Assise à une table de la salle commune de Gryffondor depuis plusieurs heures, Ginny était penchée sur son livre de sortilèges. Pour n'importe quel observateur, elle avait simplement l'air d'être absorbée dans ses études : Flitwick avait bien mis un examen aux sixième année le lundi suivant. Mais en réalité, la jeune fille avait cessé de lire depuis au moins quarante-cinq minutes et tournait simplement les pages une fois de temps en temps pour maintenir l'illusion. Elle jetait régulièrement des coups d'œil vers les fauteuils devant la cheminée, attendant que le petit groupe de quatrième année qui s'y était installé veuille bien enfin monter se coucher.
Il était près d'une heure du matin quand Ginny fut enfin laissée seule dans la salle commune. Elle bâilla, s'étira pour se réveiller un peu, ferma son livre avec un claquement sec et se leva. Elle avait à peine fait trois pas vers l'escalier menant aux dortoirs des garçons que le visage de Neville apparut au-dessus de la rambarde, à l'étage supérieur.
— C'est bon ? appela-t-il d'une voix basse, histoire de ne pas réveiller les dormeurs.
Ginny hocha la tête et, une trentaine de secondes plus tard, le jeune homme était à ses côtés, un large sac vide accroché à son épaule. Son œil au beurre noir, infligé par Amycus Carrow la semaine précédente, commençait tout juste à s'estomper. Il se tourna vers Ginny et sourit.
— Prête à tenter le diable ?
— Toujours ! répondit Ginny en souriant aussi.
Les deux Gryffondor sortirent sans faire de bruit de leur salle commune et firent leur chemin dans les couloirs déserts du château. À mi-chemin entre la salle commune et le bureau du directeur – de Rogue, maintenant, mais comme la plupart des élèves, ils n'arrivaient pas à y penser autrement que comme le bureau de Dumbledore – ils récupérèrent Luna, qui descendait de sa propre salle commune.
— Pas eu de problème ? chuchota Neville.
La Serdaigle secoua la tête, et le trio se remit en chemin.
Ils avaient passé les semaines précédentes à étudier le chemin, en journée comme en pleine nuit, notant les couloirs les moins éclairés, les moins surveillés et ceux où il y avait le plus de recoins pour se cacher. Un chemin qui leur aurait pris moins de cinq minutes en plein jour leur en prenait près de trente à cette heure-ci, tant ils faisaient de détours par les couloirs les moins fréquentés.
Le couloir où se trouvait leur objectif approchait quand ils entendirent des pas se rapprocher de l'intersection. Sans dire un mot, ils rebroussèrent chemin et se fondirent derrière une tapisserie devant laquelle ils venaient de passer. Dans le noir, cette cachette ferait l'affaire, mais si quelqu'un passait devant eux, ils seraient découverts. Ginny se mordit la lèvre, enviant pour la énième fois depuis le début de l'année la cape d'invisibilité d'Harry.
Retenant leur souffle, les trois élèves épièrent Alecto Carrow, qui faisait sa ronde, passer dans le couloir d'en face, sa baguette allumée tendue devant elle. Elle ne fit même pas de pause devant le couloir où ils étaient cachés et continua vers la droite. Ginny sentit Neville, dans son dos, soupirer de soulagement. Ils attendirent quelques minutes, afin d'être certains que la nouvelle professeure d'étude des Moldus soit partie, puis sortirent de leur cachette et parcoururent les derniers mètres qui les séparaient de leur but. Neville et Luna sortirent leurs baguettes et se placèrent chacun d'un côté de Ginny pendant que cette dernière s'approchait de la gargouille.
Sa mission à elle avait été de trouver le mot de passe actuel de Rogue. Avec une habile combinaison d'Oreilles à rallonge et de sortilèges d'amplification, elle avait enfin fini par réussir, pas plus tard qu'hier après-midi. Elle avait maintenant le cœur qui tambourinait, espérant qu'il ne l'ait pas changé dans les dernières vingt-quatre heures. Si tel était le cas, leur quête tombait à l'eau et ils devraient tout recommencer une autre nuit. C'était des risques qu'ils ne seraient pas prêts à reprendre à la légère. Ginny se racla doucement la gorge et dit :
— Gellert.
Il y eut un moment de silence, durant lequel la jeune fille n'entendit que les battements de son propre cœur, puis la gargouille se mit à tourner sur elle-même, faisant ce qui semblait être un vacarme épouvantable aux oreilles du trio.
Neville, Luna et Ginny se jetèrent dans l'ouverture qui s'offrait à eux. Sans se laisser porter par les escaliers tournants, ils grimpèrent les marches quatre à quatre. Ils ne se préoccupaient plus de ne pas faire de bruit, ils savaient que Rogue ne passait pas la nuit ici mais dans ses cachots, et Luna l'avait vu quitter son bureau plusieurs heures auparavant. Tout ce qui leur importait, maintenant, était de trouver ce pour quoi ils étaient venus et de sortir d'ici au plus vite. Ils voulaient être de retour dans leurs lits dans une heure.
Au haut des marches, Neville lança un rapide Alohomora sur la porte du bureau du directeur et y pénétra, suivi de près par ses amies. Ginny fut rassurée et atterrée de voir que celui-ci n'avait pas changé depuis la dernière fois qu'elle y était entrée, peu avant Noël lors de sa quatrième année. Vu son nouvel occupant, elle se serait attendue à ce que les murs soient peints en noir et que toutes les étagères croulent sous des objets de magie noire. Elle ne voyait aucun objet sinistre, mais les étagères n'en étaient pas moins pleines. Elle soupira. Leur recherche durerait plus longtemps que prévu.
— Ginny, tu prends la gauche, Luna, la droite, dit Neville. Je vais en haut.
Les filles hochèrent la tête et chacun se dirigea vers sa section assignée. Une épée, pensa Ginny, ça ne devrait pas être si difficile à trouver. Et pourtant, dans ce fouillis, elle pouvait être n'importe où…
Elle ouvrit grand les portes d'une armoire, fouillant du regard tous ses recoins. Elle s'efforçait de ne rien toucher, si Rogue se rendait compte que quelque chose avait été déplacé, la vie à Poudlard serait encore plus infernale que d'habitude jusqu'à ce qu'il trouve le coupable. Elle se hissait sur la pointe des pieds, tentant de voir l'étagère la plus élevée, quand la voix de Luna se fit entendre derrière elle :
— Neville, Ginny, elle est ici !
Ginny referma soigneusement l'armoire et traversa le bureau pour se placer à côté de son amie. L'épée de Gryffondor était bien là, identique au faible souvenir, vieux de cinq ans, qu'elle en avait. Elle était placée sur un coussin rouge dans une boîte de verre. Les trois amis l'examinèrent sous toutes ses coutures, mais il n'y avait aucune ouverture évidente.
— Il va falloir la casser, finit par dire Neville.
Ginny hocha la tête et sortit sa baguette. Les deux autres firent un pas vers l'arrière et elle tapa sur la boîte transparente, murmurant « Diffindo », espérant qu'il n'y avait pas davantage de protection. Mais une fente apparut, puis deux, puis une véritable toile d'araignée, et le verre se désintégra. N'attendant pas plus longtemps, Neville plongea sa main dans les débris, ignorant les quelques entailles que les morceaux de verre lui firent dans la main, et prit l'épée. Luna et lui se dirigèrent au pas de course vers la porte, mais Ginny hésita.
Il y avait quelque chose d'autre sous le coussin, elle en voyait un coin. Une petite voix lui criait de partir, la suppliait de s'en aller. Ils avaient l'épée, ce pour quoi ils étaient venus, elle n'avait pas besoin de ce deuxième objet. Mais Ginny Weasley avait toujours été curieuse. Son pire défaut, d'après Bill ; son meilleur atout, selon les jumeaux.
— Ginny, qu'est-ce que tu fous ? siffla Neville depuis la porte. Allez, viens !
Luna avait déjà disparu dans l'escalier. Ginny se retourna, mais quelque chose la retenait, elle n'aurait su dire quoi. Elle fit signe à Neville de l'attendre un moment, ignorant le grognement de frustration de ce dernier, et écarta le coussin qui cachait l'objet mystérieux, son pull à manches longues protégeant son bras d'éventuelles coupures. Ce qu'elle vit lui fit froid dans le dos. Elle se souvenait trop bien de la dernière fois où elle l'avait vu, où elle avait écrit dedans. De ce qui en était sorti, de ce qu'elle était devenue.
Le journal de Jedusor.
— Ginny, viens !
Neville fut soudain à ses côtés et lui tira le bras pour qu'elle le suive. Mais ils n'avaient pas fait un pas vers la porte qu'ils entendirent un petit cri qui venait du bas de l'escalier. Les Gryffondor se figèrent sur place comme deux statues de sel.
— Merde, souffla Neville. Luna.
Avant qu'ils n'aient eu le temps d'esquisser un geste pour se cacher, nul autre que le professeur Rogue apparut dans l'embrasure de la porte ouverte, ses doigts fins enfoncés dans le bras de Luna, qui grimaçait de douleur.
— Expelliarmus ! jappa-t-il en entrant dans son bureau.
Les baguettes des deux Gryffondor lui sautèrent dans les mains, ainsi que l'épée, qu'il arriva à attraper lestement sans pour autant lâcher la Serdaigle. Il jaugea Neville et Ginny un instant, puis un sourire narquois naquit sur ses lèvres.
— Eh bien, eh bien, qu'avons-nous là ? dit-il d'une voix doucereuse. On fait des choses qu'on ne devrait pas, n'est-ce pas ? Que pourrais-je bien faire de vous ?
Il posa l'épée sur son bureau, mit les baguettes dans sa poche, où il avait déjà glissé celle de Luna, et s'avança lentement vers les Gryffondor. Ginny sentit son estomac lui descendre dans les talons. Elle déglutit.
Ils avaient un problème.