Le sommeil était lourd et chaud dans ses bras. Rien ne pouvait altérer le bonheur que je ressentais à cet instant.
Le bonheur ?
Oui.
Ses cheveux verts caressant mon visage quand il se retournait vers moi en plein milieu de la nuit. Ses lèvres venant cueillir les miennes, douces et sucrées.
Je n'avais jamais été plus heureux qu'à cet instant. Le temps s'arrêtait à chaque fois que ses yeux venaient percer les miens. Il était la force et la douceur, l'ami et l'amant, mais surtout, il était mien. Nos nuits étaient rythmées par les battements similaires de nos cœurs qui s'accordaient, comme pour nous rappeler que rien ne pouvait nous séparer. Comme pour nous rappeler que si l'un s'éteignait, l'autre suivrait. J'étais mortellement amoureux.
Viscéralement amoureux.
A en crever.
Mais c'était dur.
Oui, Zoro avait tout pris de moi. Mon corps, mon âme. Il avait voulu mon cœur mais avait finalement pris mon sang. Mon sang… Il était assez intelligent pour se rendre compte d'une chose capitale.
L'amour n'est pas le cœur, mais le sang qui le nourrit.
Et mon sang avait nourri mon cœur, beaucoup. Jusqu'à la dernière goutte.
Cet homme était le seul à décider du débit de liquide autorisé à passer au travers de mes organes. Il savait en profiter. Il savait même comment couper le flux sanguin, m'obligeant à nourrir mon cœur de larmes pour qu'il puisse continuer à battre. C'était, je crois, dans ces moments-là, que je me sentais vraiment vivant. Le sel irritait. Rongeait. Je souffrais terriblement. Mais c'était si bon de l'entendre faire "boum boum". Toujours à la même cadence que le sien.
Oui, il était responsable des maux. Mais qu'importe ?
Il m'aimait.
Et parce qu'il m'aimait, il ressentait les mêmes choses que moi.
En me détruisant je le détruisais.
Il me détruisait, je le détruisais.
Il se détruisait.
Seul.
Et seul j'avais fini, sans lui, et sans personne.
Sans sang, sans larmes et sans cœur.
Sans parents et sans amis. Sans rêves et sans envies, seulement celle de mourir.
Sans rêves et sans envies, seulement le souvenir.
Délicieux.
Ce soir m'avait-il permis de me rappeler ces instants parfait. Zoro… Mon cœur s'était serré lorsque je l'avais retrouvé dans la rue, par hasard. Je pensais pourtant qu'il était parti loin après m'avoir laissé, mais je m'étais trompé. Le destin avait sans doute voulu nous réunir tous les deux une fois de plus, après tout ce que j'avais fait pour mourir. J'avais senti mon cœur recommencer à battre lorsque mon regard s'était posé sur lui. Il m'avait invité chez lui, et après quelques politesses, nous nous étions jetés l'un sur l'autre, comme avant. Rien n'avait changé. Sa manière d'embrasser, de rire pendant nos ébats. Je l'avais retrouvé. Je m'étais retrouvé.
Heureux.
Vivant.
La nuit était tombée et j'étais maintenant dans ses bras, dormant paisiblement comme si rien n'était jamais arrivé. Comme si je n'avais jamais ressenti aucune envie de mourir.
Son parfum n'avait pas changé. Blotti contre son torse, je me sentais à nouveau en sécurité.
Zoro…
Il prit ma main et l'apporta contre sa joue. Son geste me réveilla. Incapable de faire quoi que ce soit d'autre, je souris. Il me lâcha et se retourna.
-Ace ?
Cette sensation, l'entendre dire mon prénom. J'avais oublié le délice que c'était.
-Oui ?
-Je t'aime.
Mon cœur se serra, et une larme vint perler le long de ma joue. Il m'aimait.
Toujours.
Après tout.
Quel imbécile je faisais. Comment aurais-je pu goûter à nouveau au plaisir de se faire entendre dire "je t'aime" par la personne qui nous possède si j'avais réussi à mettre fin à mes jours ? Je réussis difficilement à déglutir, et dans un tremblement, je susurrai :
-Je t'aime aussi…
Le sommeil pesa sur chacun de nous et nous nous endormîmes, son dos contre mon torse, mes bras l'entourant, nos mains scellées et ramenées à son visage.
La nuit était chaude, profondément douce, donnant cette sensation de réparation. Je sentais mon être se reconstruire contre lui. Je retrouvais ce que j'avais perdu.
Je n'avais pas dormi longtemps, deux heures à peine. Le besoin de me dire qu'il était toujours là m'avait réveillé. Et il était toujours là. Nos corps n'avaient pas bougé, mis à part nos mains qu'il avait glissé sous sa joue. Je regardai le réveil. Trois heures et six minutes. Rien ne nous obligeait à nous lever le lendemain. Pas de psy à voir ou quoi que ce soit. Nous allions pouvoir rester au lit toute la journée, nus l'un contre l'autre, à apprécier nos bouches quand nous ne nous dévorerions pas des yeux. Plein de ces douces pensées, je rapprochai ma tête du haut de son dos et me laissai aller à la rencontre des bras de Morphée.
Mais cette quête fut interrompue lorsque je sentis quelque chose couler le long de ma main.
-Zoro ?
Il ne répondit pas. Je retirai donc mon bras afin d'identifier la matière qui recouvrait ma peau. La lumière de la lune qui filtrait à travers la fenêtre me permit bien vite d'identifier la nature du liquide. Ce rouge que j'avais si souvent vu était reconnaissable entre mille. J'entrepris donc de réveiller celui que je venais de retrouver :
-Zoro, réveille-toi, tu saignes je crois…
Toujours pas de réponse. J'intensifiai l'ampleur de mes secousses, mais rien. Je ressentis soudain un malaise profond d'origine inconnue. Pressé par un sentiment d'appréhension et de détresse, je retournai le corps de mon amant afin de déterminer de quel mal il souffrait.
Un cri transcendant l'espace et le temps s'arracha à moi lorsque je découvris le visage de Zoro, les yeux révulsés et sanglants. Son nez aussi pissait de l'écarlate, coulant dans sa bouche ouverte et figée, déformant sa face.
L'horreur de la découverte me fit chuter du lit. Hurlant, je m'apprêtais à sortir appeler de l'aide lorsque quelque chose m'agrippa la jambe, me ramenant violemment sur le matelas. Au-dessus de moi, le faciès altéré par la décomposition, méconnaissable, Zoro me surplombait, le sang et la moisissure tombant sur mon visage. Scandant son nom, je lui demandais ce qu'il se passait.
-Tu vas bientôt comprendre.
Il passa ses mains autour de mon cou et exerça une pression se faisant de plus en plus forte. Je fermai les yeux de douleur.
-Zoro arrête tu me fais mal !
-Calme toi Ace c'est fini !
-Zoro arrête !
-Calme toi Ace !
-Zoro s'il te plait arrête je t'en supplie !
-Ace calme toi s'il te plait !
-J'veux pas mourir maintenant !
-Calme toi tout va bien !
-Lâche-moi ! Zoro !
-Ace !
-Lâche-moi !
-Réveille-toi Ace ! C'est fini !
Cette voix…
J'ouvris les yeux pour me rendre compte que tout le décor avait changé. Je n'étais plus chez Zoro. Qu'étais-ce ?
Un cauchemar ?
Oui.
Je reconnus l'odeur de celui qui me tenait fermement dans ses bras.
Law.
Mes yeux coulaient d'eux-mêmes sans interruption. Mon corps dégoulinait de sueur, contre lui. Les draps étaient devenus humides. Le choc m'avait paralysé. Je ne pouvais rien faire d'autre que pleurer.
-C'est fini Ace. Calme-toi. Tu n'as plus de raison d'avoir peur. C'est fini.
Sa voix se voulait douce et rassurante. Et je me sentais en sécurité. Mais j'avais été tellement secoué qu'il m'était impossible d'amorcer quoi que ce soit.
Law ne relâcha pas son étreinte. Il attrapa mon visage et vint chercher mon regard. Ses yeux gris transpercèrent les miens, remplis de bienveillance, chassant mes démons qui revenaient doucement à la charge.
-Calmé ?
-Hmm…
Ses bras se défirent doucement, me laissant amorphe.
-… On dirait presque que j'me suis pissé dessus.
J'aurais voulu prendre une douche, un bain ou n'importe quoi, mais mon corps refusait de faire le moindre mouvement. Trafalgar se contenta de changer rapidement les draps. Tant pis pour la douche. J'avais eu le temps de me remettre de mes émotions et de sécher, sans trop laisser d'empreinte olfactive apparemment, au vu de la proximité que mon psy garda auprès de moi pendant le reste de la nuit.
Law n'était déjà plus dans le lit lorsque j'ouvris les yeux le lendemain. Je me levai et pris possession de la salle de bain. Il ne m'en voudrait pas de l'avoir utilisée sans son autorisation.
La nuit agitée que je venais de traverser avait laissé quelques marques sur mon esprit. Aussi tentais-je de les effacer à l'eau chaude.
Zoro…
Pourquoi fallait-il repenser à lui maintenant ?
Seulement maintenant ?
Non.
La vérité, c'était que je songeais à lui tellement souvent que je ne me rendais même plus compte du fait que toutes mes actions étaient motivées par sa pensée.
On toqua à la porte.
-Ace ?
Je me dépêchai de sortir de la douche et m'essuyai en vitesse afin de lui ouvrir.
-Le p'tit-dej est prêt.
Après m'être habillé, je le rejoins dans la cuisine ou je pris place en face de lui. L'ambiance était lourde et le silence pesant. Je me trouvais dans un trouble si flou qu'aucun élément ne pouvait me ramener à la réalité. Cet état était en bonne voie pour persister un bon moment mais Law en décida autrement.
-Ace, qui est Zoro ?
Mes mains se crispèrent autour du bol et mes dents grincèrent. Comment savait-il ? Avais-je parlé durant mon sommeil ?
Quoi qu'il en soit, je n'étais pas prêt à décrocher un traître mot quant à ce que représentait Zoro pour moi.
-Répond-moi.
L'intonation de Trafalgar avait changée. Il n'était plus l'homme attentionné d'hier. Du moins, pas de la même manière.
-Je n'ai vraiment pas envie d'en parler…
-Il va falloir pourtant. Ace. Qui est-il ? Qu'est-ce qu'il t'a fait ? Je dois savoir.
-…
-Répond-moi Ace.
Je la sentais bouillir en moi. Cette rage croissante.
-Tu peux me faire confiance. Tu le sais.
Oh et puis après tout qui était-il ce psy ? Personne ?
Pour la seule raison qu'il m'avait fait sortir de cet hosto je devais tout lui dévoiler de moi ? N'avait-il pas compris encore ? Ça ne servirait à rien. Tous ses efforts étaient vains, je le savais d'avance. J'avais perçu en lui une échappatoire. Quelque chose me disait que j'aurais éventuellement pu m'en sortir avec lui. Mais cette nuit m'avait ramené à la réalité. Je ne voulais plus rien de ce monde.
Ni amour, ni compassion.
Et surtout pas d'aide.
Je n'en avais pas besoin. Pourquoi m'aider alors que j'étais convaincu de ce que je voulais.
-J'veux pas…
-Ace parle-moi.
-Je t'ai dit non !
Je posai avec humeur mon bol sur la table. Avec la même intention, je me levai et me dirigeai vers la sortie de la pièce.
Il n'obtiendrait rien de moi cette fois.
-Tu as tort de croire que tu as plus de ténacité que moi.
-Vraiment ? T'es qu'un putain de psy comme il en existe des millions d'autres. Tu crois que parce que t'es plus jeune que tous tes collègues tu peux être mon pote et me faire cracher ce qu'ils n'ont jamais réussi à me faire cracher ? Et bien désolé de te décevoir mais si tu penses comme ça tu peux aller te brosser !
Le regard de Trafalgar changea radicalement. La lueur de bienveillance qui brillait habituellement dans ses yeux s'était convertie en quelque chose de beaucoup plus glaçant.
J'assistais à la transformation de la belle en bête.
Il se dégageait de son corps une aura dévastatrice inouïe alors que ses gestes étaient imprégnés d'un calme olympien. Il posa sa tasse et s'approcha lentement de moi. Je déglutis et reculai. Mais la manœuvre fut interrompue lorsque mon dos entra en collision avec le mur. Le rictus habituel qu'arborait Law avait disparu au profit d'une neutralité faciale quasi parfaite, troublée par ce regard si intensément chargé d'inimitié.
Cette sensation…
La porte était ouverte et j'en profitai pour m'échapper dans un élan. Tentative avortée lorsque mon psy parvint à attraper mon bras et à me ramener au mur contre lequel il me plaqua.
Putain.
L'avant-bras qu'il avait passé sous mon cou commençait à m'étrangler. J'arrivai tout de même à articuler :
-Mais t'es malade ou quoi lâche moi tu m'fais mal !
Il n'en fit rien et me répondit avec arrogance et mépris.
-Il existerait donc des millions de psy comme moi ? Ace… mon pauvre… La situation dans laquelle tu te trouves actuellement, c'est ça, ce qui me différencie des autres.
-Ce n'est pas en invoquant la menace physique que tu obtiendras ce que tu veux ! Et encore moins en l'appliquant !
Il haussa un sourcil.
-Je ne t'ai pas attrapé pour te faire cracher quoi que ce soit. Mais, vois-tu, mon ego ne me permet pas de te laisser m'insulter sans qu'une réaction de ma part ne s'en suive…
Ce malade. Je sentis mon pouls s'accélérer sous la pression de son bras. Il allait vraiment m'étrangler ? Le coin de ses lèvres dessina un léger rictus.
-T'es en train de t'faire dessus là hein ?
Complètement. Se rendait-il vraiment compte de ce qu'il était en train de faire ?
Oui.
Il n'était pas du genre à laisser ses pulsions prendre le contrôle de son esprit.
-Tu ne sais rien de moi Ace. Si j'ai envie de t'égorger maintenant je le fais. Ne m'en pense pas incapable sous prétexte que tu me vois comme quelqu'un de bienveillant.
Un capricieux donc. L'effort de son bras se fit encore plus persistant. Il allait vraiment le faire. Il fallait absolument que je me sorte de sa soumission.
Mes forces décuplées par l'adrénaline, je réussis à le repousser suffisamment pour pouvoir m'enfuir. Il se lança à ma poursuite sans un soupçon d'hésitation.
La porte d'entrée était à ma portée, je me jetai dessus, sans que celle-ci ne s'ouvre pour autant.
-Loupé Ace. Tu es bloqué maintenant.
Bloqué ?
Oui.
Mais non.
Les escaliers demeuraient ma seule issue de secours.
La course repris une fois de plus. Je sentais Trafalgar de plus en plus proche. J'avais presque gravis toutes les marches lorsque je sentis sa main agripper ma cheville. Il me tira vers lui mais c'était sans compter sur mon deuxième pied qui tentait de se débarrasser de la poigne d'acier du psychologue. J'avais cette sensation de nager sur les échelons sans parvenir à avancer. Un moment de faiblesse de mon assaillant me permit de me délester de mon état de prisonnier, et de me hisser grâce à la fébrile pression de mes bras jusqu'au palier. Je ne savais plus où aller. Mon instinct me guida dans l'une des pièces au hasard.
Un bureau.
Son bureau.
Méticuleusement arrangé, les livres triés avec une minutie extrême. Les dossiers étaient empilés proprement sur le bord de la table, à côté du nécessaire d'écriture et du cendrier vidé et lavé. Je fermai la porte à clé dans un élan motivé par la peur. Cette même impression que j'avais lorsque le temps m'était compté la nuit entre la porte de ma chambre et mon lit, le monstre derrière mon dos, pouvant se faufiler entre mes pieds à chaque instant. Law fonça brutalement dans la porte, se rendant compte de ma manœuvre. Il était piégé.
Lui ?
Non. Moi.
J'étais maintenant face à moi-même, sans repère. Lui connaissait les lieux, même séparé par une planche de bois. Je me dirigeai vers la fenêtre afin de juger la distance avec le sol.
Trop haut…
Une vaine lueur d'espoir écorcha mon esprit, me poussant à fouiller dans toute la pièce.
Rien.
Absolument rien.
En proie au désespoir, j'ouvris l'un des tiroirs du bureau et en extirpai le contenu. Quelle fut la surprise lorsque je tombai sur mon suivi psychologique. Affublé de toutes sortes de citations peu élogieuses à mon égard. Les graffitis et prises de notes sur des feuilles volantes rajoutées en annexes témoignaient d'un mépris considérable à mon sujet. Etait-ce là toute l'estime qu'il avait pour moi ? Non. Ce n'était pas son écriture. Celle des autres. L'intérêt porté à mon cas s'était lassé au fil des pages, regagnant un certain entrain sur les écrits de mon psychologue actuel.
Plongé dans ma lecture, j'en venais à oublier les coups du brun qui se déchaînait en hurlant dans le couloir. Alors que je tournais les pages avec appréhension, regrettant toujours un peu plus les consignes de la précédente, une pochette glissa hors du plastique de protection et alla s'écraser avec fracas sur le bois noir du bureau.
Mon téléphone.
Que faisait-il là ?
L'incompréhension était totale. Alors que tous les scénarios possibles et imaginables défilaient dans ma tête à une vitesse folle, l'un attira mon attention. J'apposai mon doigt sur le lecteur d'empreinte afin de déverrouiller le contenu du cellulaire, et tombai nez à nez sur une photo de Zoro et moi. Le pire des schémas se matérialisait plus nettement dans la réalité. Le doute ne fut plus permis lorsque je vérifiai l'historique des dernières applications utilisées. Mes messages, les réseaux sociaux. Tout avait été fouillé.
Le bâtard.
Il avait sans l'ombre d'un doute profité de mon sommeil pour mener ses recherches. La rage grimpant en moi n'avait d'égale que la honte que j'éprouvais à cet instant précis. Je devais partir.
Rongé par le manque de sang-froid, je n'arrivais plus à me concentrer pour trouver l'astuce qui me permettrait de m'évaporer. La fenêtre ? Toujours trop haut.
Et surtout trop tard.
Law avait littéralement enfoncé la porte, et se trouvait maintenant face à moi, le regard possédé de haine. Il remarqua mon portable.
-Tu vas regretter de m'avoir obligé à exploser cette putain de porte.
-…
Pour seule réponse, je lui envoyai l'appareil que j'avais entre les mains avec une violence rare. Le psychologue l'esquiva et l'objet finit sa course contre mur.
-Espèce de bâtard ! Espèce de gros gros connard ! Tu m'as fouillé ! Tu m'as fouillé putain ! T'avais pas le droit d'faire ça !
-J'ai tous les droits sur les petits merdeux dans ton genre.
-Pas celui-là ! J'avais confiance ! Pourquoi ?!
-Parce que tu crois que j'avais envie de continuer à nager dans le vide de tes fantasmes inavoués ?! Tu crois que j'avais le temps des te regarder crever doucement ?! Tu crois que j'avais vraiment le temps pour l'impuissance ?! J'suis pas comme ça. Je devais prendre cette décision, et c'est dans ton intérêt que je l'ai fait ! Je n'ai pas à m'excuser de quoi que ce soit ! Et je n'ai surtout pas le temps de céder à tes caprices de petit bourgeois mal-baisé ! C'est clair Ace ? Alors tu vas venir ici bien sagement et tu vas me prouver qu'on peut tenir une discussion d'adultes responsables !
-D'adultes responsables ? Mais tu te fous vraiment de ma gueule ! Va crever !
J'étais bloqué derrière le bureau, aucun espoir de fuite. Il s'était approché et tentait maintenant de m'attraper. J'esquivai et me rapprochai dangereusement de la fenêtre.
-J'vais m'butter ! Tu seras responsable ! Le seul responsable ! Et tu vas clamser sous la culpabilité ! Si je crève ça sera de ta putain de faute !
Il retourna le meuble et se jeta sur moi dans l'ouragan de feuilles se disséminant dans toute la pièce. Il me plaqua brutalement au sol et m'immobilisa. Il ne restait que nos deux corps au milieu d'un amas de papier silencieux.
-Que ce soit clair Ace. Si tu crèves, tu seras le seul responsable, à part si je te butte avant. Mais ça te plairait ça non ? Que je fasse le travail à ta place. Que je fasse le sale boulot. T'aimerais ça hein ? Que je t'attrape le cou comme ça en serrant si fort que mes doigts s'enfonceraient dans ta putain de chair d'ado méprisable. Ça ne durerait pas longtemps. Une dizaine de secondes ? Une vingtaine ? Juste le temps que la panique et la pression te fassent suffoquer.
-Arrête…
-Ça serait plus efficace que les médocs hein ? Plus efficace que tes veines tranchées dans la baignoire remplie d'eau chaude pas vrai ? Mais ça serait trop facile !
-Arr…
-Beaucoup plus facile que de bouger ton petit cul de mauviette pour faire changer les choses ! T'es déterminé Ace hein ?
-Mal…
-Déterminé à rester faible et à te cacher derrière tes petites excuses minables pour justifier ton manque de courage ! Tu es une petite merde Ace ! Même mourir tu n'y arrives pas !
-Hgn…
-Tu comptes faire quoi ? Dis-moi ! Dis-moi vite avant que je ne t'arrache tes petits yeux !
-L…aw…!
-Rien ! Evidemment ! Alors maintenant laisse-moi prendre les choses en main et t'aider pour de b…
Je n'avais rien contrôlé.
Rien du tout.
J'avais attrapé la première chose que j'avais sous la main et l'avais abattue sur sa tête.
Et il était là, inerte, sur moi, le crâne saignant sur les pages éparpillées au sol.
Je n'aurais jamais imaginé que le corps d'un mort puisse être aussi lourd.
Je posai le cendrier tâché sur le sol, et tous mes muscles se relâchèrent d'un coup, tremblants.
Ça avait giclé partout. Sur mon visage.
Le regard vide sur le plafond, je me dégageai du poids de mon psy et me relevai. Un sanglot vint étouffer ma respiration, et les larmes se mirent à couler. J'avais beau le secouer, il ne bougeait pas. Il ne bougeait plus.
Il était mort.
Mort de chez mort.
Je l'avais tué.
Et déjà je culpabilisais. Il avait eu raison sur tout. Sur absolument tout. Est-ce que la vérité avait été trop dure à entendre ?
Une petite merde j'étais. Il l'avait dit. Et je prenais doucement conscience de mon statut. Moi qui pensais tout savoir sur moi, j'étais si sûr de détenir la vérité sur ce que je désirais. Mais il n'en était rien. Je m'étais planté sur absolument toute la ligne. Et il avait fallu un drame pour en arriver là.
Cette fois c'était la fin pour moi. J'allais en finir.
J'étais si désolé. Irrécupérable et désolé.
Je ramassai mon dossier et me dirigeai vers la sortie, bien déterminé à disparaître de ce monde sans laisser aucune trace de mon passage, hormis le corps du seul homme qui avait tenté de m'aider.
J'allais m'enfuir lorsque ma cheville fut agrippée par une main.
-Ace…
Je me figeai et déglutis, les yeux écarquillés, le regard focalisé sur le fond du couloir. Je n'osais pas me retourner. Il aurait fallu que je sois le plus méprisable de tous pour oser le regarder.
Extirpant mon pied, je détalais, dévalant les escaliers.
La fuite.
Elle était nécessaire.
Quel était le plan à présent ?
Disparaître ?
Oui.
J'avais blessé le seul qui témoignait d'un minimum d'intérêt pour moi. Je l'avais fait de manière si sale, prêt à laisser son corps derrière moi sans me retourner.
Quel être immonde je faisais.
Si j'avais encore quelques doutes à ce sujet, les évènements d'aujourd'hui avaient bel et bien mis un terme à tous mes questionnements, et ce de manière totalement irréversible.
Une fois dehors, mon premier réflexe fut de traverser le jardin et de dégobiller contre la haie. Je repris mes esprits et ouvrit le portillon, puis attrapai quelques passants dans la rue en les pressant pour qu'ils se dirigent chez Trafalgar en leur signalant qu'un homme était grièvement blessé.
Il me fallait maintenant fuir, le plus vite et le plus loin possible. Je ne voulais pas qu'on me retrouve. Je ne voulais pas avoir à affronter le regard condescendant et rempli de haine de cet homme que j'avais presque tué, alors qu'il voulait seulement m'aider. J'avais beaucoup trop peur de voir le ressentiment et le mépris dans ses yeux, et j'étais terrifié à l'idée de l'entendre m'accuser.
Alors que je marchais d'un pas stressé sur le trottoir, j'entendis les sirènes de l'ambulance se faire de plus en plus proches, et je sentis mon cœur se serrer lorsque le véhicule passa devant moi. Un autre bruit semblable se manifesta, et mon ventre se tordit de plus belle quand je vis la voiture de police filant à toute vitesse en direction du domicile de Law. Je compris immédiatement que ma situation allait devenir des plus délicates.
Je devais bouger.
Vite.
Je pris le premier bus de ville qui daigna marquer l'arrêt et me laissais porter vers je ne sais quelle destination.
Regardant par la fenêtre, mes yeux se détournaient du paysage chaque fois que j'apercevais une voiture de police.
Je me retrouvai perdu dans des pensées plus sombres les unes que les autres, à regretter toujours plus mon silence et les conséquences qui en avaient découlé.
Je fus contraint de descendre au terminus, ne voulant surtout pas revenir sur mes pas, ce qui aurait signifié un retour vers le lieu que je tentais de fuir.
Deux options s'offrirent à moi.
D'un côté la nationale, de l'autre, la forêt.
Me jeter sous une voiture, ou me pendre.
Si le côté spectaculaire et bref du premier choix me séduisait, je me dis que l'attention avait beaucoup trop été portée sur moi ces derniers temps, et qu'il était peut-être temps de me faire oublier un peu.
D'autant plus que définitivement, la vue d'un corps balançant au bout d'une branche demeurait esthétiquement plus supportable que des morceaux de ma personne éparpillés sur une double-voie.
Perdu dans l'immensité de verdure, mon cadavre mettrait sans doute plus de temps avant d'être découvert, peut-être par un jogger, un couple de retraités cueillant des champignons ou des enfants construisant des cabanes dans les bois.
Cette dernière suggestion dessina un rictus sur mon visage, qui s'effaça bien vite lorsque je me retrouvai au pied d'un grand arbre.
-C'est celui-là…
Il était majestueux. Eclipsé par d'autres géants encore plus imposants. Il se fondait dans la masse, étouffé, sans air et sans accès à la lumière. Un arbre parmi d'autres, se démarquant par l'ombre de ses compères sur son tronc, robuste mais soumis aux ténèbres qui l'écrasaient.
Je m'approchai de lui en appréciant le calme environnant. Ses branches magnifiques se déployaient comme des millions de bras.
Des millions de bras m'invitant à monter encore un peu plus haut.
Environ sept mètres me séparaient du sol désormais. Les branches étaient encore épaisses à ce niveau, et je décidai de cesser ma progression vers la cime.
La hauteur était parfaite.
D'ici, j'avais une vue superbe de la végétation qui s'étendait dans une pente recouverte de fougères et de troncs morts bouffés par la mousse. Les rayons du soleil filtraient à travers les feuilles, mettant en lumière les insectes, comme de fines pellicules pailletées.
Le calme plat.
Un départ silencieux.
Discret.
Et seul.
J'enlevai ma ceinture et l'accrochai à la branche au-dessus de celle sur laquelle j'étais debout, plus fine.
Passant ma tête dans la boucle que je venais de former, je me mis à rire doucement.
Nerveusement.
C'était ce moment ? Le moment que j'attendais depuis si longtemps ?
J'allais vraiment le faire ?
Je voyais ma famille en bas.
En train de me juger, moi, perché sur mon arbre, les méprisant de toute ma hauteur.
Aucun signe de pitié.
Rien pour m'empêcher.
Pas une seule larme. Pas un seul geste.
Même pas un rictus.
Rien.
L'impassibilité la plus totale.
Derrière eux naissait une foule de gens.
Je reconnaissais des amis. Parmi eux ceux que je considérais comme beaucoup plus.
Mais qui n'étaient rien de plus.
Incapables de voir ce qui se tramait dans l'ombre.
J'avais envoyé des appels à l'aide silencieux.
Des messages destinés à certaines personnes, rédigés, mais n'ayant jamais quitté les mémos de mon téléphone.
Je ne voulais pas qu'ils en sortent. Cela aurait signifié que j'étais prêt à sauter le pas.
Ces messages cachés aux yeux du monde représentaient des barrages.
J'avais confiance en eux et les avais laissés dans un coin de ma tête, à l'abandon, scellés par un cadenas dont je m'étais efforcé d'oublier la combinaison. Mais comme tout barrage laissé à l'abandon, les courants et les diverses forces de la nature avaient eu raison de ceux que j'avais eu tant de mal à bâtir.
Ma faute ?
Ils étaient mes amis non ?
Ils me connaissaient non ?
Pourquoi avaient-ils été si aveugles et si sourds ?
Ils auraient dû entendre les vagues frapper les remparts, moi hurlant derrière, et venir me chercher. Ils avaient juste à tendre le bras.
Je crois.
Tout ce ramassis d'abrutis.
Ils étaient tous rassemblés en bas de mon arbre.
Et ils étaient tous coupables.
Oui.
Même si sur aucun de leur visage je n'arrivais à percevoir un signe de regret ou de culpabilité.
Je les dévisageais tous un par un, à la recherche d'un œil humide ou d'une lèvre tremblante.
Rien.
Rien.
Rien.
Tous stoïques, attendant le saut.
Le regard vide.
Tous.
Sauf un.
Le regard noir.
Caché derrière tout le monde. J'avais quand même réussi à distinguer sa silhouette, en retrait, à l'ombre d'un grand orme.
La vue de son expression m'avait glacé le sang. Alors que je pensais avoir tout mis en œuvre pour ne plus jamais le revoir.
Il était là.
Le pas assuré, il s'avançait, la foule se dispersant et s'enfuyant dans les bois à son approche. L'aura qu'il dégageait était destructrice.
Il me toisa longtemps alors que je déglutissais difficilement.
-Tu t'es barré comme un lâche en me laissant pour mort et tu as crû que j'allais te laisser t'enfuir ?
-…
-Tu m'as frappé avec un cendrier. Un putain de cendrier. Et tu m'as abandonné là. Alors que j'ai tenté de te retenir. J'étais vivant. Tu le savais. T'avais peur de quoi ? Tu flippais parce que tu pensais que j'allais te déglinguer ta petite gueule en signe de représailles ? Tu te pissais dessus à l'idée que je t'en veuille au point de ne plus pouvoir me regarder dans les yeux sans dégueuler ta culpabilité ?
-…
-Alors maintenant, de toi à moi, est-ce que c'était une raison de m'abandonner par terre comme une merde à me vider de mon sang comme le dernier des déchets ?
-…
-Evidemment que non. J'étais le seul. Le seul à te donner de l'importance. Regarde comment j'ai fini. Tu te morfondais seul à tel point que t'en es devenu aveugle. Incapable de voir que j'étais là, prêt à te donner le nécessaire pour aller mieux. Tu as fait ce que tu reproches à tout le monde. T'as été un imbécile…
-Je…
-…du début à la fin.
-C'est pas ce que je vou…
-Un incapable et un petit con…
-Je suis vraiment déso…
-…qui pouvait s'en sortir mais qui n'a pas su me tendre la main…
-…
-…et a préféré me frapper avec.
C'était donc là qu'il allait s'arrêter ?
Etait-ce là tout ce qu'il avait à me dire ?
Mes yeux étaient plongés dans les siens, versant torrents, ma bouche entrouverte par le choc.
-Qu'est-ce que tu attends pour sauter ? Même ça t'en es pas capable Ace ? Tu vas mourir seul, dans la souffrance et l'abandon. Comme moi. Tu vas ressentir ce que j'ai ressenti. Et c'est tout ce que tu mérites.
Un bruit violent d'oiseaux dans les feuillages détourna mon attention un instant. Je retournai ma tête vers mon interlocuteur.
Il n'était plus là.
Disparu.
Tous les autres aussi.
J'étais seul.
Et seul j'allais partir.
Impossible ?
Je sortis la tête de la boucle et m'assis sur ma branche, le dos contre le tronc.
Aujourd'hui encore je suis incapable de dire combien de temps cela dura, mais les larmes coulèrent.
Longtemps.
Et je me sentais vivant.
Coupable mais vivant.
Ce n'était finalement pas si mal…
Un sursis.
OHOHOH J'ai trouvé comment on fait finalement !
Alors j'aimerais tout d'abord vous présenter mes excuses pour ces années que ça aura pris de publier un nouveau chapitre. Et je ne vais pas me prononcer sur le temps que ça va me prendre pour publier le prochain parce que je sais que je ne vais pas tenir les délais.
Après j'vais pas vous mentir j'suis un peu flippé du tournant que prend cette fiction. J'ai l'impression que ça stagne un peu et j'ai clairement pas envie de rendre l'atmosphère beaucoup trop lourde. C'est clairement pas le but. Du coup ça me prend du temps d'écrire un chapitre dans la mesure où je laisse souvent quelques semaines/mois pour prendre du recul par rapport à ce que je viens d'écrire et pour voir comment je vais pouvoir faire évoluer l'histoire.
Là en l'occurrence, j'ai pas pris assez de recul quant à la dernière partie du chapitre. Mais j'avais vraiment envie de publier. J'suis un peu capricieux quand même. Du coup voilà. L'appel de la publication. C'est toujours un moment assez spécial quand même hein. De la satisfaction, de la flippe et plein de trucs dans le genre. Ça m'avait beaucoup manqué !
Du coup voilà j'espère que ce chapitre vous aura plu.
En espérant vous retrouver très très vite pour la suite.
Je vous embrasse fort !