Chapitre 1. Voleur
Smaug le dragon.
Ce monstre qui d'un coup d'aile, avait ravagé le plus prospère de tous les royaumes de la Terre du milieu, et condamné les rares nains d'Erebor survivant, à l'errance.
Thrain, leur roi, avait réussi à regrouper les siens à la lisière de la forêt Noire, à la recherche d'une solution pour permettre à son peuple de survivre à cette catastrophe.
C'est donc avec des hommes de confiance, Thorin, Balin et Dwalin, que le roi déchu chevauchait le plus vite possible vers la demeure du roi Thranduil, afin de supplier de leur accorder son aide.
De bouter ce sale ver hors de leur royaume, où les siens périssaient encore à chaque instant, perdu dans leur fuite effrénée dans les galeries sous la montagne.
Ils arrivèrent à peine cinq jours après l'attaque, le jour du solstice d'hiver, saison qui décharnait encore plus cette forêt malade de Dol Guldur, forçant les elfes à bâtir une cité à demi souterraine.
Mais de l'extérieur, la seule chose qui trahissait la fameuse cité était un pont menant à d'imposantes portes de pierres blanches qui trônaient au milieu de la nature corrompue, protégeant le passage vers les profondeurs de la terre.
À ces portes, se trouvaient deux gardes qui se tenaient parfaitement immobile, ainsi qu'un autre elfe, que le prince d'Erebor n'eut pas le moindre mal à reconnaître. C'était Legolas, le fils de Thranduil, vêtu de riches atouts rouges et argents, avec sur son front un cercle d'or qui ne laissait nul doute sur son statut royal.
Nul doute non plus sur le fait qu'il avait été envoyer là à leur rencontre, néanmoins, le prince elfe n'esquiva pas le moindre sourire en les saluant. Il se contentait de les darder d'un regard froid, ne contentant d'énoncer les formules de politesses bienséantes d'une voix monocorde dans une langue commune parfaite.
Visiblement, la corvée n'était pas au goût du prince sindar, mais Thrain, bien qu'offenser au fond de lui par cette attitude, se retint de tout commentaire.
Que pouvait-il espérer, alors qu'il allait prier ce peuple de risquer leurs vies pour chasser le dragon ? Qu'importe son ego, il y avait bien plus en jeu ce jour.
Là-bas, loin sous la montagne, Darissa, son épouse, avait fuit au plus profonds des mines pour échapper au dragon, et chaque minutes diminuaient ses chances de survie.
Si les yeux du prince Legolas étaient un océan de mépris, ce n'était rien comparé à ceux de son père.
Thranduil accueillit les nains perchés sur son trône sculptés dans une épaisse racine d'arbre, les toisant comme de vulgaires insectes de son regard de glace.
Un temps qui parut infini aux exilés passa avant qu'enfin, le Grand Roi des Elfes ne se décide à parler.
Et quand enfin sa voix grave et posée raisonna, la seule chose que Thrain compris, c'est que Darissa était morte.
Elle, ainsi que des centaines de nains, qui n'avaient pas réussi à fuir par les grandes portes du Royaume sous la montagne.
Thrain, ravala sa fierté une fois de plus, et le supplia, n'hésitant pas à mettre genou à terre, mais rien n'y fit. Alors la colère le saisit, puis la rage et le désespoir, qui l'aveuglèrent.
Si Thranduil refusa de marcher sur Erebor pour combattre le dragon, il proposa néanmoins de l'or au nain, ainsi que du travail, et une assistance médicale, mais Thrain refusa tout en bloc.
Rien ne pourrait acheter la mort de son épouse.
Ni son royaume ou son peuple.
Non, Thrain ne voulut aucune aide de ces traîtres, les nains étaient fiers et forts, ils feraient face seuls, plutôt que de s'abaisser à la mendicité.
Ils prirent congé du roi de Elfes sans cérémonie, reprenant leurs montures aux bords de l'épuisement d'un pas rageur.
Ni le prince elfe, ni le roi tenta de lui faire entendre raison, et là s'acheva définitivement l'amitié qu'elfes et nains purent connaître un jour.
Abattu par le désespoir, les quatre nains avancés d'un pas plus lent, menant leurs poneys par la bride à travers la Forêt-noire, se relayant pour prendre du repos sur leurs bêtes qui les suivraient pendant leurs errances à venir.
Le deuxième jour de leur périple, ils atteignirent un avant-poste elfe, l'un des rares encore en activités sur la route qui traversait forêt. Ce dernier, construit haut dans les arbres comptait une dizaine de guerriers qui leur avait fait un accueil sincèrement chaleureux lors de leur premier passage, et leur avait souhaité bonne chance pour la rencontre avec le roi sylvestre après leur avoir offert des vivres.
Aussi, et malgré la rancœur, Thrain ne put s'empêcher d'être glacé d'effroi en voyant la petite garnison réduit à un tas de cendres encore chaudes et fumantes.
Des guerriers, il n'en restait que des cadavres, et Balin ne put retenir le contenu de son estomac en constatant que celui d'une des guerrières avait été partiellement dévorés avant d'être abandonné, là à la forêt, sans la moindre forme de respect.
Alors que Dwalin alla porter secours à son frère qui s'était écarté pour rendre triple boyaux, Thorin s'agenouilla sur le sol, se moquant de souiller son pantalon du sang des elfes, et fermant les yeux, il récita une prière pour l'âme des défunts.
Jusqu'à ce qu'un bruit surprenant se fasse entendre. Un bruit à peine audible, comme un gémissement.
Suivant l'origine du bruit dans l'espoir de retrouver des survivants, il alla jusqu'à un grand arbre ou il entendait des pleurs étouffé derrière le corps d'une ancienne guetteuse égorgée.
Avec appréhension, il tira son épée, et décala le cadavre de l'elfe, et laissa échapper un hoquet de surprise en découvrant l'auteur du bruit.
Une toute petite fille.
Ou plutôt, une petite elfe, d'a peine quelques années. Elle posa sur lui de grands yeux bleu clair humide de larme interloqués,
et tendit ces petits bras potelés dans sa direction :
-Nana ? Gémit-elle d'une voix claire, alors qu'un mèche rousse lui barrait le visage.
Machinalement, le nain prit la petite fille dans ses bras, et constata avec étonnement qu'elle n'avait pour seul stigmate de cette boucherie qu'un hématome qui lui courrait sur la tempe. Il regarda à nouveau le cadavre de ce qui devait être sa mère, et reconnu la même chevelure blonde vénitienne, ainsi que les mêmes yeux bleus, désespérément vides de vie.
Alors que la petite fille remua, il lui cacha les yeux et s'écarta du lieu de mort, très vite rejoint par Dwalin et Balin.
-C'est une enfant elfe? Où l'as-tu trouvé ? Demanda le nain à longue barbe blanche, Balin, le plus âgé de tous.
-Je pense que c'est sa mère, qui est morte là-bas, dit simplement Thorin.
-Elle a beaucoup de chance d'être aussi petite, lâcha Dwalin en tendant la main vers la blessure de l'enfant, s'ils l'avaient trouvée, ils ne l'auraient pas épargnée...
-Nana ! Répéta l'enfant en tendant la main vers un mèche de cheveux du nain avec un grand sourire, inconsciente de l'horreur qui les entouraient.
Innocente, songea Thorin avec un pincement au cœur.
Quand Thrain vit la découverte de son fils, il soupira et lâcha :
-Nous allons devoir faire demi-tour pour rendre cette enfant aux siens... Par Durin, nous n'avons pas le temps ! Les nôtres ne peuvent attendre ! Déclara-t-il rageusement.
-Ces elfes sont incapables de s'occuper ne serait-ce que des leurs ! Regardez donc autour de vous, les cadavres sont déjà froids, ils ne sont pas venus en aide à leurs propres frères ! Père, fit Thorin, pour le salut de cet enfant, nous devrions la garder avec nous.
-Tu as perdu l'esprit, mon fils ! S'exclama Thrain avec un hoquet de surprise, que vas-tu faire d'une enfant elfe ? Thranduil nous fera tous pendre, s'il sait que nous avons pris une des leurs !
-Père, insista le jeune nain, cette enfant est un signe ! Un jour, c'est elle qui nous permettra de faire pression sur les elfes. Nous avons tout à gagner à la garder parmis nous.
Thrain fit les cent pas, les traits contractés par une intense réflexion et dit :
-C'est de la folie, Thorin ! Elle va grandir, bien plus que nous ! Comment lui expliqueras-tu quant, a à peine trente ans, elle fera le double de ta taille ?
-Je dirais la vérité : nous l'avons trouvé dans les bois, et nous lui avons sauvé la vie ! Père, elle pourrait nous permettre d'obtenir une armée qui libérera Erebor du dragon !
-Soit, soupira le roi après un temps de réflexion, prenons le risque, mais c'est toi qui l'élèveras, et toi qui répondras de ces actes ! Cesse de croire que tu vas vivre un conte de fée en prenant pareille responsabilité fils, tu vas au devant de gros ennuis ! enfin, tu pourras toujours la vendre à un bordel, quand cela te sera trop insupportable. D'ici peu, tu en tireras un très bon prix.
Thorin inclina la tête en signe d'acquiescement, et retirant sa cape, il l'enroula autour de la petite fille avant de la harnacher sur son poney.
-Félicitation ! Lui dit Balin en lui donnant une bourrade, tu es père, et d'une ravissante petite fille !
-Comment vas-tu l'appeler ? Renchéri le jeune Dwalin, il lui faut un nom de dame, quelque chose de beau !
-Un nom elfe, lança Thrain au loin, pas de Khuzdul, que les elfes puissent l'identifier comme une des leurs, quand le moment sera venu.
-Edhelharn ! Proposa Dwalin, ça veut dire pierre elfique !
-Elfique, on sait qu'elle l'est, railla Balin, je propose Dis, comme ta jeune sœur !
-Niphredil, souffla Thorin, cela signifie dans le langage elfe fleur d'Hiver. Aujourd'hui, mes chers, neveux, nous sommes le solstice d'hiver, cela lui va donc à ravir.
-Voilà bien un nom d'elfe, cracha Thrain, elle trompera les siens à merveille. Pressons maintenant, fit le roi en errance, les nôtres, les vrais, nous attendent.