Les délibérations de Patrick et de Teresa
Bonsoir à tous. Après un long délai, voici le troisième volet qui clôture la série du Choix de Lisbon et du Dilemme de Jane. Un opus différent des deux premiers tant par la forme que par le style pour des raisons évidentes, et dont les grandes lignes étaient tracées avant la diffusion de la sixième saison. Un dernier hommage en honneur de la fin de la série, dont les derniers épisodes seront diffusés ce jour. Bonne lecture !
Disclaimer : Rendons à César ce qui est à César.
Fatigué, les traits tirés, le paysage mordoré par le soleil levant défilait devant lui sans qu'il n'y prît réellement garde. Il était sur la route. Seul.
Il avait tergiversé longtemps avant de se décider, sur une impulsion. Il s'était saisi des deux valises qui depuis des jours trônaient près de la porte, pleines de ses effets personnels et de ses trésors les plus chers, avait sauté dans sa voiture et pris résolument la direction de l'Est.
Au moment de franchir la frontière de l'Etat, une pensée pour ses amis lui traversa l'esprit et il envoya un message laconique à Cho l'informant qu'il prenait des vacances. Déjà inquiets de son apparente régression, de ses replis accrus dans le grenier, il imaginait sans peine leurs réactions, la surprise, l'incrédulité, le souci puis, enfin, la compréhension des raisons de son départ soudain. Haussement d'épaules.
Déterminé à obtenir enfin les réponses aux questions qui le hantaient, il avalait les kilomètres comme un cow-boy son café, sans accorder plus qu'un regard curieux aux panoramas qu'il traversait. Nevada, Arizona, Nouveau-Mexique… Ce n'était pas sans lui rappeler les longues étapes de sa jeunesse quand il voyageait de ville en ville, un des bons souvenirs qui lui restaient de cette époque, un rare sentiment de liberté…
Texas, Louisiane, Mississipi…
A mesure qu'il approchait de sa destination, la Floride, il sentait cependant le malaise et les doutes croître en lui. C'était quasiment par hasard qu'il avait retrouvé sa trace une nuit d'insomnie, dans l'immensité de la toile, sur une page internet où ne figurait que son nom, parmi d'autres, en caractères minuscules, et l'estampille d'une ville, seul indice pour la localiser. L'accès au site même étant verrouillé par mot de passe, il ne savait rien de plus, pas même ce qu'elle faisait, devenait. Il devrait enquêter sur place pour en apprendre davantage, espérer la rencontrer, la voir. Si elle acceptait de le voir, de converser avec lui. Rien de moins sûr : elle l'avait délibérément ignoré quand elle était partie, le laissant seul devant l'ascenseur… Déglutition.
Alabama.
Peut-être ferait-il mieux… Allons donc ! Il n'avait pas parcouru tout ce chemin, dormant et se restaurant à peine, pour renoncer maintenant, si près du but.
Floride.
Un Etat semblable à la Californie, chaud, ensoleillé, où la richesse et la célébrité aimaient à prendre racine. Dépaysée mais pas trop. Un cadre idéal pour rebâtir une carrière. Bref sourire. Froncement de sourcils. Si ce n'était qu'elle avait choisi de s'implanter dans une ville somme toute modeste, où le meurtre ne tenait certainement pas la même place qu'à Sacramento et ses alentours… Etrange de la part d'une personne addicte au travail comme elle. Peu importait. Après des jours de voyage, il n'était plus qu'à quelques heures de route du lac OkeechoBee, près duquel elle avait élu résidence. Il saurait bientôt à quoi s'en tenir.
[…]
Sa première démarche en arrivant en ville fut de louer une chambre d'hôtel au Sunny Cottage, un établissement confortable qui tenait davantage de la pension de famille que d'une chaîne hôtelière touristique. Epuisé par le trajet, il préférait prendre le temps de se reposer plutôt que de risquer que sa vigilance, amoindrie par la fatigue, ne lui fasse défaut et manquer un détail important.
Il dormit douze heures. Lorsqu'il se réveilla, le soleil disparaissait déjà derrière l'horizon. Trop tard pour commencer ses recherches. Soupir. Il se fit servir à dîner dans sa chambre puis décida de sortir prendre l'air, d'explorer la bourgade dans l'espoir irraisonné de la croiser au détour d'une rue, joggant, ou au volant d'une voiture, rentrant chez elle…
Il n'eut pas cette chance et rentra bredouille. Le lendemain, levé à la première heure, il se renseigna sur la mystérieuse association qui se révéla être un centre de soin, d'accueil et d'écoute s'adressant principalement aux publics défavorisés. Il la retrouvait bien là, plus généreuse et altruiste que jamais…
Les choses se compliquèrent pourtant lorsque, se présentant à l'accueil de l'établissement, on lui répondit qu'aucune Teresa Lisbon ne travaillait là, qu'il devait faire erreur. Déconcerté, il s'adressa à d'autres membres du personnel, médecins, infirmières, aides, qui lui firent même réponse. Teresa Lisbon demeurait inconnue au bataillon. Il n'avait pourtant pas rêvé son nom sur ce fameux site. Pourquoi l'y faire figurer si elle ne mettait jamais les pieds dans le centre médical ? Soupir.
Il se trouvait presque résigné à l'échec lorsque, s'adressant en désespoir de cause à des patients qui fréquentaient régulièrement les lieux, il remarqua une femme non loin de lui qui écoutait ses propos avec une attention inquiète, tout en feignant de lire un dossier quelconque. A peine fit-il un pas en sa direction qu'elle s'éloigna et disparut dans le dédale des couloirs. Haussement d'épaules. De toute évidence, elle connaissait Lisbon et ne tenait pas à ce que cela se sache. Elle ne lui dirait rien d'utile s'il l'abordait de front. Etrange… Pourquoi un tel secret ? Froncement de sourcils. L'inconnue, une aide-soignante, se méfiait manifestement de lui, comme s'il représentait une menace. Comme s'il était dangereux de faire le lien entre sa proie et le dispensaire… Elle se serait comportée différemment si Lisbon lui avait parlé de lui, il lui fallait donc rechercher la raison de cette méfiance ailleurs.
Quoiqu'il en fût, il venait d'obtenir la confirmation qu'elle se trouvait bien ici, qu'il ne faisait pas complétement fausse route. Juste une question de temps avant qu'il ne lui mette la main dessus. Regain de confiance. Sans plus s'attarder, il préféra monter la garde dans le parking pour attendre que l'aide-soignante termine son service afin de la prendre en filature. Fort heureusement pour lui, une seule issue possible pour les véhicules motorisés.
Deux heures plus tard, sa cible apparaissait au volant d'une modeste berline bleu nuit. Il la suivit, en vain : elle le conduisit d'abord dans un supermarché où elle fit les emplettes hebdomadaires d'une petite famille, puis à son domicile qu'elle ne quitta plus de la soirée. Idem le lendemain, et le jour d'après. Inutile de s'entêter dans cette voie, il n'apprendrait rien de cette façon. Visiblement alertée par son enquête, elle se montrerait prudente aussi longtemps qu'elle le jugerait indispensable…
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« Hey ! Cowboy ! Encore là ? Tu n'as pas oublié le match j'espère ? Ton bourru.
_ Hey ! Brady ! Tu sais aussi bien que moi que je n'ai pas besoin d'y être avant 17h00. Sans oublier que depuis que Stan a un pied dans le plâtre, il se tient à carreau.
_ Mais Melville a traîné au bar tout l'après-midi. Dieu seul sait ce qu'il peut encore inventer. Haussement d'épaules.
_ Rien qu'une bonne paire de menottes ne réglera prestement. Ou un jet d'eau… Sourires complices.
_ Il ne s'en est toujours pas remis de ce coup-là ! Rien qu'à ta vue… Bref ! C'est Gary qui assurera la sécurité avec toi, le fils de Rick a encore fait des siennes au centre commercial.
_OK. Elle rassemble ses affaires. Je risque d'arriver en retard pour ma nuit de garde au centre demain, tu peux prévenir Shirley pour moi ? Hochement de tête, visage grave.
_ Toujours aucune piste ?
_ Rien de vraiment concluant. Allez ! J'me sauve. Bye !
_ Bye !
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Cinq heures sonnaient lorsqu'il stationna non loin du bureau du sheriff, sa seconde piste sérieuse. Peut-être aurait-il dû commencer par là d'ailleurs. Lisbon s'affirmait avant tout comme un membre des forces de l'ordre, de la moelle des os jusqu'au bout des ongles. Il lui paraissait inconcevable qu'elle n'ait pas intégré la police locale à son arrivée en ville, aussi réduite soit-elle en regard du CBI ou du SFPD…
L'après-midi touchant à peine à sa fin, il avait toutes les chances de l'intercepter à sa sortie du poste à la fin de son service. Du moins le croyait-il.
Lorsqu'au moment du dîner, un officier ferma à clef la porte d'entrée pour acheter son repas à la pizzeria du coin, il comprit que plus personne ne restait dans les locaux. Qu'elle ne s'y trouvait pas. Geste de rage. Il ne pouvait pas s'être trompé ! Impossible ! Coup de poing sur le volant. Douleur. Illumination. Son jour de repos ! Voilà l'explication ! Elle ne travaillait pas le mercredi. Il lui faudrait revenir le lendemain pour la revoir enfin. Regard circulaire. Soupir.
Malencontreusement pour lui, les abords du bureau du sheriff offraient peu de motifs valables pour « traîner » dans les parages sans se faire remarquer. Certes, il pourrait savourer ponctuellement une tasse de thé au café en face, lire quelques heures à la bibliothèque dont une fenêtre donnait commodément sur l'entrée du poste ou bien prendre un bain de soleil prolongé dans le parc municipal voisin, mais cela ne suffirait pas pour exercer une surveillance constante. Pas s'il voulait éviter d'être arrêté pour comportement suspect. Il devrait donc choisir avec soin ses horaires de planque et accepter de manquer le passage de Lisbon deux ou trois fois avant de la revoir enfin. Soupir. Qui aurait cru que la tâche serait si difficile dans une ville si petite ? Résigné, il reprit le chemin de son hôtel. La journée du lendemain s'annonçait aussi longue que les précédentes.
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Rongeant son frein, elle pestait contre les éternels embouteillages qui gangrenaient la circulation de Palm Beach West le soir venu. Un enfer. Une raison suffisante à elle-seule pour qu'elle refusât habituellement de prendre la garde de nuit du jeudi au centre, sachant qu'à moins d'un miracle, elle y arriverait inexorablement en retard. Pincement de lèvres agacé. Maudit soit le fouineur sans scrupules qui avait mis Connie en alerte et sur la touche pour une durée indéterminée ! A cause de lui, pressée par son sens du devoir et de la ponctualité qu'elle savait d'avance ne pouvoir respecter, elle maugréerait dans sa barbe durant tout son retour au lieu d'apprécier à son accoutumée les quelques soixante-dix kilomètres qui la séparaient de chez elle. Un précieux moment de relaxation envolé par la faute de cet indélicat ! Grognement. Se trouverait-elle dans un autre contexte qu'elle accuserait… Dénégation de la tête. Idiote ! Comme si…
Tandis que les véhicules commençaient à reprendre de la vitesse, un automobiliste klaxonna furieusement, lui coupa la route et faillit s'encastrer dans la voiture devant elle. Encore un inconscient qui finirait par tuer quelqu'un ! Frisson. Serait-elle dans sa juridiction qu'elle… Le pick-up se déporta à nouveau, manquant cette fois-ci de percuter un motard. Soupir. Le pick-up vert… Le témoin qui venait spontanément de se présenter à Flemming après un séjour d'un mois en Europe prétendait en avoir aperçu un, peu de temps avant la tuerie, sans pouvoir expliquer autrement que par une bonne mémoire la raison pour laquelle il s'en souvenait. A peine si Flemming s'était retenu de lui rire au nez, n'ajoutant aucune foi à ces propos de la dernière heure. Pouvait-on vraiment se fier à un témoignage apporté si longtemps après les faits ? Rarement. Pourtant, elle-même aurait tendance à y croire dans le cas présent, un je-ne-sais-quoi dans l'attitude de l'homme, dans son exposé des faits, qui attestait de sa bonne foi et de la pertinence de son observation. Son expérience lui soufflait qu'elle n'avait pas tort… Haussement d'épaules.
Quelle importance au fond ? Elle ne se trouvait pas en charge du dossier, juste une consultante à mi-temps, et quand bien même aurait-elle raison, trop de pick-up verts étaient en circulation pour que l'information ait une quelconque utilité à ce stade de l'enquête. D'autres éléments méritaient une priorité plus haute, comme la chronologie des événements et l'identification de l'arme, encore inconnue en dépit de toutes les ressources des services scientifiques. Pas le passif des victimes, non, quoiqu'en disent ses collègues. Pas dans ce cas précis. Si John le Rouge lui avait bien appris quelque chose… Tête secouée. Le trafic se fluidifiait considérablement, elle ne serait peut-être pas si en retard que ça au foyer finalement. Shirley lui en serait gré.
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16H00. Rien à signaler.
Trop c'était trop ! Ca ne pouvait pas continuer de la sorte ! Presque deux jours qu'il surveillait le bureau du sheriff sans résultat. Intolérable. A croire qu'elle n'y travaillait pas. Moue agacée. Impossible ! Pourtant, elle n'avait pu déjouer sa vigilance chaque fois… Il ne s'était pour ainsi dire jamais éloigné, grâce à la complaisance du vieux bibliothécaire qui avait accepté sans hésiter son histoire de recherche sur le passé de la petite ville, trop heureux de se montrer utile. A peine s'il avait quitté des yeux l'entrée du poste plus de dix minutes au total… Froncement de sourcils. Il ne pouvait pas s'être trompé… La méconnaître à ce point, même après tous ces mois, toutes ses cachotteries… Certes, contre toute attente, elle avait réussi à le manipuler, mais cela ne changeait pas sa nature profonde de justicière… N'est-ce pas ? Non, elle devait prendre des congés.
Reniflement agacé. Et le soleil tournait autour de la Terre, bien sûr ! Lisbon n'avait pas pris une semaine entière de repos volontaire durant toute la durée de leur collaboration, pourquoi commencerait-elle maintenant, alors qu'elle incarnait par excellence le bourreau de travail ? Sans oublier qu'une semaine de labeur ici équivalait à peine à une journée d'ouvrage au CBI. Elle devrait au contraire chercher à cumuler les heures supplémentaires, alors pourquoi ne l'avait-il pas aperçue une seule fois ? Pourquoi la seule personne qui semblait la connaître était une aide-soignante dans un centre de soin associatif ? Tout cela n'avait aucun sens…
Il devait savoir, et vite. Il ne planquerait pas une journée de plus. Ne finirait pas même sa surveillance du jour. A quoi bon ? Il guettait sa venue depuis l'aube. Si elle avait dû se manifester aujourd'hui… Dénégation irritée de la tête. Des mesures radicales s'imposaient. Pas trente-six façons d'être fixé une fois pour toute, de mettre fin au doute. Trêve de tergiversations ! Il s'était déjà montré trop patient. Le temps des manigances sonnait glorieusement ! Sourire fin.
Il ne connaissait qu'un moyen infaillible d'obtenir des réponses en ces circonstances, dont elle aurait forcément connaissance si elle appartenait aux forces de l'ordre locales. Un moyen qui, quoi qu'il en soit, le distrairait un peu. Un moyen qui la mettrait hors d'elle… Eclair d'amusement dans le regard. Ne restait qu'à choisir l'endroit propice, la bonne amorce…
Quelques heures plus tard, il se présenta dans le bar le plus animé de la ville, juste ce qu'il lui fallait. Il vérifia rapidement le contenu de ses poches avant de pénétrer dans l'établissement et de s'installer au comptoir, commanda un verre de whiskey. Il ne tarda guère à dénicher les proies idéales pour son petit complot, un groupe d'hommes entre deux âges, déjà bien imbibés pour un début de soirée, sur le point d'entamer un jeu de poker. L'air de rien, il commença à s'intéresser à leur partie, ponctuant parfois discrètement une mise d'un signe de tête encourageant ou réprobateur, réclama un autre verre, marmonna dans sa barbe...
Il sut que le poisson avait mordu lorsque l'un des joueurs, remarquant son manège, se mit à jeter régulièrement un coup d'œil de son côté. Agacés, déconcentrés à leur tour, ses partenaires imitèrent bientôt son exemple, s'irritant de sa conduite indiscrète. Un grognement méprisant, quelques mots tendus, et le voilà inclus dans le jeu du groupe dans l'intention évidente de lui rabattre le caquet une fois pour toute. Un pour tous, tous contre un, disait-on, non ? Sourire intérieur. Ils ne l'oublieraient pas de sitôt…
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16H25. Bureau du sheriff. Lisbon pénètre dans le bâtiment non sans un regard circulaire, vaguement perplexe, aux environs.
« Hello Cowboy ! Comment s'est passée ta journée de prévention routière à l'école ?
_ Tu leur as beaucoup manqué ! Tu aurais pu me prévenir pour la… Comment appellent-ils ça déjà ? Ah oui ! La « tradition ».
_ Le jeu de piste ? Ca ne t'a pas plu ?
_ Beaucoup. Surtout la partie où il fallait renifler les flacons.
_ Les flacons ?
_ Oui, les flacons. Apparemment, ils se sont montrés particulièrement créatifs pour leur petite « crime party » cette année.
_ Que veux-tu ? Ils adorent ça. Surtout quand ils peuvent nous battre à notre propre jeu.
_ Pas cette fois ! Ils ont été percés à jour. Regard interrogateur. Les flacons étaient définitivement de trop. Air de perplexité profonde. Haussement de sourcils narquois. Le coupable devait fleurer bon les épinards et le foie de morue… Qui seul se porterait volontaire pour s'asperger d'une telle senteur …? Qui appartiendrait à cette classe précise… ?
_ Kenny.
_ Kenny.
_ Rick n'a pas fini d'en entendre parler au poste… Yeux au ciel. Soupir discret.
_ Si tu n'as rien de plus à m'apprendre, je dois boucler le rapport sur le dernier cambriolage en date puis recevoir Mme Collins pour un dépôt de plainte. Son voisin empiéterait encore sur son terrain…
_ Si elle se décidait à clôturer sa propriété aussi… »
[…]
Toc toc toc.
« Hé Cowboy ! Mark Bradshaw du Glendower's bar vient de m'appeler. Un touriste qui fait du grabuge chez nos accros du poker. Tu m'accompagnes ? On pourra manger un bout chez moi avant que tu n'ailles prendre ta garde au centre.
_ Sûr ! Gloria est au courant ?
_ Pas encore, mais elle me disait encore hier qu'il fallait te remplumer... J't'attends devant ta voiture. »
Sourire mi-attendri mi-amer. Brady ne manquait jamais une occasion de la distraire et de pimenter la routine de son travail. Il n'ignorait pas que si le poste d'adjoint au sheriff par interim était juste ce qui lui convenait au début de leur coopération, la routine policière d'une petite ville ne suffisait désormais plus à la satisfaire, bien qu'elle ne s'en plaignit jamais. C'est pourquoi il l'avait poussée quelques mois auparavant à réfléchir à l'offre d'emploi que le FBI lui avait faite peu après son installation. Réticente à cette idée de prime abord, elle avait fini par un accepter un compromis, celui de travailler à mi-temps comme consultante pour l'agence fédérale en alternance avec son poste d'adjointe au sheriff intérimaire, tout en gardant ouverte l'option d'une intégration à temps complet. Par ailleurs, Brady l'enrôlait personnellement sur chaque intervention un tant soit peu prometteuse d'action, et ne perdait jamais une opportunité de lui faire partager la chaleur de son foyer, tentant de briser la solitude dans laquelle elle tendait à se réfugier.
Soupir. Elle ne pouvait nier que l'excitation de son ancienne carrière lui manquait, que l'envie de traquer et confondre les grands criminels la tenaillait un peu plus chaque jour. Agir à sa guise, mener une investigation comme elle l'entendait, sans qu'il soit simplement question de vélo volé ou de dégradations mineures de biens publiques. Jusque-là, son affaire la plus passionnante se résumait à l'épidémie de cambriolages qui sévissait actuellement sur la commune et pour laquelle elle disposait déjà d'une solide liste de suspects. Sept noms qu'elle ne tarderait plus à éliminer un à un… Fin sourire rusé qui s'estompe lentement. Aussi satisfaisant que ce fût de conclure ses propres enquêtes, elle ne se sentait pas encore prête à s'investir dans une nouvelle équipe dont elle aurait la charge, où toutes les responsabilités reposeraient sur ses épaules. Elle en prenait le chemin, certes, assez lucide pour ne pas s'illusionner là-dessus, mais dans l'immédiat, elle avait encore besoin du cocon protecteur qu'elle s'était constituée ici… Coup d'œil machinal à sa montre. Mince ! Brady devait commencer à s'impatienter. Ni une ni deux, elle attrapa ses affaires et le rejoignit au pas de course.
Lorsqu'ils parvinrent à destination, tout paraissait calme au premier abord, pas de cris ni de chaises volant à travers les fenê bon signe. Echange de regards. A eux deux, le problème serait vite réglé. Sensation confuse de malaise. Alors qu'ils gravissaient les marches du porche menant à l'entrée, la sonnerie de son portable retentit. Flemming. Intriguée, elle pria d'un geste son chef d'attendre une minute le temps de prendre l'appel. Flemming ne la contactait que rarement à cette heure quand elle ne travaillait pas avec lui… Incrédulité, yeux qui s'écarquillent. Traits qui se ferment.
« Je serai là dans trente minutes. Portable rangé.
_ Que se passe-t-il ?
_ Une autre tuerie. Je dois y aller de suite.
_ Vas-y, je boucle ici.
_ Tu es sûr ?
_ Pour qui me prends-tu ? Un vieux croûton ? Duel silencieux. Et j'ai déjà appelé Mark, il est en route.
_ OK. Et pour l…
_ On échange. J'y vais ce soir et tu me remplaceras dimanche. En plus, ça arrangera Gloria : elle sera contente de passer la soirée à commérer avec ses amies sans que je mette mon grain de sel !
_ Dans ce cas… Elle s'éloigne.
_ Hé Cow-boy ! Se retourne. Appelle-moi demain ! Salut militaire moqueur. »
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« Assieds-toi ! »
Il obtempéra sans rechigner, satisfait de se trouver enfin où il le voulait, dans le bureau du sheriff, après une nuit de garde à vue dans la cellule de dégrisement. Son ultime chance. Son premier espoir, bien mince, d'entrapercevoir Lisbon dans les locaux pendant sa détention déçu, il ne lui restait plus qu'un recours pour obtenir une réponse une fois pour toute. Fouiller les dossiers du personnel. Ce qu'il ne pouvait faire qu'en restant seul quelques instants. C'est pourquoi il s'était arrangé la veille pour qu'on le découvrît en état d'ébriété « avancé » et sans papiers d'identité sur sa personne. Sa voiture, soigneusement parquée à son hôtel, ne le trahirait pas avant que les jeux ne soient faits. Sourire en coin. Un jeu d'enfant, que de se faire arrêter…
Le toussotement du sheriff… Brady le ramena dans le présent. Visiblement d'humeur bourrue, les traits marqués par la fatigue d'une nuit incomplète, il ne tenait pas à perdre son temps avec les simagrées de son prisonnier fraîchement dégrisé. Dommage pour lui… Trémoussement discret sur sa chaise. Sifflement à peine perceptible, saccadé, entre ses dents, lèvres immobiles. Encore quelques minutes et il…
« Bien dormi ?
_ Comme un bébé ! J'ai rarement dormi sur une couchette si confortable.
_ Un habitué alors ? Haussement d'épaules indifférent.
_ Un grand café que vous avez là ! Noir, je parie. Je connais quelqu'un capable d'en boire une dizaine rien qu'en une journée. Et vous ? Combien en avez-vous déjà bu ? Deux ? Trois ?
_ Pourquoi ? Vous en voulez ? J'imagine que vous devez mourir de soif après avoir chanté la moitié de la nuit.
_ Puisque vous proposez, je prendrai bien une tasse de thé bien chaude. Voix traînante. Le téléphone sonne.
_ Salut Cowboy ! Quelles sont les nouvelles ? … Hmm Hmm. … Quoi ? Encore ? J'imagine oui. Un sacré bazar si tu veux mon avis… Enfin… Comment va Christobal ? Pas trop surpris de ta visite ? … Tant mieux ! Tu lui as passé le bonjour j'espère ? … Ici ? La routine. … Oh ! Un aimant à problèmes. Le genre à faire tourner son monde en bourrique, rien que pour s'amuser. Stew a bien failli perdre son calme, c'est tout dire…. OK. Rappelle-moi s'il y du changement. Bye ! Combiné reposé. Sursaut d'inconfort. Sourire éclatant. Regard pénétrant en réponse. Gigotement à peine plus marqué. Excusez-moi. »
Bingo ! Rien de tel que les classiques pour éloigner un gêneur. Il devrait faire vite cependant. Dès que le sheriff eût disparu au détour du couloir, il se précipita sur le classeur de rangement, en crocheta la serrure et tira le premier tiroir. Rien. Rien. Rien. Deuxième tiroir. Electricité, requêtes… Inutile. Troisième tiroir. Affaires en cours, réparations en tout genre… Cet homme n'avait-il donc aucun ordre ? Dossier du personnel. Enfin. Sans ordre alphabétique bien sûr ! Frénétiquement, il compulsa les fichiers et finit par dénicher celui qui l'intéressait mais désespérait presque de trouver.
LISBON Teresa. Sheriff adjoint par intérim. Employée à mi-temps. Etrange… Jours de service… Adresse. Eclats de voix.
Zut. Brady revenait déjà de son expédition au petit coin. Un rapide. Frustré, il replaça prestement le document et retourna à sa place, juste à temps pour suivre la fin de l'altercation avec un subalterne à propos de contraventions mal dressées. Porte qui s''ouvre.
« Je ne vous retiendrai pas plus longtemps Monsieur Jane. A l'avenir, je vous conseille fortement de vous tenir éloigné du Glendower's bar et plus généralement des cartes. Nous comprenons-nous ?
_ Clair comme du cristal. Et vous rêvez si vous croyiez m'impressionner en me jetant mon identité à la figure. Même l'idiot le plus borné aurait pensé à se renseigner dans les hôtels… Ton persifleur. Poings qui se serrent convulsivement.
_ Je ne vous retiens pas, Monsieur Jane.
_ Ciao ! Salut moqueur. »
Il s'éloigna d'un pas vif, un poids ôté de ses épaules. Ainsi ne s'était-il pas complétement fourvoyé. Lisbon résidait bien en cette ville. Soupir de soulagement. Et, cerise sur le gâteau, il disposait enfin d'un élément tangible, son adresse personnelle. Elle ne pourrait plus lui échapper... Rictus.
Il se rendit sur les lieux sans plus attendre, un quartier résidentiel tranquille principalement composé d'immeubles en brique de trois ou quatre étages au plus. Charmant. L'appartement qui l'intéressait se trouvait au rez-de-chaussée, il put sans peine jeter un coup d'œil à l'intérieur par l'une des fenêtres. Si l'ameublement ressemblait fort à celui de son ancien logement, en revanche il n'y avait pas le moindre signe de carton non encore défait. Pas le moindre signe de son occupante non plus. Soupir. Au moins, elle serait bien forcée de montrer le bout de son nez à un moment donné. La malchance en personne ne pourrait plus contrarier ses plans comme elle l'avait si bien réussi jusque-là. Restait seulement à trouver l'emplacement idéal pour monter la garde…
Il ne se sentait pas le droit de pénétrer chez elle pour l'attendre, pas tant qu'elle ignorerait sa présence en ville, ce qu'il avait tout lieu de croire étant donnée l'absence par laquelle elle brillait ces derniers jours. Sans oublier qu'elle serait bien capable de l'abattre d'instinct avant de le reconnaître… Tête secouée, sourire amusée. Diable ! Qui croyait-il abuser ? Ricanement. Il risquait davantage d'être abattu après qu'elle l'eût reconnu…
En revanche, le renfoncement entre un garage et le bâtiment d'en face conviendrait parfaitement, une fois la nuit tombée, le rendrait quasiment invisible… Il reviendrait dans la soirée, c'était décidé. A moins d'être arrêté une nouvelle fois pour voyeurisme, rien ne servirait de monter la garde dès maintenant : aussi occupée qu'elle le paraissait, Lisbon ne rentrerait probablement pas avant le coucher du soleil.
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Le soleil disparaissait déjà derrière l'horizon quand elle parvint dans son quartier, exténuée. La journée avait été particulièrement éprouvante, tant physiquement qu'émotionnellement. Levée aux aurores, turlupinée par la méthode de mise à mort, elle assistait aux premières autopsies quand la nouvelle d'une seconde scène de crime, au-delà des frontières de l'Etat, était tombée. Exactement comme le premier cas. Un hélicoptère ayant été mis à la disposition de leur équipe, il ne fallut pas une demi-heure pour parvenir sur les lieux, une petite maison de campagne, relativement isolée. Quatre corps, éparpillés dans toute la demeure : la mère dans le salon, au rez-de-chaussée, le beau-père dans les escaliers, deux fillettes à l'étage, dans leur chambre respective. Un massacre sanglant, d'où rejaillissait la sensation dérangeante de froid, de distance clinique… Aucune passion là-dedans, elle en mettrait sa main au feu.
Ils avaient passé des heures à quadriller le terrain, à interroger le voisinage le plus proche et à comprendre autant que faire se peut comment les événements s'étaient déroulés. Un travail titanesque dont ils ne verraient pas la fin de sitôt. Pour preuve, ils n'avaient regagné leur base à Palm Beach West qu'aux environs de vingt heures, la raison les poussant à profiter du calme avant la tempête, à souffler un instant avant qu'ils ne soient bombardés de rapports d'analyses et d'une foultitude de pistes à vérifier. Elle n'arborait aucune illusion quant au déroulement de son jour de congé, le lendemain. Soupir de lassitude.
Aucune place de parking disponible dans sa rue, encombrée de véhicules divers. Les Connors donnaient encore une fête ! Agacée, elle tourna dans la rue adjacente où fort heureusement, au bout d'une centaine de mètres, elle trouva un emplacement libre. Yeux clos quelques instants. Etirement paresseux. Marcher un peu lui permettrait de s'éclaircir les idées après cette journée infernale, de comprendre ce qui la gênait sur les scènes de crime… Elle cheminait machinalement quand elle sentit grandir en elle une tension légère, une sensation familière qu'elle peinait pourtant à identifier, plus forte à mesure qu'elle approchait des marches de son perron.
« Bonsoir Lisbon. Ton posé, grave. Elle se fige. Cette voix… Qui aurait cru qu'il serait si difficile de vous retrouver dans une ville si petite ? Impossible. Vous rentrez tard. Inspirer... Expirer. Vous ne pouvez pas vous empêcher d'être accro au travail, n'est-ce pas ? Inspirer... Gravir les marches. Comment réussissez-vous ce miracle, dans ce havre de paix ? Expirer. Saisir la clef dans la poche. A peine si les passants osent traverser hors des clous. Inspirer... Ouvrir la porte. Vous n'avez jamais songé à suivre une thérapie ? Expirer. Fermer la porte. Bonne nuit Lisbon ! A demain ! Soupir. »
Epuisée, elle s'adossa à la porte, ferma les paupières, sa voix, comme un écho dans sa tête. Jane. Le touriste, l'aimant à problèmes… Si évident... Ne faisait jamais rien comme tout le monde... Aurait dû faire le lien plus tôt… Poings serrés. Inspiration profonde. Elle ne pouvait rester là toute la nuit.
Mécaniquement, elle s'enferma à double-tour, abandonnant délibérément la clef dans la serrure pour la rendre incrochetable, déposant ensuite à son habitude ses affaires sur le guéridon de l'entrée. Alors qu'elle s'apprêtait à abaisser les stores donnant sur la rue, finissant de s'isoler dans son cocon protecteur, elle ne put s'empêcher de jeter un œil sur la chaussée : planté au milieu du trottoir, immobile, nimbé par la pénombre, Jane semblait résolu à monter la garde toute la nuit durant. Soupir. Il n'abandonnerait pas si vite. Nez pincé.
Ainsi il était venu. Après tout ce temps. Il avait retrouvé sa piste Dieu savait comment et l'avait traquée à l'autre bout du continent, jusqu'en cette bourgade enclavée. Eclair de lucidité. L'indésirable du centre médical ! Sur le moment, tous avaient cru qu'il s'agissait du mari de leur dernière victime mise à l'abri, dont ils redoutaient les réactions enragées et agressives. La description, le fait qu'il la demande nommément… Elle avait assuré une garde de nuit supplémentaire à cause de ça ! Le saligaud ! Du Jane tout craché ! Froncement de sourcils.
Comment avait-il déniché son adresse ? Personne n'aurait pu la lui donner là-bas, puisque Connie y était son unique contact. Brady ? Non, il ne ferait jamais une telle chose, et on l'aurait prévenue de suite s''il l'avait demandée au poste… Cependant… Il avait bel et pied mis les pieds au poste, et Brady… Bâillement prononcé. Peu importait. Bien trop fatiguée pour réfléchir proprement. Demain. Il serait toujours temps de s'en inquiéter demain.
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La porte fermée, la honte s'empara de lui et lui enserra le cœur. Il avait été si absurdement heureux de la revoir que face à son ignorance obstinée de sa présence, il n'avait pu s'empêcher de la provoquer de plus en plus durement pour obtenir une réaction, aussi infime soit-elle. En vain. Pas de réplique rageuse ou de coup de poing bien senti, aucun reniflement de mépris ni même de pointe sarcastique. Rien qu'une indifférence froide, impersonnelle…
Il aurait dû choisir un autre moment pour l'aborder. Peut-être la surprendre au matin, au petit-déjeuner, avec sa pâtisserie favorite en guise d'offrande… Vague sourire. Trop tard pour cela désormais. Il devrait s'excuser de son attitude cavalière s'il voulait obtenir les réponses qu'il était venu chercher. Soupir. Demain. Inutile d'espérer quoi que ce soit ce soir-là…Il demeure immobile, les yeux fixés sur la fenêtre éclairée de son salon. Soupir. Un an auparavant, il était déjà resté pétrifié devant les portes d'un ascenseur, à cause d'elle, ignorant encore qu'il ne la reverrait plus de longtemps. La lumière s'éteint. Frisson. Et si elle allait s'esquiver à nouveau ? Profitait qu'il détourne le regard pour lui échapper ? S'évanouir dans la nature ?
Des pas trébuchants et un gloussement sonore le tirèrent de ses pensées. Un couple éméché, les joues rouges et les yeux troubles, s'apprêtait à monter en voiture pour regagner ses pénates. Longuement, il scruta la place fraîchement libérée.
Il ne dormirait pas de toute façon.
Deux minutes plus tard, il parquait son propre véhicule dans la place vacante, résolu à jouer les sentinelles devant sa porte. Sa crainte était absurde, il le savait, mais il ne pouvait se résoudre à la perdre de vue tant qu'il n'aurait la certitude d'une rencontre prochaine, tant qu'il pressentirait qu'elle ferait tout pour l'éviter, leur proximité physique, toute relative, le seul lien qui les unissait actuellement. Soupir.
Lorsqu'il l'avait aperçue, enfin, son cœur avait cessé de battre, un instant. Identique à son souvenir, vêtue de son uniforme professionnel comme une deuxième peau, l'esprit occupé par un crime quelconque. Une vision si familière qu'il aurait pu se croire en un autre lieu, un autre temps, sans la réception glaciale qu'il avait reçu. Froncement de sourcils. Sa tenue… s'avérait bien formelle pour une bourgade si petite, où les officiers préféraient jeans et chemises de ce qu'il avait aperçu au bureau du ? Peu probable… Elle ne serait pas rentrée si tard… Si absorbée sans ses réflexions… Bâillement. Ne se trouveraient-ils pas si loin de la côte… Corps qui s'étire. De ses grands espaces urbanisés… Paupières qui se closent. Qu'il croirait… Impossible ! Ou bien… Expliquerait…
Il n'acheva pas sa pensée, rattrapé par le sommeil : brutalement retombée, la pression des retrouvailles, si forte, le laissait épuisé.
C'est l'alarme de son portable, réglée par précaution, qui le tira brutalement de son sommeil à 6H00 tapantes. Ankylosé, perdu, il lui fallut quelques secondes pour se rappeler où il se trouvait, après quoi il jeta vivement un regard en direction de l'appartement, juste à temps pour voir les stores se relever. Bien matinale pour un dimanche. Lisbon ne tarderait sans doute pas à sortir faire son jogging. Parfait. Il l'accueillerait à son retour comme il aurait dû le faire dès le début, armé d'un sachet de savoureuses viennoiseries encore chaudes et d'un sourire désarmant. Le premier pas pour réparer les dégâts de la veille.
Dix minutes. Vingt minutes. Trente. Pianotage incontrôlé. Que fabriquait-elle ? Quarante…
N'y tenant plus, il quitta sa voiture et s'approcha de la mince fenêtre donnant sur l'entrée. Rien. Plus de veste, plus de sac, plus de clefs. Evanouie dans la nature. Elle avait dû s'esquiver par une issue à l'arrière du logement, donnant sans doute sur une cour. Irrité, il contourna le bloc d'immeubles et découvrit effectivement un petit portillon verrouillé par un cadenas qui ouvrait sur une vaste pelouse et une piscine semi-couverte, réservée aux habitants de la résidence. Poings serrés. Elle le fuyait. Continuait de le mystifier ! A quoi s'était-il attendu ? Franchement ? Il aurait dû anticiper la deuxième sortie. Inspiration profonde. Sourire en coin, amer. Soit ! Elle ne pourrait demeurer éloignée éternellement, elle reviendrait forcément tôt ou tard. En attendant… Il repasserait à son hôtel pour se reposer et se rafraîchir un peu, ferait de menues emplettes nécessaires et… camperait chez elle aussi longtemps qu'il le faudrait. Maintenant qu'elle le savait de retour, il n'avait plus de scrupules à reprendre ses anciennes manies.
Et ce serait un juste retour du mauvais tour qu'elle venait de lui jouer.
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