Ohayo mina' !

Une idée d'OS qui m'est venue en écoutant « la fée » de Zaz… je n'apprécie pas plus que ça la chanteuse, mais j'ai trouvé le texte très beau (après recherche, il a été écrit par Raphaël, voilà pourquoi je l'apprécie XD), et j'ai décidé de faire une songfic ! [pour changer…] (toi, mets-la en veilleuse).

Ce sera donc un two-shot, pour une fois ! Ah, et non, vous n'êtes pas fous, c'est bien un rating T… hé ouais, pas de lemon, juste un peu de douceur parfois, ça fait du bien. Ça change des inepties violentes et un tant soit peu perverses que je vous sors en temps normal… alors profitez !

J'ai aussi le plaisir de vous faire découvrir un sujet que j'apprécie beaucoup, étant très branchée contes et fantastique, en vous invitant dans le monde des fées… j'espère réveiller l'âme d'enfant qui sommeille en chacun de vous ! :)
Je me suis inspirée d'un film qui passait quand j'étais jeune [... la honte… les 90's, quoi…] (tais-toi -_-'), « Hook ou la revanche du Capitaine Crochet », pour celles et ceux qui connaissent. Pour les autres… je vous invite à le regarder. C'est aussi un hommage à Robin Williams, un grand homme qui aura bercé mon enfance et qui est parti rejoindre son Pays Imaginaire…

En espérant toujours que ça vous plaise, les critiques construites sont bienvenues !

Enjoy it !

Votre dévouée A-Harlem.

Tous les personnages appartiennent à Oda-sensei, notre maître à tou(te)s !


Un matin de Décembre, Paris.

Quand je me réveille ce matin d'hiver, la première chose que je remarque est la neige. Elle tapisse le sol, les vitres, recouvre tout de son manteau immaculé. Je sors de la chaleur de mes draps et je traverse ma chambre, pour ouvrir ma fenêtre et inspirer l'air froid.
Les yeux clos, je hume longuement ce parfum glacé et revigorant, en songeant que Noël est bientôt là – je vais devoir me mettre sérieusement à préparer mes cadeaux à envoyer à mes parents, ma sœur Robin et mon frère Ace, à l'autre bout du monde.

Je tends le bras pour décrocher une stalactite et je creuse la neige sur le linteau sous ma fenêtre – j'habite sous les toits d'un vieil immeuble parisien, les chambres de bonne, comme ils appellent ça. Je suis bien, ici, c'est vieillot, pas vraiment donné, mais j'ai tout ce qu'il me faut.

Non, en vérité… il me manque quelque chose. Je déteste être tout seul, et c'est le propre de ce que je suis, en ce moment : en pleine solitude. J'ai encore du mal à me faire des amis, hormis un ou deux, et j'ai horreur de ça. Pas de copine non plus, ni ici ni ailleurs.

Je m'étire en bâillant et je me penche pour contempler le vide sous moi, les six étages de chute libre si je bascule en avant. Je souris et je laisse tomber une poignée de neige, qui s'éparpille avec le vent ; je suis les flocons du regard et mes yeux accrochent quelque chose, sur une des tuiles de la fenêtre d'à-côté, qui donne sur ma salle de bain.

Ça brille, dans l'aurore qui se lève.

Intrigué, je tends la main et j'écarte le petit monticule de neige qui recouvre ce que mon regard a capté. Mon cœur rate un battement, et mes yeux s'écarquillent.

« Moi aussi j'ai une fée chez moi, sur les gouttières ruisselantes »

Un papillon… ?

Non. C'est beaucoup plus gros. Les ailes sont semblables, mais les motifs sont étranges, plus alambiqués, et la membrane semble encore plus délicate. J'époussette les dessins et je découvre le corps qui se dissimule sous les ailes – un corps de femme.
Minuscule, une quinzaine de centimètres de haut. Elle est presque nue et recroquevillée sur elle-même, et bleuie de froid.

… j'hallucine. Il n'y a pas d'autre explication possible, parce que ce que j'ai sous le nez, c'est une fée. Elle a de longs cheveux roux, et une peau pâle, hérissée de frissons.
Je me frotte les yeux en me demandant si la pollution de Paris ne me monte pas un peu trop à la tête, et je me rapproche pour la contempler de plus près. Est-ce qu'elle est… réelle… ? je la touche du bout des doigts et son joli visage se crispe d'inconfort – je dois lui faire mal.

C'est pas vrai, je rêve éveillé. Les fées, ça n'existe pas. Pas plus que les trolls, les korrigans et les elfes, ou tous ces trucs fantastiques qui peuplent les livres que ma mère me lisait quand j'étais petit.

Je glisse mes mains sous elle et je la soulève délicatement, en la ramenant à l'intérieur ; quelqu'un me fait peut-être une blague… ?

Mais elle a l'air plus vraie qu'une petite poupée animée, et elle bouge beaucoup trop pour un objet quelconque.

« Je l'ai trouvée sur un toit dans sa traine brûlante »

Elle est recroquevillée dans ses ailes, et je m'aperçois qu'elles sont brûlées ; comme si elle s'était approchée trop près du soleil et qu'elle était directement retombée ici.

Je vais m'asseoir près de mon radiateur et je la dépose sur mes genoux, tout en continuant de penser que je délire à mille pour cent. Les études me grillent le cerveau. L'eau glacée coule sur mes jambes, alors que le givre qui la recouvre fond peu à peu. Elle tremble, mais c'est bon signe – je préfère ça plutôt que la voir inerte. Je n'ose pas la reprendre dans mes mains, ou la déplacer d'un petit centimètre, j'ai terriblement peur de lui faire mal. Elle a l'air si fragile…

Elle cligne des yeux et je me penche pour la contempler, toujours stupéfait. Ses bras se croisent sur sa poitrine et elle ramène ses genoux sous son menton en frissonnant – ce qui lui reste de vêtements est dans un sale état, je ne sais pas ce qu'il lui est arrivé, mais elle l'a échappée belle, c'est certain. Et qu'est-ce qu'elle fait ici, hein… ? Elle me remarque enfin et ses yeux s'ouvrent en grand – elle a l'air terrifiée. Ma taille doit lui faire peur, et puis… est-ce qu'elle a déjà seulement vu un humain de sa vie… ?

J'attrape un de mes tee-shirts abandonné sur le parquet et je la soulève doucement pour la déposer dans le tissu et la couvrir un peu, en essayant d'être le plus doux possible.

- T'en fais pas, je vais pas te faire de mal, murmuré-je.

Est-ce qu'elle me comprend… ?
L'air froid de l'hiver s'engouffre dans la chambre et je vais fermer la fenêtre, pour qu'elle n'ait pas plus froid. Au passage, je fouille dans le tiroir de ma commode, en m'assurant qu'elle est toujours près du radiateur, sur ma chaise. Elle me regarde faire et serre la couture de mon tee-shirt sur ses épaules, craintive.

… si je rêve éveillé, je me demande où est-ce que ça va me mener.

« C'était un matin, ça sentait le café, tout était recouvert de givre »

Je trouve un dé à coudre et je vais le remplir d'eau, en me demandant aussi ce que boivent les fées. Elle recule quand je reviens vers elle et observe, méfiante, le dé que je dépose à côté d'elle.

- … c'est de l'eau. Tu en veux… ?

Elle se traîne jusqu'à lui et jette un regard à l'intérieur, avant de me jeter un coup d'œil circonspect. Ses yeux sont noisettes, très doux, mais ma présence ne la rassure pas, je le sens bien. Tout comme sa présence m'intrigue… on est si différents. On a tellement de choses à apprendre l'un sur l'autre.

Elle trempe ses mains dans l'eau et les porte à sa bouche, avant d'avaler une goutte et de recommencer, moins sur la défensive – apparemment, ça lui convient. Je retourne à ma cuisine en marchant à reculons, et je me sers à tâtons une tasse de café, dont l'odeur embaume l'appartement. Une odeur qui me tient éveillé, et qui me donne vraiment le sentiment de ne pas rêver.

Les rêves n'ont pas de parfum. Et ne sont pas aussi réels, malgré la présence pour le moins incongrue de la petite fée.
Qu'est-ce que je fais, maintenant… ?
Et je ne sais toujours pas si elle me comprend ou non.

- … je vais prendre une douche, je reviens vite. Et on va voir… ce que j'peux faire pour toi. D'accord ?

Elle se mord la lèvre et se pelotonne dans la manche de mon tee-shirt ; je prends ça pour un oui et je me détourne pour rejoindre ma salle de bain, où une douche chaude m'attend.
L'eau dénoue mes muscles tendus et je laisse libre cours à mes pensées, alors que l'eau ruisselle sur ma peau.

Qu'est-ce que je vais faire d'elle ? est-ce que je dois en parler à quelqu'un, l'emmener quelque part… essayer de communiquer avec elle ? Elle a l'air vraiment mal en point, en plus de ça. Mais je sais à peine prendre soin de moi quand j'ai un rhume, alors m'occuper d'une fée aux ailes brûlées…

« Elle s'était cachée sous un livre et la lune finissait ivre »

Je ferme les robinets, j'attrape ma serviette et je me sèche à la va-vite, avant de passer des fringues propres et de me démêler les cheveux ; mes pas me ramènent dans ma chambre-salon et je m'aperçois que la fée s'est traînée jusqu'à l'étagère qui soutient mes livres de cours. Elle est blottie près des pages, dans la lumière du soleil qui se lève, alors que la lune disparaît dans le ciel qui s'éclaircit.
Je m'approche et je tends le doigt pour toucher ses ailes, et une grimace contracte ses traits – je me sens aussitôt coupable, et je lui ouvre mes mains pour qu'elle vienne s'y mettre, si l'envie lui en prend.

Elle me jette un regard à travers ses ailes, intimidée, et considère mes doigts avec beaucoup de prudence.

- … viens. Je vais faire attention, promis.

Elle se redresse, chancelle un peu et grimpe sur ma paume, où elle s'assoit en ramenant ses jambes contre sa poitrine. Je vais vers mon lit et je l'installe sur mon oreiller, en lui tendant à nouveau mon tee-shirt ; elle le tire sur elle et me regarde sortir mon ordinateur, intriguée.
Je ne sais même pas ce que je dois chercher : « comment soigner une fée » ? « nourriture pour fée » ?... je me sens ridicule.

Et elle me regarde toujours de ses grands yeux irisés, sous sa frange rousse. Je réfléchis sans lâcher son regard, en me creusant la tête autant que je le peux. Mes doigts courent sur le clavier, et mon moteur de recherches m'affiche toute une liste de résultats.

« Moi aussi j'ai une fée chez moi et sa traine est brûlée »

Tous ont l'air de s'accorder sur plusieurs points : les fées sont végétariennes. Pas de bol, je suis un gros consommateur de viande, mais je devrais avoir de quoi la nourrir en attendant de trouver mieux. J'ai du miel et des fruits, et il est noté partout qu'elles en raffolent.
Et pour la soigner… je ne trouve rien. Je vais de site en site, tous plus bizarres les uns que les autres… mais toujours rien. Je crois qu'il n'y a rien à faire pour elle, et que ses ailes resteront abîmées pour toujours.

Elle a l'air abattue, et je ne peux rien faire pour l'aider.

- … tu as une maison ?

La petite fée relève la tête, soupire et désigne le ciel.

… non, je ne peux décidément rien faire pour elle. Je ne sais rien de toutes ces choses, mon âme d'enfant a oublié et je n'ai plus l'imagination de mes cinq ans pour trouver une solution à son problème.
Je reporte mon attention sur mon ordinateur et je me remets à chercher, en espérant trouver quelque chose pour pouvoir m'occuper d'elle. Quelque chose touche mon tee-shirt, et je lui jette un coup d'œil – la petite fée tire timidement sur le tissu pour attirer mon regard.

- … oui ?

Elle montre mon carnet, sur mon bureau ; je me lève, prends un crayon et les lui ramène, avant de lui ouvrir et de sortir une mine de mon criterium pour la lui donner. Elle la prend, s'agenouille sur la page et commence à tracer des lettres – je me demande dans quelle langue est-ce qu'elle s'exprime…
Je la regarde faire et se déplacer sur la page qu'elle est en train de remplir. Elle écrit très doucement, et je ne sais pas si c'est à cause de la taille de ce que j'utilise ou si elle réfléchit pour parler français – parce que clairement, c'est ainsi qu'elle écrit.

« Elle doit bien savoir qu'elle ne peut pas, ne pourra jamais plus voler »

« C'est quand la pleine lune ? »

… la pleine lune ?

J'exhume mon agenda de mon sac d'étudiant et je fouille les pages pour trouver le calendrier. Ah, ben, c'est pour bientôt, tiens.

- Ce soir, normalement. Pourquoi ?

Elle reprend son tracé et je m'assois près d'elle, en faisant attention à mes gestes ; je suis sûr qu'un courant d'air peut l'envoyer valser sur le parquet.
La fée repose la mine et je me penche pour lire sa jolie écriture bouclée, ponctuée de lettrines et d'arabesques – c'est mignon.

« Pour me soigner. Il faut la pleine lune. Et de la sauge. »

De la sauge ? Et où est-ce que je trouve ça, moi ? Sûrement dans une herboristerie… il y a plein de ces trucs-là, dans Paris. Et puis zut, pourquoi est-ce que je n'y ai pas pensé plus tôt ?! là-bas, ils seront capables de m'aider – je peux leur inventer un bobard, sans avoir besoin de dire que j'ai une vraie fée chez moi. Et de toute manière, s'ils ne me croient pas fou, ils vont vouloir la voir, et beaucoup de gens seront susceptibles de lui faire du mal.
Et ça, c'est hors de question.

Mais je doute que de la sauge et de la pleine lune soient suffisants pour la réparer – ses ailes sont dans un état déplorable, et même elle, est couverte de blessures. Rien de grave, mais je pense qu'elle va rester dans mon monde pendant un long moment…

« D'autres ont essayé avant elle, encore avant, une autre était là »

Internet et sa magie m'apprennent que les fées aux ailes brûlées ont sûrement été frappées par la foudre. C'est vrai que la ville a essuyé un orage assez violent, il y a trois jours, après une journée particulièrement douce ; puis le temps s'est refroidi, et la neige est arrivée. Alors… ça fait trois jours qu'elle est ici… ?

- Je vais essayer de te trouver ça. Il te faut autre chose… ?

Elle secoue la tête et se réinstalle près de moi pour contempler l'écran de l'ordinateur. Toutes les indications sont claires et nettes – les fées aux ailes brisées ne peuvent plus voler, il n'y a plus rien pour les réparer. Mais je n'ai pas envie que ça se termine comme ça pour elle, et j'essayerai quand même.

En attendant, il faut que j'aille dans une herboristerie pour trouver de quoi la soigner, et tout simplement m'occuper d'elle par la même occasion.

- Je vais devoir aller en cours… tu sais ce que c'est, les cours… ?

Elle penche la tête en fronçant les sourcils, et je soupire en me grattant la tête. Pas évident d'expliquer le concept de l'école à quelqu'un qui vit d'herbe et de rosée…

- … apprendre un métier ? risqué-je.

Elle approuve et je cherche mon réveil du regard – je vais être à la bourre si je m'attarde trop.

- Je reviens à dix-huit heures, d'accord… ? essaye de te reposer.

La fée ouvre de grands yeux, et je comprends que l'heure à laquelle je fais référence lui est totalement inconnue.

- … quand le soleil sera presque couché, je serai là.

Elle regarde le ciel, acquiesce et me regarde préparer mon sac ; j'y range mon ordinateur, mon carnet et mon crayon, et j'enfile mes chaussures, un pull et une veste. Je songe à quel point je suis frigorifié, et je me demande si elle a assez chaud, surtout que ce qu'il lui reste de vêtements ne cache rien de son corps. Je trouverai bien quelque chose. En attendant, mon tee-shirt a l'air de lui convenir pour se blottir dedans.
J'ouvre mon placard et je sors le miel et les fruits confits que je garde en pot, en les ouvrant pour qu'elle puisse y goûter si elle en a envie ; je les ramène sur ma table de chevet et je lui souris, en essayant d'être le plus rassurant possible.

- … à ce soir ?

Elle me dévisage avec prudence et me tourne le dos en tirant ma manche sur mes épaules.

OK, je prends note – les fées sont méfiantes. En même temps… face à quelqu'un qui fait 20 fois sa taille, qui ne le serait pas ? j'espère qu'elle aura un peu plus confiance en moi avec le temps.

« Je l'ai trouvé repliée sous ses ailes et j'ai cru qu'elle avait froid… »

.

. . . . .

.

Le même jour, un soir de Décembre, Paris.

Je pousse la porte de l'herboristerie d'Hippocrate dans la rue Saint-André des Arts. Je suis déjà passé plusieurs fois devant cette boutique, sans jamais m'y être arrêté – je ne suis pas branché plantes et autres trucs, mais là, c'est un cas de force majeure. C'est à une trentaine de minutes en métro de l'université, et j'ai encore le temps d'aller dans une mercerie pour trouver des vêtements à la taille que je cherche.

L'homme qui m'accueille a l'air plutôt agréable, et je dois avoir l'air du type qui ne sait absolument pas ce qu'il fait ici.

- … je peux vous être utile… ?

- Oui, je… voudrais de la sauge, s'il vous plaît.

- Sous quelle forme ?

… oui, je me sens con. Je ne sais même pas ce que c'est, de la sauge. Une plante ? du bois ? des fleurs… ? tout ça à la fois ? Je n'ai pas pensé à demander à la petite fée ce qu'elle voulait exactement. Je me gratte la nuque et l'homme attend toujours patiemment, sans se départir de son sourire.

- Je… je sais pas trop, c'est compliqué. C'est pour une amie, elle m'envoie en chercher, et…

- Pour quelle utilisation ?

- Pour des soins, apparemment.

- Oh. Alors il vous faut un onguent.

… je me sens encore à la fois très con et très inculte. Un onguent ? je ne sais pas ce que c'est non plus. Une pommade, je pense… ?

- Je… crois, oui, c'est pour appliquer sur des plaies.

- Je vais vous préparer ça, ou vous pensez que votre amie pourra le faire ?

J'ai la vision fugitive de la petite fée en train de faire de la bouillie de sauge dans un bol et je souris pour moi-même – elle n'en aura jamais la force physique, et moi je suis trop brute pour faire ça comme il le faut.

- Non, il vaut mieux que vous le fassiez. Vous pourrez me dire ce que vous mettez dedans ?

- Juste de la sauge, sourit-il en disparaissant derrière le rideau de la boutique.

Bon, ben, OK. Est-ce que j'ai le choix, de toute manière… ? et puis, la fée saura me dire tout de suite si c'était ce dont elle avait besoin. Je me demande ce qu'elle serait capable de faire si ce n'est pas ça. Se mettre en colère ?je l'imagine piailler et essayer de me frapper, et je rigole tout seul. Elle a quand même l'air d'avoir un sacré caractère…

Et je ne sais même pas son nom. Je ne lui ai pas donné le mien non plus… pas très civilisé, tout ça. Et est-ce qu'elle a seulement un nom ? J'essaye de m'imaginer lequel lui irait le mieux, mais je ne trouve rien. Si nom elle a, est-ce qu'il est prononçable dans notre langue ? est-ce qu'il a une signification ? est-ce qu'il ressemble à ceux des filles de mon monde… ?
Il faudrait que j'essaye de l'appeler Géraldine, pour voir. J'suis sûr qu'elle va devenir toute rouge et brandir le poing, tiens. Ou elle va me planter une mine dans l'œil.

Le rideau s'écarte et l'homme me tend un petit pot de verre rempli d'une pâte qui ressemble à du pesto, à bien y regarder.

… pas sûr que ça soit aussi bon.

- Super, merci. Combien je vous dois… ?

- Quinze euros, s'il vous plait.

… j'espère que ça va marcher, ce truc. J'ai l'impression qu'en cueillir moi-même aurait été plus rapide, mais quand j'y pense… je ne sais toujours pas à quoi ressemble la sauge…

Bah, je chercherai.

Je le remercie d'un sourire et je sors, avant de courir pour attraper le bus qui me passe devant le nez. La mercerie est à l'autre bout de la rue et j'ai la flemme de marcher, surtout que tout ça m'éloigne de chez moi.
Le soir tombe vite, à présent – il est dix-sept heures trente et j'ai promis d'être là au soleil couchant, et je ne veux pas décevoir la petite fée qui doit peut-être attendre son remède avec impatience.

La mercerie est minuscule, tenue par une femme qui doit se demander ce qu'un homme fait ici. Boarf, je ne suis plus à ça près, aujourd'hui… Je m'avance et elle me regarde arriver, intriguée.

- … euh, bonsoir, je… cherche des vêtements de la plus petite taille possible.

- … je vous demande pardon ?

Raaaah.

- … pour une poupée, mentis-je.

- Vous connaissez ses mensurations ?

Je m'empourpre violemment et la femme hausse un sourcil, en attendant que je poursuive.
Les mensurations de la fée ? ben, je ne l'ai pas vraiment regardée, en fait. J'ai même évité, puisqu'elle n'a presque plus de vêtements. Et j'ai l'impression que trop la reluquer m'apporterait de gros ennuis.

- Pas vraiment, non. Je dirai… qu'elle mesure quinze centimètres à tout casser, de la tête aux pieds.

- Je vois… vous avez des indications un peu plus claires… ?

Je réfléchis en me creusant la tête, en essayant de me rappeler de l'allure de la fée blottie dans mes mains. Bon, ben, puisqu'il faut y aller…

- … une femme, en miniature. J'vois pas comment mieux la décrire.

- … d'où vient votre poupée ? s'étonne-t-elle.

J't'en pose, moi, des questions ?!

Comment est-ce que je vais justifier ça ? En lui disant que j'ai trouvé une…

… ah, ouais. Ça va lui rabattre le caquet, tiens.

- J'ai trouvé une fée sur le rebord de ma fenêtre et j'ai besoin de l'habiller. Ça vous va ?

Elle écarquille les yeux, avant d'éclater de rire et de secouer la tête.

- Très bien, monsieur le mystérieux. Va pour des vêtements de fée.

Elle fouille dans ses tiroirs et je la regarde faire, intrigué. Elle sort un carnet à dessin et commence à tracer des lignes, et je reconnais un patron pour une petite robe – ma mère en fait, parfois, pour ma petite sœur. Pour les déguisements, tout ça. Je ne sais pas si la fée va aimer… j'espère.

- Vous avez une préférence pour la couleur… ?

- … et avec plein de couleurs, c'est possible ?

- Bien sûr.

- Alors mettez les trucs les plus colorés. J'crois qu'elle va préférer ça.

La femme prend note et me montre un modèle qu'elle vient de crayonner. Je n'ai pas tellement de goûts en matière de vêtements de fille, mais c'a l'air plutôt pas mal.

- … ça peut être prêt pour ce soir… ?

- … ce soir ?

- Euh, ouais. Au moins une… ? tenté-je, suppliant.

Je sais, je veux le beurre, l'argent du beurre et… d'autres trucs qui sont à la crémière, bref. Je demande beaucoup, mais je suis un peu désespéré. Et puis, la fée m'attend et ça, c'est vraiment pas facile à expliquer au commun des mortels.

- Je peux en faire deux, mais pas plus. D'ici une heure, environ.

Une heure… ? le soleil sera couché…

Mais j'ai le temps de rentrer, de demander son avis à la petite fée avant de revenir. Et ça, c'est vraiment pas bête.

- Si je reviens dans trente minutes, vous aurez le temps de faire au moins une des robes avec des mensurations ?

- Je vous attends, sourit-elle en rangeant son carnet dans son tiroir.

Je détale aussitôt vers la porte, et je cours dans la rue pour attraper la prochaine rame de métro. Non mais j'vous jure… qu'est-ce que je ferais pas pour une fée…

Je me rends compte à quel point tout ça est en train de prendre un tour complètement fou. Je suis là, en plein Paris, à courir partout pour habiller et soigner une fée que j'ai trouvée le matin même sur le rebord de ma fenêtre. Autant dire que ma journée a été complètement perturbée. J'ai passé mes heures de cours à rêvasser et à penser à elle, à ce qui l'avait conduite ici, et à ce qu'était sa vie avant de se retrouver à agonir sur les tuiles d'un immeuble parisien.
Je m'engouffre dans la bouche de métro et je prends la rame qui va m'emmener directement à l'arrêt où mon immeuble se trouve. Les portes se referment et je regarde les quais défiler à la fenêtre, pensif.

Zoro a regardé par-dessus mon épaule pendant le cours, et ma page internet était restée ouverte sur les soins pour les fées. Il m'a dévisagé et je lui ai tiré la langue – très mature, comme réaction. Il a secoué la tête en marmonnant que le célibat me défonçait les hémisphères, et a remis le nez dans son ordinateur. J'ai fermé la page en me rendant compte que beaucoup s'interrogeaient sur les onglets qui s'y alignaient, et j'ai essayé d'être le plus attentif possible au cours, mais en vain.

J'ai passé un temps fou à regarder la pendule, en n'ayant qu'une seule hâte – rentrer chez moi, pour voir si je n'avais pas halluciné.

Je sors du métro et je traverse la rue en courant, mes clés à la main ; je déverrouille l'entrée et je monte les marches quatre à quatre, le cœur battant à tout rompre.
Et si elle était partie… ?
Je ne peux pas m'expliquer l'angoisse que je ressens. Mes clés claquent dans la serrure, je pousse la porte et mon regard tombe sur mon lit défait.

… la petite fée est là et mâchonne un abricot confit.

Elle regarde le ciel, le soleil presque couché, me jette un coup d'œil et me sourit légèrement. Mon visage doit s'apaiser, parce que ses traits s'illuminent, et elle a l'air joyeuse à présent.

- … je dois repartir, je vais avoir quelque chose pour toi à te ramener, mais j'ai ton onguent. Ça te va ? proposé-je en lui ouvrant le pot.

Elle tend le bras, trempe son doigt minuscule dedans et le porte à sa bouche, avant de hocher la tête.
Je me sens déjà plus utile que ce matin, j'ai réussi à lui ramener ce qu'elle voulait. Bon… comment est-ce que je lui demande ses mensurations sans passer pour un pervers… ?
Je prends une feuille blanche que je pose sur le lit, mon crayon, et je tapote le papier.

- Tu veux bien t'allonger là ? j'ai besoin d'avoir ta taille, s'il te plaît.

Elle plisse les yeux, fronce le nez mais se lève tout de même pour faire ce que je lui demande. Elle s'étend sur le dos, passe un bras sur sa poitrine et pose sa main entre ses jambes, le regard noir. Ça rejoint ce que je pensais – l'exhibitionnisme, c'est pas son truc. Je trace le contour de son corps avec mon crayon, en priant pour que ça suffise à la mercière pour faire sa robe.

- Tu veux bien te mettre de profil… ?

Elle s'exécute et essaye de rester la plus immobile possible, mais elle pouffe de rire quand mon crayon la chatouille en épousant ses formes. Je récupère ma feuille en la remerciant et je me redresse, en la rangeant dans ma poche.

- Dis… c'est quoi, ton nom ? moi c'est Luffy.

Elle me fait signe de me rapprocher et tapote ma main, que j'ouvre pour la lui présenter ; avec ses doigts, elle trace des lettres dans ma paume. N, A, M, I.

- … Nami ?

Elle hoche la tête et remet le nez dans le pot d'onguent, visiblement très contente. Je quitte le lit et je retire ma montre, avant de la poser près d'elle.

- Tu vois, les aiguilles qui sont ici… ? quand elles seront là…

Je désigne le huit et le douze.

- … je serai rentré. Et la lune sera haute un peu plus tard. Ça te va ?

Nami acquiesce et se rassoit dans mon tee-shirt, avant d'agiter la main quand je sors à nouveau.
Et rebelote, je cours à travers les rues pour retourner à la mercerie, où la femme doit attendre l'adolescent bizarre qui a trouvé une fée à sa fenêtre. Je ris de moi-même et je laisse le métro me porter dans Paris, vers la boutique illuminée, à cette heure-ci.
C'est haletant que je pousse la porte, mon papier à la main, avec les contours de Nami. La femme me sourit et prend la feuille que je lui tends, avant de froncer les sourcils.

- … c'est vraiment petit, comme mesures.

- Je sais bien, mais c'est le modèle de ma fée, souris-je. Et il faudrait des dos-nu, pour passer les ailes.

L'honnêteté radicale, c'est ce qui empêche parfois les gens de vous poser des questions, et c'a l'air de plutôt bien marcher. Plutôt que d'inventer une histoire de poupée où je m'emmêlerais les pinceaux…

- Dans une heure, je pourrais vous en avoir fait deux, mais pas plus. Le reste sera prêt demain soir.

- Ça m'ira.

Je n'ai plus qu'à ronger mon frein en attendant que les robes soient prêtes. Je me plante peut-être totalement, mais tant pis, je ne peux pas la laisser sans fringues par le temps qui fait. Et puis, question classe et distinction, avoir une fille tout le temps nue dans son appartement, ça le fait pas. Même si elle fait quinze centimètres de haut.
Je fais les cent pas, pendant que le bruit d'une machine à coudre résonne dans l'arrière-boutique. Et dans le temps imparti, la femme revient, avec deux minuscules bouts de tissu dans les mains. C'est vif, coloré, exactement comme je le pensais.

- C'est extra, j'suis sûr que ça va lui plaire. Trois autres pour demain… ?

- C'est bon pour moi. Même heure ?

- Dix-sept heures, ça serait parfait. Alors, ça coûte combien, des habits de fée, si je vous règle tout… ?

- Cinquante. Mille.

Je m'étouffe et elle rit en secouant la tête.

- Je plaisante… cinquante euros, ça ira.

Nami va être obligée de les aimer. Sinon, je lui fais avaler sa sauge.
Elle me coûte aussi cher qu'un chaton, quoi. Mais elle a plus de conversation qu'un félidé, alors ça compense. Je glisse un billet à la femme et je prends le sac qu'elle me tend, en me demandant comment la petite fée va réagir quand je vais lui ramener ça.

- À demain, alors. Merci encore… !

Elle me regarde partir en souriant – je dois vraiment avoir l'air d'un gosse paumé, et légèrement cinglé et mythomane par-dessus le marché. Tant pis.

Je refais le chemin inverse en regardant la lune se refléter dans la Seine ; pourquoi est-ce qu'elle m'a demandé la pleine lune ? parce qu'elle préfère ? ou est-ce qu'il y a une raison liée à sa guérison ? je dois penser à le lui demander. Ou alors, est-ce que je ne risque pas de me montrer trop curieux… ? elle n'a peut-être pas envie de m'en parler.
Je me prends trop la tête.

À l'appartement, Nami est toujours là, sur mon oreiller. Elle regarde la lune, assise en tailleur, et démêle ses cheveux avec ses doigts.

… j'ai pas de peigne pour elle, malheureusement.

Elle tourne la tête et regarde le sachet que j'ai à la main avec intérêt et curiosité ; en souriant, je l'ouvre et je dépose les robes sur le lit, en attendant son verdict. J'ai le sentiment que ça sera quitte ou double – soit elle va adorer… soit elle va me les faire bouffer.
… on dirait que la première option est de mise. Elle prend une des robes et l'inspecte sous toutes les coutures, avant de relever le nez et de m'offrir un grand sourire. Bon point pour toi, mon vieux Luffy. C'est pas ce soir que tu mangeras de la robe.

Je me détourne pour la laisser s'habiller, et j'ouvre ma fenêtre pour vérifier si la lune est assez haute, mais on a encore un peu de temps pour ça. Le soleil est à peine couché.

Je me retourne et je la vois se tortiller pour s'observer, perplexe ; je décroche le petit miroir de ma salle de bain et je le lui apporte, pour qu'elle puise se mirer dedans. Aussitôt, elle tourne sur elle-même en souriant – coquette, on dirait. Elle me fait penser à la fée Clochette dans Peter Pan, qui ne peut pas s'empêcher d'admirer son reflet. Sauf que Nami n'a pas l'air de se trouver de défaut de hanches.

- … ça te plaît ? c'est assez joli ?

Elle acquiesce et lisse les plis de la robe, satisfaite.
Je regarde ses ailes qui retombent dans son dos, et je me demande si elle est capable de les déployer. J'aimerais les voir, mais je pense que ça doit être douloureux pour elle. On verra demain si l'onguent fera effet.

- Tu veux commencer… ?

Nami grimpe sur la main que je lui tends, et je m'assois près de la fenêtre, en frissonnant dans l'air glacé qui s'engouffre par l'ouverture. Au moins, elle n'a pas froid, lovée entre mes doigts. Je pose le pot de sauge près d'elle et elle prend l'ourlet de la robe pour la tirer par-dessus sa tête. Je la contemple sans rien dire et un coup de pied dans la phalange m'indique que c'est un comportement très déplacé – elle me foudroie du regard.

- … euh, désolé, bafouillé-je en détournant aussitôt le regard.

Je la sens s'agiter au creux de ma paume, la robe s'accroche à mes doigts et je prends mon mal en patience. Du coin de l'œil, je la vois se tartiner, mais je ne cherche pas à l'aider – la regarder nue ne passe déjà pas, alors la tripoter, hein…
Une fois entièrement recouverte de pâte de sauge, elle se recroqueville sur elle-même et contemple la lune, avec l'air d'être terriblement mélancolique. Je baisse la tête et je la regarde, en me rendant compte qu'elle n'a pas touché à ses ailes.

- … t'en mets pas dessus… ?

Elle secoue la tête, mais je suis du genre obstiné ; je trempe mon doigt dans l'onguent et, très délicatement, j'en étale sur ses ailes. Elle soupire et enfouit sa tête entre ses bras – elle doit penser que ça ne sert à rien mais moi, je veux avoir l'espoir de la voir revoler un jour. Et qui ne tente rien n'a rien, hein… ?
J'essaye d'être le plus doux possible – c'a l'air de lui faire terriblement mal, et je n'aime pas la voir comme ça. C'est dingue, mais quand j'y pense, j'aurais préféré ne jamais la voir. Parce que ça signifierait qu'elle peut encore voler.

Ou alors, elle aurait pu tomber sur bien pire que moi. Quelqu'un qui se serve d'elle comme une attraction, ou comme cobaye de laboratoire. L'image de Nami dans une cage me soulève le cœur, et je grimace en secouant la tête, moi aussi.
Non, ça n'arrivera pas. Elle restera ici autant qu'elle le voudra, et quand elle sera prête, si elle le veut, elle pourra partir. Loin de moi et du monde des hommes, parce qu'il n'y a rien pour elle, ici. Rien qu'une vie humaine.

Nami regarde la lune, toujours ; et moi… je fais ce que je peux pour ne pas trembler. Ça fait presque une heure déjà, et je me transforme en glaçon, à rester comme ça, à la fenêtre, à me peler les fesses. Mais si ça lui plaît, et qu'elle a chaud dans mes mains, alors ça me va.
Elle me jette un coup d'œil et fait la moue en me voyant glacé jusqu'aux os. Elle agite la main vers la fenêtre et je la referme, avant de ramener le pot sur le comptoir de la cuisine et de déposer la fée dans mon tee-shirt, que je vais poser près du radiateur, sous la vitre et les rayons de la lune. Elle sera bien, ici – je bouge trop quand je dors, j'ai peur de l'écraser. Et je me sentirais vraiment trop mal.

J'éteins les lumières, et je vais m'asseoir dans mon lit, en prenant mon ordinateur sur mes genoux ; elle va dormir, et moi je vais rattraper mon retard – ben, ouais, penser à une fée toute la journée, ça n'aide pas à avoir les idées claires pour suivre le cours.

Nami s'endort, on dirait ; ses yeux papillonnent, sa bouche s'étire en Ô pour bailler, et ses ailes frémissent alors qu'elle se roule en boule, toujours tartinée de sauge. J'espère vraiment que ça va l'aider, même si je reste sceptique.

Et c'est ainsi que je m'endors, moi aussi,
affalé dans mes oreillers,
mon livre d'économie plaqué sur la figure.

.