- Reviens ici tout'suite !, cria Pauly.
Le blond se mit à courir le plus vite qu'il pouvait, jetant ses cordes en avant afin d'attraper sa proie. Or, celle-ci esquivait car elle connaissait Pauly par cœur. Une course poursuite à travers le chantier naval s'était engagée, sous les regards pesants ou hilares des artisans. Finalement, c'est Lucci qui captura la proie, la soulevant du sol.
- Tu ne devrais pas courir comme ça avec une bouteille.
- Lucci redresse-la bon sang !, hurla Pauly. Elle se vide !
Bien évidemment, le blond parlait de la bouteille et non de la fillette qui la tenait. Cette dernière se mit à rire, lorsque les ouvriers se calmèrent. Elle fut la dernière à remarquer la présence de l'unique femme sur le chantier naval. Elle se tut immédiatement en captant sa présence, puis Lucci la reposa à terre. Gênée, elle baissa la tête. La femme prit la fillette par la main et quitta le chantier après avoir dit au revoir à tous.
- Combien de fois on t'a dit, avec ton père, de ne pas aller importuner les ouvriers sur les docks ?
- Plein…, soupira l'enfant.
La femme soupira puis s'arrêta avant de se poster devant la fillette. Elle se baissa à sa hauteur, et caressa ses cheveux rouges.
- C'est dangereux, tu comprends ?
- Oui maman…
- Alors pourquoi tu y retournes sans cesse ?
- Parce que je veux faire comme eux…, répondit l'enfant après un silence.
La jeune maman soupira, puis planta ses yeux de braise dans le regard foncé de sa fille.
- Un jour, tu pourras le faire Luna. Mais pas maintenant. Tu es encore trop jeune !
- Mais…
Prenant sa fille par la main à nouveau, la femme quitta les rues de la ville pour rentrer chez elle.
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- Ne t'éloigne pas Luna !, ordonna Icebarg en regardant la fillette aux cheveux rouges courir devant lui.
Le président de la Galley-La company l'emmenait parfois sur le chantier, lors de ses inspections. La petite disparaissait parfois, d'autres elle restait près de lui. La présence d'Icebarg sur les docks aujourd'hui était due à l'arrivée de l'Aqua Laguna. Bien que le chantier se trouve dans la ville haute, il fallait tout de même protéger les constructions navales en cours. Le jeune Kaku se retourna en entendant la voix fluette de la petite Luna.
- Hé, voilà la tornade !
- Salut Kaku !
Le jeune homme esquissa un sourire devant la mine radieuse de l'enfant.
- Alors, c'est bientôt ton anniversaire ?
- Oui !
- Et ça te feras quel âge ?
- Quatorze ans !
Pauly arriva alors, et ébouriffa les cheveux rouges de Luna en souriant.
- C'est qu't'es grande !, déclara le contremaître. Espérons que la raison viendra enfin !
- Ce serait pas mal !, rigola Kaku.
La petite fille rigola doucement, quand la voix d'Icebarg se fit entendre. Pauly fit un signe de tête pour signifier à Luna qu'elle devait partir.
- File vite, ton père te cherche déjà !
- Oui, au revoir les gars !
Luna fila rejoindre son père puis quitta le quai n°1 avec lui. Ils rejoignirent sa mère qui les attendait à la maison, mangèrent puis Luna alla se promener dans la ville. Pendant ce temps-là, Icebarg discutait avec sa femme des chantiers.
- Tu ne devrais pas tant t'inquiéter, dit-elle. Nous sommes dans la ville haute et les chantiers aussi, il n'y aura pas de problèmes.
- On n'est jamais trop prudent, Nina, avec l'Aqua Laguna…
Icebarg esquissa un sourire, tandis que les yeux braisés de sa femme le fixaient.
- C'est bientôt. Il faudrait peut-être qu'on se mette au travail pour son anniversaire !, suggéra Nina, le menton dans la main.
- Effectivement. Je me posais une question d'ailleurs…
- Quoi ?
- Si on n'avait pas nommé notre fille en contractant le nom de cette tempête, tu crois qu'elle serait moins turbulente ?
Nina se mit à rire. Près de treize ans avant, lors de l'Aqua Laguna, elle avait accouchée de leur fille. Les deux jeunes parents n'avaient pas eu beaucoup d'idées de prénoms pour leur enfant, et ils n'avaient pas prévu qu'il arriverait en pleine tempête. Pourtant, ils étaient tombés d'accord après près d'une journée de réflexion : leur fille se nommerait Luna (retirant le « ag » de Laguna).
- Elle a son caractère !, finit par dire Nina. Même si on l'avait appelée autrement, elle serait comme ça.
Icebarg sourit, bien d'accord avec sa femme.
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Les rafales de vent ne dérangeaient pas Luna, qui s'était rendu dans la ville basse. Elle aimait observer la mer avant l'arrivée de cette vague immense. Sa tresse de cheveux rouges volait au vent, ses yeux sombres fixaient l'horizon. Elle était comme fascinée. Un grondement se fit entendre.
Elle arrivait.
Nina courrait le plus vite que son corps lui permettait. L'Aqua Laguna arrivait, et Luna était aux abonnés absents. Bien évidemment, elle savait où trouver sa fille. Lorsqu'elle arriva à l'escalier sud, l'Aqua Laguna était déjà proche.
- Luna !, hurla Nina.
La fillette ne bougea pas. Sa mère, l'ayant à vue, fila vers elle. Pauly inspectait la ville avec les autres contremaitres, et l'appel de Nina l'avait alerté. Malheureusement, elle était déjà en bas avec sa fille. Nina prit sa fille par le bras et la tira en courant. Mais l'Aqua Laguna était là.
- Madame !
Nina fit signe à Pauly, et ce dernier utilisa ses cordes pour attraper Luna qui peinait à suivre sa mère. La petite se rendait enfin compte du danger, tandis que les cordes de l'ouvrier la tiraient hors de portée de la vague. Nina n'avait pas pu remonter à temps.
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Luna ne bougeait plus d'un cil depuis l'Aqua Laguna. Lorsque la vague s'était retirée, Pauly avait mis du temps à la calmer. Elle voulait à tout prix retrouver sa mère, et ne cessait de s'échapper. Ses efforts vains l'avaient fatigué, puis elle s'était endormie contre Pauly qui l'avait ramené à son père. Icebarg avait d'abord pris soin de coucher sa fille avant de rejoindre l'ouvrier qui lui apprit l'horrible évènement. L'Aqua Laguna avait emporté Nina, cette dernière ayant voulu ramener sa fille dans la ville haute alors qu'elle n'avait plus le temps.
Dès son réveil, Luna su qu'elle n'avait pas rêvé. Elle avait donc décidé de ne plus bouger, ne voulant pas affronter son père. Elle se souvint alors de la promesse faite à sa mère, peu avant la vague.
- Je n'irais pas dans la ville basse !
Mais comme toujours, elle avait désobéit. Ç'avait été plus fort qu'elle, elle n'avait pu résister à l'envie de descendre. Résultat, sa mère avait été noyée par sa faute. Luna ne voulait plus manger, plus bouger. Quand Icebarg venait la voir, elle ne disait rien, ne réagissait pas. L'odeur de la Mort ne planait pas sur elle pour autant. Icebarg n'avait pas arrêté d'aller sur le chantier, de voir comment se portait la ville. Nombreux étaient ceux qui savaient pour la mort de Nina, et qui demandaient des nouvelles de sa fille qu'on ne voyait plus à travers les rues ou les docks. Pauly et Kaku étaient les premiers à en demander.
Icebarg ne savait plus quoi faire. Il avait longtemps essayé de faire manger sa fille, de la sortir du lit mais il ne voulait pas la forcer. Rien ne faisait bouger sa fille, et discuter de tout et rien avec elle n'avait rien changé. Voyant son patron perdu dans ses pensées, Pauly se permit de l'interpeller.
- M'sieur ? Z'avez déjà parlé de ce qui s'est passé ?
Le président de la Galley-La Company tourna la tête vers son employé.
- Non, je ne tiens pas à ce qu'elle soit blessée davantage qu'elle ne l'est.
- Mais… ça lui ferait peut-être du bien justement ?
Le soir-même, Icebarg décida d'aller discuter avec sa fille. Le silence régnait, quand Luna tourna la tête pour regarder son père.
- Ce n'est pas ta faute.
- Tout le monde le dit…
La voix de Luna était faible et raillée par la fatigue. On pouvait sentir que la volonté de vivre, son innocence et son énergie s'étaient envolées.
- Je ne te mentirais pas, tu as bel et bien une part de responsabilités dans la mort de ta mère. Qu'est-ce qui t'as pris d'aller dans la ville basse alors que la vague était toute proche ? Certes, cette vague l'a emporté, mais si elle n'avait pas fait signe à Pauly de te récupérer tu ne serais plus là. Il ne peut pas tirer deux personnes. Ta mère a décidé de te sauver, et elle en connaissait le prix. C'était son choix, sa décision, et personne ne l'aurait fait changer d'avis. Et ce n'est pas en te laissant mourir que tu la ramèneras. Franchement Luna, tu penses que ça ferait plaisir à ta mère de te voir dans un tel état ?
L'enfant secoua négativement la tête, et rejeta ses draps avant de se lever. Des larmes se mirent à couler le long de ses joues, puis elle releva fièrement la tête.
- Non, elle voudrait pas.
- Alors arrête de te punir en t'enfermant.
Luna baissa la tête et se tint les côtes. Pensant qu'elle était blessée, Icebarg s'approcha de sa fille qui l'arrêta avec sa voix tremblante.
- J'm'en veux tellement… J'te demande pardon papa…
Icebarg se mit à la hauteur de sa fille et lui releva la tête doucement. Il essuya les larmes qui perlaient au coin des yeux de Luna puis lui sourit.
- Tu n'as pas à t'excuser, je ne t'en veux pas.
L'enfant se blottit entre les bras de son père, pleurante à chaudes larmes. Même si c'était difficile, elle devait vivre sans sa mère et aller de l'avant. Pour honorer sa mémoire, Luna se fit la promesse de réaliser son rêve. Sa mère l'encourageait toujours à aller jusqu'au bout de tout, et elle le ferait. Dans un murmure plein de sanglots, Luna dit :
- Je serais artisan naval, moi aussi.