Can I draw you ?

Tout dans l'art l'intéressait : la peinture, le dessin, les arts martiaux, la musique, mais son domaine de prédilection, c'était la cuisine. Mélanger les épices, concocter une sauce, retourner un poisson en train de griller dans une poêle, humer, faire frire, gouter, ajouter, retourner, tout dans la cuisine lui donnait des frissons jusque dans l'échine. Délicieuse sensation que de tester des ingrédients, d'en faire une formule magique, et, tel un magicien, donner la potion résultante a un sujet, avant de découvrir avec plaisir le cobaye réagir positivement au test. Un alchimiste, voila ce que Sanji était. Ou du moins, il aimait le croire.

Après avoir obtenue son bac (qui ne lui servirait absolument a rien dans le domaine de la cuisine, mais bon, on ne discute pas avec maman), il avait postulé dans différents établissements traiteurs, mais ils lui avaient toutes claqués la porte au nez avec le même mot d'excuse « ça va pas être possible, vous auriez dut faire un BTS cuisine avant ou une école hotelière blablabla…. Revenez quand vous aurez votre diplôme en poche ». Un diplôme, un putain de diplôme… Kuroashi Sanji pouvait se vanter d'être plus doué que tous les élèves postulants réunis, et ils le faisaient chier pour un putain de diplôme !

Sanji aurait très bien pu prendre cette année pour faire une remise a niveau en école d'hotelerie…. Mais ça coûtait la peau du cul, c'était presque plus cher qu'une école d'art, les finances de ses parents étaient dans le rouge, et même avec une bourse, ils auraient du mal à joindre les bouts. Et à quoi il lui servait son bac maintenant ?

Oui parce que monter son propre restaurant sans « formation de traiteur » sur ton CV tu pouvais être sûr que l'on verrait ton établissement comme un vendeur bad-gamme, et aucun traiteur ne voudrait lui fournir ses aliments, hors, Sanji aimai la haute gastronomie, la finesse dans ses plats, il aimait que tout soit millimétré, a l'effluve près… rien que l'idée d'être réduit a vendre des kebabs gras a des ados boutonneux lui donnait la nausée.

Par défaut, Sanji avait donc dut se résigner a poursuivre ses études dans une fac de lettre en licence info-com (information et communication), ça lui permettrait au moins de savoir comment s'y prendre pour générer une bonne communication avec les futurs clients de son futur restaurant de sa future vie rêvée….

Cependant il avait réussit a trouver un établissement, modeste certes, mais un établissement quand même, qui acceptait de l'embaucher a temps partiel. Le chef, Zeff, un vieux croulant colérique qui passait son temps a gueuler sur les employés, aurait pu être un des plus grands chefs de France si un concurrent, moins talentueux mais plus riche, n'avait pas tout simplement usé de son fric pour stopper court la carrière montante du chef a grands renforts de pots de vins versés aux critiques et jurés. Il s'était donc résigné a s'en tenir a un restaurant minable posé sur une péniche, jurant a qui voulait bien l'entendre que de toute façon « les gosses de riches ne méritent pas de manger ma cuisine », mais on sentait tout de même une pointe de regret dans ses propos.

C'est sans doute ce qui l'avait poussé a s'occuper de Sanji, il avait vu le potentiel du gamin, et il n'avait pas supporté l'idée qu'il subisse ce qu'il avait lui-même subit : la honte et l'échec, l'injustice de la classe sociale.

Ça avait été très tendu au départ, Sanji acceptant difficilement l'idée d'être réduit a cuisiner dans ce taudis qu'était le Baratit, Zeff s'était chargé de lui rappeler ce qu'il lui devait a grands coups de pieds dans l'arrière train, alors que lui-même ne cessait de le rabaisser, de lui affirmer que sa bouffe était infecte, et que même un chien n'en voudrait pas. Les joutes verbales entre ces deux la étaient violentes, et quotidiennes, mais les cuisiniers et les clients s'y étaient habitués, car ils sentaient, eux, le lien affectif, presque paternel qui unissait désormais Zeff et Sanji.

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Pestant pour la centième fois contre le site d'inscription aux cours de la fac, sanji se rendit a la bibliothèque universitaire pour y poireauter une bonne heure avant son prochain cours. En toute logique, il n'aurait pas du se lever ce matin, son seul et unique cours étant celui qui devait avoir lieu dans une heure. Sauf qu'avec l'administration, rien n'est jamais simple.

Hier, on était mercredi. Sanji s'était rendu, a son cours de théorie de l'information et de la communication qui devait normalement avoir lieu. Ce n'était que la première semaine de cours de l'année, et pourtant c'était déjà la galère : le serveur qui enregistrait les inscriptions aux cours avait tout simplement planté, laissant une bonne centaine d'élèves sans emploi du temps sur le palier du bâtiment de la scolarité, en train de gueuler contre l'organisation catastrophique de l'éducation nationale, ainsi que des secrétaires, débordées, et passablement sur les nerfs. Bonne rentrée a tous et a toutes ! Sanji avait heureusement eu le temps de s'inscrire avant le plantage total du système, mais ce n'était pas le cas de tout le monde, et Ussop, son meilleur ami, avait faillit faire une crise cardiaque quand l'écran de son mac avait affiché « groupe complet – enregistrement impossible ». Une réunion des professeurs avait donc été organisée en urgence, annulant du coup le dernier cours de la matinée.

Pensez bien que pour ceux qui avaient cours a ce moment là, ça avait été la joie ! Première semaine et un cours annulé ! L'organisation merdique avait ses avantages finalement !... Sauf qu'à l'université, soyez sûr que les avantages à un malheur, personne ne connait : le cours devait donc être reporté a Samedi. Est-ce nécessaire de préciser qu'un cri d'horreur avait secoué sa classe a ce moment là ?

Sanji s'était mis a angoisser : impossible pour lui d'assister au cours de rattrapage, il travaillait samedi, mais en même temps il ne pouvait pas non plus ne pas venir, car le cours en question était un TP, un cours obligatoire donc, et comme Zeff était partit une semaine en voyage d'affaire, il ne pouvait pas fournir de justificatif, hors, sans justificatif, il pouvait être exclu de la session d'examens de ce cours la, et être obligé de tout rattraper au deuxième semestre… tout ça pour une absence.

Organisation de merde je vous disais…

-Ne serait-ce pas possible de rattraper le cours lors d'un de nos temps libre ? avait alors demandé la jeune fille aux longs cheveux bleus assise a côté de lui, une certaine Nefertari Vivi.

- vous pouvez éventuellement rattraper le cours complet dans mon groupe de demain qui a lieu de huit heures a dix heures avait alors annoncé le professeur Hina, visiblement aussi ennuyée que ses élèves d'être obligée de se lever un samedi matin, mais vous devrez subir la première heure que vous avez déjà eu avec moi, car a neuf heure passée je n'accepterais plus personne en classe et vous devrez venir Samedi.

Sanji s'était donc remémoré son emploi du temps du lendemain, il n'avait qu'un seul cours de onze a douze… Le jeudi était le seul jour de la semaine où il pouvait faire la grass'mat, mais il préférait sacrifier son sommeil plutôt que d'avoir a se faire recaler aux exams, et perdre une journée de salaire.

Ainsi, il se rendit au cours le jeudi matin, et s'ennuya ferme pendant deux heures, car au final, Hina ne leur appris rien de plus que ce qu'elle avait déjà dit la veille.

Retrouvons donc notre blondin devant bibliothèque, passablement énervé. Il avait été ravi d'apprendre que la bibliothèque de l'université ne comportait aucun roman…super…qu'attendre d'autre d'une bibliothèque que d'avoir des romans ! Certes, c'était une bibliothèque universitaire, donc on retrouvait des centaines de dictionnaires de langue, de philosophies et autre dans des centaines d'éditions différentes, mais il n'y avait vraiment aucune licence qui faisait étudier des œuvres littéraires ? Sans parler d'Erik L'homme ou Pierre Bottero, ils auraient pu mettre AU MOINS du Maupassant, du Zola ou même du Flaubert !

Il avait donc emporté avec lui un livre acheté le matin même a la bouquinerie d'occasion d'en face, il ne connaissait pas l'auteur, le résumé ne lui donnait pas spécialement envie, mais c'est tout ce qu'il avait trouvé pour tuer l'heure à venir, plus, si l'inspiration lui venait, un carnet a dessin encore vierge.

En entrant dans la grande salle, Sanji fut surpris de voir autant de monde. On lui avait toujours dit que personne ne foutait jamais rien a la fac, voici la preuve que si : presque toutes les tables étaient occupées, et pourtant la salle était immense ! Il n'eu cependant aucun mal à trouver, car il avait immédiatement attiré son regard, et autour de lui, les places étaient libres.

Déglutissant, Sanji s'avança lentement vers la table qu'occupait une unique personne : un grand gars, vêtu d'une chemise noire qui laissait entrevoir des muscles puissants, et d'où sortaient des écouteurs qui s'enfonçaient dans des oreilles ornées de trois pendants d'or. Mais ce qui retint l'attention de sanji, ce n'était ni sa musculature, ni sa peau halée, mais sa capillarité verdoyante. Ouai, ce mec avait les cheveux verts. L'étudiant (car ce devait en être un) releva la tête et le fixa, comme s'il avait sentit qu'on l'épiait.

Il lança un regard au blond, le défiant de s'assoir a cette table, et Sanji compris pourquoi il était seul : le regard ambré de son homologue le transperçait, le faisait frémir d'effroi, et laissait deviner milles et unes menaces de mort si jamais le blondin osait s'asseoir a cette table. L'éphèbe blond soutint son regard… et s'assis en diagonale au vert, sous le regard furieux de celui-ci. Sanji lui lança un regard exaspéré pour lui faire comprendre qu'il se serait bien passé de s'asseoir a la même table qu'une algue, mais que dans l'immédiat, c'était ça ou rien, puis, ignorant quelconque réaction de son camarade, il entreprit la lecture de son livre.

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Décidément ça n'allait pas aujourd'hui, voila bien dix bonnes minutes qu'il avait ouvert son bouquin, pourtant il n'avait toujours pas terminé la première page, l'avait lu sans la lire, sans la comprendre, l'avait donc recommencé, ne l'avait toujours pas lu… autant se faire une raison, il n'était pas concentré, la raison de ce trouble ? Un mec issu d'un accouplement de salades qui avait choisit de l'ignorer royalement et de reporter son attention sur son livre de japonais et son téléphone portable. Oh, ce n'est pas le fait que l'algue l'ignorait qui énervait Sanji, tant mieux d'ailleurs. Cependant il n'arrivait pas a détacher les yeux de son visage tellement singulier : c'était la première fois qu'il croisait des traits si particuliers.

Virils et doux, anguleux et harmonieux, forts et fins… un paradoxe complet a lui tout seul. Sanji détailla discrètement ses yeux bridés, les plissements de son front lorsqu'il fronçait les sourcils, signe de sa concentration (ou peut être avait-il sentit que Sanji l'épiait ?).

Pris d'une inspiration soudaine, Sanji sortit son carnet de dessin ainsi qu'un critérium, et il entreprit de retranscrire ses traits sur le papier immaculé.

Il posa la mine sur la feuille et décrivit une courbe. La mine suivit, et une courbe s'inscrivit. Sanji sourit, quelle agréable sensation que celle de la mine qui gratte la surface lisse d'une page blanche, presque aussi addictif que de découper un aliment, finalement c'était un peu la même chose…

Il continua sur sa lancée, exécutant une droite, puis de nouveau une courbe, ici, un simple petit trait, là, des hachures, et la mine suivait, suivant les désirs de sa main maitresse, inscrivant tout ce que la main voulait inscrire, elle était sa maîtresse, elle était sa servante, et elle la servirait avec plaisir, jusqu'à ce que la main se fut lassée, jusqu'au prochain dessin.

Le portrait achevé, Sanji le contempla, puis observa de nouveau son voisin, toujours concentré sur son portable. Sanji était plutôt content de lui, contentement qui ne dura guère lorsqu'il se rendit compte que son prochain cours débutait dans moins de cinq minutes.

Il rangea ses affaires a la hâte, et s'enfuie de la bibliothèque presque en courant, sous le regard meurtrier de la documentaliste, et celui, amusé, de l'homme aux cheveux verts.

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Rentré chez lui après avoir fini son service de midi, Sanji sortit le portrait de son sac et le détailla de nouveau… l'algue ressemblait elle vraiment a ça ? Ne lui avait il pas fait une tête trop grosse ? Ou un peu trop durcit les traits ?

Quelle étrange sensation tout de même, ce besoin qu'il avait eu d'imprégner son visage en mémoire. Il sourit, l'alchimiste qu'il était venait de faire la découverte d'un nouvel élément, il avait hâte de l'étudier. Il secoua la tête, allons donc, il n'était même pas certain qu'il s'agisse d'un élève de cette fac, si ça se trouve il venait de la fac de médecine située a l'autre bout de la ville. Après tout, tout le monde pouvait venir effectuer des recherches dans cette bibliothèque.

Il soupira et remis le dessin dans son sac avant de s'étaler sur son lit pour piquer un somme avant son service de ce soir.