Un vent typique du mois novembre fouettait son visage à mesure qu'il marchait dans la rue. Il venait de rentrer des vacances d'octobre et se dirigeait vers son lycée, non sans une certaine appréhension. Cela faisait quasiment un mois que Harry l'avait laissé gisant dans les toilettes, drogué par le plaisir. Se remettre de cet état n'avait pas été chose aisée. La souffrance mentale qu'engendre la passion l'avait transcendé, il était soumis à son corps, soumis à lui-même. En outre, il se sentait sale. Souillé par des mains animées d'une frénésie déraisonnée. Il n'aimait plus ses cheveux roux qui faisaient sa fierté d'antan, il ne les touchait plus, se répugnant lui-même. Sa peau le dégoûtait. Elle gardera, gravées sur les hanches, les marques des ongles de son amant. Sa propre odeur lui donnait la nausée, elle gardait ses effluves sucrés mais l'odeur âcre qu'émanait du corps de Harry l'encerclait encore, comme une signature indélébile qui lui rappelait, à chaque seconde, la présence du prédateur.

Mais ce qu'il haïssait le plus, c'était son sexe qui le trahissait toutes les nuits, quand les souvenirs de ce soir là remontaient et qu'il se dressait, se gorgeant d'un sang pourpre sous les draps. Alors le roux se masturbait fiévreusement et tombait, traversé par des orgasmes qui le tiraient aux frontières du coma. Alors il se lavait, pour faire partir cette odeur répugnante d'excitation en se frottant la peau jusqu'au sang, et pour pleurer aussi, sans que personne ne l'entende.

Les feuilles étaient presque toutes tombées des branches et les arbres s'apprêtaient à passer l'hiver. Le visage emmitouflé dans une longue écharpe, un timide « bonjour » s'échappait de ses lèvres devant le surveillant qui gardait l'entrée du lycée. La couronne de « Roi du lycée » était tombée de sa tête ce soir là dans les toilettes. Son assurance avait laissé place à une crainte absurde du monde qui l'entourait. Il répondait d'un signe de tête aux salutations de ses amis en se dirigeant vers la salle de classe, s'écrasant devant les figures du passé plaintes sur les murs qu'il défiait autrefois.

En s'asseyant à sa place, il s'enferma dans une bulle. Une bulle qui, semaine après semaine, devenait hermétique, impénétrable. Une bulle qui progressivement prenait possession de lui. Il écoutait son professeur avec peu d'intérêt, n'entendant qu'un mot sur deux. Son esprit était ailleurs, il vagabondait dans les couloirs du lycée, s'échappait par le grillage et se promenait dans les rues. Il grimpait rejoindre les branches qui se balançaient, animées par le vent et montait encore, dans le ciel grisâtre de cette période de l'année ou ce n'est plus l'automne mais pas tout à fait l'hiver.

Un son familier l'avait tiré de ses songes. La cloche venait de sonner, plusieurs secondes s'écoulèrent avant qu'il ne comprenne où il était. La salle de classe s'était déjà vidée de la moitié de ses usagers. C'est à ce moment que le regard de Ron croisa celui du Brun. Son sang se glaça, un frisson brûlant d'humidité parcouru sa colonne vertébrale. Son ventre le tiraillait et ses mains moites trahissaient son effroi. Il fut prit d'une peur panique quand il constata que Harry venait à sa rencontre. Il est question de ces peurs incontrôlées qui vous raidissent, celles que l'on éprouve qu'une fois et qu'on redoute ensuite. Ses mains, par reflex, rangeaient ses affaires étalées sur la table en tremblant. Il voulait partir vite, s'enfuir avant de faire face à son bourreau. Mais celui-ci le retint par le bras.

- Comment vas-tu ? Entama le brun d'un ton grave.

- Lâche-moi. Rétorqua Ron, en essayant de se dégager.

- Ecoute-moi ! Lâcha-t-il, haussant le ton.

Quelques regards s'étaient tournés vers eux avant de s'envoler à nouveau, les rires suivirent. Harry reprit alors, à voix basse

- Je suis désolé pour la dernière fois, je ne sais pas ce qu'il m'a prit, je … Je ne voulais pas en arriver là …

- Tais-toi ! Cracha Ron, le défiant du regard. Tu n'as même pas idée de ce que tu as fait. Je me déteste à cause de toi ! Tu m'as … Tu m'as violé et laissé pour mort. Tes mains … Je les sens encore, glacées contre mon corps. Tu me répugne et pourtant … Éprouva le roux, emporté par la fièvre.

- Ron, je … Entama le brun, coupé vivement par son interlocuteur.

- Je n'arrive pas à effacer ton visage de ma tête, je t'aimais et tu as tout gâché, je …

Harry venait de couper court à la discussion par un baiser. Ron se rendit compte qu'ils étaient maintenant seuls dans la salle de classe. Seul le bruit du vent au dehors accompagnait leur étreinte. Le roux tenta d'abord de se dégager, tapant du poing sur le torse de Harry. C'est dans un profond relâchement aussi physique que mental que Ron céda finalement au baiser du Brun. Il ne su se l'expliquer.

Avant qu'il ne fasse état de la situation, Harry venait de briser leur étreinte et lui glissa à l'oreille qu'ils se retrouveraient plus tard, avant de partir précipitamment. L'angoisse venait de renaître chez le roux. Et s'il ne revenait pas ? Si au contraire ils ne se reverraient ni plus tard, ni jamais. Il l'aurait laissé une fois de plus, peut être pas pour mort comme ce soir là, mais avec un vide dans le cœur, un gigantesque vide qui rongerait jusqu'à son âme. Il prit une profonde inspiration, il ne savait pas si il serait physiquement capable de traverser la salle de classe jusqu'à la porte. Depuis ce soir là, sa démarche n'avait plus l'assurance qu'on lui connaissait. Il aurait préféré rester dans cette salle de classe, elle était calme et rassurante. Tout le contraire de la vie sociale, démesurément charnière.

Au moment de passer la porte, il se heurta à quelque chose. Il ne reconnu pas tout de suite la personne qui venait d'interrompre sa marche. Drago Malefoy souriait, imposante carrure surmontée de courts cheveux blonds, pas mécontent de mettre son camarade dans l'embarras.

- Drago ? Entama le roux.

Pour seule réponse, le blond le poussa violemment à l'intérieur de la salle et ferma la porte. Ron comprit avec effroi que l'histoire semblait se répéter. Le même sourire aux coins des lèvres, le même coup de pied dans la porte et surtout, le même regard dénué de raison qui s'apprêtait à le dévorer. Drago jeta son sac à travers la pièce et commença à retirer sa veste. Ses yeux n'avaient pas quitté ceux du roux. Ces derniers d'ailleurs, étaient rouges et trempés de larmes. Il n'avait pas la force de résister, il voulait seulement dormir. Plonger dans un sommeil infini qui mettrait fin à ses souffrances, se jeter corps et âme dans les bras protecteurs de Morphée qui calmeraient son cœur endolori.

Sa veste retirée, Drago avança d'un pas vers Ron qui revint à ses esprits. Il prit conscience de la situation et, désespéré, se mit à hurler de toutes ses forces. Les mains de son agresseur virent vivement l'empêcher de crier. Le roux détestait cette sensation, sentir l'odeur répugnante d'un corps qui vous empêche de bouger. Dans un dernier élan, il tenta de mordre la main de blond avant de s'abaisser vivement sur le sol. Drago venait d'enfoncer violement sont poing dans le ventre de Ron.

- Tu vas la fermer ta gueule ?! Beugla-t-il.

Ron toussait abondamment, tentant de reprendre sa respiration.

- Vas-y. Gémit le roux.

- Quoi ? Enchaina alors le blond. Son regard venait de changer. Cette invitation représentait un véritable retournement de situation qui ne manqua pas de le faire sourire.

- Vas-y ! Hurla Ron, dont les lourdes larmes qui coulaient sur ses joues rougies accompagnaient déjà les plaintes. Vas-y … C'est tout ce que je mérite de toute façon.

Sa décision, bien que pouvant paraître extrême, démontrait en fait le caractère désespéré de la situation. Il se disait qu'une fois les assauts du blond passés, il pourrait finalement dormir, et ne jamais se réveiller.

Un coup de pied dans le ventre rouvrit les yeux du roux qui gémit misérablement. C'était un pathétique mélange de cris, de plaintes, de larmes et de supplications, le tout mélangé donnait une espèce de jargon incompréhensible qui rendait la scène loquace pour qui l'empathie serait un mystère. Ron venait de cracher du sang, quelque goûtes d'ailleurs vinrent s'écraser de son menton jusqu'au sol. Encore une fois, Drago venait de changer de regard. Le contraste entre le pourpre de son sang et la blancheur de sa peau le fascinait. Il fut prit d'un rire nerveux, devant presque se tenir le bassin tant le fou rire persistait. S'essuyant les yeux, il reprit :

- Tu crois que je veux te baiser ? Ria-t-il une fois de plus. Pauvre petite pute, j'suis pas pédé moi ! Accompagnant ses mots d'un deuxième coup de pied dans l'abdomen du roux. Une nouvelle gerbe de sang vint s'ajouter à la précédente. Le blond reprit alors : Tu crois que je n'avais pas compris ton petit manège ? Je vous ai entendu Harry et toi tout à l'heure. Alors comme ça on suce des bites dans les toilettes monsieur Weasley ? Un troisième coup de pied s'écrasa dans les côtes de Ron qui suffoquait. Drago continua : Et en plus tu te la prends dans le cul petite merde ?!

C'est un quatrième coup dans le ventre qui acheva la fébrile lucidité du roux. Le blond continuait de brailler mais Ron fut incapable de comprendre. Les mots ne signifiaient plus rien, son esprit étant embrumé par la douleur. De pales lumières dansaient sous ses yeux avant de disparaître, le silence suivait de lui-même.

Un noir plus sombre que la nuit elle-même avait remplacé la salle de classe, aucun bruit ne venait troubler son repos. Ce silence en devenait même oppressant. En un éclair de lucidité, le roux comprit qu'il était passé de l'autre côté. Enfin.

Enfin. Il pouvait goûter à l'extase d'un sommeil lourd. Un sommeil d'ivresse. Depuis ce soir là, il n'avait su trouver l'étreinte de Morphée. Il ne dormait que d'un œil et rêvait de situations angoissantes et humiliantes. Il avait prit les somnifères les plus lourds et les alcools les plus forts, mais comme l'on a l'habitude de dire, quand on ne dort plus, on n'est jamais vraiment éveillé. Même drogué et saoulé, l'image du visage de Harry était gravée dans sa tête, jour et nuit.

Enfin. Il serait libéré de cette prison d'ordre démonique qu'est la passion. Il se laissait aller, pour la première fois depuis longtemps. Ses muscles se détendaient et ses nerfs meurtris se calmaient. En un souffle, il semblait avoir relâché toute l'angoisse, toute la tension de son corps, mais aussi les traces du brun se son être. Il flottait à la dérive sur un lac de nuit. Apaisé et muet.

Il sembla alors apercevoir quelque chose. Une touche de couleur au loin. Sûrement du blanc, ou du beige. Deux taches de verts suivirent alors. Le lac mystérieux n'était plus, il avait laissé place à un paysage de campagne. Il reconnu une de ces masures qu'on trouve au pied des massifs du Jura, entourée d'une herbe si verte qu'elle en devenait aveuglante et au bord d'une rivière dont le bruit se mêlait à celui des oiseaux et du vent des montagnes. Un véritable tableau de Monet, en somme. Tout semblait paisible et figé. La haine et la misère du monde semblaient avoir oublié d'envahir cette maison et ce jardin. Un enfant courait dans l'herbe, riant à s'en étouffer. Ron reconnu cette petite tête rousse qui allait ça et là parmi les fleurs et se mit à pleurer. Il se souvint alors de tous ses moments, ses souvenirs qu'il pensait disparus. Il avait le droit de croire à une existence meilleure. Depuis combien de temps n'avait-il pas arboré un sourire aussi large que celui de l'enfant qu'il fut ?

Il s'agrippa alors de toutes ses forces. Il s'agrippa au vide, à ses souvenirs et aux seules larmes qui lui restaient. Il avait décidé de vivre et il comptait bien se battre pour y arriver. Criant, hurlant, clamant à ce lac et à cette maison qu'il voulait vivre. Il se mit alors à rire. Rire pleinement. Rire de la vie qu'il avait vécue et de la vie qu'il allait vivre.

Un bruit étrange vint troubler le chant des oiseaux, un bruit qui se répétait, un bruit de machine. Un « bip » assourdissant qui fit disparaître la maison aussi vite qu'elle était apparue. Ron se réveilla. D'aveuglantes lumières blanches et voix étouffées qu'il ne su reconnaître accompagnaient son réveil. Il tenta fébrilement de se redresser avant de constater le décor de chambre d'hôpital qui l'entourait. Les visages commençaient à lui revenir, sa mère d'abord était penchée au dessus de lui, les larmes aux yeux. Un homme vêtu d'une blouse blanche souriait. Enfin, Harry Pageot se tenait là, dans le fond de la pièce, les yeux humides et le regard fatigué.

Il se pencha doucement sur le lit de Ron. Personne ne risqua à ouvrir la bouche. Le brun le regardait dans les yeux et se mit à pleurer, avant de lui caresser doucement les cheveux. Ron Weasley se redressa vivement, il alla à la rencontre des lèvres de Harry avant de lui dire au creux de l'oreille :

« Ne me quitte plus. ».