Salut !

Voici enfin la deuxième partie du dernier chapitre de cette fic…

Cette fois-ci tout s'accélère, les années passent, les enfants grandissent et notre petit James s'envole vers une contrée jusque-là inexplorée… Cet énième voyage est-il celui de trop ? Rien n'est moins sûr…

Bonne lecture !


Un blaireau, une cigogne, un têtard


Partie 2 – Une cigogne

Pärnu, Estonie

La maisonnée en bois jauni était silencieuse. Il faisait nuit noire et les occupants dormaient depuis longtemps, à l'exception d'un seul, un homme attablé dans la cuisine, occupé à compter.

Cinq cent cinquante-neuf. L'homme avait devant lui cinq cent cinquante-neuf cailloux, pierres, graviers.

L'idée lui était venue à la fin du premier voyage, de la première mission.

Une envie, un besoin.

Un moyen de garder un souvenir, de garder le compte aussi.

A la fin de sa première mission, James Sirius Potter avait lâché le Portoloin une seconde, le temps de plonger au sol et de prendre ce qui se présentait à lui. C'était un petit caillou somme toute banal. Le premier d'une longue liste.

Une habitude, un rituel.

A chaque voyage son nouveau caillou, son grain de sable, sa petite pierre.

Celle de l'édifice de ses voyages, de sa quête, de sa vie.

Cinq cent cinquante-neuf cailloux, et tout autant de voyages à travers le monde.

- Je peux savoir ce que tu fais tout seul, dans le noir, à murmurer "cinq cent cinquante-neuf" ?

Il reconnut Sian sans la voir, au ton de sa voix, à sa démarche, à son odeur. Il reconnaissait chacun de ses acolytes à cinquante mètres, même dans la nuit la plus sombre. Il connaissait leur souffle, reconnaissait leur respiration. Ils ne faisaient pas seulement partie de sa vie, ils étaient devenus une partie de sa vie, gravés à tout jamais dans ses souvenirs.

Sian tira une chaise, observa longuement les cailloux entassés sous les yeux de James. Il en désigna un au hasard, esquissa un sourire, évoqua un souvenir. Elle fut nostalgique, même si elle n'avait jamais compris pourquoi il faisait ça, pourquoi il tenait tant à ramener un souvenir futile de chaque endroit où ils se rendaient, même quand leur mission ne durait qu'une heure ou deux.

Sian observa ce visage qu'elle connaissait par cœur, le teint halé et la barbe naissante, les fines cicatrices plus ou moins effacées, les cernes qui s'étaient creusés quelques années auparavant, depuis que les cauchemars ponctuaient le sommeil de James, depuis qu'il écourtait chaque repos, depuis qu'il avait perdu un ami, depuis que la nuit prenait un malin plaisir à lui rappeler que la vie n'avait rien d'un rêve, d'un fantasme.

- Natasha ?, devina Sian.

- Natasha, confirma James.

Natasha qui s'invitait partout, dans les rêves et les cauchemars, dans les souvenirs heureux et douloureux. Natasha qui souriait, Natasha qui reprochait. Natasha qui comprenait, Natasha qui ne comprenait pas.

Alors James s'était levé discrètement, pour ne pas empêcher Mateus de dormir, et avait gagné la petite cuisine qu'ils partageaient. Dans un coin de sa besace, entre une photo de Natasha et une vielle lettre d'Haïdar, James avait trouvé le bocal sur lequel il lançait un charme de réduction après chaque voyage, après y avoir enfermé un nouveau petit caillou.

Il les avait sorti les uns après les autres, les avait compté les uns après les autres. Ça lui avait pris trois heures, il s'était trompé deux fois, avait recommencé jusqu'à être certain du nombre total. Tant de voyages résumés en si peu d'heures, tant de voyages résumés en un tas de gravillons posés sur une table sale.

Combien de "je t'aime" avait-il dit, murmuré, crié à Natasha ? Moins de cinq cent cinquante-neuf, il en était certain.

- Je sais que ça ne me regarde pas, je sais que je ne devrais pas, mais je lui en veux de te faire souffrir, avoua Sian à demi-voix.

Elle lui avait confié n'être jamais tombée amoureuse. Elle n'aimait que partir, revenir, repartir. Vivre sur les routes lui convenait, l'apaisait, l'excitait. Sian était sans doute la plus indépendante de tous, celle qui avait le moins d'attache, et le moins de désir de revenir en arrière, de retourner sur ses pas, de retrouver les siens.

- Ce n'est pas elle qui me fait souffrir, tu sais. C'est l'idée que jamais je ne pourrai... tu sais... tout avoir. Et par « tout » j'entends continuer de vivre comme nous le faisons, tout en vivant auprès d'elle.

- C'est impossible, réfuta Sian en fronçant les sourcils. C'est comme vouloir que le jour et la nuit arrivent en même temps.

- Ce n'est pas ce qui arrive quand une éclipse apparaît ? J'aurais bien voulu trouver mon éclipse.

- Ton éclipse tu l'as trouvée, elle a duré un temps. Et puis elle a disparu. Parce que les éclipses, ça ne dure jamais très longtemps.

Il continuait de la chercher, pourtant, son éclipse. Il continuait d'attendre et d'espérer, comme si un miracle pouvait tomber des cieux et lui offrir le bonheur total.

Mais l'éclipse ne venait pas. Alors il se contentait de recompter les cinq cent cinquante-neuf petits cailloux, loin d'imaginer que le miracle se produirait un jour, au bout du six cent quatre-vingt-quinzième caillou.

ooOOoo

Une de la Gazette du Sorcier – James Sirius Potter : L'Héritier, plus fort que le Survivant ?

« La vérité a enfin été divulguée : c'est à James Sirius Potter que l'on doit la lumière sur l'inquiétante famille Zigaro. A lui et à son père. Mais Harry Potter a affirmé que « les Aurors n'auraient jamais pu mettre la main sur les frères Zigaro sans mon fils. C'est lui qui a mené cette enquête durant deux ans, pour la Confédération Magique Internationale. »

Avant de répéter que son fils avait « tout fait pour éviter la mort de Tom Zigaro. James tenait à ce qu'il y ait un procès mais ni lui ni moi n'avons pu éviter qu'Elvis ne tue Tom »

James Sirius Potter, l'homme aux mille facettes

Longtemps décrié, le premier né du Survivant a pourtant connu une scolarité parfaite. Bon élève, alors qu'on le disait tricheur, sérieux, alors qu'on le disait farceur, James Sirius Potter a quitté Poudlard avec une dizaine d'Aspics dans sa poche. Et tout autant d'amis.

Car la particularité de James Sirius Potter reste sa tolérance à toute épreuve. Faisant fi de l'Histoire et de ce destin tout tracé que la presse et la communauté avaient écrit pour lui, James Sirius Potter s'est laissé porter par ses propres désirs, par ses passions, par ses affinités, sans jamais être là où on l'attendait.

James Sirius Potter, le digne Héritier

James s'affirme plus que jamais comme l'héritier du Survivant, loin devant Albus Severus. Nos confrères de Sorcière Hebdo n'ont pas hésité à décrire ce dernier comme « le fade et décevant Albus Severus ».

Quant à Lily Luna, elle se montre aussi discrète que sauvage. On la dit étudiante en éthologie et rien ne laisse entendre qu'elle détrône un jour son aîné.

James Sirius Potter, généreux et optimiste

L'Héritier, invité à s'exprimer, a refusé toute interview. Pour la simple et bonne raison qu'il préféré « laisser le passé où il est » et se consacrer à l'avenir. Là encore, il a refusé de trop en dévoiler, mais nous savons de source sûre que James Sirius Potter travaille sur un projet d'envergure, un projet qui, selon son cousin Louis Weasley « permettra aux sorciers du monde entier d'assouvir leur curiosité. ».

Et le cousin de l'Héritier d'ajouter que ce projet aurait pu permettre à l'Héritier de se couvrir d'or mais qu'il a refusé : « James préfère le commercialiser à moindre frais parce que la curiosité n'est pas réservée aux riches ».

Le père de James Sirius Potter

Dira-t-on longtemps l'héritier du Survivant pour parler de James Sirius Potter ?

Se peut-il que le fils aîné détrône le père ?

Rien n'est moins sûr… »

- Albus, tu veux bien aider ta sœur !?

Le cri de Ginny Potter fit sursauter son fils, qui en fit tomber la Gazette du jour. Le jeune homme secoua la tête, s'apercevant enfin de la présence de sa petite sœur. La jeune fille, dont les projets professionnels avançaient plus vite que prévu, entreposait du matériel chez ses parents, sa petite île ne bénéficiant pas encore de toute la sécurité nécessaire.

Harry et Ginny, les bras déjà chargés par l'ossature d'un enclos à licornes, observaient avec crainte leur petite Lily qui croulait sous le poids d'un abreuvoir à Serpencendre.

Albus haussa simplement les épaules en reculant d'un pas.

- Je ne vois pas pourquoi je t'aiderais, je n'ai rien à gagner en échange.

- Je suis ta sœur, grogna Lily. Tu vas pouvoir visiter mon domaine toute ta vie sans jamais payer une noise, tu pourrais quand même...

- C'est à la mode la gratuité, railla Albus. James et toi avez décidé de travailler gratuitement ? De vider la chambre des Potter à Gringotts ? De me priver d'héritage ?

- Ton frère et ta sœur auront la même part que toi à notre mort, rappela Harry.

- Quoi ? Mais... je suis ton fils !

- J'ai trois enfants, Albus.

- James est peut être un Zabini ! Il a déjà un château en Italie, tu ne vas quand même pas lui léguer mon argent !?

- Ce n'est pas ton argent, Albus. C'est le nôtre, celui de ta mère et moi, celui de notre famille. Nous sommes cinq et, lorsque nous serons morts ta mère et moi, notre héritage sera partagé en trois parts égales, pour ton frère, ta sœur et toi.

- C'est toujours un plaisir de vous voir, railla Lily. Tant de joie de si bon matin... bon, Albus, tu m'aides aujourd'hui ou demain ?

- Jamais. Démerde-toi toute seule. T'es une grande fille.

Et sur ces quelques mots Albus se retira, gagnant l'étage sans un mot de plus. Exaspérée et exténuée, Lily laissa tomber l'énorme abreuvoir qui lui entaillait les bras.

- Crétin, grommela-t-elle.

- Il était en mission de nuit, l'excusa - comme d'habitude - Harry.

- Ce n'est pas à l'Auror que je m'adressais mais à mon frère, contra Lily. Mais j'ai dû me tromper, une nouvelle fois. C'est toujours la faute des autres, pas vrai ? Vous me reprochez d'avoir quitté la maison mais Albus vit ici comme... un colocataire. Il ne fait plus partie de la famille, il s'en est exclu depuis longtemps. Il ne tient qu'au nom que tu lui as légué, il n'éprouve aucun sentiment. Ça serait bien que tu t'en rendes compte, papa.

Amère, elle embrassa ses parents, ramassa son fourbi et se dirigea vers la cheminée la plus proche, laissant son père se laisser tomber avec lassitude dans son fauteuil.

- Toi aussi tu penses comme elle ?, demanda-t-il du bout des lèvres, comme un enfant pris en faute.

- Tout le monde pense comme elle, Harry, répondit Ginny avec un sourire triste. Elle est juste la seule à être assez courageuse pour te le dire.

ooOOoo

James n'aurait jamais cru, enfant, célébrer ses vingt-deux ans seul, et à l'autre bout du monde.

Les Zabini s'étaient surpassés, lui faisant porter un immense colis à dos de dragon. Dans un petit mot, Hadiya lui avait fait remarquer que sa vie n'était vraiment pas banale, et qu'il aurait fait pâlir n'importe quel explorateur autoproclamé.

Et pour cause, en à peine cinq ans, James avait mis un pied dans chacune des communautés sorcières.

Il aimait à penser que cette envie avait toujours fait partie de lui, et qu'il l'avait seulement écoutée, nourrie, exultée. Il obéissait à son destin. Il ne l'avait pourtant pas compris tout de suite. Quand il avait quitté l'Angleterre, il était loin d'imaginer tout ce qu'il accomplirait. Toutes ces rencontres, toutes ces découvertes, et autant de langues qu'il avait apprises sur le tas, par nécessité autant que par envie, à chaque fois qu'il était parachuté plus ou moins à l'aveugle.

Maintenant il savait.

Il savait pourquoi il faisait tout ça.

Il voulait rencontrer les êtres du monde entier.

Hommes, femmes, enfants, créatures, arbres, plantes, moldus et sorciers.

Il voulait comprendre comment ils vivaient, en quoi leur implantation sur le globe favorisait un trait de caractère, une tradition, une coutume.

Et surtout, pourquoi ils se faisaient la guerre.

Pour mieux comprendre comment tous viendraient un jour à faire la paix.

Car c'était la quête qui le poussait à vivre sur les routes. Leur trouver, à tous, des points communs. Leur faire comprendre, à tous, combien leurs différences étaient précieuses, inévitables, profitables.

Il ne cherchait pas à prouver aux autres qu'il était allé partout, ni à calculer le moindre mètre parcouru pour se vanter. Il ne cherchait ni la distance, ni la gloire, ni même l'aventure. Il n'était pas un voyageur. Il était un bâtisseur. Un bâtisseur de la paix. Un étudiant passionné, un curieux de nature, un homme qui avait les yeux grand ouverts et un cœur débordant d'envie.

Il tenait un carnet, et sans avoir une quelconque fibre ni le moindre talent pour l'écriture, il notait ses découvertes, rêvant parfois qu'un éditeur accepte l'idée folle de publier ses récits, qu'il illustrait de photographies qui avaient fait rire Rose, elle qui était si talentueuse, quand il les lui avait montré quelques mois plus tôt.

Avant de repartir, assoiffé, vers ce pays qui était devenu le sien. La Terre.

Oh, tout n'était pas rose pour autant. Ses acolytes et lui avaient connu quelques bévues. Chen, Selim et lui avaient été emprisonnés trois fois. Négligence, faute, incompréhension les avaient vu rester quelques heures, parfois quelques jours, dans une geôle sans fenêtre, une grotte enneigée, ou une cage souterraine, concassés entre quatre barreaux. Ils avaient failli mourir, aussi. Des armes, des maléfices, et même un troupeau d'hydres qui leur avait foncé dessus en pleine nuit. Ils étaient parfois blessés. Mais rien de grave ne leur était arrivé. Un miracle total. James se disait souvent qu'il n'avait aucune idée de comment ils se sortaient toujours de tout ça, malgré les menaces et les dangers qui ponctuaient leur route.

D'autres fois, le miracle naissait d'un sourire, d'une main tendue, d'une aide qui leur était donnée sans réserve, sans raison, sans contrepartie. Les gens qu'il rencontrait, qui lui venaient en aide, qui l'accueillaient, James aimait à croire qu'il ne les oublierait jamais. Et une partie de lui espérait que ça ne cesserait jamais. Parce qu'il lui semblait que sa soif ne s'étancherait jamais. Parce qu'il savait qu'il était impossible d'assouvir un jour sa curiosité.

Mais il n'était pas inquiet. Il était jeune, encore. Il avait tout le temps d'appréhender le rôle qu'il tiendrait une fois les voyages derrière lui.

Un nouveau rôle, celui de partager.

Sa curiosité d'esprit, son envie, sa foi perdureraient, même lorsqu'il déciderait d'arrêter de voyager.

Il s'en faisait la promesse.

ooOOoo

Neith Sekhmet

Neith Sekhmet, douze ans, vivait le plus incroyable des rêves.

Elève de Poudlard depuis un an, elle avait retrouvé sa famille pour les vacances d'été. Sa mère, d'origine égyptienne, avait donné à ses enfants des prénoms anciens, ceux des dieux qui l'avaient fascinée durant son enfance, avant qu'elle ne gagne l'Angleterre pour ne jamais plus la quitter.

Historienne de renom, la mère de Neith vivait confortablement dans un duplex du nord de Manchester, avec ses deux grands fils et sa terrible fille, tous trois férus de fantasy et de jeux de rôle.

Et c'était bien cela que croyait vivre Neith Sekhmet.

Un jeu de rôle.

Quand un an plus tôt, un drôle de monsieur bedonnant nommé Neville Londubat lui avait appris qu'elle était une sorcière, Neith s'était cru en plein rêve. Un rêve drôlement réaliste et imaginatif, qui l'avait menée sur le chemin de traverse, sur la voie 9 ¾ de King's Cross et jusqu'à Poudlard, où elle fut répartie dans la maison des lions.

Pour Neith, tout cela n'était que le premier niveau du jeu de rôle parfait, et elle s'attendait à se réveiller à tout moment.

Après tout, n'ayant jamais connu que la vie normale, « moldue », comme disaient les sorciers, elle ne pouvait tout bonnement croire que la magie existait vraiment.

Au contraire, elle se réjouissait de ce jeu particulièrement précis et complet, et elle se pliait au premier niveau, celui de l'apprentissage, avec une ferveur sans commune mesure. Elle avait gardé son nom et ne pouvait choisir de costume, à la différence des jeux de rôle qu'elle connaissait, mais elle se répétait qu'il lui fallait s'aguerrir afin de franchir les étapes, et sans doute affronter un premier « méchant », peut-être un mage noir ressuscité, comme ce Voldemort ou ce Grindelwald dont parlaient les livres.

Elle trouvait fascinant d'avoir accès à tant de connaissances sur ce monde et prenait beaucoup de plaisir à apprendre, devenant sans mal l'une des meilleures élèves de sa promotion.

Mais elle n'était pas comme les autres élèves, qui se laissaient aller à plaisanter, comme s'ils avaient été dans une école normale, elle se tenait prête à affronter le mal à chaque fois qu'elle entrait quelque part, se tenait en position de combat dès qu'elle changeait de couloir, car elle savait que le mal pouvait surgir n'importe quand, comme dans ce jeu de rôle sur la seconde guerre mondiale qui captivait ses grands frères.

- T'es complètement dingue, lui répétaient ses frères. Ce que tu vis est la vraie vie ! Tu es réveillée, Neith ! Tu n'es pas dans un jeu ou un rêve ! Tu es une sorcière !

Un défi, voilà tout. Neith ignorait s'il lui fallait convaincre sa mère et ses deux frères ou s'il s'agissait seulement d'un périple du jeu pour la faire douter, mais rien n'aurait pu la convaincre que tout cela était bien réel.

- Tu as bien des amis dans ton école de magie ? Ils ont dû te le dire, eux !

C'était là un argument que ses frères ne cessaient d'utiliser depuis le premier jour de juillet. Sachant qu'elle avait passé toute une année à Poudlard, ils étaient persuadés qu'elle s'était fait des amis. Ce n'était pas faute d'avoir essayé, mais les autres élèves l'avaient prise pour une folle – sans doute un test de plus – et elle n'avait trouvé ni ami ni allié pour l'aider à poursuivre sa quête.

Alors, pour ne pas inquiéter sa famille, elle s'était inventé deux amis, une fille et un garçon, les premiers qui lui étaient venus en tête quand elle avait voulu rassurer sa mère.

La fille aux coquillages et le garçon aux hiboux.

Une fille et un garçon répartis dans des confréries différentes, mais suffisamment esseulés pour qu'elle se persuade qu'ils étaient comme elle. A part, différents des autres apprentis sorciers, et certainement tout aussi persuadés que Neith de ne pas être dans la vraie vie mais dans un jeu épique.

Neith Sekhmet et Méduse Rhodes

C'était la deuxième fois que Méduse Rhodes quittait la gare de King's Cross à bord du Poudlard Express. Et comme la première fois, la jeune Serpentard avait minutieusement choisi qui seraient ses camarades de voyage. Elle s'était installée dans un compartiment plein de Serdaigle et faisait mine de lire un livre, tout en épiant leur conversation.

C'était là une de ses passions, observer les jeunes de son âge, pour comprendre en quoi ils étaient différents d'elle, et pourquoi eux se faisaient des amis alors qu'elle demeurait seule.

Elle les observait, tous, les petits et les grands, les filles et les garçons, et tous ces jeunes répartis dans les quatre maisons de Poudlard l'acceptaient parmi eux, parce qu'elle n'était pas méchante, parce qu'elle était silencieuse, parce qu'elle était brillante et, surtout, parce qu'elle acceptait toujours de les aider à finir leurs devoirs.

Ils étaient plutôt gentils avec elle. Quelques malins s'étaient moqués d'elle, les premiers temps. De son silence, de sa solitude, de son prénom. Mais un élève finissait toujours par prendre sa défense. Un garçon tout aussi petit qu'elle à la peau noire et aux cheveux crépus qui répondait au nom haï de Zabini. Haïdar Zabini.

- Méduse ?, l'appela-t-il justement alors que tous les élèves sortaient du train. Ce sont les élèves de première année qui découvrent le château par le lac. Maintenant que nous sommes en deuxième année, nous devons monter dans des calèches.

Elle acquiesça et le suivit de loin, alors qu'il s'approchait des Poufsouffle de sa promotion.

On disait qu'Haïdar Zabini n'avait pas d'amis.

On disait qu'Haïdar Zabini aurait dû aller à Serpentard, comme toute sa famille avant lui.

Les élèves s'étaient moqués de lui, aussi, les premiers temps. Bien plus que de Méduse. Bien plus longtemps, aussi. Les Poufsouffle de son année formaient une bande solide, ils s'entendaient à merveille et avaient toujours tenu Haïdar à l'écart. Tout au plus acceptaient-ils qu'il les suive, par politesse et compassion plus que par réelle amitié.

Méduse trouva qu'Haïdar avait grandi pendant les vacances, qu'ils avaient tous grandi alors qu'elle n'avait pas pris le moindre centimètre en deux mois. Encore une chose qui la différenciait de ses condisciples.

- LA FILLE AUX COQUILLAGES !

C'était un cri au loin. Un cri qui se répéta et fit se retourner quelques élèves.

Méduse les vit se tourner vers elle. Elle était la seule à Poudlard à posséder un tel collier de coquillages, qui cliquetait sans cesse.

- OH HE ! LA FILLE AUX COQUILLAGES !

La voix se rapprochait. Méduse se tourna, fronçant les sourcils en reconnaissant la terrible Neith Sekhmet, qui tenait le record de punitions de leur promotion.

Un an plus tôt, alors que tous les élèves de première année traversaient le lac sur des barques, Neith avait sauté dans l'eau, clamant que des eaux si noires contenaient sûrement des points d'énergie.

S'en étaient suivies de nombreuses punitions, ponctuées de coups de grâce, qu'elle offrait à Poudlard tous les mois.

Onze mois plus tôt, elle avait été punie pour avoir disparu trois jours dans la forêt interdite.

Dix mois plus tôt, pour avoir porté une dague à sa ceinture.

Neuf mois plus tôt, pour avoir attaqué par « erreur » le professeur de vol, arguant qu'avec la capuche qu'il portait pour affronter la pluie, elle l'avait pris pour Voldemort.

Huit mois plus tôt, pour avoir mis le feu à son dortoir, persuadée qu'il dissimulait un coffre qui l'aiderait à franchir les étapes de sa quête.

Sept mois plus tôt, pour s'être faufilée dans la réserve de la bibliothèque.

Six mois plus tôt, pour s'être infiltrée sans autorisation dans l'enclos aux hippogriffes.

Cinq mois plus tôt, pour avoir volé sur un hippogriffe.

Quatre mois plus tôt, pour avoir affronté le Saule Cogneur.

Trois mois plus tôt, pour s'être rendue à Pré-Au-Lard, persuadée que le village détenait une carte qui la mènerait au niveau supérieur.

Deux mois plus tôt, pour avoir profité du banquet de fin d'année pour s'infiltrer illégalement dans le bureau du directeur, certaine que le « boss », le « gros méchant » qu'elle poursuivait s'y dissimulait.

Elle avait fait perdre des tas de points à sa maison, Gryffondor. Mais son niveau scolaire, exceptionnellement haut, en faisait gagner bien plus aux rouge et or.

- T'es dure de la feuille, grogna Neith en s'arrêtant devant elle. Je croyais que t'étais muette, pas sourde.

- Je ne suis ni l'un ni l'autre, rétorqua Méduse d'une voix calme.

- Faut qu'on monte dans la même calèche. Avec le garçon aux hiboux. Tu l'as vu ?

- Le garçon aux hiboux ?, répéta Méduse, sceptique.

Elle songea alors à un petit garçon, le plus petit de sa promotion, qui passait le plus clair de son temps à la volière au milieu de centaines de chouettes et hiboux.

- Haïdar Zabini ? Oui, il est un peu plus loin.

- Va le chercher et rejoins-moi dans une minute près de cet arbre, là-bas. C'est hyper important et hyper secret, pas question d'ébruiter ça, ok ? N'en parle à personne.

Neith Sekhmet chuchotait avec sérieux, sans doute certaine qu'une ombre allait surgir en vue de tous les massacrer. Néanmoins Méduse s'exécuta, comme elle le faisait à chaque fois qu'un élève lui demandait un service. Ce n'était pas seulement de la générosité. Elle aurait juste voulu un peu de compagnie, parfois, quand la solitude la suivait depuis si longtemps qu'elle lui pesait.

Neith Sekhmet, Méduse Rhodes et Haïdar Zabini

Les Poufsouffle lui sourirent dès qu'ils la reconnurent, comme ils le faisaient toujours, avec politesse mais sans excès. Ils avaient pourtant été si heureux de se retrouver, quelques heures plus tôt, sur le quai de la gare. Eux avaient eu droit à des embrassades, des tapes dans le dos, des larmes de joie, même, pour certains. Elle n'avait droit qu'à des sourires polis. Et à cette étincelle qui brûlait dans les yeux de Haïdar Zabini.

- Haïdar ? Tu peux venir avec moi ?, demanda-t-elle gentiment.

Il parut étonné mais s'exécuta, avec tout autant d'empressement qu'elle quelques minutes plus tôt. Elle le mena près de cet arbre qu'avait désigné Neith Sekhmet et la jeune fille ne tarda pas à surgir de derrière le tronc, regardant tout autour d'eux avec méfiance, déjà en position de combat.

- C'est quoi ce délire ?, demanda une voix masculine.

Méduse découvrit alors un garçon caché parmi les feuillages. Un garçon de leur âge qui possédait un accent inconnu aux oreilles de Méduse. Elle n'eut pas le temps de poser la moindre question, happée par une Neith Sekhmeth méfiante jusqu'à ce que son nez rencontre les feuilles épinées des bosquets. La lionne leur fit signe de garder le silence, épiant les alentours d'un œil avisé avant de revenir vers eux pour faire les présentations.

- Je te présente la fille aux coquillages et le garçon aux hiboux. Et lui, c'est le garçon aux tatouages.

- Et toi tu es qui, la fille folle ?, rétorqua le garçon à l'accent indéchiffrable.

Méduse observa le cou et les avant-bras du garçon, qui se présenta sous le nom de Piotr Vladizkovitch. Ils étaient recouverts de tatouages, tout comme l'étaient ses chevilles.

- Tu ne sais pas qui tu es, alors !, s'exclama Neith avec déception.

- Je viens de te dire qui je suis. J'étudiais dans une autre école l'an dernier et je…

- Mais nous ne sommes pas dans une école ! Nous sommes dans un rêve !

- Un rêve ?

- Le mien !, affirma Neith avec un grand sourire. Un rêve aux allures de jeu de rôle où tu vas m'aider à poursuivre ma quête.

- Vous êtes tous comme çà Poudlard ?, demanda Piotr en se tournant vers Méduse et Haïdar.

- Il faut absolument que tu sois réparti à Serdaigle !, ordonna Neith. Menace le Choixpeau de le brûler si besoin, ok !?

- A Serdaigle ?

- Poudlard compte quatre maisons, dans lesquelles les élèves sont répartis, expliqua Méduse. Gryffondor, Poufsouffle, Serpentard et Serdaigle. Mais ce n'est pas toi qui va choisir ta maison, c'est un chapeau enchanté qui va choisir pour toi.

- Mais il faut qu'il t'envoie à Serdaigle !, répéta Neith.

- Pourquoi ?, s'étonna le nouveau.

- Parce qu'il ne reste plus que Serdaigle ! Comme ça chacun d'entre nous sera dans une des quatre maisons, quatre alliés pour quatre maisons, on connaîtra tout le monde, on pourra garder un œil sur tout le monde, appréhender la moindre attaque, contrattaquer de suite ! On sera imbattables, tu te rends compte ? La terre, dit-elle en désignant Haïdar, l'eau, poursuivit-elle en désignant Méduse, l'air, continua-t-elle en posant son index sur le torse de Piotr et le feu, s'exclama-t-elle en se désignant. Ensemble nous seront invincibles ! Comme les maîtres des éléments, tu vois ? On va se compléter et poursuivre notre quête ensemble ! Et on va réussir !

Une ferveur sans pareille s'était emparée de Neith. A ses côtés, Méduse patientait, acquiesçant avec un air doux et maternel, pour ne pas la vexer. Piotr, lui, écarquillait les yeux au possible, murmurant « elle est folle, elle est dingue, elle est maboule », inlassablement.

C'est le moment que choisit Haïdar pour laisser éclater le rire qui secouait sa poitrine, s'attirant la surprise des trois autres et sans doute des quelques élèves qui n'avaient pas encore pris leur calèche.

Mais Haïdar ne s'en formalisa pas. Car en ce soir de rentrée en deuxième année, il venait de faire une rencontre qui le marquerait à jamais. Celle de l'amitié.

ooOOoo

James était retenu en Birmanie depuis trois mois. Sa constellation s'était installée au début du mois d'août, sous une pluie dense, en espérant quitter rapidement le pays, avant que la mousson ne s'y installe. Trois mois plus tard, James avait oublié ce qu'être sec signifiait, quotidiennement trempé par des pluies diluviennes, alors que Chen, Mateus, Sian et lui parcouraient la côte Nord de la Birmanie, ainsi que le delta de l'Irrawaddy et la côte de Tenasserim.

Un éleveur de Murènes-Barracuda-à-Crête-Vorace, une créature magique terrifiante, menaçait la paix internationale et le système judiciaire sorcier ne permettait pas à de jeunes étrangers de prendre connaissance des pièces à conviction.

La constellation de James cherchait donc par ses propres moyens quelles étaient les intentions de Pattaya du Typhon, un mage très âgé qui avait consacré sa vie à développer son élevage et à dresser ses milliers de murènes de dix-huit mètres de long et de sept mètres de large à parcourir de longues distances et à tuer un nageur avant qu'il n'ait fait trois pas dans l'eau.

La pluie n'aidait pas la Constellation et l'éloignement leur pesait. Plusieurs mois sans voir ses proches et sans quasiment aucun contact, ce n'était évident pour personne.

- Tiens, Grenat. Voilà ce qui reste de ton courrier.

James hocha la tête à l'adresse de Chichawa, leur hôte, membre d'une autre constellation. Il jeta son gros sac à l'entrée de la minuscule pièce où les onze s'entassaient, salua brièvement ceux qu'il n'avait pas vu depuis des jours et rejoignit un autre abri, plus restreint et délabré encore, qui leur servait de cuisine.

Leur courrier était conservé dans des sacs en plastique mal fermés, qui prenaient souvent l'eau, détruisant partiellement les lettres qui se faisaient de moins en moins épaisses. Avant d'en lire le contenu, James chercha si Natasha lui avait écrit, mais seuls Blaise, Mael et Scorpius l'avaient fait. Il lut d'abord la lettre de ce dernier, n'ayant pas reçu de ses nouvelles depuis longtemps, et fut surpris d'apprendre que Scorpius s'était fiancé avec sa compagne, étudiante en archéologie comme lui.

Scorpius avait joint un article de la Gazette – « l'héritier de la plus célèbre famille de Mangemorts a enfin trouvé celle qui perpétuera le nom des Malefoy » - auquel il avait ajouté quelques mots :

« J'aurais aimé être à Londres et voir la tronche de ton frère en découvrant l'article. Lui qui a profité de notre combat au Temple pour me supplier de succomber à ses charmes pour former un duo diabolique… j'espère que cette annonce lui donnera l'idée de se suicider. Je sais que c'est ton frère et que tu n'apprécieras pas de lire ces mots mais je reste persuadé que le monde se porterait mieux sans Albus. »

Ereinté, James s'octroya quelques secondes de réflexion avant de poursuivre sa lecture. La destruction du Temple avait eu bien plus d'impact sur son moral qu'il ne voulait l'avouer. Son frère s'était montré une nouvelle fois abject, sans doute plus que jamais. Mais James ne pouvait s'empêcher d'être triste pour lui. La chute des Zigaro entraînait la sienne, sa réputation était salie, et il se renfermait dans une solitude morbide. James avait parfois le sentiment d'avoir abandonné son frère. Et cette honte qu'il ressentait, il n'en parlait à personne, parce que Mael aurait démenti avec rage et que Natasha lui aurait arraché les yeux.

Alors James ferma les yeux, et se concentra sur la deuxième lettre que Scorpius avait glissée dans l'enveloppe. Il reconnut l'écriture de Gwenog Kubrick et son cœur se serra à l'idée qu'elle devait se montrer prudente et dissimuler son courrier de peur de subir le même sort que Jasper Leitrim, qui était toujours retenu – et disséqué – par le département des Mystères.

« Bonjour James,

C'est à nouveau Gwenog mais pas Gwenog Kubrick même si je n'ai pas vraiment changé. Mais mon nom a changé. Sous les conseils de Daniel Redox qui veille toujours sur Jasper et moi, j'ai épousé Renaud Bayard.

Tu dois être surpris. Tu ne savais même pas qu'on sortait ensemble, pas vrai ? Peut-être que ta sœur te l'a dit. Je ne t'en ai jamais parlé parce que j'ai toujours cru que ça ne durerait pas. Mais voilà, on est ensemble depuis plus d'un an. Ce qui fait peu pour un mariage si j'en crois Crantosia Bayard. Tu sais qui c'est ? Moi non plus je ne savais pas qui c'était. Renaud m'a invité chez lui et je ne pensais pas que ses parents seraient là, il n'en parle jamais depuis que ce n'est plus trop bien vu d'être irlandais et encore moins d'être le fils d'un Chevalier.

Tout ça pour dire que je débarque dans son château et que c'est une femme qui m'ouvre la porte. Une vieille. Alors je lui dis « t'es qui toi ? ». Elle me répond « Crantosia Bayard, votre belle-mère ». Elle avait à peu près le ton du professeur Slopa, c'est dire comment j'étais rassurée. Alors je lui ai répondu « Enchantée mais vous n'êtes pas belle et vous n'êtes certainement pas ma mère ».

Depuis elle me déteste. Mais Renaud n'arrête pas de rigoler donc ça ne doit pas être grave.

Si tu veux tout savoir, puisque tu n'es pas marié, TOI, ça ne change pas grand-chose à ma vie. Je dois juste porter un rond doré autour d'un doigt et me rappeler tous les matins de quel doigt c'est, parce que c'est important, selon Renaud et Daniel Redox. C'est lui qui a mis ces idées dans la tête de Renaud, comme quoi être mariée à un sorcier pouvait m'aider. Moi je ne savais pas trop quoi en penser, comme je t'ai dit ça ne change pas grand-chose à ma vie mais Renaud a insisté et il est au moins aussi têtu que toi. Et ça a fait plaisir à Hewie et Kat d'organiser une fête. Elles se battaient pour être mes témouines mais comme je n'ai qu'elles et Jasper, elles ne se sont pas battues longtemps. J'aurais aimé que tu sois là. J'aurais aimé qu'Amalthéa soit là.

Daniel Redox a dit que les méchants étaient toujours là, que Jasper était toujours retenu prisonnier, qu'Amalthéa devait rester discrète et que je devais rester cachée. Alors nous étions seuls, Renaud, mes témouines et moi. Et même si c'était un chouette moment, ça ne ressemblait pas aux grandes fêtes joyeuses qu'on peut voir dans les films.

A bientôt

Gwenog Bayard (ça fait quand même un peu bizarre) »

ooOOoo

Poudlard

Noël approchait. Et contrairement à l'hiver précédent, de loin le plus venteux qu'ait connu Haïdar, le climat était à son image, doux et cotonneux.

- Reste sur tes gardes, voyons !

Haïdar retomba sur ses pieds, évitant une chute douloureuse grâce à la vigilance de Neith.

- Le danger est partout, rappela-t-elle en épiant les environs.

- Et il peut frapper à tout moment, récita Méduse, éternellement conciliante.

Neith acquiesça avec fierté mais brièvement, ignorant les ricanements d'Haïdar pour vérifier qu'un monstre ne les attendait pas au loin.

- Le périmètre est-il sécurisé ?, s'enquit Méduse.

- Il le semble, acquiesça Neith. Mais nous devons nous montre vigilants ! Je vais vérifier…

- Tu as vérifié trois fois, rappela Haïdar, et Méduse est en train de geler sur place. Est-ce qu'on peut enfin faire ce qu'on est venus faire, à savoir s'amuser comme n'importe quel enfant qui n'a pas vu la neige depuis un an ?

- La neige ne va pas la réchauffer, réfuta Neith avec mauvaise foi. Juste une dernière fois, ok ?

Bien qu'elle n'ait nullement conscience de la réalité qui l'entourait, Neith était attachante. En l'espace de trois mois Haïdar avait appris à connaître cette nature méfiante et entêtée, qui ne faisait fi d'aucune règle et qui sursautait au moindre bruit. Touché par son obstination et sa prudence, il se contenta de sourire, adoucissant le regard perçant qu'elle avait posé sur lui.

D'un signe de main, Neith leur intima de ne pas bouger et elle s'élança, aussi discrète et rapide qu'un félin.

- Tu crois que ça lui passera un jour ?, demanda Méduse non sans claquer des dents.

- Je ne l'espère pas, répondit Haïdar. Elle est à l'image de ce que tous les individus devraient être. Unique en son genre. Elle ne cherche pas à entrer dans le moule façonné par les dictats de la mode, ni à dissimuler ses différences. Elle s'assume, et c'est ce que j'aime chez elle.

Méduse resta songeuse un instant. Elle en oublia même le froid qui mordait sa peau. Trois mois avaient suffi pour qu'Haïdar ne s'étonne plus de la voir arborer un collier de coquillages qu'elle portait à ses oreilles très souvent, pour écouter le doux son de la mer. La jeune fille, de nature frileuse, ne portait jamais d'écharpe, de gants ou de bonnet, qui lui donnaient l'impression d'être prisonnière. Méduse était un petit trésor d'apparence fragile, que l'on voulait protéger. Mais Méduse était dotée d'une force de caractère sans pareille.

- Tu as bien raison. Je l'espère aussi. Comme j'espère que tu seras toujours aussi sage et innocent à la fois.

- Je vais grandir, réfuta-t-il.

- On va tous grandir. Mais tu sauras nous rappeler qu'il ne faut jamais oublier l'enfant qui sommeille en chacun d'entre nous.

Haïdar n'eut pas le temps d'esquisser le moindre sourire, une trombe de neige lui tombait dessus, précédée de peu d'un éclat de rire tonitruant.

- Alliés, la voie est libre ! Oublions notre quête le temps de recharger notre énergie et amusons-nous !

L'instant d'après, Neith courait à perdre haleine dans l'immense parc de Poudlard, Méduse et Haïdar sur ses talons.

ooOOoo

C'était un premier décembre, et la Gazette du Sorcier faisait à nouveau sa une sur le Temple, la chute des Zigaro, la mort de Keith Corner. Ces rappels incessants ne s'arrêteraient jamais, il le savait. Mais il n'arrivait pas à jeter cette masse de papier froissé dans les flammes sans l'avoir lue à la lueur de la lune, la chair tremblante et le ventre creux.

C'était un premier décembre, et les souvenirs étaient toujours aussi vifs, aussi douloureux. La peau de Keith, froide sous ses doigts. Les murs du Temple en cendre. L'éclair vert frappant le corps de Tom Zigaro. Les yeux de Juliet avant son départ, éteints malgré la justice enfin acquise.

C'était un premier décembre, et rien ne changeait. La vengeance ne ramenait pas les morts et n'apaisait pas les cœurs.

C'était un premier décembre, et James revenait d'une longue mission en Asie avec l'espoir toujours intact de recoller les morceaux avec les siens, ces personnes chères à son cœur qu'il ne voyait plus que rarement. Sa nouvelle mission le voyait se rapprocher considérablement de l'Angleterre, puisqu'il posait sa besace en France pour plusieurs semaines.

Dès qu'il l'avait su, il avait envoyé quantité de lettres. Depuis la mort de Keith, ses amis ne s'écrivaient plus, ne passaient plus de temps ensemble, s'ignoraient quand ils se croisaient. Et James continuait de chercher un moyen de redonner la paix à sa famille de cœur.

Il était arrivé une semaine plus tôt que les membres de sa constellation, rejoignant Louis qui vivait en France depuis la fin de Poudlard avec son compagnon. Les garçons lui avaient préparé une chambre douillette, et lui avaient fait visiter quantité de lieux et de restaurants qui donnaient à James l'impression d'être enfin en vacances.

Le soir, il gagnait les catacombes de Paris, seul chemin connu pour rejoindre la communauté sorcière française. Il passait une petite heure avec Scorpius et tous deux transplanaient vers Beauxbatons, où les rejoignaient Rose et Natasha.

Après que Rose soit partie se jeter dans les bras de Timothée, qui faisait ses gammes chez le botaniste le plus réputé de France, ils improvisaient parfois une partie de quidditch, à quatre, et la compagne de Scorpius s'avérait être une gardienne très douée. Et puis ils se séparaient, chaque couple partant d'un côté ou de l'autre de la petite forêt.

Le premier jour, James et Natasha s'étaient baladés sans trouver les mots, gênés par cette soudaine proximité, surpris d'être seuls, eux qui ne l'avaient plus été depuis si longtemps. Ils s'étaient figés en arrivant devant la maison que Natasha partageait avec Rose, trouvant un petit mot de celle-ci leur précisant qu'elle ne rentrerait pas de la nuit, qu'elle restait avec Tim. Ils avaient fait l'amour maladroitement, comme agissant par devoir, ne laissant pas s'exprimer le désir ardent qui brûlait pourtant en tous deux.

Ils espéraient qu'il ne s'agissait pas là d'une énième réconciliation, ce mot là leur laissant entendre que viendrait ensuite une énième dispute, une énième rupture.

Ils avaient parlé, pendant des heures, pendant des nuits, retrouvaient leur complicité, leurs habitudes, leurs taquineries. Ils savaient que ça ne durerait pas. Ils préféraient malgré tout profiter de ces instants volés, de cet amour profond et intact.

La constellation fut rapidement au complet, leur mission détaillée. James remercia Louis et son compagnon, quitta leur maisonnée du bonheur, fit un dernier détour par Beauxbatons.

Natasha ravalait sa peine, sa colère. Le temps était passé trop vite, surtout à ses yeux.

Les autres n'avaient rien dit, s'étaient contenté d'étreindre James brièvement, et d'espérer en silence que Natasha garderait son calme.

- Je croyais que ta mission se déroulerait ici, lâcha-t-elle.

- Je le croyais aussi. Mais nous devons empêcher un mage-à-nuages d'inonder l'Europe. Il était prévu qu'il officie à Paris mais il en a décidé autrement, et nous devons savoir pourquoi.

- Et il est où, ce type ?

- Nous n'en savons rien. Seulement qu'il possède trois élevages en France, à Wissembourg, dans le Bas-Rhin, à Athis-Mons, en Essonne et à Beauvais, dans l'Oise.

- Mais alors... Tu ne seras pas très loin. Tu pourras... revenir ?

- Oui. Je ne sais pas encore à quelle fréquence mais j'ai racheté un téléphone, pour qu'on puisse se joindre plus rapidement, se donner des petits rendez-vous secrets, comme avant.

L'idée semblait plaire à Natasha qui se permit de sourire plus franchement.

Alors que la constellation s'était toujours fait un devoir d'obtenir des résultats prestement, cette mission française les voyait prendre leur temps pour la première fois. Le fiancé de Brooke avait débarqué par surprise, amenant sa chère et tendre dîner au sommet de la Tour Eiffel, Charlotte et Nicolas profitaient de leur famille, Slawomir retrouvait avec bonheur une de ses amies, devenue joueuse professionnelle de quidditch en France, chez les Tapesouafles de Quiberon, et James passait le plus de temps possible auprès de Natasha.

Ils culpabilisaient un peu de faire durer leur mission mais la Confédération Magique Internationale n'était pas dupe, et les laissait faire, car ils maîtrisaient la situation et qu'ils enchaînaient les missions depuis plusieurs années sans se plaindre, en redoublant toujours d'effort.

Malheureusement cette pause ne dura qu'un temps et la constellation dut repartir sur les routes.

ooOOoo

Poudlard

Ils avaient commencé le lendemain d'Halloween.

Neith appelait ça leur « quête secondaire ».

Tous les soirs Méduse, Neith et Haïdar quittaient leurs dortoirs respectifs et parcouraient les couloirs à la recherche de jeunes élèves maltraités. La mode était à l'enfermement des jeunes élèves dans les placards du château et les préfets n'étaient pas assez nombreux pour tous les libérer rapidement.

Le soir d'Halloween, alors qu'ils s'étaient gavés de friandises à l'écart des autres élèves, Méduse avait suivi son grand-frère, un sixième année qui jouait les gros durs et qui avait fait des plus jeunes ses pantins d'entraînement. Haïdar, qui avait fait les frais de ce traitement de faveur une année durant n'avait pas hésité à emboiter le pas de Méduse, bien décidé à éviter à d'autres ce qu'il avait enduré. Mais ce fut Neith qui fut la plus rapide, cassant d'un uppercut le bras du frère de Méduse. La jeune fille, sans limite, avait écopé de plusieurs retenues. Et Haïdar avait craint que l'amitié entre les deux filles ne s'envole. Mais le frère de Méduse avait apprécié la force de Neith et promit de l'épouser dès qu'elle atteindrait la majorité.

Depuis, Neith se sentait investie d'une mission, celle de sauver un maximum d'élèves de la cruauté adolescente, et Méduse et Haïdar l'épaulaient de bon cœur, s'attirant la sympathie des professeurs et la jalousie des préfets qui, tout en s'évertuant, faisaient moins bien que trois élèves de deuxième année.

Depuis qu'ils avaient débuté leur surveillance nocturne, Haïdar avait reçu deux lettres. La première, signée de son père, le réprimandait quelque peu. Quitter sa salle commune après le couvre-feu était interdit, et Haïdar et ses amies avaient été punis. Mais leurs directeurs de maison étaient plus fiers de leurs intentions qu'outrés qu'ils ne respectent pas le règlement. La deuxième lettre, c'était James qui l'avait envoyée. Son grand frère l'avait félicité, arguant que tant qu'il était prudent, il pouvait continuer à protéger les autres élèves. C'était à cette lettre qu'il pensait en rejoignant ses amies ce soir-là.

Comme tous les soirs, Neith passa devant, brandissant sa baguette sur la moindre zone d'ombre, bondissant d'un point à l'autre en veillant à toujours se protéger d'une armure ou d'une gargouille.

Comme tous les soirs, et suivant ses recommandations, Méduse et Haïdar restaient derrière elle, ouvrant les placards méticuleusement, tout en parlant de leurs cours.

- … j'ai eu la meilleure note, se réjouissait Méduse. Et pourtant je partageais ce cours avec les Serdaigle !

En deuxième année, les cours accueillaient toujours les élèves de deux maisons, et Haïdar s'installait avec Méduse et Neith dès que l'occasion se présentait. Lorsque les Poufsouffle se retrouvaient avec les Serdaigle, Haïdar s'installait de force à côté d'un élève, toujours le même, qui n'avait d'autre choix que d'acquiescer à la bouille enfantine d'Haïdar et à son sourire, toujours solaire.

- Tu as pu parler à Piotr ?

- Comme tous les jours, répondit Méduse. Je lui ai parlé et il n'a pas répondu.

- Il écoute, c'est déjà ça.

- Ça lui ferait sans doute du bien de parler. L'an dernier j'aurais bien aimé avoir quelqu'un à qui parler.

Haïdar acquiesça, repoussant le souvenir douloureux de sa première année. Rencontrer Neith et Méduse avait tout changé en lui. Il regardait Poudlard avec des yeux nouveaux, émerveillés, il ne se ruait plus sur les colis que sa mère lui envoyait, ne se cachait plus pour lire ses lettres et ne s'enfermait plus pendant des heures dans la volière. La vie à Poudlard était devenue un jeu, une aventure, celle que Neith avait inventée, celle que leur amitié avait renforcée.

- Stop, intima Neith. J'ai entendu quelque chose.

Méduse s'arrêta, souriant légèrement.

- On est à Poudlard, le bruit est omniprésent.

- Moi aussi j'ai entendu quelque chose, intervint Haïdar en sortant sa baguette.

Ignorant les recommandations de Neith – elle était bien capable de faire exploser le couloir dans lequel ils se trouvaient – Haïdar ouvrit le placard le plus proche, explorant son large fond d'un puissant Lumos. Au travers des balais et des serpillères emplies de poussière il devina une forme humaine et dévia sa baguette, pour ne pas aveugler celui qui était visiblement attaché. Sans réfléchir il tendit sa main libre et aida le prisonnier à se relever.

Il libéra l'élève, plutôt grand pour son jeune âge, qui gigota dans tous les sens une fois dans le couloir. Il semblait se débattre avec quelque chose et Méduse, gardant son calme, retira une petite salamandre de son col.

- Tout va bien, assura-t-elle d'une voix apaisante.

L'élève leur tournait le dos. Son uniforme, couvert de poussière, laissait entrevoir un écusson bleuté, signe qu'il était élève de Serdaigle. Les tatouages sur sa nuque firent sursauter Haïdar.

- Piotr !, s'exclama-t-il en retournant son ami. Ça va ? Tu n'es pas blessé ?

Le jeune slave recula, l'air renfrogné.

- J'ai rien.

Il mentait, se grattait le haut du dos, signe que la malandre avait dû se balader longtemps entre ses omoplates. Et ses yeux étaient rougis.

- Qu'est-ce qui s'est passé ?, demanda Méduse avec douceur.

- As-tu vu tes agresseurs ?, intervint Neith. Est-ce que tu as repéré un signe, une marque, un emblème ? Est-ce qu'ils ont laissé un message pour moi ?

- Tu dois le retrouver dans la cour du clocher à minuit pile pour un duel à mort, rétorqua-t-il en levant les yeux au ciel.

- Voldemort ?, souffla Neith, inquiète et résolue à la fois.

- Mais non, andouille ! On n'est pas dans un jeu, par Merlin !

- Je le sais bien. On est dans mon rêve.

Piotr soupira contre cette « folle » qui l'exaspérait. Avant de reculer dès qu'Haïdar s'approcha de lui.

- Laisse-moi tranquille.

- Pourquoi ?

- Je vous ai entendu parler de moi.

- Et c'est si grave ? Qu'on parle de toi, Méduse et moi ? On t'apprécie, Piotr, on voudrait juste…

- Non. Je… Je ne suis pas comme vous, ok ?

Haïdar s'immobilisa, surpris, et éclata de rire.

- Je crois que tu vexerais Méduse si tu lui disais qu'elle est comme moi.

- Ou comme moi, renchérit Neith.

- On n'est rien de plus ou de moins que des élèves de deuxième année.

Haïdar accompagna cette affirmation d'un sourire que Piotr jugea sincère. Il fallait avouer qu'Haïdar ne se forçait jamais à sourire. Méduse, Neith et lui ne forçaient jamais rien ni personne, se montrant toujours tels qu'ils étaient. Cette franchise à toute épreuve faisait d'eux des incompris, des rebelles. Ils étaient différents et n'essayaient pas de le cacher. Aux yeux de Piotr il ne faisait aucun doute que les trois deviendraient de grands sorciers, brillants et respectés, des modèles à suivre, des leaders. Tout ce qu'il n'était pas, tout ce qu'il ne serait jamais. Il ne se sentait pas capable de devenir l'un des leurs.

- Les quatre éléments, tout ça, c'est pas pour moi. Les quêtes, les balades la nuit pour jouer les justiciers c'est… c'est trop pour moi. Je veux juste… être tranquille. Laissez-moi tranquille.

- Tu préfères être seul ?, s'étonna Neith. C'est nul d'être seul. C'était nul l'an dernier, j'étais seule et je n'ai pas aimé ça. C'est plutôt chouette d'avoir des amis. Tu peux me croire.

- Je ne suis pas fait pour ça, répéta Piotr en regardant le sol. Les autres ne comprendraient pas. Ils ne l'accepteront pas. Ils disent que je suis mauvais et que je ne dois pas m'approcher des autres élèves. Le premier jour je me suis assis à côté d'une fille et sa potion a explosé, comme ça, sans raison. Je porte malheur.

- C'est faux, coupa Haïdar, sûr de lui. Je m'assois souvent à côté de toi et j'ai de très bonnes notes, il ne m'arrive rien de mal.

- C'est normal, affirma Neith avec évidence. Tu es immunisé. Piotr a des pouvoirs, comme Méduse, toi et moi. Mais on est immunisés contre les pouvoirs des autres, parce qu'on est alliés.

Méduse et Haïdar l'observèrent en souriant. Neith était vraiment unique en son genre. Piotr, lui, réprima son sourire, levant les yeux au ciel, soudain moins dépité.

- Vous ne lui dites jamais qu'on n'est pas dans un rêve ?

- On est dans mon rêve !

- Mais oui, Neith, acquiesça Méduse.

- Pourquoi ?, demanda Piotr à Haïdar.

- Parce que la vie, depuis qu'on a rencontré Neith, ressemble drôlement à un rêve. Aller, viens, on va faire une bataille de boules de neige.

- Quoi ? Maintenant ? Mais il fait nuit ! Et super froid !

- La neige sera toute fraiche, ce sera génial, sourit Méduse.

- Je pars devant !, affirma Neith. S'agirait pas de croiser Voldemort sans s'y attendre.

Bien que récalcitrant, Piotr leur emboita le pas, regardant nerveusement derrière lui de peur d'attirer l'attention d'un professeur ou d'un préfet. Mais le danger n'existait plus, chassé par une Neith énergique et bondissante, et seule la conversation de ses amis berçait leur sortie.

Le parc était désert et la neige immaculée. Le paysage, d'une beauté à couper le souffle, arrêta net la fougue de Neith.

- Tu mets sur pause ?, proposa Méduse.

- Carrément. On doit faire le plein d'énergie.

Sur ce, elle se rua en avant, zigzagant entre les arbres, faisant rire Méduse qui dansait sous les étoiles. Haïdar marcha un peu, cherchant la poudreuse la plus attirante, et se laissa tomber sur le dos, disparaissant dans l'épaisse couche de neige. Piotr resta à ses côtés, observant ses trois camarades avec autant d'étonnement que d'émotion.

Ce soir-là, alors que trois élèves agissaient comme nul autre en ces murs, Piotr se livra. Il se confia sur son enfance, passée dans un orphelinat, sur son adoption, sur ses parents, sur son arrivée à Poudlard, sur cette bande qui affirmait que ses tatouages étaient de mauvais augures.

Ce soir-là, il vida son cœur, ses pieds gelés par la neige qui les recouvrait.

Ce soir-là, il parla à en perdre sa voix, rendue tremblante par le froid de l'hiver.

Ce soir-là, il ne rentra pas seul, escorté par la baguette dressée d'une Gryffondor téméraire, d'une Serpentard qui portait l'odeur de la mer et d'un Poufsouffle au sourire étincelant.

Ce soir-là, il n'était plus seul.

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Castel Maggiore

La calèche déversait son flot de passagers. Monsieur Calzone, le majordome des lieux, les observait se dégourdir les jambes devant l'entrée et, pour les plus exaltés, courir sur les plateaux et jusque dans les vignes. De mémoire d'homme, jamais Castel Maggiore n'avait accueilli tant d'invités.

Le maître, bien apprêté, se tenait dans le hall, prêt à saluer chacun des convives. A ses côtés, son épouse, ses deux filles et son jeune fils admiraient leurs belles tenues, heureux de les porter à nouveau. D'ordinaire, ils passaient Noël en Irlande, ne gagnant l'Italie que l'été venu. Deux jeunes hommes dégringolèrent les grands escaliers en riant, avant d'adopter une attitude moins désinvolte. C'est que l'intendante des lieux les avait à l'œil.

James et Mael ajustèrent vestons et cravates avant de s'installer aux côtés des Zabini. Haïdar en profita pour se déplacer de quelques centimètres, se rapprochant de son frère qui ignora le règlement de la maison et lui ébouriffa ses courts cheveux d'ébène.

- Tes amis te manquent, bonhomme ?

- Un peu, avoua le garçon. Mais je suis heureux d'être là. Ces vacances vont être géniales. Grace à toi.

James le serra contre lui sous le regard fier de leur père. Blaise n'en finissait plus de sourire, personne ne l'avait jamais vu aussi radieux et il avouait à qui voulait bien l'écouter qu'il n'avait jamais été aussi heureux.

- Monsieur, madame, mesdemoiselles et messieurs, entama le majordome en s'effaçant, vos invités sont arrivés.

Un capharnaüm d'anthologie précéda l'entrée tonitruante d'une foule nombreuse. Les exclamations de ceux qui découvraient les lieux, les soupirs émerveillés de ceux qui les retrouvaient, laissèrent bientôt place aux embrassades et effusions de joie.

James serra des dizaines de mains et ses joues portaient la trace d'autant de bises. Mais de ces retrouvailles il n'en garda qu'une, la dernière, alors que Natasha se présentait à lui dans une somptueuse robe de velours vert.

- Mademoiselle Kandinsky, la salua-t-il en une révérence admirative. Vous êtes radieuse, comme à votre habitude.

- Un peu plus quand même j'espère, vu que j'ai passé trois heures à me préparer.

- Faut vraiment que je retrouve le manuel de la sorcière emballée, chuchota Mael à son oreille. Mec, t'as complètement oublié les bases.

- Bien, reprit James. Mademoiselle, vous qui irradiez le monde de votre beauté naturelle défrayez les limites du céleste en cette soirée rendue inoubliable par votre exquise présence.

Entrant dans le jeu de Mael, Natasha détailla James des pieds à la tête, la moue songeuse.

- Ça passe pour cette fois.

Elle s'éclipsa le temps de saluer les Zabini et il la dévora du regard, indifférent des rires moqueurs qu'il provoquait chez Mael et Haïdar.

Une heure passa alors que tous se retrouvaient, se rencontraient, échangeaient les dernières nouvelles.

James passait d'un groupe à l'autre, d'un sourire à une étreinte, avec le plus grand bonheur.

Natasha, Rose et Tim avaient fait le voyage depuis la France. Scorpius et sa compagne s'embrassaient discrètement dans un recoin du grand hall, les Malefoy les observaient avec joie, Pansy et sa fille ricanaient en chœur, Théodore Nott essayait gentiment d'expliquer à Haïdar qu'il était trop grand pour qu'il puisse le hisser sur ses épaules, Daniel, Trisha et Eliott échangeaient des conciliabules, Soizic, Briseis et Lily admiraient l'anneau que Gwenog portait à son doigt, le vieux James courait d'un membre à un autre de son arbre généalogique.

James ne quittait pas Mael, qui se sentait bien seul dans ce décor de vert et d'argent. Voilà un an que Nalani et lui étaient séparés, et l'ancienne Serdaigle avait refusé l'invitation de James, comme le reste de leurs amis.

Mais le leader de l'ancienne bande ne désespérait pas. Bien au contraire. Il se plongeait volontairement dans des rêveries fantasmées où les amis se rejoignaient pour ne plus se quitter.

Ainsi, lorsque les convives prirent place autour de l'immense sapin de Noël que Blaise avait installé dans le grand hall, James pria pour que la vie lui offre le cadeau de ses rêves, que ses amis soient à nouveau à ses côtés. A tout jamais.

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Revoir Castel Maggiore l'avait rasséréné. Mais la fête n'avait pas duré, car les membres de la constellation de James s'étaient vu offrir une mission toute aussi longue que passionnante, sur les traces des "manipulateurs de la foi". James avait le secret espoir de croiser la route de ceux qui partageaient les desseins des frères Zigaro.

Le voyage débuta dans le Ladakh, un district de l'extrême nord de l'Inde, dans l'état du Cachemire. James avait toujours rêvé de découvrir cette région du monde surnommée "Petit Tibet" qui ne connaissait pas la mousson, contrairement au reste de l'Inde. Shekilah, habituée à voir l'Asie toute entière arrosée de trombes d'eau pendant des jours durant, était aussi impatiente que James de découvrir un morceau d'Inde aride et pauvre en flore.

Le Portoloin les avait abandonnés en très haute altitude, et James et Evora s'étaient transformés, courant à perdre haleine, avalant une plus grande distance que leurs acolytes qui les suivaient de loin. Si Evora se montrait attentive à toute étrangeté, James cherchait à atteindre l'université sorcière la plus proche. La poursuite des manipulateurs de la foi les amenait toujours dans une université sorcière, ces lieux de savoir étant devenus le terrain de jeu des précepteurs d'autrefois qui usaient de leur influence pour endoctriner les apprentis sorciers du monde magique.

Après ses importantes découvertes au Temple, James avait été félicité par le plus influent des Grands Mages de la Confédération Magique Internationale, Abdelraouf de Chelghoum. Ce Grand Mage lui avait donné carte blanche, adoubant et missionnant l'ensemble de sa constellation afin qu'ils poursuivent les manipulateurs de la foi.

Cette mission, l'ultime de leur apprentissage, faisait battre leur cœur à l'unisson. Et leur laissait entendre que leur formation prendrait bientôt fin.

Bientôt ils deviendraient représentants de la Confédération Magique Internationale.

Bientôt ils seraient nommés ambassadeurs de la paix.

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Ils étaient en Inde depuis trois semaines lorsqu'ils avaient entendu parler d'une mort suspecte à quelques miles de Ladakh. En pause, James et Mateus avaient joint la ville la plus proche, afin de prendre des nouvelles du reste du monde sorcier. La première bourgade sorcière était à trois jours de marche, ils avaient donc transplané plusieurs fois, avec prudence, s'assurant ainsi une avancée sécurisée mais bien plus rapide. Slawomir leur avait parlé d'une échoppe qui recevait la presse du monde sorcier et chacun s'était rué sur le journal de son pays, la Gazette du Sorcier pour James, el Diapo del Bruxo pour Mateus.

James était en train de dévorer le compte rendu du dernier match de la Ligue britannique de quidditch, qui opposait les frelons de Wimbourne aux Pies de Montrose, lorsque Mateus l'avait hélé, la voix grave.

- Quelqu'un est mort de façon suspecte, chez moi. Le même jour qu'ici, et dans les mêmes circonstances.

Choqué, et animé d'un mauvais pressentiment, James avait retourné la Gazette, tremblant en découvrant un tout petit article informant la communauté qu'une sorcière de soixante ans avait été tuée sans qu'on ne connaisse la cause ni l'arme du meurtre. Le journaliste ajoutait que le bureau des Aurors refusait de se prononcer pour le moment.

Mais James n'avait pas besoin de plus d'informations pour savoir que la panique allait à nouveau s'emparer de la communauté magique internationale. La chute des Zigaro et la fermeture du Temple leur avait donné du calme, du temps, de l'espoir. Mais les Zigaro n'étaient pas seuls, les manipulateurs de la foi étaient partout et les complotistes se nourrissaient de la détresse et de la peur.

- Il ne nous reste plus qu'à espérer que ça s'arrête là, soupira Mateus.

Il savait pourtant que ses espoirs resteraient vains. Le mal était contagieux et se propageait sans relâche, bien plus vite que la conviction de ceux qui luttaient pour le bien et la paix.

- Il ne nous reste plus qu'à espérer que nous soyons assez forts et assez nombreux pour nous défaire de cette menace, rectifia James.

Le jeune anglais espérait surtout que les générations à venir n'aient pas à craindre une quelconque menace. Et il se savait prêt à tout pour faire de la préservation de la paix son objectif de vie.

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Une de la Gazette du Sorcier – Les envahisseurs hyperactifs : Comment les « fils de » s'approprient notre communauté, par Ly Bee

« Quidditch, commerce, relations internationales, les fils de sont présents dans chacun des hauts lieux de notre communauté et s'évertuent à la bouleverser sans ménagement.

Fils de ou amis de ?

Leur premier point de commun provient de leur héritage. Ils sont les fils et filles de héros, de célébrités, les fils et filles de ceux qui se sont battus contre Voldemort et ses tristement célèbres mangemorts.

Mais ils sont surtout liés par une amitié, dont on a beaucoup vanté les mérites. A tort et à outrance. Car en plus d'être des fils de héros, ces jeunes adultes sont surtout les amis de James Sirius Potter, l'Héritier tour à tour moqué, encensé, adulé, décrié.

Le plus célèbre des fils de

James Sirius Potter a toujours dénoté. Il ressemble peu à son père le Survivant, s'est éloigné des Weasley avec qui il n'a plus aucun rapport selon nos sources, et n'a eu de cesse de s'affranchir des traditions familiales en s'acoquinant auprès des aigles, des blaireaux, et des serpents.

Il a puisé dans chaque maison de Poudlard pour construire une bande disparate dans le but de paraître tolérant.

Il s'est lié d'amitié avec des fils de Mangemorts dans le but de laisser croire que la nouvelle génération s'émancipait de la guerre entre le bien et le mal, colorant un monde longtemps réduit au blanc et au noir.

Héritier malgré lui

Harry Potter Le Survivant a réussi seul, à peine entouré du Cerveau Hermione Granger et de la désormais célèbre famille Weasley. Peu d'amis et peu d'alliés, Harry Potter s'est construit seul, devenant le héros que l'on connait.

Son Héritier a choisi d'agir différemment, et ce dès sa onzième année, s'entourant d'une douzaine d'amis, choisissant méticuleusement parmi les fils de, mais aussi parmi des enfants moins connus, et donc moins intéressants. Car James Sirius Potter a vite compris que s'entourer de fils de ne suffirait pas à redorer son blason.

« Je n'ai rien choisi, rien calculé. Nous sommes devenus amis par affection, par affinité, comme deviennent amis tous les enfants du monde. Un goût prononcé pour le quidditch, une envie commune d'apprendre et de découvrir Poudlard, beaucoup d'aventures, de blagues et de tendresse. Des souvenirs inoubliables », ose prétendre James Sirius Potter. Comme s'il n'avait jamais eu d'arrière-pensée, comme s'il n'avait jamais eu d'autre ambition que d'être heureux en amitié.

De l'ombre à la lumière

La presse, après avoir trainé James Sirius Potter dans la boue pendant près de dix ans, l'a encensé à sa sortie de Poudlard. La chute des Zigaro, la fermeture du Temple, la libération de centaines d'étudiants ensorcelés lui ont permis de glisser de l'ombre familiale à la lumière la plus pure. La perte de Keith Corner et ses lourds sanglots exagérés ont ému la sorcière.

Ses amis, profitant de sa soudaine suprématie, se sont propagés tels des virus dans notre hôpital, notre ministère, nos terrains de quidditch.

Nalani Jordan a créé son équipe de quidditch, bouleversant jusqu'aux règles les plus ancestrales de la ligue britannique, Keanu Ganesh et Solenne Oranche ont gravi les échelons de Sainte Mangouste sans effort, et Susie Finigan, après avoir épousé un autre fils de, est en passe d'ouvrir son deuxième restaurant.

La prophétie de l'héritier

La semaine dernière, James Sirius Potter affirmait à nos confrères indiens que « le mal se propagerait toujours » et qu'il était « de notre devoir à tous de s'opposer à sa propagation ».

A nous, chers lecteurs, de réfléchir à ces mots.

A nous, chers lecteurs, de ne pas nous laisser manipuler par ceux qui ont désormais la main mise sur notre communauté.

Quidditch, politique, commerce, enseignement, les fils de pullulent, abondent et se multiplient.

Susie Finigan et Oscar Dubois attendent leur deuxième enfant. Pepper Warwick et Clifford de Woodcroft leur emboitent le pas. Alice Londubat et Keanu Ganesh, Nalani Jordan et Mael Thomas, et jusqu'à l'Héritier en personne ne tarderont pas à s'y mettre.

Ils étaient une dizaine à Poudlard, leurs enfants seront peut-être cent, leurs petits-enfants seront peut-être mille.

Et alors, chers lecteurs, que pourront nos enfants contre les leurs ?

A nous, cherches lecteurs, de nous opposer à la propagation du mal. »

- Balivernes !, cracha Blaise Zabini. C'est qui cette Ly Bee ?!

Sa voix, rendue orageuse par l'écœurement, fit trembler Evelyn. La nuit était tombée depuis longtemps sur l'attablée, la crème pâtissière durcissait dans les assiettes en cristal. Quand Blaise lui avait proposé d'organiser ce grand repas de famille, Evelyn avait fait appel à un traiteur. Elle parvenait à nourrir convenablement son mari et ses enfants mais ne se risquait jamais à cuisiner pour plus de six personnes. Et ils étaient près de vingt autour de la table.

- Je me renseignerai au ministère, proposa Malek Lespare.

A sa gauche, sa compagne approuva d'un hochement de tête.

- James ne devrait même pas leur répondre, ajouta-t-elle avec mépris. Ils ne méritent pas qu'on se batte contre eux.

- Je ne suis pas d'accord, contra Malek. James possède une force incroyable, celle de rassembler autour de lui. Ses amis, nous tous, ses collègues… D'autres peuvent nous rejoindre.

- Nous n'avons pas besoin d'eux.

- Le nombre fait la force, Amalthéa, affirma Malek.

- Je suis d'accord avec Malek, renchérit Briseis.

- Je préfère avoir confiance en un groupe restreint qu'avoir constamment peur en me battant aux côtés d'inconnus.

Amalthéa semblait si sûre d'elle que personne n'osa rétorquer quoi que ce soir, Evelyn la première. Lorsqu'elle était ainsi entourée de sorciers, elle évitait de prendre part aux conversations. Seule James l'incluait toujours, il attachait beaucoup d'importance à ce qu'elle pensait, tout comme il sollicitait l'avis des plus jeunes, ceux que d'autres auraient laissé sur la touche à cause de leur âge et de leur manque d'expérience.

Mais ni lui ni Haïdar n'était présent et tous deux lui manquaient terriblement. Ils partageaient un goût peu commun pour la tolérance, la curiosité et la bienveillance.

Aussi, en cette soirée de juin, elle se contenta de prendre la main tremblante de Blaise pour l'apaiser. La Gazette froissée et déchirée reposait sur la nappe de soie, fusillée de concert par Shania et Hadiya. L'aînée se balança sur sa chaise, comme pour calmer ses nerfs.

- On ne peut rien faire contre cette journaliste ?

- La presse est libre, balaya Blaise. Elle est décrite comme la nouvelle pépite de la Gazette et elle est jeune, tu peux être sûre qu'elle fera de James et ses amis des proies.

- Il faut bien avouer qu'elle a des arguments, releva Briseis. Si on ne les connaissait pas, on pourrait facilement s'étonner qu'ils soient si vite partout à la fois. Ils tiennent l'économie de notre pays dans leur main.

- De quoi rendre les gens frileux, approuva Malek. Ils oublieront vite que James et ses amis se sont construits dans le travail et l'entraide, pour seulement voir la position qu'ils occupent.

Le repas se termina sur cette cruelle vérité.

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Un planisphère épuré, minimaliste, entrecoupé de trois longues baguettes entourées d'une tresse d'asphodèles.

L'emblème de la Confédération Magique Internationale.

Une broche sertie de pierres précieuses que James portait fièrement depuis quelques semaines, comme tous ses acolytes, fiers représentants de la CMI.

Comme chaque membre de la CMI, James avait prononcé ses vœux, s'engageant à maintenir la paix et la sécurité internationale, à protéger les droits des hommes, des femmes, des enfants, moldus et sorciers et à garantir le droit international.

Désormais que les membres de sa constellation avaient vu leur appartenance officialisée par le Conseil Suprême de la CMI, leur rôle d'infiltré prenait fin, et commençait celui d'émissaire de la paix, du droit, de la justice.

Leur nomination s'était terminée par une célébration, et chaque membre avait eu l'opportunité d'inviter quelques proches.

Après avoir longtemps hésité, James avait décidé de ne pas prévenir ni inviter les Potter, à l'exception de Lily qui avait fait le voyage avec Rose et Natasha. Mael, Scorpius et les Zabini s'étaient joint à elles, acclamant comme il le méritait un James plus fier que jamais.

Depuis la fin de Poudlard, James avait avancé, découvert, dévoré, évolué. Sans savoir avec exactitude pourquoi, pour qui il luttait. Désormais il savait contre quoi il se battait.

Contre la victoire de l'unicité sur la singularité, du vide sur la richesse.

Il aimait sa vie ainsi, riche de rencontres et d'aventures.

C'était l'un des miracles de l'existence, voguer au travers de l'inattendu, construire, créer au fur et à mesure, sans savoir de quoi demain serait fait, pour le pire comme le meilleur.

Tout ce que détestait la Source car cela allait contre sa nature profonde.

L'idée même de liberté ne serait plus qu'un souvenir si la croyance prenait le pas sur l'espoir.

La vie deviendrait linéaire, sans surprise.

Il ne voulait pas vivre ainsi. La vie, il voulait la mordre, la caresser, la dévoiler. La vie, il voulait que chacun puisse la découvrir avec des yeux nouveaux, sur un seul pied d'égalité. La vie était devant lui, et elle promettait d'être belle.

Alors, quand le Grand Mage Abdelraouf de Chelghoum lui proposa de découvrir l'Atlantide, il n'hésita pas. Il n'entendit pas qu'il serait absent longtemps, il n'entendit pas qu'il lui était interdit d'en parler à qui que ce soit. Il était un enfant curieux et insatiable et opéra comme tel, en s'élançant sans réfléchir et sans se retourner.

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La presse pouvait bien leur inventer les desseins les plus sombres, les fils de, les amis de James Potter, les nouveaux visages de la communauté sorcière britannique, peu importe quel surnom on leur donnait, continuaient d'avancer à leur manière, en s'efforçant de toujours se montrer honnêtes, tempérants et passionnés.

L'équipe de quidditch de Wigglebay survolait le championnat de la toute récente deuxième ligue britannique, trônant en tête depuis la première journée. Le département des jeux et des sports magiques du ministère avait voté le gel temporaire des deux Ligues, une mesure qui permettait aux jeunes équipes de se professionnaliser avant de tenter l'ascension vers la première Ligue.

Les joueurs de Wigglebay, entraînés par Nalani Jordan, rongeaient leur frein, déjà pressés de se frotter aux équipes professionnelles. Certains joueurs, moins patients que d'autres, avaient laissé échapper que leur équipe était bien meilleure que les célèbres Canons de Chudley, derniers de la première ligue, et qu'ils n'auraient pas de mal à rivaliser contre les Chauves-Souris de Ballycastle ou les Crécelles de Kenmare. Ces prétentions de leur part avaient été relayées dans la presse et ils s'étaient attiré les foudres de la plupart des équipes professionnelles qui ne voyaient pas d'un très bon œil la montée en puissance de nouvelles équipes. Surtout que certaines avaient espéré pouvoir recruter Lucy Weasley et Adélaïde Lespare, les incontestables leaders de l'équipe de Wigglebay.

L'acharnement de Nalani Jordan, prête à tout pour mener son équipe au plus haut niveau, voyait naître son pendant dans le domaine artistique, Pepper Warwick s'étant hissée parmi les directrices artistiques les plus brillantes de sa génération.

Si l'influence de Mael Thomas dans les relations sorciers-moldus grandissait, les longues années de dur labeur de Keanu Ganesh portaient leurs fruits. Quant à Solenne, sa suprématie sur les étudiants en médicomagie était telle qu'on lui prédisait une carrière plus prestigieuse encore que celle du professeur Helbert Spleen.

Clifford de Woodcroft faisait prospérer l'entreprise familiale, Irina s'était fait une place – et un nom – au ministère de la magie, Jean-Paul menait ses propres enquêtes au département des Mystères, Vincent et Juliet avaient créé la Fondation Keith Corner, Louis dressait des dragons, Fred fabriquait des balais et Oscar supervisait l'organisation de la prochaine coupe d'Europe de quidditch.

Susie, enfin, venait d'ouvrir son deuxième établissement, l'Expresso Patronum, un salon de thé branché où se retrouvait la jeunesse du pays. Et pas seulement. Ce nouveau lieu était constamment surveillé par une dizaine de journalistes qui espéraient apercevoir les célèbres amis de la « fille de ». Mais alors qu'ils avaient attendu James Sirius, ce fut Lily Luna qui poussa les portes du petit café.

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Depuis que James était loin et qu'Albus était en disgrâce, Lily était devenue le centre de toutes les attentions. Et de toutes les convoitises. Ses parents avaient obligé Albus à suivre un long apprentissage en France, auprès de l'Auror Donovan. C'était le vieux James qui avait soufflé l'idée à Harry, arguant que la dernière échappatoire d'Albus avant Azkaban était l'éloignement. De sa famille, de l'Angleterre, de l'emprise des Zigaro. Albus n'avait pas fait d'histoire. La mort de Tom Zigaro et l'incarcération d'Elvis l'avaient bouleversé. Il s'était attendu à les voir triompher. Leur échec anéantissait tous ses projets, et tous ses rêves.

Alors la communauté avait fait de Lily Luna Potter le sujet des pauses déjeuner, des rumeurs échangées devant Gringotts, des discussions entre deux étages du ministère. Le fait qu'elle se soit retirée sur une île alimentait l'imagination des plus médisants et la moindre de ses apparitions à Londres attirait tous les journalistes du pays.

- J'ai largué Bryan au fait.

Lily releva la tête, reportant son attention sur sa meilleure amie, qui posait devant elle deux bièraubeurre. Lily avait pris l'habitude de prendre d'assaut la table la plus à l'écart de l'Expresso Patronum, pour y être le plus tranquille possible, et pour éviter de croiser les regards débordants de curiosité qu'on lui adressait toujours.

- Bryan ?

- L'ex Serpentard avec qui je sortais depuis trois semaines, soupira Serena Velsen, amusée.

- Oh…

Au fil des années, Serena Velsen était devenue la bombe de Poudlard. Rares étaient ceux qui lui résistaient, tous se bousculaient pour l'accompagner à Pré-Au-Lard, ce qui lui valait la jalousie de nombreuses filles. Mais pas de Lily qui adorait sa meilleure amie et la connaissait par cœur. Elle n'ignorait donc pas le plus intime des secrets de Serena.

A quinze ans, elle avait connu une relation plus qu'éphémère avec Hugo. Un pari qui ne devait pas avoir de suite, et pourtant. Serena était tombée amoureuse du cousin de Lily, Hugo Weasley, le capitaine de l'équipe de quidditch de Gryffondor qui faisait tourner toutes les têtes, lui aussi.

- Tu ne vois pas de qui je parle, rit Serena.

Lily haussa les épaules. Elle avait toujours différencié ses amis du reste de Poudlard, dont elle ne conservait guère de souvenirs. Elle ne savait pas comment Serena avait fait pour trouver tous ses petits-amis, qu'elle choisissait méticuleusement parmi les Serpentard et les joueurs de quidditch, soit les garçons qu'Hugo considérait comme ses ennemis. Et Lily avait toujours eu bien du mal à distinguer tous ces garçons qui s'éprenaient de sa meilleure amie.

- Je suis certaine que tu vois qui il est. Il est apprenti Auror lui aussi.

- Je ne vois pas le rapport avec Kent, rétorqua Lily en regardant tout autour d'elle avec crainte.

Keziah Kent était son petit-ami depuis la fin de leur dernière année à Poudlard. Le sujet aurait pu faire les gros titres mais, heureusement pour Lily, rares étaient ceux qui savaient qu'ils étaient ensemble. Ils vivaient pourtant l'idylle parfaite. Une idylle qui comblait Lily de bonheur, une idylle qui durait à la plus grande surprise de Keziah, qui avait sans cesse peur que sa mauvaise réputation ne porte préjudice à Lily.

- Il t'aime tellement, ça crève les yeux. Il ne t'a pas quittée des yeux ce matin quand on l'a croisé sur le Chemin de Traverse. C'est tellement rare que mademoiselle daigne quitter son île et ses petites bébêtes toutes poilues…

Depuis qu'elle vivait sur son île, Lily ne la quittait que rarement. Elle invitait très peu de gens, seulement quelques proches amis. Keziah. Ses amis de Poudlard. Les jumeaux Scamander, tout aussi sauvages qu'elle, qui travaillaient à ses côtés. Et James, quand il daignait lui rendre visite.

Imprimant le souvenir de son frère, fièrement diplômé de la Confédération Magique Internationale, Lily se plongea dans un fin rouleau de parchemin.

« Ma chère Lily,

Aujourd'hui je ne t'appellerai pas « ma toute petite sœur », même si je sais que cela t'amuse autant que moi. C'est ton anniversaire, tu as bien mérité que je traite différemment.

Je ne suis pas surpris que tu te voues à tes projets d'avenir. Tu n'as jamais fait ce qu'on s'attendait à te voir faire, tu t'es toujours distinguée et tu peux être très fière de toi. Moi je suis extrêmement fier que tu sois ma sœur.

Je ne sais pas si nous aurons l'occasion de nous voir prochainement, je pars demain pour plusieurs mois d'exploration en Antarctique (autant te dire que je meurs d'impatience) et je ne pourrais donc te voir pour Noël. Mais je me suis occupé de l'expédition des cadeaux, tu recevras ça par hibou en temps voulu. J'espère que ça te plaira. Peut-être nous verrons-nous à mon retour, dans ton île aux merveilles. Peut-être me présenteras-tu l'élu de ton cœur, qui sait. Dans tous les cas je ferai tout pour être là lors de l'ouverture du domaine des Lys.

Je t'embrasse très fort, ô grande éthologue.

James

PS : Tu restes ma « petite » sœur malgré ton âge (et tes rides naissantes). Tu le resteras toujours. Ton frère qui t'aime. »

Lily replia la lettre qu'elle connaissait pourtant par cœur, ses oreilles engourdies par le bruit ambiant. A ses côtés, Serena s'étirait pour lire au-dessus de son épaule.

- C'est mon frère.

- Lequel ?

- James.

- Ah, soupira Serena en souriant niaisement.

A la table voisine, Hugo en profita pour grogner de désapprobation et Lily leva les yeux au ciel.

Serena, qui avait dû quitter l'Angleterre pour poursuivre ses études de Métamorphoses, revenait au pays une fois par semaine, et exigeait de voir sa meilleure amie. Et toutes les semaines elle était accompagnée d'un garçon à la tignasse rousse. Son colocataire.

Les étudiants qui avaient projeté de faire leurs études au Temple avaient été accueillis en urgence par d'autres universités après sa fermeture. Serena et Hugo, seuls étudiants britanniques souhaitant étudier la Métamorphose, avaient dû partager le même appartement, et Serena n'en finissait pas d'attirer l'attention d'Hugo en le rendant jaloux.

Ils se tournaient autour depuis si longtemps que Lily espérait de tout son cœur qu'ils se rapprochent pour de bon.

Le bar était presque vide. Lily adorait ne rien faire comme les autres, elle passait le plus clair de son temps à l'extérieur, surtout par temps froid et humide, et ne se réfugiait à l'intérieur que lorsque le lieu se vidait. Préférant ignorer Serena et Hugo qui se chamaillaient, elle jeta un œil expert à la revue bimensuelle consacrée aux créatures magiques les plus rares. Il en existait tant qu'elle ne se lassait jamais.

- J'avais une peluche qui ressemblait à ça.

Lily sursauta, étonnée de n'avoir pas entendu le nouveau venu arriver. C'était un jeune garçon à la peau noire et aux cheveux d'ébène.

- Bonjour Lily. Je ne crois pas que tu saches qui je suis. Je m'appelle Haïdar. Haïdar Zabini.

- Je te reconnais. James m'a montré des photos, de Castel Maggiore.

Elle s'interrompit, gênée et cherchant ses mots. A la table voisine, Hugo avait plissé les yeux.

- Je voulais te saluer, comme ça… parce qu'on a le même frère, ajouta le jeune garçon avec un sourire avenant.

- Certainement pas, cracha Hugo. Tu devrais dégager avant qu'un journaliste ne t'entende. T'entendrais plus jamais parler de James, tu peux me croire.

Le jeune adolescent se tourna vers lui, effrayé. Il paraissait évident qu'il avait agi sans réfléchir en reconnaissant Lily.

- Ne t'inquiète pas, Haïdar, nous sommes seuls, le rassura Serena. Hugo dit n'importe quoi. Comme d'habitude.

- Mais…, voulut contrer Hugo.

Serena se jeta sur lui et l'embrassa pour le faire taire, à la plus grande surprise de Lily et Haïdar qui en restèrent cois. Avant d'éclater d'un rire bref et nerveux. Et de s'immobiliser aussitôt, pour mieux s'observer. Lily ne pouvait s'empêcher de rechercher chez l'adolescent un trait qui lui soit familier. Mais elle ne retrouvait pas James dans cette peau sombre et ces cheveux tout aussi noirs. Pourtant quelque chose dans ses yeux brillait de la même intensité que les yeux de James. Une curiosité saine, une soif d'aventure, une bienveillance évidente.

- Alors… J'imagine que tu es en âge d'aller à Poudlard. T'es dans quelle maison ?

- Poufsouffle, souffla-t-il, vaguement gêné. Je vais vous laisser. Ça m'a fait plaisir de te rencontrer, Lily.

Lily haussa les sourcils. Il paraissait sincère. Lily se rappela sans mal des mots réconfortants que James murmurait souvent, qu'elle ne devait ni craindre ni se montrer jalouse, elle était sa petite sœur, elle le serait toujours.

Il ne l'aimait pas moins, il aimait simplement d'autres personnes. Et si Lily ne connaissait ni Hadiya ni Shania, elle comprenait que James ait pu trouver en Haïdar un petit frère à aimer.

- Moi aussi ça m'a fait plaisir de te rencontrer, Haïdar.

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Académie de Magie de Beaubatons, couloir des Métamorphoses, appartement de Natasha

Il était rare qu'il vienne la voir à Beauxbatons. D'ordinaire, ils se retrouvaient chez Rose, ce qui évitait à Natasha de prendre des risques inutiles car sa position d'assistante-chercheuse du professeur de Métamorphoses ne l'autorisait pas à recevoir des personnes extérieures à Beauxbatons.

Mais James n'avait guère eu le temps de s'arranger. Il partait le lendemain pour l'Atlantide. Et s'il trépignait d'impatience, il ne pouvait en parler à personne. Pas même à Natasha.

Il avait promis aux Grands Mages de la Confédération Magique Internationale qu'il garderait le secret. Il lui avait fallu trouver une fausse destination pour expliquer son absence, il avait fait le choix de l'Antarctique, et les Zabini s'en étaient contentés. Rose n'avait pas posé de question, Lily n'avait pas encore répondu à sa lettre, et Mael avait légèrement tremblé à l'idée de ne pas voir son meilleur ami pendant des mois. Depuis qu'il était séparé de Nalani, Mael ne vivait plus que pour son travail, ses parents et ses sœurs, qu'il retrouvait tous les dimanches, et pour les soirées « entre mecs » que James et lui parvenaient à maintenir tant bien que mal.

- Je ne comprends pas.

La voix de Natasha le sortit de sa léthargie, rendue douloureuse par le sentiment de culpabilité qui se rappelait à lui à chaque fois qu'il pensait à Mael. C'était rare que James fasse passer quoi que ce soit avant son amitié. Mais découvrir l'Atlantide était une chance, une de celles qui ne s'offraient qu'une fois dans une vie, une de celles qu'on ne pouvait refuser.

- Je ne comprends pas, répéta Natasha.

Hésitante la première fois, sa voix était désormais plus ferme, et James chassa son amertume pour lui faire face. Les yeux de Natasha lançaient des éclairs et elle recula quand il se rapprocha d'elle.

- Qu'est-ce que tu ne comprends pas ?, demanda-t-il avec douceur.

- Que tu saches à l'avance que tu ne reviendras pas pendant des mois.

S'il s'était montré parfaitement honnête, il aurait avoué qu'il n'en savait rien. La même ignorance qu'au début de sa formation, quand il était parachuté dans un coin puis l'autre du globe, sans savoir combien de temps durerait sa mission. Découvrir l'Atlantide n'était pas donné à tout le monde. Evora lui avait confié, non sans fierté, que sa mère ne l'avait jamais visité, alors qu'elle faisait partie de la CMI depuis plusieurs dizaines d'années.

Lorsqu'ils fouleraient le sol de cette terre inconnue, ils seraient accueillis en son sein, et pourraient la découvrir à loisir. James ignorait combien de temps il séjournerait sur ce continent mystérieux, mais il ne le quitterait pas de sitôt.

- Tu m'as demandé un jour de ne pas faire de promesse sans être sûr de ne pouvoir l'honorer, rappela James.

- Mais c'était avant, répondit Natasha. Tu étais en formation, tu devais faire tes preuves, accepter de vivre dans l'ignorance pendant des mois, des années, tout accepter sans jamais râler, pour obtenir ceci, conclut-elle en désignant la broche qui faisait de lui un membre de la Confédération Magique Internationale.

Elle attendit qu'il réponde, ce qu'il ne fit pas, car il avait peur que la vérité sorte sans qu'il ne puisse la retenir.

- Tu es diplômé, poursuivit Natasha. Et pourtant tu repars.

- Je suis membre de la CMI. Je travaillerai toujours à l'international.

- Mais… Enfin, James, la CMI a des bureaux. Tu avais dit que… Tu devais te poser. Tes missions devaient se raccourcir.

- Et elles seront raccourcies. Après. C'est exceptionnel.

- C'est toujours exceptionnel avec toi, soupira Natasha.

- Non, je t'assure que cette mission est vraiment exceptionnelle. Après…

- Ne me parle pas d'après. Après ce sera toujours l'inconnu, après ce sera un enchaînement d'exceptionnel. Toujours.

- Non, je…

- Arrête. Par pitié, arrête.

Elle ignora les mains de James qui s'approchaient des siennes et se leva, faisant les cent pas dans son petit appartement.

- T'as passé des années à répéter que tu ne savais pas. Tu ne savais pas combien de temps tu partais, ni où, ni comment. Mais tu finissais toujours par revenir. Et tu trouvais toujours un moyen de m'écrire, de me donner des nouvelles.

- Pas toujours.

- Arrête, par Merlin ! Je ne te parle pas de la mort de Keith, ni de ce que tu as fait de bien ou de mal après ça. Je te parle de toutes ces missions où personne ne t'en voulait de disparaître parce que tu en savais à peine plus que nous ! J'ai passé les cinq dernières années à me dire que ce n'était pas grave, parce que tu étais perdu, trimballé dans tous les sens mais que ton courage était intact, que tu tenais le coup, que tu ne t'effondrais pas alors que tu avais mille raisons de le faire. Je t'ai admiré toutes ces années. Parce que je croyais qu'une fois diplômé, tu obtiendrais ce dont tu avais toujours rêvé. Etre ici et là-bas à la fois, travailler dans l'international mais vivre avec tes amis, les Zabini, Rose, Lily et avec moi. Mais en as-tu seulement rêvé ?

- Bien sûr !

- Je n'en suis pas si sûre, moi. Parce que là tu ne dis pas que tu feras tout pour obtenir une pause, un week-end, des vacances, que sais-je. Parce que tu m'annonces que tu pars longtemps, sans date de retour, et tu affirmes que tu ne pourras pas me donner de nouvelles, ni même recevoir les nouvelles de ceux que tu aimes. C'est ça que je ne comprends pas !

- Je pars en Antarctique, je…

- Et alors !? T'es un sorcier, merde ! T'as inventé les portes de transplange !

- Je vais mettre trois ans à en implanter dans tout le monde, tu le sais, je te l'ai déjà dit…

- Et tu n'en implantes pas là où tu vas ?

- Non. Et même. Je ne peux pas revenir ici tant que la mission n'est pas terminée. Mais après…

- Arrête. Sors d'ici. J'en ai ma claque d'attendre qu'après arrive. C'est fini.

- Natasha…

- Non. Cette fois-ci c'est terminé. C'est fini, James.

C'était la troisième fois que leur histoire se terminait. Quelque part, tout au fond de son cœur, James avait peur que ce soit la dernière, que cette nouvelle rupture soit définitive. Mais il se fit la promesse de mériter un dernier pardon, d'obtenir une dernière chance. Parce qu'il savait que la prochaine serait la bonne, qu'une fois revenu d'Atlantide, plus rien ne s'opposerait à leur bonheur.

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Poudlard Express, un mois plus tard

Le Poudlard Express filait à toute allure dans la campagne écossaise. Le nez collé à la fenêtre, Haïdar reconnut les hauts toits d'ardoise entourés de fumée d'Edimbourg et les landes de Kirkaldy, recouvertes de bruyère. Ce paysage, il le connaissait bien, après les premiers trajets passés dans le couloir. Ce paysage lui avait tenu compagnie, avant que les récits de Neith, les cliquetis de coquillages de Méduse et les craquements d'os de Piotr ne le remplacent.

- Et toi, Haïdar, tu as passé de bonnes vacances ?

Oubliée, la fenêtre.

Oublié, le paysage.

Haïdar plongea dans le regard bleuté de Méduse, son sourire s'étirant.

- Absolument merveilleuses, souffla-t-il, plein d'émotions.

Neith haussa un sourcil surpris alors que Piotr grognait. Etonnement, les deux forces de la nature du groupe d'amis étaient ceux qui avaient le moins bien supporté les deux mois qui les avaient tenus séparés. Méduse, elle, partagea le bonheur évident de son ami et l'enjoignit à se confier à eux. Ce qu'il hésita de faire, à leur grande surprise.

- T'as fait des bêtises que tu ne peux pas dévoiler devant les filles ?, demanda Piotr avec avidité.

- Tu as commis un crime ?, renchérit Neith.

-Tu peux nous faire confiance, tu sais, conclut Méduse, toute aussi curieuse que les deux autres.

- Oui, je le sais, acquiesça Haïdar avec une soudaine gravité. Je vais vous confier un secret, que je n'ai jamais révélé à personne. Un secret dont je ne dois normalement parler à personne.

- Tu es le fils caché de Voldemort ?, tenta Neith.

- Non, sourit Haïdar. J'ai un frère.

- C'est un secret ça ?, rétorqua-t-elle. Parce que moi j'en ai deux, alors…

- Personne ne sait qu'il est mon frère. Il a une autre famille, une famille officielle. Mais moi je sais qu'il est mon frère.

- Lui aussi le sait ?, demanda Méduse pour être sûre de bien comprendre.

- Oui, il le sait. C'est comme ça qu'il m'appelle, « petit frère ».

- C'est pas genre un frère imaginaire, hein ?, s'inquiéta Piotr. On a déjà une folle dans l'équipe…

- Je ne suis pas folle, Piotr, c'est toi qui n'accepte pas l'idée que tu n'es qu'une invention de mon inconscient. Nous sommes dans mon rêve, c'est ainsi.

- Il est bien réel, coupa Haïdar pour mettre fin aux délires de Neith. Il s'appelle… Il s'appelle James.

- Je ne vois pas pourquoi tu en fais toute une histoire, balaya Méduse. C'est un prénom très courant. Le fils d'Harry Potter s'appelle bien comme ça.

Un frisson parcourut le corps d'Haïdar mais il l'étouffa, tout comme il étouffa le sentiment de gêne qui alourdissait son cœur. Il n'aimait pas mentir à ses amis.

Cet été, quand il avait félicité James, qui venait d'être diplômé de la Confédération Magique Internationale, son frère avait pris le temps de s'assurer qu'il allait bien. Il s'était montré très curieux, avait posé quantité de questions sur Neith, Méduse et Piotr, s'était montré soulagé qu'Haïdar se soit fait des amis.

« Tu sembles beaucoup tenir à eux et j'ai confiance en ton discernement. Si tu as confiance à eux, n'oublie jamais que j'ai confiance en toi », avait dit James et sur le coup Haïdar n'avait pas très bien compris. Aujourd'hui, alors que Neith, Méduse et Piotr attendaient qu'il leur raconte ses vacances, Haïdar comprenait.

- Mon frère a été diplômé de la Confédération Magique Internationale, confia-t-il. Il est devenu ambassadeur de la paix, il parcourt le monde pour aider les peuples à se comprendre et à éviter de se faire la guerre. Il vit des tas d'aventures et fait des tonnes de rencontres.

- Ca a l'air chouette comme boulot, sourit Piotr.

- Ouais, souffla Haïdar, émerveillé. Je voudrais être comme lui, plus tard. Grand, fort et toujours souriant.

Ses amis, touchés par la palette d'émotions visibles sur son visage, lui sourirent, laissant germer inconsciemment une infime idée. Jusqu'à ce que Méduse ne se rappelle d'un détail.

- C'est marrant, on parlait de lui, le fils d'Harry Potter a aussi intégré la Confédération Magique Internationale. J'ai lu un article à ce propos cet été.

Haïdar inspira un bon coup et prit la décision la plus difficile de sa courte vie.

- C'est lui. C'est James, avoua Haïdar.

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Un an plus tard – Une de la Gazette du Sorcier – La disruption, selon James Sirius Potter

« L'Héritier le plus célèbre du Royaume Uni a quitté ses terres d'origine depuis bien longtemps. Délesté du poids de l'héritage, il a parcouru le monde sorcier pour en découvrir les coutumes et apprendre à préserver la paix. Peu de temps après avoir été diplômé de la Confédération Magique Internationale, James Sirius Potter a gagné les mystérieuses terres de l'Antarctique pour une mission longue et secrète. Voilà désormais un an que nous n'avons aucune nouvelle de lui.

Qui est vraiment James Sirius Potter ?

Nous ne sommes pas les seuls à nous être posé la question. Nos confrères ont tous été tentés de s'intéresser à lui, de l'épier, de le moquer, de l'encenser, de le trainer dans la boue, de le glorifier et, surtout, de le comparer à son frère Albus Severus et à son père, notre héros le Survivant.

James contre James

L'Héritier tient ses deux prénoms du père et du parrain du Survivant. Un héros et un martyr, deux personnages devenus historiques. Un double héritage déjà lourd à porter.

A la fin de la guerre, la véritable histoire de James Potter et Sirius Black a été révélée. Meilleurs amis dès leur entrée à Poudlard, ils avaient formé les Maraudeurs avec Remus Lupin et Peter Pettigrow. Trahis par ce dernier, James Potter avait trouvé la mort et Sirius Black avait été injustement incarcéré à Azkaban.

Un destin tragique qui s'opposait à une adolescence placée sous le signe du rire et des frasques en tous genres.

L'Héritier, s'il a écopé de son lot de punitions, n'a que très peu repris le flambeau des Maraudeurs, prouvant qu'il pouvait se libérer des spectres qui pesaient sur ses épaules depuis sa plus tendre enfance.

James Sirius contre Albus Severus

Albus Severus est le second fils du Survivant. Ayant hérité des prénoms du plus célèbre directeur de Poudlard et du plus courageux des Serpentard, il apparaît comme une copie conforme de son père. Du moins en apparence.

Réparti à Serpentard, on a longtemps cru qu'il redorerait le blason des vert et argent et s'évertuerait à marcher dans les traces de son père. Dire que nous avons été déçus serait un euphémisme.

Solitaire et sombre, il s'est construit en opposition totale, contre son frère aîné, et contre son père.

Là où le Survivant s'appuyait sur le Cerveau Hermione Granger et la famille Weasley, là où James grandissait entouré d'amis différents et nombreux, Albus avançait seul.

Là où le Survivant a sauvé notre monde, là où James Sirius s'est battu contre les frères Zigaro, Albus Severus s'est laissé étouffer par ses propres ambitions.

Là où le Survivant a depuis longtemps fait la paix avec ses ennemis d'autrefois, là où James Sirius n'a jamais fait payer aux enfants de Mangemorts les crimes commis par leurs aïeux, Albus Severus a développé une attirance morbide pour les rejetons des ténèbres, Scorpius Malefoy en tête.

Le Survivant a tranché

Albus Severus est le portrait craché de son père. James Sirius ne ressemble ni à son père, ni à son frère.

Albus Severus a été encensé à tort, James Sirius a été décrié à tort.

Albus Severus a toujours cherché les faveurs de la presse, James Sirius a rarement accepté de lui répondre.

Albus Severus vit reclus chez ses parents, James Sirius s'est éloigné de l'Angleterre.

Le Survivant a refusé de prendre parti, déclarant « j'aime mes deux fils de la même manière, je ne fais aucune différence entre mes trois enfants. Je suis un père heureux et fier.»

Une déclaration qui n'a pas surpris que nous. Alors que nous ne savions rien des activités de James Sirius à travers le monde, apprendre qu'il était diplômé de la Confédération Magique Internationale a été une grande surprise. Et pas seulement pour nous. « C'est une très belle surprise, en effet », a confirmé Harry Potter avant d'avouer qu'il n'était pas présent pour la remise de diplôme de son fils. « Mais ma fille était là et l'a félicité pour nous tous. Nous sommes très fiers de son parcours, tout comme je suis fier de ma fille, qui étudie sérieusement pour devenir éthologue, et de mon fils Albus qui est devenu Auror.»

Peut-on réellement comparer l'accomplissement de James Sirius et la nomination – sans formation préalable – d'Albus Severus ? Rien n'est moins sûr.

Fraîchement adoubé par les Grands Mages de la Confédération Magique Internationale, James Sirius Potter porte le visage de l'avenir de notre communauté.

Apprécié et entouré, il a su aider Nalani Jordan à monter son équipe de quidditch.

Brillant, il est le créateur des récentes et innovantes portes de transplanage.

Tolérant, il a imposé qu'elles soient accessibles à toutes les bourses, exigeant que le prix du trajet, initialement annoncé par les ministères en gallions, soit ramené à une poignée de noises.

Passionné, il a lui-même trouvé des partenaires dans chaque communauté sorcière du monde pour geler ces prix « pendant au moins cent ans », a-t-il promis avant d'ajouter « Mon seul objectif est que les sorciers du monde entier puissent se rencontrer, se découvrir, échanger et s'apercevoir par eux-mêmes de la richesse de leurs différences et de leur égalité. C'est la méconnaissance qui entraine la peur de l'autre, la méfiance qui entraine l'attaque, la peur qui entraine la guerre. J'aimerais que les portes, et ceux qui auront la curiosité de les utiliser, prouvent aux gouvernances du monde sorcier que nous n'aurons jamais intérêt à nous faire la guerre. La paix est notre bien le plus précieux. Elle doit être notre force, une force que nous devons tous partager et qui doit être notre priorité. »

Et l'amour dans tout ça ?

Malheureusement, il semblerait que les enfants du Survivant ne soient pas aussi chanceux en amour qu'au travail. Lily Luna la sauvage vit recluse sur son île, Albus Severus n'a aucune relation sociale et il semblerait que James Sirius se soit séparé de Natasha-à-la-batte, après de longues et belles années d'une relation qui n'aura sans doute pas survécu aux absences à répétitions de l'Héritier.

Aujourd'hui le plus beau parti d'Angleterre est célibataire mais « je ne suis pas un cœur à prendre, non. Je préfère me consacrer à mes projets professionnels. Nous avons beaucoup à faire pour protéger notre monde, tant du côté sorcier que du côté moldu. »

Gageons que le nouveau visage de la communauté ne restera pas seul bien longtemps... »

Au douze Square Grimmaurd, tous lisaient le même article. Ils étaient abonnés, et Harry lisait avec soin l'exemplaire porté par une chouette grise. A ses côtés, les taches de rousseur de Ginny disparaissaient sous les images mouvantes de James, tantôt grave tantôt souriant. Elle avait lu l'article avec avidité. Avec fierté, même. Ses yeux ne pouvaient désormais se décrocher des photographies. Elle cherchait dans cet adulte robuste les vestiges d'un passé commun, sans retrouver le petit garçon que James avait été.

Mais peut-être l'avait-elle trop délaissé, peut-être ne l'avait-elle pas suffisamment aimé pour retrouver ces traits fins et doux qui n'avaient espéré d'elle qu'un peu de tendresse. Elle le trouva amaigri, et les deux noisettes entourées d'un trait outremer qui lui rappelleraient tant les yeux de Blaise semblaient avoir perdu plus d'une étincelle, signe de souffrances qu'il n'oublierait jamais. La mort de Keith Corner, l'acceptation du désintérêt de sa famille, sa rupture avec Natasha. Ginny songea à se rendre chez les Kandinsky ou à cuisiner Lily avant de se rendre à l'évidence. Ce n'était pas maintenant que James avait besoin d'elle. Elle arrivait trop tard.

En face de ses parents, Albus lisait le même article, rapporté du bureau des Aurors où il enchaînait les tâches les plus ingrates. La chute des Zigaro avait changé beaucoup de choses pour lui. La fin de ses rêves de grandeur, un dur retour à la réalité et la déception que lui renvoyaient ses parents.

Sa mère, comme l'ensemble des Weasley, le regardait avec désapprobation. Quant à son père, le goût de l'échec s'était enfin fait amer, Harry et Ron se relayaient pour le surveiller et Hermione lui confiait également les tâches les plus rébarbatives. Albus avait honte de se voir confier un travail si peu noble, lui qui avait eu bien d'autres ambitions. Mais il se contentait d'accepter les ordres des uns et des autres, travaillant à son rythme, lent, hagard et sans entrain.

Il n'oubliait pas le dégoût dans les yeux de ses amis d'antan, qu'il croisait parfois au ministère ou sur le Chemin de Traverse, ni l'indifférence de Scorpius.

Il ne pensait guère plus qu'à ça. A sa solitude et à cette obsession qui le liait à Scorpius Malefoy.

Il rembobinait le film de sa vie, s'inventait d'autres choix.

Il aurait pu, il aurait dû, ne pas s'approcher des Zigaro, se focaliser sur Scorpius Malefoy.

Ils seraient devenus les princes de Serpentard, l'exemple à suivre, le nouveau visage de la communauté.

Albus avait bien eu un autre plan, pour regagner son piédestal. Dévoiler à la presse que sa mère avait trompé le Survivant en personne, parler des Zabini, de leurs yeux si semblables à ceux de James. Inventer, mentir, bafouer, pour rendre plus sombre encore la vérité. Mais Harry l'avait devancé. Harry avait posé un tabou sur toute l'histoire, empêchant son fils de traîner leur famille dans la boue.

Alors Albus se rattachait à cet espoir un peu fou de remonter le temps, de faire les bons choix pour attirer Scorpius dans ses filets. Il ne pensait plus qu'à ça, n'espérait plus que ça, passait son temps à imaginer cette autre vie qui aurait été plus belle, qui aurait été si belle, qui aurait été la sienne. Il ne s'apercevait pas qu'il quittait peu à peu la réalité, enfermé dans la beauté d'une vie fantasmée.

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Chemin de Traverse, boutique Weasley, Farces pour sorciers facétieux

Le mois de septembre était synonyme de rentrée pour beaucoup de personnes. Mais pour les commerçants du Chemin de Traverse, le mois de septembre était annonciateur du calme après la tempête estivale.

Les premiers jours du mois étaient consacrés à la paperasse, et au départ des employés saisonniers qui venaient assurer le surplus de travail pendant les vacances scolaires. C'était, de loin, la période de l'année que détestait le plus Roxanne Lespare, née Weasley.

- Par Merlin, j'ai ENFIN fini, soupira-t-elle.

Elle gagna l'arrière-boutique et se laissa tomber sur le premier tabouret venu, se laissant dissiper par les volutes de fumée de diverses potions.

- Les tâches ingrates sont enfin terminées ?, devina son père, amusé.

- Ouais, grogna Roxanne en se massant les tempes. Sérieux je comprendrai jamais pourquoi je suis la seule à me taper le sale boulot.

- Je t'ai laissé la gérance, rappela-t-il.

- T'aurais pu t'occuper de ça par conscience paternelle. Un truc dans ce goût-là, balaya-t-elle. Où est Dom ?

Georges se renfrogna, désignant un renfoncement de pierres d'où provenait un cliquetis régulier.

- Qu'est-ce que tu as encore fait, papa ?, s'inquiéta Roxanne.

- Mais rien !, se défendit Georges. Je t'assure ! C'est elle qui… Bon, elle travaille sur une nouvelle création et je voulais savoir sur quoi, tu comprends, je suis quand même le fondateur de cette institution !

Roxanne ricana, faisant signe à son père de poursuivre.

- Elle ne veut rien me dire !

- Par Merlin, papa, laisse-lui donc le temps de terminer son travail ! Tu sais très bien que tu seras le premier à essayer son prototype !

- C'est promis ?, supplia Georges avec une moue enfantine.

- C'est promis, lui répondit une voix lugubre.

Georges acquiesça, souriant légèrement à la nouvelle venue et préféra se retirer. Les vacances étaient terminées et les clients avaient déserté les lieux, sa fille et sa nièce n'avaient plus besoin de lui. Et s'il aimait sa fille chaque jour un peu plus, il n'était jamais à l'aise avec sa nièce.

Ce n'était pas tant la présence de la jeune femme qui le dérangeait. Sa nièce se faisait discrète et travaillait sérieusement, dans le silence le plus complet. Mais sa présence restait un secret, et l'homme fougueux et impulsif qu'il était avait bien souvent failli laisser échapper la bombe du siècle au Terrier, lors des repas de famille. Aussi Georges faisait-il beaucoup d'efforts pour garder le secret. Il l'avait promis à sa fille. Et il n'était pas sûr de tester ses créations bien longtemps s'il n'arrivait pas à tenir sa langue.

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Chemin de Traverse, boutique Weasley, Farces pour sorciers facétieux, quelques heures plus tard

Dominique était la seule des douze cousins Weasley à avoir été répartie à Poufsouffle. Elle ne s'en était pas sentie plus exclue que Victoire, Moly et Rose, réparties à Serdaigle, ni moins méprisée qu'Albus, unique Serpentard de la famille. Leurs parents ne communiquaient pas plus de joie lorsque les autres avaient été répartis à Gryffondor. Pour eux c'était une évidence, et la bienséance avait fait qu'ils n'avaient pas pu reprocher aux autres de n'avoir pas été des lions.

Dominique n'avait jamais regretté d'être un blaireau. Elle n'en était pas fière, mais n'aurait pas été plus heureuse ailleurs. Elle s'en moquait, comme de tout ce qui la touchait de près ou de loin depuis son enfance. Son père l'appelait « mademoiselle Bof ». Et c'est sans doute le mot qu'elle prononçait le plus dans sa vie. Bof. Rien ne l'intéressait, personne ne la touchait, elle ne s'attachait à rien ni personne.

Elle se moquait des examens, du quidditch, des élèves, des professeurs. Elle n'avait aucune passion, aucune envie. Elle avait quitté Poudlard comme elle l'avait intégré, sans ressentir la moindre émotion. Elle avait voulu se donner du temps, elle croyait qu'une envie arriverait un jour, elle pensait avoir le temps de choisir sa voie. Mais ses parents s'étaient disputés avec Victoire, et Louis les avait quittés pour la France. Il ne restait plus qu'elle, la moins intéressante et la moins aimée des trois.

Il ne restait plus qu'elle et ils l'avaient étouffée. Sa mère lui présentait des garçons bons à marier, son père lui dégotait des rendez-vous professionnels auxquels elle ne se rendit qu'un temps. Avant de disparaitre à son tour.

Elle avait cru que ses économies dureraient longtemps. Elle s'était fait voler son sac au bout de trois jours. Elle avait végété huit mois, la saleté s'incrustant sur sa peau, ses vêtements, sous ses ongles, la rendant méconnaissable, lui permettant de se fondre parmi les sans-le-sou, sans que la presse ne s'offusque qu'une Weasley faisait la manche parmi les pauvres.

Et puis elle avait rencontré Roxanne. C'était un jour ordinaire, à peine plus pluvieux que les précédents. Les pavés étaient glissants, boueux. Rien de bien nouveau pour celle qu'elle était devenue. Elle n'avait plus conscience des jours qui défilaient, sauf quand elle parvenait à récupérer un exemplaire de la Gazette jeté dans une poubelle. Ces jours bénis, elle s'asseyait sur un bout de carton et dévorait chaque mot de chaque article, de la première à la dernière page, parce que la Gazette trouvait toujours le moyen d'écrire sur eux, ces jeunes et ces moins jeunes qui avaient fait sa vie jusqu'à ce qu'elle les quitte. Parce que c'était là les seules nouvelles qu'elle possédait de sa famille.

Elle vivait alors leur vie comme par procuration.

Les voyages de James, les photographies de Rose, les dragons de Louis, le blâme de Teddy, les aspirations de Lily, le championnat mensuel de jeu d'échecs remporté huit fois par Hugo, et les créations de Roxanne. Elle voyageait avec ceux qui étaient loin, apprenait aux côtés de ceux qui n'avaient pas encore terminé leur formation et passait tous les jours devant cette boutique aux mille couleurs, étonnée que la marmotte de fainéantise que fut Roxanne ait laissé place à une lève-tôt qui travaille d'arrache-pied sans compter ses heures et, surtout, sans se départir d'un sourire radieux.

Et il avait fallu que ce soit cette même Roxanne qui lui rentre dedans trois ans plus tôt. Roxanne qu'elle n'avait fait que croiser durant leur enfance, parce que six années les séparaient, parce que Roxanne était une lionne qui ne s'attachait qu'à ses semblables, parce qu'elles avaient pris l'habitude de se saluer poliment avant chaque repas de famille, sans échanger plus que de simples banalités.

Oui, il avait fallu que ce soit elle, celle qui avait réussi, celle qui s'émancipait, celle qui était heureuse dans tout ce qu'elle entreprenait. Elle s'était mariée avec un garçon honnête, travailleur, drôle, attachant. Un mari aimant. Elle avait su se créer sa place, détrôner son père, révolutionner une boutique qui marchait déjà très bien sans elle et qui pourtant n'avait jamais aussi bien marché que sous ses ordres.

Roxanne possédait tout. Tout ce que Dominique avait perdu, tout ce qu'elle n'avait jamais eu.

Roxanne aurait pu passer son chemin. Elle n'avait finalement que peu d'estime pour cette vieille cousine dont elle n'avait plus de nouvelles depuis des années. Mais elle lui avait tendu la main. Elle l'avait relevé, traînée jusqu'à la boutique, déplié pour elle un matelas confortable dans l'arrière-boutique. Elle avait lancé quelques sorts, l'attraction sur les vivres du garde-manger, l'expansion pour raviver un feu dans la cheminée de pierres. Dominique ne se rappelait plus à quand remontait sa dernière nuit dans un vrai lit, ni quel jour elle n'avait pas eu froid. Depuis qu'elle vivait dans la rue, elle avait constamment froid. Si froid qu'elle avait oublié la sensation d'une peau réchauffée par le feu, d'un estomac plein, d'une caresse.

Roxanne avait fermé derrière elle et Dominique avait dormi en tenant ses affaires contre elle, prête à quitter les lieux dès qu'on lui en donnerait l'ordre.

Et Roxanne était revenue le lendemain, avec des viennoiseries, du café, un petit déjeuner français qu'elle avait dégotée chez un vendeur ambulant moldu, de l'autre côté du Chaudron Baveur.

- Tu n'étais pas obligée, avait grogné Dominique, en dévorant néanmoins un croissant.

- Ce n'est pas de la pitié. C'est une collation, une tradition avec chaque négociation.

- Si ton but est de m'amener voir mes parents, la réponse est non.

- Bon, avait balayé Roxanne, parons au plus pressé. Je te promets de ne jamais m'immiscer dans tes affaires familiales du moment que tu ne t'immisces pas dans les miennes. Ok pour toi ?

- Oui.

- Bien, passons au plus important alors. Tu te souviens de pourquoi on ne se parlait jamais quand on était petites ?

- A part la différence d'âge, tu veux dire ? Parce que nous étions différentes. Le jour et la nuit. Le soleil et la lune.

- Différentes, et donc complémentaires. Ecoute, hier soir quand je te suis rentrée dans le lard, j'crois pas que c'était une coïncidence.

- Je ne crois pas au destin.

- Moi non plus. Mais je suis lucide. J'ai besoin de quelqu'un, Dominique. Je ne m'en sors pas. Je suis obligée d'être assistée pour les Potions, parce que j'ai beau me concentrer, je ne suis pas sûre à cent pour cent de ce que je fais. Je perds un temps fou et je perds en crédibilité. Le mois dernier mon assistant m'a lâchée, et il est parti avec une liste de créations. Ce n'étaient pas les meilleures, mais je ne veux pas reproduire ça. Je veux déléguer cette partie-là à quelqu'un de confiance. Et je ne dis pas que j'ai confiance en toi parce que nous sommes cousines. Mais tu es douée pour les Potions et je pense que tu peux gagner ma confiance, petit à petit. En commençant comme tout le monde, au bas de l'échelle. Au début tu ne gagneras pas grand-chose mais je ne m'oppose pas à ce que tu restes dormir ici. Si tu t'accroches, si on réussit à collaborer toutes les deux, on pourrait… Tu ne gagneras jamais un salaire de ministre mais on pourrait être associées et tu vivras bien. J'ai un appart là-haut, je ne l'utilise plus parce que je vis chez Jalil mais je le loue. Le bail se termine dans trois mois. Alors voilà ce que je te propose. Trois mois d'essai, pour toutes les deux. On voit ce que ça donne et on fait le point dans trois mois.

Bien que dubitative, Dominique était restée. Roxanne lui avait préparé un espace de travail sommaire mais confortable, dans une cave ajoutée. Georges passait le plus clair de son temps dans la boutique, et lorsqu'il croisa Dominique, il ne la reconnut même pas. Pour fêter son premier emploi, Dominique s'était rasée la tête et tatoué le chiffre deux sur le crâne. C'était sa deuxième chance, sa deuxième vie. Et elle était prête à tout pour l'attraper au vol.

Au bout de trois mois elles avaient fait le point. Le lendemain, Roxanne et Jalil l'aidaient à s'installer au sixième étage, sous les combles, dans un petit studio qu'elle emménagea avec soin, sans se presser.

Au bout de trois ans elles étaient associées, et la boutique vivait des jours heureux. Roxanne débordait d'énergie, Dominique savait toujours plisser les yeux pour effrayer les nouvelles recrues. Elles parlaient toujours très peu, ne se fréquentaient qu'à la boutique, mais savaient qu'elles pouvaient compter l'une sur l'autre. Et jamais elles n'oublieraient ce jour pluvieux où chacune s'était trouvé une alliée.

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Londres, quelques années plus tard

- Piotr, dépêchez-vous, le train ne vous attendra pas.

- J'arrive, père.

Piotr lança un dernier regard dans le miroir, nouant sa cravate convenablement. Sa mère était suffisamment maniérée pour ne pas le laisser sortir si sa tenue n'était pas assez convenable, et Piotr devait absolument sortir. Le garçon leva les yeux sur son calendrier, dont il avait barré le dernier jour du mois d'août la veille. La rentrée à Poudlard était enfin arrivée, au terme d'un été sans saveur.

Le garçon se saisit de sa malle et ferma la porte derrière lui, retrouvant ses parents dans le hall d'entrée.

- Quelques dernières recommandations, mon garçon, prévint son père alors que sa mère tamponnait de son mouchoir ses yeux pourtant secs. Nous vous avons laissé entendre que nous comptions sur vous pour nous offrir un descendant, si possible un héritier mâle, qui perpétuerait la renommée de cette famille et veillerait à conserver l'excellence de notre maison. Mais nous préfèrerions, pour vous comme pour l'honneur de notre famille, que vous attendiez d'être majeur et diplômé de Poudlard avant de réaliser notre souhait.

- Interdiction de mettre une fille enceinte !, traduisit sa mère, intimement persuadée que les adolescents ne comprenaient rien d'autre que l'appel de la nourriture et du sexe.

Piotr hocha la tête et serra la main de son père et de sa mère, promettant de leur écrire une fois par trimestre et d'attendre Noël pour ouvrir le cadeau qu'ils avaient déjà glissé dans sa malle. Producteur d'alcools de grand prestige, son père passerait l'hiver en Sibérie, où l'essentiel de sa production était plongée dans la glace la plus profonde possible, pour en tirer un parfum unique, qui lui valait de vendre chaque bouteille plusieurs centaines de galions.

Ne parvenant pas à enfanter, ils avaient adopté Piotr tardivement, alors que le garçon avait déjà dix ans. Une aubaine pour lui et pour eux, qui rechignaient à devoir s'occuper d'un enfant en bas-âge. Ils n'avaient d'ailleurs posé que deux questions avant d'adopter le garçon, s'assurant qu'il était propre et qu'il savait se tenir.

Depuis, le garçon bénéficiait d'un étage qui lui était réservé et tous trois partageaient un repas ensemble, celui du soir, et ce durant tout l'été. Le reste du temps Piotr était à Poudlard, il écrivait peu et ses professeurs ne se plaignaient jamais de lui.

Piotr faisait partie de l'élite, il était le meilleur élève de sa maison et l'un des quatre plus brillants élèves de Poudlard.

- Nous voilà à nouveau seuls durant dix mois, soupira sa femme alors qu'il refermait la porte après que Piotr soit monté dans un taxi.

- Effectivement. La vie est ainsi faite, les enfants quittent la maison avec toujours plus d'impatience, c'est ainsi qu'ils se construisent et deviennent légitimes. Notre fils n'aura aucun mal à gérer nos affaires.

- Ne croyez-vous pas que nous devrions lui chercher une épouse ?

- Je crois que ça ne se fait plus depuis longtemps.

- Les femmes ne vouvoient plus leur mari, pas plus qu'elles ne vouvoient leur fils, et pourtant nous continuons à le faire.

- Piotr est jeune, encore. Laissons-le profiter de son insouciance. Peut-être trouvera-t-il une épouse respectable, qui nous convienne aussi. Je doute qu'il s'intéresse à ce sujet pour l'instant.

- Tous les hommes s'intéressent à ce sujet.

L'homme se contenta de sourire. Ils avaient adopté le garçon pour en faire leur héritier, mais ils ne souhaitaient pas lui dicter sa conduite. Leur fils serait libre de ses choix et de ses fréquentations et ce même s'ils partageaient les us et coutumes d'un autre temps.

Loin des préoccupations de ses parents adoptifs, Piotr profitait de l'embouteillage dans lequel était coincé son taxi pour compter les voitures rouges. Un jour, il avait lu que les enfants faisaient ça. Alors il avait commencé à en faire de même. Un peu comme pour toute chose qu'il faisait.

Piotr n'était pas un garçon comme les autres. Et pas seulement parce qu'il arrivait seul et en taxi à la gare de King's Cross. Et pas seulement parce qu'il fonçait dans un mur entre deux voies avant de disparaître. Et pas seulement parce qu'il se rendait à Poudlard, une école de sorcellerie.

- Bonjour Piotr.

- Salut Piotr.

- Piotr, bien tes vacances ?

Comme tous les ans, le garçon multiplia hochements de tête et salutations. Comme tous les ans il fut surpris de recevoir autant d'attentions, un peu plus chaque année. Comme tous les ans il fit mine d'avancer sans se retourner, alors qu'il regardait tout autour de lui avec impatience.

- Besoin d'aide pour monter tes bagages, Piotr ?

- On se voit dans la Grande Salle Piotr !

- C'est cool de te revoir, Piotr.

Le garçon sortit sa baguette, heureux d'enfin pouvoir utiliser la magie après deux mois de restriction et fit léviter sa malle, s'attirant de nouvelles exclamations de joie alors qu'il utilisait déjà les sortilèges informulés.

« Certains oublient qu'ils passent dix mois dans une école, et non dans une cour de récréation », songea-t-il. Mais il ne fit aucun commentaire, se contentant de sourire poliment à chaque élève qui s'adressait à lui.

Il déposa sa malle dans l'espace prévu à cet effet et remonta vers la voiture de tête, où devait se dérouler la réunion à laquelle il avait été convié par hibou. L'habituelle excitation de la rentrée poussait les élèves à rigoler haut et fort, à se courir après dans l'allée centrale du train, à sans cesse ouvrir les portes des compartiments, mais tous se calmaient dès qu'ils reconnaissaient Piotr, à qui chacun souriait sincèrement.

Il récupéra en chemin July Davies, une fille de Serdaigle qui le regardait avec dévotion et prononça le mot de passe communiqué par hibou.

- Monsieur Vladizkovitch !, s'exclama le professeur Wine. Venez, venez. Bonjour miss Davies.

- Bonjour professeur, répondirent les deux élèves au professeur de Potions qui était déjà vêtue d'une sublime tenue de soirée, certainement choisie pour le banquet de rentrée.

- Installez-vous, nous n'attendons plus grand-monde. Vos condisciples sont déjà à l'intérieur.

Piotr sentit son cœur s'emballer follement et remercia July Davies qui lui tenait la porte. Il entendit à nouveau plusieurs voix le saluer mais ne répondit pas tout de suite, balayant toute la salle d'un regard hâtif. Et enfin il les vit. Tous trois lui souriaient. Il était enfin à sa place, auprès des trois personnes qui comptaient le plus à ses yeux.

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Poudlard, le lendemain

En ce premier jour de cours, Haïdar Zabini terminait de se vêtir avec le plus grand soin.

Chaque matin il se rappelait des vacances qui avaient précédé sa première rentrée à Poudlard, et de son père qui lui avait appris avec patience à nouer sa cravate convenablement.

Un été, ce fut James qui lui apprit à la dénouer légèrement et à toujours laisser sortir un pan de sa chemise, pour cultiver un air cool en toutes circonstances. Haïdar n'avait pas tardé avant de mettre ces conseils en pratique, et les regards brillants de plusieurs filles lui avaient donné raison.

En ce début de cinquième année, Haïdar ne ressemblait plus vraiment à l'enfant qu'il avait été. Le petit garçon maigrichon qui se glissait dans l'ombre des grands avait laissé place à un adolescent de taille moyenne que les longues heures de fous-rires et de quidditch à Castel Maggiore avaient magnifié. Et pour cela, Haïdar pouvait remercier ses sœurs et son frère. C'étaient eux qui l'avaient entraîné au quidditch, eux qui lui avaient appris à danser, eux qui lui avaient légué un peu de cette assurance dont ils débordaient et dont l'enfant qu'il avait été débordait également, avant de subir une première année à Poudlard pleine de brimades et d'insultes.

C'était grâce à eux qu'il s'était relevé. A eux, et à ces trois amis que la vie avait placés sur sa route.

Depuis, Haïdar avait changé. Il ne se laissait plus faire, et sans se venger, était devenu l'un des élèves les plus respectés du château. L'un des « quatre », comme aimaient à les appeler les autres élèves, leurs professeurs, et jusqu'à une certaine presse moins complaisante que les autres.

Quand il fallait prendre une décision, ses amis le taquinaient, déclarant qu'il valait mieux ne pas compter sur lui, parce qu'il était un Poufsouffle. Si la génération en cours voyait la fin des fils de à Poudlard, certains élèves en profitaient pour se démarquer et faire parler d'eux autrement que par leur filiation. Chaque maison possédait ses trésors, des leauders, des jours de quidditch qui se révélaient brillants, des élèves studieux couronnés de succès qui peuplaient les dortoirs de Serdaigle, Serpentard et Gryffondor. Mais pas ceux de Poufsouffle, qui voyaient malheureusement leur réputation de mauvais élèves ressurgir.

Les amis d'Haïdar, tous répartis dans des maisons différentes, avançaient, taquins, l'argument que la valeur des élèves était à l'image de la difficulté d'intégrer leur salle commune. A Poufsouffle, il suffisait de frapper sur le bon rythme. Gryffondor et Serpentard possédaient somme toute le même système, des entrées bien gardées et des mots de passe changeant fréquemment. La salle commune de Serdaigle, enfin, ne s'ouvrait qu'après avoir répondu à une question intellectuelle ou philosophique complexe qui changeait chaque fois que quelqu'un frappait à la porte.

Bien que de brillants sorciers aient été répartis à Poufsouffle à travers les âges, la maison avait la réputation d'accueillir les sots et les incapables. Et Haïdar était bien décidé à changer ça afin que plus jamais un petit garçon n'ait honte de rejoindre cette maison.

La sagesse, à Poudlard, n'avait qu'un seul visage. Le sien.

L'ambition, à Poudlard, n'avait qu'une seule définition. Neith Sekhmet.

La justice, à Poudlard, raisonnait au rythme des coquillages de Méduse Rhodes.

Le courage, à Poudlard, frappait à chacun des pas de Piotr Vladizkovitch

Chacun était la définition-même d'une des maisons de Poudlard, une maison dans laquelle il n'avait pas été envoyé. C'était cette particularité, entre autres choses, qui faisait d'eux les élèves les plus appréciés de Poudlard.

Il aurait été plus juste d'ajouter qu'ils étaient également les plus brillants, les plus sociables, les plus généreux, et les moins belliqueux. Chacun d'eux avait été nommé préfet et tous avaient intégré l'équipe de quidditch de leur maison, assurant par leur seule présence une compétition saine entre les quatre équipes. Ils étaient cités en exemple par leurs professeurs, adulés par les plus jeunes élèves, mais rarement jalousés. Ils avaient réussi là où tous avaient échoué en plus de mille ans, et Poudlard n'avait jamais autant rayonné.

Mais ils ne se laissaient pas vivre pour autant, chaque nouvelle année les voyait entreprendre un nouveau projet et jamais ils ne rechignaient à la tâche. Ils veillaient à ce que les anciennes confréries secrètes de Poudlard, fermées quelques années auparavant par James et ses amis, n'attirent la convoitise d'aucun élève, assuraient des cours de soutien pour ceux qui en avaient besoin, et aidaient les anonymes de Babel.

Et Haïdar reprenait le flambeau de son frère, sous la vigilance bienveillante et sécurisante du directeur Brossard Briscard.

Avoir Neith Sekhmet pour meilleure amie lui facilitait la tâche, il fallait bien le reconnaître. La jeune fille voyait chaque nouvelle mission comme un niveau de complexité qui lui permettrait d'accéder à l'étape finale de sa quête, et Neith ne comptait pas ses efforts, apprenant mille sortilèges et enchantements, venant à bout de la plus coriace des potions, obtenant des notes brillantes dans chacune des matières enseignées à Poudlard. Croyait-elle toujours évoluer dans un jeu de rôle et non dans la vraie vie ? Haïdar l'ignorait. Ils s'étaient choisis ainsi, avec leurs particularités, et s'enrichissaient de leurs différences.

Haïdar avait bien conscience de ne jamais vraiment se comporter comme un adolescent devait le faire. Il n'avait jamais eu de relation amoureuse, et même s'il n'avait que quinze ans, ses camarades de dortoir avaient déjà tous eu une petite amie.

Les « quatre » avaient beau être extrêmement sociables et s'entendre avec le tout Poudlard, ils ne laissaient jamais personne entrer dans leur cercle intime. Piotr avait bien accepté de se rendre à Pré-Au-Lard avec une fille de sa classe, mais il avait rejoint ses trois amis à la cabane hurlante au bout d'une heure, arguant poliment que la jeune fille était trop bien pour lui. Une manière élégante d'éluder la vérité, qu'ils n'étaient vraiment heureux qu'ensemble.

ooOOoo

Londres, Chemin de Traverse, le même jour

James claqua la porte de chez Susie, le ventre plein et le bras de Mael entourant ses épaules. Les deux amis firent quelques pas sur l'allée commerçante, le silence se mêlant à la nostalgie commune. Tous deux n'avaient plus foulé les pavés du Chemin de Traverse depuis longtemps. James n'eut pas besoin de chercher longtemps dans ses souvenirs, c'était quelques années plus tôt, et il était accompagné de Mael. Déjà, encore, toujours.

Il venait de quitter l'Atlantide et avait retrouvé l'Angleterre de jour, prévoyant de quitter sa terre natale à la nuit tombée, pour retrouver la France, pour retrouver Natasha. Ces quelques heures de latence, James ne voulait les consacrer qu'à Mael. Il se promettait de retrouver Lily et les Zabini très vite, mais Natasha et Mael restaient les deux personnes qu'il aimait le plus.

James avait retrouvé Mael assez vite, plus vite qu'il n'avait mis de temps à le reconnaître. Depuis la mort de Keith, depuis que Nalani l'avait quitté, Mael s'éloignait de sa condition de sorcier, oubliant sa baguette derrière lui et gravitant parmi les moldus. Lorsqu'il avait aperçu James, qui l'attendait un peu plus loin, Mael s'était mis à pleurer, et James l'avait longtemps bercé dans ses bras, lui promettant qu'il ne l'abandonnerait plus jamais.

A ce moment-là c'était Mael qui était au fond du gouffre, Mael qui avait besoin d'aide. Et puis Mael s'était relevé, à temps pour voir James sombrer à son tour.

Les deux amis continuaient de marcher l'un contre l'autre, pensifs.

James se souvenait parfois, par à-coups, comme des souvenirs reliés par un fil si fin qu'il se cassait par endroits, laissant partir les morceaux de vie dont il ne se rappellerait plus jamais.

Chen apprenait ça le « tako-tsubo », le syndrome du cœur brisé.

Natasha avait résisté, Natasha avait attendu, Natasha avait donné des chances, beaucoup, et sa patience s'était éteinte. Une dernière prière, un ultimatum. « Arrête. Reviens. Tu peux faire ce que tu aimes mais différemment, ici, sans partir pendant des mois. » Natasha avait enduré, Natasha ne supportait plus. James avait essayé de grappiller quelques mois, mais il rêvait de plusieurs années. Natasha avait dit oui à quelques mois, avant de comprendre qu'ils s'enchaînaient et que James ne revenait pas, qu'il ne reviendrait pas.

Natasha avait dit « c'est fini ». Ce n'était pas la première fois qu'elle le disait alors il avait cru qu'ils se réconcilieraient vite. Il quittait les terres connues pour l'inconnu, les contrées de ses rêves les plus profonds, l'Atlantide. Il ne pouvait le confier à personne, pas même à elle, mais il croyait qu'ils se retrouveraient à son retour.

Il était rentré pour se faire pardonner, il était rentré pour se réconcilier, elle avait refusé parce qu'elle avait compris qu'il allait repartir. Encore. Toujours.

Il avait dit « tu avais promis de m'aimer comme je suis. Je ne t'ai jamais menti, jamais caché quels étaient mes rêves. » Elle avait répondu qu'elle l'aimait, assez pour le laisser vivre sa vie, trop pour lui demander de renoncer. Il n'avait pas compris sur le moment. Il avait mis des mois à comprendre. Il n'était pas sûr de s'en remettre un jour.

Il était atteint d'une maladie qui lui semblait incurable, une maladie qui provoquait des dommages pendant bien plus longtemps qu'il ne l'aurait imaginé.

L'espoir. Les premiers jours il avait espéré. Un mois entier au moins. Il avait écrit des tonnes de lettres, acceptait qu'elle ne lui réponde jamais. Rose était presque aussi triste que lui, elle avait tout tenté pour arranger les choses. Natasha n'avait eu qu'une seule réponse. C'était à elle de décider, à elle de choisir. Elle avait mis du temps mais elle avait fait son choix, comme lui. Elle restait et lui non, c'était terminé.

Une fois l'espoir envolé, James avait commencé le deuil d'une relation qui l'avait rendu si heureux que le simple fait de la savoir terminée le rendait malade.

La souffrance. Il avait la sensation de traverser les enfers chaque jour, à genoux, complètement nu, sa peau léchée par les braises, sa chair à vif, ses muscles et ses os qui ne le portaient plus.

Son cœur s'était transformé en un bloc de pierre que Natasha avait brisé à coup de pioche. Avant de le jeter aux ordures. Il arrêta de manger, de parler, de ressentir, continuant de travailler et de suivre les membres de sa constellation sans émotion, ne s'émerveillant plus d'aucune contrée, n'éprouvant ni fierté, ni compassion, ni la moindre excitation.

Après leur rupture il avait bu tous les soirs et même gouté cette poudre blanche qu'un camarade avait jugé bon de lui donner. Chen l'avait giflé, Mateus l'avait lancé dans le premier lac de glace venu, Sian avait sauté derrière lui, pour le sauver une fois de plus. Et parce qu'elle trouvait drôle de sauter dans la glace. Et sans doute aussi car James avait été là pour les membres de son cercle, quand le fiancé de Brooke l'avait quittée, quand Mateus s'était disputée avec son amie d'enfance, quand Sian avait définitivement coupé les ponts avec sa famille.

La Confédération le renvoya chez lui pendant une semaine. Il s'aperçut en foulant le sol anglais qu'il n'avait plus de chez lui. Il envisagea de se rendre chez les Kandinsky mais songea qu'il n'avait plus rien à y faire. Il gagna quand même leur petit appartement londonien, espérant de toute son âme apercevoir Natasha. Ce fut sa mère qui le repéra, lui rappelant avec pitié qu'elle travaillait en France. « Elle a rencontré quelqu'un », avait ajouté Katarina du bout des lèvres. Il n'avait pas pleuré. Il n'en avait pas la force.

Il s'était effondré. Comme un poids mort. Comme une flaque. Sans fierté. Sans pudeur. Les Kandinsky lui demandaient qui ils devaient appeler. Il ne savait pas, ne répondait pas, n'avait envie de rien, n'avait envie de voir personne. Surtout pas les Potter. Même pas les Zabini.

Maël était arrivé, l'avait traîné jusqu'à chez lui, déshabillé, nourri, couché. Ebaubi, il avait écrit une brève missive à l'attention de tous leurs amis. Nalani avait débarqué dans l'heure, un énorme sac pendant à son épaule. James se féliciterait bien plus tard que sa détresse ait permis de réconcilier ses meilleurs amis, mais à cet instant il ne s'en était pas réjoui.

Il se sentait mal, lâche, vide. Inutile. Nalani s'évertuait à le bouger, se moquait, l'insultait, le secouait. Il ne réagissait pas. Flasque, inerte, il n'était qu'une loque, à peine capable de prononcer cinq mots. « Tu as de ses nouvelles ? » Elle avait fini par arrêter. Non elle n'en avait pas et il était assez mal comme ça. Maël s'inquiétait, refusait de le laisser partir.

Mais James repartit comme c'était prévu, avec un sac qu'il n'avait pas défait, le moral en berne et sans envie. Il fit une halte en France, retrouva Rose facilement, ne la rassura pas alors qu'elle se mortifiait de le voir dans cet état. Elle souffrait de devoir faire un choix, elle avait promis à Natasha de ne pas la trahir, mais elle les aimait tous les deux avec la même force. Ce fut Tim qui lâcha l'info, en espérant que James n'ait jamais à lui rendre la pareille.

Natasha était chez elle, chez eux, et elle était seule. Mais elle refusa de lui ouvrir et James demeura une heure devant sa porte avant d'abdiquer.

Il traîna dans le quartier trois jours, espérant apercevoir celui qui avait pris sa place, celui qui avait eu la lucidité de faire passer Natasha avant tout le reste.

La jalousie. Imaginer que Natasha puisse retomber amoureuse, qu'elle envisage de partager sa vie avec quelqu'un d'autre, un homme qu'il ne connaissait pas, qu'il détesterait sans même avoir le droit de le combattre, faisait trembler ses jambes, le rendait fou, dingue. Et Natasha s'en moquait. Natasha ne voulait pas lui parler. Ce sentiment, il n'arrivait pas à le contrôler, il se contentait de le sentir pourrir à l'intérieur de lui.

Natasha et lui avaient été proches, si proches qu'il ne pouvait envisager, accepter cette soudaine distance. Jamais du temps qu'ils furent ensemble il ne s'était senti si loin d'elle, même lorsqu'il se trouvait dans les contrées les plus lointaines. Loin, excessivement loin. Trop loin.

Pensait-elle toujours à lui ? Il le croyait. Il l'espérait. Mais elle ne pensait pas autant à lui que lui pensait à elle. Souffrait-elle ? Il ne supportait pas l'idée. Mais il ne supportait pas l'idée non plus qu'elle ne souffre pas au moins un peu.

Qui était ce nouvel homme dans sa vie ? L'aimait-elle ? Il ne l'acceptait pas, ne l'accepterait jamais. Il ne voulait pas qu'elle le remplace. Il voulait qu'elle ouvre la porte, qu'elle ouvre les bras. Qu'elle lui sourit. Ce sourire lui manquait trop. Il voulait lui donner des tas de raisons de lui sourire encore, de sourire toujours.

Il retrouva sa constellation, s'abrutissant de travail, d'efforts, de déverses d'énergie. Ce déferlement d'actions calmait ses angoisses mais n'anéantissait pas sa tristesse. Il parvenait à visualiser au plus profond de son cœur la plaie béante que Natasha avait laissé. Le manque mangeait à sa place. Les souvenirs avaient chassé le sommeil. Il s'épuisait, maigrissait. Il ne cessait de penser à ce qu'il avait perdu.

De penser à elle, à eux. Leurs sourires, leurs baisers, leurs étreintes. Leur complicité, le rire qui les prenait parfois, souvent. Les courses poursuites sous forme animale. Cette manie qu'elle avait de lui pincer la hanche, son sourire plus grand que le ciel, la couleur de ses cheveux au soleil, le goût de sa peau le matin. Les ballades sous les étoiles, leurs lèvres gercées par le vent de bord de mer, ses mains à elles dans ses poches à lui. Son audace, qui le faisait rougir. Sa douceur, qui le faisait fondre.

Elle avait pris l'habitude de s'installer partout, de se faire une place immense dans son cœur, de s'aventurer sous ses paupières clauses, de marquer au fer chaud chaque parcelle de sa peau, de détenir la clef de son âme.

Elle était si loin désormais qu'il oubliait parfois un trait de son visage. Ca le rendait dingue, il se tapait la tête contre le matelas, l'armoire, le mur, pleurait sur les photos de Rose, dévorait des yeux chaque détail, comme pour ne jamais oublier cette femme qu'il aimerait à tout jamais plus que toutes les autres.

L'envie de crever. Etre loin, souvent dans des situations périlleuses, rendait les choses faciles. Parfois, lorsque sa constellation se posait pendant des mois dans une contrée lointaine et vaste, ils se séparaient, partaient à deux ou trois pendant quelques jours, pour enquêter facilement ou récolter des preuves. Toujours il fallait se montrer discret, monter un campement de fortune, se chauffer au feu de bois, se laver dans un fleuve, une rivière et même, une fois, dans une flaque après une averse généreuse. Il lui suffisait de dire à Chen et Selim qu'il partait chercher du bois, de marcher un peu plus que la veille, un peu plus longtemps. D'atteindre un ravin, un fossé, une falaise. Des sables mouvants avec un peu de chance. Les autres ne serait pas dupes, mais la Confédération protégerait les siens, inventerait un quelconque accident qui permettrait à sa famille de se remettre plus facilement.

Mais Mael l'appelait tous les jours. Il disait « on t'aime, tu sais. On a encore envie de te revoir, nous. ». Les amis d'autrefois ne se voyaient plus, mais leur amitié n'était pas qu'un lointain souvenir.

Oscar et Susie le rejoignirent en Crète, parce que « ça fait des années qu'on veut te rejoindre quelque part mais tu pars toujours dans des endroits dangereux ou pas très jolis. La Crète, c'est bien. La mer, les maisons claires, c'est idyllique. Aller, viens manger du poisson grillé avec nous. » Ils avaient loué un bateau, s'étaient perdus sur le retour, avaient plongé pendant deux heures pour observer les poissons. Ils étaient gentils, bienveillants, prévenants. James n'avait pas osé dire tout haut ce dont il rêvait de toutes ses forces. Que Natasha soit là, avec eux, avec lui. Elle adorait le poisson grillé. Elle rêvait de plonger dans une eau turquoise. La Grèce l'avait toujours fascinée.

Ils l'avaient ramené avec eux, s'envolant pour Berlin, où Pepper donnait sa première exposition depuis la mort de Keith. Des œuvres sombres, qui s'étaient révélées être les siennes. Elle avait longtemps redouté de prendre le pinceau, persuadée qu'elle ne possédait pas le talent nécessaire. Elle avait préféré exposer les autres, rongeant son frein jusqu'à supporter le pire, la perte de son premier enfant. La perte à cause de la peur, la perte à cause de l'effroi, alors qu'elle avait failli croiser la route des Zigaro par la faute de Juliet. Pepper avait mis de longues années à se remettre, à accepter d'en parler, ne se reposant que sur Clifford. Et puis la vie avait continué, délivrant son lot de surprises, et une petite fille avait grandi dans le ventre de Pepper qui couchait sur des toiles immenses le fardeau de la rémission.

Le quartier moldu de Mitte était somptueux, ils avaient marché dans les rues, bu un verre sur une place vivante, pleine de jeunes comme eux qui riaient et jouaient de la musique. Mael, Nalani et Solenne les avaient rejoints. La dernière lâcha d'emblée qu'ils venaient de croiser Natasha. Nalani ajouta très rapidement qu'elle n'était pas venue seule, comme on se débarrasse d'une vérité qui dérange. James avait essayé de sourire, il avait préféré payer sa tournée directement au bar, pour s'enfermer dans les toilettes et pleurer.

Et puis Louis lui proposa des vacances un peu dingues, à Las Vegas, entre cousins. Ils avaient beaucoup bu et joué le dernier salaire de James à la roulette, sans remporter la moindre noise.

Et puis Alice prit la relève, osant dire tout haut ce que les autres pensaient avec peine. « Tu es en vie, toi. Tu n'as pas le droit d'abandonner. Keith n'aurait pas voulu te voir comme ça. Il aurait tout fait pour te redonner le sourire. Tu ne lui rends pas hommage, James. Tu ne rends pas non plus hommage à Juliet. »

Juliet. Alice était de loin celle qui l'appréciait le moins. Elles s'étaient longtemps disputé la place de meilleure amie, persuadées que leurs différences les sépareraient toujours. Alice s'était séparée de Keanu quelques mois plus tôt, car ils ne faisaient plus que se croiser, trop pris par leurs métiers respectifs. Juliet ne s'était pas séparée de Keith, mais la vie s'en était chargée. La vie lui avait volé son amour, la vie leur avait volé leur ami.

L'acceptation. Ce furent sans doute ses amis qui permirent à James de se relever. Il avait failli les perdre eux aussi, à la mort de Keith. Cette chaîne si solide aurait pu ne jamais survivre à la perte d'un de ses maillons. Mais ils avaient survécu, tant bien que mal. Ils avaient repris l'habitude d'écrire à Juliet, comme ils l'avaient fait quand elle était partie étudier à Ilvermorny.

Ils savaient que, cette fois, elle ne reviendrait pas. Qu'il était encore trop tôt pour qu'elle accepte de répondre à leurs lettres. Elle avait fui après avoir renversé le ministère, après avoir insulté chaque conseiller, elle avait fui quand elle avait compris qu'on ne lui donnerait pas de retourneur de temps, qu'elle ne pourrait jamais rien changer au cours du temps, au destin qui s'était acharnée sur eux une fois de plus, une fois de trop. Elle n'avait pas attendu les obsèques. Elle n'en avait pas eu la force.

Les amis avaient fini par se relever, difficilement, autour de projets et de naissances, autour de James qui maintenait le lien entre tous. Et c'était lui, désormais, que tous soutenaient. Tous, sans exception. Ils l'écoutaient, buvaient avec lui, noyaient son chagrin dans l'alcool le plus fort, le portaient, l'entouraient, le protégeaient.

En les voyant tous autour de lui, eux, ces gens si bien, ses amis si fidèles, ceux qui l'accompagnaient depuis toujours dans cette relation que seule la mort pouvait défaire, il comprit à quel point ils avaient besoin de lui, à quel point lui avait besoin d'eux, à quel point ils refusaient de faciliter la sombre tâche de la mort.

Il avait envie de vivre avec eux jusqu'à son dernier souffle.

Ils lui donnèrent envie de survivre à cette épreuve, de vivre et de revivre, pour eux et surtout pour lui, car ils lui démontraient qu'il avait de l'importance, une force, des rêves, des capacités, des sentiments. Car ils étaient parvenus à lui faire comprendre que cette plaie béante était aussi douloureuse que l'intensité de ses sentiments pour Natasha avait été belle, et que cet amour qu'il avait porté en lui, cet amour qu'il porterait sans doute toute sa vie était beau.

Il avait fini par comprendre qu'il était chanceux. Chanceux d'avoir pu aimer si fort, d'avoir été si heureux. Clifford répétait « un jour la vie te surprendra à nouveau. Elle sera belle, et quand elle s'endormira dans tes bras tu ne pourras cesser de la regarder. Un jour ton cœur battra à nouveau pour quelqu'un, sans peur et sans reproche. »

Le pardon. James pardonnait à l'amour de l'avoir abandonné. James pardonnait au bonheur de l'avoir quitté. James pardonnait à la vie, et même à cet homme qui vivait désormais avec Natasha depuis un an. James pardonnait à Natasha d'avoir cessé de croire en eux. On la disait fiancée, Nalani avait laissé entendre que Natasha jouait dans une équipe de troisième division du championnat français, un loisir qui la poursuivait et dans lequel elle excellait. Nalani avait laissé entendre que Natasha avait arrêté de s'entraîner quelques semaines plus tôt. Nalani avait laissé entendre que Natasha était enceinte. De cet homme avec qui elle vivait et avec qui on la disait fiancée.

Le deuil. James accepta de partir pour l'Hyperborée. Il avait été le premier de sa constellation à accepter, bientôt suivi par deux-trois autres, avant que les derniers ne finissent par accepter, avec plus de réticence. C'était une des seules contrées au monde où les sorciers vivaient en totale autarcie. Coupés des autres communautés sorcières, suivant leurs propres règles, leurs propres lois. Rares étaient les expéditions vers l'Hyperborée. Car elles ne pouvaient durer que des mois, au moins, et que les explorateurs savaient qu'ils ne pourraient transmettre ni recevoir la moindre nouvelle.

James fit ses adieux à ses amis, sécha la larme qui coulait sous la joue de Rose, lui donna une petite enveloppe. « Donne-la à Natasha s'il te plaît. Je ne sais pas si elle la lira, si elle aura un jour envie de lire ces derniers mots que je lui adresse mais c'était important pour moi de les lui écrire. » Rose promit. James partit. La bande s'étiola, ses membres promettant de se retrouver une semaine plus tard. Les semaines passèrent et les absences s'accumulaient.

Keanu rentrait tard de l'hôpital, Solenne y passait toutes ses nuits. Nalani et Oscar se croisaient au ministère, Susie agrandissait son restaurant. Rose avait donné la lettre de James à Natasha. Elle ne s'était pas montrée pressante, ne s'était pas montrée curieuse. Elle n'avait rien demandé et Natasha avait beaucoup hésité. Un soir, n'y tenant plus, elle avait failli jeter l'enveloppe close au feu. Ne plus subir la tentation, ne plus risquer d'y succomber.

Elle mit six mois à comprendre qu'elle ne rêvait plus que d'une seule chose, lire le contenu de la lettre.

« Les derniers mots de James », avait dit Rose. Natasha ne pouvait pas le croire, Natasha ne voulait pas le croire. Elle n'aurait jamais cru tenir autant de temps, elle lui avait lancé cet ultimatum sans y croire, certaine que l'un ou l'autre ferait le premier pas, et que le second lui ouvrirait les bras, comme ils l'avaient fait tant de fois.

Elle avait rêvé qu'il revienne, qu'il promette de ne jamais repartir. Il était venu, une fois. Et elle était restée prostrée derrière la porte, espérant qu'il tape une seconde fois. Il n'était plus revenu.

Quand elle avait arrêté le quidditch, Nalani avait fait irruption, l'avait suppliée. « Dis-moi que t'as pas un polichinelle dans le tiroir ! Dis-moi que t'es pas assez bête pour faire un gosse à un autre type ! » Natasha avait souri. Natasha avait promis. Non elle n'était pas enceinte, elle avait seulement arrêté le quidditch, faute de temps. Natasha s'était remise à espérer. « Au moindre signe, je dis oui. S'il revient je ne dirais pas non, au contraire, je le supplierai de me pardonner, je lui promettrai qu'il est le seul, que je serai à lui pour toujours. »

Elle ignorait que les amis de James étaient parvenus à lui faire entendre raison. Elle ignorait qu'ils le gardaient éloignés d'elle, persuadés qu'il n'avait plus aucune chance de la reconquérir.

Et puis Rose avait porté cette lettre. Natasha avait cru que son cœur aller sortir de sa poitrine.

Mais Rose avait ajouté trois mots.

Puis deux.

Puis quatre autres.

« Il est parti. Pour longtemps. Il ne reviendra pas. »

Cela faisait six mois et Rose n'avait pas de nouvelles. Elle avait appris, par Louis, que James était autorisé à écrire à trois personnes. Blaise, Lily et Mael. Fiers représentants de ses trois familles.

« Je n'ai plus aucun rapport avec les Zabini, Lily a toujours été jalouse de la relation forte que j'entretiens avec son frère et Mael... J'imagine qu'il a déjà assez de boulot à prévenir tous leurs copains. Louis a promis qu'il me donnerait des nouvelles, maintenant. », avait confié Rose.

Mais James écrivait peu, James était loin, emmitouflé dans des peaux animales qui le préservaient du froid et lui permettaient de s'infiltrer dans la communauté la plus méconnue.

Et Natasha ignorait la vérité. Natasha ignorait l'Atlantide et l'Hyperborée. Natasha ne connaissait que la version officielle, que James était parti pour l'Antarctique.

Natasha ne cessait de se l'imaginer. Elle rêvait qu'il frappe à la porte, ses cheveux et sa barbe couverts de neige, et qu'il vienne se blottir près du feu, sur ce tapis moelleux qu'elle avait installé pour ne jamais oublier toutes les nuits qu'ils avaient passées dans la salle sur demande. Oui, elle rêvait qu'il vienne trouver refuge dans ses bras. Elle promettait qu'elle ne le laisserait plus repartir, elle promettait qu'elle ne referait pas deux fois la même erreur. Mais James ne revenait pas.

Alors elle décacheta la lettre et, dans sa précipitation, versa une larme sur les premiers mots.

« Chère Natasha,

Je crois bien n'avoir jamais commencé une lettre ainsi. J'ai toujours pris beaucoup de plaisir à user de quolibets, parce que je savais que tu trouvais ça ridicule, que tu allais lever les yeux au ciel. Et aussi, surtout, parce que j'étais trop heureux de t'appeler « ma chérie », « mon amour », ces mots affectueux que tu trouvais niais et qui trouvaient grâce à mes yeux parce que j'avais le droit d'utiliser le possessif.

Aujourd'hui tu n'es plus « ma » chérie, tu n'es plus « mon » amour. Pas officiellement, pas à tes yeux. Mais tu l'es toujours à mes yeux car je crois que l'on ne peut cesser d'aimer quelqu'un quand on l'a aimé si fort. Tu as été, tu es, tu resteras le plus grand amour de ma vie.

Ne crois pas que j'espère te reconquérir. J'ai fini par comprendre que ça n'arriverait jamais, que tu as tiré un trait sur moi, sur nous, et j'espère que cela a été moins douloureux pour toi que ça ne l'est pour moi. Je t'en ai beaucoup voulu, parce qu'il était parfois réconfortant de remplacer la douleur par la colère, le manque par la rage. Je ne t'en veux plus. Je te pardonne. C'est la phase du deuil que je préfère, le pardon. Mais pour passer enfin à la dernière, je dois te demander pardon à toi.

Pardon. Je suis désolé. Je n'ai pas tenu mes promesses. Je t'avais promis de toujours te faire passer avant tout le reste, et j'ai préféré continuer, croire que tu me laisserais encore quelques mois, quelques années. Aujourd'hui tu dois te ficher de mes excuses, tu dois t'épanouir sans moi, mais il était important pour moi de te demander pardon, de reconnaître mes fautes, de t'avouer que moi, je ne me pardonnerai jamais. Tu étais tout à mes yeux et je n'ai pas su te rendre heureuse, te garder près de moi, me rendre indispensable à ta vie. Je suis le pire des idiots. Je crois que si je remontais le temps, celui que j'étais à seize ans me donnerai la gifle la plus cuisante de ma vie. Je crois qu'il me dirait « avec tout ce que j'ai fait pour la conquérir, sombre crétin, tu l'as laissée partir ! ». Il aurait bien raison. A trop vouloir réaliser tous mes rêves, j'en ai oublié le premier de tous, l'essentiel, celui d'une vie à deux avec toi.

Aujourd'hui j'espère qu'un autre ne fera pas la même erreur que moi. J'espère qu'il comprendra que tu es le cadeau le plus précieux qu'un homme peut recevoir de la vie, j'espère qu'il te chérira et t'aimera comme tu le mérites. J'espère qu'il réussira là où j'ai échoué. Je te le souhaite. Je vous le souhaite à tous les deux.

Aujourd'hui il ne me reste que le reste. Aujourd'hui j'ai perdu l'essentiel, le plus important, aujourd'hui mes rêves d'aventure et de paix me semblent bien dérisoires. Aujourd'hui il me semble que chaque nouvelle mission est une miette de pain rassis, que chaque découverte me rappellera toujours qu'elle serait bien moins terne si je pouvais la découvrir à tes côtés.

Aujourd'hui je pense aux enfants que j'aurais aimé avoir avec toi, à ceux que tu auras avec un autre, à ceux que je n'aurai jamais. Je crois que c'est bien dommage. J'avais fini par te convaincre d'en avoir suffisamment pour que l'un d'eux gouverne le monde. Et je crois qu'il s'en serait bien sorti. Je crois qu'on aurait tout fait pour qu'il s'en sorte. Et je sais que j'aurais adoré ça, les voir grandir près de nous, leur donner des conseils qui n'auraient pas trouvé grâce à tes yeux, les aimer presqu'aussi fort que ce que je t'aime toi.

Aujourd'hui je pars pour le Pôle Sud. Il paraît que le froid aide à oublier la douleur. Que seul le temps m'aidera à accepter, à me pardonner.

Je ne reviendrai pas, Natasha. Je te le promets. Je ne suis pas prêt à te voir sourire à un autre que moi, et je ne le serai jamais.

Je te souhaite d'être heureuse, comblée, aimée. Que ta route soit longue et emplie de moments de joie.

Adieu

James. »

Quand Rose entra de force dans l'appartement après avoir sonné six fois, elle trouva sa meilleure amie prostrée près de la cheminée, en position fœtale, son pull trempé par ses larmes. La lettre était posée près de ses jambes et Rose n'en lut que les deux derniers mots. Ravalant ses propres larmes, elle entoura Natasha de ses bras et la berça toute la nuit.

Aujourd'hui c'était à elle de se montrer forte pour eux. Aujourd'hui ses deux piliers étaient ébranlés. Et elle doutait que l'un ou l'autre puisse un jour se relever.

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Rio de Janeiro, six mois plus tard

C'était un vendredi après-midi. Piotr chantonnait « Si tu vas à Rio », un vieux tube moldu. Méduse sifflotait le même air, pour l'accompagner. Et Neith venait de battre son propre record sur la vieille console qui ne la quittait pas, prenant un malin plaisir à chanter « deux-mille huit cent cinquante-deux » sur le même air. Les moldus qui les entouraient écarquillaient les yeux face à ce comportement des plus étranges, mais Haïdar s'en fichait. C'était les vacances, et ils partaient ensemble à Rio.

Ils passeraient dix jours au Brésil. Dix jours entiers à vivre ensemble, sans devoir se séparer pour rejoindre la salle commune qu'ils ne partageraient jamais. Dix jours entiers à parcourir le Brésil, ses plages de sable fin, ses quartiers animés, et les souterrains sorciers que l'on dépeignait comme une découverte inoubliable.

C'était surtout James qui le disait, le répétait. C'était lui qui avait tout organisé. Lui qui avait convaincu les parents. Lui qui était là, en bas des escalators, un chariot vide trônant à ses côtés. Lui qui avait drôlement bronzé et affichait ses muscles et sa peau sertie de cicatrices sous une chemise des plus horribles.

- Je n'arrive pas à savoir quelle couleur prédomine, songea Méduse avec sérieux alors que Piotr et Neith continuaient de chanter plus fort. Le vert ? Le rose ? L'orange ?

- Je crois que la personne qui a créé cette chemise souhaitait justement que l'on s'y perde, répondit Haïdar. Certains diraient qu'elle est « flashy », d'autres qu'elle est tout simplement criarde.

Lui qui avait toujours été patient avait envie de bousculer les nombreuses familles devant lui, pour descendre plus vite, pour regagner la terrer ferme, loin de cet enfer moldu qui avançait tout en descendant.

- Prends ma main, ordonna Méduse.

Elle le savait peu coutumier des technologies moldues et il ne se fit pas prier, sautant bien plus loin que de raison lorsque le sol fut à sa portée.

Ses bagages tombèrent au sol alors qu'il levait timidement les yeux. Haïdar était arrivé à Poudlard bien après que son frère en soit parti, ils s'étaient beaucoup écrit mais s'étaient finalement très peu croisés. Quelques repas de famille qui ne duraient jamais assez longtemps, quelques verres au pub partagés dans le bruit et le brouhaha, quelques concerts où ils n'écoutaient qu'Hadiya, quelques promenades en Irlande où Shania parlait tant qu'ils ne pouvaient en placer une.

Dix jours. Ils n'avaient jamais passé autant de temps ensemble. A part sans doute à Castel Maggiore, deux fois. Mais ils étaient jeunes, alors. Si jeunes qu'il leur était plus facile de se parler. A nouveau Méduse témoigna de son soutien. D'une bourrade amicale de l'épaule, pour l'encourager à ouvrir la bouche. Mais ce fut James qui parla le premier.

- Le voyage s'est bien passé ?

Il semblait à Haïdar que son frère s'adressait surtout à Méduse, qui hocha la tête avec un sourire poli.

- Ca leur arrive souvent ?

Haïdar fronça les sourcils, ne comprenant pas à quoi James faisait allusion. Puis il vit les voyageurs s'éloigner, deux vigiles approcher lentement. Piotr et Neith chantaient si fort que leur attitude allait leur attirer des ennuis. Haïdar les rappela à l'ordre, non sans lancer à son frère une moue désolée. Les vigiles repartirent, les voyageurs paraissaient plus amusés qu'énervés.

Piotr et James posèrent les bagages dans le chariot, Neith pianotait sur sa console non sans surveiller Méduse qui échangeait un peu de leur argent.

Haïdar fit quelques pas, la sortie était tout près et il voulait voir à quoi le Brésil ressemblait, découvrir quelles étaient ses couleurs, sentir son parfum.

Des trombes d'eau l'accueillirent. Un ciel si gris qu'il lui semblait retrouver l'Angleterre. Une main se posa sur son épaule alors qu'un rire qu'il connaissait bien raisonnait.

- Je comprends que cela soit une mauvaise surprise mais je te rassure, ce n'est vraiment pas courant et ça ne dure jamais longtemps.

Haïdar acquiesça, recula pour se mettre à l'abri. Ses amis étaient restés en arrière, parlaient à voix basse en regardant des filles moldues de leur âge qui semblaient avoir subi une dizaine d'opérations chirurgicales.

- Les filles ne sont pas toutes comme ça non plus, murmura James à son oreille. J'en ai croisé une à l'hôtel ce matin qui était mignonne comme tout. Elle doit avoir ton âge, petit veinard.

Haïdar haussa les épaules, gêné. Il n'était pas habitué à se retrouver seul avec James. Il cherchait en vain quelque chose à dire, mais les mots lui échappaient. Il pensait à quelques banalités, les dernières nouvelles de la maison, une lettre que lui avait donné son père et qu'il froissait dans sa poche. Il ne parvenait même pas à regarder James dans les yeux. Il secoua la tête, pour se donner du courage.

- Je ne parle pas le Portugais, laissa-t-il échapper.

C'était nul, songea-t-il. Il ne s'était jamais intéressé aux filles, ce n'était sans doute pas une question de langue qui allait changer les choses. Mais un bref regard vers James lui fit comprendre que son frère était aussi gêné que lui.

- Evelyn dit que tu parles plusieurs langues.

- Oui. L'anglais, le français, l'espagnol, l'allemand, le russe et l'arabe.

Le regard de James s'embrasa. Ébahissement, fierté. Des sentiments qui frappèrent Haïdar de plein fouet. Il lui offrit un sourire timide et sentit les mains de son frère se poser sur ses épaules.

- On pourra apprendre ensemble le portugais si tu veux. Ou faire tout ce que tu voudras faire. On a dix jours pour... Enfin, peut-être voudras-tu rester seul avec tes amis aussi mais... J'espère qu'on pourra passer du temps ensemble, toi et moi. Je suis vraiment heureux que tu sois là, Haïdar.

James ouvrit les bras et Haïdar se jeta contre lui, l'étreignant de toutes ses forces.

- Tu m'as manqué petit frère, murmura James en le serrant plus fort encore.

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Les chambres que James leur avait réservées donnaient sur une plage somptueuse qu'ils ne fréquentaient que tôt le matin et à la nuit tombée. Le soleil était trop fort pour la peau pâle de Méduse, et Neith avait bien trop à faire en ville que paresser sur la plage.

Haïdar passait le plus clair de son temps avec James. Le matin, l'aîné les amenait tous les quatre découvrir les plus belles richesses de l'Amérique du Sud. Mateus les accompagnait souvent, le récit de ses aventures passionnant Neith au plus haut point. A la plus grande surprise de tous, et d'eux-mêmes, ils ne tardèrent pas à se rapprocher, et échangèrent leur premier baiser près des chutes d'Iguazù.

Bien que profondément chamboulés par cette nouveauté, James et Haïdar décidèrent de ne pas s'en mêler. Après tout, Piotr prenait la nouvelle avec sagesse et Méduse ne semblait pas inquiète, alors ils calquaient leurs émotions sur celles de ces jeunes déjà bien en avance pour leur âge.

Ce fut ensuite Piotr qui se rapprocha de la petite sœur de Mateus, aussi sensible et honnête que son frère pouvait être téméraire.

Haïdar avoua à son frère que ses amis et lui rêvaient de marcher dans ses pas, et James ne fut pas surpris d'apprendre qu'ils formeraient une nouvelle constellation, avec la petite sœur de Mateus et six autres jeunes de par le monde.

L'après-midi, Haïdar laissait ses trois amis avec Mateus et passait avec James de longs moments de complicité, les deux garçons apprenant jour après jour à consolider des liens fraternels qu'ils espéraient voir perdurer toute leur vie. Ils goûtaient toutes sortes de mets, se prenaient en photo pour immortaliser les nouvelles grimaces qu'ils inventaient, parlaient beaucoup et riaient parfois jusqu'aux éclats.

Le soir, les membres de la constellation et ceux qui marchaient dans leurs pas se retrouvaient autour d'un grand feu allumé par Mateus, et Selim et Slawomir sortaient leurs instruments, jouant de la musique pendant des heures. Mateus et Neith s'isolaient naturellement, Brooke sortait son téléphone portable, partageant avec son fiancé tous les moments qu'elle passait loin de lui, et James ressentait le pincement au cœur habituel.

Haïdar en ressentait beaucoup de compassion et de tristesse, il avait compris que Brooke avait réussi là où James avait échoué, parvenant à préserver sa relation amoureuse entamée bien des années avant sur les bancs d'Ilvermorny. Le petit frère couvait son aîné du regard, sachant pertinemment que malgré les années, James continuait d'éprouver nostalgie et remords. Il avait connu quelques filles, mais jamais l'une d'elles n'avait remplacé Natasha dans son cœur. Et il donnait l'impression qu'il l'aimerait toujours.

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Haïdar avait quitté James et le Brésil depuis un mois. La constellation avait depuis terminé sa longue mission en Amérique du Sud et James avait retrouvé la terre pluvieuse de l'Angleterre, celle de ses origines, d'une enfance vécue dans les quartiers chics de Londres avant de rejoindre l'Ecosse et le château de Poudlard.

Une semaine plus tôt, c'est la famille Zabini au grand complet qu'il avait retrouvée, le temps d'un dîner préparé par une Evelyn plus douée que jamais. Un dîner qu'ils avaient fait durer jusqu'au bout de la nuit au son des rires, des anecdotes de chacun, des sourires de tous.

Puis James avait organisé une échappée des plus épiques à Barcelone, « entre mecs », répondait à l'appel de Mael qui lui avait confié la lourde tâche d'organiser son enterrement de vie de garçon. Depuis qu'ils s'étaient retrouvés au chevet de James, alors en plein chagrin d'amour, Mael et Nalani ne s'étaient plus quittés.

Marier deux membres d'une même bande n'avait pas rendu à James la tâche facile. Ils s'étaient donc inspiré des vieilles traditions, les filles partant aux côtés de Nalani, les garçons suivant James et Mael en Catalogne. Trois jours. James avait exigé trois jours. Il prétendait qu'il ne pouvait en être autrement, que trois jours ne seraient pas de trop pour faire oublier à Mael ses déboires de célibataires. Et ces trois jours ne furent pas de trop pour leur créer pléthore de nouveaux souvenirs à chérir jusqu'à leur dernier souffle.

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H-3 avant le jour J

Témoin. C'était écrit. La veille, Mael s'était confié. « Je le savais, mec. Je l'ai toujours su. Depuis notre premier voyage dans le Poudlard Express. Comme une évidence. Tes cheveux coiffés n'importe comment, la douceur de ton sourire, la curiosité et la soif d'apprendre dans tes yeux... Je me rappelle m'être dit, au bout de seulement dix minutes passées avec toi « Par Merlin, je viens de rencontrer mon meilleur ami ». J'ai su à cet instant précis que l'on ne se quitterait jamais. Et comme d'habitude j'avais raison. »

Ils avaient passé la nuit à parler, l'un contre l'autre, abordant chaque sujet, s'attardant sur celui de Nalani, revivant chaque souvenir de leur relation, même les mauvais, mais surtout les bons. Car, comme le disait si bien Mael, « les bons ont été vachement plus nombreux. Parce que c'est aussi ça l'amour, mec, c'est être heureux même dans les moments tristes, parce qu'on est ensemble ». Avant de subitement partager avec son meilleur ami un véritable scoop, qui n'en était pas encore un officiellement. « Tu vas être parrain, mec ! Bon, personne ne le sait, Nalani ne m'a rien dit, mais j'en suis persuadé, mec ! Je vais être papa ! »

Mael avait toujours prédit qu'il deviendrait père avant James. Un jeu entre eux, une évidence. Natasha ayant deux ans de moins qu'eux trois, il lui avait paru évident que son premier né serait ce pilier indéfectible qui veillerait sur toute la nouvelle génération. C'était avant que Natasha quitte James. Avant que celui-ci se mette à douter de devenir père un jour.

Mael lui avait rappelé que le monde était peuplé de femmes, « que t'as peut-être tout simplement pas rencontré la bonne encore ». Avant d'ajouter, l'air de rien, « je t'ai dit que Nalani avait invité son ancienne équipe de quidditch ? »

Le cœur de James n'attendit pas que Mael ajoute « Natasha sera là » pour commencer à s'affoler.

Elle serait là. Natasha, la jeune femme qu'il avait aimée si fort, pendant si longtemps. L'amour de sa vie. Natasha, qu'il n'avait pas revue depuis plusieurs années.

- Tu sais, mec, avait repris Mael, quand on était en Corse cet été, avec Cliff et Oscar, je t'ai pas cru. Je te croyais pas mais j'ai quand même eu un micro doute. Tu disais que t'étais passé à autre chose et Cliff et Oscar t'ont cru.

- Mais pas toi.

- Non.

- Pourtant moi-même je le croyais. Un peu. Mais ça ne m'étonne pas vraiment, ce n'est pas la première fois que tu me prouves que tu me connais mieux que je ne me connais moi-même.

Ils n'avaient pas laissé le silence s'installer longtemps, à peine le temps pour James de se remettre de cette annonce, et de choisir de ne pas y penser davantage. Le lendemain arriverait bien assez tôt, il était même déjà là. Il ne pouvait prédire ce qu'il ressentirait quand il reverrait Natasha, encore moins s'il oserait l'aborder, ni même ce qu'il trouverait à lui dire. Autant laisser le destin faire son affaire. Et puis il n'avait plus eu l'occasion d'y penser tout court, car Mael s'était remis à parler. De tout, de rien, ne s'arrêtant jamais.

Il gesticulait peu, contraire à ses habitudes et, alors qu'il n'avait jamais été précieux, repassait avec soin son costume toutes les heures. Celui de James avait subi le même soin déjà trois fois, bien qu'il ait été aussi parfait que celui du futur marié.

Le connaissant par cœur, James n'avait pas essayé de le calmer, encore moins de lui trouver une quelconque autre occupation, se contentant de tendre et récupérer chaque vêtement patiemment.

Jamais le sentiment de peur de perdre sa belle n'avait quitté Maël, et celui-ci se débrouillait toujours pour passer le plus de temps possible en compagnie de sa fiancée. Ça faisait des années que ça durait et la possessivité de l'un et l'indépendance de l'autre s'en accommodaient à la perfection.

Néanmoins, en cette dernière nuitée officielle de célibat, Nalani avait refusé qu'ils dorment ensemble, arguant que son futur époux pouvait bien profiter d'une nuit de débauche entre mecs, et elle d'une suite nuptiale somptueuse avec jacuzzi.

Puisqu'ils avaient les mêmes amis, ceux-ci, à l'exception de James, avaient choisi de ne pas choisir, et s'étaient réunis dans le plus grand bruit dans une salle de jeux du dernier étage de l'hôtel, où Oscar avait déjà gagné assez d'argent pour organiser des vacances à New York à toute la petite bande.

Il ne serait pas aisé d'accorder leurs emplois du temps, ni de se séparer des premiers nés de la nouvelle génération, mais les parents, frères et sœurs étaient là et tous disposés à se disputer les deux petites frimousses Dubois et la magnifique héritière des De Woodcroft qui, du haut de ses six mois, rendait déjà ses parents gagas, même la terrible Pepper. Il fallait avouer que Pepper avait multiplié les fausses couches avant d'enfin mettre au monde sa petite merveille.

Mine de rien, songeait James, ils avaient fait leur petit bonhomme de chemin, se frayant une route entre les embuches du temps, se relevant des pires événements de leur vie.

Ils avaient longtemps cru que le destin s'était particulièrement acharné sur les adolescents qu'ils étaient alors, criblant leur quotidien de crimes qui les avaient bouleversés et d'enquêtes qui les avaient fait grandir trop vite. Ils s'étaient persuadés que le pire était derrière eux, que le bonheur ne pouvait qu'être là, quelque part dans le monde, de l'autre côté des grilles de Poudlard, et que cette fois il durerait toujours.

Ils avaient quitté Poudlard de la meilleure des façons, ensemble, avec de brillantes notes à leurs Aspics, sous les hommages du directeur et du corps professoral qui avaient vanté leur tolérance, leur amitié qui faisait fi des maisons, leur entraide, le fairplay des plus sportifs d'entre eux, leur abnégation, leur courage.

La vie active, la vie d'adulte, leur tendait les bras et ils s'étaient jetés en avant sans hésitation, prêts à mordre l'avenir à pleines dents.

Clifford avait prédit qu'ils vivraient longtemps, ensemble, et que la mort viendrait les prendre la même année, à un âge très avancé, après qu'ils aient ensemble peuplé la communauté magique d'êtres bienveillants.

Ils n'étaient pas pressés de vérifier si cette prédiction se réaliserait, ils étaient jeunes, méritants et pleins d'envie. Non ils n'étaient pas pressés, ils possédaient l'espoir. Il était plus agréable d'imaginer le meilleur que d'envisager le pire.

Combien de fois avaient-ils frôlé la mort ensemble à Poudlard ? Ils s'en étaient toujours sortis. Et même après, dans les premiers mois de leur vie active, chacun s'était un jour trouvé dans une situation malaisée. James très souvent, aux quatre coins du monde. Solenne et Keanu, qui côtoyaient si souvent la mort à Sainte Mangouste. Ceux qui travaillaient au ministère, et qui n'étaient pas en reste. Susie, qui avait failli ne pas sortir vivante de son restaurant, envahi par les flammes à la suite d'une négligence de l'un de ses employés. Nalani, qui avait failli se faire renverser par une voiture volante invisible. Oscar qui avait chuté lourdement d'un balai en plein test.

Ils n'avaient pas eu peur de retourner à Poudlard. Ils n'avaient pas envisagé une seule seconde que le pire pourrait se produire. Ils s'imaginaient en repartir blessés, ça oui. Ils craignaient pour leur vie, pour celle de leurs amis, pour les élèves de Poudlard, menacés par les Zigaro. Mais ils avaient fini par se persuader qu'ils les auraient un jour, que les Zigaro finiraient par tomber, que le moment était enfin arrivé et qu'ils voulaient participer, aider, parce qu'ils s'en croyaient le droit, parce qu'ils avaient bien trop souvent été leurs victimes.

Et le pire était survenu. Keith était mort. Keith, le joyeux trublion de la bande, lui qui avait côtoyé les Zigaro de si près et qui s'en était sorti, après avoir justement évité le pire.

Lui qui avait quitté l'Angleterre au bras de Juliet, lui qui avait personnellement été entraîné au combat par Trisha, lui qui n'avait jamais cessé d'espérer, lui qui s'était élancé avec rage, le premier, démontrant que les Serdaigle pouvaient parfois être plus courageux encore que les Gryffondor. Lui qui avait combattu les deux frères vaillamment, montrant l'exemple à ses amis, rattrapés par la peur.

Ils étaient tous tombés, s'étaient tous blessés. Après avoir failli tuer son assaillant, Oscar s'était reculé, dos au mur, saisi par les combats qui faisaient rage autour de lui, ne sachant pas vers quel ami apporter son aide, perdant des secondes précieuses, s'apercevant que la peur avait déclenché en lui la plus basique des pulsions, qu'il était redevenu ce garçonnet de trois ans qui n'osait avouer à sa maman qu'il s'était fait pipi dessus.

Il s'était ressaisi, la cuisse droite humide, parce qu'il n'était plus ce petit garçon depuis longtemps. Parce qu'il était un homme, un homme amoureux, et qu'il devait retrouver Susie, s'assurer qu'elle allait bien, comme elle l'aurait fait à sa place. Il avait parcouru trois couloirs, escaladé des pierres, avalé quantité de poussière qu'il recracherait encore des jours plus tard et enfin l'avait retrouvée, assaillie par deux sbires des Zigaro. Le sang d'Oscar n'avait fait qu'un tour et il s'était jeté sur les deux hommes avec l'envie de faire payer à ces salopards l'idée même de s'en être pris à l'élue de son cœur. Et pas seulement. Susie était enceinte, Susie avait voulu venir, mais tous deux avaient peur pour le bébé. Il n'avait rien eu, n'avait rien subi. Il n'était qu'un embryon, bien au chaud dans le ventre de sa mère et s'il n'était pas armé pour se défendre, il avait survécu à la mort, protégé par ses parents, les amis de ceux-ci, les professeurs de Poudlard et tant d'inconnus qui leur étaient venus en aide.

Longtemps Oscar avait porté en lui cette culpabilité. Il disait à James, « on aurait pu avoir d'autres enfants, Susie et moi. Il n'était pas né, on aurait pu le remplacer. C'est ignoble, ce que je dis ? Parce que ce n'est pas par manque d'amour. Je l'aime, mon gosse, James. Il n'est pas né mais je l'aime déjà, tu sais. C'est juste que... On peut en faire plein, des enfants. Mais Keith, lui, personne ne le remplacera. »

Les paroles d'un garçon paumé, d'un garçon ivre, d'un ami qui ne se remettait pas de la perte de l'un d'eux.

Ils ne s'en étaient jamais vraiment remis. Ils ne s'en remettraient jamais vraiment. Juliet avait fui, ne répondant à aucun de leurs appels, Nalani avait quitté le ministère comme répondant à une soif de réaliser ses rêves les plus fous le plus rapidement possible, avant qu'il ne soit trop tard, de se plonger dans un rythme effréné, de rendre un dernier hommage à son meilleur ami, de faire toutes ces choses qu'il ne ferait jamais.

Oscar et Susie, qui leur avaient annoncé bien des mois plus tôt qu'ils se marieraient à la fin du prochain été, avaient annulé la célébration, choisissant de s'unir dans l'intimité la plus totale, se persuadant qu'il valait mieux n'inviter aucun ami et remplacer ceux qui devaient être leurs témoins par la sœur d'Oscar et la cousine de Susie. Mais James s'était souvenu de la date, et du bébé qui grandissait dans le ventre de Susie, de la joie de Keith quand il avait su qu'elle portait la première de « leurs bébés », comme il aimait à le répéter. Parce qu'il le pensait, parce qu'il faisait naître les sourires.

James s'était envolé vers l'Amérique, était parvenu à convaincre Juliet. Les autres avaient suivi plus facilement, hébétés que Juliet ait accepté, retenant leurs larmes. C'était la première fois qu'ils se retrouvaient après le drame. La première fois que la bande se reconstituait, malgré le chaînon manquant. Ils avaient débarqué au mariage en jeans et t-shirts sales, mais avec de la musique et des litres de Bièraubeurre. Chacun s'était fait la promesse de ne verser que des larmes de joie. La fête, bien qu'improvisée, avait été longue et belle. Et, une fois bue la dernière goutte d'alcool, tous étaient entrés chez eux pour pleurer, pour oublier, pour se persuader qu'ils avaient bien fait, qu'ils n'avaient pas trahi Keith, que c'est ce qu'il aurait voulu lui aussi, que jamais il n'aurait accepté qu'ils abandonnent ainsi Oscar et Susie, que jamais il ne leur aurait pardonné de détruire ce qu'ils avaient de plus précieux, leur amitié.

Juliet n'avait que peu parlé, mais s'était permise de prendre les mariés à l'écart et de leur demander une chose.

Une seule chose, essentielle à ses yeux.

« Ce bébé qui grandit en toi, Susie, ne l'appelez pas Keith. Tout mais pas ça. La génération qui nous précède a commis l'erreur de donner à certains d'entre nous un prénom connu, un héritage morbide, le prénom d'un mort. Ne faisons pas la même erreur. Ne faites pas la même erreur. Je vais repartir, mais peut-être qu'un jour j'arriverai à me relever, peut-être que James m'y a déjà bien aidé aujourd'hui, peut-être que je reviendrai et si c'était le cas, je veux pouvoir aimer votre enfant sans qu'il me rappelle atrocement que la vie m'a volé la moitié de mon corps, mon cœur tout entier et jusqu'au dernier soupçon de mon âme. Donnez-lui un nom d'étoile, de fleur, de légume. Un prénom commun et sans histoire, comme l'était celui de Keith. Donnez-lui cette chance de ne pas être cantonné à une case emplie de préjugés. Donnez-lui la chance de choisir dans quel compartiment il s'assiéra quand il ira à Poudlard la première fois, donnez-lui la chance de se laisser surprendre par le Choixpeau, d'être libre de faire ou non du quidditch, d'aimer les cours et de détester Slopa. Donnez-lui cette chance. C'est ce que Keith aurait voulu. »

Après ça les rires avaient été légèrement forcés. Certains avaient tout fait pour détendre l'atmosphère, les autres avaient suivi, sans oublier qu'avant, c'était Keith qui les faisait rire sans effort. Juliet était repartie et les retrouvailles s'étaient espacées. Les souvenirs pourrissaient en chacun d'entre eux et nul n'arrivait à faire un pas vers l'autre.

Pepper et Clifford se marièrent quelques mois plus tard, dans le secret le plus total, à Las Vegas.

« Quitte à se marier sans eux, faisons-le ici. Ils ne culpabiliseront pas de n'être pas venus et on ne se forcera pas à les inviter. » Ca ne ressemblait pas à Clifford de proposer ça. Ca ne ressemblait pas à Pepper de l'accepter. Pourtant, le lendemain, ils étaient mariés, et jamais ils n'eurent à le regretter. Parce qu'ils n'étaient pas les plus consensuels de la bande et que Keith aurait été le premier à en rire. Eux appelèrent leur fille Keissy. Et jamais l'un de leurs amis ne fit la moindre réflexion, pas même Juliet, à qui ils ne laissèrent d'autre choix que d'en être la marraine.

- Tu penses à quoi, mec ?

La longue réflexion de James, un brin mélancolique, se frotta à l'anxiété énergique de son meilleur ami. James secoua la tête, lâchant un infime soupir.

- A Keissy. A Keith. A nous tous.

- Pas ce soir, mec, supplia Mael. Je me marie demain, t'as oublié ?

- Non, sourit James. Je suis ton témoin et dans quelques mois je serai le parrain du plus beau bébé de la terre.

- Tu ne diras pas ça longtemps. Tu ne te souviens pas de mes prédictions ?, ajouta Mael en voyant James froncer les sourcils. J'avais prédit que ton mariage serait le quatrième de la bande, et que ton enfant serait le cinquième. Je me souviens que Rose avait fait des calculs pas croyables avant de me donner raison. Jamais compris pourquoi. Mais ça m'a marqué. Quand Nalani aura dit oui ça sera ton tour, vieux. Et tu seras père très peu de temps après.

L'aube était déjà là, le soleil se dessinait au-travers des lointaines montagnes, et James et Mael avaient fini par s'endormir sur cette étrange prophétie, moins de trois heures avant le début de la cérémonie.

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Jour J – H+3

Liko Jordan, ex gardien de l'équipe de Gryffondor, frère et témoin de Nalani, était le binôme parfait aux yeux de James. Tous deux accueillaient les invités, gratifiant l'assemblée de sourires sincères et heureux. Nul ne pouvait dire lequel des deux témoins était le plus heureux ni le plus fier.

La cérémonie, de toute beauté, l'avait ému aux larmes. Organisé dans une petite forêt clairsemée de clairières ensoleillées, le mariage se poursuivait sous un immense chapiteau, où se tiendrait la fête. Avant cela, ils avaient posé pendant deux heures devant une Rose hilare et bien décidée à immortaliser tous ces moments qui deviendraient d'inoubliables souvenirs.

Dans la salle, toute décorée de fleurs rouges et de draperies bleu nuit, étaient disposées huit tables, de la plus petite, réservée aux enfants, à la plus bruyante, celle des mariés, où Mael et Nalani pavanaient, supportant d'innombrables embrassades, félicitations, et vœux de bonheur. La petite centaine d'invités commençait à s'installer, et James répondit discrètement au sourire radieux de la mère de Mael, qu'il avait toujours beaucoup appréciée.

- Drague pas ma… Comment je dois appeler la mère de mon beau-frère ?, s'inquiéta Liko.

- C'est ta belle-belle-mère ? Non, ta belle-belle-sœur ?, hésita James avant de trouver le parfait échappatoire. Par son surnom, Pimprenelle.

Liko acquiesça vivement, avant de refermer les portes derrière eux. Le repas n'allait pas tarder à être servi et ils rejoignirent chacun leur table. James trouva facilement sa place, aux côtés de Mael et de sa cavalière d'un jour, Solenne. Liko avança de quelques pas, contournant sa sœur et la table des mariés pour rejoindre la sienne, qu'il partagerait avec de vieilles connaissances, Nalani n'ayant rien trouvé de plus drôle que de le faire manger avec l'ancienne équipe de quidditch de Serdaigle.

James le regarda échanger quelques mots avec Malek Lespare, son grand rival de l'époque, et avec la petite sœur de celui-ci, qu'il n'avait jamais eu l'occasion d'affronter, Adélaïde ayant repris le poste d'attrapeur de son frère après le départ de Poudlard des deux garçons.

La chaise destinée à Rose était vide, celle-ci s'occupant de photographier les familles des mariés, et Tim lui adressa un petit signe, aussi affectueux que gêné. C'est à cet instant précis que James aperçut la jeune femme qui se tenait debout, aux côtés de Timothée Bergson.

Toute de bleu nuit vêtue, en un hommage évident aux couleurs de Serdaigle, Natasha lui souriait.

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Rose, un œil enfoncé dans le viseur, un doigt posé sur le déclencheur, tirait le portrait de Dean Thomas. Avant que le noir n'envahisse le viseur. Elle se redressa, offrant une grimace à Nalani qui s'amusait de sa blague.

- C'est bon, t'as assez matraqué les vieux. Vise plutôt ce qui se passe derrière toi.

Rose fit volte-face, déjà inquiète à l'idée que Tim, dont l'humour était très particulier, n'ait fait une blague qui eut mal tourné. Pourtant Tim était sage, aux côtés de Natasha, à qui elle avait confié la lourde tâche de le surveiller.

Mais Natasha ignorait son ami, le regard fixé sur la table des mariés. Et à la table des mariés, James avait rivé son regard sur la table de l'ancienne équipe de quidditch de Nalani.

- Oh Merlin, soupira Rose.

Elle allait défaillir. Tomber dans les pommes, perdre connaissance. Autour d'eux l'air s'était épaissi. Cela lui rappelait l'époque où tout allait bien, où leurs vies avaient beau demeurer chaotiques, tout allait bien, puisque James et Natasha s'aimaient. Une époque aujourd'hui lointaine, malgré les prières de Rose.

Après plusieurs longues années sans nouvelles l'un de l'autre, Natasha fit le premier pas, avançant lentement vers James, comme dans un rêve.

- Impact dans cinq, quatre, trois, deux, compta Nalani, le souffle court.

Rose se souvenait d'une scène semblable, qui les avait tenus en haleine, Mael, Nalani et elle, bien des années plus tôt, aux abords de la salle commune de Serdaigle. Une semaine plus tard, James et Natasha entamaient leur relation.

Elle rêvait de toutes ses forces que le même miracle se produise aujourd'hui.

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Ils s'étaient dit « salut » maladroitement, comme deux vieilles connaissances, surpris de redécouvrir la voix de l'autre et le ballet que formaient ses lèvres en prononçant un simple mot.

Chacun cachait ses mains moites à l'autre, chacun cherchait ses mots, mais il était malaisé de renouer le dialogue après s'être tant aimé, douloureux de retrouver l'autre après une séparation si longue.

- T'as l'air en forme, souffla Natasha. Je veux dire…

Elle inspira, bien décidée à dire quelque chose d'intelligent, mais abandonna vite, consciente qu'elle avait définitivement perdu ses moyens.

- C'était une chouette cérémonie, l'aida James. En tant que témoin, j'espère que tu as apprécié.

C'était lui. C'était bien lui. Cette évidence frappa Natasha de plein fouet. Ses yeux rieurs, son sourire avenant, ce corps qu'elle avait tant chéri, cette bouche qui s'était pressé contre la sienne tant de fois, mais jamais assez. Cet humour un peu gauche mais volontaire. Toutes ces choses qu'elle connaissait par cœur et qu'elle redécouvrait avec bonheur. Tout comme elle devinait ce qu'elle ne connaissait pas, de nouvelles cicatrices, un nouvel éclat dans ses yeux. Sans doute un brin d'assurance en plus. Une force doublée d'une faille, sans doute née après les évènements auxquels il avait été confronté. La mort de Keith. Leur séparation aussi, sans doute.

Leurs costumes étaient assortis, comme l'auraient été deux héros d'un film à l'eau de rose. Leurs yeux ne cherchaient pas l'attention de quelqu'un d'autre, ils étaient venus seuls, et malgré tout persuadés que l'autre serait venu en couple.

- J'aurais été heureux de rencontrer cet homme avec qui tu vis. Enfin, le terme « heureux » n'est peut-être pas le mieux choisi, mais… Tu vois ce que je veux dire.

Elle acquiesça. Voilà quelques mois qu'elle fréquentait un collègue de Beauxbatons, que Rose et Tim trouvaient pompeux, soit l'inverse de James. Elle n'avait d'ailleurs fréquenté que des garçons à l'opposé de lui depuis leur séparation.

Elle lui parla de son poste d'assistante de recherches, sans jamais évoquer son petit-ami, se concentrant sur sa carrière, jusque-là couronnée de succès.

- Du coup, tu assistes toujours le professeur Delametamorf ?

- Oui. Et je ne le regrette pas. C'est un vieux fou mais il est plutôt rigolo.

- Et tu donnes des cours aussi ?

- Oh non. Il faut travailler longtemps avant de donner son premier cours. Mais je ne crois pas que ça m'intéresse.

- Tu es pourtant très douée.

Le compliment les ramena en Ouganda et leur tira un sourire. Avant que la mère de Nalani ne les rappelle à l'ordre.

Tous les convives s'étaient attablés, il ne manquait plus qu'eux. Ils offrirent de concert le même sourire désolé aux jeunes mariés et rejoignirent leur table non sans se bousculer. Le souffle court et les joues rougies par l'émotion, ils ne s'aperçurent pas qu'ils étaient l'objet des regards entendus de leurs amis.

ooOOoo

La table des mariés était, de loin, la plus bruyante. Jaloux, ou tout simplement amusé, Liko tentait de rivaliser, piquant dans leur orgueil chaque membre de l'équipe de quidditch qu'avaient entraîné Malek Lespare, puis Nalani.

Les voix s'envolaient, les rires moqueurs fusaient, attirant quelques regards, dont celui de James qui en profitait pour détailler Natasha. La revoir avait remué tout son être. Son corps, transi de tendresse, tendu par le désir. Son cœur qui s'emballait de savoir sa belle dans les parages. L'animal en lui qui rêvait de provoquer le Phénix en Natasha, d'improviser une course sans fin, pour à jamais profiter de sa présence.

Mais Solenne avait été claire. Ses mots, limpides. Son regard sûr et résolu. Il mariait son meilleur ami et se devait d'être à son côté. Juliet avait fait le déplacement, elle avait besoin de lui pour oublier que le rire de Keith leur manquait à tous, qu'il ne résonnerait plus jamais. Alors James tentait de ne pas trop penser à Natasha et à ce qu'il rêvait de lui dire.

Ils n'avaient échangé que de simples banalités. Elle avait paru suspicieuse en voyant le nom de Solenne à côté du sien et les simples mots ajoutés par Nalani. « Solenne, cavalière du témoin ». Il avait ri bêtement, espérant qu'elle ressente tout au fond d'elle une larme de jalousie. Elle était parvenue à camoufler avec soin que les lames étaient en réalité des litres et qu'elle aurait tout donné pour échanger sa place avec celle de Solenne.

Lui aussi aurait sans doute tout donné pour changer le cours de l'histoire. Mais il demeurait profondément heureux d'être là où il était, entouré des siens.

Ils riaient tant qu'ils en oubliaient qu'ils n'étaient pas seuls. Leurs échanges, leurs sourires ne passaient pourtant pas inaperçus et la salle entière s'arrêtait parfois de parler pour mieux les observer. Peu nombreux étaient ceux qui les avaient vus ensemble. Ceux qui les avaient côtoyés à Poudlard retrouvaient leur complicité évidente avec bonheur. Ceux qui ne connaissaient d'eux que les critiques dépeintes par la presse se devaient de reconnaître que leur amitié était belle, forte, rare. Ils paraissaient si soudés que personne ne fit attention à la chaise vide qu'ils entouraient. Cette chaise était celle de Keith, un jeune homme peu connu qu'ils étaient bien les seuls à regretter.

Ils se moquaient des convenances, dansaient avant l'heure, alors que les convives mangeaient, chantaient à tue-tête des mélodies si fausses qu'eux seuls les reconnaissaient. Ils parlaient tous en même temps, dans un capharnaüm incessant, mais se comprenaient sans la moindre difficulté. Ils se montraient si soudés que les parents des mariés s'aperçurent qu'ils s'étaient inquiétés pour rien. Un parent craint toujours pour son enfant lorsque celui-ci se crée sa propre famille. Mais leur nouvelle famille était déjà là, dans l'amour et l'amitié, et rien ne paraissait pouvoir l'ébranler. Seule la mort s'y était risquée et sa victoire avait un goût amer. Elle se rappelait à eux dans les tristes yeux de Juliet, dans les mots de Nalani qui lâcha qu'elle avait promis à Keith qu'il serait son témoin, quand elle lui avait appris que Maël et elle étaient enfin ensemble.

Alors James puisa dans ce qui lui restait de courage et annonça la première surprise de la soirée. Clifford, Pepper et Oscar le suivirent sur scène où ils démontrèrent tous les talents appris au cours d'une dizaine de soirées qu'ils avaient partagées, apprenant sommairement à jouer d'un instrument, chantant faux et offrant aux convives un spectacle inoubliable. Et jubilatoire.

ooOOoo

L'heure était bien avancée. Déjà les convives les plus âgés et quelques jeunes parents qui n'avaient pu faire garder leurs bambins avaient quitté les lieux. « Dommage », avait dit Nalani, « ils vont rater le clou de la fête ». La traditionnelle danse fraternelle de James et Mael. Un mélange de danse folklorique celte et de country, qui les voyait avancer très vite à travers la piste, bras dessus bras dessous, en tapant des pieds très fort et très vite sur le sol.

Cette danse, dont la création remontait à leur première fête illégale dans la Cabane Hurlante de Pré-Au-Lard alors qu'ils étaient âgés d'une quinzaine d'années, était rentrée dans les annales, déclenchant le bonheur fou des deux danseurs, et l'hilarité générale parmi leurs amis. Même Juliet en pleurait de rire. Même la terrible Pepper, aux cheveux roses et aux vêtements gothiques, permettait à ses lèvres de retrouver leur liberté en s'étirant jusqu'au milieu de son visage. Clifford en avait des crampes, car James et Mael, tout à leur bonheur, faisaient durer le plaisir, avec l'énergie de deux jeunes louveteaux.

Les convives avaient délaissé la piste, non pour mieux les admirer mais par sécurité, parce que leurs bonds étaient aussi risibles que dangereux. Dean Thomas avait posé son bras sur les épaules dénudées de son épouse. Tous les deux étaient pleinement heureux pour leur fils, qui n'avait jamais paru si extatique. Les trois sœurs de Mael étaient également tout sourire. Christine et Elisa, qui étaient arrivées à Poudlard quelques années après Mael, avaient eu tout le temps de juger James et Nalani, et Marguerite, née cracmolle, avait eu l'occasion de les rencontrer à de multiples reprises. Devenue très proche de Nalani, elle entretenait avec James une correspondance épistolaire depuis de nombreuses années. Elle prenait beaucoup de plaisir à recevoir le récit de ses aventures et, en tant qu'étudiante en lettres classiques, ne se privait pas de retoucher son texte et de lui donner des conseils, qu'il mettait en pratique avec volonté, conscient qu'il était toujours appréciable d'apprendre et de progresser et qu'il devait être bien plus agréable pour sa correspondante de lire un style fluide et bien construit. Le total inverse, par conséquent, de sa façon de danser, toujours plus brouillonne et rendue hasardeuse par l'ivresse.

Amusée, Nalani se fraya un chemin parmi la bande d'amis, souriant à Pepper et Susie qui veillaient leurs enfants, endormis au sein d'une bulle de silence. La jeune mariée allait rejoindre sa table quand elle aperçut Natasha, qui sirotait son verre dans un coin, seule.

- Diantre, tu as réussi à échapper à la vigilance de Rose et Tim ?, s'étonna-t-elle.

- Oh ils me laissent tranquille. Je crois qu'ils essaient surtout de me laisser seule quand James est dans les parages. Ils doivent encore espérer qu'on... tu sais, qu'on se remette ensemble un jour.

- Un espoir partagé par beaucoup de gens, affirma Nalani.

Natasha tiqua, mais ne le montra pas. Si Nalani s'y mettait, elle n'était pas certaine de pouvoir donner le change bien longtemps. Son ancienne capitaine s'adossa à ses côtés, collant leurs épaules, de manière à pouvoir lui parler discrètement tout en gardant les yeux rivés sur les danseurs qui enflammaient la piste. Elle songea à haute voix qu'il était plus que surprenant que les Serdaigle les plus douées de leur génération s'éprennent de lions sans talent. Avec difficulté Natasha garda ses émotions en elle, ne réagissant pas.

- Mais regarde-les, insista Nalani. Ils sont toujours les mêmes, et nous les aimons toujours aussi fort, après toutes ces années.

Cette fois, Natasha perdit le contrôle, lâchant son verre vide qui se brisa sur le sol. Elle ignora le regard victorieux de Nalani, essayant de s'échapper, mais son ancienne capitaine ne l'entendait pas ainsi. Elle attrapa son bras, dirigea son regard vers James et Mael qui, sans vraiment s'en apercevoir, s'étaient approchés d'elles, au rythme d'une danse toujours aussi effrénée. Ils s'étaient délestés de leur veste de costume, la sueur perlant sur leurs tempes et tout au long de leur dos.

- Regarde-le, ordonna Nalani. Si fort, si beau, si charismatique.

Natasha se persuada que Nalani faisait allusion à son époux et acquiesça mollement.

- Je me jetterai à son cou s'il n'était pas le témoin de mon mari, asséna Nalani.

Natasha la fusilla du regard mais n'eut pas le temps de sonner la riposte, car les deux hommes s'approchaient d'elles, épuisés mais radieux. Nalani s'écarta pour prendre deux verres et se mit à râler dès qu'elle leur tendit leur dû.

- Elle est partie ?

Mael et James hochèrent la tête d'un même mouvement. James voulut camoufler sa déception, mais s'aperçut du regard entendu qu'échangeaient ses amis. Il comprit que Nalani avait tenté quelque chose, et que Mael ne les avait pas mené à elles sans raison.

- Les gars, je sais que vous voulez bien faire mais c'est fini entre elle et moi. C'est du passé.

- La façon qu'elle a de te dévorer du regard ne vient pas du passé, railla Nalani.

- Et la façon que TU as de la regarder ne vient pas du passé non plus, renchérit Mael. Vous êtes fous amoureux l'un de l'autre...

- On est séparés depuis plusieurs années.

- Mais tu n'as jamais cessé de l'aimer.

- Moi non mais elle...

- Elle non plus, ça je peux te l'assurer, coupa Nalani d'un ton qui ne soufflait d'aucune réplique.

Sentant qu'il ne faisait pas le poids face à eux deux, James les quitta, leur rappelant qu'ils célébraient leur mariage, et qu'ils avaient sans doute mieux à faire que de jouer les entremetteurs.

Ce à quoi Nalani répondit, d'une voix tonitruante qui surprit l'assemblée, que « vos enfants me remercieront plus tard ! ». Ce qui avait fait rougir James et Natasha. Et clos la conversation. Pour un temps tout du moins.

ooOOoo

Il n'avait pas été simple, pour Mael et Nalani de rejoindre leur suite nuptiale. Clifford et Liko s'étaient beaucoup amusés à les rattraper à mi escalier quatre fois, avant de daigner les laisser s'échapper.

Il ne restait plus grand monde, la grande majorité des convives avaient quitté les lieux, les amis avaient titubé jusqu'à la chambre que leur avaient réservée les jeunes mariés et il ne restait plus que quelques jeunes esseulés qui espéraient encore profiter de la fête pour ne pas dormir seul.

- Aller, vieux, je pars retrouver mes petites femmes. J'aimerais te dire qu'elles ne peuvent pas se passer de moi mais je vais sans doute les retrouver blotties l'une contre l'autre dans le lit, et je vais encore devoir dormir sur le tapis.

Clifford pressa l'épaule de James et se dirigea vers les escaliers tout en étirant ses muscles endoloris. Son ami le suivit des yeux en songeant à l'amour que témoignait Clifford à Pepper et leur toute petite fille, une perle qui offrait des sourires à quiconque se penchait sur son berceau. Comme souvent, James se mit à regretter de ne pas profiter suffisamment des enfants de ses amis qu'il ne voyait pas grandir. Sa vie nomade était trop prenante pour qu'il prenne un pied-à-terre en Angleterre. Un tel achat serait inutile, car il ne passait finalement que très peu de temps sur les terres de son enfance.

- Alors, beau gosse, tu te fais des cheveux blancs ?

James sursauta, détournant le regard pour ne pas montrer à Natasha à quel point l'entendre prononcer son ancien surnom l'avait surpris. Elle-même cacha ses joues rougies, se morigénant de n'avoir su tenir sa langue.

- Je pensais aux enfants d'Oscar et Susie et à la petite fille de Pepper et Cliff.

- Et tu t'en veux de ne pas être plus présent ?

Elle continuait de lire en lui comme dans un livre ouvert. Et lui continuait de s'en étonner. Elle avait ce regard soucieux qu'elle posait antan sur lui. Elle lui avait avoué, un jour, qu'elle rêvait de le délester de ses responsabilités, de le déculpabiliser, de lui faire prendre conscience qu'à ses yeux à elle, il était parfait.

- J'envisage de prendre un appart. Ou une maison. Un endroit à moi, où j'aurais plaisir à me poser, sans avoir à squatter chez Mael. Avant c'était marrant, mais c'est un homme marié maintenant, ajouta-t-il en forçant un ton comique.

Il n'attendait pas vraiment de réponse de sa part, mais le silence de Natasha le poussa à relever les yeux, et ce qu'il vit le fit à nouveau sursauter. Elle le fixait avec un mélange de surprise et d'ébahissement.

- En Angleterre ?, souffla-t-elle.

- Eh bien oui. C'est ici que je suis né. Et je parcours suffisamment le monde pour... enfin tu vois. En vrai je ne me suis jamais posé la question, mais j'imagine que c'est ici que j'aimerais vivre... officiellement. C'est... mon pays, mes origines.

- Oui, je comprends.

- L'Angleterre ne te manque pas, à toi ? J'ai cru comprendre que tu étais bien installée en France...

- J'ai surtout un très bon emploi. Passionnant, qui me permet de me réaliser, d'apprendre beaucoup de choses. J'ai beaucoup de temps libre, je peux rester à Beauxbatons pendant les vacances mais je n'y suis pas obligée, je rends donc visite à mes parents très souvent. Je mange avec eux tous les dimanches d'ailleurs. Les Portes de Transplannage me facilitent drôlement la vie, d'ailleurs.

- J'en suis heureux, sourit James.

- C'est une sacrée révolution. Tu dois être fier.

- Heureux, répéta James. C'est bien que des familles puissent se réunir plus facilement, plus souvent, et que des gens du monde entier puissent plus aisément passer d'un continent à un autre. Mais je n'en retire pas plus de fierté que lorsque nous parvenons à préserver la paix dans une communauté qui connaissait des troubles depuis longtemps.

- « Nous », songea Natasha. La presse dit que tu t'es rapproché de Brooke...

- La presse raconte n'importe quoi. Brooke s'est mariée le mois dernier, on était tous présents et son mari est un chic type. Ils sont ensemble depuis une décennie maintenant. Une très belle et très forte relation. Et Brooke est enceinte. Promis, je n'ai rien à voir là-dedans !

Natasha laissa échapper un petit rire. De soulagement, même si elle n'oserait jamais l'avouer à James.

- Mais... Comment va-t-elle faire ? Avec sa grossesse, parcourir le monde va être compliqué. Elle ne risque pas de mettre en péril la constellation ?

- Non. Nous en avons parlé tous ensemble et nous avons décidé de lever le pied quand il le faudra. Pour l'instant elle est énergique, pleine de vie, mais quand elle aura besoin de repos nous nous calquerons sur son rythme. On a déjà beaucoup donné, et la relève est déjà là.

- Tu vas quitter la Confédération Magique Internationale ?!

- Jamais. C'est mon monde, ma patrie. Plus encore que l'Angleterre. Mais nous avons bien d'autres missions que de parcourir le monde. Et on commence à nous reconnaître. L'intérêt de faire appel à des jeunes recrues est qu'ils passent inaperçus. On doit constamment se grimer depuis deux ans, c'est assez contraignant. Et ce n'est pas ainsi que nous concevons notre rôle, notre mission, notre métier. Nous n'avons pas choisi cette branche pour... « arrêter les méchants », comme dirait le fils d'Oscar et Susie. Nous voulons favoriser l'entraide internationale, et nous n'y arriverons pas en portant des masques et en avançant visage couvert.

Natasha acquiesça, profondément surprise. Elle se revoyait, quatre ans plus tôt, persuadée qu'il n'arrêterait jamais de partir sur les routes, qu'il était impossible pour eux de construire une vie à deux. Et voilà qu'il lui laissait entrevoir l'espoir.

Il s'approcha d'elle avec un regard malicieux et elle comprit qu'il voulait lui confier un secret.

- Et je refuse de ne pas voir grandir mon neveu ou ma nièce.

Il se recula, fier de lui, et termina son grand verre d'eau feignant d'ignorer la curiosité que révélaient les yeux de Natasha.

- Hadiya ?, tenta-t-elle.

- Hadiya est bien trop occupée à jouer du violon dans les salles les plus prestigieuses de la planète. Une véritable virtuose. Ce n'est pas Shania non plus, si tu veux tout savoir.

- Haidar est trop jeune, songea Natasha à haute voix, Lily aussi. Et je ne connais personne d'assez fou pour donner un fils à Albus.

Elle ne prit pas le temps de s'excuser, elle ne le faisait plus depuis longtemps quand elle s'attaquait au frère de James. Il avait essayé de lui ôter la vie, elle avait bien le droit de le maudire tout au long de sa vie.

- Non, souffla-t-elle, ébahie. Mael ?

James se contenta de sourire, sans confirmer ni infirmer, si bien qu'elle rusa pour obtenir une réponse qu'il continua de jalouser jusqu'à ce qu'il ne change subitement de sujet.

- On danse ?

Elle reconnut une vieille chanson moldue qu'ils écoutaient alors, étroitement serrés dans le lit qu'elle occupait chez ses parents. Un disque de son père, féru de rock Hongrois. James s'était redressé et lui tendait la main. Elle n'hésita pas une seule seconde, pourtant bien consciente qu'il s'agissait là d'une échappatoire aux yeux de James et qu'elle était prête à tout pour faire durer ce moment rien qu'à eux.

ooOOoo

Ils dansaient les yeux dans les yeux, leurs mains avaient trouvé leur place, avec habitude, comme si les quatre dernières années n'avaient pas existé. C'était comme retrouver son foyer après un long voyage, comme retrouver sa place après l'avoir cherchée pendant quatre ans.

Ils ne parlaient pas, se contentant de se regarder, chacun laissant parler ses émotions, ses sensations.

Le désir qui grondait, le manque enfin assouvi.

La redécouverte de l'autre, cet être qu'ils connaissaient par cœur et qu'ils avaient tant de plaisir à retrouver.

Dans les yeux de James défilait une vie, celle qu'il aurait eue s'ils ne s'étaient pas séparés. Une maison plutôt qu'un appartement. Un mariage discret, loin de la presse mais entourés des gens qu'ils aimaient. Les Kandinsky, qui lui manquaient tant. Les Zabini et les Potter à la même table. Les blagues de Blaise, le teint maladif d'Harry, la gêne de Ginny. Hadiya aurait interprété un morceau au violon, Shania et Haïdar auraient assuré l'animation, chacun à sa manière.

Dans les yeux de Natasha défilait un espoir, un rêve. Celui d'un retour. Définitif. Avec quelques départs, peut-être, mais courts, et suivis de retrouvailles joyeuses. Une maison, aussi. Au bord de la mer, comme ils en avaient toujours rêvé. Pas trop loin de Rose, évidemment. Les repas du dimanche chez les Kandinsky, où Ivan apprendrait à James à découper le bœuf Stroganov en lamelles. Un enfant qui s'amuserait avec celui de Mael et Nalani lors de repas interminables qu'ils partageraient souvent.

James se noyait dans ses souvenirs, dans ses remords, dans ses regrets.

Natasha se laissait emporter par ses rêves, ses fantasmes.

Le temps d'une danse.

Une danse qu'ils ne voulaient pas voir s'arrêter, une danse qui en avait entrainé tant d'autres, une danse qu'ils avaient poursuivie à l'étage, dans la première chambre vide qu'ils avaient trouvée, arrachant leurs vêtements en des gestes hâtifs, fiévreux.

Les cœurs tambourinaient à l'unisson, leurs âmes s'étaient mêlées dans la fusion de leurs corps. Il leur semblait à tous deux de s'unir pour la première fois, de s'en émouvoir sans doute plus fort que lors de cette première nuit qu'ils avaient passée ensemble, dans la Salle sur demande de Poudlard. Et d'en profiter avec fièvre et désespoir, comme vivant enfin les adieux qu'ils n'avaient pas su s'offrir quatre ans plus tôt. Natasha avait pensé qu'il reviendrait, qu'il changerait d'avis. James avait cru qu'il était déjà trop tard. Leurs corps s'accrochaient, ne voulaient plus se séparer, le désir refusait de laisser sa place au plaisir, mais celui-ci réclamait chèrement son dû, et leur délivrance les laissa pantois, comblés, mais déjà effrayés à l'idée de devoir se séparer.

Sans un mot ils reprenaient leurs esprits, couchés l'un contre l'autre, gênés comme jamais ils ne l'avaient été l'un avec l'autre. Mais le silence n'avait jamais été une solution aux yeux de Natasha qui décida de se montrer honnête.

- Je croyais que tu reviendrais. Tu avais promis. Tu n'avais jamais trahi une promesse.

- J'avais fait d'autres promesses. D'autres engagements, d'autres responsabilités. J'aurais aimé avoir le choix. Oh Merlin m'en soit témoin, j'aurais aimé ne pas avoir à faire ce choix.

Après quatre longues années elle fut surprise de se sentir vexée, déçue, abandonnée.

- Tu avais dit que tu me choisirais, moi, contre n'importe quoi, n'importe qui.

- Et c'est le cas. C'est toujours le cas.

Elle avait mal, elle nageait en plein bonheur. Elle se sentait bien et malade en même temps. Il lui semblait revivre cette étrange émotion qu'elle avait découverte adolescente. Elle voulait se réfugier contre ce corps brûlant, tout oublier dans ses bras.

- Si tu m'avais lancé cet ultimatum six mois plus tard, on serait toujours ensemble aujourd'hui. On dormirait dans la suite nuptiale et c'est dans ton ventre que grandirait le plus beau bébé du monde. Mais... Je n'avais pas le droit d'en parler. Je n'ai toujours pas le droit de le faire. Sache juste que... Que j'avais de bonnes raisons de te demander encore un départ, encore un voyage.

- L'Antarctique ?, grimaça-t-elle. Je ne vois pas en quoi c'est une bonne raison...

- Je ne suis pas parti en Antarctique. Enfin si, mais après. Après avoir compris que je revenais vers toi trop tard. Que j'avais grillé ma dernière chance.

- Alors où es-tu parti ? Merde, James, tu sais que tu peux me faire confiance. Ou alors c'est que je me suis vraiment trompée sur toi, sur ton...

- Du chantage, coupa-t-il en un sourire. Eh bien soit, que je sois damné pour trahir la Confédération... Nous avons voyagé vers une contrée merveilleuse, que nul livre ne saurait situer, que nul être n'a jamais décrit, sauf dans la pure fiction. L'Atlantide.

Il lui conta la surprise qu'ils avaient ressentie lorsqu'un Grand Mage leur avait donné cette mission, la promesse de n'en rien dévoiler à personne, le départ imminent et l'ultimatum de Natasha, qui avait failli tout remettre en question.

- Ce voyage, c'était le rêve de tout le monde. L'objectif ultime, le test ultime, aussi. Chacun a dû faire un choix crucial. La mère de Sian était mourante, la petite sœur de Mateus avait besoin de lui, Evora s'était vue proposer une chance incroyable par sa propre mère, celle d'évoluer parmi les plus sages... Nous avions tous un choix à faire. J'ai cru être le plus chanceux de tous. J'ai cru que je pourrais te persuader, te convaincre, que sais-je... J'ai cru que tu me donnerais une autre chance. Du temps. C'était tout ce dont j'avais besoin.

- Mais enfin James ! Pourquoi ne m'as-tu rien dit !?

- J'avais fait une promesse. Je ne pouvais pas risquer de mettre en péril cette expédition. Pour eux, pour nous tous, c'était trop important. J'ai cru que je trouverais les mots, les arguments.

Les remords transperçaient sa voix, il ne les retenait plus, elle les recevait de plein fouet. Elle se glissa dans ses bras, colla son corps à celui de James, le sentit frissonner parmi ses frissons à elle.

- Je ne t'aurais jamais quitté si j'avais su la vérité, avoua-t-elle.

Il en avait toujours rêvé, de ça elle n'en doutait point. La chance d'une vie. Il aurait suffi qu'il puisse lui dire la vérité et elle aurait accepté un départ de plus. Elle en aurait accepté dix de plus plutôt que de vivre sans lui, de connaître la souffrance du chagrin d'amour.

Elle sentit les bras de James se figer, son souffle se couper.

- Mais… Si je t'avais dit la vérité, tu n'aurais pas rencontré cet homme avec qui tu vis, murmura-t-il d'un ton hésitant.

Elle songea à ce collègue qu'elle fréquentait et pour qui elle n'éprouvait pas un dixième de ce qu'elle ressentait pour James. Elle songea aux étreintes rapides du samedi soir, dans le petit appartement qu'il occupait à Beauxbatons, et durant lesquels elle feignait de prendre du plaisir. Elle pensa à la question qu'il lui avait posée quand elle avait osé lui dire qu'elle ne voulait pas qu'il l'accompagne au mariage de Mael et Nalani.

« Tu veux rompre, c'est ça ? ». Il n'avait pas semblé peiné. Elle avait simplement répondu qu'ils en reparleraient plus tard, quand elle rentrerait d'Angleterre. Elle n'avait pas osé lui dire qu'elle ne pensait qu'à James, persuadée qu'il ne manquerait pour rien au monde le mariage de son meilleur ami. Elle ne s'était pas sentie honteuse de penser à un autre homme, ils ne s'aimaient pas, se l'étaient avoué sans ressentiment à de nombreuses reprises.

Natasha rêvait de dévoiler la vérité. De dire « non, je ne l'aime pas, il n'est qu'un amour-pansement, comme dit Rose ». Elle rêvait de lui dire « Viens en France, tu ne vas quand même pas t'installer tout seul en Angleterre. Pose plutôt tes valises à côté des miennes. »

Mais quatre ans avaient passé. James avait fait d'autres voyages, d'autres découvertes, d'autres rencontres. Il paraissait en parfaite santé, même si certaines cicatrices sur son visage et sur son corps la faisaient trembler. Il semblait heureux. Elle se persuada qu'il devait poursuivre ses rêves, et que ses rêves à lui étaient ailleurs, loin, partout dans cet univers qui le fascinait.

Il crut qu'elle pensait à son petit-ami, se déplaça de quelques centimètres, choisissant de laisser s'installer le froid et la distance entre leurs deux corps. Elle replia ses bras contre son corps, le recouvrant d'un même mouvement.

La magie de l'instant avait disparu. Il s'agissait bien d'adieux, et chacun ferma les yeux, faisant semblant d'ignorer qu'ils connaissaient la respiration de l'autre par cœur.

Natasha ne dormait pas. Elle savait que James ne dormait pas non plus. Il devait croire qu'elle rêvait de cet homme qui l'attendait en France. Après tout, elle n'avait pas démenti.

James ne dormait pas. Il savait que Natasha ne dormait pas non plus. Il croyait qu'elle rêvait de ce français qui n'avait sans doute pas osé l'accompagner au mariage. Après tout, elle n'avait pas démenti.

Le bruit et le soleil ne tardèrent pas à réveiller l'hôtel. Ils s'ébrouèrent d'un même mouvement, avant que James ne cède la salle de bains à Natasha, en quelques mots pâteux, évitant son regard. Elle fut rapide, lui légua la salle d'eau, le prévenant qu'elle repartait. Elle s'efforça de ne pas regarder son torse nu, de ne pas s'attarder sur les deux noisettes entourées d'un trait bleu nuit qui hantaient chacun de ses rêves. Il lui souhaita bonne chance pour la suite. La maladresse était de retour, et Natasha était partie.

James s'efforça de camoufler sa déception tout au long de la journée qu'il partagea avec ses amis de toujours. Mais au fond de lui il attendait le départ imminent des jeunes mariés. Mael et Nalani convoleraient vers le Canada, pour un voyage de noces sportif et enneigé.

L'aéroport, étouffé de bruit et de gens, lui donna la nausée. Il se rattacha au panneau qui énonçait les vols. Un avion quitterait l'Angleterre pour la France et Mael lui murmura qu'il n'était peut-être pas trop tard. James força un sourire, attrapa le sac de son meilleur ami et l'accompagna vers la porte d'embarquement. Il ne voulait pas que Mael parte inquiet, il avait bien mérité d'être heureux.

« Les passagers du vol sept cent quatre-vingt-dix-huit pour Paris sont priés de se rendre à la porte d'embarquement. Dernier avertissement. Les passagers... »

Les portes se fermèrent dans son dos. L'air frais sécha les larmes qui coulaient sur ses joues. Ca ne lui arrivait pas souvent mais Mael s'était trompé. Il était déjà trop tard. Et seuls demeuraient les regrets.

Sans un regard en arrière, James transplana.

ooOOoo

Natasha planchait depuis deux heures sur une expérimentation délicate lorsque Rose fit irruption chez elle, sans frapper à la porte, comme à son habitude.

- T'as reçu la carte postale des jeunes mariés ? Un mois au Canada... Si c'est pas beau la vie ! Tiens, je t'ai porté les dernières photos du mariage, j'ai fini de les développer hier soir. Regarde celle...

Rose s'interrompit, étonnée que Natasha parte en courant. Elle entendit la porte des toilettes claquer contre le mur et reconnut le bruit désagréable que faisait un être qui rendait son dernier repas. Natasha ne fut pas longue à revenir, les yeux humides et la mine éreintée.

- T'es malade ?, s'inquiéta Rose.

- Juste quelques nausées, balaya sa meilleure amie en évitant son regard.

Elle reprit place à son bureau, ouvrant un manuel au hasard, pour se donner une contenance. Mais Rose n'était pas de celles qui se laissaient berner si facilement.

- T'as mangé quoi hier soir ?

- Ça ne date pas de ce matin, murmura Natasha si bas que Rose lui demanda de répéter. Ça fait quelques jours que ça dure.

- Par Merlin ! T'as vu un médicomage ?

Les phobies de Rose étaient aussi nombreuses que profondes. Et parmi ses phobies les plus tenaces, la maladie occupait la première place.

- Je crains de savoir à l'avance ce qu'il me dira, avoua Natasha.

Mais Rose avait froncé ses yeux telle une mère protectrice.

- Faudrait pas que t'aies attrapé un virus. Ou pire, ces petits microbes qui se cachent partout. Beauxbatons doit en être farci.

- Pas plus que Poudlard, soupira Natasha en levant les yeux au ciel. Ce n'est pas un virus, Rosie. J'ai... je devais avoir mes règles la semaine dernière normalement. Et je les attends toujours.

Rose paraissait réfléchir. Il semblait évident qu'elle ne faisait pas le rapprochement.

- Rosie, des nausées, un retard de règles...

- Oh Merlin !, s'exclama Rose. Tu crois que tu es enceinte ?!, s'écria-t-elle d'une voix rendue aigüe par la surprise.

- Tu devrais le répéter plus fort, je ne suis pas certaine que tous les élèves t'aient entendue ! Je travaille ici, je te signale ! Sois plus discrète !

- Mais... tu te protèges. Non ?

- Oui je me protège. Mais ça n'allait pas très fort entre David et moi et j'ai peut-être manqué de vigilance.

- Mais tu as quitté David après le mariage !

- Mais j'avais bu ma potion le jour du mariage. Je le sais parce que... eh bien je devais espérer qu'il se passe quelque chose avec James.

- Mais il s'est justement passé quelque chose avec James ! Vous avez passé la nuit ensemble !

- On a couché ensemble une fois. Une seule fois. Et j'avais pris ma potion.

- Alors... le bébé ne peut pas être de lui ?

La voix de Rose portait la mélodie de l'espoir. Et le cœur de Natasha battait le rythme, inlassablement.

- Non.

- Ah, soupira Rose, déçue. Et c'est une bonne ou une mauvaise nouvelle ?

- On ne sait même pas si je suis enceinte, Rose...

- Mais si tu es enceinte ? C'est une bonne nouvelle qu'il ne soit pas de James ?

- J'en sais rien. J'ignore quelle aurait été sa réaction.

- Bonne ! Forcément !

- Rose... je sais très bien ce que tu penses mais je n'ai pas de nouvelles de lui depuis...

- Toi non plus tu ne lui en donnes pas alors que tu l'aimes. Tu as quitté David.

- Je ne l'aimais pas. Revoir James m'a seulement fait comprendre qu'il ne servait à rien de poursuivre une relation vouée à l'échec.

- Et si c'est lui le père ? David ?

- Si je suis enceinte c'est forcément de lui. Ça ne peut être que lui. Rose, qu'est-ce que tu fais ?

Rose s'était mise à rassembler leurs affaires, une moue décidée ornant son doux visage.

- On va à l'hôpital. Faut faire un test. Tout de suite.

- Je travaille dans la recherche, contra Natasha, je n'ai pas le droit de me rendre à l'hôpital sans prévenir la direction...

- Alors on va en Angleterre. Sainte Mangouste gardera le secret.

- Mais...

- Nat ne m'oblige pas à être la plus mature des deux ! Aller, dépêchons nous sinon Tim va s'inquiéter. Tu le connais, avec lui le secret n'en restera pas un très longtemps...

ooOOoo

Hôpital Sainte Mangouste

Rose et Natasha patientaient au premier étage de l'hôpital, normalement réservé aux « blessures par créatures vivantes ». Souhaitant détendre l'atmosphère, Rose avait dit qu'elles étaient au bon endroit, car les hommes étaient à ses yeux des créatures bien différentes des femmes. Natasha avait souri, moins par amusement que pour camoufler ses émotions réelles, car elles n'étaient pas seules à patienter dans le petit couloir et qu'elle ne désirait pas que la presse fasse d'elle sa une, à coups de « L'ex de l'héritier du Survivant est-elle sur le point de mourir ? » ou quelque chose dans ce goût-là.

Le couloir commençait à se vider de ses patients lorsqu'une guérisseuse qu'elles connaissaient bien s'approcha d'elles. Rose esquissa un sourire rassuré, elle avait toujours admiré Solenne, comme chaque membre de la bande de James, en qui elle avait une confiance aveugle.

Mais Natasha ne partageait pas son soulagement. Si elle avait dû se montrer parfaitement honnête, elle aurait préféré se faire ausculter par un inconnu, quelqu'un qui ne connaitrait pas James personnellement et avec qui son secret aurait été gardé.

- Bonjour les filles, les salua Solenne en s'arrêtant devant elles. J'ai vu ton nom sur le registre et je me suis dit que je pouvais bien prendre un rendez-vous de plus avant de rentrer chez moi.

Son sourire était bienveillant, rassurant, sincère. Natasha n'avait pas oublié les tirades dithyrambiques de James, toujours admiratif lorsqu'il parlait de Solenne et Keanu. Mais Natasha n'oubliait pas non plus que la guérisseuse était la cavalière de James, au mariage de Mael et Nalani.

- Tu n'aurais pas dû, répliqua Natasha avant de s'adoucir, de peur de se montrer irrespectueuse. J'imagine que tu as bien besoin de repos.

- Oh ça va, je n'ai fait que deux gardes d'affilée, railla Solenne. Aller, suis-moi.

Elle se détourna, se dirigea vers un bureau dont le panneau en marbre affichait son nom et ses diplômes - et Natasha se rappela que Solenne était une exception, multipliant les diplômes malgré son jeune âge -, et referma la porte une fois Rose entrée.

- Bon, avant que tu ne prennes place, je tenais à te dire quelques mots dans un lieu plus discret et plus intime que le couloir, commença Solenne. Sache que tout ce qui se dira dans ce bureau restera entre nous trois, que je ne m'oppose pas à ce que Rose reste si telle est ta décision et que je peux te présenter un confrère si tu préfères être entendue et auscultée par quelqu'un qui ne t'a jamais vue taper sur l'armoire de ton dortoir à Poudlard avec cette satanée batte que tu emportais partout, à la plus grande joie de ta chère capitaine.

Natasha se détendit enfin. Elle s'aperçut qu'elle pouvait réellement faire confiance à son ancienne camarade, répondit en ce sens et sans occulter Rose, dont la présence l'apaisait. Solenne leur fit signe de s'installer et leur fit grande impression, alors qu'elle prenait place dans son fauteuil en velours rouge. Elle semblait possédait une aura rare, celle d'un être qui était exactement à sa place, qui avait tout fait pour l'acquérir et qui la méritait pleinement.

Natasha ne put s'empêcher d'observer les quelques objets personnels disposés çà et là, des jouets d'enfants dans un coin de la pièce, une seule photographie, représentant la célèbre bande d'amis, des murs sombres et lumineux à la fois, aux couleurs de Serdaigle.

- On n'est pas dépaysées, c'est bien, sourit Natasha.

- Effectivement. Mais j'imagine que tu n'es pas venue ici en souvenir du bon vieux temps. Alors, qu'est-ce qui t'amène ?

Ses mots trahissaient d'un sérieux à toute épreuve. Avec l'expérience, Solenne savait garder son calme, rassurer ses patients, tout en se montrant parfaitement honnête et professionnelle, conservant une distance appréciable pour tous.

Natasha inspira profondément et se lança, consciente de la peur qui dévorait son ventre.

- Voilà, j'ai des nausées depuis cinq jours. Et un retard de règles.

Malgré son professionnalisme, Sonne ne put retenir une expression de surprise. Elle ne parvenait jamais à réellement se détacher des patients qu'elle connaissait bien. Elle avait pleuré de joie en apprenant à Nalani qu'elle était enceinte. Elle avait pleuré tout court, en comprenant que la maladie de son grand-père était si avancée qu'ils ne pourraient jamais la guérir. Ses mains avaient tremblé quand elle avait assisté le guérisseur-en-chef qui s'était occupé de Keith. Elle avait failli quitter l'hôpital en comprenant qu'elle ne le sauverait pas.

Elle pinça discrètement la peau de sa cuisse très fort, un réflexe qu'elle gardait depuis la mort de son ami, et offrit son attention totale à Natasha, qu'elle n'avait jamais vue aussi pâle, sauf sans doute quand James sortait avec cette batteuse de Gryffondor dont elle avait oublié le nom, et qui l'appelait « chéri » tout le temps.

- Tu as des relations régulières ?

- Je... Je voyais quelqu'un, souffla Natasha. Un collègue. Mais nous avons rompu.

- Cette relation a duré longtemps ?

- Quelques mois. Rien de très sérieux.

- Et pendant ces quelques mois tu lui as été fidèle ?

Les joues de Natasha se colorèrent d'un beau rouge vif avant que la tristesse ne s'empare subitement de ses yeux. Elle hocha la tête.

- J'ai bien… avec quelqu'un d'autre mais juste une fois, et j'avais pris ma potion le jour-même.

- Il t'arrive d'oublier de la prendre ?

- Ça m'est arrivé, oui, reconnut sa patiente.

- Bien, installe-toi, nous allons vérifier cela.

Natasha prit place sur ce qu'elle appelait enfant le lit des tortures et essaya de se détendre, comme le lui conseillait Solenne. Rose lui serra discrètement la main avant de retourner s'asseoir, les laissant seules.

Comme à son habitude, Solenne s'enquérait d'abord de l'état général de sa patiente, nota que sa tension était un peu haute sans s'en alarmer, et que son corps et son esprit, bien marqués par l'animal qui vivait en elle, étaient aussi sains l'un que l'autre.

Elle poursuivit son travail, questionnant de ses enchantements le corps de Natasha qui se livrait à elle sans détour.

- Tu es enceinte, confirma-t-elle lorsqu'elle sentit que Natasha était prête à recevoir cette information.

Elle sentit sa patiente trembler et s'assura que le bébé qu'elle portait était en parfaite santé, en auscultant son cœur, ses poumons, son système nerveux.

- Vous êtes en pleine forme le bébé et toi, sourit-elle. Redresse-toi un peu, demanda-t-elle en accompagnement ses mouvements avec douceur.

Elle lui tendit un verre que Natasha vida sans se poser de questions. Elle était très pâle, secouée par la nouvelle. Rose s'éclaircit la gorge, osant demander d'une toute petite voix.

- Est-ce que tu sais si c'est une fille ou un garçon ?

- Eh bien ce n'est pas à nous de prendre les décisions à la place de Natasha, rappela Solenne. Et il est trop tôt pour se poser cette question.

Rose acquiesça, penaude. Natasha se recroquevilla sur le lit, terrorisée. Elle avait toujours voulu avoir des enfants, du plus loin qu'elle se souvienne. Plusieurs, pour qu'ils puissent jouer ensemble, comme elle l'avait fait avec son frère et ses sœurs. Mais elle aurait préféré être accompagnée par un amoureux, plutôt que par sa meilleure amie. Elle aurait voulu être amoureuse et non pas une célibataire rongée par les regrets.

La comprenant, Rose posa une nouvelle question, peut-être plus importante encore que la première.

- Et est-ce que tu peux connaître avec exactitude le moment où ce bébé a été conçu ?

Solenne fronça les sourcils avant d'acquiescer. Oui, elle pouvait connaître la date, et même l'heure de la conception. Elle fit signe à Natasha de s'allonger et lança sur son ventre un énième charme. Avant de subitement sursauter. Sur son visage s'était dessinée une moue de surprise que Natasha aurait jugée drôle si elle n'avait pas été aussi angoissée. Sceptique, Solenne relança le charme, avant d'esquisser un petit sourire.

- Dis-moi, ma belle, ce ne serait pas toi qui m'aurait volé mon cavalier la nuit qui a suivi le mariage de Mael et Nalani ?

Rose se tendit à l'extrême, n'en croyant ni ses yeux ni ses oreilles. Jamais elle n'avait vu pareille émotion sur le visage de sa meilleure amie, partagée entre la peur et l'espoir.

- Tu... Tu veux dire que je suis tombée enceinte le jour du mariage de Mael et Nalani ?

- Oui.

- Mais j'avais pris ma potion. Ca ne peut pas être ce jour. J'imagine que tout test implique une sorte de ... marge d'erreur ?

- Aucunement. Tu as voulu une date, tu l'as.

- Mais la potion ?

- Rien n'est jamais certain à cent pour cent, Natasha. Tu le sais. Ecoute, je n'aime pas me montrer trop intime avec mes patientes mais il serait ridicule de prétendre le contraire. James utilisait un sort de protection à Poudlard, pas vrai ?

- Oui. Je n'ai jamais été très douée pour les Potions et c'était compliqué d'en préparer discrètement. Et je n'avais pas les moyens d'en acheter régulièrement.

- Sais-tu si James a jeté le sort de protection lors de votre... lors du mariage ?

- Je n'en sais rien, avoua Natasha. On était... Enfin, je n'ai pas prêté attention à... C'était merveilleux de le retrouver, même si on savait tous les deux que ça ne nous mènerait nulle part. C'était en quelque sorte... une nuit d'adieux. Juste une fois. Sans...

- Sans conséquence ?, sourit Solenne. Elle est là, la conséquence, dit-elle en désignant le ventre de Natasha. Et ne prétends pas le contraire, je sais que cette nouvelle te rend heureuse.

- Tu ne comprends pas, souffla Natasha, qui tremblait si fort qu'elle se mit à pleurer. Bien sûr que je suis soulagée d'apprendre que le bébé n'est pas de ce collègue que je n'ai jamais aimé, mais James... On est séparés…

- Il t'aime et tu l'aimes, je ne vois pas pourquoi un bébé serait une mauvaise nouvelle, s'exclama Rose, aux anges.

- Nous sommes séparés ! Nous n'avons échangé aucun mot, aucune lettre, aucune nouvelle depuis... depuis...

- Eh bien il va falloir remédier à ça, ma belle, intervint Solenne.

- Tu vas lui dire ?, s'étrangla Natasha.

- Evidemment que non. Le secret professionnel me l'interdit. Et ce n'est pas à moi de le faire. Tu as du temps devant toi. Prends le temps de réfléchir, de décider si tu veux garder...

- Mais bien sûr qu'elle veut garder le bébé !, s'offusqua Rose. Nat, ce bébé c'est un don, un miracle, tu vas pouvoir revoir James, te remettre avec lui, tu...

- Je ne vais pas utiliser un bébé pour reconquérir mon ex ! C'est un être vivant, ce sont deux êtres vivants, et je refuse de les utiliser, de les manipuler ou de... Par Merlin ! Il va croire que je lui ai fait un enfant dans le dos...

- James ?, rit Solenne. Rien à craindre. Tu sais, ma belle, vous êtes deux crétins. Si on m'avait dit que Mael et Nalani seraient plus matures que vous, je ne l'aurais pas cru. Mais le fait est là. Vous vous aimez mais vous vous refusez à vous le dire.

- Solenne a raison ! Il croit que tu es amoureuse de David, que tu vis avec lui ! Et toi tu crois qu'il est heureux sans toi alors que c'est faux ! Il ne va rien croire du tout, il va te tomber dans les bras et te supplier de la garder ! Parce que ça sera une fille ! Ma filleule ! Alors viens, file tes mornilles à Solenne et on file en Espagne tant que tu peux encore bouger ton bidou.

- En Espagne ?

- James est en Andalousie. J'ai reçu une lettre hier soir. Il faut que tu lui parles, que vous discutiez de votre avenir, que vous preniez les décisions ensemble. Je t'accompagne. Pour pas que tu te défiles et pour jouer mon rôle de marraine, mais je vous laisserai en tête en tête. Et cette fois je m'assurerai que tu ne lui mentes pas.

- Je n'ai jamais menti à James.

- Si. Tu démens, tu omets. C'est tout aussi grave. Tu vas commencer par lui dire que tu n'as jamais cessé de l'aimer, que tu n'as jamais voulu rompre non plus, que c'est un énorme malentendu, que tu ne l'as jamais remplacé, que tu n'as eu que des amours-pansements qui t'ont tous rappelé à quel point tu n'aimes que lui. Tu vas lui faire comprendre une bonne fois pour toutes qu'il est l'homme de ta vie. Et que tu l'aimes. Ça, t'as intérêt à le lui répéter, parce qu'il est aussi têtu que toi ! Et qu'il t'aime bien plus que tout l'univers entier ! Et qu'il en a fallu de l'amour pour concevoir cet enfant ! Et aussi que je serai la marraine, parce que j'ai passé ma vie à vous écouter vanter les mérites de l'autre.

- Je peux postuler ?, coupa Solenne pour se rappeler à leur bon souvenir. Je crois que Rose a raison. Filez. Et tu ne me dois rien, Nat. Mais ça me ferait plaisir de suivre ta grossesse, si James et toi décidez de le garder.

Stoïque, Natasha se contenta de hocher la tête d'un mouvement hasardeux.

ooOOoo

Cordoue, Espagne

Rose s'épongeait le front avec son mouchoir, maudissant le soleil, la chaleur et ses gênes anglais, sa peau blanche et ses yeux fragiles qu'elle devait plisser.

- Viens, on va t'acheter des lunettes de soleil, ordonna Natasha en voyant une échoppe. Et un chapeau.

- On n'a pas le temps.

- Rose, tu m'as traînée ici alors que je n'étais pas en capacité de réfléchir ou de prendre la moindre décision, je viens d'apprendre que je suis enceinte et je vais devoir apprendre à l'homme de ma vie, que j'ai largué par pur égoïsme, en l'accusant de tous les torts alors que j'étais la seule fautive, qu'il est le père de ce bébé. On peut bien prendre dix minutes pour te choisir un chapeau.

Rose leva les yeux au ciel mais abdiqua. Elle n'avait jamais vu Natasha si bouleversée. Elle savait qu'il était sans doute trop tôt pour accuser les hormones mais devait bien reconnaître que la situation avait de quoi surprendre sa meilleure amie.

Après le mariage, elle lui avait parlé de la nuit qu'elle avait passée avec James. Elle avait beaucoup pleuré. Elle disait ne pouvoir entrer dans les détails mais répétait, d'une toute petite voix, que James avait de bonnes raisons. De bonnes raisons de partir, de bonnes raisons de refuser de rester auprès d'elle.

Alors que James s'enfonçait dans les regrets, Natasha se noyait dans les remords.

Rose céda quelques euros à la vendeuse et positionna ses nouvelles acquisitions sur son visage, rejoignant Natasha à l'extérieur. Natasha avait les yeux rivés sur la Tour de Calahorra, une forteresse almohade située sur la rive gauche du fleuve Guadalquivir. Elle avait posé une main sur son ventre encore plat, et ne cessait de hocher sa tête en un rythme lent et incertain. Elle ne réalisait pas tout à fait. C'était trop tôt, trop brusque. Elle était enceinte. Un bébé grandissait en elle, un tout petit être à qui elle allait donner la vie. Une fille, disait Rose. Une toute petite fille qu'elle imaginait déjà, même si elle essayait de se raisonner. Tant de choses pouvaient se passer. Elle pouvait perdre le bébé. Et puis elle devait parler à James...

James qui pouvait refuser, James qui pouvait ne pas vouloir de cet enfant, James qui pouvait ne pas la croire. James qui était persuadé qu'elle en aimait un autre, James qui lui avait posé la question, et elle qui n'avait pas démenti.

Elle voulait étirer le temps, repousser leurs retrouvailles. Elle avait envie de le voir, bien sûr. Elle avait toujours envie de le voir, tout le temps. Mais là c'était différent. Là elle ne savait plus comment parler, elle avait déjà bien trop de mal à respirer.

Et pourtant elle emboîta le pas de Rose qui les menait vers un campement discret, près du fleuve.

- C'est cette adresse, confirma Rose après avoir vérifié une dernière fois sur la lettre de James. Viens.

Natasha resta immobile alors que Rose marchait vers la première maison, isolée du reste de la rue. Elle la vit frapper à la porte, reconnut Chen qui ouvrait la porte. Ils échangèrent quelques mots avant que le japonais ne la laisse entrer. Natasha resta où elle était, pétrifiée.

Plusieurs secondes s'écoulèrent, et James finit par apparaître, dans un jean clair et un débardeur vert. Il semblait soucieux et la rejoignit rapidement.

Ils étaient au milieu de la route et Natasha se tordait les doigts, incapable de parler. Il attrapa doucement son bras et l'entraîna vers la rive du fleuve, s'arrêtant sous l'ombre d'un grand arbre. Elle ne voyait que le bas de son t-shirt vert, le haut de son jean clair. Elle refusait de lever le regard, d'avoir à lui parler. Elle refusait à l'animal qui vibrait en elle de retrouver le cerf fougueux, compagnon de jeu, adversaire de courses sans fin.

- Qu'est-ce qui se passe, Natasha ? Rose n'a rien voulu me dire, seulement que c'était important et que c'était à toi de me le dire.

Elle allait tuer sa meilleure amie. Lui faire croire qu'elle demanderait à Irina d'être la marraine de ce petit être qui grandissait dans son ventre. Elle vacilla et il la rattrapa facilement, grâce à ses réflexes et à une force qui paraissait inébranlable. Il était l'homme parfait à ses yeux. Il serait un père parfait, elle n'en doutait pas.

- Nat, tu m'effraies.

Il la tenait par les avant-bras, avec douceur, comme hésitant à la lâcher de peur qu'elle ne s'effondre. Il désigna un petit banc, toujours à l'ombre, mais elle ne pouvait plus bouger. Il lui semblait que son corps était soudain trop lourd pour qu'elle ne le porte, et elle ne s'aperçut qu'elle pleurait qu'en sentant la main de James caresser sa joue.

Il se pencha, essaya de croiser son regard. Elle sursauta, son mouvement de recul lui faisant perdre l'équilibre. Elle se détacha de lui, vacilla jusqu'à la poubelle la plus proche, sentit son ventre se tordre et recracha le pauvre croissant au chocolat que Rose était parvenue à lui faire avaler en descendant de l'avion.

Un bras se glissa autour de son ventre, une main se posa sur son front fiévreux, remonta ses cheveux, les glissa en arrière. Elle dirigea ses mains tremblantes vers la poche de son jean, il l'aida à sortir un mouchoir et à essuyer son visage où ruisselaient les larmes. Il murmurait des suppliques, il avait peur, il ne comprenait pas. Il abandonna les mots, la serra contre lui, fort, doucement, longtemps. Elle s'accrocha à son dos, à ce torse sur lequel elle pleurait. Elle voulait que plus jamais il ne la laisse s'échapper de ces bras qui étaient son havre, son univers.

James cherchait une réponse, son instinct animal poussé à l'extrême pour comprendre. Mais Natasha avait fermé le passage. Elle semblait totalement perdue, murmurait son prénom, « James », inlassablement. Il ne cessait de répondre « Oui, je suis là, dis-moi ce qui ne va pas ». Il s'inquiétait pour la famille Kandinsky, pour les parents de Natasha, pour son frère, ses sœurs. Il avait peur qu'elle ne soit venue lui apprendre une terrible nouvelle. Il s'attendait à tout, sauf qu'elle lui annonce une bonne nouvelle. Et c'est pourtant ce qu'elle fit soudainement, à sa plus grande surprise.

- Je suis enceinte, James.

Il ne sut qui du bonheur, de la tristesse ou de la jalousie remporta la partie. Il se contenta de la serrer plus fort, parce qu'elle se remettait à pleurer de plus belle. Il ne comprenait pas pourquoi elle était là, dans ses bras à lui, et pas dans ceux de cet homme avec qui elle vivait.

- Il t'a fait du mal ? David ? Il ne veut pas du bébé ?

Il tentait, il haïssait. Si ce crétin ne prenait pas conscience de sa chance, James se ferait un plaisir de lui en faire prendre conscience à coup de batte.

- Ce n'est pas lui.

Un souffle. Un murmure. Le cœur de James se serra. Soit Natasha avait rencontré quelqu'un d'autre, soit un homme l'avait forcée. Il songea aux sbires des frères Zigaro, et même à Albus. Elle sentit son effroi et le rassura.

- Je n'ai pas été violée, n'aie crainte. Je...

Elle inspira longuement, expira, inspira, soupira. Il pressa sa main avec toute son affection, lui offrit ce sourire un peu gauche qui l'attendrissait toujours. Il arriva à lui tirer un sourire. Vague, bref, triste.

- Je suis désolée James... Je t'ai menti. David... Je n'ai jamais été amoureuse de lui. Rose s'inquiétait beaucoup pour moi après notre séparation, je travaillais tôt, tard, trop, alors j'ai commencé à flirter avec quelques mecs, jamais trop longtemps, pour essayer de t'oublier dans leurs bras. Je m'en voulais, je regrettais le temps où tu partais tout le temps à l'autre bout du monde mais où tu revenais toujours vers moi. Ces hommes... Ces amours-pansements n'ont pas compté. Je te le promets.

- D'accord, répondit-il, faute de mieux.

- J'ai rompu avec David. Le lendemain du mariage. Ça faisait quelques temps qu'on ne partageait plus rien. Je veux dire... On ne... On ne couchait plus ensemble depuis longtemps.

James tut la vérité, qu'il n'avait suffi que d'une fois pour qu'il ait envie d'assassiner ce crétin.

- J'avais des nausées depuis cinq jours. Et... d'autres symptômes. Rose m'a traînée à Sainte Mangouste. C'est Solenne qui m'a auscultée. Elle m'a confirmé que je suis... que je suis enceinte. Selon elle, je suis tombée enceinte le jour du mariage de Mael et Nalani. Selon elle...

Natasha s'interrompit. James sursauta.

- Mais... Tu veux dire... Tu la crois ?, bafouilla-t-il.

- Oui. J'avais pris une potion mais... la date... je n'ai aucun doute.

- Tu es enceinte de moi ?

- Oui.

- Merlin... Je vais être papa, alors ?

- Je... Tu... Je n'en sais rien. Il faudrait qu'on en parle.

- Tu ne veux pas le garder ?

- Si. Enfin... Si tu le veux aussi. On doit en parler.

- On parlera. De tout le reste. Mais pas de ça. Natasha, si tu es sûre de toi, je le suis aussi. Ce bébé je le veux. Par Merlin je crois que je l'aime déjà !

Elle leva enfin les yeux vers lui. Ce visage qu'elle aimait tant, ce sourire, ces yeux rieurs. Les larmes, les sanglots et le rire nerveux. Il fit un pas en avant, un en arrière, souffla. Et enfin elle fut dans ses bras, décolla du sol et se sentit tourner à toute vitesse, transportée par la joie immense de James, qu'elle recevait de plein fouet. Il la ramena près d'elle échangeant son énergie extatique par une peur sans précédent.

- Je ne risque pas de faire du mal au bébé ?, demanda-t-il timidement.

- Non, n'ai pas peur, il est bien au chaud et en sécurité. J'y veille.

Elle ne se rappelait pas d'avoir un jour senti autant de bonheur. Elle ne se rappelait pas d'avoir un jour vu le visage de James s'éclairer autant.

- J'attends un peu pour te demander en mariage ou je peux me lancer ?

Radieuse, elle se jeta à son cou et l'embrassa.

Ils agissaient sur le coup de l'émotion, ils le savaient tous les deux.

Ils n'ignoraient pas les longues discussions qui suivraient, les décisions qu'ils devraient prendre, les choix qu'ils feraient, les concessions, les consensus.

Ils ne vivaient pas ensemble, s'étaient perdus de vue pendant quatre ans, vivaient selon deux rythmes bien différents.

Mais ce bébé était une preuve.

Celle de l'espoir.


Nous revoilà après cent pages. J'aurais tout simplement pu noter un rageant « A suivre » mais je ne sais pas encore quelle suite donner à ce chapitre. Je publierai un épilogue, c'est certain. Mais peut-être aussi une suite. Je vous avais bien dit que je n'aimais pas terminer une histoire…

J'espère que ce moment de lecture vous aura plu et je serai heureuse, comme toujours, de lire vos avis. A bientôt.