Quand il se leva ce matin-là, la peine, encore, le cueillit. Le soulagement était présent mais demeurait ténu, comme un second souffle qui l'empêchait de suffoquer, comme une main invisible qui lui agrippait l'épaule, lui permettait de sortir du lit et d'avancer. Les jours, il les comptait. Pas comme la fin d'un cauchemar mais comme le début d'un nouveau. Le deuil était multiple. Fred, Remus, Tonks, Colin et toutes les autres carcasses qu'il avait vues alignées dans ces allées improbables. Les morts récentes s'étaient mêlées à toutes les autres. Dobby, Sirius, Cedric, ses parents. Chaque visage marquait ses rêves et hantait ses jours. Comme tous les jours depuis une semaine, il avisa la silhouette de son meilleur ami, allongé à proximité. Comme tous les jours depuis une semaine, il laissa la culpabilité lui tirailler les entrailles avant de se redresser silencieusement pour gagner le palier. Ses pas le guidèrent prudemment vers la salle à manger où les Weasley s'affairaient. Mrs Weasley n'avait de cesse de s'agiter depuis qu'ils étaient rentrés et le Terrier n'avait jamais paru plus impeccable qu'aujourd'hui. En s'occupant les mains, elle s'assurait de distraire l'esprit. Harry aurait aimé servir à quelque chose, il aurait aimé pouvoir les préserver de ce chagrin mais après sept jours d'impuissance, il avait dû se rendre à l'évidence. Il ne pouvait rien changer à la perte. Son léger sourire servit de bonjour aux quelques têtes rousses qui se tournèrent vers lui. C'est le regard de Ginny qu'il chercha sans le trouver toutefois. La rouquine traînait sa tristesse sans jamais réellement l'exprimer et semblait s'emmurer dans un silence mortuaire qu'il ne pouvait briser. Il n'avait pas réussi à l'approcher, à lui parler, ni même à la réconforter. Entourée de ses frères à chaque instant, elle semblait plus inatteignable que jamais et il lui avait paru évident de ne pas chercher à la brusquer. Elle avait besoin de temps. Ils avaient tous besoin de temps. M. Weasley et George furent les seuls Weasley absents. Ce dernier avait tenu à retourner au chemin de Traverse, seul. Réaction qui avait déplu à sa mère et qui avait suscité de nombreuses disputes que seul Arthur Weasley avait pu tarir.

Hermione manquait terriblement à Harry, il avait l'impression d'être l'intrus dans le portrait de famille. Hermione, elle, savait toujours quoi dire, quoi faire et avait été d'une grande aide depuis le début. Lui se contentait de distraire Ron comme il pouvait mais sans grand résultat. La morosité avait fait de beaux dégâts depuis que le combat avait été remporté. L'euphorie des premières heures avait tôt fait de laisser la place à tout ce qu'ils avaient tous refoulé pendant des mois. Harry se sentait constamment éreinté, comme si la fatigue accumulée durant des mois, avait fini par retomber d'un seul coup sur ses épaules. Cela devait se noter sur son visage parce qu'aujourd'hui encore, Mrs Weasley se sentit obligée de lui poser la question.

« Tu as bien dormi, Harry chéri ? »

Elle-même ne semblait pas trouver le sommeil. Ce qui forçait Harry à hocher de la tête frénétiquement avec plus de conviction encore que la veille. Elle soupira avant de reprendre la parole.

« Nous partons dans un peu moins de deux heures, Ginny, tu peux aller réveiller Ron s'il te plait ? J'aimerais qu'il mange avant qu'on s'en aille. »

Charlie échangea un regard inquiet avec Percy. Ils craignaient tous cette commémoration, l'inhumation des corps. Harry l'appréhendait tout autant. C'était l'une de ces rares fois où il n'éprouvait pas la moindre envie de retourner à Poudlard. Il ne voulait pas la constater en ruines. Il ne voulait pas revoir l'endroit qui avait subi ses erreurs. Il ne cessait de ressasser chaque défaut du plan. Chaque faux pas qui les avait amenés à cette horrible bataille.

« Tu devrais manger toi aussi, mon chéri. »

Molly déposa quelques toasts sous son nez qu'il se força à avaler. M. Weasley apparut soudainement dans un nuage de fumées et sortit de la cheminée.

« Kingsley est déjà en route. Apparemment, les familles commencent déjà à se rassembler. »

Mrs Weasley sembla au bord de la crise de nerfs, elle lâcha sa poêle si brusquement que Bill sursauta.

« Mais ils ne commenceront pas sans… Nous. » Ajouta Arthur d'un ton précipité.

Son regard s'était clairement orienté vers Harry qui ressentit cet habituel nœud au ventre. Il apparaissait toujours dès qu'il s'agissait d'être à nouveau le centre de l'attention. Il avait réussi à se cacher du reste du monde depuis six jours, ne sortant que pour se dégourdir les jambes dans le jardin, refusant le moindre entretien avec le ministère de la magie ou toute la panoplie de journalistes qui avait cherché à le joindre. L'idée de devoir affronter ces foules le terrorisait. Ron pénétra dans la pièce, l'air hagard. Ginny reprit sa place et accorda enfin à Harry un regard. Sa souffrance lui semblait tellement évidente, quasiment organique, qu'il lui fût physiquement douloureux de ne pas bondir, faire le tour de la table pour la prendre dans ses bras. Il n'y avait rien de pire que ça. Ce sentiment d'injustice allié à cette impuissance qui ne faiblissait pas.