Voilà finalement la suite et fin de cette histoire ! Bonne lecture !


« ZORO ! »

Je me redressai, en sueur, des images violentes plein la tête. La seconde suivante, son bras passait autour de mes épaules et ma respiration s'apaisait. Je me rallongeai, lentement et me blottis contre lui. On n'était plus le soir, après tout…


L'esprit encore embrumé, je laissai mon corps se détendre sous l'eau chaude. J'étais fatigué. Trop fatigué. Je m'emparai du flacon de gel douche et me savonnai, lentement, machinalement, quand sa chaleur se déposa doucement sur mon dos. Comme une demande. Je soupirai agréablement à son contact. Et sa main glissa tendrement sur moi, étalant la mousse sans le pouvoir.


« Chopper, tu es sûr de toi ?

- Je te l'ai dit, Nami, nous pouvons l'aider, l'accompagner, mais c'est quelque chose qu'il doit réussir à dépasser lui-même…

- Et… il s'en sort bien pour le moment ?

- Il me dit qu'il se débarrasse des perles, c'est plutôt bon signe… Après, tu sais… ça dépend beaucoup de chacun… Le mieux que nous puissions faire est de le soutenir et de traverser nous-même cette épreuve. »


Nous étions tous là, rassemblés autour de la table. Les discussions refaisaient doucement surface, évitant de près ou de loin, ce qui aurait pu nous ramener à ce à quoi tout le monde pensait vraiment. Comment ignorer cette place vide à côté de moi ? Enfin, vide… La chaleur de Zoro m'effleurait parfois et je savais qu'il était là, assis comme nous, dans son siège, à écouter les conversations à défaut d'y participer.

Je repensai brusquement à cette histoire que j'avais lue la veille et ma main quitta doucement la table pour venir pendre dans le vide. Dans la nouvelle, cette main ne resterait pas seule longtemps… Mais nous n'étions pas dans cette nouvelle. Ce n'était pas le genre de Zoro de répondre à ces signes-là.

J'allais reposer la main sur la table quand une douce chaleur l'enveloppa. Ou cet enfoiré avait lu par-dessus mon épaule ou il était drôlement intuitif… Ou… Peu importait.

Je reportai mon attention sur la conversation, sans parvenir à tout à fait réprimer un sourire. Je crois, au fond, que j'avais toujours rêvé de ces petits gestes.


J'allumai ma clope alors que Zoro glissait ses bras autour de ma taille. Je me retournai, profitant de la chaleur de son corps contre le mien. Et il y eut cette caresse, infime, qui effleura mes lèvres. Je fermai les yeux. La clope bascula par-dessus le bastingage.


« Sanji, tu…

- C'est fait, c'est fait… »


Zoro s'allongea près de moi et je rabattis la couverture sur nous. Je fermai les yeux, baigné dans une chaleur réconfortante. Je laissai mes pensées s'enfoncer dans une douce torpeur, bercé par une caresse aussi légère qu'entêtante effleurant mes cheveux. Sa main finit par les abandonner, leur préférant mon cou, mes épaules, mon dos, mon torse, mes hanches…

« Zoro… N… Non… »

Pourquoi non, déjà ? Il n'interrompit pas sa progression, atteignant mon entre jambe. Je commençais à avoir chaud, très chaud… Je me retournai vers lui pour le toucher à mon tour mais mes bras ne parvinrent pas à l'atteindre, tandis que la chaleur se faisait plus intense.

« Zoro… Att… Je vais… »

Je jouis beaucoup trop tôt, comme s'il ne m'avait plus touché depuis des mois, et ouvris les yeux brusquement, me redressant sur les coudes, prêt à recevoir les moqueries qui ne tarderaient pas à… à… ah… ah…

Tellement pitoyable.

Ah… Ah… Ah…

C'était pitoyable.

Ah… Ah…

J'étais pitoyable.

Ah…

Pitoyable.

Zoro, je suffoque…

Recroquevillé, le crâne hurlant, les dents claquant, je serrai… aussi fort que possible… cette perle que je n'avais pu me résoudre à jeter.


La troisième perle roulait sur la rambarde, jouant avec le vide. Mes doigts la guidaient, funambule, lui évitant une chute maladroite.

« Zoro… »

Elle s'immisça dans une rainure du bois, se laissant entraîner le long du rail improvisé.

« Faut qu'on… que j'arrête, non ? »

Elle prenait de la vitesse.

« Toutes ces conneries… »

Toujours plus de vitesse.

« J'ai dépassé les limites du tolérable, on dirait bien… »

Elle dérailla, quittant brusquement la piste, sautillant hors des chemins tracés.

« Dormir ensemble, s'embrasser à l'abri des regards, se tenir la main sous la table… Et tout le reste… »

Je stoppai net sa course.

« Tu n'aurais jamais été d'accord avec ça. »

Je la soulevai, préparant sa chute vertigineuse.

« Pas la peine de me contredire ! Évidemment que tu n'es pas d'accord. Tu es dans ma tête ! Tu es ce que je veux ! … Quoi ? Qu'est-ce que tu fais ? Qu'est-ce que tu veux, encore ? »

Zoro m'entraînait, loin de la poupe. J'hésitai à le suivre, mais il n'en démordait pas. À pas lents, je le laissai finalement me forcer à grimper dans la vigie puis à m'approcher de son matériel de musculation que personne n'avait encore eu la force de déplacer. J'ouvris un des coffres qui contenaient ses séries de poids et d'altères. Sur celui-ci, la moitié de la place avait été dégagée pour pouvoir y glisser quelques bouteilles de rhum. Zoro me lâcha, visiblement satisfait.

« Et ? »

Il ne réagit pas.

« C'est pas comme si j'étais pas au courant de ta cachette… Tu croyais vraiment que j'avais pas remarqué les disparitions dans mes réserves ? C'est mignon de vouloir me prouver que c'est toi. Mais là… Qu'est-ce que ça change ? Et… Zoro, c'est impossible, tu sais. T'es dans ma tête, oublie pas… »

Je redescendis pour me débarrasser de la perle.


« Zoro, arrête avec ce jeu-là. Tu trouveras jamais quoi que ce soit dont je ne sois pas déjà au courant ! Pas la peine de m'emmener dans ta cabine ! Découvrir la manière dont tu ranges tes calbutes ne changera rien ! »

C'est pourtant vers son armoire à fringues qu'il me dirigea, m'invitant à inspecter la pile de t-shirts vaguement pliés. Mes mains hésitèrent puis glissèrent dans une de mes poches cette perle qu'il m'avait encore empêché de jeter, pour saisir le premier de ses hauts. Elles s'immobilisèrent brusquement. Ce tissu... Je l'avais caressé, je l'avais retroussé et je m'en étais débarrassé tant de fois… Qu'est-ce que je foutais, au juste ? Je retirai vivement mes doigts, ébranlant le tas déjà en équilibre précaire et un bruit métallique résonna à mes pieds. Je baissai les yeux vers l'objet égaré. Zoro se retira.

« Et ? »

Il était même pas foutu de ranger correctement ses affaires mais ce n'était pas vraiment une surp… Non. C'était impossible. Mon cœur s'emballa. C'était impossible. Mes mains tremblaient. C'était impossible. C'était juste… C'était juste…

La chaleur refit surface. En un seul endroit. Mon annulaire gauche.


Impossible. C'est ma tête, encore ma tête. Elle voit, elle voit un espoir inconcevable, elle voit des certitudes insensées. Ma tête… faites-la taire. Elle voit des convictions absurdes, elle voit, elle voit un anneau aux promesses insupportables. Tais… tais-toi.

Mes paupières se crispent, voilant ma vue, niant ces évidences fautives, mais aveuglé, mes pensées se brouillent, se troublent, s'emmêlent, agitant mon corps d'une nausée froide et j'ouvre les yeux aussi vite que je les ai fermés. L'anneau est là, toujours là.

C'est faux. Je crie sans un son. Tout ça est faux. L'anneau n'existe pas, il doit exister mais il ne le peut pas. Mon assurance vacille, la vérité se perd et mon bras tente d'agripper l'armoire. Il ne s'accroche qu'à du tissu qui vomit à terre. Pas un ne recouvre l'anneau qui est là, toujours là.

Une fièvre glaciale s'abat sur mon crâne. Le bois tangue sous mes doigts. Mes jambes cèdent. L'anneau. Ma main se tend. Mon cœur se soulève et se soulève encore une fois. Il déborde. Il se répand sur les planches usées qui s'enfoncent et se relèvent. L'anneau. Il roule, il tourne, il oscille. D'un éclat violent, brûlant, hurlant. Dans l'ombre. Les yeux ouverts, ma vision sombre, sombre et s'assombrit. L'anneau.


« Merde, Sanj… …spire encor… …cher Chopper ! »

Des bruits de pas, loin, loin de moi.

« … lui faut un méd… …bon… …der à le trans… »

Je flotte, ailleurs.

« … va ? Non… …dois le… …mer la port… »

Noir.


Je me réveillai, l'esprit en vrac, dans l'infirmerie. Ayant sans doute remarqué mes mouvements, Chopper se retourna.

« Sanji, comment te sens-tu ?

- Ça va… Qu'est-ce que j'fous là ?

- Tu as fait un malaise dans… »

Je ne l'entendais déjà plus. Mes souvenirs m'étaient revenus de plein fouet. Et avec eux, une profonde angoisse.

« L'anneau !

- Sanji ?

- Où est l'anneau ? »

Le petit médecin, inquiet, me dévisageait sans comprendre.

« Quel anneau ? Tu ne devr…

- Il y avait un anneau !

- Sanji, tu dois te reposer. »

Il posa sa patte sur mon bras, cherchant à me détendre, sans pour autant y parvenir.

« Non, je dois le récupérer, je dois récupérer l'ann…

- Sanji ! Calme-toi d'abord, et explique-moi ensuite. »

Son ton, plus dur, m'arrêta. J'inspirai un grand coup, tentant d'apaiser mes tremblements et de rassembler des pensées cohérentes, conscient que Chopper ne me laisserai pas quitter l'infirmerie sans une bonne explication.

« Je… Non… Zoro m'a emmené dans sa chambre. »

Je sentis immédiatement le regard du petit renne s'assombrir. J'hésitai à poursuivre mais ils avaient le droit de savoir.

« Il m'a montré un anneau. Je… je ne savais pas qu'il y en avait un. Il… Zoro est… vivant ? Oui, il est… vivant. »

Mes mots étaient hésitants. Je les savais vrais mais je refusais d'y croire. C'était trop douloureux. Chopper, lui, ne réagit pas, se contentant de me poser des questions dont l'intérêt me dépassait.

« Où était l'anneau ?

- Dans une pile de t-shirts.

- Sanji, pourquoi il y avait autant de vêtements par terre si Zoro t'a montré où il était ? »

Alors c'était ça. Pour la première fois depuis que nous nous étions rencontrés, Chopper ne me croyait pas. J'eus un sourire triste. Quelque part, je ne pouvais pas lui en vouloir. Qui croirait un fou ?

« Je… j'ai renversé la pile après… »

Il ne sembla pas convaincu et balaya ma réponse d'une nouvelle question.

« As-tu vraiment jeté les perles ? »

Et je me sentis brusquement abattu. Il ne pourrait jamais me croire. Je détournai les yeux, coupable, ma main se resserrant instinctivement sur le tissu de mon pantalon et il soupira, les larmes aux yeux.

« Sanji… Il n'y a pas d'anneau.

- Je l'ai… vu.

- Nous t'avons déplacé puis nous avons rangé et nettoyé la chambre de Zoro. Il n'y a pas d'anneau, Sanji, il n'y en a jamais eu. »


« C'est à propos de Sanji que tu as voulu nous rassembler ?

- Ou… Oui… Il se repose à… l'infirmerie mais… je ne sais plus quoi… plus quoi faire…

- Chopper, calme-toi, tu fais déjà tout ton possible pour qu'il aille mieux.

- Mais il ne va pas mieux ! Je n'aurais jamais dû lui parler de cette histoire de perles !

- Si tu ne l'avais pas fait, qui sait dans quel état il serait maintenant ?

- Mais ce… ce n'est pas tout…

- Qu'est-ce qu'il y a ?

- Il est persuadé que Zoro est vivant parce qu'il l'aurait guidé jusqu'à un anneau…

- …

- Mais pour ça, il a fouillé dans tout le Sunny, dans tous les endroits que fréquentait Zoro, il a même renversé ses vêtements. Alors… alors c'est normal… qu'il ait fini… par trouver quelque chose qu'il ne connaissait pas…

- … donc il y a bien un anneau ?

- Oui ! Mais…

- Quel genre d'anneau ? Zoro envisageait de…

- Il… semblerait. Mais… je lui ai dit qu'il n'y en avait pas. Je… j'ai pensé que c'était mieux qu'il ne le sache pas ! Sinon, il n'acceptera jamais que Zoro est bien mort, surtout en trouvant une alliance et…

- Chopper !

- On ne te reproche rien.

- Tu as fait ce qui t'a semblé le mieux pour lui.

- Chopper. Donne-moi l'anneau.

- Tu vas…

- Lui rendre. Il a le droit de savoir.

- Je suis… désolé… mais j'ai eu peur… qu'il devienne fou…

- Il a aussi le droit de devenir fou. »


« Sanji.

- Luffy. »

Il était entré dans l'infirmerie alors que l'anneau occupait encore la totalité de mes pensées. Personne ne l'avait trouvé mais cela ne voulait pas dire qu'il n'existait pas. Peut-être avait-il simplement glissé sous un meuble ? Ou alors je tenais une nouvelle preuve de mes hallucinations… Je pensais la folie violente, capricieuse et inconstante. La mienne était simple, belle et séduisante. Ma douce folie. Je comprenais mieux ceux qui n'y résistaient pas. Elle était tellement plus réconfortante que notre implacable réalité… Il faudrait que je fouille la chambre de moi-même… Pour savoir de quel côté je me trouvais à présent.

C'est sur cette résolution que je réalisai que Luffy s'était assis calmement auprès de moi. Calmement…

« Es-tu vraiment là ? »

Ma question avait dû le prendre par surprise car elle ne fut accueillie que par un lourd silence. Zoro, lui, avait saisi ma main droite, comme pour répondre à sa place et, au-delà de toute logique, je fus convaincu qu'il avait raison. Alors, je levai les yeux vers celui qui nous avait réunis, qui comprendrait peut-être que je refusais notre séparation. Il avait sa tête des mauvais jours. Il n'y en avait pourtant pas eu beaucoup. Davantage, ces derniers temps. Mais surtout, il avait des choses à dire, à me dire, en tant que capitaine. Et j'attendis.

Une ombre voila mon regard quand un léger poids se déposa, aérien, sur mon crâne.

« Je suis là. »

Automatiquement, mes doigts se refermèrent sur le chapeau de paille. Mon cœur se serra. Aussi pitoyable que je fus, Luffy serait toujours là, n'est-ce pas ? J'expirai péniblement. Je n'étais pas seul dans cette tourmente. Je n'étais pas seul. Pas seul avec Zoro. De son vivant, j'avais pourtant attendu ces moments avec impatience. Aujourd'hui, je les voulais autant que je les redoutais. Je n'en pouvais plus, j'allais exploser si je ne partageais pas cette folie.

Il reprit, la voix grave.

« Sanji, tu vas devoir excuser Chopper. »

Sans un mot de plus, il saisit ma main encore crispée, la déposa sur mes cuisses recouvertes d'un drap blanc, avant d'y glisser quelque chose de froid.

Ma respiration se stoppa avant d'accélérer brutalement.

L'anneau.

Celui dont les promesses m'avaient fait sombrer. Et avec lui, un bordel de questions, d'émotions contradictoires, la peur et l'espérance, l'incompréhension et le soulagement. Le refus et l'impuissance.

Mais Luffy était là. Et avec lui, par-dessus tout le reste, une infinie certitude : Zoro était vivant.

Mes doigts se refermèrent sur des sentiments trop forts pour être tolérés, des sentiments que j'avais besoin de communiquer.

« Luffy… Il est vivant. »

Il n'y avait plus aucune trace d'hésitation dans ma voix et Zoro m'enserra de ses bras.

Néanmoins, plutôt qu'un soulagement déraisonnable, c'est un nouveau silence qui accueillit mon affirmation puis ces quelques mots, écrasants.

« Je ne sais pas. »

Sa réponse m'assomma et je tournai la tête vers lui, sans comprendre.

« Chopper dit qu'il est mort. »

La réplique me répugna. Je ne devais pas, il ne fallait pas, pourtant, un instant, je me mis à haïr la médecine et ses certitudes. Cette médecine qui lui laissait un sursis tout en le condamnant. Cette médecine qui avait balayé une confiance évidente en une seule phrase, commençant à résonner dans mon crâne, de plus en plus fort. Il n'y a pas d'anneau, Sanji, il n'y en a jamais eu. Un mensonge. Chopper ne savait pas ce qu'était le mensonge. Et pourtant…

Tout foutait le camp. Notre aventure. Notre équipage. Nous avions désespérément besoin de toi. Zoro… C'était évident… Et tu étais là. Je devais l'en convaincre.

« Chopper a dit qu'il n'y avait pas d'anneau. »

Luffy se crispa au ton amer que je n'avais su tout à fait étouffer.

« Et Zoro alors ? Encore vivant, il nous annonce sa mort et toi, malgré sa mort, tu prétends qu'il est vivant ? Qui dois-je croire ? Vous êtes tous mes nakamas… Je refuse de trancher… »

Quelque part, je ne pouvais qu'admettre qu'il était juste. Sauf que là, la justice pouvait bien aller se faire foutre. Il s'agissait de la vie de Zoro… de… la vie… J'écarquillai les yeux, un effroi glacial s'insinuant en moi, douloureusement, se glissant dans mon crâne, serpentant dans chaque parcelle de mon corps. Sans lâcher l'anneau, mes doigts agrippèrent l'immense drap blanc.

« Combien de temps avant la prochaine île ?

- Deux jours.

- Deux jours et… Et vous allez le tuer. »

Les poings serrés, il encaissa l'accusation.

« Sanji, Ace est mort. Je ne sais pas si Zoro l'est aussi mais ça y ressemble beaucoup trop et…

- Vous allez le tuer !

- OU C'EST LUI QUI VA TE TUER ! »

Il s'était levé et m'avait saisi par les épaules, les yeux agités par l'angoisse de perdre quelqu'un. Encore. Je lui rendis son regard, lui jetant pêle-mêle douleur, fureur, aigreur. Et pour la première fois, je ressentis ce lien que vous partagiez. Nous nous comprenions. Opposés, mais si évidemment semblables. C'était sans doute ça, le pire… Nous nous comprenions. Sans pouvoir nous accorder. Sans pouvoir nous… pardonner.

Zoro… Tu vois comme l'équipage se déchire, comme il hurle ta perte ?

Luffy brisa notre échange que la folie m'avait autorisé à soutenir plus longtemps. Il me lâcha et recula d'un pas, s'affalant sur le tabouret qui n'avait pas bougé.

« Je prends déjà bien trop le risque de te perdre sur les deux jours qu'il te reste. Je ne peux pas faire davantage. »

Bien sûr que si, mais il ne le ferait pas. Il avait tranché, bien avant de mettre un pied dans cette pièce. Depuis quand Luffy réfléchissait-il plutôt que de choisir l'espoir, même le plus fou ? Qu'est-ce que ta disparation n'avait pas encore foutu en l'air ?

Silencieusement, je cachai la bague au fond de ma poche, en sécurité, avant de retirer ce chapeau de paille qui, un instant plus tôt, m'avait pourtant soulagé d'un poids. Je le contemplai, lui et ses promesses dépassées. À mon tour, je l'enfonçai sur son crâne.

« Je comprends, capitaine… Protège les autres et vos convictions. Je protègerai Zoro et les miennes. »

Il accepta ma décision, quittant l'infirmerie, le cœur lourd, dans un claquement sourd.

Nous y sommes, Zoro. Plus que toi, et moi. Surtout moi, peut-être.

Il m'enlaça, comme réfutant mes pensées.

Toi et moi, alors. Comme une sorte d'alliance. Un peu irréelle, un peu malsaine. Une alliance… Je repris l'anneau et le glissai en tremblant à mon annulaire gauche. Une alliance… Ce mot n'avait sans doute jamais été aussi approprié qu'aujourd'hui. Une alliance… Contre le reste du monde.


Une immense planche de bois. Une poignée plus souvent brusquée qu'appuyée. Un rai de lumière s'atténuant à mesure que le temps passait… Je n'avais pas quitté la porte des yeux depuis que Luffy l'avait franchie. Pourtant, il le faudrait bien. Mais, à chaque fois que je m'étais convaincu de le faire, une effroyable angoisse retenait mes gestes.

« Zoro… »

Instantanément, ta chaleur refit surface contre ma peau.

« Je peux pas le faire tout seul… J'veux pas que… tout s'effondre… »

Comprenant ma demande, tes doigts se mêlèrent aux miens et tu m'entraînas doucement, tout doucement vers… ton corps.

Des jours durant, je l'avais ignoré, jusqu'à en oublier sa présence à bord, refusant sa réalité. Mais si je devais te protéger, c'est auprès de toi que je devais rester, auprès de ce qu'ils pouvaient atteindre. Et mon regard se posa sur ton torse. Il se soulevait régulièrement, artificiellement aussi. Pourtant, si l'on oubliait les quelques tuyaux, tu semblais simplement dormir…

M'asseyant timidement sur le rebord du lit, j'attrapai ta main inerte. Mais rien. Ton corps ne réagit pas. Si seulement il y avait…

Mes autres doigts caressèrent doucement ton épaule. Rien non plus. Pas un geste, pas même un frémissement.

Je te serrai plus durement le bras. Toujours rien. Je te poussai, un peu, te secouai puis te brusquai. Tes muscles totalement relâchés suivaient chacun de mes mouvements, aussi sûrement qu'une poupée de chiffon. Mon poing se leva au-dessus de ton poitrail, inutilement animé, s'immobilisa… et retomba sur toi, sans force.

J'agrippai le tissu qui te recouvrait… Comment en était-on arrivé là déjà… Un corps mort qui respire et autre chose… Ta chaleur, stupidement hors de toi, consentit à m'enlacer de nouveau.

Mes doigts effleurèrent ta joue, maladroitement. Zoro…

Putain… Zoro…

Ils… Ils ne te tueront pas.


La porte grinça. Assis aux pieds de Zoro, la tête dans les bras, les coudes sur les genoux, les jambes plantées dans le sol, je ne pris même pas la peine de jeter un œil à celui ou celle qui venait encore une fois nous rendre visite.

« Sanji ? »

Je ne répondis pas. Je savais très bien ce qu'ils voulaient mais je ne bougerais pas d'ici. Je refusais de te laisser seul avec eux. Au cas où ils décideraient de te tuer plus vite encore… pour « m'aider »…

« Ça fait des heures que tu n'as pas bougé ! »

Des heures… Je commençais à perdre la notion du temps… Mais je resterais aussi longtemps qu'il le faudrait… suffisamment pour qu'ils changent d'avis ou pour que tu leur prouves que j'avais raison.

« Viens manger, au moins… »

Non ! Non… Je resterais là… Je resterais… Encore… Et encore…


« Il a à peine touché à ce que je lui ai apporté…

- Il refuse que je m'approche de Zoro…

- Il ne parle plus !

- Il ne devrait pas rester tout le temps là-bas… »


Ils ne te tueront pas…

Mais…

Non, ça va… Ça va… Tu es là, après tout… Tu es là…

Mais…

Mais Zoro… Sans manger… Sans dormir… Sans toi… Je sais pas… Je sais plus… Si, j'sais juste que là… Il faut vraiment que tu… te réveilles. J'fais ce que j'peux… C'est toi, maintenant qui dois… ouvrir les yeux… par magie… ou par… enfin tu vois quoi… je m'en fous mais fais quelque chose… Juste une fois… avant que j'en crève aussi. Allez…

Je levai les yeux vers toi, puis péniblement, le reste de mon corps.

Tu sais… Dans les histoires, y'a souvent ce genre de conneries… Des morts pas tout à fait morts… Et des putain de sentiments qui les retiennent… qui les ramènent… Ces histoires-là, elles finissent bien… Et… pour ça, il faut que…

Je te dévisageai longuement. Non, c'était vraiment trop con… Mon regard glissa vers tes lèvres inertes depuis trop longtemps… Après tout… J'étais peut-être plus à ça près… J'aurais tout tenté…

Tremblant de fatigue autant que d'espoir vain, je me penchai au-dessus de toi… Je les ignorais tous deux. L'une pour ne pas m'avachir sur toi et enfin oublier, tout oublier, l'autre pour ne pas renoncer à une dernière absurdité qui signerait ma descente aux enfers… Ma raison, elle, avait foutu le camp depuis trop longtemps pour m'arrêter.

Je posai ma bouche sur la sienne.

Et quoi ? Ce n'était que de la peau sèche et crevassée…

Déjà vaincu, je brisai le contact, assistant pour la première fois depuis longtemps à une situation normale. Complètement normale. Désespérément normale.

J'abandonnai mon front contre le tien. Comme si ça pouvait marcher… Et je pleurai pas, non. Je chialai. Car il en restait encore, finalement, à sortir. Pour toi. Enfoiré.

« Hey… J'ai une dernière chose à t'dire avant que… 'fin, je crois bien que… j't'aime… à en crever… »

Mon corps acheva de s'effondrer sur le tien. Je sentais mes épaules se soulever par à-coups, mes doigts s'accrocher à tes cheveux, sans rien pouvoir contrôler. Je fermai les yeux, rien qu'un instant. Pour souffler. Faire semblant que tout cela n'était qu'une simple histoire. Une histoire où il fallait passer par ces moments-là pour atteindre la fin, si belle… Si évidente… et si fausse.

J'entends que ça cogne à la porte. Elle me semble bien plus loin que tout à l'heure. Bien plus loin. Ça cogne, mais ils ne passeront pas. J'ai poussé tous les meubles et, derrière les meubles, il y a moi. Tant que je serais là, Zoro, ils ne te tueront pas… Ils resteront de l'autre côté et ils ne te tueront… pas.

Ton corps me semble presque chaud. Ou c'est le mien qui se refroidit. Ouais, j'ai froid. Je crois que je tremble. Zoro, pourquoi il fait froid ? Ne pas dormir… Et si… te tueront… Trop, beaucoup trop… froid.


Chaud. Et doux. J'ai l'impression d'avoir dormi cent ans… et d'être encore fatigué.

Je me retournai, tirant la couverture sur moi… mais quelque chose me gêna. Je soulevai une paupière, sans conviction.

Putain de merde. Un tube, de ceux que je ne connaissais que trop bien. Je balayai la pièce du regard. C'était bien l'infirmerie. Mais, dans le lit, il n'y avait que moi.

Ma main se crispa sur ma poche. Les perles. Tout était bien réel. Je me redressai, trop vite, arrachant la couverture. Je titubai sur quelques pas, regagnant de l'assurance sur ceux qu'il me restait avant d'attraper la poignée. Il n'était peut-être pas trop tard.

J'ouvris.

La lumière m'aveugla, me forçant à m'immobiliser sur le seuil de cette infirmerie si sombre. Peu à peu, je distinguai à nouveau l'azur du ciel, le turquoise des vagues et le brun mat des planches du Sunny.

Et je te vis toi.

Tous les autres étaient là, souriant, riant comme autrefois. Des chants ignorés, des jeux oubliés avaient refait surface.

Mais je ne vis que toi, marchant au milieu de tout cela. Luffy t'attrapa par le bras, t'entraînant dans ses dernières frasques, Chopper vous rejoignit, s'accrochant à ta jambe. Comme si tout n'avait été qu'un mauvais rêve.

Ils s'immobilisèrent. Cet idéal se brisait-il déjà ?

Peu à peu, les regards convergèrent vers moi, soulagés ou coupables, rassurés ou meurtris. Des regards dont je ne voulais pas. Les nôtres n'eurent que le temps de se croiser.

Je claquai la porte.

Mon dos se plaqua contre elle. Je sentais mon souffle s'accélérer et des larmes recommencer à couler. C'était absurde.

Je me laissai choir, emporté par des sanglots incontrôlables. Mes bras serrèrent douloureusement mon corps et ma tête cogna sur mes genoux. Et j'attendis, lamentable. J'attendis que le flot d'émotions qui me submergeait me laisse comprendre, me laisse respirer.

Il toqua. Ça ne lui ressemblait pas. Mais est-ce que, moi, je ressemblais seulement à quelque chose en cet instant ?

Il ouvrit puis referma doucement la porte sur nous. Sans un mot, il s'accroupit et je sentis la chaleur de sa main sur mon épaule. J'eus un brusque haut-le-cœur et mon corps tout entier se raidit à son contact.

« NE ME TOUCHE PAS ! »

J'avais crié, sans le vouloir. Mais ces mots, trop durs, avaient au moins eu le mérite de rompre le silence. Il s'assit. Le regard perdu sur le plancher, je repris d'un murmure :

« Quand… tu me touches, j'ai l'impression que tu disparais à nouveau. »

Il eût un sourire triste et l'air désemparé, comme il avait dû être de longues journées durant. Pourtant, sa voix rauque s'éleva, sans la moindre hésitation.

« Je suis là. »

Sa voix. Oui, c'était ça, je voulais l'entendre. J'autorisai enfin mes yeux embués à rencontrer les siens. Je voulais le voir, aussi. Mais, par-dessus tout, je voulais, moi, le toucher.

Je tendis les doigts vers lui, tremblant, pour venir effleurer son bras. Il frissonna. Il était là, vraiment là. Vivant. Et je ne contrôlai plus rien. Je me jetai sur lui, l'enserrant de toutes mes forces, incapable de retenir des flots de larmes qui venaient pourtant à peine de se calmer. Je m'en foutais. Ma respiration saccadée m'empêchait de prononcer le moindre mot et je m'en foutais. J'en avais trop donné ces derniers jours.

Il m'avait réceptionné contre lui comme il le pouvait mais il n'osa pas me rendre mon étreinte, laissant ses mains à plat sur le sol et le temps passer. Un temps aux menaces oubliées.

Il brisa le silence de mes pleurs pour parler. Beaucoup. Tout bas. Avec des mots qui n'avaient pas vraiment d'importance. Juste des mots pour faire du bruit. Pour rattraper tant de questions laissées en suspens. Tant de conversations sans réponse. Sans retenue.

Je n'écoutais pas. Je me laissais simplement bercer par le son de sa voix, un chant grave et rassurant, qui vint doucement à bout de mon douloureux soulagement. Je me sentis vide, un instant, un peu perdu, avant que mes émotions ne reviennent peu à peu. En vrac. Incompréhensibles.

Il tenta de m'enlacer. Je le repoussai, le plaquant au sol. Il ne me toucherait pas. Je ne pouvais pas. Il ne dit rien, acceptant que tout ne se résoudrait pas si simplement, que je ne serais ni juste, ni réfléchi. Je ne pouvais plus.

D'un regard, je lui reprochai durement son absence, son silence, autant que je le remerciais de son retour, de son… J'accrochai mes lèvres aux siennes qui me répondirent. Cela ressemblait enfin à un baiser. Réel. Partagé. Loin de ces images inertes qui aveuglaient mon crâne. Je l'embrassai plus durement, pour les faire fuir, pour les oublier, les nier.

Pour cette clope qui avait basculé par-dessus le bastingage, sous la caresse de lèvres fantômes.

Pour cette peau crevassée qui était restée désespérément immobile, sous mon espoir enterré.

Et je l'embrassai encore. Plus jamais un baiser ne serait solitaire.

J'épuisai nos souffles, sans remords. Je l'avais retenu de trop longues journées. Il restait encore tant à effacer.

Tous ces cauchemars. Dans ma tête. J'agrippai son t-shirt. Ce tissu... Je l'avais caressé, je l'avais retroussé et je m'en étais débarrassé tant de fois. Je le jetai à travers la pièce. Ne pas y penser. Je réservai le même sort au reste de ses vêtements, avant de passer aux miens. Ne pas… y penser. Mon pantalon aussi, rejoignit le tas maladroit, déversant le contenu de mes proches sur le plancher…

Les perles roulaient. Mes mains coururent sur son corps. Elles prenaient de la vitesse. Elles l'échauffaient, l'excitaient, l'enflammaient. Toujours plus de vitesse. Elles l'éveillaient, l'animaient, le préparaient. Elles grinçaient, elles crissaient, elles criaient. Il obéissait, il gémissait, il frémissait. Elles hurlaient. Je voulais l'entendre plus fort que mes pensées. Elles déraillèrent. Je le pénétrai.

Ah… Ah… Ah… J'écrasai mon corps sur le sien. Tellement pitoyable. Le sentir davantage. Ah… Ah… Ne pas le laisser s'évanouir loin de moi. Pitoyable. Ne pas laisser mes souvenirs nous engloutir. Arrêt de l'activité cérébrale. Je mordis son épaule. Il est mort. Il tressaillit. Ils ne te tueront pas.

Il enlaça les doigts de ma main gauche. Il n'y a pas d'anneau. Comme pour me rassurer. Il n'y en a jamais eu. Tendrement. Es-tu vraiment là ? Mes sentiments s'égarent. L'anneau. Ils chancèlent, ils ondulent, ils s'emballent. Il roule, il tourne, il oscille. Ils débordent, explosent et se déchaînent. D'un éclat violent, brûlant, hurlant. Jusqu'à…

Je jouis beaucoup trop tôt, comme s'il ne m'avait plus touché depuis des mois, et ouvris les yeux brusquement, prêt à recevoir les moqueries qui ne tarderaient pas à…

« J'te préviens tout de suite, cook, tu m'referas plus jamais c'coup-là. »

Sa réplique m'assomma un instant.

Il était là.

Cet enfoiré était là.

C'était enfin une certitude. Et je m'entendis répondre, fatigué mais une douce assurance oubliée dans la voix.

« Ouais, ouais… j't'ai dit ça aussi, la première fois. »

Un silence accueillit mes mots. Ils sonnaient faux. À moins que ce ne soit tout le reste.

Zoro se redressa. Instinctivement, je tentai de le retenir. Pourtant, c'est lui qui me traîna à sa suite. Il ramassa les perles qui jonchaient le sol avant d'arriver au bureau de Chopper. Sans la moindre hésitation, il tira un des tiroirs, provoquant une multitude de cliquetis dont je ne pouvais plus ignorer la nature. À l'intérieur, une avalanche de promesses, de jours à deux à ne plus compter. Rondes, blanches, parfaitement identiques. Zoro me rendit les miennes, arrachées un instant au cours normal de la vie, et ma main se resserra sur elles, une dernière fois.

Je tendis les doigts et elles glissèrent le long des lignes de ma peau, se bousculant pour rejoindre les autres. L'impact de chacune résonna dans mon crâne, longtemps avant que le silence ne reprenne le dessus. Un silence un peu sombre, car deux d'entre elles resteraient à jamais égarées, quelque part dans l'océan, vestiges d'une douleur indélébile.

Zoro referma le tiroir et je posai les mains à plat sur le bureau. Je soupirai. Le cauchemar s'achevait. Sentant mon relâchement, sans doute, il se glissa dans mon dos, nichant sa tête dans mon cou, et entrelaça nos doigts, titillant ma bague entre son pouce et son index. Je rougis. C'était con mais les promesses commençaient à reprendre de leur sens.

« Au fait, ce truc, c'est vraiment ok pour toi ? »

Alors c'était ça, pour lui, une demande… Je souris et me retournai entre ses bras. J'aimais mieux qu'il se ressemble…

« Depuis quand tu te soucies de l'avis des autres, marimo ? »

… qu'on se ressemble…

« Depuis quand tu acceptes un cadeau sans rechigner, sourcil en vrille ?

- Depuis quand t'en fais, collectionneur de cure-dents ?

- Cuistot de mes deux !

- Enfoiré de bretteur ! »

Un poing tambourina à la porte de l'infirmerie. Une simple porte.

« VOS GUEULES ! »

… qu'on se ressemble tous.


Et voilà ! Merci d'avoir lu et jusqu'au bout ! ^^ Merci également à ceux qui ont suivi et attendu cette histoire, j'espère que votre patience aura été récompensée ! J'attends vos retours ! ;)

Au passage, dans cette fic, Sanji lit "Tour de table", une histoire de Junk'Peria que je vous invite à lire à votre tour ainsi que tout ce qu'elle a pu écrire d'autre ! Elle a une très belle plume, vous ne serez pas déçus !

Et enfin, comme toujours, un immense merci à Elowlie pour son éternel soutien !