...

Oui, je sais. Cela fait longtemps. Très longtemps. J'étais accaparée par des projets personnels. Mais vous savez, les Muses, ce sont des créatures difficiles. Si la mienne veut me murmurer pour Agents du Chaos, je ne vais pas me plaindre.

Je vais donc essayer de finir cette fanfic. Encore un ou deux chapitres et l'épilogue.

Bonne lecture !


Chapitre IX: L'Ombre du Serpent

Yggdrasil - Midgard

Ce monde était fou.

C'était la seule pensée que Tony Stark était pour l'heure capable d'émettre. Comme tous les Avengers, il s'était figé, estomaqué par le départ précipité et tonitruant des deux Fripons, et n'avait donc pu réagir à temps et leur coller un traceur. Pas plus qu'il n'avait essayé d'aider ses amis à retenir Thor lorsqu'il avait hurlé le nom de ses boucs pour s'élancer dans le ciel à la suite des deux animaux bêlants sur un char apparu de nulle part ; tous trois avaient disparu en une gerbe d'étincelles et un coup de tonnerre.

Galopant sur le ciel. Ce qui défiait toutes les lois de la physique si patiemment découvertes et apprises par l'Humanité. Le ciel n'était pas quelque chose de solide… pas assez en tout cas pour qu'un cheval ou des boucs puissent s'y déplacer. Tout cela l'agaçait au plus haut point.

Maintenant que le calme était revenu sous un ciel vierge de tout nuage, le silence se faisait comme oppressant. Le changement était trop brutal, même pour lui.

- J.A.R.V.I.S. les a perdus, maugréa-t-il distraitement. Même s'il ne s'était pas lancé à leurs trousses, lui qui pourtant partait au quart de tour habituellement, l'ingénieur pianotait sans grande conviction sur un petit écran qu'il avait sorti de l'avant-bras de son armure. Son instinct lui avait soufflé que cela ne valait pas la peine… et il avait eu raison. Les dieux étaient intraçables.

Clint jura dans sa barbe et se décala de quelques pas pour aller coller Natasha, la mine soucieuse. Il ne remarquait même plus ces habitudes qu'il avait avec l'espionne russe. Mais il n'avait pas le cœur de les charrier sur leur proximité. Une ombre planait sur son esprit. Il lui semblait entendre un sifflement dans son dos. Alors Steve secoua la tête, libérant son esprit de l'emprise de la stupéfaction qui les avait tous pris, et peut-être aussi de la peur qui avait envahi leurs boyaux, ou du moins le sien. Et si lui, le génie, avait la terreur au ventre, il se doutait que le reste de l'équipe ressentait le même sentiment.

- Je croyais que tu pouvais pister les particules divines, lui dit Steve, reprenant le contrôle des opérations. Il balaya le ciel d'un mouvement de la main.

- Ils doivent en émettre comme une traînée de fumée tels qu'ils sont partis en fanfare.

- Ils le font, acquiesça l'ingénieur, son agacement transparaissant dans sa voix. Mais ils bougent tout aussitôt qu'ils sont arrivés. La machine n'arrive tout simplement pas à les suivre !

Ce n'était pas de sa faute, rajouta-t-il en son for intérieur. Sa technologie de pointe était la meilleure qui se trouve sur Terre. Et justement, Asgardiens comme Héliopolites venaient d'autres mondes, plus avancés que le leur. Il claqua de la langue et rangea le petit écran avant que l'envie de le lancer par terre ne surmonte sa raison.

- Tout ce que je peux dire, c'est que Thor est à la traîne. Il arrive toujours deux ou trois secondes après eux et ne peut certainement que les voir disparaître en claquant des doigts où on ne sait. Ils ont changé d'endroits quinze fois. Il y a une minute… Rajoutez-en au moins trois endroits, si ce n'est plus. De tous les coins et recoins de la Terre.

- Apophis a donc voyagé, commenta sombrement Bruce. Tony grimaça. Il n'avait pas relevé ce détail avant que son frère de science ne le remarque. Si des miasmes d'Apophis se trouvaient à peu près partout sur Terre, c'est que les serviteurs du Serpent, ou une ombre de lui-même, s'étaient déplacés dans autant d'endroits. C'était une indication inquiétante de l'ampleur du réseau ophite, à moins qu'Apophis ait trouvé d'autres dévots. Le physicien se rapprocha du groupe en remettant ses lunettes en place et tendit à son ami scientifique un morceau de papier.

- Mais je pense savoir comment le trouver. Peut-être même avant les autres.

Tony s'empara du papier derechef et ses yeux s'agrandirent.

- D'où ça vient ?

- Du sol, indiqua Bruce en pointant du doigt l'endroit.

- Fais voir, lui dit Steve et il passa le papier à la main tendue du Capitaine. Un sourire satisfait dérida son visage alors qu'il faisait passer le message à leurs autres coéquipiers. Les deux espions se rapprochèrent, sentant qu'ils allaient pouvoir se remettre en action.

- Il faut trouver qui est cet Ânkhtyfy.

Tony agita son petit écran qu'il avait ressorti, sans en relever les yeux.

- En cours.

- C'est de l'égyptien, intervint Natasha. Pharaonique, je veux dire, pas contemporain. Ce doit être un nom de code d'un Ophite, certainement de haut rang. Ce nom ne doit pas apparaître…

- Trouvé.

La Veuve Noire ferma la bouche mais haussa un sourcil circonspect. Tony la regarda avec un sourire en coin, plus fier qu'un coq de démontrer qu'elle se trompait, et que la technologie était la solution à leur problème. Il se sentait redevenir lui-même, s'éloignant de la léthargie qui les avait pris.

- De nos jours, il y a vraiment tout sur les réseaux sociaux. Et quand on sait sur lesquels il faut chercher… rien n'existe qui ne peut être trouvé.

Souriant de toutes ses dents, Tony glissa le doigt sur l'écran pour faire glisser la description de la personne qu'ils recherchaient.

- Notre nouvel ami est une haute pointure, un magnat pétrolier, lié au gouvernement égyptien, alliant donc richesse et pouvoir. Il est actuellement au Caire et… oh, il a une conférence de presse en ce moment même.

Steve décroisa les bras en les regardant avec gravité.

- Alors dépêchons. Nous devons arriver avant eux et reprendre la situation en mains. Il est temps de cesser les activités de ces pseudo-dieux. Avengers, en formation !

Ils rejoignirent sans tarder le Quinjet que J.A.R.V.I.S. avait préparé pour eux et décollèrent de New York en mode invisible, s'élançant à la vitesse maximale de l'appareil, bien haut dans le ciel pour éviter les couloirs aériens encombrés.

Malgré leur vélocité, le temps semblait leur filer entre les doigts, les minutes s'égrenant sans qu'ils n'arrivent eu Caire.

- Ne pouvons-nous pas aller plus vite ?

Steve n'avait pas fini sa phrase qu'une violente secousse fit tanguer le Quinjet lancé à toute allure et Clint grimaça sur le siège du pilote, les phalanges blanchies sur les commandes.

- On va déjà trop vite. L'appareil ne tient que par miracle. On est secoué comme des pruniers.

L'instant d'après, une autre secousse lui donna raison.

- Il tient parce qu'il est Stark. Et si vous voulez vous plaindre, faites-le en ayant la pensée que le vol New-York - Le Caire aura pris moins d'une demi-heure, le contredit la voix de Tony, qui peinait à camoufler sa fierté quant à cet appareil. L'ingénieur était attelé à manipuler les pièces d'une armure dorée, pas un instant dérangé par la vitesse hallucinante de leur véhicule. Bruce avait rapidement abandonné l'idée de l'aider, devenant trop déconcentré par sa bataille pour maintenir le Hulk sage. Même Steve s'était attaché et Natasha s'était péniblement dirigée vers le siège de copilotage pour seconder Clint.

- Tony, tu devrais t'asseoir, lui conseilla, et non pour la première fois, Steve en le voyant avec inquiétude osciller au rythme des secousses que subissait l'appareil. L'ingénieur haussa à peine les épaules, tout entier concentré à sa tâche.

- Pas sûr que Loki et Seth s'arrêtent gentiment quand on va leur demander, tout « pseudo-dieux » qu'ils soient. Vous ne trouvez pas que le Gothique est encore plus fou que la dernière fois, mais en même temps plus équilibré aussi, depuis qu'il a été mis en contact avec Seth ?

Sa question était purement rhétorique au départ mais elle le lança profondément songeur. Loki était réellement différent de lorsqu'il avait attaqué Manhattan. Il lui semblait qu'il fallait creuser ce point un peu plus longuement, pour peut-être déterrer quelque chose d'importance. Mais actuellement, il y avait d'autres priorités. Rangeant la question dans un coin de son esprit encombré, il reprit en agitant son tournevis :

- Et si l'autre Serpent se pointe, va falloir être prêt à se battre... A armes égales, j'espère.

Il posa le réacteur de l'armure sur la table et se tourna vers le Capitaine.

- C'est une bataille qu'on ne peut pas perdre. Ce ne sera pas une petite destruction ou quelques morts, mais l'annihilation de toute la planète, et même des autres mondes de leur arbre cosmique, là ; autant qu'un arbre puisse vivre dans l'espace. Ce serait intéressant à étudier, ça…

- Je le sais bien, Tony. Mais ne t'égares pas, je n'ai pas envie d'aller te chercher dans l'espace car tu auras voulu vérifier si un arbre cosmique existe réellement.

L'ingénieur frissonna à cette pensée.

- Oh, j'ai assez donné avec l'espace, crois-moi.

Steve dut se rendre compte de sa bourde car il fit une étrange grimace désolée. Un silence inconfortable s'abattit dans le Quinjet.

- Cet arbre peut exister, intervint soudain Bruce d'un ton entre deux voix. S'il n'est pas fait de bois et de sève, mais… d'autre chose. Peut-être cette même énergie qui alimente le pont du Bifröst ?

- Comme des ponts moins consistants reliant différents mondes à des milliers d'années lumière les uns des autres ?... Quand j'y pense, Thor a laissé entendre que Loki pouvait se déplacer entre les Royaumes sans le Bifröst. C'est donc qu'il y a des passages, et donc des ponts.

Le physicien allait rebondir sur l'idée lorsque le Quinjet piqua du nez en même temps que Clint intervenait :

- Navré, les gars. On arrive. Et cette lumière là-bas ne me dit rien qui vaille… Tu fais quoi, Stark ?!

Il venait d'ouvrir le sas de l'appareil.

- On se retrouve là-bas.

Sans qu'ils ne puissent le retenir, Tony avait sauté dans le vide, son armure décollant à sa suite pour le recouvrir.

- Il va falloir qu'il arrête de faire ça ! s'égosilla Steve qui se tenait à la chambranle de la porte du sas, une main encore tendue pour attraper le milliardaire.

- On peut toujours essayer de lui faire entendre raison… Mais je n'y crois guère, marmonna Natasha.

« Cette action était parfaitement logique ! » chatonna la voix grésillante de l'ingénieur. Son ton montrait qu'il était content du tour qu'il leur avait joué. L'espionne renifla.

- J'ai un visuel…

Le Capitaine se détacha du sas qui se refermait et rejoignit Bruce à l'avant auprès des deux pilotes. A leur grand damne, la vidéo montrait que l'estrade de la conférence de presse était encore entourée d'un public effrayé. Ânkhtyfy se tenait en tremblant entre des créatures qui n'auraient pas dû avoir une quelconque place dans le décor. Loki le surplombait du haut d'un Sleipnir aux naseaux fumants, ses huit jambes fièrement ancrées au sol. Ammout et Seth assaillaient l'Ophite de grondements, leurs gueules féroces dégoulinantes de la bave de la chasse. Et Thor se dressait sur son char doré, ses deux immenses boucs tapant du sabot. Il était le seul rempart qui séparait Ânkhtyfy de la colère de Seth. Le Foudroyant avait finalement rattrapé les Fripons. Et son regard furieux ne présageait rien de bon pour eux… que ce soit l'Ophite ou son frère et les Héliopolites.

- Tu vois la même chose que nous, Stark ?

« Si tu veux parler du show des pseudo-dieux, oui, je vois la même chose que vous. Mais il y a un truc qui me chiffonne avec leur cible. Ses yeux me semblent… rouges. »

Frissonnant à l'idée qui venait de lui surgir en tête, Tony accéléra, désespéré que l'estrade soit encore aussi éloignée.

- Je la sens mal, cette affaire…

- Clint, tais-toi !

- Pose le Quinjet, ordonna Steve, un mauvais pressentiment au ventre. Vite !

- Sauf si tu veux que je détruise un bâtiment, on ne peut pas aller plus vite que ça. Posés dans une minute et demie.

- Ce sera trop tard, murmura Bruce.

- Docteur Banner ?

Au moins, son frère de science comprenait plus vite que les autres. Le vent filait à ses oreilles, mais il ne lui paraissait pas s'avancer d'un pouce.

« Monsieur, fit la voix de J.A.R.V.I.S., je détecte un pic extrêmement élevé de particules divines. Ainsi qu'un paradoxe temporel. »

Il ne manquait plus que ça… Le Serpent jouait avec le temps.

- Il est là ! gronda Bruce d'une voix assourdie, trop grave pour être la sienne. Hulk s'éveillait. Il venait juste de parler que Tony manqua de s'écraser par terre dans son élan, soudain libéré du paradoxe temporel qui le maintenait hors de l'espace-temps entourant l'estrade. Il vit avec horreur qu'Ânkhtyfy gisait dans une mare de sang, le crâne explosé. L'instant d'après, la foule, qui avait dû être tenue en état de stase comme lui, éclata en cris de colère et de peur alors que les dieux disparaissaient dans un nouveau claquement de lumières.

Laissant Iron Man apparaître entre les volutes de fumée qu'ils avaient laissée derrière eux. Les militaires constituant la garde rapprochée d'Ânkhtyfy le mirent aussitôt en joue et il leva vivement des mains apaisantes vers eux.

Alors qu'il tentait de les convaincre de son innocence, il entendit Steve marmonner sombrement dans le Quinjet :

- Annoncez notre présence avant que l'Egypte ne devienne notre ennemie.

Cela n'allait pas être facile d'expliquer qu'ils n'avaient rien à voir avec le meurtre de cet homme puissant et important pour le pays égyptien, mais qui était aussi dans l'ombre un fou voulant rappeler un Serpent destructeur de monde. Surtout que les Avengers auraient dû être capable d'arrêter Seth et Loki avant qu'ils ne partent en vrille.

Surtout que Loki était sensé être mort. Et s'il ne l'était pas, il restait un criminel de guerre. Les Avengers avaient baissé leur garde devant leurs sourires mielleux et leur aide réelle contre Apophis, oubliant qu'ils ne jouaient qu'avec leurs propres règles. Et ils avaient échoué, un homme était mort. Il ne leur restait qu'à tenter de réparer cet échec du mieux qu'ils pouvaient, et surtout reprendre l'ascendant sur la partie, avant que le monde ne souffre davantage du Chaos.


Grincedent et Crissedent peinaient à suivre la cadence chaotique que Loki et Seth maintenaient. Thor arrivait toujours avec une seconde de retard. Une seconde seulement qui le séparait du rire fou du dieu égyptien et du galop de Sleipnir.

Il avait bien tenté de s'égosiller à hurler le nom de son frère. Il avait été ignoré.

Il avait essayé de les arrêter d'un coup de foudre. Les éclairs le trahissaient pour Seth.

En désespoir de cause, il avait voulu les raisonner dans leur Chaos.

- Les Midgardiens ne sont pas prêts à voir notre Puissance se déchaîner !

Ils n'avaient même temps pris le temps de lui répondre autrement que par un rire qui signifiait sans le dire leur réponse : qu'importe ! Ils en avaient que faire des lois et de l'ordre.

- Notre ennemi va nous entendre arriver !

A ces mots-là, Loki avait arrêté Sleipnir une demi-seconde pour lui rire au visage.

- Mais, Thor, nous cherchons justement à le trouver.

Il n'avait pas eu le temps de lui rappeler que trouver et être trouvé n'étaient absolument pas synonymes. Le grand cheval gris s'était élancé de toute la force de ses huit jambes, distançant facilement les boucs alourdis par le char.

- Vous êtes fous ! leur avait-il alors hurlé juste avant qu'ils n'arrivent en Egypte. Ils lui avaient répondu tous les deux d'une même voix esclaffée, ravis de ce qu'ils considéraient comme un compliment. Sur l'estrade où l'homme qu'ils recherchaient discourait devant ses comparses, il s'était résolument mis en travers de leur chemin, espérant reprendre le contrôle sur les événements, avant qu'ils ne déclenchent une catastrophe. Mais même lui, qui pourtant se tenait juste à côté, n'avait pas compris pourquoi Ânkhtyfy s'était effondré entre eux, mort avant d'avoir touché le sol.

S'il n'avait vu le regard estomaqué, et quelque peu affolé, de son frère avant qu'ils ne se téléportent une nouvelle fois, il aurait pu croire qu'il était à l'origine de cette violence. Alors lorsqu'il les rattrapa, en plein milieu du désert égyptien, il se rua directement sur Seth, furibond contre celui qu'il pensait être le coupable. Mal lui en prit car, parmi les volutes de sable chaud, Seth était chez lui.

Thor se rappela Paul Getty au moment où l'Héliopolite levait la main vers lui.

Il ne le frappa pas fortement mais assez pour l'humilier en l'envoyant valser tête la première entre les grains blancs. Alors qu'il se redressait en hurlant des imprécations, Loki se dressa devant lui avant qu'il ne se jette une nouvelle fois sur le dieu roux.

- Tu es ridicule, Thor. Nous n'y sommes pour rien. Ni moi, ni lui. Ni même Ammout.

Son frère finit sa phrase dans une malédiction injurieuse qui le fit frémir. Assez pour retrouver son sang-froid et se rendre compte de l'agitation manifeste qui se dégageait de Seth et d'Ammout. La Grande Dévoreuse grognait en discontinue, le poil hérissé sur son échine écailleuse. Seth, qui avait repris forme humaine, abordait son masque sous un rictus rempli d'ire et serrait la hampe de son sceptre ouas et le manche de son képesh à s'en faire blanchir sa peau déjà si pâle.

Le dieu tourna ses yeux de sang vers lui.

- Il était là, lui dit-il, âpre. Apophis. Je l'ai senti… Il était ici, sur la Terre, en une âme décharnée, échappé du Néant de l'Héliopolis. Sa vraie forme suivra sous peu. Le Serpent approche.

- Evidemment qu'il était là ! Je vous ai dit qu'il nous sentirait arriver. Par les Nornes, Loki !

Son frère lui jeta un regard mauvais et hautain. Thor regretta soudain de l'avoir forcé à révéler sa présence sous l'apparence de leur père. Lorsqu'il essayait d'être Odin, il ne pouvait s'élancer sur les sentiers du Chaos. Sa Malice était entravée par son désir d'être un Roi.

- Arrête un peu d'hurler le nom de ces trois horreurs, maugréa Loki. Thor le regarda avec inquiétude insulter aussi frivolement les trois Puissances chargées du Destin des immortels. Loki haussa les épaules et se détourna de lui pour rejoindre Seth. Sous ses yeux interloqués, sa main se perdit sous les cheveux roux pour masser la nuque roide. Le dieu égyptien se calma visiblement ; le sable retomba au sol en un sifflement sourd. Alors seulement Thor se rendit compte qu'ils commençaient à être entourés par une tornade de grains embrassés par la colère de Seth.

- Dans son orgueilleuse assurance, Apophis a lâché des informations.

Sans lâcher Seth, Loki tourna la tête vers son frère, la Friponnerie virevoltant dans ses yeux verts.

- Avant que tu n'arrives - toujours en retard, soit dit passant, le Serpent avait pris possession d'Ânkhtyfy. Il veut Seth. Il désire se venger de toutes ses défaites.

- C'est trop tard.

Toute Malice quitta les yeux de Loki au ton sombre de Seth. Même Thor pouvait se rendre compte que le dieu était anéanti par l'imminence de l'arrivée du Serpent. Sa Flamme semblait avoir été soufflée.

- Le Ciel va se déchirer et la Terre va trembler. Car le Serpent Apophis arrive et toute vie ira à la dérive.

Loki le fusilla du regard et Thor s'avança, les boyaux soudainement resserrés de peur. Au fil des siècles, il avait développé un étrange pressentiment dès que son frère disait ou faisait quelque chose qui le mettait en danger.

Ce qui ne manqua pas d'arriver.

- Petit chien couard ! Ah, comme ça, ton maître n'est pas là, tu ne sais donc plus rien faire.

- Loki !

Il n'eut aucune sommation. La furieuse tempête de Seth les happa avant que Thor ne puisse attraper le bras de son frère. S'il fut seulement projeté contre le flanc de son char, sans même assez de force pour le renverser, le corps de Loki vola jusqu'à un rocher qu'il fracassa sous l'impact.

Thor bondit sur ses pieds et lança Mjöllnir, ne pensant qu'à sauver son petit frère de sa folie. Le marteau fusa en un chant mystique vers Seth mais sa course céleste fut tellement entravée par les innombrables grains de sable du désert qu'il fut renvoyé en arrière, jusqu'aux mains de son maître.

- Enfant-dieu insolent ! rugit l'Héliopolite, ses cheveux roux formant comme une flamme incandescente autour de son visage recouvert du masque séthien. Comment oses-tu émettre des doutes sur ma divine Puissance ?

A moitié écrasé par les éclats de pierre, échevelé et ensanglanté, Loki sourit férocement.

- J'ose quand le Seigneur des Tempêtes abandonne sans combattre. Le Serpent te fait-il donc si peur ?

- Je ne tremble devant personne ! éructa Seth, giflant l'air de la tête dorée de son sceptre ouas. Ni de Geb, mon père-Terre, ni de mon frère, le Roi des Morts, ni d'Isis la Magicienne et même pas du Roi-Soleil de l'Héliopolis. Qui es-tu pour affirmer que je sois enchaîné à la fois par la peur et l'obéissance ?

- Je suis Loki. Je suis le Mensonge, la Malice et Celui qui joue des Tours. Je suis la Folie et le Chaos… Allons, mon ami, je suis un Fripon, tout comme toi. Et nous trouvons toujours une pirouette.

- Il n'y aura pas de Chat de Râ. Ni la Puissance du Roi-Dieu. Il n'y aura pas la Magie d'Isis. Nous serons seuls devant le Serpent, abandonnés de l'Heliopolis. Il se dresse déjà entre eux et la Terre.

Loki haussa les épaules au sombre énoncé et rétorqua d'une voix badine :

- Alors créons un Chat, une Puissance et une Magie.

Spectateur impuissant, Thor le maudit de sa désinvolture : il disait cela comme s'il s'agissait d'une bagatelle. A sa grande surprise pourtant, la tempête tomba d'un coup, le faisant trébucher. Il se précipita vers Loki mais Seth tendait déjà la main au dieu prostré à terre, son masque se délitant en même temps que sa fureur.

- J'aurais pu te tuer, gamin fou.

- Tu ne l'as pas fait, roucoula Loki en réponse à la mine bourrue du dieu égyptien. Thor se rapprocha d'eux à pas rapides, craignant qu'un énième portail de lumière ne les happe. Il fut devancé par Sleipnir qui se précipita vers sa mère, encore tremblant d'avoir cru qu'il allait se faire tuer. Loki caressa avec tendresse le chanfrein puis se recula malgré les hennissements interrogateurs de son fils.

Il leva la tête au ciel.

- Heimdall !

Le Bifröst s'abattit sur le merveilleux cheval sans qu'il puisse s'en dépêtrer et le dieu de la Malice leva des yeux humides vers le ciel où le Pont arc-en-ciel disparaissait.

- Je ne te mettrais pas en danger.

- Loki, murmura Thor en tendant une main vers son frère. Les Nornes en soient témoins, Loki le laissa l'enserrer dans son étreinte quelques secondes, le temps de se remettre d'aplomb. Il comprenait son désarroi. S'ils échouaient, ils mourraient tous, même Jörmungrandr et Fenrir qui étaient emprisonnés sur Midgard. Loki ne pouvait sauver que Sleipnir et Hela… pour un temps seulement. Car le Serpent ne s'arrêterait pas à Midgard, il irait aussi dévorer Asgard et Helheim. Le violent frisson qui parcourut le corps de Thor au souvenir de sa vision secoua aussi la frêle silhouette de Loki. Leurs yeux se croisèrent avec détermination.

Pour la première fois de leurs longues vies de plusieurs millénaires, ils allaient combattre réellement ensemble, l'un par la Force et la Foudre, l'autre par la Malice et la Magie, pour protéger tout ce qu'ils aimaient.

- Tu as dis que le Serpent vous avez dévoilé son emplacement.

- Pas volontairement, souffla doucement Loki. Mais il s'est approché assez prêt pour que nous sachions où il est reparti.

A quelques pas d'eux, Seth hocha sèchement la tête.

- Nous ne sommes pas dans mon royaume par un coup de tête. Il a choisi de le bafouer de sa présence. Ses miasmes étranglent le sable.

Il y avait une douleur qu'il n'avait jamais entendu chez Seth dans ces mots.

- Allons débarrasser le désert de ce qui le tourmente.

L'Héliopolite leva la tête pour le transpercer de son regard sanglant. Un éclair de connivence s'échangea entre eux. Puis Seth se détourna et balaya l'air de la main pour ouvrir une brèche spatio-temporelle vers le lieu du rituel. Thor sauta sur son char, surpris d'y trouver Loki qui souriait, les rênes en mains.

Il pouvait bien lui permettre de conduire Crissedent et Grincedent. En fait, Loki n'attendit pas qu'il lui en donne l'autorisation. Dès qu'il eut posé un pied sur le socle d'or, les courroies claquèrent et les deux boucs s'élancèrent derrière Seth et Ammout. Et il ne resta de leur passage qu'un rocher éclaté que le sable recouvrait déjà.