Chapitre 35 : Le Rêve de Thorin Oakenshield

« -Mon oncle, s'il vous plaît ! Vous devez vous reposer !
-Je suis en train de lire Fíli ! Ce n'est en rien différent de rester assis dans ma tente à regarder le plafond !
-Si ça l'est ! fit Fíli. Fixer le plafond signifie que vous seriez sur le dos, à ne pas aggraver le trou que vous avez toujours dans le torse ! »

Malgré les épais bandages enroulés autour des côtes de Thorin pour entraver ses mouvements et empêcher ses entrailles de devenir ses 'extrailles', une de ses mains jaillit et attrapa Fíli par le col de sa chemise pour le rapprocher en le traînant. Fíli couina et Thorin siffla :

« -Tu vas le réveiller. »

Fíli leva les mains pour s'assurer que Thorin se souvienne qu'il n'était pas armé, alors que Kíli—qui était confortablement de l'autre côté de la tente—demandait :

« -Je pensais que vous vouliez que Bilbo se réveille afin de pouvoir vous excuser auprès de lui ? »

Fíli gémit dans sa barbe, suppliant son frère de garder la bouche fermée.

« -Quoi ? Pourquoi d'autre notre Oncle lirait ? »

Thorin avait plus qu'apprécié les livres lorsqu'il était jeune, préférant lire les grandes histoires de ses ancêtres puis faisant semblant d'être eux. Les garçons aussi, avaient adoré écouter leur oncle lire pour les endormir le soir. A présent que Thorin était au même endroit que tous les livres qu'il avait adorés autrefois, il aurait pu être en mesure de dire qu'il était juste d'humeur à lire, et qu'il était trop usé pour faire quoi que ce soit d'autre. Cependant, cela serait un mensonge éhonté, donc il garda la bouche fermée sur ce sujet.

« -Bien que j'aimerais que Mr. Baggins se réveille, je ne veux pas que son retour dans le monde des vivants se fasse durant une dispute.
-Au contraire, mon Oncle, cela le ferait probablement revenir plus vite. Vu qu'il voulait qu'on se tienne bien et tout. En fait, on devrait probablement acheter un peu de bonne vaisselle aux Hommes et commencer à la balancer à droite et à gauche, et il se réveillerait immédiatement.
-Kíli, croassa Fíli, les mains de son oncle se resserrant sur le tissu et le rétractant autour de sa gorge.
-Ooh ! Nous devrions lui dire que Bombur lui fait des scones ! Ce qui est vrai puisque Bombur a fait une fournée de scones tous les jours depuis qu'il a déterré les cuisines. »

Fíli parvint à donner une poussée sur ses jambes et à se dégager de la poigne de Thorin, heurtant le sol dans un bruit sourd. Kíli ne prit même pas la peine de cesser ses jacassements au bruit soudain. Par contre, il commença à balbutier de confusion lorsque Fíli l'attrapa par l'arrière de sa tunique et le traîna vers la porte.

Thorin ignora les garçons, faisant confiance à Fíli pour se moquer de son frère jusqu'à ce qu'il comprenne pourquoi c'était une mauvaise idée de déblatérer à proximité de Thorin au moment présent. Kíli le regarderait avec confusion, comme il le faisait toujours, jusqu'à ce qu'un instant de clarté le frappe comme un marteau une enclume, et il comprendrait tout ce que Fíli avait lentement mais sûrement réalisé. Kíli serait toujours insupportable, mais au moins il travaillerait pour le bénéfice de Thorin cette fois au lieu de chercher à se faire tuer par inadvertance.

« -Je devrais les discipliner, murmura Thorin à Bilbo inconscient. Mais à chaque fois que je pense à les réprimander, tout ce que je peux voir est le moment où ils se sont dressés entre Azog et moi. Fíli avec son épée brisée et Kíli rien d'autre qu'une flèche. Je ne peux pas être énervé contre eux alors que je suis juste heureux qu'ils soient vivants. »

Bilbo, bien sûr, ne répondit pas. Mais cela n'avait pas empêché Thorin d'essayer.

Le Hobbit était inconscient depuis la Bataille des Cinq Armées. Gandalf l'avait trouvé face contre terre dans la boue du champ de bataille, saignant d'une blessure à la tête. Les cris de Gandalf avaient fait venir des guérisseurs Elfes en courant, et pendant deux jours le Hobbit avait été à l'écart dans les tentes Elfes, la nature vicieuse de Thranduil et la nouvelle méfiance de Gandalf empêchant tout Nain de l'approcher.

Ce ne fut pas avant que le jeune Ori ne tombe sur le journal de John Watson dans le coin de lecture où Bilbo se cachait lorsque Thorin avait pris un mauvais tournant, que ce dernier fut en mesure de les convaincre. (Et si Thorin avait déclaré qu'il était prêt à laisser n'importe quel membre de la Compagnie apporter le livre à Bilbo pour le lui lire, que tout ce qui comptait était que Bilbo ait le journal, alors personne n'avait besoin de le savoir. En fait, cela ne le dérangeait même pas qu'il soit plus que probable que Thranduil ramène ça sur le tapis au moment le plus inapproprié possible.)

« -Je suppose que je comprends pourquoi les Elfes ne supportent pas l'histoire de John et Sherlock. Ils ne peuvent probablement pas avaler l'idée qu'un des leurs abandonne l'immortalité pour qui que ce soit, et encore moins un Hobbit. Non pas que les Hobbits ne soient pas de merveilleuses créatures, patientes, courageuses, et avec de la chance très indulgentes. Sachant que ton peuple ne vit pas aussi longtemps que les rois, ou aussi bruyamment, j'imagine qu'ils n'aiment pas beaucoup l'idée que l'un d'eux tombe amoureux en l'espace d'une courte année tout court, et encore moins qu'il abandonne son immortalité pour lui. »

Thranduil lui-même avait rabiboché Bilbo, attendant d'être sûr que le Hobbit vivrait avant de le rendre aux Nains. D'après le roi Elfe, la seule chose qui restait à faire était attendre. Bilbo se réveillerait, ou pas, et il n'y avait rien qu'ils puissent y faire. Son esprit était enfoui en sécurité à un endroit qu'aucun d'eux ne pouvait atteindre, et seul Bilbo pouvait décider d'en sortir. Chaque membre de la Compagnie avait fait de son mieux pour l'attirer bien sûr, Glóin jacassant sur sa femme et son fils étant en chemin, Dori s'extasiant sur les fûts de bière intacts qu'ils avaient trouvés dans une des réserves, et Bifur déblatérant en Khuzdul dans l'espoir que Bilbo commence juste à acquiescer poliment pour le faire cesser.

« -Ce qui ne veut pas dire que je ne pense pas que le sacrifice en valait la peine. Je veux dire, il y a peu que je ne ferais pas pour toi, donc je suppose que je ne pouvais rien espérer de moins de la part de Sherlock. Ce n'est pas un compliment que je lui fais, pour ta gouverne. Ou un compliment que je me fais. Mais c'est une constatation sur la loyauté qu'inspirent les Hobbits. »

Il y avait toujours un membre de la Compagnie avec Bilbo, juste au cas où. Après tout, aucun d'eux n'avait envie qu'il se réveille seul. Thorin aimait prendre le tour en début d'après-midi, passant ses matinées à être aux petits soins de guérisseurs, puis à divertir des seigneurs variés et répondre à leurs exigences tant qu'il n'y avait pas de sang à voir nulle part. Il préférait prendre son déjeuner dans la tente de Bilbo afin que l'odeur de la nourriture puisse inciter le Hobbit à se réveiller, mais de plus en plus souvent Thorin ressentait le besoin de le prendre dans le grand hall avec les Hommes et les Nains (et les Elfes les plus téméraires) juste pour que tout le monde puisse voir qu'il était toujours vivant.

Thorin garda ses après-midis libres, battant en retraite dans la tente où Bilbo sommeillait. Il lui déblatérait les événements de la journée, ses inquiétudes avec les seigneurs, et la tentation de prétendre que ses blessures étaient infectées et laisser Balin s'occuper de tout. Lors des bons jours, les guérisseurs et la Compagnie laissaient Thorin jusqu'à ce qu'il s'endorme au milieu d'une phrase, sa tête avachie sur le lit de Bilbo. Lors des mauvais, quelque chose arrachait Thorin du côté de Bilbo et que Mahal aide quiconque avait besoin de lui alors.

« -Gandalf dit qu'il est probable que tu puisses m'entendre, peu importe où ton cœur puisse errer en ce moment. Ce qui est pourquoi je te fais la lecture. »

Thorin passa ses doigts gourds à travers les douces boucles de Bilbo, reconnaissant envers quiconque s'étant occupé de lui pendant que Thorin pouvait à peine lever les bras.

« -J'ai continué la lecture—pendant que les Elfes ne me laissaient pas te voir—pour m'assurer que la fin serait quelque chose qui te ferait revenir. Si John était mort complètement tu aurais sûrement pris ça comme un signe que tous les Hobbits qui s'éloignent de chez eux sont destinés à mourir pour leur gouverne, et je ne pouvais pas te laisser penser ça. Tu te résignerais probablement à la mort juste pour prouver un point thématique. »

Tout au fond de son cœur, Thorin avait su qu'il y avait un prix à payer pour revenir à Erebor. Quelque chose que Mahal requerrait qu'il paie afin de reprendre sa terre de naissance. Il avait pensé que cela serait lui qui paierait, et avec sa vie. Dáin était un roi honorable, et ferait un bon régent jusqu'à ce que Fíli soit prêt à endosser le trône, et Thorin repaierait la dette que sa lignée devait à leur peuple pour avoir amené le dragon sur eux pour commencer. Leur lignée serait purifiée, sa pénitence suffisante pour protéger ses neveux de la fièvre de l'or qui avait hanté leurs pas durant si longtemps.

Thorin se pencha en avant, ignorant la douleur de ses entrailles qui vint avec. Il posa son front contre celui de Bilbo et murmura :

« -Ce n'était pas supposé être toi. »

La vie en jeu était supposée être celle de Thorin. Pas Bilbo, jamais Bilbo.

« -Tu es le plus innocent d'entre nous. Celui qui nous a sauvés de tout temps et encore une fois, tu ne devrais pas le payer. »

Thorin posa sa main sur la poitrine de Bilbo, sentant le mouvement de respiration de ses côtes quand il inspirait et le battement régulier de son cœur sous sa paume. C'était l'endroit préféré de Thorin, et son favori pour somnoler, rassuré de savoir que Bilbo était toujours vivant à côté de lui.

Diriger un royaume était une tâche difficile pour commencer, rendue plus compliquée par des côtes brisées et des membres lacérés. Bientôt Thorin s'endormit, laissant la constance de Bilbo le guider vers un endroit libre de cauchemars et empli de rêves. Plein de pensées de ce qui pourrait être si jamais le Hobbit parvenait à se réveiller, et si Thorin parvenait à lui faire croire qu'on voulait de lui. Cela serait un bon rêve ce soir, Thorin pouvait le dire. Il imaginerait enfin montrer la Grande Bibliothèque à Bilbo (comme il aurait dû le faire en premier lieu), et l'installer avec son propre plan de travail dans la cuisine de Bombur, et commencer les excavations afin qu'il y ait des douzaines de chemins menant en-dehors de la montagne, avec des jardins à l'extérieur de chaque porte. (Et un en particulier bâti sur un balcon à l'extérieur des quartiers du Consort.)

Mais d'abord, Thorin imagina qu'il pouvait sentir des doigts menus se frayer un chemin dans le fouillis de ses cheveux. Il n'avait jamais pensé à imaginer ça avant, la douceur avec laquelle ils démêlaient les nœuds et caressaient sa tempe.

Oui, cela serait un bon rêve.


Et voilà les gens, cette traduction qui a été bien longue compte tenu de mon occupation cette année est enfin terminée ! Je vous remercie de m'avoir suivie jusqu'au bout, et peut-être vous retrouverai-je pour d'autres histoires !

-Nordremo.