Bonsoir!

Me voici de retour, ce week-end, non pas avec un chapitre de Syndromes (oh la vilaine) mais avec ce premier chapitre d'une nouvelle fiction.

Donc voilà, je me lance avec du Inthepanda (que je salue s'il passe dans le coin, comme il a l'air d'être bien le seul à venir nous lire, gloire au panda) et ce n'est pas sans excitation que je vous présente un genre que j'affectionne tout particulièrement: la fantasy. Ne vous inquiétez pas, la guimauve et les bisounours sont cadenassés, mais il y sera question de magie et autres choses tout aussi fantastiques. Que dire de plus...? Je pense cette histoire un peu moins dark que Syndromes, mais bon, comme il y aura un tueur psychopathe à l'intérieur, cela restera un peu sombre -n'hésitez pas à allumer une bougie. ^^

Tous les personnages d'Unknown Movies appartiennent à InthePanda, Nadya et sa famille sont mes petits jouets, je ne touche rien en écrivant cette histoire (sauf des crêpes, toujours. Je prends aussi le paiement par religieuse.)

Voilà, je vous retrouve en bas, bonne lecture!


« … le corps retrouvé ce matin présente de nombreuses traces de torture, et la police n'a toujours pas d'information sur le tueur en série sévissant dans la région de Lyon. Aucune trace d'ADN, aucun lien entre les victimes, cet individu semble s'attaquer à ses victimes au hasard. Nous recommandons à tous les riverains habitant dans Lyon ou sa banlieue d'être extrêmement prudents et SHCRISHT ! »

L'homme qui écoutait la radio, élégamment assis dans un confortable fauteuil, un journal d'économie sous les yeux grimaça et hurla, passablement agacé :

- Nadya ! Qu'est-ce que tu fiches ici ? Remonte dans ta chambre, je veux écouter la radio, bon sang !

- … Dé-Désolée !

Des bruits précipités de pas se firent entendre dans les escaliers et après quelques fluctuations la radio reprit :

- « … individu est dangereux, veuillez contacter la police si… »

La chambre était grande, spacieuse, dans les tons verts et ocres. Des meubles en bois de bonne qualité donnaient une impression de nature et quelques posters ornaient les murs.

De retour dans sa chambre, la jeune Nadya soupira, le cœur un peu lourd : à chaque fois la même chose, sitôt qu'elle décidait de descendre quand son père était là, la radio, la télé, voire le grille-pain la trahissait…

Agée de dix-sept printemps, Nadya était une métisse, et comme son père aimait le lui rappeler, elle était de ces enfants qui n'auraient jamais dû voir le jour.

Sa mère était une immigrée africaine qui, afin d'obtenir la naturalisation française, avait séduit un jeune étudiant en commerce d'une prestigieuse école et avait tout fait pour tomber enceinte de cet homme. La famille de l'étudiant étant aisée et puritaine, il avait été dans l'obligation de l'épouser pour sauver son honneur face à sa famille.

Sa mère l'ignorait la plupart du temps et préférait aller à ses différents cours de yoga, art et jardinage mais son père la haïssait car elle avait en quelque sorte détruit le futur qu'il envisageait…

Oh, Nadya se savait néanmoins chanceuse. Pour maintenir l'image d'une famille heureuse, son père l'entretenait confortablement. Elle n'était pas battue ou rabaissée tous les jours, avait trois bons repas par jour, une grande chambre, n'était pas privée de cadeaux, à mesure où elle devait se les acheter elle-même avec l'argent que ses parents voulaient bien lui donner. De plus, elle étudiait avec assiduité dans le lycée de leur petite commune dans la banlieue de Lyon, elle n'était donc vraiment pas à plaindre.

Leur pavillon était spacieux, dans une petite rue tranquille, avec un intérieur moderne que Nadya devait nettoyer les jours où la femme de ménage ne passait pas. Elle devait aussi faire ses propres repas et surtout, ses parents ne supportaient pas de la savoir dans la même pièce qu'eux, ne lui apportant aucune affection les punitions en cas de désobéissance pouvaient être sévères, comme le prouvaient quelques cicatrices dans son dos.

Elle avait donc presque tout pour être heureuse, excepté l'amour d'une famille… et des amis.

Car il n'y avait pas que chez elle où elle ne se sentait pas à sa place : c'était pire dans le milieu scolaire. Non pas qu'elle était asociale, méchante, mesquine ou autre, elle était simplement… différente. « Sale nègre », « blédarde », « salope noire » étaient le plus couramment employés pour la qualifier. Et c'était là la partie émergée de l'iceberg, les rumeurs allant bon train sur sa mère –et il était suffisamment humiliant de savoir certaines rumeurs vraies. Mais Nadya se faisait aussi appelée « sorcière », « suceuse de Satan », « Sataniste »… Ces autres quolibets venaient du fait que des évènements étranges se produisaient autour d'elle depuis sa plus tendre enfance.

Evidemment, elle ne changeait pas le plomb en or, mais parfois les objets explosaient ou volaient au travers des pièces dans lesquelles elle se trouvait et surtout elle ne pouvait pas se trouver près d'un appareil électrique ou électronique sans qu'il n'ait un dysfonctionnement, à son plus grand dam car cela l'empêchait d'accéder aux films ou aux ordinateurs. Ces désagréments lui avaient forgé une bien mauvaise réputation de sorcière et depuis la primaire, ses camarades s'occupaient de la malmener. Tout était y était passé, les insultes, moqueries –la base d'après Harceleurs Mag- mais aussi les références basées sur des films d'horreur, les pots de peintures posés sur les portes, les punaises collées sur sa chaise, les mots grossiers gravés sur sa table… Les professeurs ne réagissaient pas, eux-mêmes effrayés devant l'étrangeté de Nadya.

Plongée dans la lecture fantastique et les cours pour oublier un peu son quotidien, elle avait, étant petite, ardemment attendu une lettre de Beauxbâtons, puis ne voyant rien venir, avait cherché avec passion l'entrée vers le monde de Narnia.

Elle rêvait d'être acceptée, qu'on l'acclame plutôt qu'on craigne sa présence. Elle rêvait d'être comme ces héroïnes si fortes, vainquant le Mal et rendant la Justice… Mais désormais à un an du baccalauréat, elle s'était résignée à subir ces nuisances, à composer avec et à étudier simplement pour tenter d'obtenir l'amour de ses parents.

Néanmoins sa situation familiale et scolaire lui pesait plus fortement qu'elle ne voulait l'admettre ces derniers temps. Elle ne savait pas si c'était parce que l'examen final qui allait déterminer son avenir approchait de plus en plus, mais la pression que lui mettait sa famille et le stress qu'elle ressentait à être en classe étaient plus lourds jour après jour. Même les livres, ses précieux amis, ne lui apportaient plus de joie ou de soulagement.

Oui, à dix-sept ans, marchant sur un chemin que son père avait tracé pour elle et souffrant du manque affectif, Nadya se sentait seule.

Très seule.


- Qu'est-ce que c'est ?

Madame Trenn, mère au foyer et génitrice de Nadya Trenn posa le troisième carton dans le salon et se tourna vers sa fille qui rentrait de la boulangerie, du pain plein les bras et l'œillade curieuse. La femme s'étira :

- De vieilles affaires, Nadya.

- Elles viennent d'où ?

- Du manoir de ton arrière-grand-mère du côté de ton père. Tes grands-parents l'ont vendu, et les nouveaux propriétaires veulent en faire des chambres d'hôte. Donc j'ai été récupérer quelques objets avant que tout ne disparaisse.

- Oh…

Nadya passa son regard aux prunelles noires sur les cartons, un peu nostalgique. Elle n'avait pas connu son arrière-grand-mère, et sa grand-mère avait toujours l'air pincé et dégoûté quand elle l'évoquait. La jeune fille alla poser ses baguettes dans la cuisine puis rejoignit sa mère, profitant du fait que, pour une fois, elle lui parle presque gentiment :

- Et que va-t-on faire de tout cela ?

- J'ai récupéré les trucs qui me semblaient les plus précieux. Je vais les vendre au prêteur sur gage de la ville.

- On ne va rien garder ?

- Que veux-tu faire de ces vieilleries ? Non, autant que ton aïeule nous servent pour gagner de l'argent.

La lycéenne retint un soupir. Elle reconnaissait bien là sa mère, vénale et égoïste jusqu'au bout. Pourtant, l'héritage de l'ancêtre devait valoir beaucoup d'argent, le conserver aurait été une bien meilleure idée. Mais sa mère ne voyait que sur le court terme et passait donc à côté de la valeur, non seulement pécuniaire, mais essentiellement sentimentale de ces objets. Nadya haussa les épaules :

- Est-ce que… je peux en garder un peu ?

Madame Trenn leva des yeux ronds de surprise vers elle :

- Tu veux en garder ?

- …Oui… ?

- … D'accord. Mais que rien ne sorte de ta chambre, hein ?

- Oui.

- Bon, bah sers-toi. Je vais chercher les autres cartons, il y en a encore une bonne dizaine. C'est fou ce qu'elle avait comme conneries, ton arrière-grand-mère. Le prêteur sur gage passe demain matin pour nous en débarrasser.

L'africaine sortit de la maison et Nadya ouvrit timidement un carton pour le fouiller. Les objets de son aïeule étaient tous étranges, ésotériques et très vieux. Elle extirpa du carton tour à tour une balance en laiton, un petit chaudron de fer, des ustensiles divers et variés, une boussole qui avait l'air de toujours fonctionner… Des petits sacs de pierres précieuses la firent loucher : sa mère voulait vendre cela à un prêteur sur gage ? Un collectionneur ou antiquaire aurait été plus approprié ! Néanmoins, trois lourds volumes de cuirs reliés attirèrent son regard. Grande amoureuse des livres, Nadya les mit de côté et continua sa fouille. Une très jolie pierre ronde d'environ une quinzaine de centimètres de diamètre, d'une blancheur légèrement ternie par la poussière, un peu transparente qui s'irisait d'argenté et de bleu selon l'angle avec lequel elle captait la lumière. Cette pierre la fascina pendant quelques minutes, la faisant frissonner d'un sentiment sur lequel elle n'arrivait pas à mettre de nom dessus.

Réussissant enfin à s'arracher à l'attraction que cette pierre avait étrangement sur elle, Nadya jeta un nouvel œil dans le carton. Le reste des objets semblait bien pauvre comparé à ses trouvailles et elle décida de ne pas pousser plus loin ses recherches : les livres et la pierre lui suffisaient, les autres choses, certes précieuses et jolies, jureraient avec le ton naturel de sa chambre voire seraient superflus. Fière de sa découverte, la jeune métisse se précipita à l'étage, ayant hâte d'ouvrir les volumes de cuirs. Les livres datant de l'époque de son arrière-grand-mère étaient connus pour être de grandes œuvres, et la couverture semblait d'excellente qualité –et très bien conservée.

La pierre fut posée sur son bureau elle la nettoierait plus tard pour enlever toute la poussière. Ensuite, elle s'installa à terre et éparpilla ses trois nouveaux livres au sol. L'un était de cuir rougi, le second noir et le dernier brun clair, tous doux sous ses doigts. Elle pouvait sentir des reliefs sur chacun d'entre eux mais, même en les tournant dans tous les sens dans la lumière, elle restait incapable de les distinguer.

Un peu surprise, elle ouvrit le premier livre, celui de cuir brun… et resta comme deux ronds de flan en le découvrant vierge de toute écriture. Déconcertée, elle ouvrit les deux autres pour les découvrir dans le même état.

C'était un fait étrange. Du temps de son aïeule, on ne gardait pas des choses inutiles comme des livres vides sans raisons. A moins que ces ouvrages n'aient été destinés à devenir des journaux intimes qui n'auraient jamais servi… Tournant les pages intactes, Nadya haussa légèrement les épaules avec un petit sourire. Son arrière-grand-mère avait-elle réservé quelques petits mystères pour sa famille ? La jeune fille laissa un instant son esprit vagabonder : peut-être ces recueils contenaient des informations secrètes, une carte au trésor, une histoire tellement épique qu'elle ne pouvait être lue par le commun des mortels ? Prise d'une inspiration, elle amena un livre sous sa lampe de chevet, cherchant à savoir si rien n'était écrit avec de l'encre au citron… Elle déchanta rapidement quand ses essais s'avérèrent infructueux.

Déçue, elle laissa le livre brun ouvert sur son bureau, en face de la fenêtre et descendit s'occuper d'aider sa mère à ranger les cartons.

Mais elle, plus qu'un autre, aurait dû savoir que les livres possédaient d'étranges pouvoirs capables de changer les destins…


La pierre retrouvait un éclat digne de ce nom sous l'eau et Nadya se plaisait à observer les irisations de la gemme mouillée. Ce bibelot était vraiment joli, elle lui plaisait de plus en plus et depuis la veille, elle ne cessait de vouloir la toucher, la sentir près d'elle. Enfin, elle arrêta l'eau et essuya le caillou nacré, ne se lassant de la regarder et de la sentir rouler sur sa paume. Son père entra dans la cuisine sans lui accorder un regard, froid comme à son habitude :

- On mange quoi ce soir ?

- Ma… Maman voulait commander japonais.

- J'ai vu qu'elle avait vendu les affaires de Grand-mère. Elle a reçu combien ?

- Je crois… Un peu plus de mille euros…

- Mouais. Elle va s'en servir pour s'acheter des affaires, encore une fois. Et…

Il s'interrompit, venant de recevoir un message sur son téléphone portable. Il le lut puis cliqua de la langue :

- Tss. Ta mère rentre tard ce soir, son cours d'art floral se prolonge.

- …Oh.

- J'ai pas l'intention de jouer les nounous. Je vais au bureau, j'ai des dossiers à y travailler.

Nadya garda pour elle un sourire sardonique. Plutôt une secrétaire à travailler…

Oui, elle savait depuis longtemps que son père n'était pas heureux avec sa famille, qu'il voyait femme sur femme pour oublier qu'il vivait avec des personnes qu'il haïssait, qu'il faisait semblant d'avoir une vie de famille parfaite pour que ses parents soient fiers de lui et pour que la société le reconnaisse comme un membre important. Elle ignorait si sa mère le savait ou non, mais il n'était aucunement dans son intérêt d'en parler. L'illusion de famille qu'ils avaient ne tenait parfois qu'à un fil, elle ne tenait pas à le briser.

La lycéenne essuya une nouvelle fois sa pierre, attirant l'attention de son père :

- C'est quoi, ça ?

Elle lui tendit obligeamment la pierre et vit avec stupéfaction le visage sévère de son père s'adoucir tandis qu'il observait le caillou :

- Ah oui, ça… Grand-mère m'en a déjà parlé. C'est une pierre de lune. Elle disait que c'était une pierre très spéciale, réservée à des femmes spéciales. Que grâce à elle on pouvait accomplir de nombreuses choses…

Son regard se fit lointain un instant avant de retrouver sa froideur habituelle, redonnant la pierre à sa fille :

- De toutes façons, Grand-mère était folle et sénile. Elle a dû trouver cette chose dans un marché quelconque vendue par un arnaqueur qui déclamait à toutes les femmes qu'elles étaient spéciales. Range-moi cette bêtise. Je pars au bureau, commande-toi un japonais si tu veux et révise tes cours. Je veux cent pour cent de réussite à ton prochain contrôle.

- Oui… Oui papa…

Sur ce, il s'en alla, la laissant seule.

Jamais ils n'avaient mangé tous ensemble, pour parler, être les uns avec les autres. Nadya leva sa pierre de lune à hauteur de ses yeux et soupira :

- Si tu étais vraiment spéciale, tu réaliserais mes vœux et tu m'offrirais du bonheur en abondance. Mais tu n'es qu'un vulgaire caillou, peut-être joli, mais un caillou tout de même. J'irais faire des recherches sur les pierres à la bibliothèque un autre jour.

La pierre de lune fut mise dans sa poche et elle s'approcha craintivement du téléphone, priant pour qu'il n'implose/explose pas à cause de sa présence. C'était toujours une épreuve emplie de stress à chaque fois qu'elle devait utiliser un appareil électronique. Et la plupart du temps, celui-ci cessait de fonctionner dès qu'elle s'approchait. Ses parents avaient donc dû trouver certaines combines pour les choses nécessaires, comme le téléphone, qui datait du siècle dernier et avait été branché sur leur ligne téléphonique par un habile électricien. Au moins pouvait-elle composer les numéros avec ce cadrant à l'ancienne à l'allure moderne, le tout était d'espérer ensuite que la ligne fonctionne. Ce qui n'était pas si souvent que cela.

Heureusement, cette fois-ci, l'appareil accepta de bonne grâce de fonctionner correctement et elle put tranquillement commander son repas –qui promettait pour une fois d'être gargantuesque. Puis elle s'attela à ses tâches quotidiennes du soir, arroser les plantes, passer un rapide coup de balai dans le séjour, ranger quelques bricoles… Chantonnant un air entendu au lycée, elle sourit en apercevant un rayon de lune taper contre un plateau argenté posé sur la table basse du salon.

Sereine, comme à chaque fois qu'elle était seule chez elle, sans personne pour la dénigrer, elle s'arrêta devant la fenêtre pour observer le ciel étoilé et la lune presque ronde qui illuminait leur jardin et le ciel. Depuis toujours, la nuit et la lune l'apaisaient, elle ne savait pourquoi…

Après s'être éloignée de la réalité quelques secondes, Nadya revint à elle et s'ébroua. Elle monta dans sa chambre, voulant effectuer une sélection de livres à lire pour la soirée avant que le livreur n'arrive. Mais, alors que sa main se posait sur l'interrupteur de la pièce, une lueur étrange émanant de son bureau attira son regard, la laissant abasourdie. Sa curiosité piquée à vif, elle s'approcha prudemment de son bureau, butant parfois contre un livre ou un classeur de cours non rangé et écarquilla les yeux.

Sur son bureau trônait encore le livre de son arrière-grand-mère qu'elle avait ouvert il y avait trois jours, offrant ses pages vides de mots aux rayons de la lune. Et, fait étrange, seules quelques parties des pages étaient baignées par la lumière lunaire. Nadya en resta surprise et ses yeux parcoururent le livre, notant que des mots ne s'affichaient que dans les parties éclairées par la lune.

La jeune fille attrapa lentement le livre, comme s'il risquait de la brûler ou de lui sauter à la gorge et l'amena en pleine lumière.

Et dans un scintillement, les mots, phrases et enluminures se dessinèrent franchement, la sidérant. Elle resta quelques instants à observer ce miracle, sans le comprendre. Ses yeux accrochèrent les mots sans les saisir et, prise d'une soudaine inspiration, elle se précipita pour prendre les deux autres volumes. Tous deux affichèrent leur contenu sous la lumière de la lune, l'étonnant de plus en plus. Que se passait-il ? Elle alla rallumer sa lumière pour voir les pages reprendre leur virginité puis s'amusa à éteindre et allumer l'interrupteur afin de vérifier ce qu'elle voyait. La sonnette retentit, la sortant de son apathie émerveillée. Nadya ouvrit au livreur, le paya, le regard un peu hanté puis posa rapidement les sacs dans la cuisine pour remonter à toute vitesse dans sa chambre pour vérifier si elle n'avait pas rêvé.

Les livres étaient toujours au sol, leurs écritures argentées illuminant faiblement la chambre. La lycéenne s'assit face à eux et referma les trois livres. Même leurs couvertures s'éclairaient, offrant différents signes : un pentacle renversé pour le livre noir, un cercle ésotérique sur le brun et quatre symboles sur le dernier qu'elle identifia comme les quatre éléments fondamentaux.

Elle ouvrit le livre brun et resta fascinée devant les lettres argentées. Donc, le contenu de ces livres ne se révélait que sous la lumière de la lune… Avaient-ils d'autres secrets ? Curieuse, elle chercha la première page et lut l'avant-garde :

- « A toi qui ouvre ce grimoire, prend garde à sa puissance. Les sorts qu'il contient ont été pensés par les sorcières de tous temps, perfectionnés et améliorés. Respecte toujours les règles de la magie blanche, sers-toi de tes pouvoirs pour le bien de tous et le bonheur se présentera à toi. Par mesure de précaution, tiens cet ouvrage loin des yeux profanes. Bonne chance à toi, sorcière. »

La révélation laissa Nadya pantoise pendant un bref instant. Ces livres… étaient donc des livres de sorcellerie ? Elle commença à trembler légèrement d'exaltation à peine contenue, émerveillée d'avoir ces ouvrages dans les mains. Puis une autre réflexion s'amena à elle : son arrière-grand-mère était donc une sorcière ? En un sens, cela expliquait beaucoup de chose : le fait que sa famille très chrétienne ne l'apprécie peu, comme s'ils se doutaient de ses pouvoirs, les objets ésotériques et étranges que sa mère avait ramené du manoir… Très certainement s'agissait-il d'objets utilisés en magie ?

Nadya sortit sa pierre de lune de sa poche et la leva dans la lumière lunaire. La pierre s'irisa de plus belle, semblant absorber les rayons de l'astre de la nuit.

Encore tremblante, la jeune fille posa la pierre et fila en bas remonter sa nourriture.

Elle avait de la lecture à faire…

Les trois livres s'avérèrent différents les uns des autres. Le brun semblait dédié à la magie blanche, le noir aux sombres sortilèges et le rouge traitait de magie élémentale, bonne ou mauvaise. Tous contenaient des sorts, des rituels, des descriptions de plantes ou de créatures… Elle tomba sur la page qui traitait de la pierre de lune et apprit que cette pierre était utile aux sorcières afin de canaliser leur puissance, quand elles étaient débutantes, ou de la décupler quand elles étaient plus aguerries. En outre, elle absorbait les rayons lunaires et, étant liée à la féminité, la pierre touchée par une femme lui était bienfaisante.

Nadya prit tout son temps pour lire, observer la délicatesse des enluminures. Chaque page recelait un secret qu'elle prenait plaisir à découvrir, tout en grignotant son repas.

Elle n'arrivait pas à croire que cela lui arrivait, enfin ! Elle préféra néanmoins déchiffrer les grimoires brun et rouge, étant peu intéressée par les sorts contenus dans le noir : déchainer la maladie, porter malheur et voler les autres étaient pour elle trop immoral.

Mais le livre de magie blanche la fascinait.

Elle grignotait un sushi quand le titre d'une page l'interpella :

- « Les Ame-sœurs. » « Les âme-sœurs, ou âme-jumelles, sont des entités complémentaires. Au départ une seule et même personne, l'âme s'est scindée en deux après un grave traumatisme ou un sortilège. Ces deux parties d'âme sont rattachées, elles se comprennent et se recherchent inconsciemment. Différentes des dites « âme-sœurs » amoureuses, les âme-jumelles sont la preuve que certains êtres étaient auparavant un, des créatures plus qu'humaines à l'intellect et à la puissance développée. Ces âme-sœurs peuvent se réunifier grâce à la magie, redevenir la personne qu'elles étaient auparavant et fusionner pour se retrouver. »

S'en suivait une page qui approfondissait la notion et les différents effets qu'une fusion entre âme-sœurs donnait et, juste en lisant, Nadya ressentit un vilain pincement au cœur. Comme elle mourrait d'envie de trouver son âme-sœur ! Avoir à ses côtés un être la complétant, une personne qui l'accepterait, l'aimerait, la soutiendrait quoi qu'il arrive… Une personne qu'elle puisse à son tour aimer de tout son cœur sans craindre d'être jugée ou méprisée… Simplement ne plus être seule. La jeune fille en ferma les yeux d'envie un instant avant de retourner à sa lecture. En bas de la page figurait un rituel censé réunir grâce à la magie deux âme-sœurs, et l'idée d'effectuer le rituel tenta Nadya qui eut un doux sourire.

Oui, c'était un grimoire magique, mais seule une sorcière pouvait lancer ces sorts et espérer voir des résultats. Et même si tout le monde la pensait satanique, elle avait essayé pendant des années de lancer des « Accio » et autres « Experlliarmus » sans aucun résultat. Mais les quelques mots argentés l'hypnotisait, et de la même façon que les magazines dits de « sorcellerie » qui traitaient seulement de divination et de séries télévisées en rapport avec la fantaisie, elle avait envie de croire que même avec elle, cette formule pouvait marcher. C'est pourquoi elle la lut avec attention puis nota sur un papier les ingrédients, somme toute faciles à trouver, dont elle aurait besoin.

Elle courut en bas attraper deux bougies, remonta du sel puis alla dans le jardin arracher une branche au jeune chêne poussant dans leur jardin. Enfin, elle écarta sa commande de nourriture et s'installa au plus près de la fenêtre pour obtenir le maximum de lumière lunaire. Elle plaça la pierre de lune en pleine lumière, l'entoura d'un cercle de sel, positionna les deux bougies à droite et gauche de la gemme puis attrapa d'une main le deux bâton de chêne, saisissant son livre de l'autre :

- Alors… Casser la branche… Mettre les morceaux dans le cercle… Voilà, comme ça… Concentrer son pouvoir… Je vais utiliser la pierre de lune à la place. Donc, concentrer son pouvoir et lire la formule.

Elle posa ses deux mains sur la pierre de lune, appréciant la chaleur diffuse qui se dégageait de la pierre, prit une grande inspiration puis lut la formule :

- « J'en appelle aux esprits du ciel

Aux anges et guides spirituels

Auparavant un, désormais deux

J'implore l'aide des dieux et des cieux

Guidez mon âme-sœur, reliez nos cœurs

Laissez-moi retrouver mon entière identité

Que le lien soit recouvré. »

Elle la répéta inlassamment, espérant de tout son cœur que cela fonctionne, même si une partie d'elle-même n'y croyait pas. Sa pierre de lune se mit à réfléchir plus intensément les rayons de la lune et après un petit moment, Nadya sentit des vertiges la saisir. Un peu nauséeuse, vidée comme si elle avait couru d'une traite jusqu'à son lycée à l'autre bout de la ville, la jeune fille sentit ses forces s'évaporer en quelques secondes et se laissa glisser au sol, évanouie.

Ce faisant, elle ne put remarquer que la branche de chêne brisée s'était ressoudée.

Et plus loin, bien plus loin, une autre personne s'évanouit à son tour.


Elle tombait.

Elle tombait dans un gouffre sans fin, sans aucun moyen de se raccrocher, sans aucune aide. Son cœur se serrait d'angoisse, elle paniquait de se sentir ainsi appelée par la force de gravité. Et soudain, une main attrapait son poignet, la stoppant net dans sa chute. Cette main irradiait de force et de chaleur, elle était douce, son étreinte rassurante. Levant les yeux, elle sourit.

Et Nadya se réveilla en sursaut, le front moite de sueur et sa couverture à moitié en dehors de son lit. Elle respira lentement, tentant de calmer les battements désordonnés de son cœur après ce cauchemar étrange et se rallongea, confuse.

Déjà plusieurs jours qu'elle avait découvert les grimoires de son arrière-grand-mère, plusieurs jours qu'elle avait lancé le sort censé retrouver son âme-sœur. Elle avait naïvement cru que le visage de celui ou celle considérée comme étant son âme-sœur lui serait révélé en rêve, ou qu'elle rencontrerait dès le lendemain cette personne dans la rue, mais rien. Rien à part les maux de tête qui s'étaient soudainement déclarés, rien à part ces sensations bizarres qui apparaissaient de nulle part.

Et depuis plusieurs jours elle faisait ce même cauchemar. Ce rêve où quelqu'un la rattrapait… Elle restait incapable de voir, de se souvenir du visage de son sauveur. Et quand elle ne faisait pas ce songe, d'autres plus sombres la réveillaient parfois plusieurs fois dans la nuit. Des rêves emplis de sang, de douleur et de plaisir mélangés, des rêves qu'elle ne comprenait pas.

Peut-être avait-elle fait une erreur en prononçant ce sort sans avoir aucune connaissance de la magie. Car ces rêves n'étaient pas les seuls symptômes étranges apparus. Souvent, elle se surprenait à vouloir partir, elle se sentait comme appelée ailleurs, loin d'ici.

Ce besoin se faisait de plus en plus fort que les heures passaient et cela lui faisait peur. Certaines fois, des sensations étrangères naissaient en elle avant de disparaître aussitôt, sans qu'elle ne les comprenne.

Tout cela commençait à véritablement l'effrayer, et elle se demandait si elle devait en parler à ses parents. Ou tout simplement imaginait-elle être étrange ? Elle ne savait plus… Dans tous les cas, quelque chose se passait, et elle ne savait pas si c'était bon ou non.

Ce matin, Nadya se retrouvait à marcher sous la pluie pour aller chez le marchand de journaux chercher le magazine favori de son père. Evidemment, son père avait largement les moyens de se payer un abonnement, mais c'était là une occasion de mettre à la porte sa fille le temps d'une bonne demi-heure. Et puis, la jeune fille appréciait le fait de marcher seule et en profitait souvent pour aller à la librairie s'acheter un livre par la même occasion.

Elle salua le gérant du kiosque quand elle entra et alla prendre le magazine de son père, flânant dans les rayons avant de se décider à prendre une revue littéraire traitant dans le numéro présent des adaptations des livres en film –un sujet tout à fait intéressant en soi, et pour elle d'autant plus puisqu'elle ne pouvait pas avoir accès à la télévision. Le vendeur grimaça un peu en la voyant poser ses articles devant lui puis tapa sur sa caisse enregistreuse :

- Me demandais si t'allais venir de ce temps, toi.

- Fidèle au poste, monsieur.

- Et toujours à l'heure. Mon fils maintient que tu te téléportes ou que tu viens en balai.

Damian, le garçon dont il parlait, avait été dans sa classe au collège. Il lui avait alors découpé une natte pour la fixer sur une poupée vaudou qu'il avait clouée sur son bureau.

La blague sympathique.

Son père ne semblait pas méchant, mais il était au courant des rumeurs qui concernaient sa famille et, même s'il restait poli, Nadya sentait qu'il faisait beaucoup d'effort pour paraître civil. Elle paya et il soupira :

- N'empêche, ces histoires sont flippantes.

- Ces histoires, monsieur ?

- A propos de ce tueur en série, là. Paraitrait qu'il se rapproche de la ville. Des gens l'auraient aperçu pas si loin que ça d'ici.

- Oh…

Oui, elle avait vaguement entendu parler de ce tueur. Cet homme était vraiment effrayant, et la police semblait incapable de mettre la main dessus. On ne savait même pas pourquoi il tuait, et il n'avait aucun modus operandi visible, semblant choisir ses victimes au hasard et les torturant. On racontait beaucoup de choses sur lui, au lycée. Entre les jeunes coqs qui pensaient qu'il ne pourrait rien leur faire, les filles qui le trouvaient relativement séduisant sur l'unique photo qu'un jeune photographe avait réussi à prendre avant d'être sauvagement tué à son tour, les enseignants qui demandaient à leur élèves de croire en l'efficacité de la police, arguant qu'il n'était qu'une question de temps avant qu'il ne soit attrapé…

Nadya, bien qu'elle trouve ces histoires sordides, les ignorait. Un tueur était en liberté ? Soit. Cette information ne l'aidait en rien quand trois « racailles » du lycée décidaient à la fin des cours de « risquer la malédiction de la sorcière » en la bousculant dans l'escalier –le jeu tendance depuis le collège, les joueurs gagnaient des points si elle se blessait.

Parfois, une petite pointe de sadisme raffiné la prenait, et elle se demandait comment elle réagirait si certains de ses chers camarades étaient tués par ce tueur. Serait-elle triste, heureuse, apeurée, soulagée ? Cette pensée était parfois coupablement plaisante, même si sa morale lui interdisait de vouloir vraiment la mort de quelqu'un.

Ses achats dans son sac, elle salua une nouvelle fois le vendeur de journaux et sortit, prenant le chemin du retour en accélérant le pas pour ne pas trop prendre la pluie qui semblait redoubler, comme pour être certaine qu'elle soit bien mouillée avant de rentrer chez elle.

Enfin, la lycéenne traversait une petite rue déserte quand un mauvais vertige la prit soudainement. Elle s'affaissa contre le mur, tentant de s'y retenir et sentit le sol se dérober sous ses pieds, son corps devenir lourd en quelques secondes tandis que des sensations étrangères l'envahissaient.

Froid.

Il pleut.

Ignorer l'eau. Ignorer le froid.

Avancer.

Je dois… avancer.

Terrain glissant.

Avancer.

L'eau coule.

Ignorer.

Avancer.

Pourquoi j'avance ?

S'arrêter. Réfléchir.

Je devrais être ailleurs.

Je ne devrais pas avancer.

Ah !

Douleur à la tête.

Ne pas réfléchir.

Ignorer l'eau. Ignorer le froid.

Ignorer la fatigue.

Ignorer tout ce qui existe.

Avancer. Seulement avancer.

Avancer… Jusqu'à arriver à…

Nadya papillonna des yeux, refaisant très lentement surface, le cœur palpitant et la sensation d'avoir été quelqu'un d'autre pendant quelques instants lui donnant de mauvais frissons. Faisant fi de la pluie torrentielle, elle s'assit franchement à terre. Que venait-il de se passer ? Cela commençait vraiment à lui faire peur, que lui arrivait-il ? Bon sang, qu'avait-elle fait ? Pourquoi avait-elle joué les apprenties sorcières avec les livres de son aïeule ? Surtout qu'elle aussi le sentait, cet appel, ce besoin de partir, d'avancer tout en se laissant guidée par… Par quoi, au juste ? Et vers où ? Ces questions, toute la situation l'angoissait. Elle ne pouvait pas décemment en parler à ses parents, alors comment trouver de l'aide ? Existait-il seulement des vraies sorcières capables de l'aider ?

Le corps encore tremblant de son expérience, elle se releva et rentra rapidement chez elle.

Le soir, elle repensait encore à ce qu'il lui était arrivé à table, sentant le tiraillement dans son esprit augmenter voire la déconcentrer. Par instant, une sensation qui ne lui appartenait pas apparaissait fugacement, souvent une impression de froid, de vent ou de pluie, comme si la personne qu'elle devenait marchait dehors. Comme si, d'un seul coup, une espèce de radar s'était réveillé en elle et la prévenait que quelque chose d'important s'approchait.

Et elle était tellement perdue dans ses pensées et ces sensations que sa mère dut l'appeler plusieurs fois afin d'avoir son attention :

- … dya ! Nadya ! NADYA !

- Hein ? Oh, excuse-moi, maman…

- Tu pourrais au moins écouter quand on te parle.

- Désolée…

- Ton père te parlait.

Pour une fois qu'ils mangeaient tous ensemble, la voici qui était embêtée par ses propres erreurs… La jeune fille se reconcentra, éloigna les émotions qui n'étaient visiblement pas les siennes et se tourna vers son père :

- Oui, papa ?

- Nous montons avec ta mère sur Paris ce week-end. Il y a un important salon auquel je dois me rendre, je dois y rencontrer des entrepreneurs cruciaux pour un de mes projets.

- Oh…

- Tu resteras ici. Je veux que tu travailles tes cours. Et je n'ai pas envie de t'avoir dans mes pattes pendant tout le week-end.

Nadya baissa les yeux, déçue. Elle aurait vraiment aimé aller à la capitale, découvrir les merveilles qu'elle recelait… Mais elle comprenait son père. Elle, dans un salon empli de téléphones, d'ordinateurs, et d'objets électroniques ? Elle ferait exploser une partie de la ville si elle se retrouvait entourée de tant de ces outils. Et puis, en un sens, cela l'arrangeait. Elle allait tenter de trouver une solution à son problème dans le week-end, afin de retrouver sa vie morne et normale, même si celle-ci lui était parfois insupportable, elle se rendait compte à présent que son quotidien banal sans aucun évènement étrange lui convenait.

Elle demanda, se servant des légumes :

- Vous partez quand ?

- Dans trois jours, vendredi matin. On rentre lundi soir. Mon patron nous paye une chambre à l'hôtel.

Sa mère semblait néanmoins peu ravie de ce week-end improvisé :

- J'espère au moins que je n'aurais pas à t'accompagner les deux jours.

- Bien sûr que non. Je n'ai besoin de toi qu'au dîner prévu par le comité.

- Alors cela ne te gênera pas que j'aille aux Champs-Elysées.

- Non. Tant que tu ne vides pas mon compte. Et que ce n'est pas trop volumineux.

- Evidemment. Qu'est-ce que je dois emmener comme tenue ?

- Ta robe noire.

- Je croyais que tu voulais garder celle-ci pour le nouvel an.

- Tu pourras très bien la remettre.

- Une femme ne met jamais deux fois la même robe de soirée. Elle fait pauvre, sinon.

- Ce que tu peux être… Tu t'en rachèteras une sur Paris, ce ne sont pas les magasins de haute-couture qui manquent !

La métisse détourna les yeux, laissant ses parents dans leur logistique. Elle finit de manger en vitesse, réfléchissant. De vendredi à lundi, cela lui laissait deux jours entiers pour tenter de réfléchir à une solution. Elle allait éplucher le grimoire de son arrière-grand-mère, il devait bien y avoir une formule pour annuler les sorts ratés dans ce fichu livre !

Et tandis qu'elle continuait à songer, Nadya ne se rendit pas compte que la faim qui la poussait à manger plus que d'habitude ce soir ne venait pas d'elle…


Et vendredi soir arriva bien vite.

Nadya agrippa avec l'énergie du désespoir la rambarde de l'escalier menant à l'étage, tentant d'y monter pour se reposer.

Les maux de tête s'étaient aggravés ces deux derniers jours, tandis que l'appel résonnait en elle plus fort que jamais, la rendant nauséeuse. Elle avait passé la journée le cœur au bord des lèvres et la tête prise dans un étau alors qu'elle luttait pour ne pas y répondre, pour ne pas partir là où une entité quelconque voulait qu'elle aille. Et les sensations inconnues venaient beaucoup plus souvent, lui mettant le doute sur ses impressions personnelles.

Ne parvenant pas à aller au bout de l'escalier, Nadya s'arrêta sur les dernières marches et posa son front sur la rambarde. Elle souffrait, souffrait si fort sans comprendre pourquoi… Elle avait peur de répondre à cet Appel, de ce qui lui arriverait. Qu'est-ce qu'il se passait ? Elle nageait en plein inconnu et non, la magie ne lui semblait plus aussi amusante et merveilleuse que le soir où elle avait découvert le grimoire.

Viens.

Viens à moi.

Rejoins-moi.

Cela devenait insoutenable.

Ne résiste pas.

Viens.

Aie confiance.

Rejoins-moi.

Et si c'était un piège ? Et si elle avait joué avec des forces qui la dépassaient et que des démons, pire, le Diable, l'appelaient en Enfer ? Et pourtant, il lui semblait que la présence qu'elle ressentait n'était pas hostile. Mais elle luttait tout de même, par peur.

Même si cela devenait de plus en plus difficile…

Pourquoi tu ne viens pas ?

Pourquoi ?

Viens.

Rejoins-moi.

Nadya secoua la tête, s'accrochant plus fort à la rambarde, inquiète de sentir son corps frissonner et prêt à obéir sans son aval.

Viens.

Tu n'auras plus mal.

Rejoins-moi.

Viens.

Rejoins-moi.

Rejoins-moi.

Rejoins-moi.

VIENS !

L'ordre claqua dans tout son être, impérieux. L'esprit de Nadya se vida d'un seul coup, elle se leva, ses maux de tête disparaissant rapidement et elle partit, répondant à l'Appel. Son fil de pensée rejoignit celui de la personne qu'elle ressentait depuis quelque temps, fusionnant avec elle.

Avancer.

Avancer.

Avancer.

Se rejoindre.

Nadya marcha. Longtemps. De toute façon, quelle importance ? La durée et le temps n'existait plus pour elle, le monde alentour baignait dans une brume intense. Elle marchait, elle ne savait pas où elle allait, mais elle suivait l'Appel, l'Appel si fort qui la guidait sans faute. Et à mesure qu'elle marchait, un second battement de cœur se mêlait au sien, rassurant et chaleureux. Les sensations de cet Autre l'assaillaient, mais elles étaient à la fois plus diffuses, moins douloureuses mais aussi plus nettes à mesure qu'elle se rapprochait de son point d'arrivée, quel qu'il soit.

Elle ne s'en rendait pas compte, mais la nuit avançait tandis qu'elle s'éloignait de la ville, s'enfonçant dans la forêt qui bordait sa commune, ignorait la douleur de ses cuisses tandis qu'elle gravissait les pentes. Plus rien n'avait d'importance, sauf de rejoindre celui qui l'appelait.

Enfin, après une montée un peu plus ardue que les autres, Nadya arriva sur un petit promontoire baigné par la lumière de la lune décroissante et des étoiles. Lucide, la jeune fille aurait levé la tête vers le ciel pour l'admirer, ou encore se serait tournée vers la commune illuminée qui brillait dans la vallée.

Mais en l'instant présent, elle ne ressentait rien, rien que l'envie de rejoindre cet Autre, d'être à ses côtés coûte que coûte, et que rien ne saurait l'en empêcher. Son corps fonctionnait par automatisme, guidé par l'Appel.

Et soudain, Il arriva, finissant lui aussi de gravir la colline. L'apercevoir fit naître une sensation de plénitude intense en Nadya, qui accéléra le pas pour Le rejoindre.

En parallèle, elle ressentait Ses propres sentiments, Sa propre sérénité de la retrouver. C'était Lui, l'homme qu'elle voyait dans ses rêves ces derniers temps, Lui qu'elle cherchait depuis sa naissance… Ils se rejoignirent, tous deux les yeux dans le vague et leurs mains s'unirent d'une seule et même volonté commune.

Et quelque chose explosa entre eux. Une avalanche de souvenirs et d'émotions secoua Nadya, presque douloureusement. C'était confus, rapide et légèrement indigeste, la jeune fille ne put analyser quoi que ce soit. Le flot se tarit, et elle savait que l'Autre avait ressenti la même chose.

Ils restèrent ainsi un long moment, à se regarder dans les yeux, calmes et apaisés.

Nadya venait de rencontrer son âme-sœur.


Donc.

Qu'en avez-vous pensé? Peut-être un poil trop court pour moi, mais bon... J'espère que la personnalité, peu vue ici, de Nadya ne vous a pas trop rebutée, je la trouve moi-même un peu bizarre. Peut-être parce que mon but était de la rendre bizarre? Mais bon, il fallait des arguments pour qu'elle veuille absolument trouver son âme-soeur...

Sinon, placement du décor, des personnages... La vraie aventure débute très sérieusement le chapitre prochain. Cette histoire sera beaucoup plus courte que Syndrome, néanmoins.

Gros bisous!