Coucou tout le monde!

C'est parti pour le chapitre 15. Qui est genre... le chapitre que j'attends d'écrire depuis le debut de la deuxième partie? HAHA.

Petite note: J'ai cherché sur internet pour le secret professionnel, auquel sont tenu les psychologues. Il semblerait qu'en fait, ce ne soit pas exactement comme les médecins. Sauf qu'en cherchant, j'ai trouvé de 1: des trucs différents suivant les sites, de 2: C'est parti en articles du code pénal et j'ai absolument rien compris lol. Sérieusement, impossible de trouver une explication claire concernant les patients adultes, du coup bah, j'ai gardé mon idée de base qui me semble la plus logique. De plus, d'après ce que j'ai compris, c'est porter atteinte à une personne que de révéler ce qu'il s'est dit pendant une séance, si ça ne présente aucun danger. Toutefois si quelqu'un s'y connait un peu et a une explication claire et précise, je la lirai avec joie!

Dîtes-vous que j'ai écrit ce chapitre du fin fond du Vietnam juste pour vous en plus! *cœur*

Moi : Coucou! Ouiii ça date tu m'as manqué! Haha pas de soucis! J'adore Naïsha aussi ^^ Antoine je m'occupe moins de lui parce que j'ai plus grand chose à dire tout simplement xD Mais il reviendra, don't worry! Voilà la suite ;)

On est à cinq chapitres de la fin de la deuxième partie, on se motive!

Allez, bonne lecture!


"Au pays des aveugles les borgnes sont les rois."

Cent Proverbes.


Chapitre 15 : Le silence des frères

_Hum hum.

Le Hippie sursauta.

_T'étais loin là. A quoi tu pensais?

_Rien de particulier. Des licornes qui mangeaient des champignons bleus...

_Bien-sûr.

Mathieu s'accouda tranquillement à ses côtés.

Ils regardèrent l'horizon, un peu gris. Ils étaient presque la mi-septembre, et ce début d'automne n'était pas des plus chauds.

_C'est bientôt notre anniversaire.

Le vidéaste acquiesça. Pour lui, c'était un jour comme les autres. Une excuse de plus pour picoler. Mais le Geek, la Fille et le Panda tenaient à cet événement. Après tout, c'était chez les Sommet le jour de toutes les permissions.

_J'ai appelé Kriss. Le 23 tombe un mardi, il est ok pour le faire le week-end suivant. Chez lui ou ici, on a pas encore prévu. Ça fait longtemps, qu'on a pas fait une petite soirée. Et puis tu pourras revoir l'autre Hippie.

_C'est sûr gros...

_Ça va toi?

La réelle inquiétude derrière les mots de son créateur réchauffa le cœur du pacifiste.

_Mieux.

_La vie continue mec.

Il acquiesça vaguement, l'esprit de nouveau perdu dans les limbes.

Ses doigts vinrent frôler ses lèvres sèches. Leurs partenaires leur manquaient cruellement.

_Et avec le Patron?

Son cœur s'affola un peu, mais son visage n'exprima rien.

_C'est... tranquille.

Pas d'autre mot à sa disposition.

Tout allait trop vite et trop lentement. Que devait-il comprendre? Que devait-il faire comprendre à son créateur?

La réponse était : rien. Pas avant qu'il soit certain de ce qu'il se passait. Ses ailes étaient déjà trop brûlées, pour voler avec la même inconscience.

_Vous avez une drôle de relation, lui et toi.

_Comme avec tout le monde.

_Particulièrement vous deux.

Le Hippie sentit avant de le voir la main de Mathieu se poser sur son épaule.

_Si tu veux me parler de quelque chose, n'importe quoi... hésite pas OK? J'ai été absent trop longtemps pour vous. C'est l'heure de me rattraper. Mieux vaut tard que jamais.

Son ange et son diable se regardèrent, incertain. Puis attrapèrent chacun une pelle.

Enterrer tout. Personne ne pourrait comprendre. Cachée, la vérité. Cachée, la faiblesse. Enterrée, la monstruosité.

_Bien-sûr, gros.

"Pour Mathieu. Pour Mathieu. Pour qu'il soit heureux..."

Il l'emporterait dans la tombe.


Avec une lenteur infinie, la fermeture éclair remonta jusqu'à atteindre sa jumelle.

La dernière valise était bouclée pour de bon.

La chambre était impeccable. Le lit était fait, les coussins alignés, les placards vides.

Antoine observa une dernière fois ce petit espace qui l'avait accueilli dans des moments bien sombre.

Avant de se charger, empoignant ses bagages, et de quitter la pièce.


Ça n'était pas arrivé depuis longtemps, mais la maison Sommet était remplie de cris. Pas de cris de colère ou de chagrin. La maison hurlait de rire, et une tumultueuse tempête de joie pointait à l'horizon.

La Fille cria lorsqu'elle reçut un autre coussin en pleine tête, mais ne perdit pas le nord et riposta aussitôt. Elle s'était levée pleine d'énergie, et elle comptait bien en profiter.

Naïsha était par terre, le visage trempé de larmes tellement elle riait. Elle serrait dans ses petits poings un oreiller jaune.

_Ah ouais? Prend-toi ça!

_Dans tes rêves!

La blonde évita de justesse l'autre coussin envoyé par le Geek, qui se protégea derrière sa casquette, déjà prêt pour l'offensive.

Le Panda couvrait ses arrières, car, le Prof, caché derrière le canapé du fond, calculant distance plus rapidité plus angle de tir, guettait son amant.

_Yattah!

L'attaque était venu d'en bas, contre toute attente, et ce fut l'ursidé qui se reçut le boulet de canon envoyé par l'enfant.

_Ça, tu vas le regretter!

Il la pourchassa en lui lançant tout ce qui lui passait sous la main, -à savoir, des figurines en plastique-, laissant le Geek seul contre ses deux adversaires.

Tout était parti d'une énième défaite de la Fille sur Crash Bandicoot, qui avait littéralement pétée les plombs.

Et le Panda, avant de pouvoir se demander si elle avait ses règles, s'était pris la manette dans la figure. Car chez eux, c'était normal.

Et c'est dans ce tableau d'hystérie que le présentateur de What The Cut débarqua, complètement décalé.

Avec un sourire un peu triste, il se félicita d'avoir laissé ses bagages en bas de l'escalier.

_Hé, Antoine, ça va?

La Fille réussit à se retourner pour lui parler, malgré la pluie d'objet qui lui tombait dessus.

_Oui euh...

Il réussit à esquiver une balle de tennis.

_Je cherche Mathieu.

_Il est sur le balcon avec le Hippie!

_Ok, merci. Euh, bonne chance, faîtes gaffe à Naïsha quand même...

_Ouais t'inquiète!

Elle ne l'avait absolument pas écouté, et avait plongé sous le rebord du canapé pour récupérer une des figurines. Et lorsqu'il reconnut une des préférées de Mathieu, il songea que le chauve allait sans doute piquer une bonne crise en voyant ce bordel.

.

Lorsqu'il poussa la baie vitrée, Mathieu et le Hippie se retournèrent d'un même mouvement.

Il faut dire que c'était très bien insonorisé, et que les cris de sauvage des autres membres de la famille retentissaient jusqu'ici.

Pendant un court instant gênant, il ne sut pas quoi dire. Heureusement pour lui, le Hippie n'était pas si stupide.

_Je voulais juste...

_Pas de problème gros.

Après un hochement de tête pour le saluer, il s'engouffra à l'intérieur, les laissant seul. Antoine referma les deux portes, laissant place au silence.

Voir que Mathieu était aussi mal à l'aise que lui le soulagea un peu.

Ils n'étaient plus des enfants qui boudaient lorsqu'il y'avait un problème. Il lui avait fallu un peu de temps, mais il avait fini par le comprendre.

A plus de 20 ans, on était plus un gamin qui jouait à éviter les gens.

Sa décision était prise de toute manière, et Mat' devait être mis au courant dans tous les cas.

C'était pour leur bien à tous les deux.

_Salut.

_Salut.

Le silence inconfortable s'éternisa. C'était certain que Mathieu ne serait pas le premier à briser la glace. Il avait déjà fait trop d'efforts.

Soupirant, Antoine se décida à avancer, jusqu'à être à côté de l'autre. Il observait devant lui, les sourcils un peu froncés.

Drôle de matinée.

_Je voulais m'excuser.

N'espère pas Mathieu. Je t'en prie. N'espère pas. Pas encore.

_J'ai été un vrai connard. Et...

Merde, il n'avait jamais été très doué avec les mots.

_Tu n'as pas mérité que tout ça t'arrive. Et t'as surtout pas mérité que je te traite comme ça. J'ai honte. Mais j'ai peur aussi.

_Peur de quoi, Antoine?

C'était la seule question que se posait Mathieu? Peur de quoi? De lui? De ce qu'ils pourraient être à deux?

Et lui? N'avait-il pas peur lui? Est-ce qu'Antoine s'en souciait seulement?

_Peur de tout.

La réponse sembla le brûler.

_C'est la première fois que je vis... une telle souffrance. Je me suis retrouvé sans rien, du jour au lendemain. Comme nu, dans un monde si grand. Si terrifiant. Tout seul, Mat'. Dès que je l'ai perdu, je me suis perdu moi-même.

Il sentit quelques larmes lui piquer les yeux.

_Alors j'ai peur. Peur de l'oublier. Peur de toi, de moi. De ce que je pourrais ressentir. De ce que je pourrais ne plus être capable de ressentir. Je n'ai pas l'habitude contrairement à toi. Pas l'habitude de souffrir. Ce qu'a pu te raconter ma mère? A propos de mon père, ou à propos de ma scolarité, ce n'était rien. Rien comparé à ce que je ressens maintenant. Et tu n'as pas besoin d'un fardeau supplémentaire comme moi. Et je t'ai vu, avec... Alexis.

_Arrête de te trouver des excuses.

La voix du plus vieux claqua comme un coup de tonnerre.

_Tu sais très bien qu'il n'y a rien, entre moi et lui. Sérieusement Antoine? T'as rien trouvé de mieux pour te justifier?

_Tu crois que ça me fait plaisir de m'ouvrir pour te montrer mes faiblesses? C'est la vérité, tout ce que je te dis. On a pas besoin de ça!

_Moi j'en ai besoin merde! J'en ai besoin!

Le poing claqua contre le rebord, et Mathieu fut certain d'entendre ses os grincer de douleur.

_Dis-moi ce que tu veux maintenant. Décide toi une bonne fois pour toute. Si tu veux que je te laisse du temps, je te laisse tout le temps qu'il te faudra. Un mois, un an, plus. Si tu veux autre chose, alors communique simplement. Et si tu veux partir... je ne pourrai pas te retenir, et je n'en ai pas envie.

_C'est ce que je fais Mat'.

Deux yeux bleus se tournèrent vers lui. Complètement impassibles.

_Je m'en vais. Mes valises sont dans le salon.

Il continua en regardant par terre, incapable de soutenir son regard.

_Je retourne chez ma mère. Je ne sais pas pour combien de temps. J'ai juste besoin de réfléchir. De quitter Paris quelque temps. De me retrouver.

_D'accord.

C'était tout? D'accord?

Antoine regarda Mathieu, mais celui-ci n'avait toujours pas bougé. Il ne semblait pas surpris. Presque résigné.

_J'imagine que c'est la meilleure chose à faire. Tu ne disparais pas définitivement, de toute façon.

_Bien-sûr que non. Et puis, je crois que ça me fera du bien, de voir un peu ma mère.

_Tu l'as prévenus?

_Pas encore. Je lui téléphonerai tout à l'heure.

_Ça lui fera plaisir.

Il se retourna, rajustant son col de T-shirt qui lui serrait soudain atrocement.

_Tu lui passeras le bonjour de ma part.

Antoine hocha la tête.

Ce n'était plus Marion qu'il voyait en le regardant. Simplement un homme un peu triste qui le voyait partir encore une fois.

_Bon, je vais y aller...

_Maintenant?

_J'ai un train à 13h.

_D'accord. Je vais t'aider.

_C'est bon Mat, t'embête pas...

_Je te raccompagne au moins jusqu'à l'entrée.

Le ton n'admettait pas de contestation. Et il aurait été mal venu à Antoine de refuser.

Ils pénétrèrent dans le salon, ou les cris s'étaient calmés. Il vit le Geek et le Panda essouflés sur le canapé, avachis sur les coussins.

_Hé, c'est à toi ces valises?

La voix douce de la Fille s'adressait au grand chevelu, qui sourit un peu gauchement en voyant tout le monde le regarder. Même le Hippie qui était rentré entre temps.

_Oui. Je... je m'en vais.

Le silence retomba.

Evidemment, tous savaient que ce moment finirait par arriver. Mais, c'était... précipité.

_Je vous remercie pour votre accueil. Ça représente beaucoup pour moi. Mais il est temps que je parte. Finit-il, observant les membres de cette famille qui l'avait si bien accueilli chez eux. Qui n'avait jamais posé de questions, qui ne l'avait jamais jugé, ni observé avec des regards plein de pitié.

_On comprend Antoine. Si tu veux revenir, et je pense que Mathieu sera d'accord avec ça, tu seras accueillis les bras ouverts. Ok?

_C'est noté.

Elle lui sourit franchement, avant de venir l'enlacer. Ses cheveux blonds lui chatouillaient le nez.

_Merci pour tout.

_C'est normal.

Avant de lui donner une grande tape dans le dos bien masculine.

Ce fut ensuite au tour du Geek, qui vint lui planter un bisou sur la joue, avant de l'enlacer comme une peluche.

_Au revoir Antoine.

_Au-revoir petit bonhomme.

Sa voix était pleine d'affection.

Puis le Prof s'avança, pour lui serrer la main avec un drôle de regard.

Regard qui se dirigea discrètement vers Mathieu, pour jauger sa réaction.

Le Panda vint ensuite, lui serrer la main avec force.

_Prends soin de lui.

Il lança un coup d'œil vers le Geek, et l'ursidé sourit légèrement.

_T'en fais pas pour ça.

Les autres rirent légèrement des joues pivoines du gamer, qui secoua la tête en se cachant derrière sa fidèle casquette.

Puis, Antoine se dirigea vers Naïsha.

Il ne sut pas trop quoi lui dire au premier abord, l'enfant et lui n'avaient jamais vraiment discuté ou était proche, depuis qu'elle était là.

Cette dernière lui prit soudainement la main, pour lui serrer solennellement.

Et ça ne faisait aucun doute que le Prof lui avait appris ça.

_Au revoir, Antoine.

_Au revoir Naïsha. Fais attention à toi.

Elle hocha la tête avec vigueur, et semblait aussi sérieuse qu'un militaire pendant un défilé.

Il allait pour prendre sa valise, avant de se rendre compte qu'il avait oublié quelqu'un.

_Salut mec.

Le Hippie releva lentement la tête.

Antoine eut la drôle d'impression qu'il serait fortement ses lunettes mauves parce qu'il avait peur qu'elles tombent.

_Au revoir gros.

Un frisson lui remonta le long de l'échine, sans qu'il ne puisse expliquer pourquoi.

C'était juste le Hippie. La plante verte humaine constamment défoncée. Et qui avait failli leur claquer entre les doigts presque une semaine de ça.

Ignorant ce soudain malaise, il empoigna deux de ses valises, caressant Wifi au passage qui ne broncha pas, et adressa un dernier signe de tête à toute la petite famille.

_A bientôt peut-être.

Une fois dehors, Mathieu et lui se dirigèrent vers le parking, avant qu'une boule de poils ne leur saute dessus.

_Hé! Salut toi, je t'avais oublié!

Capsule de Bière aboya joyeusement, la langue pendante. Le chevelu se baissa pour lui caresser la tête quelque seconde.

_Protège bien tes maîtres.

Il aboya encore, et Antoine était persuadé qu'il avait parfaitement compris.

Il dévérouilla la voiture, puis posa les deux valises dans le coffre, aidé par Mathieu. Et une fois prêt devant la portière avant, il se retourna vers lui.

_Pour l'appartement...

_Je vais m'en occuper.

_Ah.

Silence.

_Bon bah...

_Tu devrais partir, il est déjà tard.

La voix du plus petit était lointaine et faible.

_Ouais... tu diras au revoir de ma part au...

Mathieu le fixa.

_Ouais nan oublie. Tu lui diras pas au-revoir.

Un instant de silence. Antoine en profita pour se glisser sur le siège, espérant qu'il n'ait pas l'air trop pressé.

_Tchao Mat'.

L'autre ne répondit pas. Antoine referma la portière, et démarra le contact.

Après un dernier regard, Mathieu observa la voiture partir.

Jusqu'à ce qu'elle disparaisse totalement de sa vue.


Est-ce qu'il allait faire comme dans les comédies romantiques débiles et se bourrer la gueule? Non.

Ce n'était pourtant pas l'envie qui lui manquait. Mais le regard du Prof était assez désapprobateur comme ça.

_Il va revenir.

_Je sais.

La science infuse se demanda si c'était le moment pour lui dire. Puis décida que oui.

Il n'avait aucune envie de le lui cacher. Et si ce n'était pas maintenant, Mathieu lui en voudrait pour ne pas l'avoir dit plus tôt. Son créateur pouvait être assez rancunier sur de stupides détails.

_Delauney m'a appelé hier.

_Quoi?

_Il voulait me parler.

Mathieu beuga quelques secondes.

_De toi, bien entendu.

_Le secret professionnel, ça vous parle?

_Je voulais juste savoir ce qu'il avait à me dire. Et j'ai été très surpris par son appel, tu t'en doutes.

Il tritura nerveusement son nœud papillon.

_Il m'a parlé de certaines choses. Rien de grave.

_Je me mets en danger, c'est ce qu'il pense?

_Comment?...

_Je m'y connais en psy, Prof. Fit Mathieu amèrement. J'en ai côtoyé pas mal dans ma vie.

_Désolé. En fait, on a du discuter au moins un bon quart d'heure. Un homme tout à fait détestable, si tu veux mon avis.

_Sans blague. C'est pas pour rien que je suis parti au bout de deux séances.

_Il ne m'a rien dit de très intéressant au début. Beaucoup de blabla, il a pris de tes nouvelles. Je lui ai dit que tu allais mieux. Que tu mangeais correctement.

Mathieu songea qu'il mangeait effectivement mieux depuis quelque temps. Ce qui n'avait pas grande logique après ce qu'il s'était passé. C'était sans doute d'avoir Antoine sous ce toit.

"D'avoir eu, Antoine sous ce toit." Rectifia une voix mesquine dans sa tête.

_Puis il m'a dit pour Antoine.

Le Prof avait pensé lâcher ça comme une bombe, mais n'obtient pas de grande réaction, au contraire.

_Tu as entendus?

_Oui, j'ai entendu. Et alors?

_C'est vrai, donc. Tu es vraiment... amoureux de lui?

_Tout le monde est au courant, Prof.

_Comment ça, tout le monde est au courant?

_Le Patron, le Geek. Le Panda m'a déjà fait deux trois réflexions aussi. La Fille doit avoir quelques doutes aussi, perspicacité féminine et tout le bordel... Et le Hippie... le Hippie j'en sais rien.

Le Prof cligna lentement des yeux, le temps d'analyser l'information.

_Tu veux dire que... je suis le dernier à le savoir?

_Il semblerait. Ta science infuse t'as pas beaucoup aidé sur ce coup-là.

_Mais... mais... -il n'avait même plus les mots- pourquoi?

_Demande à ton génie.

Une part de honte flottait dans cet océan d'indignation. Etait-il le seul à avoir réagi de manière aussi excessive lorsqu'il l'avait appris ?

_Vous avez parlé un quart d'heure pour ça? C'était une belle perte de temps.

Le Prof souffla de frustration.

Mieux valait ne pas lui parler des soupçons qu'avait eu Delauney concernant l'accident.

_C'est pour ça que tu as ce regard inquiet depuis tout à l'heure? Parce qu'Antoine est parti? Je ne vais pas m'écrouler sur le sol et me mettre à pleurer tu sais.

_Je ne croyais pas ça.

_Il va revenir de toute façon.

Sa voix n'était pas si assurée que ça.

_Mathieu...

_Et puis à quoi je m'attendais toute façon hein?

Le scientifique l'observa se relever, soudainement en colère.

_C'est... je peux rien y faire. Il a besoin de temps. Je lui laisse autant de temps qu'il veut. Mais tout ça... Ça aurait pu se passer différemment!

_Ça aurait pu être pire.

_Tu crois?

_Tu es en vie.

_Ouais, et tout le monde est en foutue dépression.

_Qu'est-ce que tu racontes? Tu parles sous le coup de la colère.

_Peut-être. Fit-il en secouant la tête. Peut-être qu'il va se retrouver une fille. Ou peut-être qu'il va pas remonter sur Paris avant des mois.

_Je comprends enfin ce que voulais dire ton ancien psychologue, en affirmant que tu es un danger pour toi-même. Tu es psychotique, Mathieu. Tu vois des problèmes là ou il n'y en a pas, et crois-moi que ça finira par te détruire si tu continues comme ça!

_Je ne suis pas...

_Ce n'est pas si grave. Je te trouve bien égoïste pour ne pas comprendre qu'Antoine doit souffler un peu. Et ça nécessite être loin de toi.

Mathieu semblait enfin assimiler les mots cruels. Il avait du mal à respirer, et une de ses mains était crispée sur le sommet de la chaise.

_Ce n'est pas si grave? Si la Fille partait du jour au lendemain à des kilomètres pendant une durée indéterminée, ce ne serait pas si grave non plus?

_Ce n'est pas comparable.

Le Prof commençait, derrière ce Mathieu-là, à revoir l'ancien. L'enfant fou de ses débuts incapable de ne pas mélanger ses rêves et la réalité.

Et ça n'était pas bon. Pas bon du tout.

_Il n'y a rien de comparable entre moi et elle et entre moi et lui. C'est une pente dangereuse que tu es en train d'emprunter. Celle des illusions. Ce n'est pas parce que c'est plus facile que tu dois y céder.

_Qu'est-ce que t'en sais toi? Rétorqua-t'il d'un ton plein de rancœur.

_Je te connais assez bien comme ça. J'ai été aveugle devant ta souffrance pendant trop longtemps, et je m'en excuse. Nous nous remettons tous en questions, qu'est-ce tu crois? Mais tu es en train d'en faire toute une montagne.

_C'est le Patron.

_Quoi?

Le Prof fronça les sourcils devant le visage acide de son créateur.

_C'est à cause du Patron, tout ça. Ce connard.

_Qu'est-ce que tu racontes? Mathieu, ne mélange pas tout.

_Laisse tomber Prof.

Il empoigna sa poitrine, ou battait ce cœur qui lui pourrissait l'existence.

_Laisse tomber.

Son téléphone sonna soudainement dans sa poche, et après un dernier regard agacé, Mathieu décrocha.

"_Allô?

_Salut mec, c'est Alex.

_Je sais, ton nom s'affiche.

_Ah ouais... Ça va?"

Le Prof renifla, se doutant déjà de la suite.

Après tout, cet Alexis avait l'air d'être un homme bien.

"_Rien de neuf. Je viens de raccompagner Antoine, il est reparti chez sa mère."

Il avait pris le ton le plus détaché possible.

"_Oh. Pour longtemps?

_J'en sais absolument rien.

_Alors que c'est bientôt ton anniversaire?

_Il a autre chose à penser.

_J'imagine... tu penses faire quelque chose cette année?

_Un truc avec Kriss ouais... Chez lui, ou chez moi."

Le Prof écarquilla les yeux. C'était bientôt le 23, il avait complètement oublié.

Et Antoine aussi, apparemment.

"_Et t'es invité, bien-sûr, parmi d'autre. Faut que je voie tout ça.

_Ok, nickel..."

Ils conversèrent encore deux minutes, parlant surtout de la soirée de la dernière fois, ce qui confirma au Prof qu'il ne s'était vraiment rien passé, avant que Mathieu ne raccroche.

_T'avais oublié c't'histoire je parie?

_Dans le mille, mon cher.

Et la journée continua d'avancer.


Le Patron rentra dans l'après-midi, lessivé, énervé, et horriblement frustré.

Rien. Il n'avait rien trouvé. Tatiana non plus, qui était finalement partie pour l'Italie le matin même.

Une fois garé devant chez lui, il lui fallut quelques minutes pour retrouver son calme, les mains toujours crispés sur le volant.

Dans sa main, il tenait une enveloppe.

Une enveloppe envoyée à un de ses bordels hier soir. Une enveloppe sans aucun mot, qui ne contenait que des photos.

De Mathieu. Du Hippie.

Et cette-fois ci, des images du Geek étaient aussi présente.

Son ventre se tordit d'une rage sourde.

Décidant qu'il n'allait pas, de toute manière, rester toute la journée planté là, il descendit de son quatre-quatre tout en prenant bien soin de claquer violemment la porte.

Il fouillait dans ses messages, téléphone à la main, lorsqu'un aboiement de Capsule retentit. N'y prêtant aucune attention, il continua sa route, jusqu'à ce que le canidé ne lui saute littéralement dessus.

Les pattes boueuses s'aplatirent sur sa veste noire, parfaitement propre.

_PUTAIN DE CLEBS!

Alors qu'habituellement, le chien était d'un naturel trouillard, il continua cette fois à aboyer, grattant la terre en grognant à moitié.

Le Patron n'y connaissait pas grand-chose en langage canin, mais il comprit que la bestiole n'était certainement pas dans son état normal. Etait-il tombé sur un quelconque champignon du Hippie?

Quand Capsule courut vers un coin du jardin en aboyant, le Patron décida de le suivre, un petit doute commençant à se former dans son esprit.

Et quelques secondes plus tard, il se félicita grandement de l'avoir fait.

Le chien grognait, la truffe et le regard rivés sur le sol.

Lentement, le Patron avança son pied droit, calquant sa chaussure sur la trace de pas.

Trace bien trop grande pour appartenir à l'un d'entre eux.

Il pensa rapidement à tous ceux qui étaient venus chez eux dernièrement. Mais les traces étaient fraîches, et le grand chevelu ne faisait pas cette taille de chaussure.

Et il avait confiance en la méfiance plus qu'inhabituelle de Capsule, qui continuait de grogner.

_T'es pas aussi con que t'en as l'air...

Le chien eut même droit à une caresse sur le haut du crâne, avant que l'homme en noir ne disparaisse entre les murs de la maison.

Sauf qu'à peine rentré, il tomba sur son créateur, fumant dans la cuisine.

Le regard orageux qui suivit n'assurait rien de bon.

Et le criminel n'était vraiment pas en condition pour qu'on l'emmerde.

_T'étais ou?

_A ton avis?

_T'as pas remarqué quelque chose en arrivant?

Pensant qu'il parlait des traces de pas, le Patron soupira, sentant pointer la migraine.

_Je vais arranger ça, j'y ai passé la nuit figure toi.

_De quoi tu parles?

_Toi de quoi tu parles?

_Il manque une voiture. Celle d'Antoine.

_Comme tous les jours.

_Il s'est barré ce matin.

_Ah.

La nouvelle ne lui fit ni chaud, ni froid.

_Et tu vas pleurer comme une fillette? Te gêne pas mais attend au moins que je parte.

_Tout ça serait pas arrivé si tu ne l'avais pas tué.

Il parlait d'une voix basse et dangereuse, et ses yeux bleus avaient viré au gris.

Le Patron laissa échapper un éclat de rire.

_Sérieusement gamin? On va revenir là-dessus? Tu as bu ou quoi?

Effectivement, il avait peut-être un peu bu. Mais ce n'était pas le sujet.

_On en a jamais vraiment discuté. Je te rappelle que je suis TON créateur, et que tu prends de plus en plus de décisions importantes sans m'en parler. Et le pire? Tu l'as jamais avoué. T'as fait le lâche, même pas capable d'assumer ton erreur.

_Quelle erreur?

Le Patron s'avança, jusqu'à se planter droit devant Mathieu, le regard dur.

_Je n'ai fait aucune erreur, Mathieu. Parce que je n'ai rien fait du tout. Elle est morte par accident.

_Tu mens. C'était ton putain de plan.

_Et quelle preuve tu as? Si tu ne veux pas me croire, c'est ton putain de problème, mais moi je connais la vérité.

Un terrible instant, Mathieu douta.

Parce que ce n'était pas le genre du Patron, de nier un fait. Il n'en tirait aucune fierté ou aucun plaisir, mais... encore une fois, quel était l'intérêt de nier?

Le criminel put lire l'hésitation dans ses yeux, puisqu'il lâcha un ricanement méprisant.

_Tu commences à comprendre.

_Elle était en parfaite santé...

Il murmurait maintenant.

_Elle était dans le coma gamin, c'est pas exactement ce que j'appelle...

_Elle n'avait aucune raison de mourir. Aucune. C'est forcément...

_J'ai rien fait.

Et le pire...

Le pire est qu'il mettait toute la vérité du monde dans ses mots. Parce que ça l'était. Entièrement vrai.

Et il en avait soudainement ras le cul, que Mathieu ne veuille pas le croire. Ca l'horripilait profondément, et amèrement.

_Quelle putain d'intérêt j'aurais à te mentir? La seule raison pour laquelle tu pourrais t'en vouloir, c'est le fait d'avoir caché à ton petit copain qu'elle était enceinte. Mais c'est pas plus mal si tu veux arriver à le mettre dans ton lit un jour, et plus si affinités.

_Je...

Mathieu avait soudainement terriblement mal à la tête. Tout se mélangeait. Tout ça n'avait... aucun sens.

Se torturait-il l'esprit pour absolument rien? Etait-ce vraiment... une simple complication médicale qui avait tué la blonde?

_On m'a dit que tu t'étais absenté au moment exact où elle est morte.

Le Patron posa les mains sur la table, ne le quittant toujours pas du regard.

_Tu veux savoir la vérité gamin? On était tous là, dans la salle d'attente. Tous. Et je suis tout simplement sortit dehors pour appeler Tatiana. Je l'aurais pas fait, de toute manière. Parce que c'était le coup de poker. Soit ça te tuait, soit ça te sauvait. Et je penchais vers la première option. Et quand je suis revenu, on a appris qu'elle avait clamsé.

_Et tu veux me faire croire ça?

_Je te le jure. -Et Mathieu se figea. Et il répéta.- Je te le jure.

Ils se fixèrent longtemps. Mathieu, difficilement, pesait le pour et le contre.

Le Patron avait l'air de dire la vérité, et c'était le plus terrible.

Tout ce qu'il avait fait... toutes ses pensées. Il s'était tourmenté au point d'en devenir fou. Et finalement... peut-être avait-il eu tort.

Un seul argument tenait tout l'aveu du criminel : Il n'avait aucune raison, absolument aucune, de lui mentir. Il n'était pas si généreux au point de lui cacher la vérité, pour... l'empêcher de souffrir? C'était le Patron, pas le Geek ou le Hippie.

_D'accord.

Le monde lui paraissait un peu flou.

_C'est pour ça que le bouffeur de soja nous la joue dépression.

_De quoi?

Encore un peu, et il culpabiliserait vraiment.

_Il était au courant, que je prévoyais de buter la grognasse.

_... Merde.

Mathieu serra le rebord de la table, abasourdi.

_C'est... Et tu lui as dit, que t'avais rien fait?

_...Non.

Les yeux de Mathieu reflétaient tout son effarement.

_Mais t'es complètement con? Tu m'étonnes qu'il soit... putain. T'as intérêt à lui dire, et vite. C'est comme s'il avait une mort sur la conscience. Comment t'as pu lui dire?

_J'en sais rien putain, c'est fait de toute manière.

Le silence dura quelques minutes, durant lesquelles Mathieu essayait de digérer l'info, le ventre noué.

Il s'en voulait. Il s'en voulait tellement.

_Va te coucher gamin. T'en as besoin. C'est fini les crises d'ados en mal d'amour.

_Ta gueule. T'as au moins trouvé ceux qu'ont déposés les photos...?

_Non. Je cherche encore.

Son double n'était vraiment pas en état pour s'inquiéter encore plus. Il n'était pas totalement un connard.

Il remonta l'escalier sans un mot de plus, laissant l'autre en plan, encore sous le choc.

Sans faire attention à la silhouette qui se découpa dans l'ombre, revenant lentement sur ses pas.

.

Il l'observa passer la porte de cette démarche traînante qui lui était propre.

Personne ne disait un mot.

Ils étaient tous là, à attendre. En silence, dans l'appréhension, comme d'habitude.

Sauf lui. Lui avait l'esprit qui tournait à toute vitesse. Très calme, à l'extérieur. Mais toutes ses pensées allaient très vites.

Il lui semblait stupidement qu'il jouait un instant crucial de sa vie. Qu'une erreur de sa part pourrait leur coûter très chère.

Réfléchir. Il était un homme intelligent qui savait prendre les bonnes décisions.

La chaise devant lui était péniblement vide.

Il tourna son regard vers l'horloge.

"_J'ai quelque chose à faire."

Aucun ne réagit, comme si ils ne l'avaient pas entendu. Il ne s'en formalisa pas, ça tombait même très bien.

Alors le Patron franchit ces portes lui aussi, un peu plus vite. Un peu plus pressé.

Il connaissait le numéro de la chambre. Rien de plus simple. Un véritable de jeu d'enfant.

Mais justement. Tout ça n'était peut-être pas un jeu. Ou un jeu macabre peut-être. Pas le genre de partie ou tu te marres bien.

Tuer, simplement. C'était naturelle, tellement naturelle. Une pression ou une injection. Puis, ce serait l'enfer, ou une vie plus paisible.

Par pour lui. Une vie paisible... Plutôt crever. Mais il ne pensait pas tout le temps qu'à lui. Et sa vie dépendait de celle de Mathieu.

Les couloirs étaient vides. Silencieux comme la mort.

Il connaissait le numéro de la chambre. Rien de plus simple.

Rien de plus simple.

Et pour une rare fois, il se retrouva bloqué. Face à un dilemme stupide et humaniste qui lui hérissait le poil.

La jouer intelligemment. Ne pas se précipiter, malgré tout ce dont il était certain plus tôt.

La tuer reviendrait à briser le chevelu. Le briser reviendrait à détruire son créateur décidément bien trop sensible.

Il tapota discrètement la seringue, bien tranquille dans la poche intérieure de sa veste.

Mais si elle se réveillait, -car il était sûr qu'elle se réveillerait-, ce serait la reprise de leur petit couple mielleux à souhait. Et Mathieu n'en serait pas plus avancé.

Que faire?

Et il fit ce qu'il faisait à chaque fois qu'il était confronté à un choix dont la solution lui échappait.

Il appela Tatiana.

Quelques minutes plus tard, il se plantait devant la chambre ou dormait la blonde.

Hésita.

L'amour était un sentiment qu'il n'effleurait que vaguement du doigt.

Et il le sous-estimait grandement.

C'est pourquoi la seringue remplie de ricin ne quitta pas sa poche. Et qu'il ne tourna même pas la poignée.

Il revint sur ses pas.


Louis savait pour l'instant gérer son affaire comme un professionnel, tout le monde s'accordait à le dire. Il avait beaucoup appris aux côtés de Tatiana, cette femme qui était comme une mère. Et toutes les filles -et les quelques garçons-, qui travaillaient avec lui l'aidaient autant qu'ils le pouvaient.

C'était étonnant comme l'ambiance pouvait être sympa, quand on était pas en train de tailler une pipe à un mec trop gros dans un lit trop grand. Et tous ici le savaient : Étonnement, ils devaient cette bonne ambiance, presque familiale, à leur boss.

Ok, il pouvait l'avouer : Il avait un peu paniqué au début. C'était la première fois que le Patron et Tatiana le lâchaient comme ça, le laissant se débrouiller tout seul. Mais finalement, ce n'était pas si compliqué.

Sans être tombé sur la blonde, ses débuts auraient été chaotiques. La chance avait été de son côté, et aujourd'hui, il avait un job qui lui plaisait et qui payait bien.

Car il était vraiment bien placé pour savoir que le Patron avait de la thune.

Louis était joli garçon, avec ses cheveux blonds et son visage androgyne. Il était sympa et intelligent. Et surtout, il était fidèle.

C'est pourquoi il attrapa directement le téléphone portable, lorsqu'il vit la jeune femme arriver d'un pas très calme pour se poster devant lui.

Les conversations des filles se turent directement autour de lui, et même celles qui discutaient avec des clients se stoppèrent, bouche-bée.

_Salut.

Il sera un peu plus fort l'appareil entre ses doigts.

_Donne-moi une bonne raison pour ne pas appeler le Patron dans les secondes qui vont suivre.

_J'ai gardé ma clé tu sais.

La dénommée Morgane lui agita un trousseau sous le nez, et il comprit trop tard.

Louis était mignon, sympa et intelligent. Très fidèle. Mais trop inexpérimenté pour être méfiant.

La porte principale du bordel, qui était officiellement un bar, fut défoncée à coup de pieds, et la majorité des filles hurlèrent.

Un instant plus tard, le petit blond était collé au mur par un homme bien plus imposant que lui, son portable déjà par terre.

Un vase explosa, et un autre partit voler dans la grande télé. Du coin de l'oeil, parmi la panique général, il vit un homme cagoulé renverser tout ce qu'il y'avait sur le bar.

Louis n'essaya même pas de se défendre. Il ne pouvait rien faire.

Les cris fusaient, les filles étaient à terre, les clients aussi. Seul lui regardait le tout d'un œil furieux.

_Vous ne vous rendez pas compte de ce que vous faîtes. Cet établissement appartient au Patron.

_Ah ouais? Plus maintenant poupée.

_Il vous tuera pour avoir touché à son personnel et à son bâtiment.

Tout ce qu'il obtint fut un rire gras, et une douleur aiguë dans la pommette juste après.

Un coup de feu. Des hurlements stridents.

Autour de lui, tout était déjà saccagé.

.

.

C'était une journée chaotique.

Mais dans leur silence, beaucoup ne s'en rendirent pas compte. Continuant de vivre, de respirer, de manger et parfois de rire.

Indifférent des autres.

Même parmi les frères.

.

.

_Tu sais je voulais juste... marcher tranquillement. Eviter les obstacles. Les choix. J'ai toujours été trop lâche pour faire des choix. Ça me fait... me remettre en cause. Réfléchir. Tout le temps seul. Et je me mets... à penser à mes pensées. Et tout devient si flou... Tout est dérisoire et capitale. Et je ne sais pas... je ne sais plus ce qui est bon, ou juste. Et je tombe. Je tombe tout le temps, je m'emmêle et je tombe. Je suis perdu. J'aimerai construire tout un tas de belles choses. Mais tout ce que j'ai... c'est ça.

Une taffe de tirée.

_Je suis moi et quelqu'un d'autre. Je me regarde dans le miroir, et c'est pas moi que je vois. C'est juste un corps sans âme qui flotte. Ce serait tellement plus simple de partir. D'avoir personne. Aucune attache. Aucun lien. Juste moi.

Expiration.

_Juste moi...

_A qui tu parles?

Pas de sursaut. Même pas un cil qui bouge.

En fait si. Ils tremblaient. Le corps entier tremblait.

_Hé?

Il écrasa sa cigarette, car s'en était bien une. Et une petite voix d'enfant lui murmura que c'était bien à son image.

"Est-ce que t'es triste? Dis-moi... est-ce que t'es triste?"

_Non. Pas triste. Pas dévasté non plus. Décalé... je... faut que je me reconnecte tu vois? Juste, aussi simplement... il me faut un café. Mais j'en bois pas. Un thé alors. Mais pas, pas dévasté.

_Hé, Hippie?

_Je sais pas... Je. Pardon. C'est juste que... t'es tout le temps là. Pourquoi tu peux pas juste partir? Pourquoi vous êtes deux maintenant hein? Pourquoi. Je sais pas quoi faire, je...

Deux mains qui enserraient deux épaules comme un rapace.

Cette fois-ci, le Hippie sursauta.

Ses yeux effarés, vitreux, se tournèrent vers l'autre.

_Qu'est-ce tu fous, tu parles tout seul ou quoi?

Le Patron avait l'air réellement inquiet.

_Je suis...

_Tu discutes avec Bouddha ou un truc du genre?

Le camé ne répondit pas.

Ses yeux étaient trop grands et trop vides. Perdus trop loin. Dans des endroits dont seul lui avait accès.

_Je voulais te parler.

Des lèvres se rapprochèrent des siennes, mais la figure hagarde, blafarde, se retourna brutalement. La peau brûlante à la pensée de ce contact..

L'homme en noir ne fit aucune remarque face à ce geste, s'asseyant simplement aux côtés de son double.

Le silence n'était pas confortable. Il était glacé. Sinistre. Le Patron avait l'impression qu'une main qu'on avait plongée dans les eaux de la banquise lui enserrait le cœur.

Son amant n'était pas dans son état normal.

_D'abord je voulais te dire pour hier, que je sais pas non plus ou j'en suis. Tu sais que t'es... gamin, t'es pas comme les autres. La preuve, je t'ai même pas baisé.

Il sortit lui aussi une cigarette, puis l'alluma pour la porter à ses lèvres.

_Toi t'es... toi. Et je crois pas que ça ait besoin de grandes phrases.

Les mots si rares, précieux comme des rubis, auraient dû faire fondre le petit cœur chaud du Hippie. Mais il éclata comme une cerise noire qu'on pressa trop fort. Acide.

Ça n'avait...

Aucune importance.

_Et je...

_Je suis désolé.

Le criminel fronça les sourcils.

_Pourquoi?

_Pour tout. Pour les fantômes qui toquent à ma porte et aussi à la tienne. Pour tout le mal qu'on a pu faire.

_Putain de quoi tu parles gamin?

_Regarde nous. Prends le temps de nous regarder. Regarde le mal qui fleurit en nous, à cause de nous. La douleur. Ce... Cette haine et cette... destruction.

Et le silence qui les tue.

Silence, parce que ces mots décousus, ceux qui n'avaient aucun sens pour le monstre qu'il était, prenaient soudain vie pour former une vérité un plus dure.

Le Patron comprit lui aussi. Heureusement pas trop tard.

_Tu nous as entendus tout à l'heure, avec Mathieu. Souffla-t-il.

Et l'autre vide qui suivit lui confirma tout, à défaut de paroles.

Il comprit qu'il avait absolument tout entendu.

"C'est ta faute."

Les mots du Panda lui vrillèrent la tête.

Il baissa la tête, accusant le coup de l'amertume.

_T'étais pas sensé entendre.

_Alors pourquoi ai-je entendu?

Incapable de répondre à cette question, il se cousu les lèvres, conscient d'en avoir déjà trop dit. Car le silence a aussi des bons côtés.

Mais c'était trop tard, encore une fois.

C'était le terrible germe de la culpabilité qui fleurissait déjà. Pire que ce sentiment-là. Un sentiment qui n'existe dans aucunes langues.

Une aversion pure et profonde qui donne envie de se jeter d'une fenêtre.

Encore une fois, lui ne connait pas ça. Il en a entendu parler, l'a éprouvé deux ou trois fois, à petite échelle. Celle qui fait qu'on a simplement un peu de mal à s'endormir la nuit tombée.

_Antoine est parti.

Légèrement surpris, le Patron acquiesça.

_Ce matin.

_Je ne peux plus... tu sais. Voir. C'est plus possible. Tout ce que je vois n'a plus aucun sens. Tout est si noir. Si gris. Je ne peux rien voir. Ni les miroirs. Ni le ciel. Ni aucun d'entre vous. Ni...

Les doigts du Hippie frôlèrent ses lèvres.

_Ni ça.

_Alors laisse-moi te le rappeler.

Une seconde plus tard, les lèvres du Patron étaient de nouveau sur les siennes.

C'était si anarchique. Implorant et désespéré. Mélancolique et plein de tristesse.

Cette fois, leur corps restaient éloignés, comme effrayés l'un par l'autre.

Ça voulait dire pardon et aime-moi pour l'un. Recule mais reste pour l'autre. Ça me brûle, et ça fait mal.

C'est complètement essoufflés qu'ils rompirent le baiser.

Tout comme son double, le criminel retira ses lunettes. Découvrant une paire d'orbes grises. C'est avec surprise qu'il s'aperçut que les yeux du Hippie brillaient.

_J'ai vraiment essayé.

Il ne savait pas de quoi il parlait. Il passa délicatement le pouce sous son menton.

_Je sais.

_Mais ça ne marche pas. C'est s'attacher pour se séparer ensuite.

Un grand froid leur gelait le cœur.

_J'suis pas assez fort. Pas assez digne.

_Tu sais qu'on est pareil gamin, c'est...

_Non. Trancha l'autre. On est pas pareil. On ne l'a jamais été. Je...

"Je marche et je me brûle. Et je fais des erreurs. De graves erreurs. Une terrible symphonie qui revient, et qui ne me quitte plus. Elle me ronge les os. Me bouffe la tête."

_Tout ça... tout ça, ça n'a servi à rien. Il est partit tu vois. Et je... et Mathieu...

_Ce qui concerne lui et Antoine, ça ne nous regarde pas putain. Tu comprends ça?

Les serres agrippèrent les épaules de nouveau.

_Crois-moi. Si une seule putain de fois dans ta vie tu dois me croire, c'est maintenant. La mort de Marion, la mort de son gosse, c'était un accident. Je l'ai pas tué.

_Je sais.

_Tu vois? Alors t'y es pour rien, gamin. Pour rien.

Les yeux du Hippie se remplirent soudain d'expression diverses. Une terrible marée d'émotions qui engloutit tout. Qui laisse comme un pantin vide.

Il tourna la tête vers lui.

Et une deuxième fois, le Patron encaissa la soudaine vérité cruelle qui lui éclata à la figure. La bouche ouverte et les yeux remplis d'horreur.

Et tout fut si clair, si logique, qu'il se sentit vaciller puis perdre pied.

L'atroce goût de la bile lui remonta dans la gorge pour le dégoûter d'avantage.

La réalisation le tenait en otage, incapable du moindre mouvement et du moindre son.

Ce fut seulement deux minutes –deux éternités- plus tard, sa cigarette consumée, qu'il reprit un semblant de conscience.

Une petite partie de lui espérait qu'il se trompe. Car ce n'était pas possible, même pas dans les rêves les plus fous.

_J'ai vraiment essayé, mais sans issue, tu vois gros... y'avait pas de portes. Pas de portes à ce cauchemar. Je voulais... c'était juste pour Mathieu, pour nous... je savais pas, je savais pas que...

Il étouffa un sanglot. Le criminel savait que le Hippie ne s'adressait plus à lui.

_Je voulais pas faire tant de mal.

Un sanglot succéda à un autre. Creusant un peu plus son cœur.

Et le Patron, abasourdi, ne pouvait que le regarder, dans une fascination horrifiée qu'il était le seul à pouvoir lui faire éprouver.

Le regarder vaciller et perdre pied.

.

.

C'était obsessionnel, d'entendre cette horloge qui résonnait dans sa tête. Ça pourrait le rendre fou si il ne l'était pas déjà.

Il avait terriblement soif. Une soif qui lui asséchait la gorge pour la rendre râpeuse et douloureuse.

Une terreur peu commune qui lui dévorait les tripes.

"_Le Panda en a encore pour combien de temps Gros?

_Je sais pas... Pourquoi?"

Déglutir en vain. Tentative d'étancher la soif.

Aller vers cette porte, loin de cet endroit qui l'étouffait.

"_Je vais aller me chercher à boire Gros...

_Te perds pas."

Il n'entendait déjà plus, l'esprit obscurcit. Il passa devant un Patron en pleine réflexion.

Réflexions dont il connaissait l'aboutissement. Réflexions, qu'il ne servait à rien de prendre en compte.

Et peut-être que ça servirait à le sauver lui aussi. Au moins un peu.

Il avait terriblement froid et terriblement chaud. Lorsque la lourde porte se referma derrière lui, le silence l'agressa de chaque côté.

Las et incroyablement vide, il se dirigea vers le premier distributeur pour une bouteille d'eau.

La fixant mollement tomber, le bouchon rejoignit rapidement la bouteille, et trois grande gorgées fraîches coulèrent le long de sa trachée.

Sensation apaisé. Qui ne disparaissait pas.

Pendant une ou deux minutes, -ou était-ce des heures?-, il resta planté ainsi.

Jusqu'à ce que le Panda ne passe devant lui, dans un autre couloir, sans le voir.

Terreur et obstination. Devoir.

La petite bouteille resta là alors qu'il s'en allait.

Le numéro luisait sur la porte, fraîchement repeinte. C'est sans doute, qu'il tourna la poignée pour pénétrer à l'intérieur.

Ça sentait le médicament et le produit de nettoyage. Odeur pour masquer la mort. Lentement, il referma la porte derrière lui.

Elle était là. Belle et froide, terriblement inconsciente.

Elle était là, intelligente et monstrueuse. Car elle faisait tant de mal sans même s'en rendre compte.

Le visage de Mathieu s'imposa très fort. Comme un Dieu, comme un mantra.

Qu'est-ce qu'il avait dans la tête? Une brume dense et noire qui lui donnait les larmes aux yeux. -D'ailleurs, il pleurait.- Une terreur monstrueuse dans le bide qui le tenait parfaitement éveillé.

Plusieurs fois, des centaines voir des milliers, le Hippie se répéta qu'il était sincèrement désolé.

Puis, il agrippa cet oreiller, l'approcha de ce si beau visage. Fixant une dernière fois ce corps immobile, qu'il ignorait portant la vie.

Tout le reste n'était que noir. Mensonges et silence.

Tenter d'être fort dans ce grand théâtre.

Parmi les délires et les souvenirs truqués, il se rappelait avoir fait le même chemin. Automate. Avoir vu le Panda dehors, assis sur un banc, qui pleurait aussi. Mais tant de lumière l'avait aveuglé.

Etre revenu à sa place, parmi les siens.

La gorge, ses rédemptions, ses principes et sa foi en feu.

Faire semblant.

Lui le mauvais comédien.


Fin du chapitre 15.

J'avais envie d'écrire ce chapitre depuis des lustres. Et j'espère qu'il vous a été agréable à lire.

VOUS VOUS Y ATTENDIEZ PAS HEIN? HAHA!

Allez, à la prochaine!

Une review = Un joint de consolation pour le Hippie. -Si vous trouvez qu'il le mérite, bien-sûr.)

Peace and Love. 'HippiqueAndYDeaLD