[Pardon pour l'attente. J'ai failli réussir à vous offrir ce chapitre en avril, mais quelques bugs et autres retards en ont décidé autrement... Et le chapitre 6 est loin d'être terminé, alors savourez celui-ci! Bien qu'il ne fasse pas partie de mes préférés...

Je tiens à remercier tous ceux qui ajoutent cette traduction en favori, à ceux qui followent, à ceux qui laissent une review, inscrits ou non (3 3 3), et à ceux qui n'en laissent pas ;) ça me rassure et m'oblige à plus de régularité... Nos intérêts sont communs :p]


[Loten:] Le chapitre précédent était parmi les plus sombres, rassurez-vous.


« I feel like no-one ever told the truth to me

About growing up and what a struggle it would be

In my tangled state of mind

I've been looking back to find

Where I went wrong… »

- Queen - « Too Much Love Will Kill You ».

« C'est comme si personne ne m'avait jamais dit la vérité

Sur ce que ça fait de grandir, combien il faut lutter

Dans mes souvenirs emmêlés

J'ai essayé de retrouver

Le moment où je me suis trompé… »


Il fallut deux jours supplémentaires à Hermione pour que l'idée lui vienne enfin, pendant son cours d'Histoire de la magie – source de certaines de ses meilleures idées, en réalité, alors même qu'elle était la seule élève à faire l'effort d'écouter; son cerveau prenait le dessus en même temps qu'elle prenait des notes. C'était Madame Pomfresh qui lui avait fourni une solution possible, lors d'une de leurs premières discussions sur la santé de Snape : « il court presque tous les matins, je crois ».

Après dîner, elle dénicha une salle vide et demanda à un portrait d'aller chercher Phineas Nigellus pour parler avec lui, puis attendit impatiemment l'arrivée de l'ancien Directeur. Il lui lança son regard d'aristocrate en arrivant et l'interrogea : « A la façon dont vous trépignez sur votre chaise, je présume que vous avez trouvé un moyen d'approcher votre estimé Professeur ? Eclairez-donc ma lanterne. »

« J'ai quelques questions à poser sur ses habitudes, pour tout vous dire ».

« Je vous ai prévenue, Granger : je ne vais pas vous mâcher le travail. »

« Ce n'est pas ce que je vous demande » rétorqua-t-elle. « J'ai deux questions, qui appellent deux réponses brèves. Ensuite, je vous laisse tranquille. »

Il soupira avec affectation « Très bien. »

« A quelle heure se lève-t-il le matin, en général ? »

Phineas plissa les yeux et eut presque l'air souriant. « Ah… Je vois. Cela dépend, mais c'est affreusement tôt, d'ordinaire il est d'un naturel insomniaque, même en temps de paix, et de toute évidence ce doit être pire en ce moment. Quoi qu'il en soit, il quitte en général ses appartements vers cinq heures et demi, six heures moins le quart. »

Aïe. C'était plus matinal que ce qu'elle espérait, mais ce n'était pas insurmontable; elle n'aurait qu'à passer un peu moins de temps à lire chaque soir jusqu'à ce qu'elle soit habituée. « Et jusqu'où va-t-il avant de rentrer pour commencer sa journée ? »

« Je l'ignore » répondit doucement le portrait, « dans la mesure où je ne vois pas l'extérieur. Je pense que vous allez devoir demander à quelqu'un qui passe plus de temps que moi dehors ».

Hagrid. Hermione eut un large sourire; le garde-chasse n'était pas là pour le moment, mais il finirait bien par revenir. « Merci du conseil. »

« Je vous conseille surtout de vous entraîner un peu, avant. » répondit-il avec un coup d'œil insultant à sa physionomie. « Il reste dehors environ une heure, en général. » Elle grimaça pour toute réponse, mais lui concéda cette remarque. Aussi usé et éreinté qu'il fût, Snape était plutôt tonique, et s'il passait cette heure entière à courir, elle allait vraiment avoir besoin d'un entraînement avant de pouvoir espérer rivaliser avec lui.


Peu de temps après son seizième anniversaire, Hermione fut encore un peu plus renseignée sur ce qu'il en coûtait d'être un agent double quand, somnolente, elle dut se traîner jusqu'à l'infirmerie en plein milieu de la nuit, sur convocation de Dilys. Elle y trouva Madame Pomfresh et Snape au beau milieu de ce qui semblait être une dispute. « Que se passe-t-il cette fois-ci ? » demanda-t-elle en baillant à nouveau.

« Rien, comme je suis en train de l'expliquer depuis vingt minutes » grogna Snape d'une voix rauque, ayant l'air aussi fatigué qu'elle, quoiqu'il y eut dans sa voix une légère tension qu'elle ne sut identifier.

« Vous êtes couvert de sang, Monsieur. » remarqua-t-elle, légèrement inquiète malgré elle. « Ça ne me semble pas être « rien » ».

Après un long silence assez inconfortable, pendant lequel Dilys disparut de son cadre et Madame Pomfresh tripota sa baguette sans raison, Snape se racla la gorge et déclara simplement « Ce n'est pas mon sang. »

Hermione le fixa d'un regard vide pendant un long moment avant que son cerveau ne se mette en route et ne réalise ce que cela voulait dire. Elle déglutit avec difficulté et émit un faible « …Oh », avant de se dégonfler, incapable de trouver autre chose à dire.

Snape détourna le regard pour ne pas croiser le sien, et fixa le sol. Son visage était, comme à l'accoutumée, dénué d'émotions, à l'exception d'une vague tension au coin de ses yeux noirs. Il tressaillit légèrement quand Madame Pomfresh lui saisit à nouveau le menton pour lui relever la tête, mais n'émit aucune protestation quand l'infirmière se mit à nettoyer les gouttelettes de sang qui tachaient sa peau pâle.

Hermione déglutit une fois de plus et détourna le regard. Elle s'étreignit, saisie d'un frisson soudain qui ne semblait pas vouloir passer. Elle ne parvenait pas à le regarder à nouveau, et piétina impatiemment dans la pièce jusqu'à ce que la médisorcière, une fois son examen terminé, le renvoie gentiment avec une recommandation à la prudence. Elle entendit Snape s'approcher d'elle, s'arrêter un instant, puis soupirer presque imperceptiblement, avant de la dépasser et de franchir la porte pour sortir. Ce ne fut qu'après avoir entendu la porte se refermer qu'elle se retourna enfin vers Madame Pomfresh.

Celle-ci la regarda sans faillir. « Voici un autre aspect de la réalité de la vie d'un agent double. » dit-elle calmement. « Vous êtes au fait du genre d'actions que mènent les Mangemorts. Le Professeur Snape se doit de faire des choses qu'il préfèrerait ne pas faire, dans le but de maintenir intacte sa couverture. »

« Il a tué quelqu'un ce soir » insista-t-elle, surprise par le ton rauque de sa voix.

« Probablement » concéda calmement l'infirmière. « Je n'ai pas l'intention de demander des détails. Si c'est d'une importance stratégique, il en informera le Directeur. Sinon, il préfèrera rester silencieux sur le sujet. »

« Ça ne m'étonne pas. » marmonna Hermione. Certes, tout le monde faisait des blagues sur Snape, sur le fait qu'il tuait régulièrement des élèves pour collecter leurs organes et en faire des ingrédients pour potions, sur le fait qu'il rêvait éveillé de tous les assassiner de la pire des façons, mais… en fait, il était vraiment un meurtrier. Elle frissonna de nouveau. « Pourquoi était-il ici ? Il n'avait pas l'air blessé. »

« Il ne l'était pas. Il préfèrerait se transformer en glaçon que de l'avouer, mais parfois, il veut vraiment de la compagnie. Ce soir, son excuse était de vérifier le stock de Potions, je crois, mais je ne fais même plus attention à ses explications oiseuses. Il voulait me voir – enfin, pas moi spécialement, mais quelqu'un qui sait ce qui se passe, et qui ne le juge pas. »

« Comment faites-vous pour faire comme si c'était normal ? » demanda-t-elle d'une petite voix.

« Qu'aurais-je dû faire d'autre à votre avis, Miss Granger ? J'ignore de qui il s'agissait. Je n'aurais rien pu faire de plus même en le sachant. Ce sont des morts plus rapides et plus propres que si un autre Mangemort s'en était chargé. Des milliers d'innocents meurent quand c'est la guerre. La seule manière d'empêcher ça, c'est de travailler à arrêter la guerre le plus vite possible, et c'est ce que nous faisons. Si je fais une crise d'hystérie, ça n'aidera pas Snape à récupérer. Il se sent déjà assez monstrueux comme ça sans que je le traite en plus comme tel. »

Repensant à ses yeux sombres, Hermione hocha la tête. « Il ne sent rien du tout. »

« Bien sûr que si » reprit l'infirmière d'une voix très douce, en captant son regard. « Il ne le montre pas, c'est vrai, mais quelque part au fond de lui-même, les choses qu'il est obligé de faire lui font mal, d'une façon que personne, je crois, ne peut comprendre. Le Professeur Snape est un être humain, Hermione, avec des émotions humaines, et des sentiments. Il a une conscience, un cœur, une âme, et un sens très aigu du bien et du mal. Quelle que soit la force qu'il met à prétendre le contraire, il est très fortement affecté par la vie qu'il doit mener. Il est peut-être tout ce que vous voulez, mais il est surtout simplement humain, comme vous. Essayez de ne pas l'oublier. »


Ça n'était pas vraiment inhabituel de trouver Hermione à la bibliothèque pendant les heures de temps libre, évidemment, mais cette fois elle n'y était pas pour faire ses devoirs, ou pour son propre plaisir; elle avait une autre mission en tête. Résistant à l'envie de jeter un coup d'œil furtif autour d'elle, elle traversa la pièce aussi calmement et naturellement que possible et se dirigea vers les rayons des anciens albums de promotion de Poudlard, dont certains étaient vieux de plusieurs siècles. Elle effleura la tranche des albums serrés là, jusqu'à ceux un peu plus récents, et saisit l'album de la promotion 1978.

En s'installant à une table éloignée de la porte d'entrée et des autres élèves au travail, elle se dit que franchement, c'était bizarre qu'elle et les garçons n'aient jamais pensé à jeter un œil à ça plus tôt. Après tout, il y avait les parents de Harry là-dedans, et aussi Sirius, et Lupin. Retardant la vraie raison pour laquelle elle feuilletait ce document, elle commença par les y chercher à la première page.

Sirius, dans sa photo, lui adressa un sourire effronté qui allait presque jusqu'au rire; il était beau, et elle se souvint brièvement qu'elle avait effectivement eu un genre de béguin pour lui pendant son séjour au QG l'été précédent. Elle connaissait certains membres de sa famille, mais elle n'en discernait pas les airs chez lui, même s'il fallait reconnaitre que Phineas était plus vieux de plusieurs générations, et qu'elle n'en avait pas rencontré d'autres en personne à part Tonks, qui pouvait prendre l'apparence de son choix… Le jeune Gryffondor avait l'air heureux et insouciant, l'avenir devant lui; le diplômé de Poudlard idéal dans toute sa splendeur, en vérité.

Lily Evans fut le nom suivant qui lui parut familier, et Hermione eut d'un coup l'impression d'avoir été frappée à l'estomac, et retint à grand peine un hoquet de surprise. Evans. Pas étonnant que ce nom lui ait dit quelque chose ! Snape avait été ami avec la mère de Harry ?! « Bon sang », chuchota-t-elle faiblement, « pas étonnant que personne n'ait voulu me le dire ». Ca n'avait pas de sens, quand même. Pourquoi donc Snape aurait-il été ami avec une Gryffondor d'origine moldue ? Oh mon dieu. Que dirait Harry s'il savait ? Bon, elle n'avait certainement pas l'intention de le dire un jour à son ami. Lui et Snape se détestaient suffisamment comme ça- et peut-être que ceci l'expliquait en partie. Peut-être que c'était lié à la raison pour laquelle Snape avait haï James.

Ça faisait trop d'informations à digérer d'un coup, et elle fit de son mieux pour mettre tout ça de côté pour se concentrer sur la jolie rousse qui lui souriait timidement dans sa photo, l'insigne de Préfète-en-chef brillant sur sa robe. Harry avait vraiment les yeux de sa mère, constata-t-elle. Le vert vibrant était d'autant plus saisissant par contraste avec sa peau pâle et ses cheveux d'un auburn flamboyant. Lily avait elle aussi l'air de l'élève modèle, jolie, populaire, heureuse. Á essayer de l'imaginer amie avec Snape, même si leur amitié s'était apparemment terminée un peu avant l'époque de ces photos, elle se donna mal au crâne.

Elle parcourut lentement des photos d'élèves joyeux, souriants. C'est le nom de Remus Lupin qu'elle repéra ensuite, et elle eut un petit sourire en voyant le loup-garou adolescent lui sourire un peu en coin. Elle distingua dans son visage l'ombre de l'homme qu'il deviendrait, plus clairement qu'elle ne le vit pour Sirius, et il n'avait pas l'air aussi épuisé ou préoccupé qu'il le serait. Il n'avait pas la beauté de son ami, mais il était presque mignon, d'une manière qui lui fit un peu penser à Neville : le même sérieux un peu gauche, étrangement touchant.

La photo de Peter Petigrew la fit automatiquement frissonner, mais le garçon qui lui souriait dans son cadre n'avait que peu de ressemblance avec le Queuedver adulte. Il était joufflu, et ses traits semblaient inachevés, comme s'il était plus jeune qu'il n'était et qu'il n'avait pas encore terminé sa croissance, bien qu'il y eût déjà un air de rongeur dans son nez et sa bouche. Il n'avait pas du tout l'air d'être le genre de garçon à vendre ses meilleurs amis à Voldemort à peine quelques années après; il avait juste l'air d'un jeune garçon enthousiaste qui manquait un peu de confiance en lui.

Par contraste, James Potter avait l'air très sûr de lui, appuyé nonchalamment au cadre de sa photo. Sa ressemblance avec Harry était saisissante, depuis les cheveux en bataille jusqu'au sourire facile, quoiqu'il possédât un air affirmé de confiance en lui, et une assurance dont son fils manquait. Harry avait toujours l'air légèrement réservé, et James ne l'était clairement pas. Mais enfin, étant donné qu'il posait avec la coupe des Quatre Maisons et la coupe de Quidditch, qu'il avait l'insigne de Préfet épinglé sur sa robe, et qu'il sortait avec une fille comme Lily Evans, elle supposa qu'il n'était pas très étonnant qu'il ait l'air si confiant et heureux de vivre.

Elle tourna ensuite lentement quelques pages, et son regard fut finalement attiré par le nom qu'elle cherchait à la base. Severus Snape. Il la dévisageait d'un air maussade depuis sa photo, se ressemblant beaucoup malgré sa jeunesse: les traits trop maigres soulignant trop franchement les pommettes, les longs cheveux sales lui cachant une partie du visage – coupés avec moins d'habileté que maintenant (il était de toute évidence encore en train d'apprendre comment se les couper lui-même) – et le nez crochu proéminent qui dénotait encore plus dans le visage d'un adolescent. Il avait l'air moins éteint, moins fatigué et moins hagard, mais sa peau avait quand même cette carnation jaunâtre et peu saine, et son uniforme paraissait usé et élimé. Ses yeux, en revanche…

Après un rapide coup d'œil autour d'elle pour s'assurer que personne ne regardait vers sa table, elle se pencha plus près de la photo, essayant de distinguer les ombres de son regard sombre. C'était difficile d'y voir mieux; la photo était vieille de dix-sept ans, après tout, et n'était pas très grande. Snape, contrairement à tous les autres élèves du livre, n'avait pas l'air heureux ou excité par son avenir. Il avait l'air principalement dénué d'émotions, en fait, même si son expression n'égalait pas encore celle d'insensibilité contrôlée d'un Occlumens chevronné. Mais il y avait quand même quelque chose d'autre dans ses yeux – un air de vieillesse, comprit-elle, des yeux qui en avaient déjà trop vu pour son âge. La courbe qui tordait de ressentiment ses lèvres fines traduisait la colère, assurément, et elle pouvait clairement y voir l'écho du rictus malveillant, si familier, du Snape adulte. Cette amertume se reflétait dans ses yeux, mais son visage, lui, était plutôt maussade, presque résigné. Dans l'ensemble, son attitude suggérait que son avenir à lui aussi était tout tracé, mais qu'il n'était pas impatient de s'y engager. Il avait indéniablement l'air d'un Mangemort en devenir, mais on n'aurait pas dit qu'il le souhaitait vraiment. Il avait plutôt l'air perdu, à voir la manière étrangement vulnérable dont ses épaules étaient voûtées et dont il penchait la tête pour que ses cheveux lui cachent le visage.

Elle se mordit la lèvre pour s'empêcher de renifler bruyamment. Ne sois pas stupide. C'est juste une vieille photo. Arrête d'y projeter des choses. Il ne pouvait décemment pas savoir ce qui arriverait dans le futur. Levant les yeux au ciel, exaspérée par elle-même, elle continua sa lecture, passant en revue les derniers élèves et le reste de l'album de promo.

Sans pouvoir s'en empêcher, elle détailla tous les BUSES et ASPICS de chaque élève, se demandant ce qu'il en serait de ses propres notes. Lily et Remus s'en étaient tous deux très bien sortis, avec uniquement des O et des E, et James et Sirius n'étaient pas loin derrière; mais Peter n'avait clairement pas l'intelligence de ses amis, et ses notes étaient principalement des A. Les résultats de Snape la firent halluciner: il avait eu un Optimal dans toutes les matières. Elle savait qu'il était intelligent, mais très peu d'élèves avaient sans doute réussi ce palmarès – même si quelque part, elle espérait secrètement réussir exactement la même chose.

La plupart du reste de l'album était rempli de photos plus innocentes des élèves à divers moments de leur scolarité. Son occasion favorite était celle d'une photo des Maraudeurs dans leur troisième ou quatrième année, se chamaillant gentiment pour prendre la pose sur une table, tout sourire. Elle trouva aussi une adorable photo de James et Lily portant leurs insignes de préfets, échangeant un sourire, et une de Sirius vers quinze ans qui brandissait dangereusement d'une seule main la coupe de Quidditch au-dessus de sa tête tout en essayant de coincer sous son autre bras la tête d'un Remus à l'air embarrassé; une autre d'une Lily de douze ans peut-être, accompagnée d'autres filles, dans leurs écharpes Gryffondors, acclamant les joueurs depuis les gradins du stade de Quidditch.

En tournant les pages des Poufsouffle et des Serdaigle qu'elle ne connaissait pas, Hermione fronça les sourcils. Il y avait quelques photos des Serpentards, en cravates vert et argent, mais Snape n'apparaissait dans aucune d'elles. Elle finit par le repérer errant à l'arrière-plan d'une autre photo de groupe; après un coup d'œil à la liste des noms en légende, elle frémit en réalisant que tous ces garçons fiers et heureux avaient fini par devenir des Mangemorts, et reporta son attention sur Snape. Ses mains étaient enfoncées dans ses poches, et il avait l'air renfrogné, visiblement peu motivé par le fait d'être sur la photo et préférant trainer au loin dans un coin plutôt que de faire partie du groupe. Autant qu'elle ait pu en juger, c'était la seule autre photo de lui dans tout l'album.

Pensive, Hermione referma l'album de promo et le remit sur l'étagère. Elle n'était pas sûre que cette petite recherche ait été très éclairante, mais elle lui donna quelques éléments supplémentaires à méditer.


Severus n'eut aucun plaisir à trouver Ombrage qui l'attendait dans sa salle de classe, lorsqu'il y entra pour ôter le sortilège de stase qui protégeait les potions de Renforcement à moitié finies des cinquième années, et pour préparer les ingrédients et équipements nécessaires aux étapes suivantes. Elle l'avait prévenu qu'il serait inspecté cette semaine, et une part de lui-même avait su que ça se passerait évidemment avec cette classe, mais il en était quand même profondément contrarié. Ses résultats parlaient pour lui : les notes en Potion à Poudlard étaient les plus élevées de tous les autres établissements de magie, ce qui était l'une des raisons pour lesquelles il était autorisé à avoir le comportement qu'il avait en classe sans avoir trop de problèmes. Enfoiré ou pas, il était, un peu à sa grande surprise, un bon professeur, à défaut d'être un professeur apprécié. Et la liste de ses palmes académiques était à ce jour aussi longue que son bras. La notion même d'inspection était ridicule, et insultante.

L'ignorant autant que possible, il commença à préparer la classe, se souvenant, en réprimant un sourire moqueur, du récit de Minerva de sa propre inspection. Comme il aurait aimé pouvoir se lâcher dans ces circonstances… Il aurait parié pouvoir la faire balbutier et rougir comme une première année avant la fin de l'heure de cours. Mais, non, il allait falloir se tenir à carreaux. Jusqu'à un certain point, au moins.

Elle se tenait juste derrière lui pour surveiller ce qu'il faisait; Severus renifla presque. Il était maître dans l'art de l'intimidation, et utilisait lui-même ce genre de techniques; elles ne fonctionneraient pas sur lui. En plus, il était peut-être fin comme un piquet et mesurait un peu moins d'un mètre quatre-vingts, mais il était toujours bien plus grand que le crapaud, et il n'était pas difficile de se déplacer juste assez pour lui bloquer la vue; il réprima un autre petit sourire en l'entendant souffler de frustration. Stupide bonne femme.

« Êtes-vous prêt pour votre inspection, Severus ? » demanda-t-elle enfin, et il se donna mentalement une médaille d'or pour l'avoir fait parler en premier, bien qu'il eût vraiment souhaité qu'elle n'utilise pas son prénom. S'il avait son mot à dire, personne ne l'utiliserait; il ne considérait personne avec suffisamment d'amitié pour leur octroyer ce privilège, honnêtement. Et certainement pas cette foutue Dolorès Ombrage, le crapaud à son Fufudge.

Il haussa un sourcil en se retournant. « Se préparer pour quelque chose d'inhabituel serait contradictoire avec le principe même d'une inspection, n'est-ce pas ? » répondit-il d'un ton mielleux. « Je suis un peu plus confiant que ça dans mes méthodes d'enseignement. » En plus, elle allait sans doute apprécier son comportement habituel en classe, aussi rebutant que puisse paraitre cette idée. Il se plaça dans un recoin sombre de la salle. « D'ici, vous devriez pouvoir observer parfaitement le cours. » lui dit-il, avant de sortir sa baguette pour faire apparaître une chaise pour elle, avant qu'elle puisse le faire. Pour un autre homme que lui, ce geste aurait été considéré comme prévenant; or Severus avait, avec enthousiasme, créé le siège le plus inconfortable auquel il ait pu penser : dur et rigide, juste assez étroit pour qu'il soit difficile de bien s'y installer, et juste assez haut pour que ce ne soit pas pratique pour les jambes courtes du crapaud. Deuxième médaille pour moi. Il lui adressa ce qui passa pour un sourire poli et lui fit signe de s'asseoir. « Les élèves devraient être devant la salle à présent. »

« Vous les faites attendre après vous ? » demanda-t-elle en s'installant avec son petit porte-calepin à la con; elle inscrivit son nom en haut de son parchemin rose. Du parchemin rose… Il réprima un frisson de dégoût. Ignoble bonne femme. Elle avait des goûts pires que les siens.

« Je les fais attendre dans le couloir. Ainsi, s'il m'arrivait d'être en retard pour quelque raison que ce soit, ils ne seraient pas tentés de jouer avec n'importe quoi sans surveillance. C'est une mesure de sécurité. »

Il se détourna d'elle pour aller ouvrir la porte, et dès qu'il s'en approcha il entendit les éclats de voix à l'extérieur. Qu'est-ce que vous foutez tous, encore ? Dans un soupir, il ouvrit la porte et ne fut pas franchement surpris de voir Potter et Weasley se battre, et Draco ricaner. Que Londubat se retrouve au milieu de tout ça était un peu étonnant, mais il n'avait pas le temps ni l'envie de chercher à comprendre et enleva dix points à Gryffondor avant de leur ordonner de rentrer en classe.

Après le dernier élève, il rentra et claqua la porte avec suffisamment de violence pour faire cesser les chuchotements, et passa devant la table du Trio jusqu'à l'estrade. « Vous noterez que nous avons une invitée aujourd'hui. » annonça-t-il sur un ton trainant; il était, une fois de plus, reconnaissant pour la voix qu'il avait. Elle n'était pas seulement la seule caractéristique positive de sa personne, elle lui permettait aussi de faire entendre son mépris et ses ricanements sans avoir à ricaner pour de bon. Il pouvait ainsi clamer son innocence si on l'accusait de se moquer de quelqu'un.

Tous les élèves échangèrent un regard, et nul besoin d'être un Legilimens pour comprendre ce qu'ils étaient en train de penser. Ses lèvres frémirent, en un rictus ou un sourire – lui-même n'aurait pas su le dire : avec ce crapaud parmi les professeurs, il n'était plus le plus détesté de tous les employés de l'école, et c'était un sentiment étrange. Il en avait fait l'embryon d'expérience avec Lockhart, mais toutes les filles, elles, étaient en admiration devant cet abruti, ce qui ne lui avait laissé que quelques miettes de popularité. Severus reprit en haussant la voix : « Aujourd'hui, nous allons continuer notre Potion de Renforcement. Vous trouverez vos mixtures telles que vous les avez laissées au cours précédent. Si elles ont bien été réalisées, elles ont dû maturer correctement ce week-end. Les consignes… » dégainant sa baguette, il l'agita vers le tableau noir : « … sont au tableau. Allez-y. »

La première partie du cours se passa relativement sans mal. C'était une idée atroce à concevoir, mais il semblait que, pour une raison ou une autre, Ombrage l'appréciait bien, au grand plaisir de Minerva qui s'en amusait non sans malice depuis des semaines. Severus savait que c'était en partie à cause de Lucius. Il n'aurait pas été du tout surpris d'apprendre que son «ami » aurait chanté ses louanges délibérément; Monsieur Malfoy avait parfois un sens de l'humour très spécial, ce qu'il allait payer comme il se devrait un jour prochain. Ceci dit, de l'avis de Severus, cette faveur ne durerait pas; après tout, Fudge avait vu sa Marque des Ténèbres l'année dernière.

Il était en train d'examiner la potion de Thomas, lorsqu'il entendit des pas derrière lui; il fixa la potion du garçon avec irritation. C'est parti. Le bruit de ses pas n'était pas tout à fait régulier; il espérait qu'elle avait des fourmis dans les jambes. Dean Thomas était un des élèves moyens en Potion: son mélange était correct, mais sans inspiration. Il n'y avait pas vraiment de défaut, mais il n'était pas d'une qualité particulière. Il essayait de se concentrer sur la potion quand un insupportable petit filet de voix s'adressa à lui.

« Hé bien, le cours semble plutôt avancé pour leur niveau… » lui dit-elle. Il adressa son rictus au chaudron devant lui. Rien d'étonnant à ça, vu leur professeur outrageusement surqualifié. Il ne voyait aucun intérêt à les ménager sans fin en leur donnant à faire des potions Anti-furoncles, et c'était l'année des BUSES, après tout ! Ombrage continua : « Quoique je mettrai en doute la pertinence de leur enseigner une potion comme la Potion de Renforcement. Je pense que le Ministère préfèrerait qu'elle soit retirée du programme. »

Ca n'a rien à voir avec le Philtre de Force, espèce de vieille peau incompétente. Il se redressa, à peine capable de s'empêcher de lever les yeux au ciel. S'il lui fallait subir une inspection, est-ce que ça n'aurait pas pu se faire avec quelqu'un qui connaissait vraiment la matière ? Le Philtre de Force augmente temporairement la force physique et magique de celui qui la boit; pas la Potion de Renforcement. Elle est plutôt inoffensive, on l'utilise pour augmenter la force des enchantements sur des objets, parfois pour booster l'efficacité de certaines potions. Se détournant du bureau de Thomas et le laissant continuer son travail, il la regarda d'un air impassible saisir sa plume en haut de sa petite planchette.

« Alors… Depuis combien de temps enseignez-vous à Poudlard ? » Demanda-t-elle.

« Quatorze ans ». Ce qui était dans son dossier, si elle s'était donné la peine de le consulter. Idiote. Crapaud.

« Vous aviez d'abord postulé pour le poste de Défense contre les Forces du mal, il me semble ? » demanda-t-elle d'une voix faussement mielleuse.

Ha. On part là-dessus, alors. « Oui » répondit-il doucement.

« Mais vous avez été refusé ? »

Thomas étouffa un rire; de toute évidence, tous les élèves qui pouvaient écouter discrètement le faisaient, et il savait qui écouterait. Severus changea de tactique et cessa d'Occluder, et retroussa les lèvres. Autant y aller franchement et se faire plaisir en la ridiculisant, même si c'était pour le payer plus tard. « De toute évidence » cingla-t-il en réponse; il entendit quelque part dans son dos un autre rire étouffé qui aurait peut-être bien pu venir de Granger.

Le crapaud se mit à écrire avec des gestes brusques; il jeta un regard assez long pour lire à l'envers sa stupide écriture toute arrondie et appliquée, et ne fut pas surpris de voir qu'elle écrivait n'importe quoi, juste pour avoir l'air de prendre plein de notes à partir de ses trois mots de réponse.

« Et vous avez régulièrement postulé pour la Défense contre les forces du Mal depuis votre première année dans cette école, il me semble ? »

« Oui » répondit-il sèchement. Ça n'avait déjà plus rien de drôle. Il détestait vraiment être humilié publiquement de quelque façon que ce soit, même si là, c'était tout à fait mineur par rapport à certaines choses qu'il avait dû endurer. Ravalant sa bile et essayant de se calmer, il attendit l'inévitable question suivante.

« Avez-vous la moindre idée des raisons pour lesquelles Dumbledore refuse continuellement de vous embaucher pour ce poste ? » s'enquit-elle d'un ton doucereux.

Oh, il y avait un tas de raisons. En partie parce que le vieux n'était pas stupide et qu'il savait qu'il ne trouverait jamais de professeur de Potions aussi qualifié que Severus; en partie par mépris. Pour une bonne part, la raison était qu'il ne faisait tout simplement pas confiance à Severus pour se retenir de se mettre à enseigner la Magie vraiment noire aux jeunes. Mais c'était surtout parce que le poste était maudit, et qu'aucun d'eux ne pouvait se permettre de voir Severus partir après un an. Il avait besoin d'être ici, pour pouvoir mentir au Seigneur des ténèbres, et pour que Dumbledore puisse l'avoir à l'œil. Impossible de donner l'une ou l'autre de ces raisons à Ombrage.

Cela ne l'avait pas empêché de continuer à postuler, là encore pour de multiples raisons. De cette façon, il montrait au Seigneur des Ténèbres qu'il essayait toujours d'obéir à l'ordre donné initialement – raison principale. De plus, cela énervait Dumbledore, ce qui valait toujours le coup, et lui donnait une raison pour être méprisant envers celui qui, quel qu'il soit, obtenait le job – de toute façon la plupart le méritait. Cela encourageait aussi les gens à le sous-estimer. Et puis, il aimait en fait sincèrement la matière, et serait plutôt content de l'enseigner pour un temps, même si les Potions étaient son véritable amour; et à présent que la guerre était de retour, il se savait capable d'enseigner aux gosses à se défendre eux-mêmes mieux que n'importe quel candidat à qui Dumbledore confiait le boulot. En particulier Ombrage.

Il rétorqua quelques mots en essayant de ne pas grincer des dents : « Je vous suggère de lui poser la question. »

« Oh, j'y compte bien » répondit-elle avant de lui sourire – de cet air cucul et mièvre qu'il détestait par principe, et qui gâtait ses traits bouffis et gonflés et la rendait encore plus ignoble et crapaudesque.

Il répondit sombrement en s'empêchant de penser à toutes les choses qu'il pourrait lui faire subir : « Je présume que c'est important ? ». Evidemment que ça n'avait aucun rapport. Ses compétences en tant que professeur de Potions n'avaient rien à voir avec le fait qu'il ait envie d'un autre poste.

« Oh oui » confirma-t-elle « Oui oui, le Ministère souhaite comprendre en profondeur les professeurs et leurs euh… expériences. »

Je vous embarque avec moi à la prochaine Convocation, songea-t-il amèrement. Vous en aurez une compréhension très en profondeur à ce moment-là. Le Ministère avait toujours voulu sa revanche sur lui depuis que l'intervention de Dumbledore l'avait débarrassé de toutes poursuites lors de son procès; cela devait être très frustrant pour Fudge de savoir qu'il était un Mangemort, et d'être infoutu d'y faire quoi que ce soit. Il fixait son dos d'un regard noir tandis qu'elle s'approchait de Parkinson et lui posait des questions sur les cours; au moins, il réussirait son inspection, et haut la main si c'était avec les Serpentards qu'elle discutait – ils connaissaient la main qui les nourrissait.

En se retournant, son regard accrocha celui de Potter. Le garçon n'essayait même pas de cacher qu'il espionnait la conversation; il craqua et se dirigea vers sa table pour constater le désastre dans son chaudron. Clairement, Potter était tellement occupé à regarder ses ennemis se battre en duel qu'il ne s'était même pas donné la peine de faire attention à son travail. Tandis que Potter baissait les yeux, Severus jeta un rapide coup d'œil à Granger, qui s'était tournée légèrement pour être dos à eux et manifestait clairement qu'elle avait abandonné le fait de l'aider à limiter les dégâts. Elle devait cependant toujours essayer d'aider Longdubat, mais il ne parvenait pas à s'y intéresser pour le moment; il n'avait pas envie de gérer un nouveau chaudron fondu aujourd'hui de toute façon.

« Hé bien, pas de note une fois de plus, Potter » dit-il au garçon avec plein de mépris. En l'occurrence, c'était justifié : la potion du morveux était objectivement la plus nulle de la classe, et il Evapora la masse congelée au fond du chaudron. « Vous me rédigerez un devoir sur la composition exacte de la potion, en indiquant comment et pourquoi vous vous êtes trompé, à rendre au prochain cours. Est-ce compris ? »

« Oui » siffla amèrement le garçon. Imbécile. Cette potion est au programme des BUSES. Tu n'as pas appris à la faire en classe, tu vas donc devoir l'apprendre sur ton temps libre. Je ne suis pas juste un enfoiré, sinon je t'aurais confié à Rusard pour qu'il s'amuse une soirée; ce n'est pas comme si j'avais besoin de plus de copies à corriger.

Levant les yeux au ciel, il se dirigea vers Crabbe et Goyle pour voir à quel point ils s'étaient plantés cette fois; il serra les dents et cessa de fixer sombrement Ombrage de dos. Elle avait remporté cette manche – c'était rageant.


Quand il entra en trombe dans la salle des profs presque déserte ce soir-là, il était toujours de mauvaise humeur. Minerva leva les yeux quand il s'avachit dans un siège en face d'elle, et lui adressa un léger sourire. « Hé bien, on dirait que quelqu'un vient enfin d'avoir son inspection » lui dit-elle, avec un enthousiasme inutile à son goût. « Tu t'es bien amusé ? »

« Non » fut sa brève réponse, tandis qu'elle attrapait son plateau d'échec à côté de son fauteuil et leva un sourcil interrogateur à son intention. Il acquiesça et elle commença à placer les pions. « Evidemment, il a fallu que ce soit avec les Cinquième années. Elle est collée à Potter ou quoi ? »

« Probablement » acquiesça-t-elle. « Après tout, c'est principalement pour le surveiller qu'elle est là. As-tu eu l'occasion de t'amuser à ses dépens ? »

« Malheureusement, non. » répondit-il. « Elle s'est lancée sur le sujet du cours de Défense, et après elle a passé le reste de l'heure à questionner les élèves. »

« Pas de chance » compatit-elle, « mais tu auras sans doute une autre occasion. J'attends quelque chose de convaincant, Severus; toi et moi, nous avons pour mission de l'asticoter dès que l'opportunité se présente. » Elle avança son premier pion et la partie commença.

« Où sont tous les autres ? » demanda-t-il au bout de quelques minutes.

« Aurora, Charity et Rolanda sont aux Trois Balais, Filius et Bathseda sont de patrouille ce soir, Pomona est dans sa serre comme d'habitude, Septima travaille dans son bureau, et elle, elle est avec Albus. En train de se faire renvoyer, j'espère. »

« Pourquoi, qu'a-t-elle fait encore ? » demanda-t-il; il prit le fou de Minerva avec un petit rictus.

Après un regard agacé et une prise d'un de ses pions par vengeance, elle répondit simplement : « Sybill est en sursis. »

« Ha, ce n'est pas très surprenant. » remarqua-t-il. Il faisait partie du très petit groupe de gens qui savaient que Sybill Trelawney était une véritable Prophétesse, ce qui ne l'empêchait pas d'être une lamentable imposture la plupart du temps. « Peut-être que c'est l'occasion de faire table rase de ce bordel. J'espère que vous avez demandé aux elfes de maison de planquer le Xérès. »

« Tu es très mal placé pour faire des commentaires sur les habitudes de boisson de qui que ce soit, Severus. » le réprimanda-t-elle en sauvant in extremis un de ses cavaliers. « Elle ne l'a pas très bien pris. Elle pleurait tout à l'heure. Sois gentil avec elle, s'il te plait. »

Il avança sa reine. « Je ne lui adresse jamais la parole. Pour moi, c'est de la gentillesse. »

« Pas faux, je suppose. Et techniquement, le décret ministériel l'autorise à nous inspecter et à nous placer en sursis, mais il ne me semble pas qu'il soit stipulé qu'elle puisse nous renvoyer… »

« Il ne stipule pas le contraire, non plus. » remarqua-t-il sombrement. « On ne peut rien faire de ce côté-là. Ils ont trop de gens sur le coup pour repérer les vides juridiques. Echec. »

Mettant son roi à l'abri, elle acquiesça. « Albus s'y attendait, de toute façon. Tu pourras apprécier son plan si Sybill se fait effectivement virer. »

« Ça t'amuse d'être cryptique, n'est-ce pas. » commenta-t-il distraitement en sacrifiant un de ses cavaliers. Il étudia le plateau les yeux plissés.

« L'hôpital, la charité, tout ça, Severus. » réprimanda-t-elle. « Ce que je veux dire, c'est qu'on peut limiter sa nuisance au sein de l'équipe, mais les élèves sont déjà en train de devenir ingérables. »

« C'est leur spécialité » souligna-t-il. « Echec, une fois de plus. »

Ennuyée, elle protégea à nouveau son roi, et il lui adressa un rictus. Elle soupira. « Dissoudre les clubs et les groupes d'élèves ce matin était une très mauvaise idée, surtout avec la saison de Quidditch qui s'annonce. Potter n'est pas notre seul jeune rebelle. Elle a au moins un élève dans chaque classe à critiquer… »

« Surtout des Gryffondors » lui fit-il remarquer malicieusement.

« Parce que tes Serpentards se comportent comme des petits lèches-bottes répugnants. » signala-t-elle en lui prenant un autre pion.

« Des petits lèches-bottes répugnants qui devancent tout le monde en nombre de Points. » répondit-il avec calme. Il n'appréciait pas non plus l'attitude de ses élèves, mais la Maison du Serpent était une Maison de survivants. Eux ne finissaient pas constamment en retenue. Il prit le deuxième fou de Minerva et elle répliqua en lui prenant une de ses tours.

« Ce n'est qu'une question de temps avant qu'il n'arrive quelque chose de grave, Severus. Je m'inquiète pour Potter. »

« Je parie plutôt sur les jumeaux Weasley, en fait. » Il mit sa tour restante à l'abri. « Tu as déjà vu les effets leurs petits bonbons ? Je suis impatient de les voir se propager. » Une fois de plus, il se demanda avec amusement comment les élèves réagiraient s'ils savaient à quel point leurs professeurs comméraient, et à quel point ils avaient peu de secrets en vérité.

« Tu n'auras plus aucun élève en Potions. Je suis sûre que ça ne te pose aucun problème, mais ça va avoir un impact sur ton salaire. » Elle prit un autre pion.

Il renifla. « Ca m'étonnerait. Ils la détestent bien plus qu'ils ne me détestent. Je les traite peut-être tous comme des idiots, mais je ne les infantilise pas tout en leur disant le contraire, je ne les empêche pas de s'instruire, et je ne leur mens pas. »

« Blague à part Severus, tout ça devient sérieux. Nous savons tous les deux que, au mieux, l'équipe a l'illusion qu'elle contrôle les choses. Si elle les pousse à la rébellion déclarée… »

Severus eut un petit rictus en dégageant sa reine sur le plateau. La tentative du Trio de lancer leur petit club de défense était déjà de notoriété publique, même s'ils croyaient avoir été très discrets; il était plutôt fier du rôle qu'il avait joué là-dedans. « Entouré de quelques camarades rebelles, Potter posera moins de souci que s'il était le seul; il est plutôt calme en ce moment, parce qu'il se croit malin. Je maintiens que ce sont tes jumeaux qui agiront les premiers. »

Les yeux plissés fixés sur le plateau, elle acquiesça. « On parie ? »

« Dix gallions » dit-il sans hésiter.

Minerva cligna des yeux en le regardant, puis acquiesça avec une fierté farouche et prit un autre pion. « Ça marche. » Ils se serrèrent la main et reprirent la partie. « Je reste quand même inquiète pour le petit… »

« Ça fait deux fois que tu le dis. Ça ira pour lui; il s'en sort toujours. »

« Elle a intercepté son hibou l'autre jour. »

« Quoi ? »

Ils échangèrent un regard morne. « Il n'y avait rien de risqué dans la lettre qu'il envoyait; il a eu au moins cette présence d'esprit. Mais elle s'enhardit. On est à peine en Octobre. Que va-t-elle inventer d'ici Noël ? »

« Hé bien nous allons devoir veiller à ce que son courage se prenne un petit coup d'arrêt, n'est-ce pas. » murmura-t-il. « Echec. »

« Merde » marmonna-t-elle avant d'avoir pu s'en empêcher. Elle déplaça rapidement son roi et le toisa. « Albus t'a déjà interdit de l'empoisonner. »

« Je ne le ferai pas. Pas encore, en tout cas. » Il la laissa lui prendre sa deuxième tour. « Si tu es si inquiète pour les élèves, débrouillons-nous pour qu'elle focalise son attention sur autre chose pendant un petit moment. Avec le Ministère, la meilleure stratégie c'est de jouer sur leur paranoïa. Faisons en sorte qu'elle s'inquiète pour elle-même et ses affaires, et elle arrêtera de prêter autant d'attention au reste du château. »

« C'est dans ces moments-là que je suis soulagée que tu ne sois plus un élève, Severus. Tu serais un cauchemar total. »

« Tu as toujours le mot gentil » lui dit-il avec sarcasme, un rictus aux lèvres.

«Combien de temps dois-tu te dégager pour donner un coup de main ? »

« Autant que je veux » lui assura-t-il. « Elle est impopulaire dans les deux camps, tu sais. Elle essaye de détruire Poudlard, et personne ne souhaite ça. Qui d'autre veut participer ? »

« Filius, évidemment. Peut-être Pomona, même si elle ne peut pas faire grand-chose pour le moment. Je suis sûre que tous les autres aideront autant qu'il faut. »

Un sourire éclot sur les lèvres de Severus en même temps qu'une idée dans son esprit. Il sacrifia un autre pion. « Rendons cela intéressant, veux-tu ? »

« Je t'écoute. Echec, au fait. »

Sans se démonter, il bougea son roi. « Commence une cagnotte. Tout le monde contribue un petit peu chaque semaine. A la fin de l'année, on vote qui a réussi à la gêner le plus; le gagnant rafle tout. »

Ils échangèrent des petits regards malicieux. « J'en suis. » accepta Minerva. « Il faudra des conditions, bien sûr. Pas d'avantages injustes, et rien de dangereux. Et on n'implique pas les élèves. »

« Ca me semble bien. Et on ne dit rien à Dumbledore. »

« Il ne peut rien faire pour gêner ce dont il n'a aucune preuve. » approuva-t-elle. Ni lui ni elle n'était assez idiot pour croire qu'il n'en saurait rien.

« Splendide. Echec et mat. »

Elle examina le plateau et soupira quand son roi se rendit avec une expression dégoûtée. « J'ai failli t'avoir cette fois. Il ne te reste presque plus aucune pièce. »

« Je ne suis pas meilleur que toi aux échecs. Je te jauge simplement mieux que toi tu ne me jauges. »

« La reine était une feinte ? »

« Oui. »

« Pff. Bon, très bien, j'en parle aux autres dès que je peux et autant que je peux. Nous sommes de patrouille tous les deux jeudi prochain, il me semble; on verra bien ce qui arrivera d'ici là. »


Les jumeaux et leur public finirent par quitter enfin la salle commune après ce qui sembla être une éternité. Hermione avait désormais abandonné l'idée de les réprimander. Ron et Harry étaient trop captivés pour l'écouter, et elle refusait d'admettre qu'elle-même était en partie intéressée, malgré elle. En d'autres circonstances, elle aurait été davantage horrifiée par ces bonbons qui permettaient aux élèves d'échapper aux cours, mais… hé bien, Ombrage était un cas à part. Si elle ne tenait pas désespérément à surveiller les faits et gestes de cette odieuse bonne femme et à essayer de garder Harry sous contrôle, elle serait elle aussi tentée de zapper le cours de Défense.

La salle commune était enfin vide et silencieuse, alléluia. Hermione était un peu dépitée de constater qu'il était déjà minuit passé; aucun problème pour les garçons, ils n'allaient pas devoir se lever à cinq heures et demi pour se mettre en jambes afin de mettre un plan en action, après le retour d'Hagrid. Au moins, Snape n'avait pas été Convoqué ce soir, elle ne serait donc pas appelée à l'infirmerie, mais elle serait quand même épuisée demain.

« Sirius » lança enfin Ron en se ressaisissant. Elle mit ses devoirs de côté tandis que le parrain de son ami leur souriait depuis l'âtre de la cheminée.

« Salut. »

« Salut » répondit-elle en chœur avec les deux autres. Elle se mit à genoux sur le tapis à côté de Pattenrond.

« Ca roule ? »

« Pas trop » répondit Harry; elle tira rapidement son chat loin du feu. « Le Ministère a encore fait passer un décret en force, qui nous empêche de former des équipes de Quidditch… »

« Ou des groupuscules secrets de Défense contre les forces du mal ? » demanda Sirius d'un ton malicieux; ils le fixèrent tous du regard. Hermione n'aurait su dire ce que ressentaient les garçons, mais pour elle, c'était surtout de l'embarras. Ils avaient fait tellement attention !

« Comment tu sais ça ? » demanda Harry.

« Il faut choisir vos lieux de rendez-vous plus soigneusement. » répondit Sirius avec un grand sourire. « La Tête de Sanglier, j'vous demande un peu... »

Il parut si moqueur qu'Hermione s'irrita. « Oui, hé bien c'était mieux que les Trois balais. » protesta-t-elle. « C'est toujours plein de monde… »

« … Ce qui veut dire qu'il aurait été plus difficile de vous espionner. » répondit Sirius avec dédain. « Tu as beaucoup à apprendre, Hermione. » ajouta-t-il.

Il n'avait sans doute pas voulu paraître aussi infantilisant, mais elle fut quand même vexée, principalement parce qu'elle savait que c'était vrai. Tout ce qu'elle ne savait pas lui donnait des insomnies inquiètes la nuit, après tout. Elle avait essayé de garder leur groupe secret, mais de toute évidence elle avait fait une belle bourde; elle n'était pas Serpentard, ça elle le savait. Pas étonnant que le Professeur Snape ait eu l'air amusé par quelque chose ces derniers jours… Après tout, c'était en partie de quelque chose qu'il avait dit qu'elle s'était inspirée pour suggérer le groupe, à la base.

En pensant à Snape, elle reporta son attention sur Sirius qui parlait de Mundingus Fletcher, et un poids glacé lui remplit soudain l'estomac quand elle se rappela que cet homme, enthousiaste et souriant à l'idée d'une rébellion, avait été capable d'organiser un quasi meurtre quand il avait leur âge, et avait été un harceleur depuis plus longtemps. C'était un sentiment bizarre… Elle appréciait Sirius, et Snape avait certainement lancé les hostilités aussi souvent qu'il y avait répondu, quand elle les avait vus ensemble, mais les faits étaient indéniables. C'aurait été une blague d'envoyer Snape sous le Saule n'importe quelle autre nuit, et de fermer le passage derrière lui par exemple, ou d'y mettre quelque chose pour le surprendre au bout. Mais s'être assuré que c'était la pleine lune, avec un loup-garou à l'autre bout, ça n'avait rien d'une simple blague. Sirius avait voulu la mort de Snape.

Et même si Snape pouvait tout à fait rivaliser avec Sirius maintenant qu'ils étaient adultes – verbalement en tout cas, et elle miserait aussi sur lui dans un vrai duel, à part peut-être à mains nues – elle doutait que ce fût le cas quand ils étaient adolescents. De toute évidence, ça n'était jamais du un contre un, autant qu'elle sache. A quatre contre un, c'était très loin d'un combat équitable. C'était du harcèlement, point, et même avec toute la bonne volonté du monde elle n'aurait pas pu y trouver une bonne excuse. Snape n'était pas idiot, il ne l'avait jamais été, et il n'aurait jamais entamé un combat si déséquilibré s'il n'avait pas eu l'espoir de pouvoir gagner.

Hermione se sentit un peu triste, réalisant une fois de plus qu'elle grandissait, et que le monde n'était pas ce qu'elle croyait. Elle avait toujours bien aimé Sirius, avait toujours été de son côté, mais à présent elle se mit à reconsidérer la rage farouche et presque folle que Snape avait montrée deux ans plus tôt. On ne se mettait pas dans une telle colère sans une sacrée dose de douleur comme carburant. Il était plus difficile de choisir son camp une fois qu'on connaissait toute l'histoire, d'autant plus qu'elle savait très bien ce que ça faisait d'être une tête de turc à l'école. Harry aussi, d'ailleurs, même s'il restait aveugle à tout ce qu'était Snape, exceptée sa mesquinerie; elle-même n'avait vu que cela, jusqu'à récemment.

Eloignant momentanément ses pensées perturbantes, Hermione écouta Sirius leur expliquer la mise en garde de Mme Weasley, et fut gênée de constater qu'elle ressemblait un peu trop à la fille trop sérieuse de douze ans qu'elle avait été. Ça faisait au moins un avantage au fait de grandir, supposa-t-elle : ses priorités avaient changé. Les garçons pouvaient en rire autant qu'ils voulaient, n'empêche que Ron, qui était peut-être un traître à son sang, restait un Sang-pur, et Harry avait tout l'Ordre pour assurer sa protection. Hermione, elle, était une Sang-de-Bourbe, et une cible, et elle voulait être capable de se protéger elle-même, car peu de personnes allaient le faire pour elle.

« Alors tu veux que je dise que je ne ferai pas partie du groupe de Défense ? » ronchonna Ron d'un ton maussade.

« Moi ? Certainement pas ! » répondit Sirius, l'air choqué par l'idée même. « Je pense que c'est une excellente idée ! »

Fronçant les sourcils en entendant son enthousiasme, Hermione reporta pensivement son attention sur l'âtre tandis qu'Harry demanda joyeusement : « Vraiment ? »

« Bien sûr que oui ! Tu crois que ton père et moi, on se s'rait couché devant une vieille peau comme Ombrage et qu'on lui aurait obéi ? »

Non, pensa Hermione, tu aurais été comme Harry, insolent et en colère et… stupide, et tu aurais fini aussi en retenues éternelles. Pendant un instant son monologue intérieur eut la voix de Snape, et déplora les arrogants Gryffondors sur-émotifs, impulsifs et têtes brûlées.

Harry parut avoir lui aussi tiqué un peu sur le ton de son parrain, car il adressa à l'âtre un regard hésitant. « Mais… au semestre dernier, tu n'as fait que me dire de faire attention et de ne pas prendre de risques… »

« L'an dernier, tout indiquait que quelqu'un à l'intérieur de Poudlard essayait de te tuer, Harry ! » reprit Sirius impatiemment. « Cette année, on sait que quelqu'un à l'extérieur de Poudlard aimerait bien tous nous tuer, alors je pense qu'apprendre correctement à vous défendre vous-mêmes est une très bonne idée ! »

Tu as toujours été doué pour justifier n'importe quoi, remarqua sombrement le Snape intérieur d'Hermione. Avec le désir de se sentir honteuse de ses soupçons, Hermione demanda calmement : « Et si on se fait renvoyer pour de bon ? ». Sirius n'était plus un ado rebelle en manque de sensations. C'était le gardien d'Harry, et un adulte avec des responsabilités.

« Hermione, c'était ton idée, toute cette histoire ! » protesta Harry.

En vrai, c'était l'idée du Professeur Snape. Et elle ne savait toujours pas si ce commentaire lancé comme ça avait été un pur hasard ou s'il avait voulu que son esprit emprunte ce chemin et aboutisse à cette idée. Si ça avait été une coïncidence, ou de la manipulation délibérée. « Je sais bien » répondit-elle dans un haussement d'épaules. « Je me demandais juste ce que Sirius en pensait. » Elle savait ce qu'il en pensait; elle voulait savoir ce qu'il dirait.

« Hé bien, mieux vaut être renvoyé et capable de se défendre qu'être assis confortablement en sécurité à l'école sans en avoir la moindre idée. » répondit alors Sirius, et son ton détendu lui fournit la réponse à sa question. Son cœur se serra en entendant Harry et Ron l'approuver en chœur avec enthousiasme et se mettre à discuter de potentiels lieux de rendez-vous, et elle se demanda, mal à l'aise, combien de temps elle pourrait laisser les choses couler avant de devoir partager ses doutes avec Harry.


Un demi-savoir est une chose dangereuse, Hermione. (Loten)


[J'aime bien la façon impertinente dont Loten amène des éléments a priori évidents tout en mettant en doute le récit originel de JKR: genre les albums de promo que personne n'aurait eu l'idée de consulter... :) elle donne de la densité à son histoire, avec un certain souci de cohérence...

Bonne semaine à tous et j'espère ne pas causer de nuits trop courtes pour ceux qui liront ce nouveau chapitre ce soir :). ]