Bonjour !

Et voila le dernier chapitre ! Merci pour toutes les reviews que vous m'avez laissé !

Bonne lecture !


Jour 150 :

L'hôpital, j'y ai pas remis les pieds. J'aurais peut-être du. Très probablement que j'aurais dû, mais je l'ai pas fait, voilà. Je vais arrêter d'essayer de justifier le pourquoi du comment, j'ai plein de raisons, elle sont toutes plus nulles et lâches les unes que les autres et je le sais très bien. Fin du débat.

Au bout de trois semaines, Nivans était toujours là-bas. Redfield était avec lui tout le temps, il dormait dans un hôtel juste à coté. Mais deux fois par jour je le voyais débarquer, matin et soir, il restait trois heures ou dix minutes, vérifiait le frigo, ouvrait les fenêtres, préparait un repas en me parlant de Nivans, puis repartait. Je comprenais pas pourquoi il se faisait chier à faire ça pour moi et bien sûr, ça m'énervait. Comme ça, d'un coup, on se déteste plus ? Pourquoi ? Je veux pas de Redfield comme pote, j'en ai pas besoin on est trop différents. Lui c'est la lumière, c'est le héros à l'américaine avec la justice et la force. Piers et moi, on est la mort et la violence, la jalousie, la destruction, les sentiments qui font du mal. On est beaucoup trop underground pour ce pauvre Redfield.

Pour ne rien arranger, je ne supportais pas qu'il me parle de Nivans. L'entendre faire des sous-entendus comme quoi il s'occupait bien de lui pendant que je glandais avait le don de me faire rager, mais il n'avait que ce mot à la bouche, Piers, Piers, Piers. Résultat, pour ne rien changer, je lui gueulais dessus, et lui revenait inlassablement comme pour me prouver qu'il valait mieux que moi. Je suis un coriace, mais j'avoue que petit à petit, ça me crevait. J'en avait besoin, qu'on s'engueule, parce que la situation était bien trop tendue et instable, mais lui me dégainait tout le temps son putain de regard compréhensif à la con qui me forçait à me calmer, mais pas de façon productive. Je retrouvais la même sensation que dans la base sous-marine, quand il m'avait annoncé tout naturellement qu'il avait tué mon père et qu'il m'autorisait à lui tirer dessus si j'étais pas content. C'était pas de ça qu'il s'agissait ! Évidemment que je voulais pas le tuer ! Mais j'avais vraiment besoin d'une bonne engueulade, avec le ton qui monte, c'était la seule réaction saine dans un moment pareil ! Et je m'étais retrouvé obligé de baisser mon flingue et de fermer ma gueule comme un gamin obéissant, sans avoir pu laisser sortir ce que j'avais sur le cœur. Résultat : deux ans après je n'ai toujours pas digéré. Et il remet ça. Son soi-disant respect alors qu'au fond, je suis persuadé qu'il me méprise, du haut de son héroïsme.

- Arrête de faire semblant, putain ! Lui ai-je gueulé dessus un jour ou j'étais à bout. Pourquoi t'essaies d'être sympa avec moi ? Qu'est-ce que tu cherches ? D'où le grand Chris Redfield se soucie de moi ?

Il avait levé les mains en signe de paix.

- Écoute, Jake, si c'est encore à propos de ton père...

- ça a rien à voir ! Est-ce que tout ce bordel a déjà eu à voir avec mon père ? Il s'agit de toi ! Pourquoi tu viens ici ? Pourquoi tu me fais à manger ? Je sais très bien ce que tu penses de moi !

Ça sonne pathétique, hein ? Mais je ne me suis pas arrêté là. Je lui ai déballé toute ma culpabilité. Que je m'occupais pas bien de Nivans, j'allais pas le voir et je squattais chez lui pendant que Redfield, il s'occupait de tout et il assurait de tous les cotés.

- Tu te trompes, Jake, Je ne te méprise pas du tout. Au contraire, je suis surpris que tu te conduises si bien.

Ben v'la autre chose. Il se fout ouvertement de moi maintenant. J'allais lui mettre une droite mais il a ajouté précipitamment que j'étais loin d'être parfait mais que j'étais un vrai soutien pour Piers. D'ailleurs Nivans me faisait confiance, à moi, et pas lui, non. Redfield m'a dit que c'était bien de ma part d'être resté chez lui tout ce temps, alors que lui-même l'avait laissé seul. Et il a ajouté qu'il gérait peut-être mieux la cuisine et les visites, mais étant la personne pour qui Piers s'était détruit, et après avoir joué avec ses sentiments comme il l'avait fait, il trouvait que j'assurais un max et qu'il était nul (en gros). J'en suis resté sans voix. Et il n'avait pas fini :

- Quand j'ai tué Wesker, je ne savais pas qu'il avait un fils. Ça n'aurait sûrement rien changé mais voilà. Je ne savais pas.

Et moi, le fait de savoir ça, est-ce que ça allait changer mon rapport avec Redfield ? Je me le demande.

- Ma mère est morte du sida, ai-je bêtement déclaré sans aucune raison.

Redfield a hoché la tête :

- Mes parents dans un accident.

- Si Nivans meurt à l'hôpital...

- T'inquiète pas, ça n'arrivera pas.

Qu'est-ce qu'il en sait ? La dernière fois que je l'avais vu il avait l'air plutôt mourant. Redfield a ajouté :

- Son pronostic vital n'est pas engagé.

Ah bon ? Sérieux ? Qu'est-ce qu'ils attendent pour l'engager ? Je veux dire, ils ont vu sa gueule ou bien ? Sinon, si tout va bien, pourquoi Nivans ne rentre pas à la maison ? Ils l'ont pas remis en quarantaine au moins ? La quarantaine dans un hosto, j'ai connu, et je peux affirmer avec sagesse que ça craint un max.

Bizarrement, pour une fois Redfield n'était pas très emballé à l'idée de me donner tous les détails. Il s'est empêtré dans un jargon médical auquel il avait l'air de ne méchamment rien piger. A ce que j'ai compris, le virus C renforcé était tellement accroché à la vie qu'il maintenait Nivans tant bien que mal. Comme quand la blessure au couteau qu'il s'était faite s'était refermée d'un coup. Il ne mourrait pas, il pouvait pas. J'adore l'idée. C'est Nivans, ça, c'est un costaud.

Mais ce serait bien qu'il revienne, du coup. Et si les médecins en essayant de détruire le virus finissaient par causer sa mort ? On pouvait pas laisser faire ça ! J'ai dit ça a Redfield qui a eu l'air désemparé :

- Ce qui se passe là bas... Les médecins et les chercheurs savent ce qu'ils font, mais... tout est tellement compliqué. Je ne sais même pas s'il reviendra, et si oui dans quel état. Parfois je me demande même si ce serait pas mieux que...

Hop hop hop, ne finis pas cette phrase Redfield. Je veux pas savoir. Moi j'ai une hantise, c'est que Nivans reste à l'hosto, qu'il y crève ou qu'il y coule des jours heureux, mais que je ne le revoie jamais. Comme Sherry. Et comme ma mère, qui est morte quand j'étais au bout du monde, sans que je le sache.

Je sais ce que la conscience collective me dit : l'hôpital est pas si loin, j'ai qu'à bouger mon cul. Mais j'ose pas. Vu que la dernière fois je l'ai limite agressé, s'il a l'air trop faible je serais capable de l'étouffer dans son oreiller juste pour pas qu'il voie que j'ai peur.


Jour 157 :

Enfin, il a été question que Piers revienne à la maison. Redfield devait allait le chercher, il m'a demandé si je voulais venir. Avant que je m'énerve, il a ajouté que je pourrais attendre sur le parking pendant qu'il le récupère. Je me disais que ça servait à rien que j'y aille, puisqu'il revenait et donc je pourrais le voir ici, on était pas à une heure près. Pourtant j'ai pas dit non, et deux jours plus tard j'étais dans la voiture de Redfield en direction de l'hôpital.

Et je faisais la gueule. Cherchez pas à comprendre.

Comme on avait dit, Redfield s'est garé devant l'hôpital et il est entré tout seul. Je me suis allumé une clope, j'étais nerveux comme tout, j'espérais que Nivans serait pas trop amoché, qu'il tienne debout, au moins, et qu'il respire de façon normale. Enfin, s'ils le laissaient sortir c'est que ça devait aller, non ?

J'espérais surtout qu'il m'en veuille pas, de lui avoir gueulé dessus comme j'avais fait et de pas être venu le voir pendant tout ce temps.

Quand je l'ai vu sortir de l'hôpital avec Chris, je me suis redressé et j'ai éteint ma clope, comme si c'était un rendez-vous important. Il avait l'air de pouvoir marcher, c'était déjà ça. Il marchait un peu derrière Chris qui le surveillait avec mille précautions, mais quand il m'a vu, il a arrêté de regarder par terre et il est venu vers moi, d'une démarche obstinément stable. Une fois assez proche, il m'a fait un sourire. J'ai tout de suite vu qu'un truc avait changé, mais je n'arrivais pas à dire quoi.

- Qu'est-ce que tu fous là ? m'a-t-il demandé d'une voix un peu essoufflée et moqueuse. Chris à réussi à te sortir de la maison ?

Il s'était arrêté assez loin de moi, à plus d'un mètre. Pas d'embrassades comme je l'avais envisagé. L'air nonchalant, il a appuyé son coté amputé à la voiture. Sa main gauche était dans la poche avant de son grand sweat. J'ai été pris d'un truc à la gorge.

- Tu.. euh...

J'arrivais même pas à dire : « tu vas bien ? ». Comment ça se faisait qu'il soit pas mort vu l'état dans lequel il se traînait avant d'être hospitalisé, à cracher du sang partout et à suinter du pus de J'avo ? J'avais envie de lui tourner le dos, de plus le regarder, et en même temps, ce putain de lien que je sentais envers lui, c'était quelque chose de tellement fort. Tellement plus grand que moi. Alors je suis allé vers lui et je lui ai relevé le menton. Il s'est laissé faire sans être surpris, avec une lueur de défi dans le regard. Mais s'il s'était laissé faire, c'était pas par jeu, ni par affection. C'était parce qu'il était épuisé. Toute cette attitude blasée, limite agressive, pour me cacher ça. Il y avait un truc dans son œil vivant qui n'était pas là avant et qui ne devrait pas y être. Nivans avait toujours eu une expression un peu éteinte depuis sa mutation, mais là c'était complètement différent. Il avait l'air hanté.

Et aussi, ce que j'avais trouvé changé quand il était loin, maintenant je voyais clairement ce que c'était : La tête de Nivans, tout le monde le sait, c'était un chaos pas possible, le coté droit plein de veines et de bouts de chair dégueu, je vais pas revenir là-dessus... Et ben là c'était différent. Son coté normal était toujours bien normal mais la mutation était... comment décrire ? C'était passé de tripaille informe à... tripaille informe, mais différente (on est bien avancés avec ça). Plus sombre, peut-être... plus sèche. Plus immobile.

- T'as fait quoi à ta tête, encore ?

Redfield a toussoté l'air de rien, mais on l'a ignoré royalement. Je devrais vraiment serrer Nivans dans mes bras, c'est pas bizarre, le mec vient de frôler la mort et je suis son pote, il faut un câlin ! J'ai eu peur, merde, je veux mon câlin ! Le truc c'est que ça faisait tellement longtemps qu'on était là à se fixer sans bouger, que j'osais pas faire un geste.

Tout doucement, j'ai éloigné ma main de son menton. On est restés un peu sans rien dire, puis il a eu un genre de rire gêné, et l'instant d'après on se tombait dans les bras en rigolant, en pleurnichant et en nous broyant les os. Je sentais toutes ses côtes sous son sweat. D'un coté seulement.

On s'est mis à tourner sur place, sans nous lâcher, on devait avoir l'air complètement débiles, mais putain ça faisait du bien. Je riais aux larmes.

Quand on a fini par se calmer, Redfield nous a dit :

- Allez les enfants, dans la voiture.

Nivans est monté devant, à coté de lui, et je me suis assis à l'arrière. Je voyais son profil muté dans le rétro. C'était pas pire qu'avant, ça aurait été difficile de faire pire que cette horreur, mais je peux pas dire que c'était mieux non plus. Ça me perturbait. Pourquoi la mutation avait changé ?

- On va où ? A demandé Nivans à Redfield alors qu'il démarrait.

- Je pensais te ramener chez toi. A moins que tu ne préfères aller ailleurs ?

Redfield avait l'air un peu triste. Peut-être qu'il était jaloux de nos effusions de joie alors que lui n'y avait pas eu droit ?

Nivans s'est tourné vers moi :

- Ça te va si on rentre pas tout de suite ?

- Pas de souci.

Redfield nous a demandé où on voulait aller. Je pensais à aller faire la fête au Burger King du coin, mais Nivans a répondu plus vite et plus poétiquement que moi : Il aurait bien aimé aller à la mer.

Ça sonnait tellement caprice de bébé, et venant de lui c'était tellement bizarre, surtout face à Redfield, que ça m'a laissé une impression effrayante.

- Ça fait loin, a dit Redfield

Nivas a rigolé :

- Je sais bien. Je disais ça comme ça.

Il y a eu un silence pensif, et j'étais à deux doigts de proposer mon plan B, comme Burger King, quand je me suis rappelé d'un truc : On est dans le Minnesota, c'est pas sensé y avoir des lacs partout ? Nivans m'a dit qu'il avait jamais vraiment eu le temps de visiter, et ça a été décidé. Redfield a mis son GPS en direction du lac Supérieur, à une heure et demie de route.

On a pas trop parlé pendant le trajet, j'avais envie d'être tout seul avec Nivans pour lui poser des questions. A un moment il s'est tourné vers moi pour me rendre mon téléphone et mes écouteurs :

- Merci, m'a-t-il fait. J'ai passé mon temps dessus. Je sais pas ce que j'aurais fait si je l'avais pas eu.

J'ai fait une vanne comme quoi j'étais venu juste pour ça, et que maintenant que je l'avais récupéré j'avais plus qu'à rentrer chez moi, plutôt qu'aller faire trempette avec ces deux ploucs, mais personne m'a pris au sérieux. On s'est arrêtés en chemin pour prendre des provisions, et on est arrivés au lac Supérieur, immense, on aurait vraiment dit la mer.

A cause du mauvais temps, il n'y avait quasiment personne sur la plage de petits cailloux. Les quelques voyageurs qui passaient ne s'éternisaient pas, probablement à cause de l'ampu-mutation de Nivans qui impressionnait. On s'est assis au bord de l'eau, qui était visqueuse et froide. Nivans avait l'air de kiffer. Perso, j'étais moyen, la base sous-marine avait du légèrement me traumatiser de la flotte.

On a passé une journée très bizarre. On a parlé de tout et de rien, on a fait semblant de bronzer sous la parodie de soleil, un peu dormi, mangé, on a joué au foot sur la plage... Très bizarre, je vous dis. Manquerait plus qu'on fasse un château et on pouvait cocher la case de la journée type famille de péquenots à la plage. Quand Nivans a commencé à tripoter les cailloux j'ai eu peur.

Alors que l'après-midi passait, il a commencé à faire sévèrement froid, au point qu'on a allumé un feu. C'était sûrement interdit mais aucun d'entre nous en avait quelque chose à foutre, même pas Redfield, notre Américain modèle. D'ailleurs, un vrai boy-scout celui-là, il a réussi a faire du feu avec trois cailloux et deux bouts de bois. Je vais l'inscrire à une émission de télé-réalité. On a fait dorer des bouts de viande en brochette qu'on avait acheté en chemin, notre capitaine avait prévu son coup.

- Comment c'était, me suis-je décidé à demander à Nivans, l'hôpital ?

Il m'a regardé à travers la fumée :

- Ils ont fait de leur mieux, vraiment. C'était pas si terrible. Mais je suis content d'être ici.

- La choucroute farcie sur ta gueule, elle est pas comme avant.

- Ouais.

Il a fallu que j'insiste pour qu'il m'explique que sa mutation devenait beaucoup trop autonome et que, en désespoir de cause, les chirurgiens et les biologistes avaient tenté de la neutraliser avec une solution acide. Ouille.

- T'étais sous anesthésie j'espère.

- Quelle importance ?

Il a ajouté d'une voix absente:

- Si ça marchais, au moins...

Et plus rien. Maladroitement, j'ai essayé de le réconforter :

- Si ça peut te rassurer c'est pas plus dégueu qu'avant.

- Merci, m'a-t-il fait avec un sourire bizarre. Encore une fois, heureusement que j'avais ton téléphone avec la musique. Ça m'a aidé.

-Je t'en offrirai un pour Noël, ai-je dit dans un élan d'attendrissement.

Avec quel argent ? J'avais encore quelques mois pour résoudre ce mystère. Redfield s'est brusquement levé, et il est allé sans rien dire vers la rive. Nivans le suivait des yeux. L'ambiance était pas joyeuse.

- Vous vous êtes... euh... rabibochés, vous deux ? Ai-je demandé à voix basse pour pas que Redfield m'entende.

Sans quitter son capitaine des yeux, il m'a répondu doucement :

- Il m'aime pas. Il fait semblant comme dans la base sous-marine. J'imagine qu'il croit que ça me rend heureux, ou alors c'est lui qui se sent mieux comme ça. Mais ça ne m'énerve plus. J'ai décidé de l'accepter. Si c'est ce qu'il veut... j'aurais tellement voulu qu'il soit honnête avec lui-même et avec moi mais... tant pis. De toute façon c'est pas comme si ça avait encore de l'importance.

J'ai eu une sombre envie d'aller pousser Redfield au fond du lac. Nivans fixait la fumée et je savais qu'il était de nouveau devant la porte de la capsule d'éjection, s'appuyant sur un mensonge, à faire ce choix qui avait sauvé en même temps que démoli sa vie.

- J'ai failli y croire... une deuxième fois...

Il a secoué la tête et il m'a regardé :

- Jake.

J'ai eu un frisson. Une angoisse soudaine. Je voulais qu'il arrête de parler. J'ai essayé de dire un truc pour détourner la conversation quelle qu'elle soit, j'ai parlé du froid ou de la viande, mais ça n'a pas pu, ça n'a pas pu m'empêcher d'entendre ça :

- Je vivrai pas jusqu'à Noël.

Au loin, Redfield jetait des cailloux dans le lac. Une part de moi peut comprendre qu'il n'arrive pas à arrêter de se mentir. Je fais pareil, au fond.

- N'importe quoi, ai-je fait la voix tremblante. T'es solide, regarde. T'es toujours là après tout ce temps. Ils t'auraient pas laissé quitter l'hosto si quelque chose allait pas.

Je lui ai ressorti les mêmes salades que je me disais à moi-même depuis qu'il était à l'hôpital. J'en avais tout un tas. Il m'écoutait sans rien dire, en approchant sa main du feu distraitement. Je pensais que c'était pour se réchauffer mais...

- Arrête.

Il m'a écouté, et dix secondes plus tard il recommençait.

- Arrête putain !

Je suis venu à coté de lui et j'ai attrapé sa main pour l'empêcher de se la cramer. Les veines sous son poignet étaient J'avo.

- Je ne suis pas solide, m'a-t-il dit d'un ton neutre. C'est le virus C qui l'est.

- C'est pareil.

- Ah oui ?

Il m'a jeté un coup d'œil un peu hostile. C'était pas ça que je voulais dire ! J'ai essayé de me justifier :

- Même si t'es pas en forme, le virus C va te garder en vie ! Et avec mes anticorps, tu resteras humain. C'est équilibré.

- Les perfusions qu'ils m'injectent, avec tes anticorps, ils veulent arrêter d'en produire. Ça revient trop cher pour juste une personne.

- Si c'est qu'une question de fric...

Je reprend le boulot demain dans ce cas. Je me remet à tuer des innocents pour rapporter du blé si c'est ce qu'il faut.

- Ce n'est pas qu'une question de fric. Ça peut pas durer comme ça, tu le vois bien. C'est de moins en moins efficace, tôt ou tard ça suffira plus.

- Tu vas pas abandonner, putain !

J'ai gueulé ça fort. Tellement que Redfield m'avait forcément entendu, Pourtant il n'a même pas tressailli, et il ne s'est pas retourné. C'est ça, plus que les paroles de Piers, qui m'a effrayé.

- Il le faut. C'est pas qu'une question d'endurance ou de volonté, le virus C renforcé est dangereux et si... quand il reprendra le dessus ça finira mal pour tout le monde. L'euthanasie est interdite aux États-Unis mais les chercheurs étaient tous d'accord pour le faire quand même. Ils étaient sur le point d'envoyer une demande d'autorisation exceptionnelle au gouvernement.

- Pourquoi t'es sorti, alors ? Ai-je craché avec amertume.

- Je... ça va être dur de te dire ça alors te mets pas en colère s'il te plaît.

J'ai inspiré un grand coup. J'avais une violente envie d'aller fracasser des arbres mais Piers était sérieux et effrayé. J'ai serré les poings et j'ai regardé le feu alors qu'il reprenait :

- Je voulais pas mourir à l'hôpital. Je l'aurais fait s'il n'y avait pas eu le choix mais... comme tu venais pas... j'aurais voulu qu'on en parle, au moins, qu'on se dise au revoir. Ça me faisait un peu peur de partir comme ça.

Peur de mourir de façon triste et glauque, lui ? Genre. Donc c'était par rapport à moi qu'il avait eu peur.

- L'équipe qui s'occupe de moi, ils sont tous vraiment sympas et compréhensifs. Je sais que mon médecin a du te paraître un peu sec, mais c'est quelqu'un de bien. Et même si c'était contre leur intérêt scientifique et judiciaire, ils ont accepté de me laisser partir. A condition.. que je mette fin à mes jours.

J'ai serré les dents, incapable de... incapable.

- Tu peux pas te tuer, ai-je murmuré le plus bas possible pour empêcher ma voix de partir dans les aigüs. T'as déjà essayé, tu te rappelles ? Imagines, si tu te tires une balle dans la tête et que t'y survis.

Je le regardais pas mais je sais qu'il a frissonné. Je savais que cette idée le terrifiait, il me l'avait dit une fois. C'était pas sympa de jouer sur ses angoisses, mais si ça pouvait calmer ses pulsions de mort...

- Jake... m'a-t-il dit tout doucement après un long silence. Tu te rappelles pourquoi tu es venu chez moi ?

Ces paroles m'ont glacé le sang. Je me suis redressé et je me suis tourné vers lui comme un robot.

- Tu me demandes pas ça, l'ai-je averti d'un ton menaçant.

- Tu... te ferais du fric, a-t-il risqué prudemment. Et tu tiendrais ta parole. Y a que Chris et toi qui sachent tuer des J'avos.

Je lui ai sauté dessus. Je l'ai empoigné et violemment, je l'ai allongé par terre. Il ne s'est pas défendu. Il ne m'a pas provoqué et n'a montré aucune colère. Redfield n'est pas accouru pour défendre son lieutenant. Bien qu'il sache, il a continué à ne pas nous regarder.

Je pouvais le faire. Ils m'auraient laissé le faire maintenant. Je maintenais Piers au sol d'une main, et ça aurait pu être tellement facile de l'achever, si j'avais été quelqu'un d'autre, dans une autre vie, si on se connaissait pas. Je crois que plus jamais j'arriverai à tuer quelqu'un.

- Tu penses que j'en suis encore là ? Ai-je rageusement balbutié.

Merde, je reconnaissais pas ma voix.

- Tu penses qu'après tout ce temps, après tout ce temps...

J'ai été obligé de le lâcher, parce qu'il fallait que je m'essuie les yeux. Et puis pour pas perdre la face, j'ai hurlé comme un taré :

- POURQUOI TU DEMANDES PAS ÇA A REDFIELD, BORDEL ? Chris il t'aime pas, tu l'as dit toi-même ! Moi je... moi je t'aime. Et j'ai que toi. C'est pas possible que tu me demandes ça.

Il était resté couché par terre, son bras cachait son visage. Il a eu un genre de rire désespéré :

- Moi aussi je t'aime, Jake, moi aussi je n'ai que toi.

Je me demande ou était passé Redfield, à cet instant, dans la tête de Piers. Peut-être qu'il l'aimait tellement qu'il le plaçait dans une case à part, au-dessus de l'amour. Ou peut-être qu'il n'était pas simplement question d'amour mais de confiance. Ça changeait tout. Est-ce qu'il avait demandé à Redfield de le tuer ? Il n'avait probablement même pas osé.

On est restés comme ça pendant une éternité. J'essayais d'imaginer ma vie sans Piers, comme quand on joue à se faire peur, qu'on se plaît à imaginer les pires scénarios alors qu'on sait qu'ils n'arriveront pas, impossible, parce que ce serait trop dur.

Redfield s'est soudain retrouvé en face de nous, je ne l'avais même pas vu revenir.

- Venez, a-t-il fait. On rentre.

Il a éteint le feu, m'a relevé, a relevé Nivans. Aucun de nous n'était bien.

- Tu vas le buter ? Ai-je mesquinement demandé à Redfield, parce que moi je le ferai pas.

- On en parlera plus tard. Viens.

- Plus tard ? On va s'asseoir autour d'une table avec un ptit café pour décider posément de comment on va buter Piers ? Haha j'ai hâte d'y être.

- Jake arrête.

J'en ai ras le bol qu'on me traite comme un bébé. Ras-le-bol de cette vie de merde. J'allais me mettre à gueuler un grand coup, dire des choses affreuses que je regretterais tout ma vie, mais d'un coup, par surprise, c'est un sanglot qui sont sortis. La honte. La honte la honte la honte. Je suis allé me planquer à l'arrière de la voiture. Le trajet du retour s'est fait dans un silence de plomb, avec seulement la radio qui diffusait des vieux tubes de country tristes, c'était pire que tout.


Jour 158 :

Quand Piers était à l'hôpital, j'avais canalisé ma culpabilité en faisant tout son télétravail. Les cartons prêts à partir étaient empilés proprement.

- Woaah, a dit Nivans en les voyant. T'as fait tout ça ?

Aucun de nous n'avait dit un mot depuis des heures, alors ça a un peu détendu l'atmosphère. J'avais plus envie de m'embrouiller.

- T'as vu ! Ai-je frimé.

Je me suis interrompu brusquement. J'allais faire une vanne dans le genre « j'ai pas besoin de toi », ça sonnait mal. J'ai pensé à un moins douteux « le salaire il est pour moi » mais pareil, ça allait pas. Alors j'ai rien dit.


Jour 164 :

On a repris la vie comme ça. Ni Redfield ni moi n'avions tué Piers, Je me disais qu'il y avait un autre moyen, il le fallait. Mais j'avais de plus en plus peur. Redfield l'emmenait à l'hôpital tous les deux jours, pour qu'il fasse son traitement, et ça suffisait pas.

Je voulais lui donner mon sang. Mes anticorps. Ça devait bien être possible. J'ai dit à Redfield de piquer du matos à l'hosto, des seringues, des pochettes de sang, des tubes, on allait faire notre cuisine nous-même.

- Ça va pas, non ? M'a dit Piers quand Redfield est allé lui répéter bêtement.

- Ben quoi ? Ça pourrait marcher.

- Ça pourrait marcher trois jours, pas plus. Tu vas pas me donner ton sang jusqu'à ce qu'on soit vieux.

- Pourquoi pas ?

- Parce que c'est ridicule. T'as mieux à faire de ta vie.

Ah bon ? Première nouvelle. J'aimerai bien savoir quoi.

En tout cas, j'étais certain qu'on pourrait vivre comme ça, tous les trois. Je donnerai mon sang à Piers tout le temps, et plein, et je serais crevé sans arrêt alors Redfield me ferait une tonne de trucs à manger, et je serais comme les animaux des batteries, les canards qu'on fait bouffer et bouffer par un entonnoir, et les vaches qu'on pompe et qu'on pompe avec des tuyaux, et j'adorerai. Et Nivans irait mieux.

A ma grande surprise, Redfield était plutôt d'accord pour tenter. Depuis le début il était en mode grand seigneur, « je respecte sa décision » et tout, n'empêche qu'il ne s'était toujours pas décidé à le tuer lui non plus. On avait eu une discussion un soir à ce sujet :

- Faut qu'on fasse quelque chose, avait dit Chris alors que Piers était tombé dans les pommes et qu'une mutation vivante et visqueuse avait poppé sous ses brulûres.

- Je le tuerai pas, m'étais-je braqué. T'as qu'à le faire.

Ça en était resté là. Et quelques jours plus tard Redfield me ramenait du matériel a transfusion.

Piers était pas d'accord. Il nous traitait de tarés et nous disait qu'il voulait pas ça. On l'a empêché de se débattre et on l'a forcé, c'est dire l'état de flingage total dans lequel étaient nos cerveaux. On n'a plus jamais réessayé. Il nous en a voulu pendant des jours. Ça n'avait pas vraiment marché, de toute façon, il a eu une fièvre de malade. Apparemment les anticorps qu'on lui transfusait à l'hôpital étaient plus soft que qui venait directement de mon sang.

Avec cet échec, la volonté de Redfield s'est mise peu à peu à vaciller.

- On devrait peut-être le faire. C'est le mieux pour lui, c'est ce qu'il veut. Si on l'empêche de mourir, c'est pour nous, par égoïsme.

Ce genre de réflexions mon gros, t'aurais pu les avoir avant de le traîner hors de la base sous-marine, je dis ça je dis rien.

- Et ben bute-le, et on en parle-plus ! Hurlais-je. Comme ça tu retrouvera ta liberté ! T'auras plus à faire semblant d'être amoureux de lui alors que tu l'es pas !

- Et toi, qu'est-ce qui te retiens ? s'était-il mis à gueuler à son tour. C'est pour le tuer que t'es venu ici, Tuer des gens c'est tout ce que tu sais faire. Ah nan pardon, pas quand t'as un intérêt égoïste à ce qu'ils vivent. Quand t'auras trouvé un meilleur appart, là tu le tuera.

Dire qu'une seconde j'ai pensé pouvoir être pote avec ce mec. A force de gueuler, on avait pas entendu Piers sortir, et on a eu un mouvement de recul quand il est passé entre nous deux. J'ai cru qu'il allait s'interposer, nous dire de nous calmer, mais il nous est juste passé devant pour atteindre l'évier ou il s'est servi un verre d'eau. Puis il s'est tourné vers nous avec son verre, appuyé au plan de travail, il nous a regardé et il a rigolé méchamment. Cette histoire nous transformait tous en monstres. On devenait tous affreux.


Jour 171 :

L'ambiance était plus moisie que le visage de Piers, et ça veut dire beaucoup. Il ne nous pardonnait pas le coup de la transfusion. Ma colère contre la situation, je ne pouvais pas l'exprimer alors je la transformais en colère contre Redfield. Lui-même était sur les nerf. Tous les jours, je me disais que si Piers mourait, ce serait horrible que ça se finisse comme ça, alors qu'on se déteste tous.

Une part de moi que je ne voulais pas assumer souhaitait que Redfield se décide et le tue, sans m'en parler. Il attendait sans doute la même chose de moi, et c'est pour ça qu'on arrivait pas à se supporter. Mais vraiment, je pouvais pas faire ça. Je ne pourrais jamais supporter qu'il quitte ce monde avec mon consentement.

J'étais devant la télé. Redfield, dans la cuisine, regardait par la fenêtre et Piers faisait la gueule dans sa chambre. En tout cas c'était ce que je croyais quand je l'ai entendu m'appeler :

- Jake !

Il avait l'air alarmé, alors je me suis précipité. Redfield l'avait entendu aussi et il est arrivé avant moi. Ça faisait tellement longtemps que Piers ne nous avait pas adressé la parole sans hostilité.

- Piers ? A gueulé son capitaine en essayant d'ouvrir la porte. Est-ce que tout va bien ?

La porte n'était pas verrouillée, mais apparemment Piers la retenait.

- Ça va, l'ai-je entendu répondre. Faut que je parle à Jake.

Redfield et moi avons échangé un regard inquiet. J'étais trop nerveux pour savourer cette victoire. Je suis rentré. J'ai du me faufiler parce Piers m'empêchait d'ouvrir la porte en grand, et il l'a verrouillée juste derrière moi. Et je me suis retrouvé face à... l'Épouvante. Pour la tout première fois du long cauchemar qu'est ma vie. J'avais jamais ressenti ça.

- Oh mon Dieu.

Je crois pas en Dieu, et j'avais jamais utilisé cette expression, mais là je l'ai sortie au moins trois ou quatre fois sans rien pouvoir dire d'autre. J'ai fermé les yeux, je les ai rouverts, mais l'horreur ne partait pas.

- Oh mon Dieu, Piers, qu'est ce que t'as fait ?

J'osais même pas m'approcher de lui. Comment on avait pu ne rien entendre ? C'est vrai qu'il avait mis la musique à fond et du coup j'avais été obligé de monter le son de la télé, et la machine-à-laver tournait, et puis il s'était sans doute servi d'un oreiller pour étouffer, parce qu'il y avait de la moumoute partout. Mais quand même ! On était deux dans la pièce d'à coté bordel !

Tout en me regardant, Nivans est tombé à genoux. Normal, il venait de se tirer une balle dans la tête.

Il y avait du sang de partout, et des bouts de cervelle, mais il arrivait à rire, il arrivait à me murmurer « j'ai merdé, je crois » avec une larme au coin de son œil vivant. Une larme de peur.

Clairement, il y avait survécu. Et le résultat était abominable.

Je me suis approché tout doucement, je me suis agenouillé devant lui, et je l'ai regardé au prix d'un gros effort. Je voulais pas être là. Je voulais m'enfuir en courant, très loin d'ici, et tout oublier.

La balle avait traversé sa tête. Elle était ressortie du coté droit, le muté, qui était explosé de partout. Coté gauche il y avait un trou et plein de sang. J'ai été obligé d'admettre qu'il n'était plus humain.

- Je me suis dit que j'aurais une chance, me disait-il la voix hachée. On sait jamais. Ça aurait été tellement plus simple pour nous trois si ça avait marché... hahaha... peut-être si j'avais tiré une deuxième fois mais j'ai pas pu, regarde.

Il m'a montré comme sa main tremblait. Il avait un sourire terrorisé.

- Je crois pas que je pourrais recommencer. Désolé.

J'ai été incapable de dire un truc cohérent. J'ai mis mes deux mains sur ses deux épaules, la droite qui n'existait pas et la gauche qui était pleine de sang, et je l'ai serré dans mes bras. J'avais le nez au milieu de bouts de cerveaux. Mais rien a foutre. Je l'ai tenu comme ça longtemps, longtemps. Il fallait qu'il meure, j'avais compris le message. La mutation était trop dangereuse si elle pouvait se substituer à un cerveau. J'avais compris aussi que c'était à moi et à Redfield de devoir le tuer, parce que le laisser s'infliger ça à lui-même c'était encore pire. C'était pas humain.

J'aillais le tuer. J'ai su avec certitude que ça se finirait comme ça, et ça m'effrayait, ça me causait une peine que je peux pas décrire. Alors je ne voulais plus le lâcher, parce que Piers était mon repère dans ce monde, et que sans lui j'allais me noyer. J'aurais qu'à me tuer avec lui, ai-je pensé. On pourrait se crasher tous les deux avec ma moto, ce serait romantique. Ce serait pas si mal que ça. Mais il refuserait, et je crois qu'une part incompréhensible de moi ne voulait pas mourir. Juste quand je me rendais compte de ça, il m'a chuchoté à l'oreille :

- Je voulais pas mourir non plus. Quand j'étais en quarantaine au début... et puis quand je me suis disputé avec Chris... quand je suis revenu vivre ici après tous les mois d'hôpital... J'aurais du mourir dans la base sous-marine, et le sursis que j'ai eu en survivant, j'ai jamais trouvé qu'il valait le coup. Et puis t'es arrivé. Et maintenant, je suis content d'avoir eu cette année en plus, et d'avoir appris à te connaître. J'ai adoré habiter avec toi, et... quand on est allés en boite. Quand je suis monté sur ta moto. Je te trouve super. Je veux pas te laisser. Je veux pas que tu sois malheureux. Je voudrais... si je pouvais... si je pouvais, je vivrai. Mais c'est trop tard, depuis la base sous-marine c'est trop tard. Mais grâce à toi j'ai pas envie de mourir. Ça me fait peur et mal et je voudrais tout faire pour l'éviter mais tu sais pas comme je te suis reconnaissant, comme je suis heureux de... d'avoir peur et... d'avoir plein de regrets. Je vais mourir comme un humain. C'est grâce à toi. Merci. Ça ne doit pas te paraître quelque chose de bien, mais merci infiniment.

En enfouissant ma tête dans son cou plein de jus de cerveau, je lui ai répondu. Des trucs qui sortaient du fond de moi, que je pourrais jamais redire a personne.

Je suis sorti de la chambre un peu sonné, Chris a paniqué quand il m'a vu plein de sang. Je lui ai dit de pas s'inquiéter et je suis passé dans la salle de bains prendre des bandages. Piers ne voulait pas que son capitaine le voie dans cet état. Je l'ai soigné du mieux que j'ai pu, j'ai caché l'explosion sous une tonne de compresses et je l'ai fait changer de T-shirt. J'ai essuyé tout le sang, et toute la matière J'avo qui avait fleuri de partout. Il était presque présentable quand il est sorti, bien que ses jambes tremblaient encore. Il se tenait à mon bras. Jusqu'à la fin, plus jamais je le lâcherai.

- Bon sang, a fait Redfield d'une voix blanche.

Je ne lui ai pas laissé le temps de céder à la panique :

- On va partir en voyage tous les trois, lui ai-je annoncé. On va aller au bord de la mer, cette fois pour de vrai. Une plage ou il fait chaud, avec un grand soleil. Et on reviendra tous les deux.

Il a compris. Il a eu l'air atterré. Au fond, lui non plus il voulait pas. Peut-être que Piers se trompait quand il disait que Redfield mentait encore.

- D'accord. D'accord, Piers, si c'est ce que tu souhaites.

Il avait appris de ses erreurs. Vivre et laisser mourir. Piers lui a souri, et il a lâché mon bras pour effleurer du bout des doigts celui de son capitaine. Puis il s'est de nouveau appuyé à moi.

- On part maintenant, a-t-il dit.


Jour... jour 0.

On a fait comme on a dit, un grand voyage qui a duré plus d'une semaine. On s'arrêtait partout pour visiter, j'ai vu le Grand Canyon pour la première fois. Je me disputais plus avec Redfield, et Piers ne nous faisait plus la gueule. C'était comme un voyage normal, trois amis qui visitent les États-Unis. C'était super.

On a fini par arriver en Californie. Je voulais pousser jusqu'au Mexique, jusqu'au bout du monde, retarder le plus possible, mais privé des traitements de l'hôpital, Piers ne tenait presque plus debout.

On s'est dit adieu... je peux pas entrer plus que ça dans les détails. On l'a tué comme on avait appris à tuer les monstres : Criblé de balles, puis brûlé les restes jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien qu'un peu de poussière mêlée au sable. Je pensais que j'étais prêt, que j'avais eu suffisamment le temps de me faire à l'idée, mais quand une vague a recouvert et emporté les dernières traces, il y a un truc dans mon cerveau qui a pété, je crois.

Je me rappelle de rien du voyage de retour, à part que j'ai pleuré et pleuré, dans les bras de Chris qui pleurait aussi, même que ça me rassurait. Puis je me suis retrouvé dans une maison ou je pleurais encore, et je réagissais à rien. Il y avait une fille qui était gentille avec moi, je la connaissais pas. J'ai mis des semaines à comprendre que c'était la sœur de Chris, et qu'il m'avait ramené chez lui. J'étais trop déprimé pour trouver ça sympa de sa part.

Un jour, cette fille m'a dit un truc du genre :

- Quand je pense que je m'occupe de toi alors que t'as brisé le cœur de ma petite Sherry. Pourquoi tu t'es enfui comme ça, après tout ce que vous aviez traversé ? Si tu voulais pas sortir avec elle, tu pouvais au moins lui dire au-revoir, c'est quelqu'un de bien, et elle t'aimait tellement.

Sur le coup je n'ai pas réagi, je n'avais même pas écouté, mais ça m'est revenu en pleine face quelques jours plus tard, à un moment ou j'allais un peu mieux. Et j'ai longuement réfléchi. J'avais passé ces deux dernières années à traiter intérieurement Sherry de sale pute parce qu'elle s'était barrée alors qu'elle devait m'attendre quand j'avais été emmené donner mon sang, et là Claire Redfield m'annonçait que je lui avais brisé le cœur en m'étant enfui sans un mot. Est-ce que c'était possible que le destin, et un horrible mauvais timing, nous aient fait tout rater ?

J'ai commencé petit à petit à redevenir un peu lucide. Je me suis rendu compte que Redfield avait repris le boulot, mais il revenait régulièrement. Il me disait tout le temps des trucs que je captais pas en agitant de la paperasse sous mon nez, et un beau jour ça a atteint mon cerveau. Il me montrait un relevé de compte a mon nom, avec plein de fric dessus. C'est là que mon cerveau est reparti. J'ai cru que c'était la famille de Piers qui m'avait versé mes quinze mille pour l'avoir buté et ça m'a rendu malade. J'ai hurlé et j'ai eu l'intention d'aller à la banque tout de suite, de retirer le fric et d'y foutre le feu, quand Chris m'a fait remarquer qu'il y avait bien plus que quinze mille. J'ai fini par l'écouter parler.

Il m'expliquait que Piers m'avait légué son appart. Et tout ce fric sur mon compte, il venait de lui aussi. Sans rien me dire, il avait été réclamer sa part d'héritage à sa famille, la part pour laquelle justement ils avaient voulu le faire tuer. Il n'a pas contacté sa famille directement, mais un notaire, un avocat, et ses affreux parents n'avaient rien pu faire d'autre que de lui restituer sa part. Et tout cet argent, il l'avait fait mettre sur un compte à mon nom. Tout ça avec l'aide de Chris, au cours des trois semaines ou il était resté à l'hôpital.

Ça m'a bouleversé. Je ne savais pas quoi faire de tout cet argent. J'ai toujours eu besoin de fric dans ma vie, d'abord pour soigner ma mère, puis parce que je rêvais de m'acheter un palace de luxe, un endroit ou je pourrais dire fuck au monde. Mais aujourd'hui, j'avais plus envie de ça. Je voulais la paix et le calme, et de la chaleur humaine.

La sœur de Redfield a commencé peu à peu à me faire sortir. Elle avait compris que j'avais des sentiments irrésolus par rapport à Sherry et elle me parlait d'elle tout le temps. Elle allait bien et elle était célibataire, elle habitait à San Francisco, elle avait adopté un chien qui pissait partout, ce genre d'histoire. J'ai fini par retrouver le goût et le courage de sortir seul. Je n'ai aucune idée de comment ma moto était arrivée chez les Redfield, mais elle était bien là, alors j'ai pris l'habitude d'aller rouler dans les paysages déserts des environs.

Je n'étais plus, et ne serais plus jamais la même personne qu'avant, c'est quand j'ai compris ça que j'ai définitivement sorti la tête de l'eau. J'étais... je me sentais comme Piers. A présent, j'étais devenu un amputé mutant moi aussi. J'étais sonné et fragile, tout le temps. On m'avait arraché un membre, c'était juste pas un bras, mais un frère. Et sa mutation dégueulasse, douloureuse et harassante, elle était là, à prendre toute la place, je la sentais à chaque seconde de ma vie. Pas étalée sur ma peau, mais greffée à la surface de mon cœur, pour toujours.

Pour rien au monde je n'aurais accepté de me séparer de ça. Piers n'avait pas pu vivre avec sa mutation et son bras amputé, et j'aurais voulu qu'il le fasse, alors moi j'y arriverai. Je lui prouverai que c'est moi le plus fort, et ça le ferait rager, ce serait marrant. Il faut que j'arrête de pleurer une fois pour toutes. J'ai un bras amputé invisible, et une mutation invisible, mais j'ai aussi tout un tas d'autres trucs. J'ai un appart avec plein de bons souvenirs dedans, et assez de fric pour faire quelque chose de bien de ma vie. J'ai des fringues et j'ai ma moto. J'ai aussi mon smartphone avec mes écouteurs. J'ai une montagne de cartons de télétravail à renvoyer. J'ai des gens qui se soucient de moi, ça c'est dingue. J'ai plein de souvenirs auxquels je tiens comme des trésors. Et dans ma main, j'ai le numéro de téléphone de Sherry.

Piers, la vie continue. La vie continue.


Fin !

J'espère que cette petit fic vous a plu, la fin est peut-être un peu triste, mais toujours moins que le jeu, ou Piers meurt direct, non ?

Au départ, cette fic devait être un genre de road trip, le voyage qu'ils font à la fin devait faire des chapitres entiers, mais j'ai vraiment pas eu le courage, déjà je mettais de plus en plus de temps à poster, et en plus, bêtement, écrire ce chapitre là me rendait un peu triste, alors j'avais pas envie d'insister.

Je vais vous avouer un secret, il devait aussi y avoir du piersxjake, au début, et là aussi je me suis dégonflée :3 Etrangement, je trouve que c'est pas plus mal comme ça.

Un grand GRAND merci à tous ceux qui sont restés jusqu'à la fin, et aussi à ceux qui ont lu des petits bouts ! Vous êtes géniaux, vos reviews me font trop plaisir à chaque fois ! vous allez me manquer ! Je vous souhaite à tous une vie super, et de réussir dans vos projets. Et encore plein de mercis !