Salut à tous !

Quelle longue absence ! Je commence par vous présenter mes excuses pour cette attente et ce silence qui a tiré en longueur, malheureusement les fanfictions sont un passe-temps qui nécessite une certaine implication que je n'étais plus en mesure de fournir depuis quelques mois à cause de mes études qui ont chargé mon emploi du temps.

Heureusement, à partir de maintenant, j'aurais bien plus de temps jusqu'en septembre et les publications devraient retrouver un rythme plus normal, et surtout un rythme plus raisonnable (y compris pour les lecteurs qui suivraient, par chance, Le Maître de la Mort, mon autre fiction en cours - les parutions devraient reprendre incessamment sous peu).

Sur ce, je tenais à vous remercier d'avoir été aussi patients et j'adresse tout particulièrement une pensée aux personnes qui ont pris de mes nouvelles par MP et m'ont soutenu durant cette période intensive.

Bonne lecture et bonne fin de bonus de mariage ;)


Chapitre XXXIX : Bonus « Le mythe des nouveaux départs » - Partie 3.

De vert flamboyant et étrangement estival pour une saison froide et carencée en véritable arrosement lumineux, la pelouse des jardins du manoir Zabini était passée à un noir dense et grouillant, telle une fourmilière. Les capes et manteaux sombres, si peu de circonstance, dissimulaient toutes les étoffes dites du dimanche qui, autrement, auraient formé un véritable tapis bariolé de mauvais goût s'il avait été aperçu depuis les cieux. En prétextant prévoir une brusque pluie qui ne menaçait pourtant pas encore, quand en réalité on cherchait surtout à se protéger du froid de Janvier, une grande majorité des convives avait également cherché à camoufler leurs chevelures laquées et frisottées sous chapeaux et capelines en feutrine qui, en raison de leur usage exclusivement réservé à l'hiver et aux automnes peu soufflants, ne s'accordait qu'uniquement de tons tout aussi moroses que les pèlerines de tout un chacun. Même les traditionnels bonnets en laine de la fratrie Weasley, sortis des aiguilles hyperactives de leur mère, n'avaient pas quitté les tiroirs en ce jour spécial. À peine si Charlie sortait du lot avec son chapeau de cow-boy fantastique des airs et terres reculées du monde : à elle seule, la bande de cuir écailleux qui enserrait le feutre brun autour de son crâne roux n'était pas suffisante pour faire la différence au sein de la foule. Même le clan des Lovegood se fondait anormalement dans la masse, et ce, malgré le drôle d'immense ressort jeune servant de coiffure à Luna et sur laquelle de minuscules répliques de prunes dirigeables semblaient flotter paisiblement. En fait, rien ne semblait être capable de trancher de la masse, même les crânes nus comme des vers ou les couvre-chefs un peu plus originaux ne créaient pas réellement de rupture avec le noir compact régnant autour d'eux.

Néanmoins, toutes les parcelles frontales du manoir Zabini n'étaient pas recouvertes. Une mince allée de gravier clair s'étendait entre le belvédère de grand luxe architectural et la façade principale de la demeure aristocratique de sorciers, à l'Est sur le cadran des orientations polaires. Devant permettre le passage des personnages clés de ce jour spécial, des pieds impatients la mangeaient progressivement, n'ayant aucune barrière contre laquelle se confronter pour délimiter leur territoire de droit. Des exclamations outrées fusaient régulièrement depuis les rangs quand une voûte plantaire aventureuse exploitait malencontreusement un centimètre carré déjà conquis par une consœur étrangère. Il en aurait fallu de peu pour qu'une bagarre n'éclate entre des castes si bigarrées. Pour sûr, les jardiniers du domaine auraient beaucoup de travail une fois cet épisode achevé car, ce passage de troupeau, laisserait cette partie des terres creusée, défraîchie et boueuse à souhait.

Au milieu de l'attroupement, le belvédère en rotonde élevait sa courte flèche vers le ciel et se démarquait du reste grâce aux quelques boules lumineuses jaunes, n'excédant pas la taille d'un poing, ayant été préalablement allumées. Les sorciers légendaires du jour n'avaient pas souhaité dénaturer l'endroit : cela ne leur ressemblait pas, avaient-ils dit. Pourtant, le soir tombant, en raison du retard considérable pris dans la tenue de la cérémonie, et les fantaisies pas si déraisonnables que cela de la maîtresse des lieux, avaient rendu cet agencement possible et, au final, très beau. Il ne s'agissait pas d'un rideau de diodes moldues ou de flammes sorcières mais juste de quelques points éparpillés ça et là dont on aurait dit qu'ils avaient surgi littéralement du belvédère pour le mettre à son avantage.

D'un coup, la grande porte d'entrée laissa échapper un premier flot de personnes, toutes vêtues sobrement et se mouvant avec une certaine élégance. Sans rien dire, ils fendirent la foule pour gravir les quelques marches menant à la terrasse couverte et s'y installer, au fond, dans un coin où ils n'obstrueraient la vue de personne. Là, ils prirent place sur un ensemble de chaises et, dégainant leurs baguettes magiques, leurs firent prendre l'apparence d'archets près à se languir contre les cordes des instruments, eux aussi apparus dans le même instant. Puis, après un dernier regard collectif, jaugeant de la mesure à adopter, se mirent sur la voie d'une belle mélodie, très discrète et, pourtant, audible de tous, au même volume, comme par magie. Puis, vint un second flot.

Un quatuor ouvrit d'abord la marche officielle. Étrangement ordonné et, même, dans un assemblage quasi militaire, il ne connut aucun débordement, qu'il s'agisse d'un rythme de pas mal associé aux autres ou d'une parole malheureuse, et Merlin savait à quel point ce fut une sorte de miracle. Parcourant la foule du regard, Blaise Zabini hochait régulièrement la tête pour saluer les quelques connaissances qu'il n'avait pas encore eu l'occasion d'approcher jusqu'alors. Son air se voulait confiant et prometteur. Les gens ne devaient plus craindre une annulation, dont la rumeur avait finie par se répandre dans les rangs des convives, ni l'esclandre encore plus craint. Tout était revenu dans l'ordre et, bien qu'il ne fusse pas directement concerné, le maître des lieux s'en félicitait en tant qu'hôte extraordinaire. Sang-Pur un jour, Sang-Pur toujours !

Non loin de lui, le dernier spécimen de la race longiligne et maigrichonne des Nott le suivait d'un pas un peu plus bancal, comme pris au sein de son espace de vie naturel : Théodore, le moins longiligne et maigrichon de sa lignée justement. Lui avait fait partie des sceptiques convaincus jusqu'au bout et, ironiquement, était tout à la fois un des plus fervents partisans de cette union. Ses yeux sombres de couleur châtaigne passaient très peu sur la foule et ne la voyait même pas réellement. Ils préféraient ne se concentrer que sur la ligne irrégulière des graviers clairs menant au belvédère qui le sauverait finalement de l'oppression écrasante qu'opéraient les murs humains de chaque côté de sa voie. Là-haut, il respirerait un peu plus pleinement à défaut de pouvoir user librement de son regard étrangement fixe, contrarié par la présence tangible d'Hermione Granger près de lui.

La sorcière surdouée, en tant qu'unique femme de cette tête de cortège, avait bien tenté de se fondre parmi les forces masculines autour d'elle. Une place avait semblé s'offrir à elle, à la droite de Blaise, pièce centrale du quatuor, et juste aux côtés de Ron, son mari situé à la corde droite du chemin. Théodore, quant à lui, s'était immédiatement emparé de celle de gauche. Pourtant, inquiété par sa jalousie envers cet ancien espion si peu fiable à ses yeux, le cadet des Weasley avait silencieusement contrecarré son plan en prenant la place près du fils Zabini, comme un réflexe, la reléguant à la corde droite du chemin de graviers. Le maître-mot était d'afficher un mélange, une mixité entre Serpentards et Gryffondors, Sangs-Purs et sorciers plus modestes, afin de montrer un bel exemple à la foule et de rendre cette cérémonie d'autant plus symbolique. Du point de vue de Ron, qui se tenait au plus près des deux anciens élèves de la maison vert et argent importait peu.

N'ayant pas le cœur à la rébellion, Hermione n'avait pas protesté et s'était laissée faire comme une épouse docile qu'elle n'était pas réellement. En fait, elle tenait trop Théodore en estime pour ne pas respecter sa décision silencieuse. Celle de rester loin d'elle durant cette occasion. Le moment de se parler n'était pas venu et ne viendrait sans doute jamais. Elle l'acceptait. D'ailleurs, ses yeux étaient beaucoup plus embarrassés à chercher Molly et sa petite Rose dans cette foule de malade pour l'observer et son esprit se souciait trop du drôle de schéma qu'avait pris cette marche officielle pour se préoccuper de tout cela. Et puis, à son bras, Ron était suffisamment vigilant pour eux deux. Elle n'avait pas besoin de s'inquiéter du reste pour l'instant.

Bientôt, le quatuor se dispersa à son tour pour se positionner en trois groupes distincts sous le belvédère : Blaise et Hermione au centre, en tant que présidents de cérémonie Théodore et Ron, jouant les cavaliers seuls, à l'opposé l'un de l'autre, en tant que témoins des heureux élus du jour. Ils partagèrent un drôle de regard empli d'animosité : le sang chaud du cadet des Weasley ne lui permettait pas d'affronter calmement cet homme dont il doutait encore tant. Pourtant, un seul sourcil arqué de la part d'Hermione entra dans son champ de vision et le roux daigna joindre les mains devant lui, puis se replaça dans le costume de l'ignorance cordiale et attendit la suite des événements, stoïque.

La musique cessa. L'orchestre se consulta une nouvelle fois avant de se lancer dans une nouvelle partition, toujours aussi légère dans les accords, un peu comme si l'on cherchait davantage à créer une brise naturelle, soufflée par le vent lui-même, à peine froide et bienvenue pour tous, plutôt que de créer un effectif air d'harmonie.

D'un mouvement commun, les têtes se tournèrent de nouveau vers la porte principale du manoir Zabini. Dans son entrebâillement, on pouvait percevoir une partie de l'agitation qui régnait encore au sein de l'immense hall d'entrée, non loin du salon aux fauteuils de cuir noir du rez-de-chaussé. Un tissu satiné de couleur crème, orné de fleurs élégantes et multicolores, quelque peu dissimulé sous une cape noire et fourrée d'hermine écrue tachetée franchit bientôt le seuil avec toute l'élégance caractéristique du rang des épaules qui le portaient.

N'ayant pas perdu leur soin malgré les dernières heures rocambolesques de leur propriétaire, les boucles brunes chocolatées de Pansy dansaient toujours autour de son crâne, montant et descendant sur ses épaules couvertes au rythme de sa marche. Elle émergea finalement de sa propre demeure pour accomplir son devoir d'hôtesse et, à cet instant, la foule fut prise d'une sorte de soulagement perceptible qui la parcourut en un soupir à peine audible. En effet, escortant la jeune mère aux grands yeux bleu-vert et aux narines frémissantes, les traits anguleux et fins de la caste bien connue des Malfoy lançaient enfin le départ de la véritable cérémonie.

À la vue de son ami d'enfance, les joues légèrement roses, probablement en raison d'un mélange d'embarras d'être soudainement devenu le centre du monde en cet instant et de l'influence du froid que l'on ressentait déjà depuis le hall du manoir Zabini, Théodore eut un sourire satisfait. Ses traits respectaient même une certaine douceur, comme l'émotion d'un grand-frère observant les pas enfin assurés de son cadet.

Mais plus encore que ceux-ci, l'ancien espion ne put s'empêcher de remarquer l'exceptionnelle humilité de Pansy et, pour la énième fois de la journée, de la louer pour son contrôle parfait. Tout en escortant le blond le long de l'allée, la brune gardait ses pupilles basses, quelque peu dirigées vers le sol, comme si le fait de ne laisser personne percevoir son regard pouvait détourner l'attention de sa personne. Ainsi, elle donnait l'impression d'être descendue de ses talons si féminins qui crissaient pourtant encore contre les graviers du sol. Une expression de plénitude s'était accrochée à son visage pour ne plus la quitter en lui conférant une joie sincère et discrète.

Parvenue sous le belvédère illuminé avec l'héritier des Malfoy, elle relâcha doucement ce dernier auprès de son compagnon, maître de cérémonie, avant d'aller retrouver sa place en recul. Lorsqu'elle parvint aux côtés du fils Nott, ce dernier la salua galamment comme l'auraient voulu d'anciennes coutumes d'une autre époque. Bien que pouffant de rire devant son idiotie, la brune secoua la tête en semblant la lui reprocher tout à la fois. Puis, relevant les yeux vers l'héritier des Malfoy, une rougeur colora ses pommettes : délivré d'une majorité de son stress, le blond avait imité son abruti de meilleur ami et réalisé une superbe courbette parfaitement ridicule pour la remercier d'avoir si bien joué son rôle d'escorte. Cette fois, Pansy rentra dans leur jeu et fit mine de se gorger de fierté. Sa poitrine généreuse ressortit et son échine se redressa sensiblement. Elle était à nouveau grande et accablait Théodore de sa classe impériale et impérieuse.

Au lieu de s'en offusquer, ce dernier laissa même échapper un rire qui, sans même qu'il ne l'ait cherché, lui fit rencontrer le regard d'Hermione, de l'autre côté du belvédère. Un instant, son souffle se bloqua dans sa trachée et un trouble s'installa de manière apparemment durable en lui. Finalement, le rire reprit le dessus. La bonne humeur était contagieuse et même Ron finit par se fendre d'un sourire amusé. Enfin, Drago se retourna vers le chemin de gravier toujours désert, tentant de faire reculer la nouvelle vague de nervosité qui s'emparait de lui devant ce spectacle irréaliste. Un mouvement agité derrière les vitres du grand hall du manoir Zabini lui fit étrangement ravaler sa salive.


À l'exception des feux des diverses cheminées éparpillées dans cet immense rez-de-chaussé sans cloisons de séparation, aucune lueur ne se reflétait sur les marbres et les parquets du salon d'attente des invités et également ancien lieu de détente des Princes de Serpentard. La porte d'entrée, non loin, était si lourde et épaisse que rien ne filtrait à travers elle hormis le bourdonnement indistinct d'une foule toute proche, à portée de main. Quant à la lueur du jour, malgré ses superbes augures de ciel dégagé, bleu pastel et fraîchement ensoleillé, l'astre semblait bien trop haut dans les cieux pour pouvoir influer correctement sur la terre du commun des mortels. Ainsi, une drôle d'ambiance régnait dans l'antichambre de la cérémonie du jour, se déroulant au manoir Zabini. On ne pouvait pas réellement parler de pénombre pas plus que de jour plein et franc. Il s'agissait d'une impression à mi-chemin, d'une sensation intimiste fébrile susceptible d'être brisée à tout instant.

Soulagé tout comme étouffé de se retrouver en dernier dans cet endroit où la pression grandissante s'installait, Harry attrapait discrètement la poignée de l'entrée et, à travers le minuscule rai mis à la disposition de ses pupilles vertes, observait le déroulement des événements en trépignant d'angoisse et d'impatience sur son carreau de marbre. Pour l'heure, son fiancé remontait au bras de Pansy l'allée principale écrasée par le monde.

- Il y a vraiment beaucoup de monde...

- Chaque personne ici est quelqu'un que vous avez invité, Drago et toi, releva une voix derrière lui sur un ton un peu moqueur.

- Je sais. C'est juste que... La pile d'invitations ne paraissait pas aussi imposante que ça à la maison...

- Il est certain qu'un être humain sera toujours plus épais qu'une feuille de papier.

- Peut-être pas. Si on empile les feuilles les unes sur les autres...

- Harry...

Relâchant le battant, le sorcier légendaire fit volte-face. Il soupira devant l'air profondément amusé de son escorte de dernière minute : une satanée sorcière rousse aux yeux couleur olive, parfaitement splendide dans sa robe de cocktail, taillée dans cette couleur pourpre foncée assombrie sous un voile de tulle noire transparente, qu'elle seule pouvait porter sans paraître tout à fait gamine, ridicule ou surfaite. À la surface du vêtement, des perles noires captaient, ironiquement, le peu de lumière de l'endroit et s'en servaient pour luire sur jupon et gorge. Même son tour-de-cou en dentelle noire, digne d'une mauvaise revue vampirique, semblait servir les rousseurs de son visage de femme déterminée. Là où ses lèvres rouges auraient juré avec beaucoup de teints, le sien lui permettait d'arborer la couleur vermeille sans faire tache ni vulgaire. Le seul reproche qu'on aurait pu adresser à sa présence vive sur les traits charnus était l'impact plus puissant qu'elle donnait à ses rictus moqueurs et absolument pas dupes.

Un peu dépassé par la présence inopinée à ses côtés de Ginny et rendu incroyablement nervosité par la vague d'angoisse qui dispensait des signaux de détresse dans chaque extrémité de son être, le sorcier légendaire claqua de la langue contre son palais. Une barre d'agacement se dessina entre ses sourcils.

- Rappelle-moi pourquoi j'ai accepté que tu sois mon escorte, déjà ?

Un éclat furtif traversa les pupilles de la jeune femme. Pour quelqu'un qui ne l'aurait pas connue, ce voile éphémère n'aurait représenté aucune sorte d'importance. Mais voilà, Harry n'était pas de ces gens communs qui n'avaient pas côtoyé Ginny suffisamment longtemps pour ne pas aussitôt se sermonner de cette parole inconsidérée. Pourtant, le sourire n'avait pas quitté le visage de la rousse, la rendant encore un peu plus difficile à cerner qu'auparavant. Elle avait progressé en matière de dissimulation. La benjamine des Weasley le trompait encore mieux depuis quelques temps. Il passait de sales quart d'heures à débattre sur la personnalité aux rênes de cet apparat de cérémonie face à lui.

Mal à l'aise et incapable de trouver les mots justes pour justifier ses dernières paroles, le survivant se gratta l'arête du nez.

- Excuse-moi. Je suis juste un peu nerveux.

- On le serait à moins. Même si, au fond, je n'ai pas la moindre idée de ce que ça fait.

Un instant, Harry songea à formuler un souhait à voix haute, histoire que la jeune femme ne le prenne pas pour plus buffle qu'il ne l'était réellement. Il aurait voulu lui dire qu'il espérait sincèrement, ou plutôt qu'il savait, qu'un jour, elle aussi aurait l'occasion de connaître ce drôle de sentiment d'euphorie abrutissante qui n'avait rien de réjouissant mais tout d'enivrant. Pour un peu, le survivant aurait presque préféré demeurer sous les draps avec Drago et s'unir à lui de toutes les manières possibles et imaginables avec lui, sans avoir à supporter en plus la présence d'une foule aussi immense et le ridicule d'une cérémonie tirée à quatre épingles qui ne ferait pas plus leur sérénité que leur amour l'un pour l'autre. Tout cela était inné ou désespéré, mais certainement pas proportionnel à la grandeur et le luxe d'une cérémonie.

Sa conscience, éternelle insatisfaite, le nia rapidement : « Tu l'aurais regretté. Tu aurais déploré de ne pas faire les choses dans les formes. Et puis, Drago a beau ne plus faire partie du monde des Sangs-Purs à proprement parler, il n'aurait probablement pas accepté de se marier dans une telle discrétion quasi anonyme, cela revenait presque à de la clandestinité. » Déjà qu'ils s'étaient entendus sur le fait d'inviter les proches, famille et amis, et rien d'autre. Quand on voyait le résultat, il était plus que permis de douter. Quoique Harry fut totalement convaincu de son entière et unique responsabilité sur ce coup... Peut-être qu'en fin de compte, Drago aurait apprécié un comité minuscule voire inexistant... Il ne savait plus que penser avec cette nervosité incommensurable coulant au cœur de ses veines ! Il était grand temps que tout cela cesse !

De nouveau tenté par sa fascination malsaine, le brun ténébreux écarta à nouveau le battant. Son cœur eut un raté lorsque Harry remarqua que, désormais, le cortège était totalement installé sous le toit en rotonde du belvédère. On n'attendait plus que lui pour commencer. Drago laissait paraître de son stress ce qui se résumait à quelques œillades inquisitrices en direction de cette même porte que lui-même soutenait fébrilement à bout de bras. Croyant croiser le regard argenté et implacable de son fiancé, le survivant se recula brusquement en soufflant lourdement.

- J'en déduis que c'est à nous, déclara Ginny.

Harry acquiesça en se mordant la lèvre inférieure. Il soupira tandis qu'un sourire lui montait. Le ridicule le faisait se sentir si stupide !

- Je suis pitoyable.

- Tu es un futur jeune marié, répondit la rousse comme s'il s'agissait d'une relation naturelle de cause à effet.

- Et ça ne te fait rien toi ? s'étonna le survivant.

Un léger frémissement agrandit les pupilles de la benjamine des Weasley mais aucune émotion autre que la question sincère ne parcourut ses traits.

- Harry, si c'est ce que tu me demandes... Je n'ai pas l'intention de m'opposer à ton mariage.

- Non, je ne... Je sais bien que tu ne ferais jamais ça... Je voulais vraiment que tu sois là aujourd'hui, tu sais. Mais je ne pensais pas que tu viendrais vraiment. Et encore moins que tu prendrais la place d'Hermione pour m'escorter jusque là-bas...

- Je peux aller la chercher si c'est ce qui te trouble autant, releva gentiment Ginny en se dirigeant d'emblée vers la porte.

- Non ! s'interposa le survivant. Ce n'est pas ce que je veux dire...

- Harry, l'interrompit la jeune femme. J'ai compris. Il me semble qu'on en a déjà discuté d'ailleurs. Alors, pour la dernière fois, cesse un peu de te sentir coupable. Mon bonheur ne dépend pas de toi. Plus maintenant. Ça peut paraître parfaitement cliché et même un peu féministe de pacotille, mais je n'ai pas besoin de toi ou de qui que ce soit pour me sentir bien dans ma peau. Ce qui importe c'est ce dont toi tu as besoin. Et très franchement, aujourd'hui n'est pas le moment pour te soucier de moi. Pas quand Drago et ton bonheur t'attendent là-bas. Arrête de constamment t'excuser pour les avoir trouvés, tous les deux.

Le sorcier légendaire secoua la tête, non sans un léger sourire sincère mais pas moins dissimulé. Il se détourna légèrement de son escorte et fit quelques pas sur son éternel carreau de marbre, passant de multiples mains dans sa tignasse que la cire avait à peine aplatie et rendue plutôt luisante.

- Si au moins j'arrivais à comprendre ce qui te pousse à prendre la place d'Hermione...

- Parce que j'en ai envie.

- Il y a forcément plus.

- Ce n'est pas une raison suffisante pour toi ? sourit Ginny.

La rousse s'approcha de lui et posa ses mains contre l'un de ses bras.

- Harry, tu es mon ami. J'étais bien plus triste il y a quelques années quand je ne reconnaissais même plus le Harry que j'avais connu sur le quai 9 ¾. Celui qui faisait tout pour désobéir aux règlements à Gryffondors. Celui qui, à la limite, ne connaissait pas Tu-Sais-Qui. Celui qui n'avait pas connu la guerre...

- Celui qui t'aimait, la coupa le survivant.

Ginny déglutit difficilement, tentant de continuer à arborer son visage confiant.

- Notre séparation n'a pas été facile, mais... C'est le lot de tout le monde, Harry. Aucune séparation n'est facile. Tu n'es pas redevenu tout à fait toi-même, tu as un peu changé et je ne vais pas te mentir : ce n'est pas forcément plaisant pour moi 24h/24 de t'imaginer avec Malfoy.

- Pourquoi irais-tu jusqu'à m'imaginer avec lui ? s'interloqua Harry.

- Mais c'est comme ça que ça fonctionne, maintenant, l'ignora la rousse en rougissant doucement. Et, par pitié, ne m'oblige pas à te faire un discours moralisateur le jour de ton mariage !

- Mais...

- Harry James Potter, si tu ne remontes pas cette allée, je t'y emmène par la peau des fesses ! J'ai cru comprendre que tu avais expliqué à mon frère, il y a deux Noëls de ça, que tu avais eu le temps d'établir un lien privilégié avec cette partie de ton corps et la peau qui la recouvre...

Les épaules du lion de Gryffondor commencèrent à s'agiter en un rire silencieux. Sans se laisser démonter, la jeune femme poursuivit.

- Alors... Ne m'oblige pas à te l'arracher !

- Parfait ! Parfait ! Si tu es sûre de toi ! Je vais...

- Avance !

Levant les mains en signe d'innocence, Harry recula un peu trop rapidement devant la détermination de son ancienne compagne, le poussant dehors, et il se jeta dans l'allée de graviers. La foule s'écarta prestement et certains invités ne retinrent pas les gloussements sournois qui les firent caqueter à cette vue comique. Même Ginny passa un doigt élégant sous son nez, masquant la grimace amusée accentuée par le rouge à lèvres couleur carmin.

Fronçant les sourcils, Drago manqua de peu de s'administrer une claque de lassitude contre le visage. La honte menaça dangereusement de le submerger. Pourquoi lui, par Merlin ? Soudain, un coup de coude dans ses côtes lui fit tourner la tête vers Blaise.

- Il n'est pas encore trop tard, tu sais. Tu peux encore t'éviter l'affront de te marier avec ce truc.

- Blaise, grogna Pansy.

- Quoi ?! Je plaisante !

- On ne plaisante pas avec un gars qui a un historique comme le sien en délit de fuite, le rabroua la brune.

- Si on ne peut plus rigoler...

Drago avait brièvement considéré ses amis d'un air faussement agacé avant de revenir à la remontée de l'allée par son fiancé et, cette fois, de perdre le masque pour réellement afficher un air agacé. Bras-dessus bras-dessous avec la fille Weasley, celle-ci semblait lui murmurer des choses à l'oreille. Des choses qui ne laissaient pas le sorcier légendaire indifférent... Ni même son fiancé, le visage froid et fermé de jalousie brûlante.

Aveugle à ce qu'elle provoquait sous le belvédère qui semblait se situer à des kilomètres de là, Ginny se penchait toujours vers son ancien compagnon et murmura de belles paroles à son oreille.

- Si ça peut te rassurer, je suis heureuse d'être là. Regarde, tout le monde s'intéresse à moi !

- Normal : ils sont tous aussi choqués que moi, la rectifia Harry.

- Il faut toujours un peu d'animation dans un mariage !

- Pour ça, je comptais plutôt sur tes frères au moment du repas.

- Oh ! Mais, rassure-toi tu n'y échapperas pas non plus !

Un grognement rieur échappa au survivant. Il jeta un regard suppliant à son ancienne compagne qui haussa les épaules.

- Je ne peux rien y changer, désolée. Sincèrement.

- On se souviendra au moins d'eux dans l'histoire du grand Harry Potter, plaisanta le sorcier légendaire. De toi aussi, mais dans une autre mesure.

- Je ne fais pas ça pour ça et tu le sais.

- Non, pas vraiment en fait.

Ginny soupira. Elle leva les yeux au ciel vers lequel ils se bloquèrent pendant un instant relativement long avant qu'elle ne s'avoue vaincue et ne lui glisse enfin ses raisons à l'oreille.

- Harry, tu sembles toujours oublier que, nous deux, ça va dans les deux sens. Si tu es encore capable de me soutenir aujourd'hui, moi aussi. Pour tout te dire, quand Pansy m'a expliqué ce qui se passait avec Drago, j'ai eu sincèrement peur, Harry. Les autres ne m'ont rien expliqué. J'ai été laissée en dehors de l'espèce de comité de soutien qui se formait... Je n'ai pas trouvé ça juste. Et, même quand aucun plan n'a été changé en fin de compte, je me suis bêtement dit que... J'étais mieux placée qu'Hermione pour t'aider à aller jusqu'au bout.

- Tu sais comment je fonctionne, sourit Harry.

- On ne se refait pas.

- Pour toi, il ne vaut mieux pas. Tu gâcherais beaucoup de choses.

La benjamine des Weasley lui sourit et, après deux autres pas, s'arrêta. Elle ancra son regard olive embué d'émotion dans le sien et le salua.

- Merci.

Soudainement, Harry réalisa qu'ils étaient arrivés au pied des marches menant au belvédère. Le regard de Drago sur lui se faisait particulièrement insistant. Son escorte impromptue relâcha son bras pour pouvoir monter les marches à son aise jusqu'à son poste de « demoiselle d'honneur ». Il la suivit et se retrouva à sa propre place, devant son fiancé incertain, ses amis témoins et maîtres de cérémonie et sous les milliards d'yeux de la foule. Néanmoins, avant d'aller se placer près de son frère, la jeune femme rousse se pencha à son oreille et lui glissa un dernier mot, histoire d'afficher un sourire de liesse sur ses traits tendus de nervosité.

- Et, la prochaine fois, vérifie bien la taille de la pile d'invitations.

Le survivant pouffa de rire en la remerciant et la laissa s'éloigner. Ses pupilles vert forêt se plongèrent dans celles de Drago et, d'un signe, interrompant Blaise qui commençait à annoncer inutilement les raisons de leur présence en ce jour spécial, le fit se rapprocher.

- Ginny me disait qu'on avait invité beaucoup trop de monde, chuchota-t-il. Et qu'il faudrait veiller à ce que ça ne se reproduise pas.

La contagion était décidément inévitable sous la rotonde du belvédère. Un rire discret agita les épaules de Drago qui plaça tout son poids sur un pied, pour se pencher sur le côté, et acquiesça en direction de la jeune femme rousse. À la manière de Pansy, Ginny se redressa, fière d'elle-même et de la réussite de sa manigance gentillette. Les deux hommes avaient le sourire désormais. Ne restait plus qu'à les marier.

À ce propos, Blaise avait repris son discours un peu pompeux et longuet, mais s'obligea, tiraillé par son impatience et son estomac, à le raccourcir.

- Pour nous tous, aujourd'hui est spécial car on n'y célèbre pas seulement l'amour mais également les liens rares qui unissent les sorciers au-delà de leurs castes sociales et, surtout, pour ceux qui sont allés à Poudlard, au-delà de la rivalité Gryffondor Serpentard.

Un rire parcourut la foule.

- Même si, entre nous, nous savons tous que les Serpentard sont les meilleurs, ajouta Blaise en aparté.

Le gloussement se propagea aux membres triés sur le volet présents sous le belvédère. Drago, secoué par l'amusement plus que légèrement teinté de nervosité, se tourna vers lui et l'incita à continuer d'un regard, pressé d'en finir. Hermione vint à son secours. Elle se balança doucement sur ses hauts talons : c'était à son tour d'entrer en scène et la née moldue se mettait en mouvement. Quelques minces carrés de parchemin tremblaient entre ses mains fines, manucurées, transies de froid et d'émotion. Elle jaugea les deux sorciers légendaires tour à tour. Sa voix s'infléchit en abordant le prénom de son meilleur ami d'enfance, bouleversée par l'événement.

- Drago. Harry. Vous ne vouliez pas d'une cérémonie tape-à-l'œil ni trop originale. Malgré tout, avec cette seule motivation de rester vous-mêmes, vous avez réussi à faire de ce moment quelque chose d'unique. Je veux dire...

Elle écarta les bras, écartant les pans de sa robe de sorcière en une large envergure qui lui donnait une drôle d'allure, et engloba d'un geste tout ce qui les entourait.

- Regardez ce lieu. Vous l'avez choisi. Vous ne le vouliez sans aucune fioriture. Et quand bien même tout le monde restait sceptique : un mariage, à l'extérieur, en Janvier ? mima-t-elle. Vous avez tenu bon. Aujourd'hui, il fait un peu froid, certes, mais je comprends maintenant pourquoi ça n'a pas d'importance. Ce qui compte, c'est que tout soit à votre image. Aussi, pour respecter votre souhait pour aujourd'hui, j'ai tenu à rester sobre : je m'arrête ici et vous laisse échanger vos vœux. Harry ?

Réalisant soudainement qu'on s'adressait à lui, le survivant s'éclaircit la gorge. Il s'humecta les lèvres puis se tourna vers Drago. Après un moment de silence, ce dernier sourit. L'héritier des Malfoy sut exactement ce qui allait suivre en l'espace d'un instant, comme s'il avait déjà vécu ce moment auparavant. À y repenser, c'était en quelque sorte le cas. Comme il s'y attendait, Harry revint vers Hermione sans avoir prononcé le moindre mot. Son regard sur lui avait été intense, révélateur de sa profonde lutte intérieure avec un esprit qui ne lui donnait rien à dire.

- Je n'ai pas de vœux à adresser à Drago. Il sait déjà tout ce qu'il a à savoir de ma part.

Avec un sourire empli d'humilité et de joie, Hermione acquiesça et se tourna vers l'autre homme de la journée.

- Drago ?

La jeune femme renouvela son hochement de tête avec amusement en voyant un drôle de fou-rire s'emparer du Prince des Serpentards. Elle rangea ses feuilles dans une des poches de sa cape sorcière. Après s'être repris, le blond plongea son regard argenté plein de malice dans celui de son fiancé.

- Je n'ai rien à ajouter non plus. Harry sait aussi tout ce qu'i savoir.

- Bien, commenta Blaise un peu pris au dépourvu. Dans ce cas... On va passer à l'échange des alliances ?

- Oui, accepta Hermione.

Sans plus de préambule, le maître des lieux entama la dernière phase de la cérémonie.

- Drago, acceptes-tu de...

- Oui.

- Tu aurais pu me laisser finir, mais... D'accord.

- Harry, reprit Hermione. Acceptes-tu de...

Elle s'arrêta et le regarda par « en-dessous », inquisitrice. Le survivant l'observa avec curiosité. Elle faillit éclater de rire devant son air perdu et, pour être honnête, quelque peu frustré. Comprenant les raisons de cette interruption, Drago se pencha vers son presque mari.

- Elle pensait que tu allais la couper, lui murmura-t-il à l'oreille.

Après un rire, Harry se recula presque difficilement de son presque-mari et sourit à la jeune femme.

- Continue Hermione. Ça ne serait pas un vrai mariage si cette phrase n'avait pas été prononcée au moins une fois en entier.

- Bien.

- Mais fait vite quand même, précisa-t-il.

- Harry, acceptes-tu de prendre Drago, ici présent, pour légitime époux ?

- Je m'y engage.

Hermione sourit et, posant une main amicale sur l'épaule de Blaise, elle lui fit don de sa dernière réplique d'hôtesse de cérémonie.

- Par les pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous déclarons donc unis par les liens du mariage !

Cédant enfin aux avances du survivant qui avait déjà ses mains bien placées sur sa taille, Drago laissa ses lèvres capturer les siennes. Le baiser avait un goût délicieux, celui de l'amour inconditionnel et de l'acceptation pure. Mais l'éclat dans les yeux d'Harry était encore plus beau et le blond comprit que son émotion émanait, en réalité, de la lueur qu'il percevait dans les siens, ces lacs inertes et gris qui daignaient, pour une fois, se parer d'autres nuances précieuses.

Sous la pluie d'étincelles dorées retombant de la marée de baguettes levées en leur honneur, les jeunes mariés reprirent l'allée en sens inverse, cette fois, invitant les pieds impatients la bordant à les suivre sans attendre jusqu'à la salle des banquets et au dit banquet qui allait désormais suivre.


Par-dessus une rumeur de conversations bourdonnantes, de rires tonitruants, de cris ou pleurs d'enfants en pleine session de jeu loin des adultes dont les grandes manières avaient fini par les lasser, de tintements de verre de toast portés autour d'une unique table ou de plusieurs, et de raclements de couverts sur les assiettes presque vides, un air de musique finissait de conférer son animation à la salle. En cette fin de repas, quelques couples battaient la mesure sur la piste de danse relativement bien fréquentée. L'heure des toasts était déjà passée et on pouvait dire qu'elle avait été bien remplie, notamment grâce aux multiples interventions de la famille Weasley dont celle de Molly et Arthur qui tenaient absolument à accueillir officiellement et chaleureusement Drago dans leur famille déjà très nombreuse. Harry en avait retiré une vive émotion qui l'avait fait se lever de table pour aller les embrasser de bon cœur, Drago sur les talons bien qu'hésitant, franchement troublé par cette sensation de se sentir, enfin, à sa place quelque part.

Pour l'heure, certains somnolaient sous l'influence de leur digestion post-festin tandis que d'autres individus commençaient déjà à éliminer les excès en s'agitant sur la mélodie que donnait l'orchestre avec implication. Un dernier type de convive, quant à lui, demeurait rare : des pensifs n'ayant pas le besoin de dormir ni l'envie d'aller danser et risquer de briser la nappe de complicité flottant par là-bas et qui commençait à décourager les moins braves des danseurs qui la côtoyaient. Rassemblés à la table d'honneur, les Serpentards et Gryffondors profitaient autant qu'ils s'accablaient du départ des deux sorciers du jour pour l'ouverture du bal après laquelle ils n'étaient jamais revenus. Conversant discrètement les uns avec les autres, leurs regards jaugeaient régulièrement la même scène : celle d'Harry et de Drago se chahutant comme des gamins sur la piste de danse où ils se fondaient en gestes complices et tendres. La catastrophe avait été évitée de justesse. Et, au fond, maintenant que le pire était derrière eux, chacun se posait la même et éternelle question : que s'était-il exactement passé entre ces deux-là ? Pour la énième fois, tous avaient mis leurs hypothèses sur la table pour y faire le tri avant de renoncer. Après tout, le couple légendaire avait l'air heureux et c'était tout ce qui comptait. Le reste ne regardait qu'Harry et Drago.

Effectivement, loin des considérations un peu trop fouineuses de leurs pairs, Harry et Drago se livraient à une sorte de slow, à des milliers de kilomètres de la réalité et du tempo effectif de la musique, profitant juste de la proximité l'un de l'autre. Malgré leurs retrouvailles physiques plus tôt, rien de tout cela ne semblait avoir compté. Leurs mains se glissaient discrètement dans les espaces vides laissés par les boutons un peu lâches de leurs chemises après avoir longtemps prodigué leurs caresses par-dessus les tissus. Les pans de leurs vestes en jersey noir, déboutonnées et grandes ouvertes, permettaient le processus en le cachant des yeux inquisiteurs de la masse. De temps à autre, joueur, l'un des jeunes mariés se penchait vers l'autre pour lui murmurer quelques mots à l'oreille, provoquant rires et nouveaux échanges connus et compris d'eux seuls.

Néanmoins, Harry Potter ne manquait jamais à son nom ni à sa légendaire habitude d'attirer les ennuis à lui. Sa destinée fit donc bien des siennes. Dans la maladresse de leur bonheur, un faux-pas lui fit écraser le pied de son mari. Ce dernier grogna en le jaugeant sévèrement. Le survivant se justifia automatiquement non sans esquisser un début de rire.

- Eh ! Je t'avais prévenu : je suis un piètre danseur !

- Alors j'imagine que le fait que tes pieds n'atterrissent sur les miens que maintenant est une sorte de miracle étant donné le nombre de danses que toi et moi avons partagé dans le monde moldu... À moins que tu ne me fasses un mauvais plan, là, tout de suite. Mais, préviens-moi si je dois investir dans des chaussures blindées...

- D'accord ! Les danses en couple n'ont jamais été mon truc, précisa Harry. Il n'y a qu'à voir : je suis sûr que Parvati se souvient encore du bal de Noël de la quatrième année. Dans le monde moldu c'était différent... J'étais seul...

- Tu m'as eu moi un bon nombre de fois, releva Drago.

Légèrement déstabilisé par la remarque tacitement acerbe de son désormais mari, le survivant se contenta de fixer ce dernier d'un air un peu perdu. Pendant un instant, le seul mouvement qui anima le couple fut un balancement ralenti ayant perdu son empreinte innocente et qui se désynchronisait progressivement de l'harmonie de la musique de l'orchestre. Leurs pieds ne quittaient plus le sol et seules leurs jambes assuraient le reste de leur étrange dynamique. Les accords idylliques du philharmonique sorcier s'immiscèrent entre eux et suspendirent le temps un court instant. Un sourire narquois s'afficha sur le visage de l'héritier des Malfoy réactiva l'écoulement normal de la durée et un rictus mauvais prit place sur les traits de l'élu, en réponse.

- Tu me fais marcher, réalisa ce dernier.

- Pour la forme, et vu que c'est notre mariage, je vais faire semblant d'accepter tes lamentables justifications et t'accorder que, bien souvent, le monde moldu nous fait voir les choses différemment. Soyons réalistes, c'est grâce à notre passage parmi les non magiques qu'on en est là aujourd'hui, toi et moi. Et oui : je te fais marcher.

En un souffle rieur, Harry baissa la tête pour inspecter le chemin que prenaient ses pieds, s'assurant qu'ils ne chevauchaient pas ceux de Drago, puis, il reporta son attention sur le blond toujours souriant.

- C'est vrai que le monde moldu a changé beaucoup de choses. Il peut encore le faire d'ailleurs.

- Que veux-tu dire ? s'interloqua l'héritier des Malfoy.

- Je veux dire qu'il me semble qu'on n'a pas terminé notre conversation tout à l'heure et qu'il serait peut-être temps de le faire. Histoire que ça ne nous embête plus.

- Quel est le rapport ? tiqua Drago.

Qu'est-ce que le sujet de leur descendance avait à voir avec l'évocation du monde moldu et de tout ce que celui-ci avait provoqué dans leurs vies grâce à sa magie à part entière ? Cela le dépassait, comme une poignée de choses le faisaient en ce jour si spécial et auxquelles il devrait s'attaquer une fois la cérémonie passée, à l'image du problème évident posé par le fait de fonder une famille. Pourtant, malgré sa confusion, sa grande confiance en Harry le laissa se convaincre de l'intention cachée par ce dernier derrière cette relation incongrue qu'il suggérait entre le monde moldu et ces enfants hypothétiques. Après tout, le survivant n'avait-il pas autant de chance, si ce n'était plus, de connaître le monde moldu mieux que lui qui y avait vécu tel un ermite solitaire et antisocial sur une île déserte pendant quelques années ? Contrairement à ce que l'on aurait pu penser à cette réflexion, la curiosité ne taraudait pas le blond tant que cela, seulement le poids des mois passés à garder son lourd secret sous scellé était devenu, en l'espace d'une révélation bien orchestrée, inenvisageable en comparaison de la libération quasi euphorique qu'il éprouvait à pouvoir enfin parler librement à son homme. Alors si cela voulait dire discuter de leurs futurs hypothétiques enfants au milieu de la foule de leur mariage, qu'il en soit ainsi ! Pourtant, son hypersensibilité le força à faire remarquer un point primordial à son nouveau mari.

- Tu trouves que c'est le bon moment pour parler de... ça ?

- Eh bien... Personne ne nous écoute, déclara Harry. Entre le brouhaha et la musique, de toute façon, on ne peut pas nous entendre. On peut discuter tranquillement. Enfin, si ça ne te dérange pas de parler de ça le jour de notre mariage...

- Disons que... L'endroit ne me semble pas non plus très approprié pour ce genre de conversation, le coupa Drago.

Après un moment d'immobilisme, Harry jaugea l'ensemble de la salle des banquets à la recherche d'yeux curieux braqués sur eux. Il ne sut jamais si cela avait été de la chance ou une simple coïncidence mais, à cet instant précis, le reste du monde contenu dans cette salle semblait les avoir oubliés, eux qui étaient habituellement le centre inéluctable de ce même monde.

Le brun ténébreux ralentit progressivement le balancement de leur enlacement dansant et relâcha doucement la taille de son désormais mari en lui adressant un regard complice que lui seul était capable de reconnaître. L'intérêt n'était plus sur eux, il ne fallait pas l'appâter à nouveau. Aussi, avec la même délicatesse, le sorcier de Gryffondor attrapa le poignet pâle de l'héritier des Malfoy en lui murmurant une invite à l'oreille : « Viens ». Profitant toujours de l'ignorance que l'assemblée leur démontrait, Harry le tira par le bras pour les mener, tous deux, vers l'une des deux immenses portes qui s'affrontaient de chaque côté de la salle des banquets, celle qui menait aux jardins privatifs de la demeure Zabini et que quelques grandes tentures cachaient doucement. Un peu plus tôt, Drago l'avait emprunté aux côtés de Pansy et de Théodore.

Posté devant l'issue condamnée aux convives, un employé de la maisonnée aristocratique veillait au grain. En voyant les jeunes mariés s'approcher de lui, il haussa un sourcil. Le brun ténébreux posa une main cordiale sur son épaule, faisant mine de le saluer, et en profita pour lui toucher quelques mots. Après un hochement de tête entendu du gardien, celui-ci s'éclipsa rapidement. Harry se retourna vers son désormais époux et lui adressa un sourire confiant. L'employé revint bientôt d'un pas leste et particulièrement discret, laissant à peine à voir les deux pardessus noirs qu'il tendit subtilement aux deux hommes : leurs manteaux. Du sien, le survivant fit apparaître quelques gallions d'or brillant comme s'il avait prédit que cet exact moment se produirait, et les glissa dans la manche du gardien. Puis, accompagné du sorcier blond, l'élu se faufila dans l'entrebâillement de l'immense porte menant au large couloir isolé.

L'immense porte de vieux bois qu'ils franchirent ensemble paraissait presque poreuse, du genre des vieilles installations qui laissaient passer le sifflet de l'air entre les interstices des carreaux de verre. Pourtant, lorsqu'elle se referma derrière eux, ce fut comme si le monde était devenu aphone et eux sourds. Le calme olympien des couloirs désertiques anéantissait la musique de l'orchestre. Les grandes allées de marbre brillant prenaient alors des allures de trou noir annihilant, incroyablement froides dans leur blancheur striée de vagues grises à peine visibles. En fait, la fraîcheur des lieux semblait presque émaner de la pierre riche et pourtant si peu appréciable en ce soir d'hiver. Les larges fleuves orangés déversés en torrents par le soleil rasant rejoignant ses quartiers de nuit littéralement situés à l'autre bout de la Terre, à travers les vitres du corridor interminable ne brûlaient que la rétine et certainement pas les peaux. D'ailleurs, à l'exception de quelques lueurs en provenance de la salle des banquets, tamisées par les tentures de l'autre côté de la porte, l'endroit était plongé dans une obscurité paradoxale qui noircissait tout grâce au rayonnement sombre du coucher de soleil.

Par réflexe et sans qu'il puisse l'expliquer, Drago chercha à distinguer les traits du survivant dans cette atmosphère cramoisie qui l'oppressait plus que de raison. Il avait beau craindre l'obscurité profonde, le blond ne s'en sentait pas moins soulagé dans ce tunnel de lumière surexposé dans lequel le visage de son homme lui demeurait invisible. Il frissonna. L'inutilité criante de son manteau, toujours posé sur son bras, l'agressait soudainement. La paume chaude et inhabituellement douce d'Harry enserra un peu plus ses phalanges graciles. Son sang ne fit qu'un tour, nerveux et violent d'anticipation, le réchauffant en une pulsion. Le lion de Gryffondor, pour sa part, ne semblait pas souffrir du froid ambiant qui régnait là, comme s'il ne l'avait pas remarqué. Mais, par expérience, Drago commençait à savoir qu'un véritable acteur sommeillait sous cette enveloppe de chair irrésistible. Ainsi, Harry progressait toujours vers les jardins du manoir Zabini. Pourtant, une fois à l'extérieur, le survivant ne rejoignit pas le coin parfaitement aménagé où l'herbe se coupait « au carré » autour des bancs de bois et de fer forgé ainsi que des diverses statues de bronze laissées aux fantaisies des intempéries. Sans aucun doute préférait-il ces parties plus « sauvages », si le terme pouvait s'appliquer à un domaine aussi entretenu que celui des Zabini, à la limite des immenses baies vitrées de la salle des banquets où les jardiniers ne se risquaient probablement qu'avec peu d'entrain, craignant d'être surpris dans leur tâche par une arachnide isolée descendant de sa toile pour admirer leurs plantations sans l'apparat inutile de leur présence orgueilleuse. L'héritier des Malfoy ne pouvait que comprendre pourquoi Harry aimait ces endroits un peu atypiques, et là, à veiller à ne pas entrer dans la lumière jaunie qui se dispersait dans le parc depuis les carreaux, ils se trouvaient définitivement dans un endroit atypique. À seulement quelques pas, les conifères particulièrement bien fournis embaumaient l'air de leur senteur musquée et exsudaient une fraîcheur piquante qui rosissait les joues. L'éclairage artificiel issu de l'intérieur de la demeure Zabini éclairait le bas ample de leur robe épineuse d'un voile couleur rouille et leur conférait une impossible apparence automnale. L'ensemble jouait en contraste avec l'éblouissement du soleil couchant, de l'autre côté de la bande d'arbres, et dépouillaient ceux-ci jusqu'à ne plus laisser leur squelette hirsute fait en tronc et en amas de piques.

Attirés par les lueurs synthétiques, quelques moustiques, moucherons et autres bestioles vrombissant dans l'air glacé survolaient les chevelures laquées des deux sorciers légendaires pour aller s'agglutiner près des murs dispersant quelque chaleur et cogner leurs têtes-yeux globuleuses et prismatiques contre le verre sur lequel ils aimaient à rebondir incessamment. Leurs ailes transparentes tentaient de disperser la buée répandue dans l'air glacial par les bouches brûlantes des jeunes mariés.

Un nouveau frisson parcourut l'épiderme de Drago lorsque, dans une inspiration, une salve d'air froid pénétra ses poumons. Il jeta rapidement son manteau sur ses épaules et glissa prestement ses mains dans ses poches. Son corps entier s'agita en tentant de répartir la chaleur sur son épiderme tout en espérant qu'elle finirait par sombrer jusqu'à ses os. En reportant son attention sur son mari, l'héritier des Malfoy se figea l'espace d'un instant. La vision que lui offrait le survivant provenait directement d'un autre monde, un fascinant et psychédélique autre monde. Ses yeux verts accrochés au ciel, Harry tirait tranquillement sur une cigarette moldue encore entière et dont la seule combustion se devinait, pour l'instant, grâce à son extrémité rougissante ranimée par les aspirations du sorcier légendaire. L'odeur âcre n'avait pas encore eu le temps de l'atteindre : le lion de Gryffondor devait tout juste l'avoir allumée. Celui-ci sentant un regard insistant sur sa personne attrapa la barrette blanche entre son majeur et son index et adressa cet air si particulier qui n'avait pourtant rien de particulier à son homme.

- J'en ai d'autres si tu veux.

Sorti de l'hypnose sous laquelle la vision du survivant le maintenait, Drago cligna brièvement des yeux. Mais les allées et venues des paupières sur ses rétines n'atténuaient pas l'image irréelle, elles ne l'entachaient même pas. Le sérieux dans les pupilles de son compagnon, le silence appelant une réponse, la pantomime des convives pomponnés en robes et costards derrière les vitres jaunies et froides... Rien ne bougeait. Tout restait à l'exacte même place. Soulevant un coin de lèvre, l'héritier des Malfoy refusa poliment.

- Non, merci.

- Comme tu veux.

Harry haussa les épaules avant de ramener la barrette moldue à ses lèvres. Ses iris rejoignirent la cime presque invisible des arbres devant eux, ou plutôt au-dessus d'eux, à s'en dessouder les cervicales. Drago ne savait pas ce que le survivant pouvait bien trouver à observer d'aussi magnétique dans ces hauteurs renversantes pour paraître aussi serein, mais quelque chose lui disait que cela relevait de bien plus grand que lui. De bien plus grand qu'eux. Tout comme son petit doigt lui soufflait que la poitrine du brun ne pouvait pas se soulever autant grâce à une simple goulée de fumée. Non, cette foulée était bien plus que de la vapeur goudronnant les poumons : elle était une bouchée volée à la plénitude elle-même.

Seulement voilà, depuis quelques années, le jeune Sang-Pur enrôlé dans des doctrines indiscutables qu'il était avait fait d'un principe primordial de mettre son esprit à l'épreuve des éléments. Suivre aveuglément sa famille et tirer des conclusions hâtives ne lui avait rien apporté de plus qu'un sentiment de superbe gâchis et une dizaine d'années dans la terreur, pratiquer l'inverse ne pouvait pas lui faire plus mal. Ainsi, cette aspiration de vapeur qui lui apparaissait comme une récompense empoisonnée après une longue période d'abstinence pouvait, en réalité, très bien être un moment totalement différent si seulement on se donnait la peine d'y accorder son intérêt un peu plus longtemps que la moyenne. Après tout, ce n'était que l'histoire de leur vie à tous les deux : si quelqu'un avait pris la peine de leur consacrer cette fraction d'attention innocente supplémentaire, leur destin aurait peut-être été différent. Pas forcément meilleur, juste différent. Aussi, en resserrant les coudes contre son corps, Drago renversa la tête à son tour, la secouant doucement pour évacuer les mèches blondes qui se logèrent dans ses cils. Il tenta alors d'ignorer la senteur de cigarette que les souvenirs entre ses tripes appréciaient un peu trop.

La beauté du ciel du soir de leur mariage n'atteignait même pas les premières places de son classement personnel des meilleures parures de celui-ci. Pourtant, les nuées semblèrent immédiatement prendre avantage de son attention, l'envahissant d'une sérénité inexplicable. La nature, même parsemée d'urbanisme, avait ce pouvoir de fascination sur l'homme. Enfant, Drago se souvenait avoir passé une éternité impossible à chiffrer sur le rebord d'une fenêtre du vieux manoir familial, aujourd'hui lugubre et abandonné avec ses carreaux explosés par la végétation. L'été surtout, quand il faisait chaud en fait, toujours le soir, tard, lorsque son père s'enfermait dans sa galerie inavouable des horreurs tandis que sa mère dormait depuis une heure, au moins, assommée par la fatigue déçue et quelques effluves de potion en drogue de Morphée, le blond se souvenait qu'il se glissait hors de son lit et du quelconque grimoire qui avait capté son intérêt pour la soirée. Comme un enfant, il se dressait sur la pointe des pieds, nus, en évitant soigneusement les planches « grincheuses » de son parquet en bois d'acajou pour s'accrocher à ce rebord de fenêtre, tel un acrobate. Là, il entrouvrait légèrement le panneau de verre, craignant de se faire happer par le vide courant le long de la façade grise du manoir. L'air apaisant de la nuit qui rafraîchissait les terres harassées de chaleur durant le jour brillant parvenait alors jusqu'à lui et entourait son cou comme deux bras tendres et séchait la sueur entre les poils quasi invisibles sur sa peau de porcelaine. Et qu'importaient les crampes et les engourdissements de son corps soumis à cette position parfois inconfortable contre le bois dur, rien d'autre que le sommeil n'arrachait Drago de son observation de la nature. Sur son domaine, celle-ci s'étendait à perte de vue. Les bois encerclant la propriété formaient une nappe cotonneuse noire qui ne lui paraissait jamais aussi inoffensive que sous l'éclairage de la lune. Parfois, s'il était assez patient, une nuée de chauve-souris lui faisait l'honneur de quitter son nid pour une partie de chasse ponctuée d'exclamations crissantes. Une vague sombre et trouée s'élevait alors au-dessus des arbres et roulait, roulait et roulait encore jusqu'à se dissoudre au loin. D'autres fois, il s'en fallait de peu pour que l'adolescent naïf ne grimpe jusqu'à la volière pour en libérer la dizaine de chouettes et de hiboux et les entendre, comme leurs congénères affranchis, hululer depuis un bosquet invisible. Merlin savait si son cœur avait été empli d'une joie innocente lorsqu'il avait eu l'occasion de le faire avec la seule chouette hulotte qui était restée sienne avant son retranchement dans le monde moldu.

Ce soir, en imitant Harry, Drago retrouvait en fait une sensation perdue qui le ramenait, pour une fois, à des souvenirs effectivement heureux. Son appartement, à Londres, ne lui permettait plus d'observer la nature avec autant d'aisance : son regard gris se confrontait bien trop frontalement à l'immeuble face au sien, bouchant tout l'horizon à l'exception d'une barre de ciel embrumé de nuages et de particules fines et dans lequel il relevait de l'exploit d'apercevoir plus d'une dizaine de points brillants la nuit tant le halo des réverbères de Londres annihilait tout autour de lui. Dans son vieux manoir aussi, le blond aimait à scruter les constellations, du moins celles qu'il pouvait reconnaître, incapable de se souvenir de la moindre bribe de connaissance tangible de ses cours d'Astronomie à Poudlard. Il lui arrivait de suivre des yeux les étoiles filantes moldues clignotant de blanc et de rouge à toutes les extrémités en déversant derrière elles une traînée de kérosène. Combien d'heures avait-il passées, seul, tout en haut de la tour d'Astronomie durant sa sixième année, à oublier sa malheureuse condition pour quelques heures à regarder le ciel noir d'encre où, pour le coup, même quelques étoiles moldues parvenaient parfois à se frayer un chemin éphémère.

Pour l'heure, aux côtés d'Harry, les étoiles commençaient seulement à être visibles dans le ciel encore un peu trop clair. Le fait de savoir qu'elles étaient toujours là ne bouleversait pas Drago. Aucune d'elles n'avait jamais répondu à ses prières d'adolescent. Plus qu'autre chose, leur vue l'agaçait quelque peu. Comment une chose aussi belle pouvait-elle être aussi inutile ? Les histoires à l'eau de rose étaient bien belles mais elles ne demeuraient que de la gnognotte pour jeune fille en manque. Et plus que tout, ce nuage de vapeur âcre de cigarette qui passait régulièrement devant les points brillants irritait ses nerfs. Son souffle à lui, dans l'air froid, n'allait pas plus loin que le bout de son nez et le faisait paraître franchement ridicule. Non, il ne céderait pas pour si peu. Ce n'était pas si stupide que cela, n'est-ce pas ? Apparemment si...

Soudainement agacé, le blond se tourna brutalement vers son compagnon et se figea à nouveau. Un sourire amusé aux lèvres, Harry lui tendait son paquet, duquel pointait déjà une cigarette, et un briquet. Vaincu, l'héritier des Malfoy les lui arracha presque des mains pour, enfin, céder et s'en griller une à son tour.

- Tais-toi, l'avertit-il.

Un rire narquois, mais discret, anima néanmoins le sorcier légendaire. Drago le fusilla d'un regard qui aurait suffi à embraser sa barrette moldue s'il en avait eu le réel pouvoir.

- Je n'ai rien dit, se défendit le brun.

- Ton rire a dit quelque chose pour toi, rectifia l'héritier des Malfoy d'une articulation entachée par la prise de ses lèvres sur la cigarette blanche.

- Et qu'est-ce que mon rire a dit ? Dis-moi, que je lui fasse la leçon !

Drago pouffa de rire et secoua la tête. Après un court instant, une bulle de fumée émergea soudainement derrière la main qui protégeait son gosier embarrassé de nicotine. Assuré de la bonne combustion de la cigarette, le blond rendit son briquet au survivant en ajoutant :

- Laisse tomber. Je me rends compte que tu me connais par cœur, c'est tout.

- Ce genre de truc ne veut rien dire.

Le prince des Serpentards acquiesça, plus par réflexe que par conviction. Bien sûr, ces détails n'avaient aucune sorte de signification majeure, pourtant seul Harry aurait été capable de les connaître et cela n'échappait pas à Drago. Il se sentait presque minable à cette idée : non seulement il ne renfermait plus aucun mystère pour son désormais mari mais, par-dessus tout, il manquait de ces réflexes qui traduisaient de leur intimité profonde vis-à-vis de celui-ci. Car, seul le survivant savait que l'héritier des Malfoy appréciait le fait de tenir une cigarette entre les doigts, quitte à en jaunir durablement la peau, juste parce que le monde moldu avait imposé cela comme un dictat de la mode, juste parce qu'il avait voulu essayer une fois sans même vouloir tirer dessus ni se charbonner les poumons telle une chaudière d'industrie lourde, juste parce que l'odeur le rassurait encore à certains moments car elle était exclusivement originaire du monde moldu, juste parce qu'il avait fini par flirter avec l'addiction à un point donné, juste parce qu'il avait fini par aimer cela... Ces détails avaient leur importance en fin de compte. Aussi, avec délectation, Drago aspira quelques millimètres de sa barrette moldue en une seule aspiration, leva la tête pour dévoiler sa gorge blanche où roulait une pomme d'Adam proéminente sous la chair, et recracha la fumée à la verticale, à l'image d'un gamin qui aurait voulu jouer à l'évacuation d'une locomotive. Ses paupières recouvrirent ses pupilles et son visage sembla se détendre totalement sous l'effet combiné du calme apaisant de la nature, de la présence d'Harry à côté de lui, et des bienfaits néfastes de cette goulée de drogue dans son organisme privé. Une sorte de rumeur extrêmement lointaine s'éleva de derrière eux : un éclat de rire un peu trop bruyant dans la salle des banquets, juste à côté, mais si loin derrière les vitres. Le blond rouvrit les yeux.

- Tu crois que notre absence va être remarquée ? demanda-t-il.

- Forcément. On est le centre de l'attention aujourd'hui, répondit l'élu.

- Aujourd'hui, seulement ? Tu es sûr de ça ? plaisanta le blond.

- J'essayais d'être optimiste.

- Essaye utopiste plutôt.

Harry ne répondit pas, se contentant de faire chuter la cendre dans l'herbe où elle ferait un engrais discutable.

- À ton avis, ils vont venir nous chercher ? Insista le prince des Serpentards en avalant une nouvelle bouffée.

- Dans une cérémonie normale, avec des gens normaux, ça se ferait. Ici... Avec notre penchant pour la fuite et leur tendance à la paranoïa...

- Je vois le tableau, acquiesça Drago. Mais... Je n'arrive pas à culpabiliser. Honnêtement, je suis mieux ici plutôt qu'à l'intérieur, avec tout ce monde... Le monde me rend malade. La seule chose qui m'inquiète est de savoir quelle excuse on va pouvoir inventer pour que ça passe.

- Fou la pagaille dans tes cheveux, laisse-moi boutonner samedi avec dimanche sur les pressions de ma chemise, ça suffira amplement.

- Et s'ils arrivent jusqu'ici ? Qu'est-ce qu'on plaide ? La pause clope ?

- Exactement.

Écarquillant les yeux, l'héritier des Malfoy interrogea son compagnon du regard. Il n'en croyait pas ses oreilles. Le survivant rit légèrement.

- Quoi ? Ta fierté de Sang-Pur est atteinte ? Parce que laisse-moi te dire que c'est exactement ce à quoi ça ressemble : une pause clope.

- J'en ai eu suffisamment ces dernières années pour ne plus songer à m'en inquiéter.

- Des pauses clopes ?

- J'étais seul dans mon appartement, la fenêtre ouverte pour que Théo ne s'aperçoive de rien. Si je n'avais pas compté ça comme des « pauses clopes », je n'en aurais jamais eu aucune de toute ma vie.

Harry hocha la tête, quelque peu amusé par la fausse audace de son époux. Ce dernier se vexa brièvement.

- Quoi encore ? grogna-t-il.

- Tu vois bien que je ne sais pas tout de toi, sourit le sorcier légendaire.

Drago dissimula à peine sa joie de fanfaron à ces mots. Un rictus mignonnement mesquin souleva le coin de ses lèvres.

- C'est donc la pause clope. Un grand merci aux moldus qui nous offrent l'excuse sur un plateau !

- Les moldus sont les plus grands génies de ce monde : les sorciers n'ont rien inventé d'aussi génial qu'eux, si tu veux mon avis. Je trouve qu'on devrait, nous sorciers, aller plus souvent à la pêche aux idées chez eux, déclara Harry. Les moldus sont pleins de surprises.

- Leur imagination est plus fertile que la nôtre, c'est sûr, confirma Drago. Ironiquement, je pense que c'est parce qu'ils ne peuvent pas claquer des doigts ou donner un coup de baguette pour obtenir ce qu'ils veulent. Ils sont obligés d'innover par eux-mêmes.

- C'est leur magie à eux, acquiesça Harry.

- Tu vois, rien que cette phrase là me certifie que j'ai fait le bon choix. Enfin, si j'en doutais encore...

- Lequel ?

- T'épouser, Harry.

Le brun ténébreux sentit une vague attendrir son expression. Il retint un souffle mi-amusé mi-abusé : Drago le manipulait. Il lui lançait ces petites piques qui n'en étaient pas réellement pour l'agacer et lui faire comprendre que, même marié à la coqueluche du monde sorcier, l'aristocrate au sang millénaire n'en perdait pas sa répartie ni son indépendance pour autant, à la manière de l'adolescent orgueilleux qu'il était encore au fond de lui. Mais son jeu ne dura pas bien longtemps. L'émotion que les deux hommes partagèrent en un regard sembla faire briller ses yeux mercure d'une certaine humidité. Le blond se détourna le premier, gêné, et fit semblant de s'abîmer de nouveau dans l'observation des étoiles.

- C'est ironique quand on y pense : une magie a failli me tuer alors qu'elle est censée tout accomplir, et une autre m'a sauvé alors que personne n'est capable de reconnaître son existence. Pas même les moldus.

Les sourcils du survivant se haussèrent en signe d'affirmation.

- J'ai été un de ces moldus pendant un temps et ce n'est qu'après la guerre que j'ai compris toute cette richesse, avoua Harry.

- Ça m'a sauvé la mise un nombre incalculable de fois, poursuivit Drago.

- Ça peut encore être le cas.

Interloqué par le commentaire du survivant, l'héritier des Malfoy reporta son attention sur lui. Il n'y avait aucune once de plaisanterie. Au contraire, une attitude parfaitement sereine et même nourrie d'une pointe de bienveillance soutenait la charpente du brun ténébreux.

- Que veux-tu dire ? interrogea le prince des Serpentards.

- Je veux dire qu'on peut reprendre notre conversation sur ce qui t'inquiétait. Et, dans ce cas, les moldus nous seront encore d'une grande aide. Mais... Seulement si tu en as envie, bien sûr.

- Harry, je ne t'ai pas parlé de ça pour te décevoir par la suite...

- Quand je dis « si tu en as envie », je parle d'aborder le sujet maintenant, pas de ton éventuel désir paternel. Mais puisque tu parles de ça : avoir envie et être prêt à faire quelque chose sont deux choses différentes. J'ai suffisamment eu de moments de blocage dans ma vie pour le savoir. Tu ne me décevrais pas en me disant que tu ne veux pas en parler maintenant.

- Harry...

- Laisse-moi finir, le coupa le survivant. S'il-te-plaît. Je veux te le redire : je ne te force à rien, et je ne le ferai jamais, Drago. Je ne veux pas enchaîner quelqu'un comme on m'a enchaîné par le passé. Jamais.

- Je le sais, Harry. Je sais, le rassura le blond.

- Maintenant que tout ça est bien clair, on peut continuer et terminer cette conversation, ou changer de sujet et y revenir quand tu le voudras.

- Pourquoi est-on dehors ? interrogea Drago d'un air entendu. Pourquoi si ce n'est pour y revenir maintenant ?

Harry fixa son mari, semblant le sonder de toutes parts pour ne plus manquer un seul signe. Il tira une dernière fois sur la fin de sa cigarette avant de la saisir fermement entre le pouce et l'index de sa main droite. Son regard vert capture celui de Drago et l'obligea à observer son geste. Les pupilles du blond s'allumèrent soudainement d'une flamme qui consuma entièrement le mégot encore fumant entre les doigts de son époux, le dissipant dans l'air sous l'effet de sa magie. Tandis que le prince des Serpentards suivit une particule rougie s'envoler vers les nuées sombres, Harry piétina sur place, tentant d'aboutir à la meilleure façon d'expliquer une pratique moldue complexe à un sorcier de Sang-Pur. Le blond le prit de vitesse.

- J'imagine qu'il n'est pas question d'adoption si on parle du monde moldu. Les orphelins à adopter, ce n'est pas ce qui manque avec la guerre.

- Non. Même si j'imagine que ça reste une possibilité.

- Tu n'aimes pas l'idée, n'est-ce-pas ? devina Drago.

- Non, soupira le survivant. J'ai même honte de le dire.

- Pourquoi ? Je suis le seul à le savoir, de toute façon.

- Ça n'empêche rien. Mes raisons me transforment en un pur égoïste. Un insensible avec des arguments vaseux pour un tout totalement horrible.

- Ça ne peut pas être aussi horrible que ça...

- Vraiment ? Alors dis-moi comment ça sonne. Je ne me vois pas adopter d'abord, parce qu'après tout ce que j'ai vécu, j'estime normal d'avoir une famille à moi. Pas seulement une famille que je « pourrais aimer comme la mienne ». C'est bien joli tout ça, j'ai eu les Weasley. Ils sont comme mes parents, mes frères et sœurs. Mais, honnêtement, j'en ai juste assez de devoir me « contenter » du minimum raisonnable au lieu d'oser demander plus. Je ne veux pas une famille, je veux la mienne, point barre. C'est déjà horrible en soi quand on sait le nombre d'orphelins que la guerre a laissé derrière elle. Et, c'est justement parce que ces enfants sont des victimes de la guerre que je me refuse à...

S'humectant les lèvres pour masquer la colère sourde qui montait en lui, contre lui-même, le survivant prit une grande inspiration, faisant gonfler ses narines. Lorsqu'il reprit la parole, ses mains semblèrent frapper l'air tandis qu'il tentait d'appuyer son point.

- La guerre n'a été bonne pour personne. Ces enfants n'ont pas été épargnés. Il est de mon devoir de les aider au maximum de mes capacités de Sauveur, mais... devenir leur père ? Je ne m'en sens pas capable. Je me déteste même de dire ça, mais... Je ne veux pas d'un enfant traumatisé d'avance, non pas parce que je n'estime pas important de lui offrir une belle vie, mais parce que je ne serai pas capable de le supporter. On peut, matériellement, leur donner une meilleure vie autrement. Et même dans le cas où ils ne seraient pas affectés par la guerre, il y a des orphelins de tout temps, sans séquelles... J'ai beau me le répéter, je ne peux simplement pas me faire à l'idée...

- Harry...

- Je veux dire, qui suis-je pour avoir le droit d'inculquer mon autorité à un enfant qui ne sera même pas le mien ? Qui sait si je n'irai pas à l'encontre même de ce que sa famille d'origine aurait voulu ? Ai-je vraiment le droit d'imposer mon nom et le fardeau que j'ai eu à traîner toute ma vie sur un gamin aléatoire, comme ça, juste parce que je l'aurais décidé ?

- Je ne peux que comprendre cette dernière partie, reconnut Drago. Et même en dehors de ça, tu as tes raisons de ne pas vouloir le faire de cette façon.

- Des raisons impardonnables.

- Des raisons qui se tiennent, le détrompa le blond. Chacun a le droit de choisir la vie qu'il veut mener. Ce n'est pas parce que tu es le héros du monde sorcier que tu devrais suivre un régime différent.

Le sorcier légendaire eut un souffle amusé.

- C'est ça. Va le dire aux autres...

- Je me fiche des autres ! s'exclama le blond, le visage déformé par la colère. Et s'ils ont quelque chose à redire, qu'ils viennent : à leur tête, je le dirai ! Personne n'a à s'arroger le droit de mener la vie d'un autre à sa place, et personne ne devrait se sentir coupable de mener sa vie comme il l'entend, avec ses raisons personnelles. Et que toi, parmi tout le monde, soit capable de l'oublier, ça me mets sur les nerfs. Si on n'a pas le choix de sa propre vie, à quoi bon la vivre ? Ta décision se porte vers le monde moldu, alors ne te torture plus avec ça. Tu as le droit de te sentir coupable, mais tu n'as pas à te sacrifier juste pour correspondre à ce que les autres attendent de toi. J'espère au moins que tu sais ça.

- Drago, ne te mets pas dans un état pareil...

- Je suis désolé, mais je ne supporte plus d'entendre ça.

Furieux, le blond se détourna de son tout jeune mari. Les pans de son manteau noir suivirent le mouvement en élargissant et tordant sa stature. Une main se porta sur ses paupières fatiguées. Penaud, Harry tenta de trouver une défense potable.

- Vu que c'est une décision qu'on doit faire ensemble, je...

L'interrompant à nouveau, le prince des Serpentards fit volte-face. Son index droit rejoignait l'intérieur de son pouce en une bulle catégorique avec laquelle il martela chacun de ses mots tandis qu'il avançait, pas après pas, vers le brun ténébreux.

- Tu veux que je te dise ? Moi non plus je ne pourrais pas supporter un truc pareil, Harry. Je ne veux pas d'enfants, je n'en ai jamais voulu ! J'aimais ma mère, plus que tout. J'admirais mon père. Il était mon dieu vivant. Et pourtant, c'est à cause de cette image de dieu impitoyable que j'ai été traumatisé, parce que je n'ai jamais pu me faire à l'idée que cet homme là m'a torturé, que cet homme là a tué ma mère... Et aujourd'hui, je suis là, en train de parler gosses avec toi. Et tu veux savoir pourquoi ? Parce que toi, oui toi Harry, tu as réussi à me faire envisager une autre possibilité que celle de reproduire ce dont j'ai été victime. Justement parce que tu as réussi à me redonner confiance en moi en m'aidant à décider à nouveau pour moi. Alors, moi non plus je ne veux pas passer ma vie à tenter d'effacer des images de l'esprit d'un gamin, on sait nous-même qu'elles sont indélébiles. On sera incapables de le faire et ça me tuera autant que toi.

Harry soupira et baissa la tête, inspectant l'état de ses pieds. Le visage du sorcier légendaire était empli d'une émotion indescriptible lorsqu'il reparut plus clairement aux yeux de son homme, quelque peu essoufflé de sa longue tirade grâce à laquelle son adrénaline avait soudainement atteint un pic.

- Tu vois qu'il n'y a pas que moi qui ai suivi ce cours secret de grandes phrases à Poudlard après tout, taquina le survivant.

- Si tu crois que c'est le bon moment pour te moquer, grogna le blond.

- Je suis sérieux. Enfin, un peu. Je suis juste impressionné par ta capacité à rendre ça aussi simple.

- Parce que c'est simple. On n'a pas à se justifier d'une quelconque manière, à qui que ce soit ou pour quoi que ce soit. Enfants moldus nous voulons, enfants moldus nous auront ! s'exclama Drago sur un ton volontairement ampoulé, tirant sur le ridicule agrémenté de faux grands airs.

- Ils ne seront pas nécessairement moldus, le détrompa Harry. Surtout si ce sont les nôtres. Et par nôtres je veux dire... nôtres, nôtres.

Tirant une énième fois sur sa cigarette déjà bien entamée, Drago retint son souffle un court instant, le temps de laisser la fumée corrosive se répandre jusqu'au fin fond de ses poumons. Il expira tout en formulant sa réponse, sa voix légèrement nasale dans le processus.

- Et comment tu comptes faire ça ? Sans vouloir te vexer, aucun de nous n'est réellement conçu pour la chose et les potions qui existent ne fonctionnent encore qu'avec un système normal. Le monde sorcier ne pense pas encore aux détraqués qui se flinguent le patrimoine génétique sur un coup de folie.

Sans rien ajouter, le blond grilla encore quelques millimètres supplémentaires de sa barrette moldue. Ses pupilles mercures s'élargirent sensiblement lorsque le survivant lui révéla enfin l'idée qui traînait dans son crâne depuis que Drago lui avait d'abord annoncé sa stérilité quasi totale.

- Les moldus l'ont fait eux. Les procédures sont un peu plus intrusives, certes, bien que le terme exact soit « médicales ». Bien sûr, eux aussi fonctionnent avec ce qui existe, ils ne peuvent pas créer un système reproductif à partir du néant, mais... Ils peuvent tout à fait mettre à profit le peu qui reste.

D'un regard entendu rempli de chaleur, Harry se tourna vers le prince des Serpentards. La main fumante d'une odeur âcre immobilisée à seulement quelques centimètres de ses lèvres retomba lentement le long de son corps, abandonnant la bouffée que le bras avait entamée.

- En ce qui concerne les neuf mois qui suivent, poursuivit le lion de Gryffondor, certaines personnes se proposent en tant que porteuses. C'est encore très controversé dans beaucoup de pays mais... Tu l'as dit : c'est à nous de décider. Je ne pense pas que nos amis nous dirait quelque chose si cela nous rend heureux. Pour les autres, personne n'ira vérifier qu'aucun de nous n'a pu se rendre disponible avec la vieille méthode sorcière.

- Est-ce que c'est au moins légal ? s'interloqua Drago.

- Dans certains pays. Le Royaume-Uni n'en fait pas encore partie malheureusement. Ça demande un gros investissement, c'est sûr, mais... Si on était décidés à le faire, l'argent ne sera pas un obstacle pour nous.

- C'est sûr, balbutia Drago.

Les explications du survivant le déboussolaient bien plus qu'il ne l'aurait imaginé. Au fond, Drago s'attendait à quelque chose de bien plus simple, bien plus évident, quelque chose d'un peu plus bête que cette procédure qui résonnaient déjà comme particulièrement complexe à ses oreilles de sorcier de Sang-Pur. À nouveau, le blond ressentait cette incommensurable fascination que les moldus exerçaient sur lui grâce à leur génie. Il se rendait compte, une fois de plus, que sa nature première de sorcier l'empêchaient cruellement d'imaginer toutes les ressources de ces êtres sans pouvoirs magiques qui, par un miracle quelconque, en accomplissaient bien plus qu'eux avec leurs sorts et leurs mélanges imbuvables version recette d'arrière-arrière-grand-mère.

Curieusement, Harry ne jaugeait pas sa réaction, ou du moins n'en montrait absolument rien, tel un acteur surentraîné. Et, au fond, l'héritier des Malfoy ne pouvait lui en être que reconnaissant tant son organisme luttait pour assimiler cette nouvelle tombée du ciel, directement sur ses épaules, comme un coup de massue. Un coup de massue divin. Du reste, le survivant ne lui adressa qu'un seul regard, long et posé. Un de ces regards qui avait le don de le rassurer en lui formulant nombre de promesses silencieuses qui, il le savait, avaient mille fois plus de chances d'être exaucées qu'un serment inviolable.

Lentement, le sorcier légendaire s'était rapproché de lui et avait glissé une main autour de sa taille. Toujours une main embarrassée par la cigarette inachevée et l'autre tétanisée par la solennité du moment, Drago ne bougea pas « d'un pouce » puisque, à cet instant, seules ses lèvres acceptèrent de partager une courte union, chaste, avec celles de son désormais mari, tandis que la senteur âcre du tabac déjà un peu vieilli sur les vêtements de celui-ci faisaient saliver ses papilles irritées.

Puis, Harry porta son attention vers la porte de l'immense véranda accolée à l'arrière du grand manoir Zabini, comme distrait par une apparition bienveillante. L'imitant, Drago se retourna sans précipitation. Sur le seuil et quelque peu caché par le feuillage touffu des conifères alentours, Blaise les observait discrètement. Une fois assuré que sa présence n'était pas malvenue, le maître des lieux les rejoignit en quelques enjambées.

- Vous étiez là ?

- Laisse-moi deviner : tout le monde nous cherche, énonça laconiquement le survivant.

- Je ne suis pas là pour vous forcer à revenir à l'intérieur, le détrompa Blaise. La journée a été riche en événements et je voulais juste m'assurer que tout allait bien.

- Te voilà rassuré, déclara Drago.

Esquissant une moue satisfaite, Blaise fronça néanmoins les sourcils.

- Est-ce que... c'est du tabac moldu ? s'enquit-il.

- Le seul et l'unique, confirma le blond en soulevant sa main au niveau de ses yeux.

- Le seul et l'unique, hésita Harry. Il existe bien une dizaine de marques différentes de ces trucs-là...

- Des centaines plutôt, releva le sorcier noir sous l'air ébahi des deux autres. Quoi ? Je n'ai pas le droit de m'y connaître un peu ? Ma mère fumait occasionnellement, un de ses maris lui en avait ramené une fois d'un voyage... Théo m'en a fait essayer de sacrées...

- Théo ?! s'étonna Drago.

- S'il est capable de trouver des alcools exotiques à coucher dehors, une appréciation en matière de nicotine ne me déstabilise pas plus que ça. Il sait que tu adores fumer en cachette. C'était son idée que de vous chercher au flair, à l'odeur de fumée. Il a ramené une pleine boîte de cigares de Russie, je ne vous dis que ça.

Blaise marqua une pause. Ses yeux d'un noir profond reluquèrent éhontément le mégot en train de mourir entre les doigts de son ami d'enfance. Remarquant son geste, Harry se prépara à sortir son paquet.

- Tu en veux une ? proposa-t-il.

- J'ai envie de dire oui, mais... J'ai une meilleure idée.

- On peut savoir laquelle ? s'enquit Drago en réduisant en cendres minuscules la fin de son joint moldu.

- Un cadeau de mariage personnalisé, ça vous dit ? C'est moi qui offre le feu.

Se consultant du regard, les deux célèbres sorciers retinrent un rire de liesse. Décidément, cette journée aurait suivi un déroulement improbable jusqu'à son terme, même jusque tard dans la nuit où les nouveaux époux préféreraient partager une nuit de confidences sur l'oreiller plutôt que de s'agripper l'un à l'autre dans une étreinte uniquement physique. Drago se souvenait encore de ne s'être pas endormi pas plus qu'il n'était demeuré éveillé, plongé dans une sorte de semi-coma empli du souffle régulier de l'élu, dans le même état que lui, et de l'odeur des cigares russes qu'ils avaient passé le reste de la soirée à finir dans le bureau de Blaise, en compagnie de Théodore et de Ron qui acceptèrent de mettre leurs différents de côté pour une nuit. En dehors de Merlin, ils étaient les seuls à savoir de quelle manière le cigare du maître des lieux avait atterri dans la rainure entre la fenêtre et l'appui de celle-ci, définitivement et irrémédiablement coincé tandis que Pansy était apparue comme un boulet de canon en plein milieu de leur réunion secrète entre hommes, ameutée par son flair de chien de race capable de renifler des substances illicites à des kilomètres à la ronde. Et rien que ce détail, apparemment insignifiant, avait pris une ampleur insoupçonnable dans leur vie alors que les paroles de Blaise résonnaient encore dans leurs esprits tandis que la porte des jardins privatifs du manoir se refermaient derrière eux sur le chemin menant à son bureau aux promesses enfumées : « Ne le dîtes pas à Pansy. Elle me tuerait si elle savait, surtout depuis qu'on a la petite. Enfin, pour les gosses vous pouvez toujours faire quelque chose, vous. Le mariage, en revanche, vous êtes déjà condamnés. Jusqu'à la fin des temps. Désolés messieurs. »


Ainsi s'achève le bonus sur le thème du mariage. Il était censé, à la base, se terminer d'une toute autre manière mais j'ai finalement préféré cette fin plus humoristique qui ouvre sur d'autres possibilités, car, vous vous en doutez bien, ce bonus ne sera pas le dernier.

D'autres seront à venir dans les prochains mois, une fois que le retard accumulé sera bien rattrapé sur mes autres fictions et projets en cours.

Un grand merci pour votre soutien ! N'hésitez pas à laisser une petite review ;) A la prochaine !

M.A.D.