La lune est levée et sa lueur apaisante éclaire faiblement les rues désertes. Je devrais me réjouir, mais pas ce soir. Plus jamais. Je sais que ce n'est pas la première fois que je le dis en étant convaincu que je ne briserais pas ma promesse, mais cette fois-ci est réellement la dernière. Avant, je n'étais pas prêt, bien que je ne sois pas sûr qu'il soit possible de l'être. Cependant, il faut que tout cela s'arrête. Je ne peux plus supporter de passer de la joie intense à la solitude et la culpabilité la plus profonde. Il faut que je te le dise, que je te le fasse comprendre pour qu'enfin, je puisse me libérer de ton emprise. Le pire, c'est que tu ne fais rien pour que je m'attache à toi. Je suis juste incapable de te laisser partir.

Mais je devrais cependant le faire ce soir. Je le veux et je me déteste pour cela en même temps. Je suis quelqu'un de compliqué, tu me l'as souvent répété, mais je crois que je comprends seulement maintenant le sens de tes mots. Moi qui riais quand tu me parlais comme ça, alors que ça n'avait absolument rien de drôle. J'étais juste trop aveugle pour réellement prendre conscience du poids de tes paroles. Lorsque tu disais que j'étais un gamin, que je ne te connaissais pas, que ce ne serait jamais possible entre nous. Je m'en veux maintenant, tu as toujours été clair mais je n'ai jamais su t'écouter. Ou plutôt, je n'ai pas voulu t'écouter. Je refusais de comprendre car au fond, je savais déjà tout ce que tu avais à me dire. Je me berçais de belles illusions en me persuadant que nous étions heureux.

Le problème, c'est que je m'imaginais que tu étais quelqu'un d'autre. Je me plaisais à penser que tu restais avec moi parce que tu m'appréciais pour qui j'étais et non pour ce que je te donnais. Tu semblais toujours plus heureux quand nous étions ensemble, mais en fait, je n'avais aucune idée de qui tu étais vraiment, tu restais un étranger en dehors de nos nuits passées ensemble. Ensuite, tu redevenais cet homme que je n'avais pas le droit de connaître au moment où tu boutonnais ta chemise. Je devais oublier ton nom que je répétais pourtant des heures durant. Je devais éviter de penser à toi à chaque fois que je voyais un couple dans la rue en imaginant que ça aurait pu être nous si tu n'étais pas toi et moi une autre personne.

Je t'en voulais aussi, mais pas autant que j'étais en colère contre moi. Au début, je te reprochais tout car je ne voulais pas admettre que j'avais tort et qu'au fond, tout était de ma faute. Bien sûr, tu n'avais jamais rien fait pour me repousser, mais tu n'avais jamais essayé de me garder non plus. J'étais celui qui courait se réfugier dans tes bras parce que je ne pouvais pas m'éloigner de toi, même si j'essayais de me convaincre que ça ne te dérangeait pas tant. J'étais devenu dépendant de toi, pas seulement de ce que tu me faisais, mais de tout ton être. Nous avions passé de longs moments à s'observer et se parler. J'adorais quand tu étais comme ça, j'avais l'impression de faire réellement partie de ta vie et de ne pas simplement être le garçon que tu voyais certaines nuits pour te tenir compagnie. J'étais stupide de penser ça, je sais, mais je ne pouvais m'en empêcher, c'était tellement bon. Je connaissais ton corps par cœur mais tu restais quand même un mystère pour moi.

Tu importais tellement pour moi alors que je n'étais qu'un petite partie de ta vie. Tu hantais mes rêves lorsque tu ne me tenais pas éveillé, tu rythmais chacun de mes jours, tu me contrôlais totalement. Tu n'avais qu'à le demander et j'accourais vers toi. Je ne pense pas que tu l'aurais fait pour moi et de toute façon, je n'aurais jamais osé. Tu étais toujours celui qui décidais de nos rencontres et peu importe de ce que je pensais, mais en fait, j'étais toujours d'accord et ça, tu le savais.. Je n'aurais jamais pu te refuser quoique ce soit de peur de te perdre, même si je ne te possédais en aucun cas alors que toi, tu avais tout de moi. Mon corps, ma raison et mon cœur. Oui, je n'avais plus aucune volonté lorsqu'il s'agissait de toi. Pourtant je pensais, ou plutôt j'espérais, que je t'influençais et que quand tu rentrais chez toi le soir, tu imaginais que j'étais à la place de ta femme dans ton lit.

Maintenant je sais que c'est faux, que je ne pourrais jamais la remplacer car je n'ai absolument rien à faire dans ta vie. Tu m'avais pourtant prévenu, mais une partie de moi ne voulais l'admettre. Chaque fois que l'on se voyait, j'avais l'espoir que tu me dises que tu resterais avec moi désormais, que nous n'aurions plus à nous cacher pour se voir. Cependant, ce jour n'est jamais arrivé. Tous mes espoirs se sont envolés et j'ai ouvert les yeux. Ce fut pénible, mais je me sens presque mieux maintenant. Enfin, je n'ai plus à espérer, à me sentir coupable. Enfin, je suis libre de ton emprise.

Des souvenirs me viennent à l'esprit quand je pense à toi. Je te revois, simplement éclairé par le clair de lune quand tu t'approchais de moi dans notre chambre d'hôtel. Les regards que tu me jetais alors que j'étais encore allongé dans le lit et que tu te rhabillais avant de me quitter. La façon dont tu m'embrassais, à la fois possessive et langoureuse. La fois où tu m'as dit que j'étais magnifique et que j'avais senti mon cœur exploser dans ma poitrine. Lorsque tu entourais mon visage de tes mains pour me garder près de toi ou lorsque j'enroulais mes jambes autour de tes hanches afin de te toucher le plus possible avant de te laisser partir. Je ne sais combien de fois j'ai voulu te retenir, te dire de rester avec moi encore quelques instants. Je ne l'ai pourtant jamais fait, j'avais l'impression d'être égoïste et de gâcher ton précieux temps. Je me sens ridicule maintenant, car s'il y avait bien un égoïste, c'était toi. Tu savais très bien l'effet que tu me faisais et jamais tu n'as fait le moindre geste envers moi. Je devais toujours quémander un peu de ton affection. Peut-être que tu te forçais de me prendre dans tes bras et de parler avec moi, mais c'était la moindre des choses que tu pouvais faire pour tenter de te faire pardonner de me laisser seul tous les matins.

Je me rappelle maintenant de notre rencontre. Si j'avais pu connaître l'avenir, je n'aurais jamais accepté d'aller dans ce bar, je n'aurais jamais bu le verre que tu m'avais offert et je ne t'aurais pas suivi dans cette chambre d'hôtel. Cependant à ce moment là, je ne réfléchissais pas aux conséquences, tu me plaisais et je me sentais seul. Au final, même si cette nuit avait été la première d'une longue série, je suis toujours seul. Je ne rêvais peut-être pas d'un conte de fée, mais certainement pas d'une relation comme la nôtre. Tout était tellement facile au début. Je n'attendais rien de toi, je ne m'inquiétais pas lorsque l'on ne se voyait pas pendant un jour. Tu m'as détruit. Je me suis laissé détruire. Je ne me comprends plus et toi je ne t'ai jamais compris, même si je me persuadais du contraire lorsque l'on se voyait pour les premières fois.

J'avais l'impression de maîtriser la situation. C'était le cas jusqu'à ce que ces foutus sentiments interviennent et que je me rende compte que mon cœur t'appartenait entièrement. J'essayais de nier et de me dire que tu ne pouvais pas être autre chose qu'un simple amant. Comme je me trompais. Je me rappellerais toujours du jour où je t'ai avoué mes sentiments. Tu ne semblais même pas surpris, tu ne m'as rien répondu. Tes yeux me sondaient, comme si tu essayais tu voir au plus profond de mon âme si je n'étais pas en train de te jouer un tour, comme j'avais l'habitude de le faire pour que tu m'accueilles dans tes bras. Mais là, j'étais des plus sincère et tu le savais très bien. Tu savais que ça arriverais un jour ou l'autre et tu n'avais rien fait pour empêcher ça. Là encore, je ne pouvais pas t'en vouloir, même si j'essayais. J'aurais dû tout arrêter dès que ces sentiments se sont éveillés en moi. Ils me blessaient plus qu'ils me réconfortaient, et le regard que tu me lanças le matin de ma confession me le confirma. C'était un regard défaitiste, comme si tu étais désolé pour moi et que tu me prenais en pitié. J'avais pleuré ce jour là, beaucoup. J'avais définitivement compris que je m'étais voilé la face et que tu ne changerais pas pour moi. Tu m'avais remis à ma place, celle de l'amant à qui on promet la lune mais qui s'endort seul dans son lit froid le soir. Sauf que tu ne m'avais jamais rien promis, c'était juste moi qui m'imaginais que tu ne me voulais pas seulement pour un soir et que tes yeux brillaient un peu plus quand tu me regardais.

Je ne sais même pas si tu pensais vraiment que ça pourrait marcher, du moins au début. Tu n'exprimais jamais le fond de ta pensée et même lorsque l'on passait la nuit entière à se parler, tu restais évasif à propos de toi-même. Je ne comprends toujours pas si je n'étais qu'une distraction pour toi ou si tu avais pensé, ne serait ce qu'une nuit, qu'on puisse être plus que ça. Je n'avais jamais réfléchi à ça auparavant, peut-être par peur de devoir reconnaître la vérité. Au fond, qu'avions nous en commun ? Quelques nuits passées ensemble dans une chambre d'hôtel ? Une simple attraction pour le corps de l'autre ? Je ne sais pas exactement ce que nous partagions, mais je sais ce que nous ne serons jamais. Un couple, ou simplement deux personnes qui s'apprécient même avec des vêtements sur eux. Je pensais pouvoir le supporter mais maintenant, je n'en peux plus. J'ai joué au garçon détaché et insensible trop longtemps. J'aimerais que tu fasses attention à moi, que tu me laisses faire partie de ton monde. Je t'aurais tout donné, tu aurais toujours pu faire tout ce que tu voulais de moi, mais j'aurais eu le droit de t'avoir pour moi seul. Mais même là, je sens que ce n'est pas possible. Tu ne te laissais posséder par personne, tu étais celui qui disposait de moi et je n'aurais jamais eu la force de lutter contre toi. Je ne pouvais rien contre toi et il a fallu que tu me brises pour que je réalise cela.

Mais maintenant, tout est fini. Je ne veux plus de cela et aussi difficile que ça soit à admettre, je ne veux plus de toi. En tout cas, plus de cette façon. Cependant je sais que tu ne changeras pas pour moi. J'ai essayé pourtant, mais tu es resté le même. Je n'insisterai donc pas et disparaîtrai complètement de ta vie. Tout redeviendra comme avant, je serais triste et seul pendant que toi, tu continueras ta petite vie comme s'il ne c'était rien passé. Je sais que tu comprendras et que tu n'essayeras pas de me récupérer, même si une petite partie de moi l'espère toujours. Je ne sais pas si ces prochaines semaines seront plus dures que celle que j'ai passées à tes côtés, à attendre que tu veuilles bien de moi. Je vais certainement me haïr pour t'avoir laissé partir mais au fond, je sais que j'ai pris la bonne décision.

Ce soir, je suis fier. Parce que ce soir, tu m'avais donné rendez-vous et parce que ce soir, comme pour les prochains, je ne viendrai pas.