Quand la sonnerie stridente du réveille-matin réveilla Ginny, celle-ci se retourna sur son oreiller avec un grognement irrité. Les yeux toujours fermés, elle tenta de se blottir contre son mari pour qu'il l'aide à ignorer le fait qu'elle ait à se lever, mais son corps ne trouva qu'un espace vide à côté d'elle dans le lit. Elle ouvrit les yeux alors, surprise, et éteignit d'un geste automatique le réveil. Elle eut à peine le temps de se redresser dans le lit que son mari entra dans la chambre, deux tasses fumantes à la main. Ginny lui fit un sourire éclatant et tendit un bras pour accueillir son café matinal.

— Hum, merci mon amour, dit-elle en soufflant sur le liquide chaud.
— Après toutes ces années, je sais bien comment tu es le matin de la rentrée.

Tout en buvant, elle envoya un coup de poing sur le bras de l'homme. Celui-ci éclata de rire, faisant naître de fines rides aux coins de ses yeux gris.

— Cela dit, il faut que j'y aille.

Ginny remarqua à ce moment qu'il était déjà tout habillé dans un complet noir impeccable.

— J'ai une réunion dans une heure, continua-t-il. Je veux arriver tôt au bureau, prendre le temps de préparer mes affaires un peu.

Ginny hocha la tête et, après un baiser échangé, l'homme se dirigea vers la porte.

— Drago ! appela Ginny juste avant que son mari ne sorte de la chambre. Le sac de Stella est prêt ?
— Dans le salon, dit-il avant de disparaître.

Quelques minutes plus tard, sa tasse de café toujours à moitié pleine dans la main, Ginny glissa ses pieds dans ses pantoufles et sortit de la chambre à son tour. Elle se rendit dans la cuisine, s'arrêtant quelques secondes pour cogner à la porte de la chambre voisine.

— Stella chérie ? C'est l'heure de se lever.

Dans la cuisine, elle fit quelques gestes de baguette et un copieux petit-déjeuner se posa devant elle. Elle avait juste commencé à se beurrer un scone quand sa fille la rejoint dans la cuisine. À neuf ans, Stella avait de longs cheveux d'un blond roux qui témoignaient de l'identité de ses parents. Ses yeux noisette contenaient encore des traces d'un sommeil interrompu quand elle s'assit face à sa mère et tira un bol vers elle.

— Papa est déjà parti ? demanda-t-elle en se servant des céréales.
— Il avait une réunion.

Drago travaillait à l'ambassade de l'Angleterre aux …tats-Unis sorciers depuis sept ans – un travail qui lui demandait énormément de temps, évidemment. Il avait reçu l'offre d'emploi à peine deux mois après que Ginny ait eu celle de l'Institut Salem, qui la voulait comme professeure de vol. Ils avaient à peine hésité avant de tout laisser ce qu'ils avaient en Angleterre et de se lancer dans leur nouvelle vie de l'autre côté de la planète. Aujourd'hui, ils n'en regrettaient pas une seconde : Ginny s'épanouissait comme elle n'avait jamais pu le faire en Angleterre après Poudlard, et Drago semblait un nouvel homme, loin de son passé et de ses ombres.

Quand Ginny eut fini de manger, elle poussa sa fille jusque dans sa salle de bains et retourna ensuite dans sa chambre pour se préparer pour sa journée, sa huitième rentrée professorale. Elle avait sélectionné les vêtements qu'elle allait porter la veille, une robe jolie mais sobre et un veston sérieux. Elle ne savait pas pourquoi, mais elle ressentait toujours des papillons de nervosité quand elle faisait une rentrée. Peut-être que son corps n'avait pas encore compris qu'elle était professeure, maintenant, et pas étudiante.

Une vingtaine de minutes plus tard, fin prête, elle sortit dans le corridor, au même moment que sa fille. Ginny lança un coup d'œil à l'horloge du salon en passant devant : 8 h 15. Elles étaient largement dans les temps.

Stella attrapa son sac à dos, posé sur le fauteuil, puis s'approcha de sa mère. Ginny lui donna le pot de poudre de cheminette et elle en prit fièrement une pincée pour la lancer dans le feu : cela faisait juste quelques mois que ses parents la laissaient voyager par cheminette toute seule. Avant, elle était toujours accompagnée par l'un d'eux.

Quand sa fille eut disparu, ce fut au tour de Ginny. Elle s'avança dans les flammes vertes, prononça clairement « Institut Salem » et disparut dans un tournoiement.

Elle émergea dans un grand hall propre. Dix cheminées étaient alignées le long des murs, desquelles émergeaient des multitudes de gens, adultes, enfants, adolescents. Ginny repéra Stella, qui l'attendait près de la porte, la prit par la main, et sortit sous le soleil de cette matinée.

L'Institut Salem était un immense campus situé dans une campagne du Massachusetts, protégé des Moldus comme l'était Poudlard. Contrairement aux écoles européennes, Salem n'était pas un internat, et comprenait autant une école de magie, du côté gauche du campus, qu'une école primaire, à droite, où les enfants de sorciers pouvaient venir s'instruire entre autres sur les rudiments de la magie avant d'avoir leur première baguette magique. Stella y avait fait toute son éducation, déposée à la petite école tous les matins par sa mère, qui traversait ensuite la cour intérieure vers l'Institut à proprement parler.

À encore plusieurs mètres de la porte d'entrée de l'école primaire, Stella lâcha la main de sa mère et partit à la course vers celle-ci. Ginny fut un instant étonnée de voir sa fille à ce point excitée de retourner à l'école, avant de reconnaître Monica, la meilleure amie de celle-ci depuis la maternelle. Elle continua son chemin vers elles, saluant au passage les parents de Monica qui avaient les mains pleines avec leurs trois autres enfants – tous plus jeunes que l'amie de Stella. Quand elle arriva à leur hauteur, les deux fillettes étaient en pleine conversation. Stella lança un regard vers sa mère, passa un bras autour du cou de son amie, et baissa la voix.

— Dis, comme ta tante est enseignante de quatrième, est-ce que tu sais si… euh… tu sais qui sera dans notre classe cette année, ou bien dans celle de monsieur Lowis ?

Ginny se mordit la lèvre pour ne pas sourire, et tapota rapidement l'épaule de Stella.

— Je vais y aller, ma grande, dit-elle. Tu te souviens, ce soir, il y a –
— La fête de la rentrée, je sais, soupira la petite. Ça fait quand même sept ans qu'on fait ça, tu sais.
— C'est vrai, c'est vrai. Bon eh bien, passe une bonne rentrée, on se voit ce soir !

Quand Ginny se pencha pour embrasser sa fille, celle-ci se recula avec un « mamaaaaaaaaan, pas ici » et elle se contenta alors de lui passer une main dans les cheveux. Elle fit un signe de la main à Monica, à ses parents, et à quelques autres familles qu'elle reconnaissait avant de se retourner vers l'Institut en remontant son sac sur son épaule.

Un flot de gens se dirigeait dans la même direction qu'elle depuis le hall des cheminées. Elle voyait des professeurs qui se mêlaient aux élèves, des treizième année qui discutaient avec les plus jeunes. Ginny sourit, appréciant comme elle le faisait chaque rentrée cette ambiance familiale, confortable. Ce n'était pas à Poudlard que tout était si relax, les professeurs s'amusant avec leurs élèves hors des cours. L'école où elle avait reçu son éducation lui manquait cruellement, parfois, mais elle devait s'avouer qu'elle préférait de loin enseigner ici à Salem.

Justement, deux étudiantes s'avançaient vers elle en agitant la main et Ginny ralentit pour les accueillir avec un sourire. Elle reconnaissait Tabitha et Lilian, deux jeunes filles de onzième année qui avaient intégré l'équipe de Quidditch l'année précédente.

— Salut madame W ! appela Tabby quand elle fut proche. Vous avez passé un bon été ?
— Super, merci, et vous ?

Les élèves et leur enseignante échangèrent quelques nouvelles en continuant leur chemin vers les portes d'entrée de l'Institut. Une fois à l'intérieur de celles-ci, elles durent se séparer : les salles de classe étaient à droite, les bureaux des professeurs à gauche.

— Les essais pour le Quidditch seront quand ? demanda Lilian alors que Ginny s'éloignait.

La professeure de vol éclata de rire.

— L'année n'a même pas officiellement commencé encore, patientez un peu ! Je vous enverrai un message !

Ginny laissa alors derrière elle le flot d'étudiants qui s'épaississait à vue d'œil et entra dans le corridor des professeurs. Saluant en passant devant les portes ouvertes ses collègues qui étaient déjà installés, elle se rendit tout au bout, au dernier bureau, celui qui était traditionnellement réservé au professeur de vol puisqu'il surplombait le terrain de Quidditch. Elle déposa son sac sur une chaise et jeta un coup d'œil à l'horloge accrochée au mur : il n'était pas encore neuf heures. Il lui restait donc plus d'une heure et demie avant son premier cours, l'introduction au vol avec les nouveaux de septième année.

Elle passa un moment à remettre un peu de vie dans le bureau qu'elle n'avait pas visité depuis juin dernier : elle ouvrit la fenêtre, enleva la photo de Stella qui trônait dans un cadre sur le coin de son bureau pour la remplacer par un cliché plus récent, pris cet été à la plage quand ils avaient rendu visite à Bill, Fleur et leurs enfants, et plaça près de son pot d'encre les cahiers vierges et les nouvelles plumes qu'elle s'était achetés.

Tout cela prit à Ginny moins d'une dizaine de minutes. Elle se leva alors et se dirigea vers la porte, qu'elle ferma au moment où retentissait la sonnerie annonçant le début du premier cours de la journée. Elle retourna alors s'asseoir derrière son bureau et ouvrit le dernier tiroir, duquel elle sortit tous les papiers qui y étaient rangés. Prenant ensuite sa baguette dans sa main libre, elle tapota le fond du tiroir quelques fois, puis tira dessus, révélant un compartiment caché.

Dans le compartiment se cachait un seul cahier noir, aux coins courbés et aux pages jaunies, l'air d'avoir été oublié là pendant des décennies.

Ginny le posa sur son bureau et replaça les papiers où elle les avait pris, donnant un coup de pied pour refermer le tiroir avant de se tourner vers le journal.

Car il s'agissait bien du journal de Jedusor. Elle était retournée chez sa grand-tante le Noël suivant son hospitalisation et était montée le récupérer là où elle l'avait caché au printemps précédent. Depuis, elle l'avait toujours gardé avec elle, dans son appartement, dans son sac de voyage quand elle partait avec les Harpies, et maintenant dans son bureau. Drago connaissait son existence, savait que sa femme l'avait toujours avec elle, mais n'avait jamais demandé à le lire et n'en parlait jamais. Ginny l'aimait encore plus pour ça.

Elle passa une main sur la couverture du cahier, devenue toute douce avec les années qui avaient passé. Après quelques secondes, elle tourna la couverture.

La première page portait toujours les mots qu'elle y avait frénétiquement inscrits, ce matin de Pâques 1998, le matin où elle avait découvert la disparition de Tom. Elle n'accorda que quelques secondes d'attention à celle-ci.

Ces vingt dernières années, Ginny avait utilisé le journal de Jedusor comme un journal intime. Elle avait mis près d'un an à accepter que plus jamais ce qu'elle écrivait ne disparaîtrait, que plus jamais Tom ne lui répondrait. Mais même après, elle avait continué à s'adresser à lui, comme s'il était un vieil ami, un vieil amour, à qui elle racontait sa vie.

Quelques mois après la naissance de Stella, au grand malheur de Ginny, elle avait rempli la dernière page du journal. Après avoir compris la cause de son désespoir, Drago lui avait acheté un nouveau journal à couverture noire. Il en avait même magiquement jauni et écorné les pages pour qu'il soit le plus identique possible à celui de Tom, mais Ginny n'avait quand même jamais écrit un mot dedans.

Après s'être remise de ce qui était, pour elle, la troisième perte de son lien avec Tom, elle avait commencé à relire régulièrement des petits passages ; le journal était une rétrospective de sa vie. C'était ce qu'elle faisait tous les 1er septembre, avant le début de ses cours. Elle se permettait un petit moment de nostalgie.

Elle parcourut les pages des yeux, s'arrêtant çà et là pour lire quelques passages, des paragraphes, des pages complètes parfois. Son sourire était amusé en se lisant raconter sa première sortie au restaurant avec Drago, trois ans après la fin de la guerre ; touché en se remémorant sa demande en mariage, quatre ans plus tard ; nostalgique en revoyant la cérémonie. Comme tous les ans, ses yeux s'emplissent de larmes en lisant ce qu'elle a écrit le lendemain de la naissance de Stella.

Toute notre famille et nos amis avaient pris des paris sur la couleur de ses yeux ; gris comme ceux de Drago, ou bruns comme les miens. Mais en fin de compte, personne n'a gagné.

Elle a tes yeux.

Je ne sais pas comment c'est possible, mais elle a les yeux sombres, presque noirs, comme les tiens. Et quand je la tiens dans mes bras, quand elle me regarde, c'est ton regard que je vois.

Je sais que maintenant je ne pourrai jamais t'oublier, car une partie de toi vit dans ma fille.

Passant une main sur sa joue pour essuyer la larme qui s'était échappée, Ginny jeta un coup d'œil à l'horloge. Il ne restait qu'une dizaine de minutes avant son cours. Elle tourna alors à la toute dernière page du journal, baissa le regard vers le bas de celle-ci, et lut les derniers mots qu'elle avait inscrits.

Je t'aimerai toujours.

Elle avait laissé une ligne vierge sous ces mots. Chaque année, même si elle avait accepté le départ de Tom il y avait longtemps, elle avait un petit pincement au cœur quand elle voyait que celle-ci était toujours blanche. Mais elle avait imaginé tant de fois ce qu'il aurait répondu qu'elle pouvait presque voir sa calligraphie soignée.

Moi aussi.