Ce qui laissait, au choix, deux possibilités : une expérience étrange dont l'explosion/la fumée/le niveau de dangerosité allait le réveiller définitivement et le forcer à se lever d'ici vingt minutes, maximum. Ou une nouvelle enquête, car il était évident que Scotland Yard ne s'arrêtait pas de tourner les jours fériés (tout comme les hôpitaux, les pharmacies et les pompiers restaient disponibles) et que Lestrade, de par son récent statut de divorcé sans enfant, avait probablement écopé de l'obligation de travailler un jour férié.
Comme le médecin avait finalement réussi à se rendormir, il en avait conclu que c'était une nouvelle énigme et non le goût de l'expérience (et de l'ennui) qui avait tiré son colocataire du lit. Ce pressentiment fut validé par l'absence totale de Sherlock dans l'appartement, quand John se leva enfin pour prendre son petit déjeuner. Il était encore tôt pour un jour férié, mais entre la guerre et la vie avec Sherlock, le concept même de grasse matinée était devenu complètement étranger à John. Cela ne l'empêcha pas néanmoins de maugréer lorsqu'il entendit le téléphone sonner. Aussi réveillé et en forme fut-il, aucune personne sensée ne trouve plaisant de devoir répondre au téléphone de bonne heure. Surtout quand on ne sait pas de qui il s'agit à l'autre bout du fil. Surtout quand on ignore qu'il y a un téléphone dans cet appartement.
Passé le mécontentement d'entendre le bruit assourdissant du combiné qui résonnait dans le vide de la pièce, ce fut la première réflexion de John. Mais depuis quand on a un téléphone ?
Lui-même et Sherlock utilisaient leurs téléphones portables, disposaient d'une connexion internet, mais un téléphone fixe, c'était une première. Sherlock n'aimait pas spécialement le téléphone, notamment le garder à l'oreille. Il devait pouvoir faire autre chose en même temps. Chercher une adresse, pianoter sur l'écran des renseignements, tenter de localiser un point ou un homme. Rester statique, le combiné à l'oreille lui semblait complètement abscons. De ce fait, un téléphone fixe semblait à John aussi surprenant chez eux qu'un minitel, ou même pire, un bottin téléphonique.
De ce fait, la curiosité le poussa à avoir envie de répondre. Alors que lui-même ignorait posséder cette ligne téléphonique, qui pouvait bien être la personne qui semblait s'acharner à les appeler ?
Car en effet, la sonnerie retentissait toujours. Il devait s'agir d'un de ces modèles de combiné sans répondeur automatique. Tant que personne ne décrochait et que l'autre ne se lassait pas, le bruit strident ne cesserait pas.
Se mettant en quête de l'origine du bruit, John découvrit tout d'abord une prise téléphonique dans le mur, et suivit le fil qui en partait et qui zigzaguait à travers la pièce. Le bazar n'aurait permis à personne de la détecter. Le médecin finit par parvenir, sous trois livres, cinq partitions, un grille-pain (John n'aurait su dire ce qu'il faisait là), derrière deux dictionnaires et à proximité de quelque chose qu'il identifia comme des tuyaux de cornemuse, à mettre la main sur l'émetteur de la sonnerie.
Le combiné avait l'air encore plus décalé que John ne l'avait présumé. Il ne s'agissait pas d'un de ses appareils modernes et sans fils qui ressemblaient à de gros téléphones portables, le tactile en moins, mais d'un appareil d'un autre âge, un fil qui reliait le combiné de la base, et un cadran circulaire, qu'on devait faire tourner pour composer un numéro ! Si John avait un jour remarqué l'appareil dans une des vagues de rangement qui le prenait quelque fois, il aurait identifié cela comme un souvenir d'enquête, et non pas comme un appareil en parfait état de marche, relié au réseau qui plus est.
Avec la sensation d'être profondément stupide, John saisit le combiné.
- Allô ? dit-il comme il était de coutume.
À ce stade, il se demandait vraiment s'il y avait quelqu'un à l'autre bout du fil. C'est pourquoi son étonnement fut grand lorsque qu'on lui répondit :
- Monsieur Holmes ?
- Euh, non, balbutia-t-il. Je suis John Watson, Sh…
- Docteur Watson ! Enchanté ! Monsieur Holmes m'a beaucoup parlé de vous.
La voix, initialement méfiante, comme prête à raccrocher à tout instant, s'était faite soudainement plus douce et plus enjouée.
- Enchanté également… Mais qui…
Le « qui êtes-vous ? » initialement prévu par John fut perdu dans la réplique de l'autre, qui semblait être dans une forme olympique pour un samedi matin, férié. À l'exact contraire de John, qui se demandait qui était cet homme bizarre à qui Sherlock parlait évidemment de lui, et de manière précise. (Sinon, son interlocuteur n'aurait pas pu savoir qu'il était médecin.)
- Docteur Harding à l'appareil. Je suis bien content de tomber sur vous. Monsieur Holmes m'avait bien dit de raccrocher si je tombais si Monsieur Holmes ! Du coup, c'est bien que ça soit vous !
John était définitivement perdu. Il y avait bien trop de « Monsieur Holmes » dans sa phrase, et beaucoup trop d'enthousiasme.
- Pardonnez-moi mais… Qui vous a demandé de m'appeler au juste ?
- Eh bien, Monsieur Holmes, répondit l'autre docteur sur le ton de l'évidence.
- Mais lequel ? Sherlock ?
- Non. Monsieur Mycroft Holmes.
Il y avait une certaine forme de révérence dans la voix du médecin dans la manière dont il prononçait le prénom du frère aîné de Sherlock, et John se demanda soudainement dans quelle galère Monsieur le gouvernement britannique avait décidé de les fourrer. Ou de le fourrer, lui tout seul, puisque c'était à lui qu'on devait parler et non à Sherlock.
- D'accord, répondit-il. Et…
John chercha une formule polie pour dire « qu'est-ce que vous me voulez à huit heures du mat', un samedi, alors que je suis toujours en pyjama, pour l'amour de dieu », mais rien de très convainquant ne lui vint.
- Que voulez-vous ?
Il s'efforça de sourire, même en sachant que son interlocuteur ne pouvait le voir. S'obliger à paraître aimable se répercutait généralement sur la voix et permettait des conversations polies et civilisées. Quelque chose dont Sherlock était particulièrement dépourvu.
- Je voudrais vous voir, le plus vite possible. Pourriez-vous passer à mon cabinet la semaine prochaine ? Au plus tôt. Je dois vous parler.
La bonhomie de l'homme avait laissé place à une surprenante gravité dans son ton. Pendant un instant, John eut peur.
- Je… De quoi s'agit-il ?
- C'est important, insista l'autre. Cela ne serait ni très agréable, ni très pratique par téléphone. Ni très professionnel. Je préférerais que vous veniez à mon cabinet. Le plus tôt sera le mieux.
- Je peux passer lundi matin… céda John, qui n'avait aucunement l'intention de sacrifier son dimanche pour un énergumène qu'il ne connaissait ni d'Ève ni d'Adam et qui semblait travailler un jour férié.
- Parfait. Donnez mon nom et le vôtre à la secrétaire. On vous conduira à mon bureau immédiatement.
S'ensuivit une adresse débitée d'un ton rapide que John eut à peine le temps d'enregistrer dans sa mémoire avant que l'autre ne le salue et raccroche. Le médecin n'avait pas eu le temps de dire un mot avant d'entendre le clic de la tonalité de son correspondant, signe que la communication était rompue.
Perplexe, John dénicha un bout de papier afin d'écrire l'adresse avant de l'oublier, et s'en retourna à son petit déjeuner. Essayer de deviner ce que cet étrange personnage pouvait bien lui vouloir le laissait dans le flou total. Il oscillait entre la méfiance et la perplexité à l'égard de ce docteur Harding. Le fait qu'il soit missionné par Mycroft ne jouait clairement pas en sa faveur, mais John était pétri d'une espèce de loyauté stupide à l'égard de ses pairs les médecins. Il avait la croyance naïve qu'ils exerçaient tous leur métier par pure passion de venir en aide à leur prochain, et faisaient de la santé leur cheval de bataille. Ils n'étaient pas tous ainsi, malheureusement. Qu'importait, John continuait de le croire.
Sherlock lui avait un jour dressé un portrait au vitriol de son étrange capacité à croire en l'humanité et à rechercher le bien en chacun, ce que le détective jugeait stupide et vain, dans la mesure où l'humanité toute entière était, de son point de vue, vérolée par la corruption, le pouvoir, la stupidité et les sentiments.
- Certes, lui avait tranquillement répondu John, mais sans ma capacité stupide à chercher le bon en chacun de nous, je ne serais pas là à vivre avec toi. Parce que chez toi, je cherche encore.
La réplique avait mouché Sherlock, qui avait alors boudé toute la soirée.
Toujours était-il que l'étrange interlocuteur de John était médecin, et ce seul fait lui attribuait une certaine sympathie aux yeux de l'ancien militaire.
Son petit déjeuner englouti et l'esprit soudainement alerte, John avait pris le temps de vérifier l'identité du bonhomme sur Internet. Manque de chance, des docteurs Harding, il y en avait à la pelle dans l'annuaire de l'Angleterre, et ce y compris sur le seul Londres.
- Il se serait appelé Waszinsclas, ça aurait été trop simple, marmonna-t-il dans sa barbe.
Faut de pouvoir identifier clairement son homme, John chercha néanmoins à vérifier l'adresse qui lui avait été donné. La recherche ressortit immédiatement un résultat. Une clinique privée, légèrement à la périphérie de Londres. Sur les photos de la page d'accueil du site web, les bâtiments respiraient le luxe et le neuf. De toute évidence pas l'endroit où John avait les compétences pour exercer. L'une des rubriques du site détaillait les spécialités médicales que la clinique traitait : cardiologie, endocrinologie, immunologie, néphrologie, neurochirurgie, oncologie, stomatologie, urologie…
S'il y avait bien la liste des médecins exerçant dans la clinique (John put d'ailleurs vérifier que le Docteur Harding s'y trouvait), rien n'indiquait leur spécialité. Il ne pouvait donc pas déduire ce qu'on (et « on », dans ce cas très précis, avait des relents de Mycroft Holmes) pouvait bien lui vouloir. Le haut standing du bâtiment suffisait à lui seul pour prouver à John qu'un médecin généraliste militaire n'était pas de ceux engagés là-dedans. C'était le genre de clinique qui avait une armée de toubibs pour chaque spécialité, et qui ne faisait pas de relances. Les malades ne regardaient pas leur porte-monnaie, de toute manière, ils émettaient des chèques du montant qu'on leur demandait sans se poser de questions.
John était de plus en plus dégoûté, à force d'y penser. Mycroft n'était généralement pas sur la liste des personnes qu'il aimait voir, mais savoir que l'homme politique se soignait dans une clinique hors de prix le dégoûtait au plus haut point, lui qui voyait tous les jours des mères de famille épuisées par les otites à répétition de leurs enfants. Bien sûr, le National Health Service faisait correctement son œuvre, mais ce n'était un secret pour personne en Angleterre que la santé pouvait avoir un coût, et que pour quiconque voulait un vrai suivi, seul le privé était viable. John appréciait travailler pour le NHS, mais parfois il n'aimait pas la frontière aussi tranchée entre le service privé et public.
Puis, une autre voix s'imposa à lui. Il n'aimait pas l'idée du riche Mycroft se faisant soigner là-dedans, mais il ne pouvait s'empêcher de penser que le jour où le junkie qu'avait été Sherlock avait eu besoin d'aide, Mycroft n'avait pas dû regarder à la dépense pour faire soigner son frère. En dépit de la mauvaise volonté de celui-ci.
Bizarrement, John décida de ne rien dire à Sherlock lorsque celui-ci rentra le soir, extatique de son enquête, les joues rouges et les yeux brillants. Le docteur Harding avait bien dit que Mycroft lui avait ordonné de raccrocher si Sherlock répondait, ce qui prouvait que le grand frère refusait que son cadet soit au courant. John accepta de garder ça pour lui, au moins jusqu'au lundi, et sa rencontre avec le médecin.
- Bonne journée ? demanda Sherlock au bout d'un moment.
John pianotait sur son ordinateur, sans réelle inspiration pour son blog. Sherlock méditait, allongé de tout son long dans le canapé, drapé comme à son habitude dans sa robe de chambre bleue. Il avait été d'une exceptionnelle bonne humeur toute la soirée, acceptant de manger sans se plaindre, racontant ses aventures du jour avec une certaine exaltation. Suite à sa douche, il s'était enroulé dans son peignoir en soie, et avait recommencé à essayer d'imiter les momies. Le silence entre eux n'avait pas gêné John. Il était synonyme d'une confiance inébranlable.
Cependant, il était rare que Sherlock s'enquière de l'état de la journée de John.
- Étonnante, répondit John. J'ai fait une découverte exceptionnelle.
Sherlock daigna témoigner son intérêt en soulevant un sourcil.
- J'ai appris que nous avions un téléphone.
- Bien sûr que nous avons un téléphone, John. Nous en avons même deux. Le tien, et le mien. Mets d'ailleurs le mien à charger. Je crois qu'il n'a plus de batterie.
L'arrogance du détective était perceptible dans sa voix, mais John ne s'en offusqua même pas. Il préférait se lever et brancher le smartphone de Sherlock sur sa prise plutôt que risquer une semaine de crise parce qu'il avait raté un coup de téléphone de Lestrade par manque de batterie. Ou parce qu'il avait échoué à résoudre une enquête par impossibilité de faire une recherche internet.
Tandis que l'appareil émettait un « bip » de contentement en commençant à se charger, John poursuivit.
- Je ne te parle pas de nos portables, mais d'un téléphone fixe. Tu sais, un machin avec une prise dans le mur et un fil.
L'information dut trouver une certaine grâce aux yeux de Sherlock, puisqu'il rompit ses mains jointes sous son menton et ouvrit grand ses yeux.
- Ah bon ? Où ça ?
- Par là-bas, répondit John en désignant avec son pouce un point derrière son épaule. Je ne savais même pas qu'il existait.
Sherlock haussa les épaules.
- Moi non plus. Mais il doit y avoir un certain nombre de choses qu'on ignore. Quand j'ai emménagé, j'ai amené les cartons mais je ne les ai pas nécessairement tous vidés… Je crois que Mrs Hudson l'a fait.
John leva les yeux au ciel.
- Mais comme je ne savais pas ce qu'il y avait dans tous les cartons…
- Y'avait des tuyaux de cornemuse, aussi, informa John.
- Ah ça, je sais !
Le regard de Sherlock s'était illuminé et il s'était redressé dans le canapé. Pressentant une bonne histoire, John se rendit à la cuisine et en revint presque immédiatement avec deux tasses de thé fumantes. Vivre avec Sherlock lui avait appris que la patience n'était pas sa principale vertu et qu'avoir du café et du thé prêt à toutes heures du jour ou de la nuit pouvait sauver sa santé mentale.
Le détective attrapa sa tasse sans mot dire (la politesse ne faisait pas non plus partie de ses qualités premières), et poursuivit.
- Enfin, je ne savais pas qu'elles étaient là, mais je me souviens de pourquoi je les ai !
S'asseyant à ses côtés, John l'enjoignit à continuer. Sherlock n'avait pas besoin de se faire prier. Se vanter était une seconde nature chez lui. Même si John convint sans problème au terme de l'histoire que cette affaire écossaise méritait bien un peu d'arrogance. L'histoire était drôle (elle contenait un pseudo fantôme jouant de la cornemuse au milieu de la nuit, démasqué par Sherlock) et son ami y avait été particulièrement brillant dans sa résolution.
Discuter et rire avec Sherlock à propos de son passé était une des choses que John préférait dans leur colocation. Mycroft, le grand frère attentif, névrosé et surprotecteur avait un jour convoqué John (fait kidnappé dans une voiture de luxe par Anthea, en réalité) pour lui transmettre le dossier médical de son frère. Arguant qu'en tant que médecin, ami, colocataire et partenaire (d'enquête, avait-il précisé face au sourcil levé agacé de John), il pourrait en avoir besoin. Il avait refusé tout net de jeter un seul coup d'œil à l'épais dossier. Il ne voulait rien savoir d'autre de son ami que ce que celui-ci daignerait lui dire.
Mycroft, bien qu'agacé, avait fini par respecter la volonté de son interlocuteur, et avait uniquement insisté pour lui dépeindre rapidement la vie de Sherlock avant sa rencontre avec Gregory Lestrade (et peu de temps après, avec John). La drogue, les squats, les centres de désintoxication et les coins mal famés occupaient la place principale de l'histoire.
Alors entendre de la bouche de Sherlock ses aventures antérieures à John et découvrir que, même à la pire époque de sa vie, il parvenait à être lui-même, résoudre des enquêtes et avoir des passages de lucidité (et de génie, ce qui allait de pair quand on en arrivait au détective), c'était très plaisant. Et incroyablement rassurant.
Les sentiments ambigus de John à l'égard de son ami ressurgissaient toujours à ces moments-là. Une envie déraisonnée de le protéger, de rester à ses côtés pour toujours, un besoin viscéral de le prendre dans ses bras pour l'éloigner de la noirceur du monde. John savait que c'était stupide. Sherlock était parfaitement capable de s'occuper de lui-même. Mais parfois, le médecin voyait sous la surface du sociopathe auto affirmé et profondément agaçant l'enfant fragile et décalé du monde.
Le fait que les sentiments contradictoires que John éprouvait étaient complètement déconnectés de ce qu'on pouvait attendre d'une amitié normale ne lui traversait jamais l'esprit. Sherlock et lui étaient déconnectés de la normalité, de toute manière.
- Comment as-tu appris que nous avions un téléphone, au fait ? finit par demander Sherlock des heures plus tard, alors que John se préparait à aller se coucher.
- Il a sonné, répondit John.
- C'était qui ?
Le médecin haussa les épaules.
- Une erreur. Nous ne savions même pas que nous avions un téléphone, comment quelqu'un aurait pu connaître notre numéro ?
Sherlock hocha la tête, l'air convaincu.
- Bonne nuit Sherlock, lui lança John en s'apprêtant à monter.
- Déjà ? geignit le détective. Demain c'est dimanche !
- Les week-ends et les dimanches n'ont aucune prise sur ta vie. Comment peux-tu savoir le jour de la semaine que nous sommes ?
- Ça a de l'importance pour toi, se borna à lui répondre son ami, soudainement agacé.
John fut touché de l'attention. Il était exceptionnel, voire rare, d'avoir Sherlock si attentif, prévenant et aimable pendant toute une soirée. Pendant un instant, il fut tenté de retourner sur le canapé contre lui, profiter de sa chaleur, sa bonne humeur, de l'instant présent. Son bon sens l'en empêcha. Les barrières habituelles de l'amitié n'existaient parfois pas entre lui et Sherlock, et il se devait d'être celui qui les plaçait. Le détective était bien trop éloigné des conventions sociales pour comprendre les rumeurs dérangeantes qui couraient sur leur compte. Pas que ça dérangeait John, en soi, mais ça avait parfois le don de le mettre mal à l'aise, parce que les rumeurs étaient parfois un peu trop vraies.
Oui, ils partageaient assiettes, couverts et verre quand Sherlock n'avait pas envie de manger et que John le nourrissait à partir de sa propre assiette.
Oui, ils savaient mieux que n'importe qui les habitudes, bizarreries, préférences alimentaires, marque de shampoing, de vêtements ou de gel douche préféré.
Oui, ils vivaient ensemble.
Oui, John était la seule personne à supporter Sherlock en continu.
Oui, John était la seule personne que Sherlock tolérait en continu.
Cela ne faisait pas d'eux un couple pour autant. Même si cela pouvait fortement y ressembler, parfois.
- Bonne nuit Sherlock, répéta-t-il en quittant la pièce.
Le lendemain, John n'apprécia pas autant son dimanche qu'il l'aurait voulu. Pour une fois, pourtant, Sherlock n'en fut pas la cause. Il avait rendez-vous avec une jolie jeune femme, et même les remarques méprisantes de son colocataire sur sa tenue, sa coiffure, et la « greluche stupide » en question ne parvinrent pas à entamer sa bonne humeur. Lorsqu'il s'était levé, Sherlock était en robe de chambre sur le canapé, ce qui faisait douter John sur le fait qu'il soit allé se coucher. En tout cas, son amabilité de la veille s'était totalement envolée, et il était grincheux, ce dont son ami ne se formalisa pas. Il voulait profiter de son rencard, pour une fois.
Il aurait pu, car son ami ne le harcela pas de messages suppliants ou menaçants contrairement à d'habitude. Pourtant, l'étrange rendez-vous avec le Docteur Harding ne pouvait cesser de tourner dans son esprit. Qu'est-ce que Mycroft pouvait bien avoir qui justifiait l'intervention de John, et qu'un médecin réputé dans une clinique privée ne pouvait pas résoudre ?
Il fut si absent et perdu dans ses pensées que la fille le remarqua. Et lui notifia avec douceur que ça n'allait pas le faire, tous les deux. Elle avait besoin qu'on s'occupe d'elle. Elle appréciait que John soit plus âgé qu'elle, pour le côté rassurant, protecteur, expérimenté. Mais elle voulait plus de prévenance, plus d'attention, de tous les instants, comme toutes les jeunes adultes de sa génération, devenues exigeantes : elles prenaient désormais ce qu'elles voulaient dans le monde de travail, s'imposaient et gravissaient les échelons aussi bien qu'un homme et attendaient la même chose de leur relation amoureuse. De trop hautes exigences pour un médecin tranquille.
John lui répondit par un pauvre sourire. Elle ne lui plaisait même pas. Parfois, il ne sortait que pour se prouver à lui-même qu'il le pouvait encore. Et le prouver par la même à un arrogant colocataire.
Lundi matin, aussi tôt que possible, il partit et suivit le plan qu'il s'était imprimé pour rejoindre l'adresse indiquée. Le bâtiment était tellement énorme, blanc, et imposant qu'on ne pouvait pas le louper. En revanche l'entrée était beaucoup moins bien indiquée (du moins pour quelqu'un qui ne venait pas du parking, s'aperçut John. Les gens qui fréquentaient ce lieu devaient venir en voiture, c'était d'une logique absolue. Lui était venu en métro comme de bien entendu). Il finit néanmoins par dénicher une porte, la poussa, et se retrouva dans un hall immaculé. Mais plein de vie et de mort. Étonnamment, là où il s'attendait à trouver l'impersonnalité de ce genre de lieu, John retrouva l'ambiance d'un véritable hôpital, et cela lui redonna confiance dans la suite.
Il s'approcha du bureau d'une secrétaire, et la salua poliment.
- Bonjour. Docteur John Watson. Je viens voir le docteur Harding.
- Vous avez rendez-vous ?
- À strictement parler non, il m'a dit de venir dès que possible ce matin alors…
- Votre nom, vous m'avez dit ?
- John Watson.
La secrétaire pianota un instant sur son clavier.
- En effet. Docteur Watson. Vous êtes attendu. Je vais vous faire conduire auprès du docteur Harding immédiatement, répondit-elle avec enfin un sourire, la faisant paraître plus humaine.
Un instant plus tard, une deuxième secrétaire blonde fit son apparition et mena John à travers une enfilade de couloirs tous plus longs les uns que les autres, mais dans lesquels planait une véritable médecine. Ils croisèrent des patients, des médecins, des lits vides et d'autres pleins, des infirmières pressées et d'autres qui prenaient une pause.
- Son bureau est là, annonça soudain la jeune fille.
Elle frappa sans attendre à la porte, l'ouvrit, y poussa John et la referma derrière lui. Il avait à peine eu le temps de lire, sur la plaque dorée « Docteur Elliot Harding, oncologie ».
Derrière un luxueux bureau se tenait un petit homme, un peu enveloppé et l'air enjoué.
- Docteur Watson ! Enchanté de vous rencontrer ! Prenez place !
Il se leva néanmoins avec une agilité surprenante pour lui serrer la main et lui présenter le fauteuil en face de lui. L'homme portait une blouse blanche, des stylos dépassaient de sa poche, ainsi qu'un bloc-notes, ce qui rasséréna John. Qui se morigéna aussitôt d'observer les gens autour de lui comme le faisait un certain détective. Il passait trop de temps avec Sherlock. Il s'assit donc, tandis que le docteur Harding retournait de son côté du bureau.
- Alors, que me vaut le plaisir d'être ici ? attaqua bravement John.
La seule explication vaguement rationnelle à laquelle il avait pu penser était que cet homme avait besoin d'une expertise médicale, et que Mycroft l'avait recommandé. Mais John ne voyait pas trop en quoi un oncologue réputé pouvait bien avoir besoin d'un médecin militaire.
- Monsieur Holmes m'a dit avoir besoin de vous. Je suis on ne peut plus d'accord avec lui. Tenez, regardez ça.
Il fit immédiatement glisser vers lui une feuille de test.
- Vous savez ce que c'est ?
Se tenant relativement informé des progrès médicaux grâce aux revues médicales auxquels le cabinet où il exerçait était abonné, John reconnut en effet ce dont il s'agissait. Le fait de connaître désormais la spécialité de ce médecin aidait également à connecter les choses entre elles.
- Oui… Il s'agit d'un nouveau test sanguin qui permet de déterminer si oui ou non un patient a un cancer, et ce assez rapidement. Sa rapidité et sa facilité en font un outil de contrôle puissant pour le suivi des patients car les cancers sont souvent mortels parce que découverts trop tard. Un dépistage rapide et régulier permettrait d'éviter cela.
Le docteur Harding sourit, comme un professeur devant la bonne réponse de son étudiant. John, perdu dans son mode « docteur » enclenché, ne s'en aperçut pas.
- Exactement.
- En revanche, je ne sais pas lire les résultats. Je ne sais pas si ce patient est atteint ou non.
- Il l'est, répondit l'autre. Du moins, c'est ce que le test dit. Il faudrait des examens de vérification plus poussés pour s'en assurer.
John repoussa la feuille loin de lui, ne voyant toujours pas ce qu'on attendait de lui.
Le visage débonnaire de son confrère se fut soudain plus grave, et répondit à l'interrogation muette de John.
- Ce test est celui de Monsieur Holmes.
L'information parvint difficilement aux neurones de John.
- Mycroft… Mycroft a un cancer ? demanda-t-il en déglutissant.
Sherlock allait être infernal. Il jurerait sur ses grands dieux qu'il s'en fichait mais souffrirait en silence avec une violence inouïe. Il détestait son frère, c'était un fait, mais c'était une pierre angulaire de son existence. De plus, c'était une constante dans sa vie, et ce depuis sa venue au monde. Le syndrome d'Asperger dont il souffrait, bien qu'il s'en défende, le poussait à désirer un environnement immuable par amour de l'habitude. Perdre son frère serait une quelque chose d'horrible.
- Non… répondit le médecin en fronçant les sourcils. Pas ce monsieur Holmes là. Son frère. Sherlock.
A suivre…
Reviews ? :)
Je vous souhaite à tous de bonnes fêtes de fin d'année ! :)
Prochain chapitre le mercredi 6 janvier 2016 !