Oh, mon Dieu. Je suis un être horrible. Ne pas avoir posté durant autant de temps, alors que certains d'entre vous attendaient la suite… Enfin, c'est surtout la faute au fait que 1) j'ai été malade et j'ai enchaîné tout de suite après avec un oral que j'ai eu très peu de temps pour réviser, et 2) ces derniers temps, suite à un bug quelconque, je ne pouvais plus allumer mon ordinateur ou alors pour peu de temps.
Pardonnez-moi.
Pour compenser un peu, je vous annonce que ce chapitre fait plus de 6 000 mots (au lieu des 3 000 des deux précédents). Maigre compensation, mais compensation quand même. ^^ Je n'avais pas prévu que cela serait aussi long (sinon, j'aurais fait quatre parties au lieu de trois), mais, bah… c'est tout aussi bien comme ça !
Petit rappel :
Ceci est un slash, donc relations de nature amoureuse entre hommes, donc homophobes s'abstenir.
Supernatural ne m'appartient pas.
La chanson Every breath you take du groupe The Police non plus, quand bien même je l'use comme citation et pour nommer mes chapitres.
Sur ce, bonne lecture…
Et n'oubliez pas la review !
Partie III :
My Poor Heart Aches – Mon Pauvre Cœur Souffre
Since you've gone I've been lost without a trace
I dream at night, I can only see your face
I look around but it's you I can't replace
I feel so cold and I long for your embrace
I keep crying baby, baby please
Every Breath You Take, Police
Les jours s'écoulèrent. Lentement, péniblement. Si lentement et si péniblement que Gabriel était bien incapable de dire combien de jours au juste passèrent ainsi, tandis qu'il errait comme une âme en peine pour qui toute vie aurait une saveur de cendre.
Ainsi donc, voilà, c'était fini. Tout était fini.
Sa petite carrière d'espion, déjà. Gabriel n'aurait pas su dire si c'était un bien ou un mal. S'il se sentait soulagé ou plutôt déçu. C'était difficile à savoir. D'un côté, cet aspect malsain de sa personnalité se retrouvé ainsi ligoté – mais pas disparu, et encore moins absous, à ses yeux comme à ceux de Sam. De l'autre, eh bien, quelque part, Sam lui manquait. Il aurait aimé savoir comment il allait, ce qu'il faisait… Mais c'était moins terrible, moins fort. Il n'allait plus voir le chasseur. Déjà, parce qu'il serait immédiatement repéré et chassé – il ne fallait pas rêver, Castiel était sûrement dans le coup, et il serait difficile de le leurrer une autre fois. Et Gabriel n'était même pas sûr d'en avoir réellement envie. Ensuite, eh bien, il ressentait cette douleur lancinante en pensant à Sam – mais plus cette addiction irrépressible. Probablement parce qu'il était douloureusement conscient de la situation.
Ce qui était fini, aussi, c'était sa relation avec Sam. Pas sa relation au sens amoureux du terme – ah ah, on pouvait toujours rêver. Mais Sam l'avait dit lui-même, pour sa plus grande surprise : Sam l'avait considéré comme un ami. Et cette amitié était finie. Brisée. Assassinée par les propres soins de Gabriel – un magnifique plongeon du haut du Grand Canyon à l'issue duquel elle s'était fracassée. Youpiiii.
Ce n'était même pas comme si Gabriel ne comprenait pas la fureur de Sam, ni n'était conscient de sa propre culpabilité. Après tout, il avait suivi Sam, l'avait espionné, l'avait photographié à son insu, s'était immiscé dans sa vie toujours à son insu, l'avait considéré comme sien. Il avait violé son intimité sans le moindre scrupule. Le pire, c'était qu'il avait fait ça par amour. Non mais franchement. Il n'y avait pas pire comme excuse. Les tueurs aussi étaient convaincus d'agir pour la bonne cause. Gabriel savait mieux que personne ce qu'il en était réellement – ne s'était-il pas amusé à punir les criminels qui étaient passés entre les filets de la justice précisément parce qu'ils étaient parvenus à convaincre la société qu'ils n'étaient pas responsables de leurs actes, ou qu'ils avaient agi pour le plus grand bien ? Gabriel avait toujours méprisé la crédulité des jurés qui avaient gobé ça, et haï de tout son être ces beaux parleurs qui étaient bel et bien coupables.
Maintenant, il se haïssait à son tour. Il ne pouvait même plus se regarder dans un miroir sans avoir honte de lui, de ce qu'il était, d'exister.
Sans compter que Sam n'était décidément pas tombé sur la meilleure des photos. Pas du tout. Gabriel aurait pu en égarer une autre; une où aurait juste figuré un Sam souriant, par exemple. Comme la très grande majorité de celles qu'il avait jadis prises. Mais nooon, il était Gabriel après tout, la poisse le collait comme son ombre. Il avait fallu que Sam trouve une photo où il était torse nu – alors que Gabriel, au départ, l'avait tout à fait sincèrement prise parce que le chasseur y avait l'air détendu et serein, est-ce que c'était de sa faute s'il faisait 45 à l'ombre cette nuit-là ? Et évidemment, Sam en était venu à la seule et unique conclusion possible avec ce genre de preuve dans les mains : que Gabriel le harcelait sexuellement.
Ce qui était, de plus, parfaitement faux. Malgré sa Sammyfolie, Gabriel n'était jamais allé aussi loin. Il avait trop de respect pour Sam. Il était peut-être un fou dangereux et un pervers, mais il n'y avait même pas seulement songé un seul instant. Mais il ne pouvait pas reprocher à Sam d'avoir cru qu'il l'espionnait sous la douche ou des moments du même acabit. Après tout, Gabriel était… Gabriel. Hélas.
Et naturellement, rien n'empêchait Sam d'en conclure également que ça devait faire partie d'une blague quelconque, d'un plan machiavélique à tiroirs que Gabriel aurait fomenté à son encontre. Il n'avait même pas tout à fait tort là-dessus, puisque tout avait plus ou moins commencé comme ça.
Foutu destin de merde.
Et enfin, autre chose qu'il avait perdue, autre chose qui était finie à tout jamais.
Ses espoirs.
C'était quelque chose de très étrange, là encore.
Gabriel n'avait jamais vraiment eu d'espoir vraiment conscient. A croire que, quelque part, il savait ce qu'il en était – que ce serait à jamais impossible, que jamais Sam…
Et pourtant, le discours de Sam, autant que de le mettre en face de sa monstruosité et de ses conséquences, avait détruit des espoirs qu'il n'était même pas conscient d'avoir. (Et si, un jour… Est-ce qu'il serait possible de… Peut-être que…)
Mais voilà. Gabriel s'était chargé de la question. Il n'y aurait jamais aucun espoir, aucune chance. Applaudissez-le bien fort.
Il avait tout brisé.
Après tout, quelque part, ce n'était pas comme s'il avait jamais eu la moindre chance. Gabriel savait bien ce qu'il était : ni très beau, ni très sympathique, finalement, si très cultivé, ni très intéressant… Il était juste ce bon vieux Gabriel, pas bien fascinant.
Il avait toujours été considéré comme « le petit dernier », le gars un peu lourd, un peu vide d'intérêt et juste bon à faire rire un peu avec ses blagues stupides. Personne ne lui avait jamais vraiment demandé son avis, ou accordé de la considération ou de l'estime – il ne les méritait sûrement pas vraiment. Personne ne l'avait jamais réellement vu comme important. Il n'était ni beau ni fort comme Michael, ni charismatique et attirant comme Lucifer, ni intelligent ou agréable comme Raphaël. A peine devait-on reconnaître qu'il était assez inventif, plutôt attentionné – quand il voulait bien – et relativement cultivé – tout dépendait du sujet. Bref, pas le gendre idéal, quoi. Gabriel doutait fort que Sam pourrait jamais ne serait-ce qu'envisager que dans un monde parallèle ils puissent avoir une relation amoureuse. Sam serait plutôt du genre à rigoler, genre « Quoi, avec Gabriel ?! »
Et aujourd'hui, probablement qu'il refuserait juste d'entendre parler de lui.
Bref, ce n'était pas comme s'il y avait jamais eu des probabilités que. Mais Gabriel était plus humain qu'on pouvait le penser. Et la nature humaine est ce qu'elle est : on se raccroche toujours à l'espoir, ce sale espoir, aussi impossible soit-il. L'homme ne cesse jamais d'espérer.
Gabriel se disait maintenant qu'il n'était probablement plus vraiment de nature angélique.
Mais maintenant, c'était fini.
Il n'y avait plus rien, il n'y aurait plus rien.
Excepté la douleur d'avoir perdu Sam, de l'avoir blessé, d'être un criminel, d'avoir tout détruit comme le connard qu'il était.
Excepté son cœur brisé.
Lorsque Gabriel revit Sam, ce ne fut même pas sa faute. Ce n'était pas prémédité. Gabriel ignorait tout de ce que ce salaud de Destin lui réservait – sinon, il ne se serait pas levé ce jour-là. Non, c'était un hasard, vraiment, si leurs chemins se croisèrent de nouveau.
Peu après sa confrontation avec Sam, Gabriel avait décidé de s'installer définitivement – squatter, ça va deux minutes – en ville – trop déprimé pour chercher un autre coin plus sympa. C'est ainsi, après une visite à un promoteur et une importante somme d'argent qui s'était rajoutée au PIB des Etats-Unis pour finir sur le compte de l'agence en un claquement de cils, que Gabriel était devenu l'heureux – si on veut, étant donné son état de post-rejet amoureux violent – propriétaire d'une charmante villa dont il espérait que l'acquisition et le déménagement le distrairaient un peu.
Enfin, charmante, façon de parler. Un jacuzzi, une piscine, une bibliothèque de trente mètres carrés, un jardin digne d'un manoir anglais et une cuisine grand luxe perdent vite de leur charme lorsque votre voisin immédiat se prend pour un batteur professionnel – mais qui aurait appris à jouer dans un club de rugby. Bref, aucun rythme, un déchaînement de violence envers la pauvre batterie, beaucoup de bruit pour rien et une migraine persistante pour l'Archange.
Des joies de la vie urbaine.
Pourquoi les hommes avaient-ils inventé la batterie, déjà ? Il aurait dû intervenir ce jour-là. Sérieusement.
Aussi, lorsque, un merveilleux vendredi matin, son voisin se remit à taper frénétiquement sur sa grosse caisse avec autant de joie à la tâche que Michael quand il combattait des Léviathans – il l'avait vu, la comparaison se valait parfaitement, s'il vous plaît – Gabriel bondit du transat sur lequel il tentait de flemmarder… et surtout de ne pas penser à un certain Sam Winchester. Non non non. Sors de mes pensées. Foutue obsession. Argh.
Gabriel se rua dans la rue, furieux et décidé à en faire voir de toutes les couleurs à son voisin. Peut-être était-il temps de se remettre aux châtiments version Trickster ? Les musicos nuls à s'en taper la tête contre un mur qui jouent toute la journée, ça, ça mérite une punition, pas vrai ?
Ou peut-être cherchait-il juste une distraction.
- EH TOI, TU VAS T'ARRÊTER UN JOUR OU TU ATTENDS QUE JE METTE FIN A TES JOURS, MUSICIEN DE MES DEUX ?! hurla Gabriel, en proie à la rage la plus totale – entre un rejet qui était tout à fait de sa faute et un batteur qui fait joujou douze heures par jour, il fallait bien que ça sorte un jour.
- VA CHIER ! rétorqua le batteur sans s'arrêter de jouer – faux et fort.
Gabriel écarquilla les yeux de surprise, puis de fureur.
- POUR QUI TU TE PRENDS, L'AVORTON ? JE VAIS L'EXPLOSER, TA BATTERIE ! JE VAIS…
Mais Gabriel n'eut guère le temps de faire encore de douces promesses de torture à son désagréable voisin – dommage, la mémé d'en face sortait presque les pompons de cheerleader pour l'encourager dans son entreprise, tant elle était exaspérée, elle aussi. Il percuta violemment quelqu'un. Ce qui ne l'aurait guère gêné habituellement – si le quelqu'un en question ne s'était pas exclamé d'un ton de surprise absolu :
- Gabriel ? C'est toi ?
L'Archange se figea net, et se retourna lentement. Est-ce qu'il s'agissait bien de…
Oh merde.
Confirmation.
C'était bien Dean Winchester.
Avec, à ses côtés – qui avait parlé de chance légendaire le concernant, déjà, qu'il prenne sa revanche ?... Sam Winchester. Evidemment.
Sam qui le reconnut instantanément et le regarda d'un air indéchiffrable. Colère ? Mépris ? Crainte ? Méfiance ? Autre chose ?
Pourquoi diable s'était-il fixé comme règle de ne pas lire les pensées de son chasseur préféré ?
Gabriel déglutit, péniblement. Son cœur se mit à battre plus vite, ses mains devinrent moites, un frisson dévala son échine, ses poumons se comprimèrent et quelque chose se serra à l'intérieur de son ventre et de sa gorge. Ses sensations étaient désagréablement amplifiées de ce qu'elles étaient doubles : attirance… et peur.
- Hrem. Sam. Dean. Salut, émit l'Archange d'une voix légèrement étranglée.
Dean parut légèrement perplexe.
- Ça va ?
- Merveilleusement bien, Deano, rétorqua Gabriel en retrouvant un peu – un tout petit peu – d'assurance. Et toi, ça farte ?
Dean jeta un coup d'œil circulaire au paysage.
- Qu'est-ce que tu fais dans le secteur ? Tu nous as suivis ? ajouta-t-il d'un ton suspicieux. Ou alors tu es mêlé à ce nid de vampires ?
Gabriel cligna des yeux, étonné. Ah ouais. J'ai quand même dû sacrément déconnecter pour ne pas remarquer un troupeau entier de vampires.
- Des vampires ? répéta-t-il, avant de secouer la tête négativement. Non, non, soupira-t-il en tentant de sourire vaguement. J'habite ici.
Il désigna du doigt sa villa.
- Ah, commenta simplement Dean, l'air vaguement perplexe, mais un peu soulagé malgré tout. J'me disais, aussi. Les vampires, c'est pas trop ta came.
- Pas vraiment, non, agréa Gabriel.
Un jour, il avait découvert que son dentiste était un vampire. Reconverti pour s'occuper de ses frères. L'Archange, qui avait une véritable phobie de ce type de praticien en raison de son penchant assumé pour les sucreries, avait alors acquis le réflexe de réduire en cendres tous les vampires qu'il croisait – séquelle de son traumatisme, lequel était réel, merci.
Dean passa quelques secondes à contempler Gabriel en se balançant d'avant en arrière, comme si quelque chose le mettait mal à l'aise.
- Bon, ben… content de t'avoir revu, conclut piteusement le chasseur. Ça faisait longtemps. Tu pourrais donner des nouvelles, de temps en temps.
Un chasseur se rend compte que l'Archange farceur Gabriel a sauvé ses petites fesses un jour et hésite entre reconnaissance et méfiance, commenta mentalement l'intéressé, vaguement amusé malgré la situation.
- Allez, au revoir ! salua Dean, toujours aussi gêné.
- Ouais, c'est ça, à plus, marmonna l'Archange.
Il regarda les deux frères s'éloigner avec un mélange de dépit, de regret, de douleur et de tristesse qui s'insinuait dans ses veines.
Sam ne l'avait pas regardé une seule fois.
Une idée vint le lendemain matin à Gabriel, tandis qu'il traînait lamentablement sa douleur comme une âme en peine errant dans sa villa bien trop grande et trop clinquante.
Il fit taire son voisin – du silence, enfin – en un claquement de doigt qui fit disparaître la batterie dans le néant (« Aaaaaaah, ma batterie, c'est quoi ce bordel ?! »), empaqueta soigneusement toutes les photos qu'il avait prises de Sam, puis s'assit à son bureau.
Sam,
Ne jette pas cette lettre tout de suite, s'il te plaît.
Je suppose que je n'aurai pas l'occasion de m'excuser, ni même de m'expliquer. Il n'y a aucune justification à ce que j'ai fait et je n'essaierai même pas de t'en donner. Je sais que tu m'en veux terriblement, et je comprends ça, vraiment. J'ai agi comme un con.
Je ne pourrai sûrement jamais réparer les choses, et je suis conscient qu'il est impossible de me pardonner, mais je veux que tu saches que je m'en veux. Vraiment. Je n'ai jamais voulu te faire de mal.
J'avoue que j'ai pris d'autres photos de toi, à un moment donné – mais je n'en ai rien fait, et je n'ai d'ailleurs fait que ça. Les voici. Je n'ai pas le droit de les garder. Ce sont les tiennes, après tout. (Il en manque juste une. A un moment donné, mon voisin du dessous avait un chien. Le sale clebs est monté jusqu'à mon appart' et a dévoré cette photo, plus mon tome 7 de Harry Potter – mon préféré, en plus – et la moitié de mes sous-vêtements. J'ai vraiment un problème pour choisir mes voisins. J'envisage l'exil sur une île déserte.)
La seule chose que je peux te promettre, c'est que – c'était une erreur. Je ne recommencerai pas. Vous ne me verrez plus dans le paysage, je ne te suivrai plus, ni rien. Si je ne trouve pas une île déserte assez chouette, le café à deux rues de chez moi cherche un serveur. Bien payé, et réducs sur les bonbecs. Ça m'occupera assez pour que je ne poursuive plus qui que ce soit.
Pardon,
Gabriel
Avec un soupir, il glissa le papier dans l'enveloppe, inscrivit soigneusement A l'attention de Sam Winchester, et expédia la lettre au Motel Motors de la ville d'un claquement de doigts.
Il ne pouvait peut-être pas changer le passé ni recoller les morceaux, mais il pouvait encore agir dignement.
Trois jours plus tard, tandis qu'il buvait son chocolat chaud matinal, Gabriel entendit sa porte se fracasser contre le mur adjacent, et vit avec stupeur un Sam Winchester débouler dans sa cuisine comme une furie avant de se planter devant lui.
Son cœur loupa un battement.
Sam avait la mine indéchiffrable, rigoureusement comme la dernière fois.
- Gabriel.
- C'est moi, répondit l'intéressé en s'efforçant d'avoir la voix assurée.
Pour se donner une contenance, il reposa sa tasse et entreprit de nettoyer le précieux liquide qui avait giclé sur la table.
Sam, impassible, ne bougeait pas d'un pouce.
- J'ai eu ta lettre, lâcha-t-il finalement.
- Oh. Bien. Tant mieux. Désolé pour la photo manquante, lâcha Gabriel en se levant pour faire la vaisselle.
Il avait désespérément besoin de s'occuper les mains. Pourvu que Sam ne s'aperçoive pas qu'elles tremblaient !
Sam fronça les sourcils et eut un petit rictus.
- Toutes les autres la compensent bien, vu leur nombre, dit-il d'un ton neutre, et ça y était, Gabriel avait envie de vomir.
L'Archange toussa nerveusement et, tout en frottant énergiquement sa tasse, dit :
- Pourquoi es-tu venu ici ?
Il n'était pas assez naïf pour penser que Sam voulait juste tester son jacuzzi (et encore moins son lit) ou vérifier que Mr Foutu Batteur s'était enfin tu.
Sam haussa les épaules et fit un pas en avant, un seul.
- Je veux comprendre, lâcha-t-il abruptement.
Gabriel se tourna vers lui.
- Comprendre quoi ? Il n'y a rien à comprendre.
C'était lui, ou la conversation tournait à vide ?
Sam le regardait fixement.
- Comprendre. Pourquoi. Ce que tu voulais faire. Quel était ton but. Pourquoi moi. Pourquoi pas Dean, ou Castiel, ou n'importe quel autre péquin. Pourquoi.
Gabriel baissa la tête sur sa tasse qui, depuis le temps qu'il l'astiquait, devait être si reluisante qu'Adrian Monk en serait tombé dans les pommes d'admiration. Il ne savait que dire. Que pouvait-il donc répondre ? Au départ je voulais m'amuser en t'embêtant, puis je m'en suis voulu et j'ai tenté de te simplifier la vie et de te rendre heureux, et à la fin je suis tombé fou amoureux de toi ?
Ouais. Bien sûr. Il allait faire ça. Comme si Sam allait le croire. Ou bien le prendre.
- Il n'y a rien à comprendre, répéta-t-il.
Sam méritait une réponse. Gabriel n'était juste pas capable de la lui fournir.
Lorsqu'il ferma le courant d'eau du robinet, il s'aperçut que Sam n'était plus là.
Gabriel s'attendait à beaucoup de choses dans un avenir plus ou moins proche, y compris les plus improbables – que Haribo commercialise ses produits gratuitement, qu'on découvre l'existence des extraterrestres, que Dean Winchester comprenne un jour qu'il était fou de Castiel, que lui-même reçoive sa lettre d'admission à Poudlard ou même que Dr Sexy devienne un jour intéressant. Bref, il se pensait préparé à l'impossible…
… mais pas à ce que Sam revienne le lendemain.
Gabriel envisagea un instant de vérifier si son chocolat chaud contenait du LSD à son insu.
Sam s'assit sur une chaise en face de lui, la mine toujours imperturbable, le fixant sans ciller.
Pourquoi ? répéta-t-il.
- Gabriel but une autre gorgée de chocolat en silence. Il ne savait que répondre.
- C'était juste… comme ça, répondit-il.
Avisant le regard du chasseur, qui plissait les yeux, il ajouta :
- Il n'y avait pas de mauvaise intention.
Sam ne commenta pas.
En revanche, il revint le lendemain.
L'après-midi, cette fois. Gabriel faillit lui lancer « trop occupé ce matin pour me rendre visite ? », mais il se retint. Son caractère espiègle reprenait le dessus dès qu'il était en situation de stress, et ça n'avait jamais véritablement été une bonne chose. La cinquième guerre des dieux nordiques face aux dieux grecs avait débuté ainsi. Si seulement il s'était retenu de plaisanter sur le gros bouton qu'Aphrodite avait sur le nez ce jour-là… On est peu de choses !
- Toujours pas d'explication ? demanda Sam.
Gabriel haussa simplement les épaules. Puis il se résolut – légèrement.
- Au départ, je m'ennuyais, débuta-t-il. Et je me suis dit que je pouvais te faire une petite blague.
Sam n'insista pas.
- Mais tu as continué ensuite ? s'enquit-il le lendemain en jetant un coup d'œil à la bibliothèque de Gabriel, flânant entre les rayonnages.
L'Archange se demanda si Sam reviendrait souvent, s'il lui concédait le droit d'explorer la pièce de fond en comble.
Les questions de Sam le dérangeaient. Il savait où ils en viendraient – à la fin – si Sam persistait, et ça ne lui plaisait pas. Ce n'était pas la peur de la collégienne face à son béguin, du genre « Oh mon Dieu, je pourrai jamais lui dire, je suis trop timide ! », mais plutôt une peur viscérale, la peur que Sam le rejette, définitivement.
Gabriel soupira. Il ne pouvait s'empêcher de répondre.
- Après la première blague, oui. C'était amusant de t'embêter. (Après un instant de réflexion, il ajouta : ) Je me demandais combien exactement de bitch-faces tu possédais… Le meilleur moyen de compléter ma collec', c'était de les provoquer !
Il n'en aurait pas mis sa main au feu… mais l'espace d'un tout petit instant, il crut voir un sourire amusé s'esquisser sur les lèvres de Sam.
Le chasseur, évidemment, ne s'arrêta pas là.
Il revint le lendemain, encore, et Gabriel entreprit de lui faire faire le tour du propriétaire.
Il ne savait toujours pas si les visites de Sam l'angoissaient ou le ravissaient. Probablement un peu des deux. Il les attendait toute la journée, avec un mélange d'appréhension et d'impatience. Parfois, Gabriel s'agaçait tout seul à être si bêtement amoureux.
Mais Sam venait. C'était déjà pas mal.
- Qu'est-ce que tu fais ici, en fait ? s'enquit le chasseur, curieux.
Gabriel en fut surpris. Ces derniers temps, la conversation avait tourné autour du mot « pourquoi ? », et pas grand-chose d'autre. Etait-ce un signe que leur relation redevenait plus détendue et cordiale ? Ou Sam était-il juste intrigué ?
Finalement, il prit le parti d'un semi-humour mêlé de vérité, et haussa les épaules avec désinvolture.
- J'avais envie d'habiter un truc sympa plutôt que de squatter les braves gens. J'ai un jacuzzi, la plage à deux pas, une confiserie à deux pâtés de maisons, le rêve. Que demande le peuple ?
Sam eut un petit sourire – oh miracle. Il a souri !
- C'est vrai que sympa, dans le secteur, agréa-t-il. (Puis, après un temps d'arrêt : ) Enfin, si l'on excepte ton voisin qui se prend pour Ringo Starr.
Gabriel eut un petit rire.
- Sa batterie a mystérieusement disparu, d'ailleurs.
Sam eut un fin sourire. Le cœur de Gabriel loupa un battement. Oups. Encore.
- Et chez qui as-tu envoyé le précieux instrument ? demanda-t-il d'un ton qui se voulait neutre.
Gabriel se racla la gorge.
- En plein milieu du bureau de ma chère sœur Naomi, pourquoi ?
Cette fois, Sam éclata de rire.
Quand, une heure plus tard, le chasseur lui posa une fois encore la fameuse question, Gabriel n'eut pas le cœur de mentir.
- Je me suis aperçu que mes blagues te pourrissaient la vie, soupira-t-il. Alors, j'ai voulu me rattraper – te rendre un peu heureux. Comme tu l'as été cet a…
Il s'interrompit, mortifié. Rien ne prouvait que Sam ait apprécié sa présence, qu'est-ce qui lui prenait ! Il ne lui avait sans doute même pas pardonné son acte… impardonnable, justement.
Mais le chasseur ne releva pas. Il se contenta de se lever, de hocher la tête, et de s'en aller… laissant derrière lui un Gabriel confus.
La visite de Sam, le jour d'après, se caractérisa par une atmosphère tendue. Ni l'un ni l'autre ne parlait. L'ambiance était lourde – comme si quelque chose était là, entre eux, un tabou, un non-dit, le terrible crime de Gabriel.
- Mon frère m'a dit qu'il t'avait trouvé très bizarre, l'autre jour, souffla finalement Sam.
Gabriel releva des yeux intrigués.
- Bizarre ? Et il n'a pas fait le rapport avec…
- Non, lâcha Sam d'un ton étrangement dénué d'expression. Il ne sait pas.
- Oh.
Gabriel ne savait pas quoi dire. Pourquoi diable Sam n'avait-il pas…
- Il a dit que tu avais l'air… mal à l'aise, reprit Sam brusquement, comme pour couper court à toute remarque.
- Hmm, lâcha Gabriel, ennuyé, en faisant tourner sa cannette de soda fraîche entre ses mains.
Que répondre à ça ?
- Je me suis senti mal de ce que j'avais fait, répondit-il finalement, lentement. Je… je culpabilise, parce que j'ai fait un truc affreux. Je m'en veux d'avoir tout gâché, comme d'habitude. Je ne voulais pas… que tu sois victime de ça.
- Alors pourquoi prendre des photos ? Pourquoi m'espionner ? Pourquoi essayer de me faciliter la vie et de faire que tout soit agréable ?
Gabriel se tortilla, gêné. (Il avait abandonné toute fierté depuis belle lurette, au rythme où allaient les choses.)
- Je voulais… te voir heureux. C'est bête à dire, mais… je me suis dit que tu le méritais bien. Et je voulais en conserver une trace – une trace que c'était un peu grâce à moi.
Sam releva la tête vers lui, l'air stupéfié.
- Mais alors… les photos que tu m'as envoyées… elles étaient au complet ?
- Oui, dit prudemment Gabriel, ne voyant pas trop où le chasseur voulait en venir.
- Donc… tu n'as jamais pris de photos… hum, érotiques ? Ou… tu ne m'as pas… espionné, disons, sous la douche, des choses comme ça ?
- Jamais, affirma Gabriel.
- Oh, souffla Sam à son tour.
L'Archange nota qu'il avait l'air perturbé, mais ne sut qu'en penser. Après tout, pourquoi donc Sam venait-il voir son stalker ? Cela n'avait aucun sens. Il ne comprenait plus trop Sam, ces temps derniers.
Au bout de quelques minutes d'un silence pesant, Sam reprit, doucement.
- C'était bizarre, à la fin. La façon dont tu faisais remarquer ta présence, je veux dire. On aurait presque dit… que tu souhaitais te faire repérer. Que ton but était de te faire attraper.
Le souffle de Gabriel se coupa, et un doute affreux l'envahit.
Et si c'était ça ? Et si Sam avait raison ? Peut-être… peut-être que c'était ce qu'il voulait depuis le début. Que Sam découvre tout. Qu'il puisse tout lui avouer.
Et qu'enfin, ça finisse.
Qu'enfin, il sache où cela le menait… les menait.
Et peut-être avait-il espéré… inconsciemment…
Père. Ça avait donc été ça ? Il avait tout fait pour ça ?
Gabriel se surprenait tous les jours. Mais de toutes les découvertes qu'il avait faites ces dernières semaines, celle-ci était peut-être bien la moins pire de toutes.
Sam ne vint pas le lendemain.
Gabriel l'attendit toute la journée, impatient, fébrile, puis inquiet.
Peut-être Sam ne voulait-il plus le voir ? Ou peut-être avait-il commis un faux pas la veille ? Ou Sam avait-il obtenu ce qu'il voulait – quoi que ce fut, car Gabriel n'en avait toujours pas la moindre idée – et avait-il décidé avec soulagement que ce n'était pas la peine de revenir voir ce crétin de Gabriel ?
A moins… qu'il ne soit arrivé quelque chose ? Une attaque ? Une chasse qui aurait mal tourné ? Un accident ?
Mais, ligoté par sa promesse, Gabriel ne pouvait pas aller se renseigner sur la santé de son chasseur.
Alors, il ne bougea pas.
Il s'endormit d'épuisement après avoir dévoré, sans appétit et d'un geste mécanique et compulsif, la boîte entière de cupcakes trois chocolats – les préférés de Sam – qu'il avait achetée exprès, dans l'expectative.
Le lendemain, quand la sonnette de la porte d'entrée sonna, ce fut un Gabriel qui se sentait retourné, vidé, achevé, qui vint ouvrir.
Pour trouver un Sam, le visage plus fermé que jamais, debout sur son palier, raide comme la justice.
Le cœur de Gabriel bondit d'une multitude de sentiments différents. Oh Père, il est vivant – Mais alors, que s'est-il passé hier ? – Il veut toujours me voir ! – Pourquoi fait-il cette tête ? – J'ai envie de l'embrasser – Que va-t-il se passer ?
- Nous partons cet après-midi, dit Sam du ton le plus horriblement neutre qui puisse exister, et Gabriel se surprit à maudire cette absence d'émotion qui lui retournait les tripes.
- Ah. D'accord, répondit-il parce qu'il ne voyait pas quoi dire.
Ce n'était pas comme s'il pouvait retenir Sam – malgré tout le désir qu'il avait de le faire.
- Je ne vous suivrai pas.
- Je n'ai toujours pas eu la réponse à ma question, lâcha Sam d'une voix basse et rauque, sans transition aucune.
Oh. C'était donc ça.
Gabriel haussa les épaules, mal à l'aise.
- Tu l'as eue.
- Non. Pourquoi es-tu resté aussi longtemps ? Pourquoi être juste resté là à m'observer vivre ? Quel est le but final de tout ça ? Pourquoi ? cria Sam, une veine battant sur sa tempe.
Et toi, Sam ? Pourquoi tu fais ça ? Pourquoi tu viens tous les jours ? Que cherches-tu ? Que penses-tu ? songea Gabriel, empli d'un mélange paradoxal d'anxiété et de lassitude.
- Je ne… peu importe, répondit l'Archange, embarrassé.
Il ne pouvait pas. Il ne pouvait pas. Voir son dernier, son plus important secret ainsi révélé, à la personne concernée qui plus était… voir sa réaction, qu'il ne voulait même pas imaginer… C'était au-dessus de ses forces.
Mais Sam, lui, n'avait pas dit son dernier mot. Il attrapa Gabriel par le bras et se pencha vers lui.
- Pourquoi ? siffla-t-il. POURQUOI ?
Et d'un seul coup le chasseur fut trop proche, et Gabriel n'en put plus de tout dissimuler ainsi, et il se rappela que Sam partait dans la journée, et que jamais plus il ne le verrait; et dans l'instant tout son être lui parut bouillir et glacer en même temps, il sut qu'il n'en pouvait plus et que rien n'allait, et il posa ses lèvres sur celles de Sam.
C'était un coup de folie, une inspiration subite qu'il regretterait dès qu'il se détacherait du chasseur, mais c'était aussi la réponse la plus explicite qu'il pouvait donner, et la dernière envie à laquelle il cédait.
Cela ne dura que quelques secondes – mais ce fut la chose la plus merveilleuse qu'il avait jamais faite. Quelques secondes pour goûter les lèvres de Sam et sentir son corps contre le sien, juste le temps pour en devenir accro autant que pour avoir un souvenir doux et amer à la fois, quelques instants hors du temps, hors de la morale, hors de tout.
Puis Gabriel s'écarta d'un Sam figé comme une statue, et d'un geste vif, évitant de regarder le chasseur, il rentra à l'intérieur de la maison et claqua la porte.
Voilà. Il l'avait fait. Il avait embrassé Sam. Sam savait tout à présent. Et Gabriel ? Il se sentait bizarrement vide, à la fois serein et tourmenté, mortifié et aux anges – ah ah. Quelle ironie.
Assommé par le poids de tout ce qui s'était produit – depuis des semaines autant qu'à l'instant – Gabriel se laissa glisser le long de la porte jusqu'au sol, ses doigts caressant ses lèvres où persistait le goût de celles de Sam – le goût de l'interdit et du bonheur.
Il était trois heures de l'après-midi, ce même jour, et Gabriel repeignait énergiquement la barrière de son jardin en blanc – sincèrement, le vert, c'est dépassé, même pour les clôtures. Sa maison/villa/palace avait sérieusement besoin d'un grand ménage de printemps. Refaire la peinture, le papier peint, s'occuper du jardin, tout frotter, tout nettoyer, voilà ce dont Gabriel avait besoin.
Il espérait que s'activer, se concentrer sur autre chose, l'aiderait à oublier Sam – oublier ce qui s'était passé, oublier ses faux espoirs indésirables qui ne cessaient de revenir à la charge, oublier qu'il avait vu Sam pour la dernière fois ce matin, oublier que Sam était parti sans rien dire après qu'il l'eût embrassé. Beaucoup de choses à oublier. Beaucoup de choses à nettoyer.
Peut-être qu'un jour la plaie qu'il portait au cœur cicatriserait-elle. Peut-être.
En attendant qu'un tel miracle vît le jour, Gabriel faisait tout son possible pour ne pas rester inoccupé trop longtemps.
Juste cinq heures que Sam était parti, et c'était déjà insoutenable.
Pourquoi, pourquoi était-il revenu ? Pourquoi avait-il exigé des explications ? Pourquoi s'était-il conduit de façon si ambiguë – pourquoi avait-il ravivé, sans cesse, l'espoir dans le cœur de Gabriel ?
L'Archange aurait voulu ne jamais tomber amoureux.
Il aurait voulu ne jamais trouver d'autres qualités encore quand il songeait à Sam, il aurait voulu ne plus songer aux bons moments passés ensembles, il aurait voulu n'avoir jamais vu son sourire. Il aurait voulu que Sam soit moins parfait, et que lui-même soit moins horrible. Que Sam puisse l'aimer. Ou que Sam ne fasse plus battre son cœur. Gabriel ne savait plus que désirer.
A part que cette clôture n'ait jamais de fin – qu'il puisse se noyer dans la besogne jusqu'à ce que toute cette histoire, et lui-même, coulent tout au fond.
Oh, et que le soleil revienne – comment voulez-vous peindre quand l'ombre vous tombe dessus comme ça, hein ?
Gabriel releva la tête, hésitant à claquer des doigts pour chasser les nuages importuns – et se figea net.
Car l'ombre, c'était celle de Sam.
Sam qui le regardait, le regard affligé, torturé, tourmenté. Sam qui ne bougeait plus mais dont le regard trahissait toute l'agitation.
Lentement, Gabriel se releva. Qu'est-ce que c'est que ce foutoir, encore ? Il hallucinait, ou quoi ? Sam avait déclaré qu'il partait. Peut-être venait-il lui demander des comptes. Peut-être qu'il restait des vampires à abattre et que les frères Winchester avaient besoin d'un Archange phobique des dentistes et des créatures à longues canines. Peut-être que…
Gabriel, en quelques secondes, fut perdu dans une tornade d'incertitudes, d'hypothèses, d'espoirs, de possibles, de tensions et de questions. Il lui semblait que le monde s'effaçait autour d'eux – que tout ce qu'il savait, tout ce qu'il était, se perdait dans la tempête, que l'univers devenait flou. Il cessa de respirer, de bouger. Il ne savait plus rien.
Sauf que Sam était là.
Et qu'il ignorait pourquoi.
Après un moment à se regarder dans le blanc des yeux, ce fut Sam qui, haletant, l'air éperdu, et secouant la tête nerveusement, prit la parole d'une voix saccadée.
- Ce n'est pas logique.
Gabriel eut à peine le temps d'enregistrer le mot, de réaliser qu'il n'en comprenait pas la signification profonde, et de tenter de le décortiquer, que Sam parla de nouveau.
- Ça ne va pas du tout, pas du tout. Je ne comprends pas. Ce n'est pas logique.
Et soudain, ce fut comme si une vanne, quelque part, avait été ouverte, et que le flot qu'elle retenait s'en échappait vite, vite, avec violence et fracas.
- Tu… tu m'as harcelé ! Tu m'as espionné, tu as violé mon intimité, tu as usé de ma vie comme d'un jeu, tu as fait n'importe quoi ! cria Sam en agitant les bras dans tous les sens, l'air furieux.
(Encore.)
- Je devrais te haïr ! Je devrais te maudire ! Je devrais… je devrais te considérer comme un ennemi ! poursuivit Sam. Alors pourquoi, pourquoi ce n'est pas le cas ?!
Nerveux, le chasseur se mit à tourner en rond, soupirant et haletant, se tenant la tête d'une main comme si ses pensées étaient trop lourdes pour son corps, sous le regard stupéfait de Gabriel, mutique, paralysé, qui ne savait plus que faire ni que penser face à ce spectacle incompréhensible qui se jouait devant lui.
Sam secoua la tête et reprit, la voix hachée.
- Tu m'as fait blague sur blague, et tout ce que je parviens à penser, c'est que j'étais quand même sacrément heureux quand tu t'occupais de moi, et que c'était tellement adorable de vouloir me rendre aussi heureux. Tu m'as espionné, et je n'arrête pas de penser que lorsqu'il a vu les photos, Dean a dit que la personne qui les avait prises devait vraiment tenir à moi très fort et très sincèrement pour les avoir prises ainsi – Dean ! Tu m'as trahi, et ta lettre m'a ému et m'a fait sourire. Tu as commis un crime dont j'étais la victime – et tu me fais rire et sourire, et j'adore venir te voir. Tu sais tout de ma vie à mon insu, et moi, stupide que je suis, je suis flatté de l'attention que tu m'as portée ! Tu as agi comme un parfait connard, et tout ce que je trouve à faire, c'est de me rappeler tous les bons moments qu'on a passés ensemble, et de me dire que même s'ils se comptent sur les doigts d'une main, on pourrait en créer d'autres si on voulait ! Tu as tout foiré – et moi, j'arrive juste à être obsédé par le fait que tu m'as embrassé et que j'ai aimé ça.
Sam reprit son souffle, haletant, et, plus calme, se figea devant Gabriel, le regardant droit dans les yeux. Gabriel ne parvenait plus à respirer. Ses poumons le brûlaient, son cœur tentait de façon erratique de s'échapper de sa cage thoracique – et son cerveau venait de se faire la malle.
Avait-il bien compris ? Sam disait-il que… Il ne rêvait pas ? C'était bien réel ?
Sam soupira, et reprit, doucement, à voix basse, presque affectueuse.
- Je t'en veux, et en même temps, je te trouve des excuses, j'ai envie d'essayer de te comprendre, et je m'aperçois que je t'apprécie malgré ce que tu as fait. Je t'en veux, et en malgré tout, j'ai l'impression d'avoir découvert une autre partie de toi, j'ai envie de mieux te connaître, j'arrive presque à te pardonner parce que je sais comment tu es. Je t'en veux, et je vois ta culpabilité, j'ai envie de l'effacer, j'ai envie de tout recommencer du début. Je t'en veux, et je n'arrive pas à t'en vouloir.
Sam eut un sourire pitoyable, et ajouta, dans un filet de voix :
- Tu vois. Ce n'est pas logique.
Gabriel reprit brusquement son souffle. Il flottait, au-dessus de tout, loin, loin du monde réel. Son cœur paraissait trop grand pour son propre corps, et paraissait exploser en un millier de bulles chaudes et agréables dans tout son être. Quelque chose paraissait s'échapper de lui.
Sam… Sam…
Et soudain, ce fut comme si quelque chose de bien enfoui refaisait surface, sous tout son vernis de potache et de farceur exubérant. Comme si le vrai Gabriel, le Gabriel un peu plus authentique, revenait au monde.
Lentement, il tendit le bras, et attrapa la main de Sam. Sam qui se laissa faire.
- Moi, j'aime ce qui n'est pas logique, dit-il simplement.
Sam le regarda. Ses yeux débordaient d'un espoir qui faisait presque mal.
Gabriel baissa les yeux.
- Je me suis comporté comme le pire des salauds. Je le sais. Mais… et si…
Il prit une grande inspiration et releva la tête, plein d'une détermination nouvelle, et voyant défiler sous ses yeux l'avenir qu'ils pourraient avoir, si seulement il disait quelques mots.
- Et si on effaçait ça ? Si on recommençait du début ? Si on se laissait une chance… comme si rien ne s'était produit, comme si nous étions normaux, comme si nous étions juste nous-mêmes… entre nous… et sans tous nos fichus précédents ?
Gabriel soupira, et vint de blottir à demi contre Sam.
- Et si on recommençait ?
Et cela suffit pour que Sam sourie, un vrai sourire, un sourire plus immense encore que tous ceux que Gabriel avait jamais tenté de provoquer.
~ ~ ~ FIN ~ ~ ~