Coucou tout le monde !

Vous pensiez que c'était fini ? Héhéhé… Non !

Je sais que certain(e)s d'entre vous étaient déçues qu'on ne développe pas le Mystrade dans cette fic… J'espère que ce petit chapitre additionnel comblera ce manque !

Il prend place deux ans avant que John ne quitte Glasgow, mais se déroule bien évidemment dans le même univers !

Enjoy !

Bises,

Flo'w&Nalou


« Celui-ci, déclara Mycroft Holmes, brisant le silence qui durait depuis plusieurs minutes.

Mrs. Hudson releva les yeux de sa tasse de thé et jeta un regard à la photo que lui désignait le jeune homme.

- Votre choix me surprend, Mycroft, s'étonna-t-elle en lisant le nom indiqué sous la miniature.

Il leva un sourcil, l'incitant à poursuivre.

- Vous m'avez demandé le trombinoscope de l'université en disant que vous vouliez avoir un camarade de chambre… C'était déjà plutôt curieux, mais… Je m'attendais à ce que vous choisissiez le major de votre promo ou n'importe quel habitué de la bibliothèque… Vous êtes conscient que son style de vie pourrait difficilement être plus éloigné du vôtre ?

Mycroft eut un rire bref et une grimace vaguement dégoûtée.

- Rien de pire que quelqu'un qui croit être intelligent mais ne l'est pas… Et le major de ma promo, c'est moi… Comprenez-moi bien, Mrs Hudson. Il s'agit d'une expérience, justement. J'essaie de comprendre comment les gens fonctionnent avec des cerveaux si limités… Quel cobaye plus approprié qu'un jeune homme qui a développé le muscle au détriment de l'intellect ?

La directrice de l'Imperial College of London secoua la tête, retenant un petit ricanement. Une femme de bon goût comme elle n'allait certainement pas admettre que la réponse de Mycroft l'avait amusée…

- Vous parlez sans savoir, Mycroft Holmes, lui reprocha-t-elle gentiment. Gregory est…

- Non. Ne dites rien, l'interrompit le jeune homme en levant une main. Je ne veux pas que vous influenciez mon expérience. Faites simplement en sorte qu'il soit mon camarade de chambre à partir de la rentrée, voulez-vous ?

- Il a demandé à être avec quelqu'un d'autre, Mycroft.

- Peu m'importe. Ceci dit, évitez de lui faire savoir que c'est à cause de moi que sa demande sera rejetée…

Mrs. Hudson pinça les lèvres.

- Soit, à la condition que vous partagiez sa chambre l'année entière. Je ne vous changerai pas de logement simplement parce que vous en avez assez ou pour je ne sais quelle raison. »

Mycroft hocha la tête sans répondre. Les deux savaient très bien que si Mycroft voulait retrouver sa chambre sans colocataire ou en changer durant l'année, la directrice ne le lui refuserait pas…

Il se leva du fauteuil qui faisait face au bureau de Mrs. Hudson et serra la main à celle-ci, jetant un dernier regard à la photo avant de quitter la pièce.

Le jeune homme sur la photo lui renvoya un regard amical et un sourire enjoué, et le nom imprimé en italique juste en dessous se grava dans l'esprit de Mycroft. Gregory Lestrade – entraîneur de l'équipe universitaire de rugby.


« Salut, Dennis ! lança Gregory en se hâtant vers le jeune homme debout devant les panneaux d'affichage.

L'interpellé lui jeta à peine un coup d'œil, les sourcils froncés comme si la feuille placardée face à lui l'avait personnellement offensé.

- Greg, tu as annulé notre demande d'être dans la même piaule ?

Le jeune rugbyman ouvrit de grands yeux, surpris.

- Hein ? Non, pourquoi ?

- Alors ils ne l'ont pas pris en compte. Je suis avec Mark, et tu es avec un certain M. Holmes.

- Mark ne voulait pas avoir une chambre unique ?

- Il me semble que si, répliqua Dennis, l'air agacé. Mais c'est très demandé, ça ne m'étonne pas vraiment qu'il ne l'ait pas eue, vu qu'il s'y est pris à la dernière minute… Mais enfin, je ne vois pas le rapport avec nous. Tu le connais, ce Holmes ?

- Jamais entendu parler. Ils auraient pu le mettre avec Mark, plutôt que de nous séparer.

Dennis resta silencieux quelques instants, et passa nerveusement la main dans ses cheveux blonds, qui lui tombaient devant les yeux.

- On peut peut-être demander au gardien… marmonna-t-il.

- Je pense que le gardien n'y est pour rien. Il vaut mieux aller voir l'administration des résidences, et essayer de faire changer ça ?

- Tu connais Mr. Blynes. « Pas de changement de chambre sans motif médical ! », imita Dennis d'une voix grinçante.

- Alors quoi ? On laisse tomber ? Pour toi ça va, Mark est un type tranquille. Mais je ne sais même pas avec qui je suis tombé… râla Gregory.

- Si ça ne se passe pas bien, on essaiera de mettre la pression à Blynes pour qu'il accepte.

Greg hocha la tête, pas convaincu.

- Hé, fais pas cette tête, Greg. On se verra toujours au rugby et en cours. Si ça se trouve, Holmes est sympa… le rassura son ami en lui posant une main sur l'épaule. Bon, je vais chercher ma clé au bureau des régisseurs, tu viens avec moi ? »

Dennis l'entraîna avec lui, mais Greg resta légèrement renfrogné. Commencer l'année en apprenant qu'il ne partagerait pas sa chambre avec son meilleur ami n'était pas exactement ce qu'il avait prévu…


Mycroft avait déjà consciencieusement rangé ses vêtements dans le placard qui lui était attribué et fait son lit avec application, et finissait d'organiser son bureau lorsque Greg entra maladroitement dans la chambre. Il posa – lâcha – l'encombrant carton qu'il tenait d'un seul bras sur le lit encore défait et tira juste assez sa valise pour pouvoir fermer la porte, avant de pousser un profond soupir de soulagement en massant son bras endolori.

Ce ne fut que lorsqu'il releva la tête qu'il s'aperçut que non seulement il n'était pas seul, mais que son compagnon le regardait intensément, un sourcil levé.

« Gregory Lestrade ? demanda le jeune homme qui se trouvait là, et sa voix était douce et suave.

Greg déglutit et hocha la tête, détaillant son vis-à-vis.

Légèrement plus grand et plus mince que lui, des yeux sombres et des lèvres fines, des cheveux bruns avec de légers reflets roux coiffés soigneusement, il dégageait une fine aura de confiance en lui et de supériorité. Greg tenta de se reconcentrer sur ce qu'il faisait ici – conscient qu'il regardait son nouveau camarade de chambre avec un peu trop d'attention – et de se convaincre que s'il était légèrement essoufflé, c'était la faute des quatre étages montés à pied à cause de l'ascenseur en panne. Ce n'était certainement pas dû au charisme calme et au regard perçant du jeune homme en face de lui…

- C'est toi, Holmes ? demanda-t-il, essayant de maîtriser sa respiration.

- Mycroft, répondit l'intéressé. Mycroft Holmes.

- Gregory Lestrade, indiqua-t-il avant de lever les yeux au ciel – son nom avait déjà été dit, inutile de le répéter, crétin – tout le monde m'appelle Greg, ajouta-t-il pour se redonner une contenance.

- Mmh. Je ne suis pas très surnoms, fit Mycroft en haussant les épaules, avant de se détourner souplement pour continuer son rangement.

- … ok. »

Greg continua à fixer Mycroft de dos pendant quelques secondes, un peu surpris par cette fin de conversation abrupte. Puis il s'aperçut que ses yeux étaient un peu trop descendus sur le corps de son colocataire, et se détourna pour commencer à déballer ses affaires. Peut-être qu'il est simplement timide, se dit Greg en accrochant ses uniformes dans la penderie, il n'a probablement pas demandé à être avec moi…

« Mycroft ? demanda-t-il soudain, brisant le silence.

- Mmh.

- Tu es en quelle année ? Dans quel département ? Je crois que je ne t'avais jamais vu, je veux dire…

- Je débute mon doctorat en finances et géopolitique, indiqua l'intéressé, laconiquement.

- Oh. Ça explique tout, continua Greg sans se démonter. Je ne suis qu'en dernière année de master, en crimino. Je devais partager ma chambre avec un copain de l'équipe de rugby, mais il y a eu un problème de répartition, apparemment. Je suis désolé si tu n'as pas été mis avec celui que tu voulais, enfin, je n'y suis pour rien mais… Ne t'en fais pas, je ne suis pas trop difficile à vivre, normalement !

- Pour quelqu'un qui aime le silence, on ne peut pas dire que tu sois le colocataire idéal, rétorqua Mycroft d'un ton pince sans rire.

Greg resta coi, ne sachant si l'autre lui reprochait vraiment ou non d'être trop volubile. Dans le doute, il s'excusa rapidement avant de se taire.

- Hum, désolé. Je suis bavard quand je suis nerveux, et cette histoire de colocation m'a un peu déstabilisé. »

Mycroft ne répondit pas, plongé dans ses réflexions. Il ne s'attendait pas à ce que Lestrade arrive si tôt, et il avait été pris au dépourvu, alors qu'il avait prévu de réfléchir à comment l'aborder. Heureusement, son cerveau Holmésien lui avait permis de passer rapidement outre la surprise et de commencer à examiner le sujet de son expérience.

Gregory Lestrade était bien plus intéressant en chair et en os qu'en photo plus impressionnant, aussi, malgré toute la confiance qu'avait Mycroft en lui-même. Le jeune rugbyman était presque aussi grand que lui, ce qui était rare, mais avait des épaules bien plus larges, et le sweatshirt noir et blanc – aux couleurs de l'équipe de l'université, nota-t-il – ne masquait que vaguement sa musculature. Il se tenait droit, pas avachi comme la plupart des jeunes de sa génération, et Mycroft ne put s'empêcher de lui attribuer un bon point pour ça.

Le jeune Holmes continua ses observations tout en pianotant sur son ordinateur, la moitié de son esprit occupée à lire un document envoyé par son maître de thèse.

Greg avait un visage avenant, des yeux marron rieurs et une bouche fine qui se tordait volontiers en un sourire. Ses cheveux brun sombre étaient épais, et s'ils commençaient tout juste à grisonner aux tempes, ils n'en paraissaient que plus doux. Mycroft fronça les sourcils. La douceur des cheveux de son colocataire n'était pas censée rentrer en ligne de compte dans son évaluation…

Le jeune rugbyman ne semblait pas s'être vexé de la remarque un brin acerbe de Mycroft concernant le silence, et ce dernier s'en étonna légèrement. Il avait presque toujours cru – et constaté – que les sportifs étaient généralement plus enclins à prendre la mouche à la première petite attaque. Retenant un demi-sourire machiavélique, Mycroft se promit de découvrir jusqu'où allait la patience de Gregory…


Les étudiants prenaient généralement possession de leur chambre quelques jours avant la date exacte de la rentrée. A leur instar, Gregory et Mycroft s'étaient installés dans l'appartement numéro 413 du bâtiment E le samedi précédant le lundi qui voyait débuter l'année scolaire. Mais ils ne passèrent que peu de temps ensemble ce week-end-là Mycroft avait déjà accès au bureau où il allait travailler et y passa la majorité de son temps, et Greg s'occupa à organiser la participation de l'équipe de rugby aux sélections annuelles des associations sportives, en compagnie de ses coéquipiers.

Les deux étudiants ne se virent donc que le dimanche soir – Greg était rentré tard d'un repas avec ses amis le samedi et avait trouvé Mycroft déjà endormi, tourné vers le mur, et s'était réveillé après son départ le dimanche matin.

C'est alors que la nuit commençait déjà à tomber que Mycroft rentra dans la chambre 413. Il retira son manteau et ses chaussures, puis alla poser ses affaires sur son bureau, le tout en silence. Gregory n'avait rien remarqué, assis en tailleur sur sa chaise et plongé dans le film qu'il regardait sur son ordinateur, un casque sur les oreilles. Mycroft en profita pour l'observer tranquillement, satisfait que son colocataire ne diffuse pas le son sur des enceintes. Puis il décida de se signaler. Après tout, il n'allait pas apprendre grand-chose sur la vie sociale des gens normaux s'il n'avait aucune interaction avec son cobaye.

« Bonsoir, Gregory, dit-il de sa voix mélodieuse, retenant un sourire lorsque le jeune homme sursauta.

- Mycroft ! s'exclama-t-il en baissant son casque. Je ne t'avais pas entendu rentrer. Bonne journée ? demanda-t-il en lui adressant un grand sourire.

- Intéressante, répliqua simplement l'autre. ...et toi ? se força-t-il à ajouter, bien que la réponse ne lui importe que peu.

Greg mit son film en pause et posa son casque sur le clavier, avant de se lever et se s'étirer. Mycroft s'efforça de ne pas faire attention aux mouvements souples des muscles de son colocataire – que son t-shirt à manches longues soulignait de manière plutôt flatteuse – ni à la mince bande de peau nue qui apparut brièvement entre sa ceinture et le bas de son t-shirt, et attendit la réponse.

- Très bonne. J'ai pas mal de projets pour l'équipe cette année, et j'ai hâte de voir les sélections arriver, indiqua-t-il en continuant de sourire. Tu as déjà mangé ? Je t'ai attendu, je comptais commander un chinois et je me suis dit que tu pourrais peut être en vouloir aussi ? Avec une commande groupée, ça devrait suffire pour avoir la livraison gratuite, expliqua-t-il.

Mycroft ne put s'empêcher de sourire devant l'enthousiasme de Greg. Et comme il appréciait la cuisine asiatique, il se dit que ce n'était pas une mauvaise idée d'accepter sa proposition. Après tout, les relations sociales ne se nouent-elles pas plus facilement autour des repas ?

- Tu as le menu quelque part, pour que je choisisse ?

- Ouaip, répondit Greg en lui tendant une feuille de papier glacé jaune et rouge.

Le jeune Holmes la saisit et la parcourut du regard pendant tout juste une seconde ou deux.

- Je vais prendre du riz cantonais et six nems au poulet, décida-t-il en rendant le prospectus à Greg, qui resta figé un certain temps avant de reprendre le papier.

- Tu as lu tout le menu en une seconde et demie ?!

Mycroft haussa les épaules. Il avait eu le temps de lire la moitié du menu pendant que Greg le tenait encore en main avant de lui donner.

- Il faut savoir lire vite, dans mon domaine. Il suffit de repérer les mots-clés, pas besoin de lire chaque mot. La majeure partie de ce menu ne sert qu'à détailler le contenu des plats et à traduire certains termes, et je n'ai pas eu besoin de la lire… expliqua-t-il sans trop savoir pourquoi il s'en donnait la peine.

- Tu parles chinois ? Ou tu es juste un habitué de leurs restaurants ?

Mycroft eut un léger rire.

- Les deux. »


Greg et Mycroft passèrent le repas à discuter. Le jeune Holmes mit un point d'honneur à s'intéresser à ce que lui racontait Greg – il fallait que son cobaye se sente à l'aise – et s'efforça de donner des réponses de plus d'un mot à ses questions. Greg semblait fasciné par ce que lui disait Mycroft, même les choses les plus insignifiantes aux yeux de celui-ci (sa date d'anniversaire, le nombre de ses frères et sœurs…), et Mycroft nota dont intérieurement que son colocataire était soit particulièrement sociable, soit sa vie était particulièrement ennuyeuse pour que de telles informations l'intéressent.

En réalité, ce qui fascinait Greg… c'était la voix de son vis-à-vis. Elle était assez douce, légèrement plus aiguë que la sienne, imperceptiblement rauque. Sur n'importe qui n'ayant pas le charisme de Mycroft, elle aurait pu paraître grinçante, mais il parlait délicatement, en articulant correctement, et le résultat avait tendance à remuer les entrailles de Greg. Aussi, il continuait à lui poser des questions – quitte à ce qu'elles n'aient pas d'intérêt – juste pour qu'il ne s'arrête pas de parler. Et il s'efforçait de ne pas fixer sa bouche, préférant maintenir le contact de leurs regards.

Lorsqu'ils eurent terminé leurs assiettes, Mycroft débarrassa leur petite table avant que Greg n'ait pu bouger, et commença à faire la vaisselle. Son colocataire, vaguement gêné de ne rien faire, se leva à son tour pour aller essuyer la vaisselle propre. Retenant un petit sourire, il donna délibérément un léger coup d'épaule à Mycroft en s'approchant de l'évier pour prendre le torchon, et s'installa plus près de lui qu'il n'était nécessaire – à sa décharge, la cuisine n'était pas bien large. Juste pour voir sa réaction, songea le jeune homme.

Il ne fut pas déçu, et dut étouffer un vague rire, le transformant en raclement de gorge. A son contact, Mycroft avait légèrement sursauté, tourné la tête vers lui, rougi lorsque Greg avait passé son bras devant lui pour attraper le torchon et frôlé ses avant-bras au retour. Mais il ne s'était pas écarté – il ne pouvait pas vraiment, s'il voulait rester en face de l'évier…

Ils terminèrent la vaisselle en silence, Greg ayant décidé de ne pas traumatiser son colocataire dès le deuxième soir, et Mycroft resta sur son impression que les brefs contacts avaient effectivement été involontaires.

Le jeune rugbyman surprit Mycroft une nouvelle fois quelques minutes plus tard. Celui-ci s'était préparé à devoir partager la salle de bain et subir le moment gênant du lavage de dents côte à côte. Mais Greg fit preuve d'un tact inattendu en lui laissant toute la place, démentant ainsi un autre cliché du sportif sans savoir vivre auquel Mycroft croyait. Mais ce n'est que le premier soir que nous passons ensemble. Ne tirons pas de conclusions hâtives, on verra quand il sera habitué à moi…

Quand il quitta la salle d'eau, en revanche, il put cocher mentalement la case pudeur limitée en constatant que Greg ne portait plus qu'un boxer et un t-shirt, et détourna les yeux de son colocataire. Il attendit que Gregory soit à son tour occupé à se brosser les dents pour enfiler son pyjama le plus vite possible et être sous sa couette à son retour.


« Greg ! Hé, Greg ! Attends-moi !

L'interpelé tourna la tête et sourit en voyant Dennis courir vers lui. Lorsqu'il arriva à sa hauteur, le souffle court, ils échangèrent une poignée de main amicale.

- J'ai cru que tu ne t'arrêterais jamais ! fit mine de râler Dennis quand ils reprirent leur marche vers le bâtiment de cours.

- Je pensais à autre chose, marmonna Greg.

La vue de Mycroft sortant du lit avec les cheveux en vrac avait été en effet plutôt intéressante, et Greg masqua un sourire avant de reléguer l'image à l'arrière-plan de ses pensées. Elle n'y resta pas longtemps.

- Ah oui ? A quoi tu pensais ?

Greg s'éclaircit la gorge.

- Rien de spécial. Je rêvassais, c'est tout. »


Gregory retrouva la cantine universitaire avec un enthousiasme mitigé. Les vacances d'été n'avaient pas amélioré la qualité de la nourriture, et en ce début d'année le nombre d'étudiants était au plus fort. C'est donc après une attente qui lui sembla interminable qu'il put enfin s'asseoir à table en compagnie de ses amis.

« Greg ! Dennis m'a dit que j'avais malencontreusement pris ta place au moment de la répartition dans les piaules. Je suis désolé… s'excusa Mark, un étudiant dégingandé au visage criblé de taches de rousseur.

Greg lui renvoya un regard amusé.

- A priori, ce n'est pas de ta faute, répondit-il. Tu vas survivre toute l'année avec ce rustre, toi pauvre petit philosophe ?

Mark suivait un cursus de philosophie. C'était un jeune homme calme, qui passait la majeure partie de son temps plongé dans ses livres. Dennis, lui était un des coéquipiers de Greg : grand, massif, une carcasse un peu brute malgré son caractère sympathique. La question était justifiée…

- Je pense que je devrais y arriver, quand je lui aurai appris à ne pas laisser traîner son linge sale. Je ne sais pas comment tu as fait ces dernières années, Greg, répliqua Mark.

Dennis prit la mouche.

- Je n'ai pas mis de linge sale n'importe où ! Je l'ai ramassé ! D'ailleurs, en parlant de colocataires inattendus, Greg, tu as rencontré Holmes, finalement ?

Greg ne put s'empêcher de sourire.

- Ouaip ! Je ne l'ai pas beaucoup vu, étant donné qu'on a passé le week-end à planifier les sélections…

- Alors, de quoi il a l'air ? Je n'avais jamais entendu ce nom…

- Moi si. Il y a un certain Sherlock Holmes dans ma classe, indiqua un des étudiants. C'est lui ?

- Non, répondit Greg. Mon coloc s'appelle Mycroft. Ce Sherlock, c'est son petit frère, si j'ai bien retenu ce qu'il m'a dit.

- J'espère pour toi qu'il n'est pas comme Sherlock. Les rares fois où il s'est pointé en cours depuis qu'on est dans la même promo, c'était pour foutre la merde.

- Ah bon ? En tout cas, Mycroft a l'air à peu près normal.

- Sérieusement, Mycroft ? Le nom méga-snob…

Greg sourit intérieurement. En effet, Mycroft avait un léger côté guindé, qu'il avait attribué à la tension des premières rencontres.

- Snob, non… J'imagine qu'il n'a pas choisi son prénom, tout le monde ne peut pas s'appeler John… »

La conversation dériva, mais Dennis garda ses yeux fixés sur Greg pendant quelques secondes, essayant de déchiffrer son expression. Lorsqu'ils quittèrent la cafétéria tous les deux pour retourner en cours, il relança le sujet.

« Hé, Greg. J'ai l'impression que tu ne nous a pas tout dit sur ce fameux Mycroft. D'habitude tu es une vraie commère, je te connais, et tu as à peine dit deux mots sur lui. C'est louche !

Greg leva un sourcil.

- Qu'est-ce que tu veux savoir ?

- Je sais pas, à quoi il ressemble ?

- Mmh… Vaguement plus grand que moi, plutôt mince. Le genre pas très sportif. Les yeux bleus ou verts, il me semble, et le nez un tout petit peu tordu.

Dennis pinça les lèvres en une moue moqueuse.

- Crache le morceau. T'as l'air tout coincé.

Greg leva les mains.

- Ok, je me rends ! Il est… Disons que… Oh, bordel. S'il n'y avait qu'un lit dans la chambre, je n'irais pas dormir dans la salle de bains.

Dennis éclata de rire.

- Aaaah, ben voilà ! C'est ça que je voulais entendre ! Je comprends pourquoi tu n'as pas lâché ça à table au milieu de tout le monde… Je suis toujours le seul au courant ?

- Oui. Pas que je n'assume pas, mais c'est juste que… ça ne les regarde pas.

Dennis hocha la tête, compréhensif, puis lui envoya un clin d'œil.

- Et alors ? Tu vas tenter quelque chose, avec Mycroft ?

Greg lui lança un regard de côté, et tordit ses lèvres.

- Je le connais depuis deux jours, et je vais devoir passer l'année dans la même chambre que lui. Alors, je ne crois pas que ce soit une excellente idée. Au moins pour l'instant…


Le lundi soir, Mycroft trouva Gregory en train d'inspecter le réfrigérateur.

« Un problème ? demanda-t-il calmement.

Greg referma la porte énergiquement et se redressa.

- Plutôt, oui. Le frigo est vide. Pourquoi aucun de nous n'a pensé à faire des courses ce week-end ?

- Parce qu'aucun de nous n'a mangé ici ce week-end, à part hier soir, et qu'on a commandé notre nourriture ?

- … Pas faux. Du coup, la question suivante se pose : vu qu'on va passer l'année ensemble, comment on s'organise ? Est-ce que chacun achète sa propre nourriture ou on partage ?

Mycroft se sentit surpris. Et surpris d'être surpris. Pourquoi n'avait-il pas prévu ça ?

- Je n'ai pas réfléchi à la question. J'ai toujours été seul jusqu'ici.

- Avec Dennis – mon ancien coloc – on partageait, mais…

Greg s'interrompit et regarda attentivement Mycroft de haut en bas, puis de bas en haut, et retint un sourire lorsque celui-ci rosit.

- Mais, reprit-il comme il s'était arrêté, tu n'as pas l'air de manger beaucoup, et ça ne serait probablement pas équitable de partager si je mange deux fois plus que toi.

- Je mange plus que ce que mon apparence peut laisser penser, marmonna Mycroft. Tu aurais pu le constater hier soir si tu n'avais pas été si concentré sur ta propre assiette, ajouta-t-il en souriant.

Alors qu'il terminait sa phrase, il fronça les sourcils intérieurement. Est-ce que je viens de plaisanter ? Mon dieu, j'ai tenté de faire de l'humour. Tu es plus sociable que je pensais, Mycroft Holmes, songea-t-il.

- … J'étais concentré sur ce que tu me racontais, surtout, répliqua Greg en lui rendant son sourire. Bon, alors ?

- Je propose qu'on partage. Ça devrait être plus simple.

- D'accord. Tu as des trucs urgents à faire ce soir ? Je propose qu'on fasse les courses ensemble, au moins cette fois, pour savoir un peu ce que chacun a l'habitude d'acheter…

- Pas d'affaires urgentes dès le premier jour ! Allons-y. »

Tandis qu'ils poussaient un caddie à travers les allées de Tesco, ils continuèrent à discuter tranquillement. Mycroft laissait Greg diriger la conversation et notait au fur et à mesure les sujets abordés. Le rugby était loin en tête, mais le jeune Holmes fut agréablement surpris de constater que Greg parlait volontiers de lecture (passionné de romans policiers, étrangement), des actualités internationales, et qu'il écoutait volontiers tout ce que Mycroft pouvait avoir à dire. Autrement dit, Greg était un interlocuteur intéressant, et Mycroft ressentit une vague de soulagement à l'idée que son colocataire n'ait finalement pas « développé le muscle au détriment de l'intellect » comme il s'y était attendu.


« Salut ! lança Greg avec entrain lorsqu'il rentra dans la chambre après ses cours le mardi.

Mycroft lui accorda un demi-regard ennuyé, concentré sur son travail, mais Greg ne remarqua rien et farfouilla dans son placard avant de filer dans la salle de bains. Il en ressortit deux minutes plus tard, en short de rugby, la tête cachée sous le t-shirt qu'il était en train d'enfiler, offrant à son colocataire une vue de premier choix sur son torse bien défini.

Il ne vit donc pas le regard vaguement choqué, puis le rougissement de Mycroft avant que celui-ci ne reprenne contenance, et continua sur sa lancée, saisissant son sac de sport.

- Ne m'attends pas pour manger ce soir, je ne serai probablement pas de retour avant 21h30 ! À plus ! »

Sans attendre de réponse, il ressortit de la chambre 413 au pas de course, laissant un Mycroft interloqué.

Resté seul, le jeune homme mit quelques secondes à se reconcentrer sur ce qu'il faisait, après avoir mis à jour ses notes mentales concernant Greg. La case pudeur limitée était désormais non seulement cochée, mais soulignée en rouge. Et une note de bas de page était apparue, malgré toute la volonté que Mycroft mit à la faire disparaître. Attirant physiquement.

Mycroft finit par se remettre au travail, ne s'arrêtant que bien après l'heure normale du repas. Il se tint quelques instants debout dans la cuisine, hésitant. Pas vraiment faim, pas vraiment envie de se préparer à manger. Haussant les épaules, il glissa une tranche de pain de mie dans le grille-pain et mit de l'eau à chauffer. Une petite voix à l'intérieur de sa tête, ressemblant désagréablement à celle de son petit frère, se moqua légèrement. Alors, on se sous-alimente ? Et ça me critique ensuite… Mycroft la fit taire et revint à son bureau avec une tasse pleine et un toast nature.

Il venait de porter son thé à ses lèvres lorsque Greg rentra, et manqua de s'étrangler avec le liquide brûlant.

Le sportif était trempé et boueux de la tête aux pieds. Son t-shirt, qui avait été blanc et noir à l'aller, était maculé de taches marron et verdâtres, et collait au torse et aux bras de Greg. Il en était de même pour le short, et Mycroft dut se concentrer pour garder son regard sur le visage de son colocataire. Il s'attendait vaguement à une expression renfrognée, des lèvres bleuies par le froid, et des traces de boue sur les joues, mais n'eut raison que sur le dernier point. Greg avait l'air extrêmement satisfait.

« Aah ! s'exclama-t-il en lâchant son sac de sport par terre – avec un léger floc lorsque celui-ci heurta le sol – et fit rouler ses épaules pour les détendre avant de reprendre. Rien de tel qu'un entraînement sous la pluie !

- … Vraiment ? demanda Mycroft, atterré par le déraillement de sa voix vers les aigus.

Greg enleva ses chaussures et chaussettes et les laissa près de l'entrée de la chambre pour ne pas faire trop de traces. Puis, sans crier gare, il saisit le bas de son t-shirt et le fit passer par-dessus sa tête d'un seul mouvement, avec un soupir de soulagement.

- Ce truc est gelé… » marmonna-t-il en le lançant sur son sac de sport.

Mycroft s'empressa de ramasser sa mâchoire – tombée par terre devant Greg, dégoulinant de pluie, barbouillé de terre, torse-nu, glorieux – et sentit son estomac faire un looping lorsque son colocataire commença à enlever son short. Incapable de détacher ses yeux de la vue, Mycroft procéda à une rapide introspection, ayant la vague impression d'être possédé par une adolescente en mal de virilité. Mais non. Il était toujours Mycroft Holmes, vingt-deux ans, génie glacé et antisocial, passionné de stratégie et de politique. Et manifestement également passionné par le corps de son camarade de chambre en boxer.

Gregory ne sembla rien remarquer des états d'âmes de Mycroft, et se rendit tranquillement dans la salle de bains. Tandis que ses yeux suivaient automatiquement le mouvement, le cerveau de Mycroft se remit à travailler. La mention pudeur limitée fut barrée énergiquement et remplacée par pudeur quasi inexistante/léger exhibitionnisme, potentiellement inconscient. Et la note de bas de page se trouva soudain mise en gras.

Une fois le verrou de la salle de bain mis en place, Greg s'autorisa un sourire. Il était à peu près certain de ne pas avoir rêvé : Mycroft l'avait regardé attentivement – dévoré des yeux, plutôt – pendant qu'il se déshabillait l'air de rien. Ce n'était qu'à moitié volontaire de la part de Greg de s'être dénudé au milieu de la chambre il avait toujours fait ça lorsqu'il rentrait d'un entraînement particulièrement salissant quand il vivait avec Dennis, et ne s'était rendu compte qu'il était en train de se mettre nu devant Mycroft qu'au moment d'enlever son short. Il était resté aussi impassible que possible, le regard fasciné et les joues rouges de son colocataire le dissuadant d'aller finir son strip-tease dans la salle de bains.

Il se glissa sous le jet d'eau chaude et se savonna minutieusement, faisant disparaître toute trace de boue de sa peau et de ses cheveux. Et s'il traîna un peu, les iris sombres de Mycroft dansant dans son esprit, où était le problème… ?

Ce soir-là, alors que le jeune Holmes était immobile dans son lit, son cerveau effectuait l'équivalent mental de se tourner et retourner entre les draps sans trouver de position confortable.

C'était inattendu. Complètement imprévisible. Tu le connais depuis très exactement trois jours, dix-sept heures et vingt-six minutes. Tiens-toi correctement, Mycroft Holmes, se fustigea-t-il intérieurement. C'est ton cobaye. Le sujet de ton expérience. Tu es là pour comprendre comment sa petite tête de personne ordinaire fonctionne, pas pour le regarder se déshabiller et certainement pas pour repenser à ce moment en boucle !

Mais malgré les réprimandes internes qu'il s'infligeait, il ne pouvait s'empêcher de repasser encore et encore les images de Greg derrière ses paupières closes, et s'endormit avec ces pensées.


Une routine simple s'installa rapidement entre les deux étudiants. Les jours s'enchaînèrent, et avec eux les cours, les excursions chez Tesco, les entraînements de Greg, les périodes de silence de Mycroft. Leur cohabitation se déroulait dans une ambiance plutôt amicale, malgré certains incidents réveillant une vague tension.

Pas vraiment une tension désagréable. Plutôt un subtil jeu du chat et de la souris, même si les rôles n'étaient pas forcément ceux attendus… En effet, si Mycroft continuait à cataloguer et répertorier toutes les caractéristiques, les habitudes et les réactions de Greg, celui-ci s'était lancé un défi beaucoup plus simple : faire rougir Mycroft aussi souvent que possible sans avoir l'air de le faire exprès.

Et il s'était révélé très fort à ce petit jeu, même s'il avait démarré inconsciemment. Sortir de la salle de bains simplement enroulé dans une serviette, se mettre en tenue de rugby ou en pyjama au milieu de la chambre, effleurer Mycroft sous prétexte d'attraper un objet… Tous les prétextes étaient bons, et Gregory se voyait obligé de retenir des sourires régulièrement.

Tous ces petits gestes troublaient profondément le jeune Holmes. Ils semblaient tellement naturels que même son intellect surdéveloppé ne remarquait pas qu'ils étaient prémédités.


C'est avec un large sourire sur le visage que Greg arriva à son entraînement un jeudi de novembre, malgré la pluie glacée qui tombait sur Londres et les deux lourds sacs de matériel qu'il portait. Aucun joueur n'était encore arrivé sauf Dennis, et celui-ci lui jeta un regard entendu et un sourire narquois. Il était bien évidemment au courant du petit jeu de Greg.

« Toi, tu as encore embêté ton coloc, dit-il simplement en saisissant un des sacs.

- Mmh. Si tu avais vu sa tête… J'ai eu du mal à rester impassible…

Dennis tordit ses lèvres, son sourire tombant à moitié.

- Tu es toujours sûr que tu ne veux rien tenter avec lui ? Tu es sûr que tu fais ça juste pour t'amuser ?

L'enthousiasme de Greg fut un peu douché.

- Bah… C'est plutôt drôle de le faire rougir comme ça. Je ne sais pas pourquoi ça lui fait cet effet, à vrai dire. Il est peut-être juste timide. Ou hétéro, plus probablement. Mais ça m'étonne qu'il ne me fasse pas de remarque. Je n'ai pas l'impression d'être si discret !

- Peut-être qu'il n'a juste pas d'expérience…

Greg fronça les sourcils.

- Pas d'expérience ? Je n'y crois pas un seconde. Avec un charisme comme le sien, et ses yeux… Il pourrait avoir n'importe qui.

- Tu ne peux pas savoir. Et je ne l'ai jamais vu, même si ça fait presque trois mois que tu vis avec lui, donc je ne peux pas juger. Et tu n'as pas répondu à ma question.

Lestrade soupira en levant les yeux au ciel.

- Comptez sur le pote lourd pour mettre les pieds dans le plat et y sautiller à pieds joints une fois dedans. Dennis, je n'en sais rien. Ce type me rend fou. Mais c'est mon coloc. Je ne peux rien tenter, comme tu dis. Pas sans être sûr, pas sans porte de sortie. S'il me rejette et qu'on doit se supporter tout le reste de l'année…

Dennis siffla doucement entre ses dents.

- Les autres arrivent. Tu veux aller boire une bière après la séance pour discuter un peu ?

- Pourquoi pas. »

Le petit discours de Dennis avait touché un point sensible, mais l'intensité de l'entraînement obligea Greg à se changer les idées. Elles attendirent sagement qu'il siffle la fin de la session du jour avant de reprendre possession de son esprit.

« On se retrouve à l'entrée du campus d'ici une demi-heure ? » demanda Dennis alors que Gregory verrouillait la porte du local de rangement.

Le jeune entraîneur acquiesça et s'empressa de retourner chez lui pour poser ses affaires et prendre une douche. Une fois propre et habillé – un jean sombre et son sweatshirt préféré – il ressortit de la salle de bains et s'assit sur son lit pour enfiler ses chaussures.

« Tu vas quelque part ? demanda Mycroft en haussant un sourcil.

Greg ne put s'empêcher de lui envoyer un sourire moqueur.

- Bien vu, Einstein ! Je vais boire un coup avec Dennis. Ne m'attends pas, je rentrerai probablement tard.

- Tu as cours à 8h demain, remarqua son camarade de chambre, l'air clairement désapprobateur.

- Je sais, maman. Je ne boirai pas trop, c'est promis ! » répliqua Greg en gardant son sourire, tandis qu'il quittait à nouveau la chambre.

Greg et Dennis firent le trajet jusqu'au Queen's Head – leur pub préféré – en bavardant de tout et de rien. C'est une fois installés et pinte en main que Dennis relança le sujet de Mycroft.

« Allez, dis-moi tout. Il t'intéresse vraiment, ce Mycroft, ou c'est juste pour t'amuser que tu lui fais des misères ?

- Des misères, tout de suite les grands mots… Il n'a pas l'air de détester ça, répondit Gregory, esquivant la question.

- Réponds-moi, Greg. Tu veux en parler ou pas ?

- Mmh.

Greg détourna le regard, et but quelques gorgées pour se redonner une contenance.

- … Oui, il m'intéresse. Il n'est pas juste incroyablement canon et marrant quand il rougit. Il est… Je ne sais pas comment dire. Il faudrait que tu le rencontres pour comprendre. Il a cette façon de regarder les gens… Il est complètement impassible, tu vois, mais tu as quand même l'impression d'être passé au scanner.

- Mais à part ça, il est sympa ?

Greg eut un vague sourire.

- Sympa… Je ne dirais pas « sympa ». Je pense qu'il est soit timide, soit un peu asocial. Ou les deux. Il est toujours un peu distant, comme s'il était au-dessus de tout ça. Mais c'est toujours intéressant de parler avec lui – il est hyper intelligent, il s'y connaît dans plein de domaines… Et il ne déteste pas complètement le rugby. Et je pense qu'il ne me déteste pas complètement non plus, ou en tout cas il ne m'a rien dit…

Dennis haussa un sourcil tout en buvant sa bière.

- Si c'est ça qui te plaît… Et tu es sûr que tu ne veux pas tenter le coup ?

Greg lui lança un regard exaspéré.

- Bien sûr que si, je veux tenter le coup. Mais je ne peux pas.

- Je t'ai connu plus téméraire, se moqua gentiment Dennis.

- Je t'emmerde, Dennis, rétorqua Greg. Je peux savoir où tu en es, avec Lisa ?

Les deux se renvoyèrent un air agacé, avant d'échanger un rire.

- Figure-toi que j'avance, avec Lisa, moi. Je l'emmène au resto samedi soir, annonça Dennis avec un grand sourire.

- Oh, c'est cool ! »

La conversation dévia peu à peu sur d'autres sujets, mais une partie de l'esprit de Greg carburait toujours sur l'affaire Mycroft. Dennis avait raison. Il n'allait pas passer l'année à taquiner son colocataire sans essayer d'aller plus loin.

En rentrant chez lui ce soir-là, Greg trouva Mycroft déjà endormi. Il lui lança un sourire. Défi relevé, songea-t-il.


Le vendredi passa comme au ralenti. Greg n'était pas vraiment fatigué de sa soirée – il n'était pas du genre à dormir beaucoup – mais les profs semblaient s'être concertés pour donner des cours particulièrement soporifiques ce jour-là. C'est donc avec un lourd soupir de soulagement qu'il retrouva sa chambre en rentrant à 18h.

Sans un mot, il lâcha son sac et se dirigea vers la salle de bains, où il fouilla ses affaires pour trouver n'importe quoi capable d'atténuer son mal de tête. En vain.

« Mike, tu aurais du paracétamol ? lança-t-il distraitement en direction de son colocataire.

Mycroft leva un regard ahuri.

- Dans la boîte bleue, répondit-il lentement. Est-ce que tu viens de m'appeler « Mike » ?!

Greg trouva la plaquette de cachets avec un grognement triomphant, et s'empressa d'en avaler un.

- Gregory, je t'ai posé une question, grinça froidement Mycroft.

- Hmm ? Oh, je n'ai pas fait attention. Peut-être.

- Je m'appelle Mycroft. Et j'apprécierais que tu utilises mon prénom entier, aussi long et difficile que ce soit.

Greg sentit un rictus moqueur éclore sur ses lèvres, malgré le tambourinement dans son crâne.

- Comme tu voudras, Mike » répliqua-t-il en se mordillant la lèvre inférieure, le regard plein de défi – et d'humour.

Bingo ! Mycroft eut, un bref instant, l'expression qu'il prenait juste avant de rougir, mais il se reprit vite et retrouva son expression vaguement irritée, redirigeant son attention sur son travail.

Dix minutes plus tard, Greg faisait les cent pas dans la petite chambre, et Mycroft lui lançait des coups d'œil exaspérés de plus en plus fréquemment. Puis il finit par craquer.

« Mais tu vas t'arrêter, oui ?! Je vais t'en coller une si tu fais un pas de plus ! Je TRAVAILLE, bon sang, tiens-toi tranquille ou sors d'ici ! s'exclama-t-il avec colère.

Greg stoppa net, et haussa un sourcil dans sa direction, dubitatif et amusé.

- … Toi, tu vas m'en coller une ? J'ai presque envie de continuer, rien que pour voir ça.

Mycroft ouvrit la bouche pour répliquer, la referma, et rougit violemment. Malgré ses quelques centimètres de plus, il n'avait vraiment, vraiment pas la carrure adaptée pour mettre sa menace à exécution. Greg laissa apparaître le sourire qu'il retenait à peine, et continua.

- Tu as l'air un peu à bout de nerfs, Mike.

- Tu n'améliores pas mon humeur avec ce surnom ridicule, rétorqua l'intéressé.

- Je pense que tu as besoin de te défouler. Et je m'ennuie. Sors avec moi.

Les mots restèrent suspendus dans l'air entre eux, et Mycroft reprit la teinte cramoisie qu'il venait tout juste de quitter.

- Allez, insista Greg, imperturbable. C'est vendredi soir, tu ne travailles pas demain ! Viens, on va boire une bière. Tu as clairement besoin de prendre l'air.

Evidemment. Bien sûr qu'il ne voulait pas dire ça. Qu'est-ce qui ne va pas avec toi ?! se fustigea Mycroft.

- Boire une bière, répéta-t-il à haute voix, comme si c'était l'idée la plus saugrenue que quelqu'un puisse avoir.

Mais Greg resta imperméable au manque d'enthousiasme de son camarade de chambre.

- Allez, hop hop hop, debout, ordonna-t-il. Chaussures, manteau, clés, portable, portefeuille. Non, pas le portable, en fait, tu risquerais de continuer à bosser. Ben alors ? Pourquoi tu es toujours assis ?

Mycroft fronça les sourcils.

- Il est hors de question que je mette les pieds dans un pub. » dit-il, crachant presque le dernier mot.

Gregory se contenta de rire, et passa au plan B. Il fit les deux pas nécessaires pour rejoindre le bureau de son colocataire, rabattit délicatement l'écran de son ordinateur portable, et tira la chaise en arrière avant de saisir les avant-bras de Mycroft pour le hisser sur ses pieds. Trop surpris pour résister, le jeune homme avait déjà un bras passé dans la manche de son manteau avant que son corps rattrape son cerveau et commence à protester.

« Gregory, qu'est-ce que… » eut-il le temps de marmonner avant que Greg ne lui enfile sa deuxième manche.

Mycroft tenta de se dégager, mais Greg tenait fermement les deux pans de son manteau face à lui. Le jeune rugbyman tira le tissu pour le placer correctement sur les épaules de son colocataire et rajusta très délibérément le col, piétinant ostensiblement dans son espace personnel. Il lui adressa un sourire satisfait et enfila sa propre veste d'un mouvement fluide.

« Allez, fit-il en poussant un Mycroft récalcitrant vers la porte, c'est parti. »

Après trois tentatives échouées de repartir dans sa chambre, Mycroft finit par accepter son sort. Soit, il allait supporter d'entrer dans un bar avec Gregory, et se mêler au commun des mortels. L'idée le faisait presque frissonner. Mais d'un autre côté, c'était l'occasion d'étudier Greg dans un autre environnement. Ceci dit, il n'allait certainement pas l'admettre à voix haute.

Gregory se coula dans le Queen's Head, glissant entre les clients déjà présents avec une aisance surprenante pour sa carrure. Mycroft, s'il était mal à l'aise, était cependant un excellent acteur et il suivit le sillon laissé par Greg de sa démarche fluide et hautaine sans un battement de cils – et aurait pu passer pour le propriétaire des lieux.

Ils s'installèrent au comptoir, et Mycroft masqua son dégoût de voir son costume impeccable entrer en contact avec le tabouret poisseux.

« Jack ! salua Greg en serrant familièrement la main du barman.

- Greg, répondit-il avec enthousiasme. Qu'est-ce que je te sers ?

- Une bière. Et une pour Mike, ajouta-t-il en désignant Mycroft.

L'homme derrière le bar jeta un long coup d'œil au compagnon de Greg et leva un sourcil.

- Différent de tes conquêtes habituelles, plaisanta-t-il tout en remplissant leurs verres.

Cette fois-ci, Mycroft ne rougit pas. Tout d'abord parce qu'il avait suffisamment de self-control pour maîtriser ses émotions en public, et enfin parce que son agacement d'être ici étouffait la gêne qu'il aurait pu ressentir. En revanche, Greg rosit légèrement et répondit un peu trop vite.

- Mike n'est pas ma « conquête ». C'est mon colocataire, expliqua-t-il.

- Oh. Laisse-moi deviner, tu l'as traîné ici contre sa volonté ? Excuse-moi, Mike, mais tu n'as pas exactement le profil de mes clients habituels, dit Jack avec un sourire. En parlant de clients, j'ai du boulot. A plus tard ! »

Le barman s'éloigna, laissant un Greg au bord du fou rire et un Mycroft sifflant de colère.

« Je m'appelle Mycroft, Gregory, et je déteste être tutoyé par… par…

Greg l'interrompit, sourcils froncés.

- Par quelqu'un que tu estimes inférieur parce qu'il n'a pas ton intelligence ou tes qualifications ? Par un inconnu qui a vu au premier regard – n'importe qui le pourrait, même sans tes capacités d'observation – que tu n'étais pas un habitué ? Mycroft, détends-toi. C'est pour ça qu'on est venu. Et c'est vrai que tu ne te fonds pas exactement dans le décor. Jack n'a pas voulu te blesser…

Le jeune sportif se sentait une pierre dans l'estomac. La soirée ne démarrait pas exactement comme il l'avait prévu. Mycroft pinça les lèvres, puis soupira.

- Excuse-moi, Gregory. Je pense que je manque d'habitude, déclara-t-il soudain.

Il ne savait pas pourquoi il était si honnête avec Greg. Ce n'était pas dans ses habitudes d'admettre ses torts, mais il avait un peu plus de connaissance des conventions sociales pour savoir quand s'incliner. Et, s'aperçut-il avec surprise, il n'avait aucune envie de descendre dans l'estime de son camarade de chambre. Depuis quand l'opinion d'un autre lui importait-elle ? Mycroft ressentit une vague de soulagement quand Greg lui sourit.

- Pas de mal, répondit calmement celui-ci en sirotant son verre. Allez, bois un coup. Ça ne m'étonne pas que tu sois à cran si tu ne fais jamais rien pour te détendre…

- Je n'ai simplement pas les mêmes méthodes que toi.

- Et c'est dommage, contra Greg en souriant. Les tiennes sont visiblement moins efficaces. »

Mycroft ne répondit pas, levant les yeux au ciel. Il prit une gorgée de bière sans sourciller – ce n'était pas la première fois qu'il en buvait – et reposa son verre. Un silence calme s'établit entre eux, bercé par le ronron des conversations dans le pub, et Mycroft se relaxa peu à peu. Ce n'était pas si mal. La bière était bonne, et la présence de Greg à côté de lui l'empêchait d'être mal à l'aise dans cet environnement qui n'était pas le sien. Il repensa à ce qu'avait dit le barman. Différent de tes conquêtes habituelles. Est-ce que ça veut dire que d'habitude tu es avec des filles ? Non. Si c'était le cas, Jack ne m'aurait pas pris pour ta cible. Donc, tu préfères les hommes. Différent, je ne doute pas de l'être. Mais sur quels points ?

De son côté, l'esprit de Greg carburait aussi, mais se contentait de faire passer une phrase en boucle. Tu as râlé pour le surnom et le tutoiement, mais pas quand Jack a cru que tu étais avec moi.

Ils finirent leurs verres sans avoir prononcé un mot de plus, chacun lançant des regards dans la direction de l'autre sans jamais remarquer que l'autre faisait de même. Greg finit par se racler la gorge, faisant sursauter Mycroft.

« Tu veux aller manger quelque part ? proposa-t-il en sentant son propre estomac se réveiller.

- Mmh. On prend quelque chose à emporter chez l'indien et on rentre manger chez nous ? »

Greg acquiesça d'un hochement de tête et fit signe à Jack. Le barman se dirigea immédiatement vers eux et le jeune sportif paya leurs boissons avant que Mycroft ne puisse protester.

« A un de ces jours, Jack !

- Merci, Greg. Bonne soirée à tous les deux. »

Dehors, une pluie fine avait commencé à tomber, et Mycroft s'aperçut avec stupeur qu'il avait oublié son parapluie. Il avait pourtant le réflexe de ne jamais sortir sans. Mais ce n'était pas Greg qui l'avait empêché de le prendre : il n'y avait simplement pas songé une seule seconde. Cette pensée étrange le stoppa net dans l'encadrement de la porte du bar, et Greg, derrière lui, ne put s'arrêter à temps. Il lui rentra dedans sans douceur,le faisant trébucher, et le rattrapa par le bras juste avant qu'il ne s'étale sur le bitume humide.

« Holà ! Pardon. Je ne t'ai pas fait mal ? demanda rapidement Gregory en observant le visage de Mycroft avec une légère inquiétude.

- Non, ça va… » répondit doucement son vis-à-vis, happé par les yeux bruns et doux de Greg.

Ils restèrent figés, les yeux dans les yeux, la main de Greg toujours serrée sur le bras de Mycroft. Ils n'étaient séparés que par quelques maigres centimètres. L'un s'humecta les lèvres nerveusement, l'autre déglutit en baissant son regard sur la bouche face à lui.

« Hé, poussez-vous du milieu ! Vous bloquez la porte, grogna une voix.

Les deux étudiants sortirent brusquement de leur torpeur, et s'écartèrent l'un de l'autre d'un bond, fuyant le regard de l'autre, et se mirent en route vers le restaurant indien.

Ils choisirent chacun un curry et Greg commença à se diriger vers la bouche de métro voisine.

« Où est-ce que tu vas ? demanda Mycroft, brisant le silence inconfortable qui régnait depuis la sortie du bar.

- Je pensais qu'on pouvait rentrer en métro ? Il commence à pleuvoir franchement et je n'ai pas envie de finir trempé…

- On peut prendre un taxi, proposa Mycroft.

- Tu as vu la circulation ?! C'est l'heure de la sortie des bureaux… On irait plus vite à pieds.

Mycroft roula ses yeux dans ses orbites et soupira.

- Très bien ! Prenons le métro. »

Ils descendirent dans le souterrain, et Mycroft regretta immédiatement d'avoir accepté. Le quai était bondé, et ils peinèrent à entrer dans la rame, se retrouvant compressés contre le fond du wagon. Le jeune homme était extrêmement tendu. La proximité avec tant de personnes l'inquiétait malgré lui. S'il évitait autant que possible les contacts physiques, c'était pour une bonne raison… Il souffrait d'une légère agoraphobie, et la foule entassée dans le métro ne faisait rien pour le détendre. Greg, à côté de lui, lui jeta un coup d'œil troublé.

« Mike ? Tout va bien ? Tu es tout pâle…

Mycroft marmonna quelque chose à propos de l'éclairage, mais de la sueur commençait à perler sur ses tempes, et sa respiration se faisait hachée.

- Mike ? Hé, tu es sûr que ça va ?

Greg avait l'air vraiment inquiet à présent. La vision de Mycroft se troublait légèrement.

- … Crise de panique » murmura-t-il en s'affaissant un peu plus contre la paroi.

Gregory ouvrit de grands yeux, et bouscula leurs voisins comme il put pour se placer face à Mycroft, le plaquant contre la cloison.

« Ok, dit-t-il en s'efforçant de garder son calme, essaie de respirer lentement. Qu'est-ce qui te fait paniquer ?

- … foule, souffla Mycroft.

Greg hocha la tête, et posa ses mains de part et d'autre des épaules de son ami avant de se coller contre lui de tout son long pour pouvoir parler à son oreille.

- Ferme les yeux. Il n'y a que moi qui te touche. Respire. »

Il fut surpris de voir que Mycroft obéit, et il sentit les expirations désordonnées ralentir peu à peu au cours du trajet. Greg aurait voulu descendre avant leur station et terminer à pieds, mais ils étaient tout au fond de la rame et auraient difficilement pu traverser l'agglutinement de personnes.

Aussi, Gregory veilla à ce que personne n'entre en contact avec Mycroft pendant le voyage, quitte à se faire bousculer plus d'une fois. A cause du nombre, il était obligé de se presser contre son colocataire, et une petite part de lui s'en voulait d'apprécier le contact alors que Mycroft se sentait si mal. Mais il ne pouvait s'en empêcher. Ses mains glissèrent de la paroi du wagon jusque sur les épaules du jeune homme, et il continua à murmurer des paroles rassurantes contre son oreille.

Lorsqu'enfin ils atteignirent le terminus et que le wagon se vida, Greg s'écarta doucement de son compagnon, et s'aperçut que celui-ci avait agrippé les bords de sa veste à s'en faire blanchir les jointures et avait toujours les yeux fermés.

« Mike, on est arrivés. Viens. » fit-il doucement, en détachant les mains de Mycroft de son manteau.

Celui-ci ouvrit les paupières, et suivit Greg sans un mot, se laissant guider par la main chaude qui tenait son poignet.

Lorsqu'ils émergèrent enfin à la surface, l'air froid et la pluie commencèrent à dissiper le brouillard tourmenté qui enveloppait l'esprit de Mycroft. Bien que ses crises d'angoisse soient bien plus rares et moins violentes que dans son enfance, le jeune homme faisait toujours en sorte d'éviter les foules compactes, et en particulier les transports en commun. Le contrecoup le laissait toujours épuisé et vaguement nauséeux.

Le contact des doigts de Greg enroulés autour de son poignet était doux et ferme, et il sentait son pouls encore rapide battre contre sa peau.

Il ne protesta pas quand Greg finit par relâcher sa prise, le bout de ses doigts glissant le long de sa main, mais la chaleur sur son poignet lui manqua. Gregory avait enfoncé ses mains dans les poches de son jean, et Mycroft mit les siennes dans les poches de son manteau.

« Tu te sens mieux ? demanda doucement le jeune sportif en observant attentivement le visage de son colocataire.

- Mmh. Ça ira quand j'aurai mangé, répondit Mycroft en haussant les épaules, évitant le regard préoccupé de Greg.

- D'accord. »

La fin de soirée passa rapidement. Mycroft alla se coucher dès qu'ils eurent terminé leur repas, et Greg se retrouva désœuvré alors qu'il n'était pas encore 21h. Il se mit rapidement en pyjama, et s'installa sur son lit avec son ordinateur portable et ses écouteurs pour regarder un film. Mais arrivé à la moitié de l'intrigue, il s'aperçut qu'il n'avait rien suivi, l'esprit envahi par le souvenir du corps de Mycroft contre le sien. Avec un léger sourire, Greg éteignit son ordinateur et le reposa sur son bureau, et décida d'aller se coucher.


A 8h le lendemain matin, le téléphone de Greg émit un léger ding qui le tira immédiatement du sommeil. Il coupa l'alarme et se leva silencieusement, avant de se rendre compte qu'il était inutile d'être discret. Mycroft était déjà levé, habillé, et au travail. Gregory ne put s'empêcher de rire.

« Je suis sûr que tu regrettes de m'avoir laissé te traîner dehors hier soir. Tu aurais pu sauver ton précieux temps pour bosser plutôt que de crapahuter dans Londres avec moi, hein ? lança-t-il tout en enfilant son short de sport et un t-shirt à manches longues.

Mycroft détourna les yeux de son écran juste au moment où Greg était encore torse-nu, mais pour une fois, il ne rougit pas, et quand la tête de son colocataire réapparut par l'encolure, il plongea ses yeux dans ceux de Greg.

- En fait, non, répondit-il calmement. Ce n'était pas si mal. Je pourrais me laisser convaincre de remettre ça…

Un grand sourire se peignit sur le visage de Greg.

- Fais attention à ce que tu dis. Ça ne tombe pas dans l'oreille d'un sourd.

- Je sais. Où est-ce que tu vas ? demanda soudain Mycroft, en voyant que Greg mettait ses baskets.

- Je vais courir, comme tous les samedis, Mike. Je suis sûr que tu avais déjà deviné.

- En effet…

Greg lui lança un regard amusé.

- Ça doit être fatigant de poser des questions dont tu connais déjà les réponses…

- Tu n'imagines même pas à quel point le monde me semble lent. J'ai l'impression d'être entouré de poissons rouges.

- Le poisson rouge te remercie pour la comparaison…, grommela Greg, l'air désabusé.

- Oh, ne fais pas cette tête, tu sais ce que j'ai voulu dire. Et tu as tendu la perche… railla légèrement Mycroft. Allez, va donc courir un peu, développe tes muscles pour compenser, Goldfish ! »

L'expression qui apparut alors sur le visage de Gregory fit éclater Mycroft de rire. Un mélange improbable de surprise – Mycroft vient de me donner un surnom ?! – de faux agacement – Mycroft vient de me traiter de poisson rouge… – d'affection – Mycroft vient de me donner un surnom – et de satisfaction intense – J'ai fait rire Mycroft !

Le sportif quitta la chambre, un grand sourire toujours accroché à ses lèvres, et le rire de Mycroft se calma peu à peu. Il se plongea dans ses pensées, réfléchissant à tout ce qu'il avait noté concernant Greg.

En trois mois, il avait eu le temps de le voir et d'apprendre à le connaître sous à peu près toutes ses formes, et il avait fini par l'apprécier, bien plus que ce à quoi il s'était attendu. Et la soirée de la veille ne faisait que renforcer son estime pour le jeune rugbyman. Gregory s'était révélé un colocataire agréable, sympathique, et Mycroft avait été surpris que Greg l'accepte si facilement, malgré le fossé qui les séparait. Sa réaction dans le métro, alors que Mycroft commençait à perdre pied au milieu de la foule, l'avait sidéré. Personne n'avait jamais fait ça pour lui. Personne n'avait jamais essayé de le protéger.

Le cœur de Mycroft accéléra alors que le souvenir se fit une place dans son esprit, écrasant ses pensées précédentes. Le corps chaud de Gregory contre lui, ses chuchotements rassurants tout contre son oreille, la caresse de ses doigts sur sa main lorsqu'il avait lâché son poignet. Puis le souvenir fit un bond en arrière, le renvoyant trébucher à a sortie du pub, le regard intense de Greg plongé dans le sien, l'instant où le temps s'était arrêté, lui laissant la bouche sèche…

Mycroft déglutit difficilement, s'aperçut qu'il avait fermé les yeux. Il les ouvrit, se sentant déstabilisé alors qu'il était toujours assis. Et si personne n'avait voulu entrer dans le bar juste à ce moment-là ?

Tu joues avec le feu, Mycroft, songea le jeune Holmes. Gregory est le sujet de ton expérience. Tu n'es pas censé… flirter… avec lui. Ou quoi que ce soit. Tu n'as pas le droit de jouer avec ses sentiments…

Ce que Mycroft ne voyait pas, ou refusait de voir, c'est que l'expérience n'avait plus d'attrait à ses yeux. Il voulait toujours comprendre Greg, découvrir ses moindres détails, mais ce n'était plus pour la science…


Greg ne courait que depuis une vingtaine de minutes lorsque le ciel décida qu'il était temps pour lui d'arrêter. Une pluie aussi soudaine que violente commença à s'abattre sur le campus, et le jeune sportif se dépêcha de rentrer chez lui, déçu de ne pas avoir pu aller plus loin.

Il fit le retour plus rapidement que l'aller, pressé de retrouver la chaleur sèche de sa chambre, mais les flaques le ralentissaient et c'est avec des chaussures imbibées d'eau qu'il arriva devant la chambre 413, pas vraiment essoufflé mais frigorifié. Il ôta ses baskets et ses chaussettes avant d'entrer dans la chambre, et alla les poser dans la salle de bains sous le regard surpris de Mycroft.

« Déjà là ? s'étonna celui-ci.

- Tu as vu le temps qu'il fait ? » grommela Greg en revenant dans la chambre.

Mais sa mauvaise humeur s'atténua lorsqu'il vit le regard que lui lançait Mycroft, et il se rendit compte de l'impression qu'il devait donner. Pieds nus, dégoulinant, ses cheveux bruns plaqués sur son front, ses vêtements collés à sa peau. Il envoya un sourire en coin à son colocataire qui semblait fasciné, et retira son t-shirt.

« Va prendre une douche chaude au lieu de mettre de l'eau partout, dit Mycroft, mais le ton mécontent n'était pas convainquant, gâché par son souffle un peu court et ses yeux toujours soudés au torse de Gregory…

L'intéressé voulut répliquer, mais fut interrompu par un éternuement.

- Ok, j'y vais ! »

Il prit rapidement des vêtements secs dans son placard et se hâta dans la salle de bains. Pendant que Greg se réchauffait sous l'eau brûlante, Mycroft s'aperçut qu'il était en train de préparer du thé pour lui. Là, tu ne flirtes plus, tu le couves, Mycroft, se railla-t-il intérieurement. Mais il continua tout de même, et quand Greg sortit, il trouva une tasse fumante sur son bureau.

« Tu m'as fait du thé ? s'étonna-t-il avec un grand sourire. Merci, Mike. »

C'était la moindre des choses, après ce que tu as fait pour moi hier, voulut répondre Mycroft. Il ne put que hausser les épaules et se repencher sur son travail.

Le silence retomba calmement dans la chambre, et Greg s'installa en tailleur sur son lit. Il s'adossa au mur, et vida sa tasse sans quitter des yeux le dos de Mycroft. Il suivit du regard la courbe de sa nuque, la ligne pas tout à fait détendue de ses trapèzes, et maudit le dossier de la chaise de lui cacher le reste. Il avait terriblement envie de se lever et d'aller dissiper la tension dans les épaules de Mycroft avec un massage ou… un baiser…

Greg eut un petit sourire, un seul coin de sa bouche se relevant. Il se demanda comment Mycroft réagirait s'il le faisait. S'il allait poser ses lèvres à la jonction de son épaule et de son cou, remontait le long de la nuque, glissait dans le creux de sa mâchoire. Est-ce qu'il se crisperait, et se dégagerait ? Est-ce qu'il fermerait les yeux, soupirerait, et renverserait sa tête en arrière pour le laisser accéder à son cou ? Est-ce qu'il lèverait une main pour plonger ses doigts dans les cheveux encore humides de Greg ?

Gregory serra les dents, et résista à l'impulsion.


Le lundi arriva bien trop vite au goût de Greg. Son état s'était dégradé tout le long du week-end, et il s'était couché le plus tôt possible le dimanche soir. Ce fut la voix de Mycroft qui finit par le tirer de son sommeil de plomb.

« … retard. J'y vais.

- Mmh ? grogna-t-il en ouvrant les yeux avec difficulté.

Mycroft l'observait d'un air vaguement inquiet.

- Ah, enfin ! Ton réveil a sonné au moins six fois !

- Pas entendu, marmonna Greg en jetant un bras par-dessus ses yeux pour se protéger de la lumière.

- Il est huit heures moins vingt, Gregory. Tu ferais mieux de te dépêcher si tu veux espérer être à l'heure. Je file. » conclut Mycroft en sortant de la chambre d'un pas pressé.

Greg poussa un profond soupir, et les paroles de son colocataire mirent longtemps avant de l'atteindre. Merde… Il se redressa brutalement, et le regretta aussitôt, retombant sur son oreiller avec un gémissement de douleur. Il avait l'impression que quelqu'un martelait son crâne de l'intérieur. Serrant les mâchoires, il se leva aussi lentement qu'il put et tituba jusqu'à la salle de bains.

Il agrippa le rebord du lavabo et examina son reflet dans le miroir avec une moue désabusée. Sa peau naturellement hâlée était plus pâle encore que celle de Mycroft et de larges cernes soulignaient ses yeux. Avec un soupir, il fouilla le placard à la recherche d'un thermomètre, sans succès. Puis, sentant ses genoux faiblir, il décida de retourner se coucher.

Son portable le réveilla à nouveau quelques heures plus tard. Midi dix. Il répondit d'une voix rauque et endormie sans regarder l'appelant.

« Greg Lestrade…

- Greg ? C'est Dennis. Pourquoi t'étais pas là ce matin ?

- Malade, dit simplement Greg, la gorge irritée.

- Holà, en effet, tu as une de ces voix… Tu voudras que je t'apporte les cours en sortant ?

- Ouais, je – il dut s'interrompre, pris d'une quinte de toux – je veux bien.

- Je viens dès que je sors du cours de McNeil. A toute. »

Dennis raccrocha, et Greg se força à se lever. Il se prépara du thé, les yeux encore à moitié fermés, et le but à toutes petites gorgées, grimaçant sous la brûlure.

Il hésitait à se recoucher lorsque son ami frappa à la porte. Réprimant un soupir qui l'aurait fait tousser, il alla ouvrir la porte que Mycroft avait verrouillée en partant, et laissa entrer Dennis.

« Greg, tu aurais pu t'habiller… lui fit remarquer celui-ci en constatant qu'il n'était vêtu que d'un t-shirt et d'un caleçon. En plus, si tu as pris froid, tu ferais mieux de ne pas rester pieds nus.

- Ouais…

Gregory enfila son jean et une paire de chaussettes, obligé de s'appuyer sur le dossier de sa chaise pour garder son équilibre.

- Tu as vraiment une sale tête, indiqua obligeamment Dennis.

- Merci.

- Mets un pull.

- Oui maman, soupira Greg avant de tousser à nouveau.

Il enfila son sweatshirt le plus chaud et se laissa tomber sur son lit, portant les mains à ses tempes. Dennis lui lança un regard compatissant et déposa une pile de feuilles sur son bureau.

- J'ai fait des photocopies des notes de Sally, elles étaient plus lisibles que les miennes. C'est elle qui m'a proposé, elle avait l'air triste que tu sois malade.

- Triste de ne pas pouvoir me regarder en classe, plutôt.

Dennis eut un petit rire.

- Tu devrais peut-être lui dire que tu n'es pas intéressé. La pauvre, elle essaie de se faire remarquer par tous les moyens… en parlant de ça, ça avance avec Mycroft ?

Greg ne put s'empêcher de sourire malgré son état.

- Je ne me prononce pas encore sur le sujet. Mais ça pourrait être pire…

Il fut interrompu par la porte de la chambre qui s'ouvrait sur son colocataire.

- Quand on parle du loup… murmura Dennis.

Il se leva et tendit une main, que Mycroft serra machinalement.

- Dennis Walker, je suppose ? dit-il avec un demi-sourire.

Dennis ouvrit la bouche, la referma, et la rouvrit, incrédule.

- … Exact. Tu es le fameux Mycroft ?

- Fameux, je ne sais pas, mais je suis Mycroft, oui, répondit l'intéressé d'une voix neutre, pas vraiment froide, pas vraiment chaleureuse.

Dennis s'éclaircit la gorge. Il comprenait soudain ce que Greg avait voulu dire quand il avait affirmé que Mycroft était indescriptible. Le charisme subtil, les manières fluides... Il fallait y être exposé pour comprendre.

- J'ai apporté les cours de la journée à Greg, expliqua-t-il. Je vais y aller. Soigne-toi bien, Greg. Bonne soirée ! »

Il s'éclipsa avec un clin d'œil en direction de son ami, les laissant seuls dans la chambre.

« 'Lut, Mike, marmonna Greg en se levant, mais ses jambes se dérobèrent et il n'évita de s'étaler par terre que grâce aux réflexes de Mycroft, qui le rattrapa par les avant-bras juste à temps.

Greg s'accrocha aux épaules de son colocataire. Sa vision s'obscurcissait, ponctuée de flashs aveuglants. Mycroft passa un des bras de Greg autour de ses épaules et l'aida à se rasseoir sur son matelas, trébuchant un peu sous le poids. Greg ne le lâcha que lorsqu'il vit clair de nouveau. Son ami était penché vers lui, de l'inquiétude plein le regard.

- Reste assis, dit-il doucement. Ça va ? Gregory, je parie que tu n'as rien mangé de la journée…

- J'ai bu un thé, essaya de se défendre faiblement le jeune homme.

- Ce n'est pas en jeûnant que tu vas guérir, répliqua Mycroft avec un sourcil levé. Je suis sûr qu'en plus, tu n'as rien pris pour aller mieux…

Greg opina. Mycroft soupira et alla dans la cuisine préparer du thé et des toasts, et revint près du lit avec un plateau. Il s'assit à côté de Greg sur le lit, et lui tendit d'abord une plaquette de cachets et un verre d'eau, et quand le malade en eut avalé un avec une grimace, il lui passa une assiette portant deux toasts et un morceau de fromage.

- Allez, mange, tu te sentiras mieux, l'encouragea-t-il.

Greg lui adressa un mince sourire.

- Tu n'étais pas obligé de faire ça, Mike.

- Il faut bien que quelqu'un te fasse manger, vu que tu ne le fais pas toi-même… » répliqua Mycroft.

Il posa le plateau portant encore une tasse de thé à côté de Gregory et alla s'installer à son bureau pour travailler. Lorsqu'il releva le nez de son ordinateur deux heures plus tard, Greg dormait profondément, le plateau posé par terre à côté de son lit.

Mycroft le ramassa et le rapporta à la cuisine, puis observa Greg quelques secondes. Je ne peux pas le laisser dormir comme ça, il va être gelé et courbaturé demain… Il se pencha sur son colocataire endormi et lui secoua doucement l'épaule jusqu'à ce qu'il ouvre les yeux.

« Mmh ?

- Gregory, mets-toi en pyjama et sous la couette. Tu ne vas pas dormir tout habillé toute la nuit…

Greg s'efforça d'ouvrir les yeux et de se relever, puis fit passer son pull par-dessus sa tête, et se mit immédiatement à grelotter. Mycroft le soutint pendant qu'il enlevait son jean, détournant soigneusement les yeux, et l'aida à se glisser sous les couvertures. Alors qu'il allait se retourner, Greg l'arrêta en saisissant sa main, et lui lança un regard fiévreux.

« Merci, Mike, murmura-t-il en refermant les paupières.

- Bonne nuit, Goldfish. »

Ce n'est qu'une fois assis à son bureau que Mycroft se rendit compte qu'il avait réutilisé le surnom. Il sentait encore la main brûlante de Greg sur la sienne.


Le lendemain matin, Greg se réveilla peu après le départ de Mycroft. Il se mit debout précautionneusement, et trouva un petit déjeuner – toasts, fromage, œuf à la coque, tasse de thé – installé sur son bureau, accompagné d'une petite note.

Passe tout ça au micro-ondes si c'est froid quand tu te lèves (SAUF l'œuf, ça le ferait exploser) et MANGE !

A ce soir.

MH

Greg ne put retenir un petit rire. Mycroft avait dessiné un petit poisson au stylo rouge sous sa signature.

Quand Mycroft rentra ce soir-là, Greg se sentait déjà mieux – les repas et les médicaments aidant – et il était en train de lire les cours apportés par Dennis.

« J'ai croisé une certaine Sally Donovan en bas du bâtiment. Elle t'apportait ses notes de cours d'aujourd'hui, annonça Mycroft en lui tendant une pochette en plastique pleine de feuilles.

Greg releva la tête, surpris.

- Oh. Et elle te les a données sans insister pour monter ?

- Non. J'ai dû lui dire deux fois que tu étais probablement contagieux et qu'elle ferait mieux de ne pas venir. Et elle avait l'air déçu quand elle est partie.

Greg masqua un sourire coupable.

- Tu pourras lui dire merci, continua Mycroft. Elle t'a même mis un post-it rose qui te souhaite un bon rétablissement.

Le sarcasme dans sa voix était presque imperceptible, mais Greg, habitué, le sentit. Il pouffa de rire, tenta de s'en empêcher, sans succès.

- Je ne devrais pas me moquer d'elle, marmonna-t-il. Mais merci de l'avoir empêchée de monter. On n'aurait pas réussi à s'en débarrasser…

Mycroft pinça les lèvres.

- Elle t'aime bien, hein ?

Greg leva les yeux au ciel.

- C'est peu dire. Ça dure depuis la première année.

- Et elle n'a pas encore compris qu'elle ne t'intéressait pas ? Ou elle espère t'avoir à la fatigue ?

- Mycroft, est-ce que tu es en train de tomber dans le commérage ?

Mycroft eut l'air surpris, et sentit ses joues chauffer. Non, je m'assure qu'elle ne représente pas une concurrence menaçante.

- Euh…

- Seigneur, je suis en train de déteindre sur toi. Mais pour répondre à ta question, oui, elle est tenace. Mais fatigue ou pas, elle ne… Disons qu'elle n'est pas dans ma division. »

Mycroft ne put retenir un sourire amusé, mais ne répondit pas. Il laissa Greg retourner à son travail, et s'installa à son propre bureau. Il ouvrit son ordinateur et s'abîma dans la contemplation de l'écran, mais ses yeux ne voyaient rien. Son esprit tournait à toute allure, tentant de comprendre ce qu'il ressentait. Bien qu'il ne soit pas entièrement novice, les émotions n'avaient jamais été son domaine d'exception. Il continuait de se répéter que Greg n'était que son cobaye, mais il en était de moins en moins persuadé.


Le mercredi, Greg se sentait d'attaque pour aller en cours, mais sa toux ne disparut complètement qu'en fin de semaine. Le samedi, alors qu'il se levait pour son footing habituel, Mycroft l'arrêta d'un regard.

« N'y pense même pas. Je ne suis pas médecin, mais avec tout ce que tu as toussé cette semaine, tes bronches ont été trop malmenées. Tu n'es pas en état d'aller courir. En plus, il pleut déjà.

Greg jeta un œil par la fenêtre. En effet, le ciel était assombri de nuages et une pluie fine et drue cognait les fenêtres avec insistance. En soupirant, il retira son short de sport et enfila un jean.

- J'en ai marre de ne rien faire ! Je n'ai même pas pu aller aux entraînements cette semaine… râla-t-il.

- Tu as des cours à rattraper, non ?

- J'ai l'impression d'entendre un prof ! C'est la meilleure idée que tu puisses avoir ?

Mycroft déglutit, hésita, puis se lança.

- Pour là, tout de suite, je n'ai pas d'autre idée. Prends un petit déjeuner et travaille. Mais… Peut-être que ce soir on pourrait aller boire un verre au Queen's Head ? A condition de rentrer en taxi.

Gregory se figea dans l'encadrement de la porte de la cuisine, et se retourna vers Mycroft avec un grand sourire.

- Ça, c'est ce que j'appelle une bonne idée ! »


Greg travailla toute la journée sans rechigner, et après avoir mangé chez eux, les deux étudiants enfilèrent chaussures et manteaux pour sortir. Ils arrivèrent au pub aux alentours de 20h30, et les clients étaient nombreux en ce samedi soir.

« Pas trop de monde à ton goût, Mike ?

Mycroft sursauta, craignant que Greg ne soit en train de se moquer, mais l'expression sur son visage était une inquiétude sincère.

- Tant que je ne suis pas enfermé, ça va, marmonna-t-il en regardant où il mettait les pieds.

Et tu es là, ajouta-t-il mentalement. Ils rejoignirent le comptoir, et Jack les salua joyeusement.

- Hey, Greg ! Alors, je ne t'ai pas vu cette semaine ! L'équipe est venue jeudi soir après l'entraînement.

- J'étais malade cette semaine, expliqua le jeune rugbyman. C'est Dennis qui a assuré les séances.

- Oh. Ça va mieux, j'espère ?

- Mike ne m'aurait pas laissé sortir si ça n'était pas le cas, plaisanta Greg en lançant un sourire taquin à son colocataire.

Jack hocha la tête en direction de Mycroft.

- Mike, content de voir que quelqu'un empêche Greg de faire n'importe quoi.

- Il faut bien que quelqu'un s'en occupe, répondit Mycroft en levant son verre. Il a toussé comme un perdu toute la semaine, et j'ai dû le retenir d'aller faire un footing sous la pluie ce matin… »

Jack éclata de rire, et Greg eut la bonne grâce de prendre un air contrit. Le barman les laissa ensuite pour s'occuper de ses autres clients, et les deux amis commencèrent à discuter tranquillement, assis sur les hauts tabourets qui longeaient le bar.

Ils avaient presque fini leurs verres et Greg était en pleine explication sur le rôle du demi de mêlée dans une équipe de rugby lorsqu'une silhouette s'approcha d'eux.

« Oh, euh, salut, Greg, lança Sally Donovan avec un sourire timide.

Elle ignora délibérément Mycroft, et se pencha pour embrasser Greg sur la joue.

- Sally.

- Tu as l'air d'aller mieux, aujourd'hui. Euh… J'espère que mes cours t'ont été utiles ?

- Oh, oui. Tu écris clairement mieux que Dennis ! Merci, répondit Gregory, mal à l'aise.

Sally battit des paupières, faussement timide. Elle était plutôt mignonne, avec sa peau mate et ses cheveux bouclés, et elle en était consciente.

- Tant mieux. Euh… Je me disais… Je suis venue avec Anderson et quelques autres amis, est-ce que tu voudrais te joindre à nous ? Et euh… Je peux peut-être te payer une bière ?

Elle lança un coup d'œil gêné en direction de Mycroft, qui lui renvoya un regard plein de mépris. Répondant à une impulsion, il sourit et posa une main possessive sur la cuisse de Greg.

- Gregory est ici avec moi, déclara-t-il, tandis que sa main descendait lentement jusque sur le genou de son colocataire.

Donovan, trop choquée pour répondre, les joues en feu, se détourna et repartit vers la table où l'attendaient ses amis.

Mycroft lâcha la jambe de Greg pour prendre son verre et boire sa dernière gorgée.

- Je pense qu'elle a compris, maintenant, dit-il calmement.

- Et tu essaies de me faire croire que tu as plus de tact que ton petit frère ?

Mycroft haussa les épaules.

- Le tact n'aurait pas fonctionné avec elle. On rentre ? »

Greg hocha la tête et enfila son manteau. Ils sortirent du pub, Mycroft héla un taxi, et ils se retrouvèrent bientôt sur la banquette arrière de la berline noire. Le silence était retombé, et chacun regardait obstinément par sa fenêtre. L'adrénaline du moment s'était dissipée et ils prenaient conscience du geste de Mycroft, chacun sentant encore le contact.


La tension était presque palpable lorsqu'ils entrèrent dans leur chambre. Greg alla jeter sa veste sur le dossier de sa chaise, et se retourna. Mycroft lui tournait le dos, en train d'accrocher son manteau sur la patère fixée à la porte. Aucun d'eux n'avait allumé la lampe, et la seule lumière qui entrait dans la pièce était celle du lampadaire extérieur, filtrée par les minces interstices du volet fermé.

Le jeune sportif prit une profonde respiration, puis marcha vers la porte. Mycroft fit volte-face juste quand il l'atteignit, et ils se regardèrent dans l'obscurité, iris bleus contre iris bruns, pendant ce qui sembla être une éternité.

Greg fit un pas de plus, posa une main sur la taille de Mycroft et l'autre sur son épaule. Le geste avait été calme, naturel. La main sur l'épaule glissa vers la nuque, les doigts plongeant dans les courtes mèches auburn. Leurs visages n'étaient séparés que par l'épaisseur d'un souffle, et le silence se fit assourdissant.

Enfin, le regard de Mycroft céda, et quitta les yeux de Greg pour descendre sur sa bouche. Greg saisit le message.

Le premier contact de leurs lèvres fut comme le retour au foyer après une journée épuisante. Attendu avec impatience, atteint avec soulagement. Mycroft se laissa enivrer par la douceur de Greg, répondant au baiser avec chaleur.

Il finit par reculer, juste assez pour pouvoir parler, pas assez pour briser complètement le contact.

« Je me demandais quand tu allais te décider, fit Mycroft, mais la tendresse de son sourire démentait le sarcasme.

- Je ne fais que confirmer ce que tu as dit à Sally » répliqua Greg avant de reprendre ses lèvres.

La délicatesse du premier baiser fut rapidement oubliée, laissant la place à un nœud inextricable de lèvres et de dents, de respirations hachées et de mains affamées. Très vite, Greg glissa ses mains sous la veste de Mycroft, la faisant glisser de ses épaules avant de la jeter dans la vague direction d'un lit. Il s'attaqua aux boutons de sa chemise, mais Mycroft l'interrompit en passant ses doigts sous le t-shirt de Greg, caressant la peau nue de sa taille, avant de lui enlever sweat et t-shirt d'un seul mouvement, dévoilant le torse aux muscles bien défini de son colocataire.

« Tu triches, Mike ! » haleta Gregory en reprenant les boutons là où il s'était arrêté.

Mycroft se contenta de sourire et reprit possession des lèvres de son partenaire. Sa chemise rejoignit bientôt les vêtements de Greg, qui profita de lui tenir les mains pour le tirer vers son lit et le faire basculer dessus. Il grimpa immédiatement sur le matelas, s'étendit sur Mycroft et reprit le baiser. Puis ses lèvres glissèrent le long de sa mâchoire, et il alla mordiller le lobe d'une oreille, donner un coup de langue sur la gorge offerte, embrasser le point sensible où le pouls battait, affolé.

« Gregory… souffla Mycroft, perdu dans les sensations.

Il sentit les mains de Greg détacher la boucle de sa ceinture, et triturer le premier bouton de son pantalon.

- Je peux… ? demanda-t-il doucement.

Mycroft hocha simplement la tête, les yeux fermés.

Greg défit les boutons, et se redressa à genoux pour faire glisser le pantalon le long des jambes interminables de Mycroft. Il lui ôta chaussures et chaussettes au passage, et laissa tomber le tout sur le sol avec un bruit sourd. Mycroft rouvrit les paupières.

- Toi aussi, dit-il simplement, le souffle trop court pour faire une phrase.

Gregory sourit, posa un baiser sur le ventre nu de Mycroft, et se déshabilla également, ne conservant que son boxer. Il reprit ensuite la position au-dessus de son amant – son esprit s'arrêta une seconde. Amant ? Petit-ami ? Partenaire ? Peu importe – et ils soupirèrent tous deux bruyamment lorsque leurs peaux nues se retrouvèrent. Les bras de Mycroft se refermèrent sur sa taille, ses hanches, son dos, ne sachant où se fixer.

- Mike…

Les minces épaisseurs de tissu qui les séparaient encore les empêchaient d'atteindre les sensations dont ils avaient envie, dont ils avaient besoin. Greg fit courir ses doigts le long du flanc de Mycroft, lui arrachant un demi-cri de surprise, et les passa sous l'élastique de son sous-vêtement.

- Mike, est-ce que…

- Oui.

Le mot donna à Greg l'impression de brûler de l'intérieur, et il retira les dernières barrières entre eux. Mycroft l'attira à nouveau à lui, et il dut se mordre la lèvre pour étouffer les sons indécents qui cherchaient à s'échapper de sa gorge. Gregory glissa une jambe entre les siennes, s'alignant avec lui, et donna un léger coup de hanches.

- Comme ça… ? demanda-t-il, sa bouche collée à l'oreille de Mycroft.

Le soupir bruyant de celui-ci lui tint lieu de réponse, et il réitéra son geste.

- Greg… ! »

Gregory sourit, embrassa le cou de son partenaire, et continua ses mouvements, prenant un rythme lent, presque insupportable, jusqu'à ce que la respiration de Mycroft soit un chaos pantelant de souffles égarés. Alors son rythme s'éleva, plus vite, plus fort, les menant tous deux de plus en plus haut, atteignant la crête, flirtant avec le vide, leurs mains se joignant, se déliant pour agripper ce qui passait, un dos, un bras, une nuque tendue, une hanche offerte, jusqu'à ce qu'enfin ils crèvent la surface de l'eau, basculent dans le précipice, et tombent, tombent, tombent pour atterrir dans les bras l'un de l'autre, épuisés, soulagés, complets.

Ils restèrent enlacés longtemps, leurs respirations se calmant ensemble, lentement, le front de Gregory appuyé sur la clavicule de Mycroft. Puis Gregory se redressa, posa brièvement ses lèvres sur celles de son amant, et l'entraîna dans la salle de bains. Ils se nettoyèrent d'un coup de gant humide, enfilèrent chacun un sous-vêtement propre, et se retrouvèrent à nouveau dans le lit, serrés l'un contre l'autre.

Greg tira la couverture sur eux, sentit le sourire de Mycroft contre son torse, et enlaça le jeune homme avant de s'endormir.

Juste avant de le rejoindre dans le sommeil, une dernière pensée surgit dans l'esprit de Mycroft. Il ne sut jamais s'il avait prononcé les mots à voix haute.

Au diable la science. Tu es le seul poisson rouge qui m'intéresse, Goldfish.


Sont meugnons, hein ?

Allez, ce coup-ci c'est vraiment terminé. Encore merci pour votre soutien tout au long de cette aventure, et n'hésitez pas à poster une petite review !