Note : Hello à toutes et à tous ! Me voici de retour avec un nouveau projet que je prépare depuis 5 mois déjà. L'histoire comportera 27 chapitres et est publiée en français et en anglais (sur FF et sur AO3). Il s'agit d'une case!fic qui se concentrera sur la relation entre Sherlock et John. Elle tient place à la fin de la saison 1 et le titre est inspiré de la citation d'Hemingway "Et tu es là, si brave et si tranquille, et j'oublie que tu souffres".

Rating : M. Cette fic est réservée à un public majeur et averti puisqu'elle traite d'une relation Dom/Sub. Si vous n'aimez pas ce genre de relation, je vous invite à vous régaler avec la multitude d'autres histoires publiées sur ce site :) Si vous ne connaissez pas le Dom/Sub, un petit tour sur Wikipedia vous renseignera très globalement sur les bases de ce genre de relation.

Pas de panique !: Je voudrai néanmoins préciser que cette relation est entièrement saine et consentante. Aussi vous ne trouverez pas de scène de torture ou autre jeu de souffrance.

Bêtas : Nathdawn et Kathleen Holson. Merci les filles, je ne pourrai pas publier sans votre soutien inestimable.

En bref : Je vous souhaite une bonne lecture et mon petit coeur bat déjà par avance à l'idée de vos lires vos reviews :)


John Hamish Watson, ancien capitaine dans le 5e régiment d'infanterie des Northumberland, avait toujours été parfaitement au contrôle de sa vie, merci beaucoup. Médecin de formation militaire, fils exemplaire, frère sans reproche, l'ex-soldat du Nord de la banlieue de Londres était tout ce que l'on attendait d'un homme : droit, courageux et fiable, bref quelqu'un sur qui l'on pouvait compter. Les seuls véritables moments où son esprit aux aguets se reposait l'espace de quelques instants, étaient lorsqu'il s'évadait les yeux fermés, l'ouïe tenue en éveil par une mélodie.

John aimait la musique comme d'autres aimaient tomber dans leur canapé avant de poser leurs pieds sur la table basse, en rentrant d'une journée de travail où leur patron leur avait prouvé une fois de plus que premièrement, il ne comptait réellement pas leur accorder cette augmentation tant attendue, et que deuxièmement, le supplément oignon dans le burger du midi n'était décidément pas une bonne idée.

Bien sûr, à Keble School où il passa ses plus jeunes années, le jeune garçon à la petite tête blonde ne tint entre ses mains qu'une flûte à bec au goût mauvais car trop mâchouillée, malgré le plastique sans intérêt aucun. Pas de piano aux touches ébènes et ivoires où ses mains se perdirent une seule fois ; pas de violon où sa joue plutôt épaisse - comme souligné bien trop fréquemment par Timothy Fester – ne se posa avant de grincer une mélodie maladroite peut-être mais tellement expressive. Pas de partition de Chopin, de Elgar ou de Respighi à déchiffrer entre double-croches et clés de fa mais à la place, une énième interprétation de Imagine de Lennon, que John se mit à détester de toute son âme de futur-ex-soldat.

Chez les Watson, la seule radio de la maison était placée dans la cuisine au-dessus du frigidaire, que ses parents n'allumaient que le matin au moment de la météo et de la chronique jardinière de Camillia Tomes, avant de l'éteindre lorsque les infos commençaient. Pas de station musicale, qu'elle soit classique, rétro et encore moins à la mode. Alors, lorsque John obtint par sa tante Annie un lecteur-cassette pour ses seize ans, autant dire que ses oreilles ne quittèrent le casque aux embouts molletonnés que pour prendre une douche.

Dans sa table de chevet se côtoyaient une vingtaine de cassettes, troquées ou plus rarement achetées, toutes représentatives de styles musicaux tout à fait différents pour lesquels il portait un intérêt toujours identique. Seule Madonna n'avait pas sa place dans son casque, déjà écoutée en boucle et bien trop fort depuis la chambre d'à côté, où Harry avait collé contre les murs des posters de la chanteuse aux seins coniques. En y repensant aujourd'hui, John se disait qu'effectivement, il y avait eu des signes quant aux futurs penchants de sa sœur.

En tout, John avait assisté à trois concerts dans sa vie. Le premier lors de ses 17 ans, lorsqu'il se rendit au concert d'un des garçons de sa classe dans un bar de l'Ouest de Londres, où des filles parfaitement hystériques hurlèrent le prénom du chanteur aux cheveux gras et à la dentition douteuse. Le deuxième se passa le jour de ses vingt-deux ans, lorsque l'orchestre de son village - pas exceptionnel, mais néanmoins sympathique - joua une étude Rachmaninov avec un violon désaccordé et une harpiste enrhumée. Le troisième tint place à Bastion, lorsque la chorale improvisée interpréta un chant de Noël plein d'espoir devant un parterre de soldat, dont huit perdirent la vie le lendemain dans une attaque confuse et sanglante qui éclata près du camp.

En conclusion, et malgré son éducation musicale extrêmement réduite, John Hamish Watson aimait réellement la musique.

Alors, assis sur le carrelage humide qui trempe le bas de son pantalon, à quelques mètres de la parka verte qui le tenait au chaud il y avait encore quelques secondes de ça, il se demande pourquoi cette chanson qui retentit ne lui laisse qu'un cœur tremblant et une nausée monstre.

Ah, ah, ah, ah stayin' alive, stayin' alive...

Décidément pas prévu.

« Ça vous ennuie si je décroche ? »

« Non je vous en prie, vous avez le reste de votre vie devant vous.», répond Sherlock en agitant l'arme qu'il tient dans ses mains comme s'il s'agit d'un simple mouchoir sans dangerosité aucune.

Décidément pas prévu, du tout.

Jim Moriarty, l'homme qu'ils traquent depuis des mois, se tourne sur lui-même en sortant l'origine de la sonnerie stridente : un téléphone si moderne que John n'en a jamais vu de tel, qu'il colle à son oreille avant de murmurer un « Désolé » à destination du seul détective de la pièce qui semble peu gêné par cette intrusion. L'eau chlorée échouée sur le rebord remonte lentement le long du pantalon du médecin, arrivant jusqu'à son mollet qui frissonne sous le contact froid et insupportable du tissu collant. Et même si John déteste être mouillé tout habillé autant qu'il déteste chanter Imagine there's no country, autant être honnête, il préfère encore ça à exploser toutes tripes dehors à cause de la déflagration d'une putain de parka.

Depuis quand est-ce que la vie consiste à être enlevé par un criminel en bas de chez soi, à être ligoté et attaché à l'arrière d'un van sans plaque d'immatriculation, avant d'être conduit dans une piscine au passé morbide où on affuble les gens d'une veste à Semtex intégré ? Bien sûr que John connait la raison : depuis que la moitié de son loyer est payée par l'unique détective consultant au monde, mélomane et sociopathe, qui maîtrise autant l'art de la rhétorique que les armes à feu. Ce qui pourrait paraître dangereux. Ce que John aime particulièrement.

L'ex-soldat sort de ses pensées pour revenir à la réalité très humide du pantalon collé à sa jambe droite. Un rapide coup d'œil à son colocataire debout face à lui et son visage blanc comme le carrelage se permet un micro sourire qui se répercute sur celui du brun. Ils vont peut-être y rester, mais au moins il est parfaitement clair que rien de ce qu'il se passe dans cette piscine vide est un tant soit peu normal. Bien, au moins John n'a pas l'impression d'être devenu totalement fou.

Il se passa de longues minutes où seuls les chuchotements théâtraux du criminel trouvèrent écho dans cette immense pièce, écrasant le clapotis d'une eau où John s'imagine mourir encore et encore. Face à lui, Sherlock pointe toujours de son arme le costume au prix déraisonnable. C'est idiot et complètement déconcertant de voir à quel point leurs vies, et leurs morts aussi, à tous les trois, se résument à la première phalange de l'index du détective.

Se tournant d'un coup d'un seul, comme un comédien sortant des coulisses, Moriarty leur fait face à nouveau avant de glisser son portable dans sa poche et de joindre ses mains dans un claquement joyeux, leur adressant un sourire digne d'un clown tout droit sorti d'un livre de Stephen King :

« Cette rencontre était très enrichissante Sherlock, mais je me vois dans l'obligation de l'écourter. »

Les yeux du détectives se cachent quelques instants derrière des paupières hésitantes, sa main serre maladroitement un peu plus fort l'arme, son esprit manifestement empreint à mille questions, avant que Jim Moriarty n'arrête là toutes ses interrogations :

« Mais nous nous reverrons bientôt. »

« Je l'espère bien. »

« Bonne soirée Sherlock. »

« Bonne soirée. »

Le criminel lui adresse un dernier sourire plein de miel et de lames de rasoirs et d'un pas lent, digne du psychopathe qu'il est, il quitte l'immense pièce, le costume couvert par le reflet de l'eau bleutée dansante au son d'une mélodie sourde. Ça aurait presque pu être beau, si tout ça n'était pas aussi flippant.

« Oh mon Dieu. », crache John alors que la porte du fond se ferme définitivement derrière l'objet de tous leurs cauchemars.

«John. », s'empresse d'appeler Sherlock, déjà à genoux face à son colocataire dont il presse le front avant de lever de son pouce une paupière pour inspecter ses yeux.

« Doucement... »

« John, est-ce que ça va ? »

« Ça va Sherlock, je n'ai pas... »

« John, comment te sens-tu ? », rajoute-t-il comme s'il n'avait pas eu de réponse.

« Ça va ! », aboie l'appelé qui ne comprend jamais le besoin de Sherlock de toujours utiliser son prénom comme s'il était légèrement demeuré et qu'il ne comprenait pas qu'il s'adressait à lui.

« Je préviens Lestrade. »

« Oui, bonne idée... »

L'ex-soldat ne ferme pas une seule seconde les yeux, suit de son regard fatigué le corps de son ami se redresser, avant de faire les cents pas face à lui, ses pouces tapotant nerveusement le téléphone qu'il vient de sortir de sa poche.

« Qu'est-ce qu'il vient de se passer Sherlock ? »

« Eh bien, nous avons enfin découvert le visage de Jim Moriarty et son point faible par la même occasion. »

« Ses goûts musicaux ? »

Sherlock s'arrête et sourit. C'est un de ces sourires où il n'y a que le coin gauche de sa bouche qui se redresse, se bloque dans un rictus et créé une légère fossette où toute la bonne volonté oh-très-virile de John semble se perdre, puis il reprend sa marche incessante de gauche à droite, ses yeux fixés sur l'écran face à lui.

« Moriarty aime se donner en spectacle. »

« Quel bel euphémisme. », ironise John, une main posée au sol pour se donner de l'appui, avant de se redresser difficilement ce qui semble choquer au plus haut point le détective.

« John ! »

« Oh pour l'amour du ciel Sherlock, je vais bien et si je reste assis une seconde de plus, je vais finir par avoir le cul mouillé et il est hors de question que ça arrive, compris ? »

Et malgré l'air parfaitement grave et concerné sur le visage du plus jeune, John se surprend à sourire et ses mains ne tremblent pas. Parce qu'importe qu'un psychopathe au CV international ait placé sur son dos une charge d'explosif qui aurait pu faire péter Westminster, il est hors de question qu'il se retrouve avec l'entre-jambe mouillé devant la moitié de Scotland Yard.

Sherlock le regarde se lever, remettre en place son pull malmené sous la parka et range le portable dans sa poche. Voilà, ils sont seuls et malgré le Semtex, les armes et les petits points rouges dansants sur leurs torses, ils sont en vie ; alors, tout va bien. D'une main froide d'avoir été trop posée contre le carrelage, John masse sa nuque en lâchant sa tête en arrière, les yeux grands ouverts vers une ampoule grésillante qu'il n'avait pas remarquée avant. Sherlock l'a très probablement décelée à peine un pied posé dans la pièce. Parce que Sherlock Holmes remarque toujours tout, à force d'observer sans scrupule, exactement comme à ce moment précis alors qu'il scrute le visage de John comme s'il s'agit d'une vulgaire bactérie placée sous son microscope.

« Quoi ? », demande le plus vieux, la grimace de l'impatience reprenant ses droits sur son visage cerné.

« Rien. »

« Tu me regardes. »

« Je te regarde John. »

« Pourquoi ? »

« Sherlock ! »

Les deux hommes se retournent et par le petit hublot de la porte battante, les casques noirs de la police de Scotland Yard permettent au médecin de prendre une profonde et douloureuse inspiration. D'un geste abrupte, Gregory Lestrade pousse la double porte par laquelle Sherlock est lui-même entré il y a une demi-heure de ça, et soupire bruyamment - une plainte soulagée ou las, personne ne peut vraiment le savoir. John regarde avec un œil tristement habitué l'équipe de policiers envahir les environs, salir de leurs bottes pleines de boue le carrelage, passant le pas pressé devant l'inutile panneau « Ne pas courir autour de la piscine ! » avant que la voix du DI ne les rappelle à l'ordre :

« Vous deux, dehors. »


Devant la piscine, sur le béton froid et couvert de chewing-gum, une foule de curieux est pressée derrière un ruban jaune criard, les yeux exorbités malgré la luminosité plus que faible, rendus partiellement bestiaux à la simple idée de pouvoir admirer un corps couché sous un linceul, un homme à qui on aurait passé les menottes ou rien qu'un peu de sang. Plus d'une fois, Gregory Lestrade a dut se retenir de ne pas attraper un de ces badauds pour lui mettre le nez dans une scène de crime et lui faire comprendre ainsi que non, il n'y a aucun, strictement aucun plaisir à découvrir un mort. Heureusement que le policier est professionnel. La plupart du temps.

À sa droite, assis sur le rebord de l'ambulance dont on a ouvert en grand les portes, John suit de son regard bleu un stylo qu'un médecin passe de droite à gauche. Sherlock quant à lui, a au moins accepté une couverture sur ses épaules.

« Graham... »

« Gregory. », corrige-t-il en se pinçant l'arête du nez.

« Non, moi c'est Sherlock. »

« Je sais, mais moi c'est Gregory. »

« Certes. », conclut Sherlock bien peu concerné par cette donnée vraiment inutile, avant de reprendre, dos à son colocataire, ses yeux glissant du DI à l'ambulancier agenouillé près d'eux. « Je pense que John doit aller faire de plus amples examens à l'hôpital. »

« Sherlock... », rit le concerné, d'un rire absolument pas amusé.

« Pourquoi ? », s'enquit Lestrade, les poings appuyés contre ses hanches, les yeux en manque de sommeil et de caféine se refermant déjà tout seuls - mon Dieu que les soirées avec Holmes sont tout sauf reposantes.

« Il a porté une veste bourrée de Semtex pendant une heure et a manqué de se faire tuer, un peu de soutien psychologique ne serait pas de trop. »

Le DI fait un pas sur le côté et penche la tête pour observer l'ex-soldat à qui on vient d'enfiler sur le bras le tensiomètre et Sherlock se tourne du même souffle. Trois paires d'yeux inquiètes scrutent maintenant John qui rejète sa tête en arrière avant d'éclater d'un rire franc et abasourdi.

« Bon sang Sherlock, tu es vraiment inquiet à ce point ? Tout va bien ; je vais bien. Rien n'a explosé, j'ai encore toutes les parties de mon corps attachées entre elles. La seule conséquence de cette soirée est que je ne pourrai plus jamais entendre les Bee Gees sans avoir envie de vomir, mais je pense que je pourrai m'en remettre. »

Le médecin à genoux face à lui hausse un sourcil et John se sent obligé de le rassurer :

« Blague perso. Ça fait sens après ce qu'on a vécu, croyez-moi. »

« Okay, il est trop tard pour vos conneries mais je veux vos fesses demain à 9h à mon bureau, est-ce bien clair ? »

« Clair. », répond John en hochant sa tête dans une précision militaire, se redressant lorsqu'on lui retire enfin le brassard.

« Mais Gra- Gregory ! », appelle Sherlock, arrêté tout aussi sec par l'index du plus vieux, levé comme une menace entre leurs deux visages.

« Si John dit que ça va, alors, ça va. Maintenant Sherlock, rentrez chez vous, prenez une bonne douche, buvez un bon whisky et faites... ce que vous faites habituellement quand je viens vous sortir de vos conneries et demain, je veux tous les détails sur ce Moriarty. »

Le visage de Sherlock se referme, le masque de l'homme inquiet laissant place à celui dur et froid que personne sur cette fichue terre n'aime réellement, et le sourire le plus faux du monde vient tirer ses traits. Oh comme Sherlock déteste qu'on lui dicte quoi faire - ce qui est très précisément la raison pour laquelle Gregory a agi de la sorte. Le brun laisse tomber à même le sol la couverture et enfonce sa main dans sa poche droite avant de se diriger vers le ruban jaune déroulé entre deux voitures de police. Si beaucoup d'adjectifs peuvent convenir pour décrire Sherlock, pour sûr, mature n'en fait pas partie.

« Bien, il vaudrait mieux que je le suive avant qu'il ne m'oublie et que l'on paye deux taxis pour rien. Merci Greg, à demain. », sourit John en serrant la main du DI en lui adressant un dernier sourire, avant de hâter le pas derrière le manteau à 1100£ qu'il voit plus souvent de dos que de face.


Lorsque Sherlock pousse la porte du premier étage et que John découvre par-dessus son épaule le salon déjà éclairé par les quelques lampes laissées allumées, le médecin a un profond soupir qui remue tout son être. La respiration est une étape diaboliquement complexe, toujours vitale mais parfois si douloureuse. John a perdu son souffle, une fois, le visage enfoncé dans le sable, l'épaule saignante et la douleur régnant sur tout son corps. Il s'était juré de ne plus jamais vivre ça.

C'était sans compter Mike Stamford et son propre besoin de trouver un appartement, avant de devoir retourner à East Barnet par manque de moyen. C'est maintenant quotidiennement qu'il le perd, son souffle, à la poursuite d'un manteau noir lui-même à la poursuite d'un malfaiteur. Mais ce n'est pas ça le pire bien-sûr, l'adrénaline et la folie du moment créent toujours cette espèce de tourbillon subtil et sans pitié qui avale avec lui toute la raison de l'ex-soldat pour ne laisser en lui que le besoin primaire et vital de courir, attraper et gagner. Le pire, il est là, dans ce salon au papier peint improbable, avec ce crâne qui les espionne et cette odeur entre la poussière et le génial où Sherlock tangue continuellement. Le pire, c'est le calme.

John ferme les yeux, longtemps, jusqu'à ce que son pied droit percute violemment le sol et qu'il sursaute d'un bond - vient-il vraiment de manquer de s'écrouler ?

« John ? », demande Sherlock, les manches de sa chemise relevées (depuis quand a-t-il enlevé sa veste ?) dans ses mains deux boîtes de thé dont il peine manifestement à faire un choix. « Tout va bien ? »

« Ouais. Oui. Tu fais du thé ? »

« N'est-ce pas ce que tu fais lorsque l'on finit une enquête ? »

« Oui, justement, je le fais. », répond-il, son sourire plus dangereux que son arme de soldat, trahissant son incompréhension devant le geste de Sherlock, avant qu'il ne vienne lui prendre des mains les deux boîtes. « Lequel tu veux ? »

Le brun fait un vague geste de la main et se dirige vers le bureau aux allures de bibliothèque avec tous leurs livres en cascade autour d'eux avant que John n'aille s'occuper de la bouilloire. Ses tempes lui font mal. Ses yeux lui font mal. Bordel, ses cils lui font mal. Depuis combien de temps n'a-t-il pas mangé quelque chose ? Ah, bien sûr, depuis ce midi, enfin si une biscotte et trois cacahuètes piquées dans le bar d'en bas peuvent réellement constituer un repas. Face à Moriarty néanmoins, il n'a pas eu faim une seule fois, mais comme toujours il faut que tout redevienne calme pour que tout redevienne pire.

« Raconte moi, John. »

John pince ses lèvres de gauche à droite, verse l'eau bouillante dans deux tasses dépareillées et répond en haussant la voix pour être entendu par son ami :

« On a retiré le sac qu'on m'avait mis sur la tête qu'une fois dans la piscine et c'est la première fois où je l'ai vu. », il attrape les deux tasses, trop fatigué pour tenter d'éviter de se brûler et revient dans le salon s'installer dans son fauteuil, avant que Sherlock ne prenne place face à lui.

Il pose ses longs doigts les uns contre les autres dans sa traditionnelle pause de réflexion et regarde avec attention le blond, qui fait rebondir mollement le sachet de thé.

« Il a d'abord ouvert en grand les bras en disant 'Surprise !', ce qui n'était pas très drôle, mais il a ri quand même. Bref, il m'a demandé si je n'avais pas trop souffert pendant le voyage et a murmuré très fort qu'il espérait quand même que ce soit le cas, puis il s'est approché et a... », il pince ses lèvres, sourit rien qu'une seconde et reprend en regardant Sherlock. « Boutonné ma parka. Pour 'ne pas que j'attrape froid'. Bordel Sherlock, qui peut élever un mec pareil ? »

« Tu t'égares, Sigmund. »

« Désolé. Bref il m'a remercié d'être venu, puis il m'a dit que c'était une expérience très intéressante dont il avait hâte de pouvoir en découvrir tous les aspects, qu'on attendait le rôle principal et qu'il 'mourait d'envie' de rencontrer la vedette, celle vers qui toutes les têtes se tournaient. »

« Moi. »

« Bien sûr toi, Sherlock. Il s'agit toujours de toi. », sourit l'ex-soldat en portant enfin le thé à ses lèvres.

Le brun a un micro-sourire absolument pas amusé et se met à boire lui aussi, ses yeux perçants ne quittant jamais son ami face à lui.

« Est-ce que tu as remarqué que, dès que tu es entré, je n'existais plus ? Lorsqu'il a reçu son coup de téléphone, il s'est excusé en te regardant. Il a bien précisé qu'il voulait te revoir. Et puis il t'a souhaité une bonne soirée. »

« Torture psychologique - pour te faire te sentir inutile. »

« C'est ce que beaucoup de personnes pensent, pas vrai ? »

Sherlock incline sa tête sur le côté et hausse un sourcil.

« Beaucoup de gens croient en toi John. Ils te font confiance. »

« Dans la vie de tous les jours, bien sûr, mais quand je t'accompagne sur le terrain, je suis invisible. Comme lorsque Lestrade nous rejoint. Il dit toujours 'Sherlock' et non pas 'Sherlock et John'. »

« Eh bien, tu n'as pas mon niveau de déduction mais tu... »

« Non, Sherlock, je n'essayais pas d'avoir ta sympathie, je voulais juste le dire, c'est tout. »

Le silence s'installa entre eux comme un troisième invité à qui on n'osa plus couper la parole et tous deux, en bons anglais, finirent leur thé avant qu'il ne refroidisse. Les paupières lourdes et pleines d'un sable fictif, John étend ses jambes en tournant sa nuque sur le côté et se redresse d'un bond, en attrapant sa tasse désormais vide.

« ... Bien. Bonne nuit. »

« Bonne nuit John. »

De retour, seul dans la cuisine, il fait de son mieux pour ne pas balancer sa tasse dans l'évier.


Dans le lit aux draps froids comme la nuit, John se retourne pour la trente-huitième fois. Ça va passer - les points rouges dansants devant ses yeux et la voix d'un homme qui le traverse comme s'il n'existait pas - mais en attendant, comme trouver le sommeil est plus dur encore que le carrelage de la piscine. Et merde. Tout va se résumer à ça désormais, il le sent venir - comme lorsqu'il était revenu de Bastion et que tout avait le goût du sable et la chaleur du désert.

La tête lourde, attirée dans le puits sans fond du sommeil, il sent ses muscles traversés par de furtifs spasmes incontrôlables, si près, si près de s'endormir, avant qu'une voix ne le ramène à la dure réalité épuisante, d'un coup d'un seul :

« John. »

Il est déjà redressé avant même d'en être pleinement conscient. De ses yeux mordus par la nuit, il voit face à lui sa porte grande ouverte, la clenche emprisonnée dans la main du détective, debout et encore pleinement habillé, le regard aussi perçant que celui d'un microscope.

« Bordel Sherlock ! Qu'est-ce que... que viens-tu... Oh mon Dieu, tu t'inquiètes encore, pas vrai ? Tout va bien Sherlock, je gère, okay ? », crie-t-il, le simple concept d'habiter en ville et d'être entouré par des voisins endormis lui sortant complètement de la tête.

« ... Bien. »

Le blond ouvre les yeux et le brun cligne les siens, comme un accord silencieux. Doucement, il referme la porte et enfin, la pièce reprend son semblant de sanctuaire où John aime se reposer de trop rares moments. Il se rallonge lourdement, enfonce sciemment la tête dans son coussin moelleux et se répètent dans son cerveau embrumé par le sommeil, ces deux petits mots qui n'ont jamais quitté l'esprit de cet homme, médecin de formation militaire, fils exemplaire et frère sans reproche, ex-soldat droit, courageux et fiable qu'il a toujours, toujours été.

Je gère.