Chapitre 13

Allongé nu sur le lit, ses mains crispées aux barreaux, Hotch attendait en écoutant le silence de la chambre.

Un silence parfait.

Aaron se dit que Foyet devait sans doute être en train de se déshabiller, de s'armer de son couteau de commando, de s'exciter, sublimant certainement dans son esprit tordu de malade mental le viol qu'il allait perpétrer.

Omnivore

Foyet était un tueur omnivore, et désormais aussi un prédateur sexuel omnivore… Que pouvait-il vouloir d'autre à part le baiser afin de l'amener au bout de l'humiliation ?

Alors, Hotch attendait le moment de sa soumission ultime, imaginant comment Foyet allait sans doute le sodomiser, peut-être même le poignarder encore alors qu'il jouirait de lui… en lui…

Seigneur Dieu !, pensa Aaron. Qui le découvrirait s'il mourrait dans cette position obscène, couvert de sang et de sperme, écartelé et violé ? Qui enquêterait ? Est-ce que Haley verrait un jour les photos de la police scientifique ? Que ressentirait-elle face au cadavre pitoyable de son ex-mari ?

Malgré tout, parfaitement stoïque et soumis, Hotch ne bougeait pas. Il concentrait son esprit sur le visage d'Haley… son beau visage innocent, encadré de ses doux cheveux blonds… un ange… Elle avait l'air d'un ange. Oui. Penser à son ange, seulement à son ange, au milieu de l'enfer qu'il vivait. Se dématérialiser, s'extraire de son corps, s'abandonner.

Hotch attendait sagement. Le temps lui semblait étiré à l'infini. Chaque seconde, chaque minute lui paraissait durer une éternité. Pourquoi est-ce que Foyet était si long ? Sans doute pour accroitre sa domination, lui infliger encore plus de peur, encore plus d'angoisse…

La première étape de la torture, c'est l'attente, laisser la victime imaginer le pire… Il connaissait bien la pratique des bourreaux. Les Tueurs en série ne s'en éloignent guère. Foyet devait le laisser se ronger d'angoisse exprès, pour l'anéantir moralement davantage.

Mais Hotch commençait à avoir des crampes dans les bras, et les articulations de ses mains étaient désormais douloureuses.

Qu'est-ce que Foyet fabriquait à la fin ? Où était-il passé ?

Aaron osa leva le visage de l'oreiller et regarda sa montre, attachée à son poignet. Cela devait faire au moins un bon quart d'heure, peut-être vingt minutes que Foyet avait disparu. Aaron desserra son étreinte, lâcha les barreaux du lit et, osant se relever un peu sur ses coudes, il tourna la tête vers la pièce derrière lui.

Rien. Personne.

Foyet était-il dans la salle de bain depuis tout ce temps ? Peut-être se masturbait-il ? En tout cas, aucun son ne venait du cabinet de toilettes.

Hotch se laissa rouler sur le lit, refermant enfin ses cuisses si longtemps et si indécemment exposées. Cette position obscène et dégradante l'avait pour toujours humiliée. La honte était désormais gravée jusque dans sa chair.

Et puis, allongé à plat dos sur le lit, son regard noir balayant la pièce, il se mit à réfléchir. Etait-ce bien la porte de la salle de bain qu'il avait entendu quelques dizaines de minutes plus tôt ? Ou bien était-ce la porte d'entrée ? Foyet était-il sorti chercher quelque chose ? Ou bien quelqu'un ?

Hotch sentit une nouvelle remontée de bile, et il hoqueta. Son haleine était rendue fétide par la peur. Et puis il avait froid.

Tant pis pour les ordres. Il ouvrit le lit et se faufila sous les draps. Il pouvait tout aussi bien attendre son tortionnaire au chaud sous les couvertures.

Il resta là longtemps, à attendre, fixant le cadran de sa montre, fasciné et terrifié à la fois par les minutes qui s'égrenaient.

Une heure passa, puis deux.

Couché nu dans ce lit, dans ce sordide hôtel de passe, Aaron avait l'impression d'être hors du temps, décalé, dans un enfer intemporel et absurde.

Il se trouvait presque ridicule.

L'attente était atroce, mais en même temps, Hotch se rendait compte que son angoisse s'engourdissait.

Combien de temps George Foyet allait-il le laisser ainsi à mariner dans cette pièce, comme un amant délaissé ? Hotch avait l'impression, quelque part, de se vendre.

Il lui semblait être devenu une prostituée… la prostituée qui attend son client, qui attend de se faire défoncer… voilà la sensation dérangeante qui s'immisçait dans le crâne de Hotch. Cela participait sans doute aussi du plan sadique monté par le Reaper.

Grâce à ses analyses de profiler, Hotch se doutait que Foyet voulait qu'il ressente précisément ça. Même le lieu, cet hôtel de passe minable, participait de la mise en scène théâtrale et avilissante.

Et puis, tout d'un coup, le téléphone à cadran sonna.

En entendant ce bruit strident, Aaron crut avoir une attaque cardiaque.

Il décrocha le vieux combiné d'une main tremblante et murmura instinctivement : « Hotchner… »

Au bout du fil, la voix rauque et perverse de Foyet se fit entendre : « Allumez la télé, Aaron… La chaîne d'info locale… »

Hotch attrapa la télécommande et sélectionna la chaîne exigée. A l'écran, apparurent d'abord la présentatrice qui racontait l'issue heureuse du kidnapping perpétré sur le campus, puis les deux jeunes étudiantes, qui semblaient en bonne santé.

En voyant ces images, Hotch se décontracta. Il avait fait ce que Foyet exigeait, et en échange, Foyet avait libéré ses otages. Il avait tenu parole.

Ca y était, c'était fini. Tout était terminé. Il avait enduré l'humiliation et finalement, il s'en était bien tiré. Il était toujours 'vierge', analement vierge, en bref, physiquement intact. Hotch avait l'impression d'avoir miraculeusement évité le pire.

A présent, et en regardant les images heureuses diffusées par la télé, son corps se détendait. Il se sentait mollir, comme si la tension s'évadait de lui, par tous les pores de sa peau. Il ressentait des sortes de fourmis dans les membres et une perte d'équilibre. Même en demeurant allongé sur le lit, il se sentait pris d'un léger vertige.

« Vous voyez, Aaron » murmura le Reaper. « J'ai tenu ma promesse… J'ai libéré mes deux garanties. Elles sont indemnes et intactes. Je ne les ai pas touchées… Et je ne toucherais plus jamais personne, d'aucune façon… » Il s'interrompit un instant avant d'ajouter avec malice et cruauté : « …pas tant que je vous aurais, Aaron… »

En entendant ces termes ambigus, Hotch se raidit : « Qu'est-ce que vous voulez dire ? » Son pauvre cœur déjà bien secoué par les épreuves précédentes était en train de s'emballer à nouveau. La tachycardie le reprenait. Les pulsations anarchiques tambourinaient jusque dans son crâne et lui infligeaient des bourdonnements dans les oreilles. Ses mains devinrent moites et il sentit des crampes à l'estomac le saisir violemment.

La voix du Reaper se fît suave, chaude, presque langoureuse : « Oh… Aaron… Vous ne croyiez quand même pas que j'en ai fini avec vous ? Vous ne pensiez pas que j'allais me contenter de vous effleurer du bout des doigts, quand même ? Non que ce ne soit pas agréable, bien au contraire, car votre peau est vraiment très douce, mais… » Foyet fit une pause, attisant la curiosité terrifiée de sa proie, la broyant de toute sa perversité : « …mais ce n'était que les préliminaires… Car je sais que vous aimez les préliminaires, Aaron. Vous me l'avez suffisamment montré. Vous m'avez fait patienter pendant si longtemps avant d'accepter de vous abandonner à moi… Alors, c'est à mon tour de me faire désirer, Aaron », conclut-il avec sadisme. Foyet était incontestablement un maître en manipulation.

Assis dans le lit, nu et sans défense, Hotch était en train de se décomposer. C'était comme si un immense gouffre sans fin s'ouvrait sous ses pieds. L'araignée était sur lui, en train de le dévorer, et l'insecte noir et immonde entendait bien faire durer le repas le plus longtemps possible.

Foyet poursuivit son monologue sur un ton à la fois excité et satisfait : « Vous êtes à moi, Aaron, vous comprenez ? Définitivement à moi… Vous faîtes ce que je veux, quand je le veux… Le prix du deal n'est plus négociable. Désormais, le paiement s'étale en échéances, et je réclame les versements quand j'en ai envie… Ne comprenez-vous pas que vous n'existez plus que pour mon bon plaisir ? Si vous êtes encore en vie, Aaron, c'est pour me satisfaire… juste pour me satisfaire… ».

« Mais qu'est-ce que vous voulez, à la fin, Foyet ? » hurla Hotch, en pleine crise de désespoir. Il ne se contrôlait plus du tout. Il sentait une boule atroce au fond de sa gorge qui déformait sa voix, la faisant craquer : « Pourquoi vous ne m'avez pas fait ce que vous vouliez, tout à l'heure ? Pourquoi vous ne m'avez pas baisé ? »

« L'attente, Aaron… Rien n'est meilleur que l'attente… » rétorqua le Reaper d'une voix calme et parfaitement maitrisée. « Vous connaissez le proverbe : tout vient à point à qui sait attendre. Je sais que vous êtes impatient de vous donner à moi… j'en suis flatté… » ricana-t-il. Il adorait infliger ses tortures morales à Hotch, sur le ton détaché de la plaisanterie. Il savait que chaque mot bien choisi le détruisait aussi sûrement que l'aurait fait sa lame enfoncée dans sa chair délicate.

L'enfoiré !, pensa Aaron. L'espèce d'enfoiré ! Il le manipulait comme un vulgaire objet. Il avait l'impression de n'être plus que ça, oui : un objet. Foyet lui avait tout ôté : sa dignité, sa virilité, et jusqu'à son humanité. Il n'était plus qu'un objet… un objet sexuel…

La voix de Hotch se brisa. Il était complètement anéanti, défait : « Vous voulez que je sois à votre perpétuelle disposition, c'est ça ? Que je passe toute ma vie à attendre que vous veniez réclamer le prix du deal…? »

« Oui, on peut voir les choses comme ça. Je veux que vous restiez au garde-à-vous pour moi, Aaron… » Il se mit à rire : « … sans mauvais jeu de mots, bien sûr… » ajouta-t-il en pensant à l'impuissance de sa victime. Parler de 'garde-à-vous', métaphore de l'érection, était juste un moyen de l'humilier davantage.

« Et ma famille… ? » murmura Aaron, cherchant une lueur d'espoir au milieu de toute cette boue.

« Elle est en sécurité. Tant que vous m'obéissez, tant que vous ne tentez pas de me résister, Haley et Jack ne risquent absolument rien. Je vous le jure et vous savez que je tiens toujours mes promesses, je vous l'ai suffisamment prouvé ».

Hotch ferma les yeux et respira longuement. C'était au moins ça de gagné. Il se sacrifiait, oui, mais pour la bonne cause. Sa dégradation, son humiliation et sa honte n'étaient pas vaines. C'est tout ce qui comptait.

« Maintenant, rentrez chez vous, Aaron. Pour ce soir, j'ai eu ce que je voulais… » susurra Foyet en cliquant d'une main distraite sur les touches de son clavier d'ordinateur. Et puis, regardant la vidéo qui défilait devant ses yeux, il ne pût s'empêcher d'ajouter : « Vous savez que vous êtes vraiment très bien fait, agent Hotchner ? Quelque part, je comprends votre femme : elle a très bon goût. Je ne me lasserais jamais de vous regarder… »

Hotch encaissa ce nouveau choc, mais cette fois-ci presque sans réagir. Il n'en avait plus la force. Il était désormais quasiment incapable de plus rien ressentir. Il avait déjà été ou bout de la douleur : « Vous m'avez filmé… » murmura-t-il. Ce n'était pas une question, mais l'affirmation d'une certitude. Le Reaper l'avait filmé en train de se déshabiller, puis de se faire toucher et caresser par lui… en train d'ouvrir ses cuisses pour lui…

L'information ne le surprenait même pas. Aaron repensa aux bruits qu'il avait entendus dans la chambre lorsque Foyet avait quitté les lieux. Il avait dû retirer la webcam et son PC caché… tout ça pour garder les preuves de sa déchéance, s'en servir contre lui, l'humilier encore, le manipuler…

Le Reaper ne répondit pas. Il se contenta de l'effrayer une dernière fois avant de raccrocher : « La prochaine fois, Aaron, on dépassera les préliminaires, vous comprenez ? A un moment, il faut bien s'arrêter de flirter et passer aux choses sérieuses… »

« Quand ? » s'exclama Hotch, le cœur au bord des lèvres.

« Shh… Chut… Ne soyez pas si pressé… » La respiration du Reaper était lourde et excitée : « Peut-être dans un jour, peut-être dans un mois, ou bien encore dans un an… Un jour, je réclamerais mon dû, Aaron, le prix complet du deal. Un jour, je vous posséderais complètement. Soyez juste un peu patient… A moins que d'ici là, ce soit vous qui me suppliez de vous fixer un rendez-vous ? » Sa voix chaude et maîtrisée se fît narquoise : « A bientôt, Aaron… »

Et il raccrocha.

La ligne devint morte.

Hotch resta un moment, le combiné à la main, figé comme une statue.

Il avait cru qu'en acceptant le deal de Foyet, il allait mettre un terme à l'Enfer qu'il vivait. Il comprenait maintenant à quel point il s'était trompé, lourdement trompé. L'enfer ne faisait que commencer.

Comme le détective Shaunessy, Hotch était condamné à perpétuité, jusqu'à la mort. Rien n'arrêterait jamais Foyet : il voudrait exercer son chantage tordu et son contrôle sadique jusqu'à la mort. Comme il l'avait fait avec Shaunessy… Il n'y aurait d'autre délivrance à cette torture que le décès d'un des deux protagnistes.

Le temps…

Le temps était le meilleur allié de Foyet, et le pire ennemi d'Aaron. Son corps était déjà vaincu, son mental était complètement détruit. Il n'était plus qu'un robot docile, une sorte de jouet télécommandé par un tueur en série.

Sa destiné, désormais, c'était ça : attendre le bon vouloir de George Foyet. Attendre qu'il le mette à genoux, qu'il l'enfile par derrière, qu'il lui fourre sa queue entre ses cuisses et qu'il lui enfonce probablement en même temps son couteau dans le ventre…

Cette fois-ci, le doute n'était plus permis. C'était bien ça qui l'attendait. Etre sodomisé. Violé. Ravagé.

Un jour.

Des images de cauchemar l'envahirent. Hotch avait l'impression que son crâne allait imploser. Il essaya de se relever mais un vertige le prit. Il se laissa retomber sur le lit, roulé en boule dans les draps froissés de cet hôtel de passe minable.

Dans une semaine, ou dans un mois, ou dans un an…

Combien de temps à attendre ? Combien de mois à s'autodétruire dans l'angoisse de voir Foyet réapparaître ? Comment vivre tout en sachant que le Reaper allait récidiver sur lui ses actes pervers, ses gestes déplacés, cette agression violente et sexuelle ?

A chaque réveil, à chaque couché, à chaque pas, à chaque déplacement, Hotch n'attendrait que ça, il ne penserait qu'à ça… qu'à lui…

Il y penserait tout le temps, à chaque heure, à chaque minute, à chaque seconde…

Hotch se demandait s'il parviendrait à tenir ainsi sans perdre l'esprit, s'il endurerait cette torture de l'attente sans devenir fou… et surtout, il se demandait s'il parviendrait à patienter comme une prostituée docile, en attendant l'échéance.

Parce que c'est que Foyet avait fait de lui, non ?

Une pute. Sa pute. Son objet sexuel.

Son objet sexuel consentant.

- FIN


Et voilà, c'est fini… une fin amère et ambiguë, qui laisse ouverts tous les champs du possible

Un très grand merci à tous ceux qui m'ont laissé des reviews et qui ont donc soutenu cette histoire, et mon écriture "décalée". Sans vous, lecteurs, écrire et publier n'ont pas de sens.

Peut-être à bientôt pour la republication d'une autre histoire.