« C'est pas plutôt mon truc habituellement de mettre des chemises, remarqua le Patron en observant son frère s'habiller.
- Aujourd'hui, faut que j'en mette plein les yeux à un abruti, expliqua Mathieu en s'échinant à fermer ses boutons. »
Son frère se leva pour le faire à sa place.
« Ce Bruno t'a donc invité à manger avec lui et ses larbins, mais avec ton pauvre t-shirt, tu aurais paru tâche parmi eux, du coup aujourd'hui tu sors en Monsieur Sommet plutôt qu'en Mathieu. C'est bien ça ?
- T'as tout compris.
- Ca n'a rien à voir avec le fait que les parents veuillent marchander avec le famille de Bruno n'est-ce pas ? »
La teinte de Mathieu se fit plus chaleureuse, le Patron sut qu'il disait vrai.
« Il va essayer de t'utiliser.
- Je suis plus malin que lui.
- Et plus classe maintenant, ajouta le Patron en achevant de fermer la chemise bordeaux de son aîné.
- Merci. Ca a pas l'air d'aller mieux toi, s'inquiéta-t-il en posant sa main sur son front brûlant.
- Mère m'a fait bosser mon piano toute l'après midi hier. La fièvre me fait faire des erreurs, et je dois à chaque fois tout refaire, c'est chiant. Mais dans quelques jours, je serais guéri.
- J'y compte bien, sourit Mathieu en lui embrassant la joue. Au fait. Jérémy te souhaite un bon rétablissement. »
Le Patron haussa les épaules.
« Passe lui le bonjour. »
Bien qu'un peu étonné du manque de réplique sanglante de son benjamin, Mathieu acquiesça.
« A ce soir. »
Dans la file d'attente de la cantine, Mathieu, derrière Bruno, eut tout le loisir de détailler celui-ci. Ses muscles tendaient le coton des manches de sa chemise, repliées sur ses triceps et biceps brachiaux. Ses épaules déjà larges entouraient un dos athlétique qui s'affinait vers une région lombaire robuste. On ne pouvait le qualifier de massif, mais toute sa finesse sportive se dessinait en muscles. Il était sans doute un des plus bels éphèbes de l'institut.
A table, son charisme rassemblait tous les collégiens désireux d'être bien vu, en bonne compagnie. Chacune de ses paroles s'accompagnait d'un geste faussement spontané de la main, pour garder l'attention de son interlocuteur. Ses efforts apparents concernant son style vestimentaire le distinguaient de la foule, bien qu'avec un simple Marcel, s'avoua Mathieu, il se démarquerait déjà.
Son aura tout à fait particulière, jointe à sa beauté et sa richesse, lui offrait toute la popularité nécessaire à un jeune homme de son enseigne. Face à lui, Mathieu conservait son silence, s'habituant à ses manières et ses paroles.
Dans la hiérarchie de l'argent et des castes, la famille Sommet surplombait les Van Der Shauen. En terme même de renom dans l'école, les jumeaux restaient bien plus admirer et honorer que lui. Ensembles, les deux frères Sommet rayonnaient d'une dignité, d'un éclat resplendissant.
Depuis leur enfance, le Patron attisait le plus la curiosité, engageait les conversations, démêlait les arguments qu'il entraînait lui même. Mathieu, plus réfléchi, paraissait parfois hautain, et quelque part, majestueux. Il suivait son frère dans ses disputes, dans ses élans lyriques, et n'intervenait qu'en cas de nécessité. Quand il daignait prendre part, il ne laissait plus aucune place à son frère qui, à côté de lui, passait pour un vulgaire criard. Enfin, seul, il pouvait se montrer bien plus bienveillant qu'il ne l'admettait.
« Mes parents s'attendaient à vous voir ce week-end, au tournois de football qu'ils ont organisé, lui dit soudain Bruno, se détournant des autres.
- Nous devions voir les principaux invités à notre gala de charité de samedi, nous nous en excusons.
- Un gala ? Je ne crois pas que ma famille y soit invitée.
- Une terrible erreur, tu n'en doutes pas, je vous ferai parvenir une invitation dans les plus courts délais.
- Ca dépend, je pourrais t'y voir ? »
La question étonna un peu Mathieu, il n'en montra rien. Il avala les brocolis qu'il avait en bouche s'essuya doucement les lèvres, avant de reprendre la conversation. Il devait montrer qui en avait l'aval.
« Mon frère et moi sommes réquisitionnés toute la soirée pour faire l'accompagnement musical.
- Pourquoi, votre famille n'a pas assez de tune pour se payer des musiciens, ricana David. »
Mathieu vit la rapide moue agacée de Bruno, et s'en amusa un bref instant, avant de se tourner vers le métisse.
« Dans les familles de mon rang, peu importe l'argent qu'on peut débourser avec des musiciens. Nous accueillons déjà pour cet événement plus de deux cents personnes dans une salle louée par nos soins. La nourriture est à notre charge, tout comme la décoration, et le service. Autant dire que faire venir trois simples musiciens, ou même tout un opéra ne nous poserait aucun embarras. Seulement, aucun ne possède le talent de mon frère, et lui même vous répondrait qu'aucun ne possède le mien. Aussi, si nous voulons le meilleur, chez les Sommet, on devient les meilleurs.
- Ca va, tu te prends pas trop pour de la merde, grinça une blonde aux seins proéminents pour son âge, à quelques sièges de Mathieu.
- Eh bien, voyons ça dans un duel de piano ! Marie, qui t'a provoqué, s'y exerce depuis dix ans. Il y a bien un piano dans la salle commune non ? Proposa Bruno pour tenter de calmer le jeu. »
Mathieu se leva, plateau en main, un air de défi dans les yeux.
« Je ne saurais refuser. »
Bien qu'il excellait davantage au violon ou à la guitare, le vainqueur de cette petite compétition ne fit aucun doute. Alors que la blonde s'éloignait retrouver sa dignité détruite, Bruno passa son bras sur les épaules de Mathieu, et l'entraîna à l'écart de son groupe.
« En fait, je pensais que tu n'étais que le pion de ton frère, mais je me trompais !
- Qu'est-ce que tu veux dire ?
- T'as un sacré caractère Mathieu. Je pensais exactement la même chose que toi sur ce que David a dit, mais jamais je n'aurais pu lui dire ! Et aussi bien le formuler ! »
Mathieu haussa les épaules.
« Question d'habitude.
- Sans doute, rigola Van Der Shauen. Mais tout de même, faudra m'expliquer. Pourquoi tu restes à vouloir être identique à ton frère, alors que t'as une telle personnalité à toi tout seul ? »
Cette réflexion laissa l'aîné Sommet pantois. Alors que la sonnerie retentissait, Bruno lui donna un léger coup sur le torse.
« L'est- temps d'être toi même, tu ne crois pas ? Bon, on se revoit demain ! J'espère que je t'aurais encore à table.
- Avec plaisir. »
Un énième repas ensemble terminé, Bruno prit Mathieu à part, comme à son habitude.
« Alors ce gala ?
- Ca va. On a rassemblé pas mal d'argent.
- Ton concert ?
- Parfait, comme il se doit. Mon frère joue tellement bien, il hypnotise toujours les foules. Ce serait bien que je vous présente proprement quand il reviendra.
- Il est toujours malade ?
- Ca a empiré après le gala, il s'est évanoui..
- T'es inquiet ?
- Pas vraiment, il est résistant.
- Tu sais quoi, je suis presque content qu'il soit malade. »
Mathieu leva un regard accusateur son son interlocuteur.
« Je te demande pardon ?
- Je veux dire... Quand t'es avec lui, t'es moins intéressant. Je préfère ton caractère là. Et puis, ce mec... Il n'est pas le genre que j'apprécie.
- Tu ne le connais pas.
- J'en sais déjà assez. Et quand il reviendra, tu retourneras avec lui, et on ne pourra plus avoir nos discussions ensemble, ajouta-t-il.
- On a pas besoin d'être tout le temps ensemble non plus, murmura Mathieu. Je trouverai du temps pour toi et lui. »
Il terminait sa phrase quand Jérémy, à quelques mètres, tomba tête la première dans une flaque. Les deux amis échangèrent un regard avec d'exploser de rire. Ils s'approchèrent.
« Bah alors, t'as plus de quoi te payer une douche ?
- Tu sais, y a les bains publics si jamais.
- Ton sac va être trempé, laisse moi le récupérer... »
Bruno s'empara du cartable et le donna à Mathieu, qui en ouvrit la pochette avant.
« On va être sympa avec toi, on prend ton goûter, tu vas grossir sinon. »
Les yeux peinés du geek se posèrent sur Mathieu, qui rendit le sac à son acolyte. Celui-ci l'ouvrit en grand, et déversa son contenu sur la tête de la victime, toujours au sol.
« C'est pas assez ordonné tout ça, remets moi de l'ordre là dedans.
- Non ! Mes cours... ! »
Jérémy tentait d'éviter à ses feuilles de toucher le sol, alors que les deux autres s'éloignaient déjà.
« Au fait, elle est vraiment belle ta veste, fit remarquer Mathieu.
- Longsdale oui. C'est aussi pour montrer mon appartenance à une communauté. Je vais me raser les cheveux aussi je pense. Comme ça le style sera complet.
- Une communauté ?
- Ouai, comme les black, les évangélistes, les musulmans, mais là c'est pour les blancs athées ou catholiques. Ca t'intéresse ?
- Je suis pas vraiment friand de communautarisme.
- Parce que t'en as rien à foutre de personne toi, s'esclaffa Bruno, toujours près à se moquer de l'apparente indifférence de Mathieu. »
Celui-ci se retourna vers lui brusquement et s'arrêta, l'entraînant à en faire de même. Ses yeux brillaient de conviction.
« Ce n'est pas vrai ! Il y a des gens à qu j'accorde de l'importance. Sincèrement. »
Bruno eut un léger sourire, avant de passer son bras sur ses épaules, accentuant leur différence de taille.
« Je déconnais, idiot ! »
Ils rirent de bon cœur.
« Tu as l'air... Différent, remarqua le Patron, allongé sur son lit, derrière son frère. »
Ce dernier tourna sa chaise pour lui faire face. Un rayon de soleil pâle du matin l'éblouit un instant.
« De quoi tu parles ? »
Le Patron haussa les épaules, relevant les yeux de l'ordinateur portable devant lui.
«Tu as passé la soirée du gala à balayer la salle du regard, tu mets énormément de chemises, même les miennes, tu es songeur...
- Je ne vois pas en quoi c'est un problème.
- C'est juste que... Depuis que tu fréquentes ce Bruno, tu es toujours pensif. T'as l'air déconnecté du monde ici.
- La fièvre te fait divaguer, faut encore que tu restes alité.
- Ca fait trois semaines, je vais très bien maintenant. Je pense juste que ce mec à une mauvaise influence sur toi. Il te change. »
Mathieu fronça les sourcils, serrant le point avec agacement.
« Fadaises.
- Jérémy m'a dit que tu l'ignores depuis, que t'as même fait exprès de lui faire tomber son plateau. Alors O.K, c'est drôle, mais le mec a quand même été sympa avec toi, et à ce qu'il me dit, tu le victimises tout le temps. C'est pas toi ça. »
A sa grande surprise, Mathieu se redressa avec véhémence.
« Une mauvaise influence ?! « C'est pas moi ?! » Je vais te dire pourquoi t'as cette impression : parce que Bruno me fait me sentir moi même, pas juste un autre toi. T'as envie d'être mon centre du monde, que je sois comme toi, ou pire à tes bottes, et ça te fait chier que maintenant, je sois moi même ! Tu m'utilises comme d'un putain de faire valoir ! »
Le Patron bondit à son tour sur ses pieds.
« Putain mais il te monte contre moi ou quoi ce mec ?! Depuis quand tu t'énerves comme ça là ? Et t'utiliser comme faire valoir ? Elles te viennent d'où ces putains d'idées à la con là ?! Bordel Mathieu, tu me connais non ?!
- Parfois, je crois que je préférerai que non ! »
L'aîné Sommet résista à l'idée de pousser son frère, sachant évidemment qu'il n'y arriverait pas, et se contenta de quitter leur chambre. Le Patron, dont le cœur se serrait au point d'en être douloureux, se laissa de lui même tomber sur le lit, alors que la porte claquait.
Cette journée de dimanche passa sans que les frères ne s'adressent la parole. Alors que vingt-deux heures pointaient, le Patron se décida à aller s'excuser, bien qu'il ne pensait pas être en faute. L'absence de son frère l'insupportait au plus au point. Il se rendit jusqu'au bureau où se trouvait leur ordinateur, et y trouva Mathieu, assis, semblant se concentrer sur son jeu.
Il se glissa derrière lui, et posa délicatement ses mains sur ses épaules, qu'il massa avec douceur. Son aîné se détendit jusqu'à poser sa tête sur le ventre du benjamin -non sans avoir mis son jeu en pause, cela va de soi-.
« Je me suis emporté. Désolé.
- Je ne voulais pas non plus te vexer. Tu me manques la journée, et j'ai pas envie que tu me remplaces.
- T'es mon frère. Personne peut te remplacer. »
Les yeux fermés de Mathieu lui offrait une moue sereine magnifique. Sa bouche entrouverte pour respirer obnubila l'esprit de son frère, qui se pencha pour l'embrasser.
Mathieu répondit au baiser, bien qu'hésitant. Ce soir là, il avait très envie de contact physique. Vraiment. Simplement, ses pensées dérivaient vers un autre jeune homme.
Coucou ! Désolée pour le retard de publication, j'ai beaucoup de choses à faire depuis mon retour d'Autriche !
Je ne vous oublie pas pour autant et je continue d'écrire, bien que le rythme soit plus lent !
Tendresse & Bigoudis Chauffants,
Maria