Ce soir-là, l'invitée de Sanji s'appelait Pudding, et était étudiante en hôtellerie comme lui. Nami observait Sanji flirter avec elle et Vivi d'un regard glacial, et ne répondait à aucun des compliments qui lui étaient adressés. Son attitude finit par attirer l'attention de ses amis, au point que même Luffy s'arrêta de bâfrer pour se pencher vers elle et demander :

- Tout va bien, Nami ?

C'était le signal qu'elle attendait pour abattre son poing sur la table, faisant sursauter tout le monde.

- Dis-moi, Vivi, tu te souviens de ce que tu m'as dit hier matin ? Que je devais accorder à Sanji le bénéfice du doute ? demanda-t-elle d'une voix parfaitement maîtrisée.

- Euh… Oui, mais pourquoi…

- Le bénéfice du doute ? A quel sujet ? demanda Usopp en fronçant les sourcils, intrigué.

- Oh, c'est simple… Vous voyez, Jewelry Bonney m'a dit quelque chose qui m'a fait tiquer, l'autre jour. Elle m'a dit que le cœur de Sanji-kun ici présent appartenait déjà à quelqu'un d'autre, et que c'est pour cela qu'il ne voulait s'engager avec aucune fille. Alors je me suis demandé si ce cher Sanji avait réellement une petite-amie quelque part, qu'il trompait allègrement, et je me suis permis de faire quelques recherches.

L'apprenti chef-coq pâlit horriblement et se figea tout d'un coup, comprenant les implications de cette affirmation. Pudding avait à présent les deux mains plaquées devant la bouche, horrifiée, tandis que Zoro haussait un sourcil interrogatif et que Franky secouait la tête avec réprobation. Quant à Luffy, il continuait à s'empiffrer sans que l'échange qui se produisait devant lui ne semble le perturber.

- Tu sais ce que j'ai trouvé, n'est-ce pas, Sanji-kun ? demanda-t-elle d'un ton mielleux, tout en sortant de sa poche l'échographie et la fameuse lettre, pliée en quatre.

- Est-ce que c'est… ? demanda Vivi en écarquillant les yeux.

« A l'attention de Sanji Blackleg », commença à lire Nami, imperturbable. « Je t'écris cette lettre pour t'informer que notre fille va beaucoup mieux, mais que ce n'est pas grâce à toi. J'attends toujours la pension que tu avais promis de me verser, et dont je n'ai pas encore vu la couleur une seule fois. As-tu réellement l'intention de t'investir dans la vie de notre enfant, comme tu me l'as dit la dernière fois que l'on s'est vus ? Tu as déjà refusé de t'en occuper, soit – mais la moindre des choses serait au moins que tu respectes ta parole, et que tu contribues aux frais. » Blablabla, et c'est signé : Kalifa. Je pense que je peux m'arrêter ici ?

Il y eut un long silence, durant lequel tout le monde fixa Sanji, qui passait par toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, tout en ouvrant et en refermant la bouche tel un poisson hors de l'eau.

- C-c'est vrai, Sanji ? balbutia Pudding, les larmes aux yeux.

- Je… Ce n'est pas ce que vous croyez ! Je peux tout expliquer ! fit Sanji en agitant les bras désespérément.

- Non, Sanji, personne ici ne veut entendre tes excuses. Tu as abandonné ton ex-petite-amie avec un enfant sur les bras, tu ne l'aides même pas financièrement, et en plus tu te permets de prendre du bon temps et de draguer toutes les filles du campus ? Tu es méprisable, cracha Nami.

Sur ce, Pudding éclata en sanglots et sortit de la pièce en courant, et Nami décida de la suivre pour la réconforter. Un sourire ourla ses lèvres, toutefois, lorsqu'elle entendit la voix de Vivi s'élever derrière elle, Vivi qui ne s'énervait pourtant que très rarement :

- Ne t'avise même pas de la suivre, Sanji ! Tu ne penses pas que tu l'as blessée suffisamment ?!

Ah. Maintenant, tout le monde saurait quel immonde salaud était en réalité l'apprenti chef-coq !

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Le matin suivant, Nami se sentit assez fière d'elle lorsqu'elle entendit les voix d'Usopp et de Vivi, provenant de la cuisine.

- Je ne comprends pas… disait l'étudiante en tourisme. Il a passé le plus clair de son enfance à l'orphelinat, il sait ce que c'est que de grandir sans parents… Et pourtant, il a abandonné cette fille et leur enfant !

- Je sais… Moi non plus, je ne le pensais pas capable d'une telle lâcheté. Il me déçoit beaucoup !

De tous les nakamas de Luffy, Vivi et Usopp étaient évidemment les plus susceptibles d'être affectés par cette histoire. Vivi avait perdu sa mère assez jeune, presque trop tôt pour s'en souvenir, et avait par conséquent formé un lien très fort avec son père. Elle l'idolâtrait, et lui veillait sur elle jalousement, la gâtant et lui passant tous ses caprices. C'est pour cela que quand il l'avait reniée, après qu'elle lui ait annoncé sa relation avec Kohza, Vivi l'avait vraiment vécu très mal. Après tout, son père avait été son héros, et le centre de son univers, pendant toutes ces années.

Usopp aussi avait perdu sa mère quand il avait neuf ans. Lui s'en souvenait très bien, au contraire – et il n'avait jamais pardonné à son père d'avoir été absent, en train de travailler, lorsque celle-ci avait rendu son dernier soupir. Yasopp ne voulait que le bonheur de sa famille, et travaillait comme un forcené pour subvenir à leurs besoins, mais malheureusement il oubliait que l'argent ne suffisait pas pour acheter l'affection de quelqu'un, et qu'Usopp se serait volontiers serré un peu plus la ceinture en échange d'un peu plus de présence et d'attention.

« Tant mieux » se dit Nami. « Au moins, ils savent maintenant quel salaud est en réalité Sanji. Bien fait pour lui ! Et le mieux dans tout cela, c'est qu'ils sont tous été tellement choqués par mes révélations qu'ils ne se sont même pas demandé comment j'avais obtenu ces documents ! »

Ce midi-là, Nami ne vit pas Sanji à la cantine – Ivankov l'informa que le blond avait appelé pour dire qu'il était malade, et l'étudiante en sciences de l'environnement se fit un malin plaisir de lui annoncer que Sanji avait menti. Iva, l'air mécontent, se promit de lui remonter les bretelles dès qu'elle le verrait, et Nami alla s'attabler avec un sourire satisfait. Elle fut bientôt rejointe par Vivi, avec laquelle elle se serait fait un plaisir de médire, si elle n'avait pas vu à quel point l'étudiante en tourisme avait l'air inquiète.

- Vivi ? Il y a un problème ? lui demanda la rousse, en lui prenant la main.

- Non, pas vraiment… C'est juste que notre cours de ce matin avec Mme Nico a été annulé. D'après ce qu'on nous a annoncé, elle a été agressée hier soir et serait à l'hôpital. J'étais en train de me demander si je ne lui apporterais pas un bouquet de fleurs ou quelque chose ?

Nami resta figée à ces mots. Nico Robin, à l'hôpital ? Et le frère de Franky qui était toujours dans le coma… Cette fois-ci, c'était certain : c'était bel et bien à cause d'elle que ces pauvres gens se faisaient attaquer, soupçonnés sans doute d'être liés au cambriolage de Spandam.

- Nami, ça va ? Tu as l'air complètement choquée… fit Vivi en agitant la main devant ses yeux, faisant sursauter la rouquine.

- Oh, désolée ! N-non, je me disais juste, quand ça arrive à quelqu'un d'aussi proche, on se rend compte que ça aurait pu être nous… C'est un peu effrayant, grimaça Nami.

- Oui, c'est vrai, murmura Vivi, en baissant la tête.

- Tu penses aller lui rendre visite quand ? Tu veux que je vienne avec toi ?

- Oh, tu ferais ça ?! Est-ce que tu serais libre ce soir, après les cours ? s'écria Vivi, ravie.

- Ce soir ? OK, je n'ai rien de prévu, accepta Nami avec un petit sourire.

Elle s'en voulait un peu de se faire passer pour une bonne samaritaine, quand en réalité elle voulait juste soulager sa conscience, mais elle avait besoin de voir Nico Robin et de s'assurer qu'elle ne risquait plus rien. Elle ne pourrait jamais se le pardonner si quelqu'un était à nouveau blessé à cause d'elle ! Un moment, elle entretint l'idée d'avouer la vérité au professeur d'histoire – qui, après tout, avait fait de la prison et pourrait peut-être comprendre la situation de Nami – mais comment espérer qu'elle l'aiderait alors qu'elle était responsable de son agression ?! Non, mieux valait garder le silence, encore une fois. Hélas.

Vivi et Nami se retrouvèrent à 17h pour acheter un bouquet de fleurs et se rendre à l'hôpital. Pendant le trajet en bus qui les amenait à destination, la cambrioleuse en profita pour passer à son amie le fameux article concernant la guerre civile de Dressrosa, en faisant semblant de l'avoir trouvé par hasard.

- Oh, génial, merci beaucoup ! s'exclama Vivi en le feuilletant avec excitation. C'est étonnant que je ne sois pas tombée dessus au cours de mes recherches, je pensais pourtant avoir regardé partout !

- Ahah, étonnant, en effet, fit Nami en riant jaune.

Elle fut soulagée que le bus choisisse ce moment-là pour s'arrêter, lui épargnant ainsi les questions gênantes.

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Robin était réveillée lorsque les deux jeunes filles entrèrent dans sa chambre, et les accueillit avec un sourire.

- Ah, mademoiselle Néfertari Vivi. C'est gentil de venir me voir, la remercia-t-elle d'une voix suave, avant de se tourner vers Nami d'un air interrogatif.

- Ah, madame Nico, je vous présente mon amie Nami ! Vous ne l'avez pas parmi vos élèves, mais elle aussi est à l'université d'Alubarna, s'empressa de les présenter Vivi.

- Oh. Enchantée, mademoiselle, fit Robin en hochant la tête.

Le professeur d'histoire avait l'air relativement indemne, si l'on exceptait quelques coupures et éraflures sur les bras et le visage. Du moins, c'était ce que l'on pouvait se dire de prime abord, avant de remarquer les marques de doigt violacées qui ornaient sa gorge. Nami déglutit nerveusement, incapable de détourner le regard. Tout cela était de sa faute. Pouvait-elle vraiment se permettre de ne rien dire ? Elle ouvrit la bouche, sur le point de parler, mais Vivi l'interrompit en s'asseyant dans le fauteuil réservé aux visiteurs, et en prenant la main du professeur. A la fois frustrée et soulagée, Nami alla mettre le bouquet dans un vase, tout en écoutant la conversation d'une oreille distraite.

- Comment vous sentez-vous, madame ? Le secrétariat de la faculté nous a dit que vous aviez été agressée… Cela doit avoir été terrifiant !

- Oh, cela aurait pu être pire, si je n'avais pas réussi à mettre mon assaillant en déroute, corrigea Robin avec un calme olympien. J'aurais sans doute pu mourir.

- Oh, ne dites pas cela ! Mais que vous voulait donc cet homme ?

- Aucune idée. Pas mon argent, en tous cas, car mon sac à main ne semblait pas l'intéresser. Peut-être sa conception de l'amusement exige-t-elle d'assassiner une jeune femme dans une ruelle obscure et de violer ensuite son cadavre, proposa Robin avec une expression indéchiffrable.

Tandis que Vivi protestait, profondément choquée, le regard de Nami croisa celui de Robin, et la rousse sut alors que la brune mentait. Elle savait très bien ce que voulait son agresseur : pire, elle savait que Nami le savait aussi !

Il y eut un moment de tension électrique, où les deux femmes se jaugèrent du regard, attendant que l'autre prenne la parole, mais l'instant fut brisé par une infirmière qui entra dans la pièce, poussant devant elle un chariot chargé de plateaux-repas.

- Oh, je suis désolée, mais il semblerait que ce soit déjà l'heure du repas, sourit Robin.

- Ah, c'est vrai, on mange tôt, dans les hôpitaux… soupira Vivi. Eh bien, nous allons vous laisser, dans ce cas. Bon rétablissement, et revenez-nous vite !

- Ah, merci, je tâcherai de faire cela. Juste une dernière chose : vous logez bien dans la résidence Thousand Sunny ?

- C'est bien cela. Mais comment… ? commença Nami.

- Pourriez-vous dire à votre concierge, M. Franky, que si je ne viens pas à notre rendez-vous de ce soir, c'est pour des raisons indépendantes de ma volonté ? Je ne voudrais pas qu'il pense que je lui ai posé un lapin, demanda Robin d'une voix sirupeuse.

Nami en resta toute interdite. Robin connaissant Franky ? Robin avait un rendez-vous avec lui ? Comment était-ce possible ?!

- Comment ?! couina Vivi à côté d'elle. Vous et Franky ?! Mais… Depuis combien de temps ?!

- Oh, c'est tout récent, répondit Robin, l'air amusé. Je ne savais pas moi-même que votre concierge abritait de tels sentiments à mon égard, avant de recevoir un ballotin de pralines artisanales et un poème de sa part, cette semaine. J'ignorais également qu'il pouvait faire preuve d'un tel romantisme – mais je le soupçonne fortement d'avoir demandé conseil à votre camarade Sanji.

- Ah, Sanji… C'est possible, oui… murmura Vivi d'une voix éteinte, tandis que Nami faisait la grimace. Bien, nous transmettrons le message à Franky, vous pouvez compter sur nous !

Les deux jeunes filles sortirent de l'hôpital en silence, chacune plongée dans ses propres pensées. Pour sa part, Nami était certaine d'une chose : il fallait absolument qu'elle parle avec Robin en tête-à-tête ! Cette femme était au courant de quelque chose la concernant, et il fallait qu'elle sache si elle avait transmis ces renseignements à l'agent de Spandam qui l'avait attaquée !

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Sanji était également absent au repas du soir, au grand dam de Luffy qui protesta bruyamment. Zoro était absent lui aussi, et Usopp et Vivi avaient tous les deux l'air assez abattus. Franky, quant à lui, parut choqué de savoir que Robin était à l'hôpital, puis rougit en entendant son message.

- Ah… Oui, c'est vrai que j'avais demandé quelques conseils à Sanji pour arriver à la séduire… avoua-t-il en se grattant l'arrière du crâne, l'air gêné.

- Mais c'est génial ! fit Vivi avec un pâle sourire. Elle serait venue si elle n'avait pas été agressée, tu peux en être sûr ! Ça veut dire qu'elle partage sans doute tes sentiments !

- Ah, j'espère… répondit le concierge avec un petit rire. Ce serait vraiment SUUUPER !

- C'est juste dommage que tu n'en aies parlé qu'à Sanji, alors qu'il n'est là que depuis une semaine, persifla Nami. Tu ne nous fais pas confiance, ou quoi ? On aurait tous été prêts à t'aider !

- Ouhlà, tout doux, Sis ! Je ne voulais pas en faire une affaire publique, et Sanji m'avait l'air le plus expérimenté pour ce genre de choses, se défendit Franky. Ça ne veut pas dire que je ne vous fais pas confiance !

- Le plus expérimenté ? Pour mettre une fille enceinte et l'abandonner, sans doute, mais les relations longues n'ont pas l'air de faire partie de ses spécialités ! ironisa Nami avec mordant.

- Nami. Tout le monde a le droit de commettre des erreurs. Sanji a à peine 21 ans, peut-être qu'il ne se sent pas encore prêt à être père, et qu'il a pris peur quand cette fille lui a annoncé qu'elle était enceinte ? Ce qu'il nous a dit après que tu sois partie hier soir, en tous cas, c'est que ce n'était pas par mauvaise volonté qu'il n'avait pas payé la pension alimentaire promise, mais parce qu'il n'en avait pas les moyens depuis qu'il avait été viré du Baratie, soupira le concierge.

- Ah ! Pas les moyens pour ça, mais par contre, pour inviter des filles au restaurant… marmonna la rousse, très sceptique.

- C'est exactement ce qu'Usopp lui a dit hier. Mais il nous a promis qu'il tenterait par tous les moyens de se racheter, et qu'il se calmerait au niveau des filles qu'il ramène à la résidence.

- Ah ! Et vous l'avez cru ?

Nami parcourut l'assistance du regard, s'attardant sur Usopp et Vivi qu'elle sentait hésitants. Ce fut l'étudiante en tourisme qui finit par lui répondre, en haussant les épaules.

- Zoro et Luffy lui font confiance, et je suis prête à lui laisser une deuxième chance.

- QUOI ?! J'y crois pas ! Comment…

- Hey, Nami, je peux te poser une question ? intervint enfin Luffy, en reposant sa fourchette. Pourquoi tu en veux autant à Sanji ? Est-ce que c'est parce que tu essayes de te convaincre toi-même que tu le détestes ?

La rousse resta bouche bée face à cette question, avant de chercher du soutien auprès de Vivi, qui détourna les yeux. Se voyant ainsi désavouée, elle se leva lentement, envahie d'une colère froide.

- Très bien. Faites ce que vous voulez. Mais je vous préviens : il est hors de question que j'adresse encore la parole à ce salaud ! Et vous pouvez bien penser ce qui vous chante !

Et sur ces paroles bien senties, elle quitta la cuisine, en prenant soin de claquer la porte derrière elle.