Apaisement

La veille sa fille l'avait appelée. Cela faisait un mois qu'elles ne s'étaient pas parlé et pourtant elles avaient quand même trouvé le moyen de se disputer.

Tama aurait pourtant aimé lui dire qu'elle l'aimait, qu'elle lui manquait et qu'elle adorerait les voir elle et ses enfants. Mais comme d'habitude elle s'était mal exprimée et sa fille avait compris l'inverse. Alors elle l'a traitée d'asocial et a parlé de combien son père avait raison à propos de son incapacité dans les relations humaines. Evidemment comme à chaque fois qu'on évoque son ex-mari, la mangaka a également levé la voix. Bref, un désastre.

Et aujourd'hui ça la minait encore alors elle était sortie faire un tour de l'île avant de finalement s'asseoir sur une pierre face à la mer. Elle s'était demandée ce que son frère aurait dit, ce qui lui aurait conseillé.

Mais Aki était loin et elle ne se voyait pas lui téléphoner pour se plaindre. Elle n'avait aucune envie de passer encore une fois pour la sœur nulle.

Ensuite, elle avait songé à Miwa. Sa meilleure amie. C'était étrange, leur lien. À la base, les deux jeunes filles n'avaient aucun goût commun et si elles n'étaient pas nées dans le même village, elles ne seraient certainement jamais devenues amies. Et en même temps, en même temps, qu'importait le nombre de gens qu'elles avaient croisés et qui leur ressemblait plus, elles étaient encore et toujours meilleures amies.

Mais comme pour Aki, Miwa était loin et de toute manière elle n'avait pas besoin de lui parler pour savoir qu'elle dirait.

Ne fais pas attention aux mots qu'elle a utilisés, je suis sûre qu'elle n'en pense pas à un et que c'est juste son abruti de père qui lui a monté la tête. Dans quelques jours elle te rappellera pour s'excuser.

Naru dirait l'inverse par contre. Enfin pas exactement. Elle dirait que c'est à elle de l'appeler, qu'il faut qu'elle arrête d'avoir peur, qu'il faut oser.

Hina n'aurait pas d'avis. Elle se contenterait simplement de la plaindre et d'essayer de lui changer les idées en parlant d'autres choses. De son mari par exemple et du nouveau bateau. Kenta qui rentrerait à ce moment-là, renchérirait alors et pendant une heure elle devrait subir l'interminable description de son nouveau trésor. Finalement ils l'inviteraient à manger avec eux et elle passerait une agréable soirée.

Cependant vers la fin, le couple finirait comme toujours par évoquer leurs petits-enfants et l'absence de son petit-fils se ferait cruellement ressentir.

Quant à Hiroshi et maître Handa, ni l'un ni l'autre n'avaient jamais été des grands experts en relations sociales. Cela ne les empêcherait pas de lui donner des conseils mais elle était quasiment certaine qu'il vaudrait certainement mieux ne pas les écouter et que cela les agacerait qu'elle pense ça. Du coup, elle finirait par se faire expulser de la maison et même si ça serait certainement drôle, parce que c'était toujours drôle de les embêter. Elle savait aussi qu'après, lorsqu'elle serait partie, ils s'inquiéteraient pour elles et ça elle n'en avait pas envie. Vraiment pas.

Tama regarda de nouveau la mer. Elle se demanda pourquoi soudain son adolescence lui manquait tellement. Pourquoi elle avait soudain envie qu'ils soient de nouveau tous là les enfants du village de Nanatsuke.

Puis, elle repassa en mémoire tous ce qu'ils avaient vécus entre temps. Les mariages. Les naissances. L'ouverture du restaurant. Les décès. Le passage d'Aki à la télévision. Son élection. Miwa qui leur avait organisé un voyage surprise.

Elle repensa à elle adolescente qui fantasmait sur Hiroshi et le calligraphe. Elle était tellement loin de la vérité et pourtant elle ressentait un peu de fierté à l'idée qu'elle avait la première à savoir. Enfin à deviner. Deviner à quel point ils étaient faits l'un pour l'autre.

Lorsqu'elle quitta son siège pour retourner chez elle, la vieille dame fit un petit détour. Elle passa devant la maison d'Hiroshi et de Seishu. Elle les observa par la fenêtre. Les deux vieillards se regardaient en souriant pendant qu'ils mangeaient leur soupe. Puis Hiroshi dut faire une blague car le rire de Seishû retentit jusqu'à elle. Ils étaient heureux. Ils étaient beaux. Pas beau comme deux jeunes adultes qui font fantasmer une jeune fille mais beau comme une œuvre d'art qu'on admire et qui nous procure des émotions.

Ce n'est qu'une fois chez elle, que finalement Tama se rendit compte qu'elle était bien plus sereine. À un moment donné, quelque chose l'avait finalement apaisée.