Rising as an Angel
Avant l'arrivée de la femme dans la fosse, avant l'apparition de l'enfant dans sa vie, Bane n'avait eu des anges qu'une idée vaguement abstraite.
C'était un vieux prêtre chrétien condamné voilà déjà plusieurs décennies qui lui avait donné son premier aperçu des anges, dans les pages de la Bible qu'il utilisait pour apprendre à un gamin décharné à lire. En vérité, Bane venait surtout aux leçons pour regarder les illustrations, pas pour déchiffrer les lettres écrites sur le papier jauni et friable.
Le prêtre avait fini assassiné d'un coup de surin dans le dos, et la Bible avait disparu : rien que de très banal dans la prison. Mais Bane avait gardé en tête les images vivement colorées de silhouettes gracieuses à l'expression douce.
Lorsque la femme avait été descendue dans la fosse, il avait été ébloui : avec ses voiles et ses robes, ses grands yeux qu'elle gardait toujours baissés et sa façon de marcher à petits pas, elle n'aurait pas pu être plus différente des brutes et criminels qui arrivaient habituellement.
Elle aurait pu être un des anges représentés dans la Bible du prêtre. Un ange tombé en Enfer.
Il l'avait observée. Il l'avait regardée lors des rares occasions où elle quittait sa cellule pour chercher de quoi manger, pour se laver, pour jeter ses déchets. Il l'avait vue raser les murs, marcher en silence, éviter de parler pour ne surtout pas attirer l'attention – une femme parmi tous ces hommes, parmi la lie de l'humanité, forcément…
Il l'avait vue grossir, se fatiguer, restreindre encore plus ses sorties hors du périmètre à peu près sûr de sa cellule.
Il l'avait vue mettre au monde un enfant. Il l'avait vue bercer l'enfant, lui donner des baisers sur le front, l'abriter derrière ses jupes pour en détourner les regards.
Bane avait regardé. Il avait regardé l'enfant faire ses premiers pas dans les escaliers, se pelotonner contre sa mère avec une confiance absolue, il l'avait même entendu rire à de trop rares et trop courtes occasions.
Après avoir été le témoin de tout cela, il était impossible que Bane n'intervienne pas lorsque l'émeute avait éclatée. Il était arrivé trop tard pour sauver la femme, malheureusement.
Mais il était arrivé à temps pour sauver l'enfant – pour sauver Talia.
Il était devenu son protecteur – il n'avait pas le choix. Elle était si petite, si faible. Elle s'émerveillait quand elle voyait passer un oiseau dans le coin de ciel visible depuis la prison, elle souriait quand elle le voyait revenir, elle lui demandait encore et encore de lui raconter des histoires sur les fleurs, le vent et les rivières – elle était tellement innocente.
Elle était son ange perdu dans les ténèbres. Et les anges n'étaient pas faits pour vivre dans les ombres. Ils étaient faits pour la lumière et le ciel, ils étaient faits pour le monde du dehors. Pour être libres.
Talia méritait le monde extérieur. Elle méritait une vie longue et sans obscurité hors de la prison. C'était aussi évident que la couleur bleue du ciel et la barbarie des prisonniers.
Alors Bane l'avait aidée à fuir. Il l'avait aidée à entamer l'ascension avant de rester pour empêcher les prisonniers de la pourchasser, de la torturer comme l'avait été la femme, de lui briser les ailes.
Il l'avait vue s'envoler. Comme un ange.
Il n'avait jamais douté qu'elle réussirait son ascension.
