On peut marcher tout droit pendant des jours, jamais nous ne ferons le tour de la Terre, jamais nous ne retomberons sur l'axe exact de notre route. On peut en tirer comme conclusion que même si l'homme se vante de jour en jour de son avancée technologique et de ses découvertes, il n'est pas ancré que demain toutes ses certitudes ne soient balayées par les plans d'autres personnages dont nous ne connaissons pas encore les noms. C'est ce que m'avait raconté mon professeur de philosophie, l'année passée. Une vague théorie de l'évolution humaine basée sur la contradiction du « c'était mieux avant ». Je m'appelle Lorène et je suis étudiante en histoire et philosophie.

L'école dans laquelle je suis, dans le nord, est considérée comme une boite remplie de drogués et d'alcooliques telles sont les réputations de tous les établissements scolaires dans notre genre.

Rentrée oblige, je vagabonde dans les différents rangs formés par la cloche, à la recherche de ma classe, ma dernière classe. Prions Dieu afin qu'il puisse nous bénir de tous les problèmes de la majorité à venir et nous ouvrir les voies des multiples facs de notre pays.

- Eh oh! Lorène!

D'un mouvement vif, je croise les yeux de mon interlocutrice, Michèle, une amie de la section scientifique et mathématiques, tout le contraire de ce que je pourrais faire. Elle est remarquable à ses cheveux courts blond cendré, sa taille sculptée et ses manches laissant transparaitre ses biceps aussi gros qu'une église. Je dois bien avouer qu'elle me fait peur, autant son corps que sa passion pour le sport. Il faut de tout pour faire un monde.

- Tu commences par quoi? Me demanda-t-elle.

- Tu vas adorer, mathématiques, quel dommage que nos sections ne soient pas regroupées cette année. Cela nous évitait de répondre aux questions de la prof l'année passée.

Un léger rire s'échappe de sa bouche, je fais bonne figure mais à l'intérieur, je bouillonne. Je déteste ce professeur, comme tout élève face sa bête noire. C'est bien le genre de femme à vouloir faire de nous des mathématiciens en faisant abstraction de nos voies respectives. Je ne compte pas construire des ponts ou bien délimiter des champs avec des barrières plus tard. D'ailleurs, ces métiers existent-ils réellement ?

Dans mes pensées, je ne fais pas attention au jeune garçon me tapotant l'épaule pour me faire la bise. Je reconnais à sa taille Logan, un ami de section Langues étrangères, avec lequel je suis regroupée. Michèle nous fait signe que son rang part pour le cours de français. Le nôtre aussi semble avancer à travers les couloirs du deuxième bâtiment. L'école est coupée en 3 bâtiments le premier comprenant l'accueil, l'administration, le cabinet médicale et deux étages de classe. Le deuxième des salles de gymnastique, d'une grande salle d'étude et de deux étages de classe dont un relié au premier bâtiment. Le troisième d'un self et d'une immense salle de gymnastique où ont lieu différentes brocantes.

Nous nous contentons donc de suivre le professeur que j'aperçois au bout du rang, je discerne à travers toute la foule d'étudiant quelques connaissances des années précédentes. Nous sommes probablement une vingtaine ce qui est un exploit pour notre école, d'autant plus que nos sections sont reconnues comme étant les plus compliqués de ce bahut – intellectuellement parlant.

Arrivés devant la salle de cours, le professeur nous ouvre la porte et nous somme de nous asseoir dans l'ordre du premier au dernier banc. Par malchance, je me retrouve donc au dernier banc, presque seule, des moutons de poussière sur l'appui de fenêtre me tiennent compagnie. La classe étant plus longue que large, je distingue à peine les écritures du tableau, j'ai également oublié la paire de lunettes m'aidant à combattre ma myopie. J'abandonne l'idée de forcer sur mes yeux et me concentre à replacer mes mèches blondes sur le côté droit de mon front à l'aide d'un miroir discret. Je vérifie une dernière fois le mascara et l'eyeliner entourant mes yeux bleus clairs et le plonge au fond de mon sac.

Au milieu des présentations du professeur, je me rends compte que je me trouve derrière les commères de la classe, celles que j'avais évitées tout le long de ma scolarité. Comme moi, elles se recoiffent à l'aide de miroir, mais pas les mêmes miroirs, ceux qui sont habituellement posés sur des socles et qui font la taille d'une porte pour chat. Moi qui craignais de me faire remarquer, elles-mêmes ne semblent pas s'en inquiéter. J'aperçois au fond de leurs sacs des lisseurs, trousses de maquillage sur le point d'exploser et de temps en temps, un bloc de feuille. C'est déjà ça, dirai-je.

- Pour cette année, je veux que vous ayez, un cahier « atoma », une calculatrice et une équerre aristo. Dit le professeur d'une façon peu agréable, donc vous êtes?

- Les sections Sciences économiques, histoire philosophie et Langues étrangères ! S'écrièrent quelques bons élèves au premier rang.

La plupart des élèves de cette classe sont en Sciences économiques, allez savoir pourquoi ils sont plus nombreux. Ils sont douze pour quatre historiens et quatre linguistes. Le professeur se met alors à inscrire ses premiers exercices sur le tableau noir. Elle souhaite tester nos connaissances actuelles dans un test dit « blanc » qui finalement sera quotté pour la fin de ce trimestre. Je plisse les yeux au maximum afin d'affiner ma vue mais rien y fait, je note au possible les quelques chiffes décelables. Loin de moi l'envie de demander à me rapprocher et aucune chance de pouvoir jeter un œil sur les copies des pipelettes d'en face. Au moment où je pense enfin avoir réussir à recopier les bons exercices, le professeur les efface et en inscrit d'autres à la craie jaune, aucune chance donc que je ne puisse les apercevoir. Je finis donc par abandonner et profiter de la vue que m'offre cette dernière place.

Pour une vue…on va juste dire que je vois des tas de nuage, le nord et sa grisaille, ses dangers de pluie. D'habitude au mois de septembre on peut en espérer mieux.

Au bout d'une dizaine de minutes, je détache mes yeux du ciel pour balayer le reste de la salle, scrutant les élèves sans être vue pour finalement bloquer sur la porte. La vitre teinté laisse apercevoir une forme derrière, pas très grande. Deux coups résonnent sur la porte et celle-ci s'entrouvre. Au pied, un garçon, que je devine à peine plus grand que moi – vers les 1m60 et quelques je dirai – peine à attirer l'attention de la prof, toujours plongée dans ses explications. Il a les cheveux blonds porté sur l'or, le visage fin et les yeux d'une couleur ambre que je n'avais jamais vu auparavant.

Probablement alerté par mon regard fixe, ce jeune homme finit par croiser mes yeux et m'intime silencieusement de prévenir le professeur. Habituellement, je l'aurai fait sans aucun souci mais cette fois, sans raison apparente, je n'ai pas envie d'aider cette personne. Je me contente d'hausser les épaules en souriant méchamment et reporte mon attention vers le tableau flou.

Un nouveau coup résonne, cette fois, je crois bien qu'il a donné un coup de pied dans la porte vu le bruit que cela a provoqué. Ce coup-ci, il n'y a pas que le professeur qui l'a entendu mais également tout le reste de la classe. Comme si de rien était, il se dirige vers le bureau et glisse un mot à l'attention de notre instituteur. Les autres se regardent entre eux, aussi éberlués que moi. En 6 ans, nous ne l'avons jamais vu ici.

- Excusez-moi mais cet élève est arrivé en retard, expliqua-t-elle pour expédier cette affaire. Allez-vous assoir au dernier rang.

Étrange, communément, tout élève arrivant en retard à un cours n'est pas autorisé à y participer ou alors c'est inscrit dans son carnet. Là, rien du tout et je ne parais pas la seule à être étonnée de cette décision. Il part s'asseoir à côté de moi comme il lui a été demandé. C'est bien ma veine, il fallait que ce soit un élève. Je me demande bien dans quelle section il peut être. Langues ? Non, un langagier sait se tenir. Je miserai sur un économe, ceux-là ne savent jamais être poli et à l'heure. Il est hors de question d'imaginer qu'il soit en histoire.

Il ne sort pas d'affaire, ne note pas, regarde à peine le tableau. Je dois probablement le fixer comme un violeur devant sa victime mais je ne peux m'empêcher d'être troublée par ce personnage. Ce n'est pas tous les jours qu'on voit quelqu'un de ce type.

Je ne suis pas la seule car de temps en temps, les filles du rang avant lui jettent un œil ou deux. Je perçois la luxure dans leur attitude et soupire à mes pensées. Je devrai me remettre à copier les pattes de mouche dessinées au tableau. Au final, je me rends compte ce que j'écris n'a toujours aucun sens et que ma tête est plutôt prise par ces multiples questions. Relevant le menton une dernière fois sur les filles, je me rends compte qu'elles sont toutes en train de me scruter depuis une bonne minute. La raison en est de l'autre personne qui me fixe à ma gauche. Je tourne la tête et croise des yeux, ses yeux, ceux dont on soutient le regard et qu'on invite à poursuivre le petit jeu. Je continue de le dévisager quand il dit :

- T'es dans quelle section, toi ?*