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Prologue

Edward

Installé derrière le volant de ma Volvo, je regarde avec fascination la façade de la maison de Jasper Whitlock, la fameuse Blest Idea Pacific Offshore résidence, plus connue dans le jargon architectural comme la Bipo.

Son architecte, Julian Whitlock, le père de Jasper, compte parmi les plus talentueux du monde et cette maison est un véritable bijou. Elle a été reproduite plusieurs fois mais l'originale, celle qui est sur Skyline Drive à Daly City, dans la banlieue de San Francisco reste la plus grande et la plus aboutie. L'architecte l'a d'ailleurs lui-même habitée pendant plusieurs années d'après ce que j'ai compris et n'a cessé de l'améliorer.

Je suis sur le point d'entrer à l'intérieur mais je n'ose pas. Elle m'intimide, comme si j'avais peur de ne pas voir tous les détails ou comme si après avoir vu un tel projet, j'en vienne à penser que je ne serai jamais doué pour l'architecture.

Car même si les gens autour de moi, mes professeurs surtout, sont persuadés du contraire je doute toujours. Encore plus quand je suis face à cette œuvre fascinante. C'est surement pour ça que mes professeurs m'ont nommé tuteur du première année Whitlock car ils savent à quel point j'admire le travail de Whitlock père.

Mon année qui n'avait pas très bien commencée à cause de ma famille de tarés s'annonce finalement pas si mauvaise.

Lorsque je regarde les lignes stupéfiantes de la bâtisse, je me sens tout petit devant la qualité du travail. Julian Whitlock est le maître incontesté de la villa de luxe contemporaine. Bien qu'elle ait été réalisée il y a plus de quinze ans, elle reste un modèle de raffinement et de design, la référence en matière de maison Californienne.

Ce que j'aime dans la Bipo, c'est qu'elle n'est pas du tout tape à l'œil, bien au contraire, de l'extérieur, côté rue, elle n'a pas l'air d'être une maison gigantesque. Elle est sur deux niveaux, plutôt étroits, mais c'est seulement parce qu'il n'y a que l'entrée et le garage visibles depuis cet angle. Le reste de la réalisation est noyé dans la végétation, caché par de hauts murs et comme elle descend sur le flanc de la falaise qui se jette dans le Pacifique, on ne peut deviner à quel point elle est spacieuse, pour ne pas dire immense. Il n'y a donc aucune possibilité de la distinguer dans son ensemble, sauf depuis l'océan mais la côte est trop escarpée pour accéder au contre-bas du terrain.

Je suis impatient d'entrer dans cette maison et pourtant je suis toujours assis dans ma voiture à la contempler au travers du pare-brise comme pour retarder ce moment de grâce. Car qui a l'honneur de fouler le sol d'un joyau comme celui-ci ?

Eh bien aujourd'hui c'est moi et je remercie ma bonne étoile pour ça.

Je me décide finalement et après avoir attrapé mon ordinateur – je suis venu ici pour travailler avec Jasper après tout – je me dirige vers la villa. Je traverse la petite jungle qui borde l'allée. Même la végétation a été choisie avec soin et met en valeur le bois rouge qui barde la structure en acier trempé.

A droite de la maison, je repère un chemin qui doit certainement la contourner mais il est barré par un petit portail. Je grimpe alors les trois marches en bois exotique qui mènent au perron et je sonne. Quelques minutes plus tard, Jasper m'accueille avec un chaleureux sourire.

-Salut Edward ! Quoi de neuf ?

-Salut mec ! Dis-je avec décontraction alors qu'il m'invite à entrer. Mes yeux s'ouvrent en grand et je ne peux retenir mon exaltation.

-Putain c'est trop beau ! Dis-je tout haut en découvrant l'immense séjour en contre-bas. Depuis le hall, comme sur une passerelle, la vue s'ouvre sur la salle à manger à droite, la bibliothèque à gauche et un double salon immense face aux baies vitrées gigantesques qui s'ouvrent sur une terrasse et une piscine à débordement qui semble ne faire qu'une avec le Pacifique à perte de vue.

-Ça fait toujours ça la première fois, après on s'y habitue, ricane Jasper devant mon air extatique.

-C'est incroyable !

Elle porte bien le qualificatif « Off Shore » la plate-forme principale a vraiment l'air de reposer sur l'océan. Et j'imagine que l'effet doit être encore plus saisissant l'été, quand les panneaux de verre amovibles qui entourent et couvrent la piscine sont ouverts. Pour l'instant, la terrasse ressemble à une immense serre tropicale qui fait partie intégrante du salon.

A l'angle de l'escalier suspendu à des fins câbles d'acier qu'on s'apprête à descendre, il y a une grande cuisine ultra design. Je pars à la suite de Jasper au travers du rez-de-chaussée qui est exactement comme un loft. Des vitres courent tout le long, en haut des murs et on dirait que l'étage flotte au-dessus. Je découvre le puits de lumière qui traverse les trois étages en levant la tête pour admirer la coupole de verre, sept mètres plus haut.

-Tu veux visiter ? Demande Jasper avec une certaine pointe d'ennui mais moi je ne peux pas refuser. J'ai l'impression de toucher un rêve, l'aboutissement de ce qui se fait de mieux en architecture. Comment peut-il ne pas être impressionné ? Sûrement parce qu'il vit ici depuis des années, se moque ma conscience.

-Oui, je veux bien. Je le suis dans la maison, le revêtement blanc au sol est tellement immaculé que les nuages se reflètent dedans, tout comme dans les meubles laqués qui habillent la pièce. Ça tranche parfaitement avec le teck brésilien de la charpente, du Cumaru vu la teinte rouge qu'il prend dans le soleil.

Même la décoration est époustouflante, tout à l'air d'avoir été pensé au millimètre, chaque meuble aux lignes épurées, chaque texture lisse et froide et chaque couleur vive sur les cadres accrochés aux cloisons. Et pourtant, ce n'est pas du tout impersonnel, bien au contraire, c'est chaleureux et confortable. La maison respire le bien être.

Je monte derrière Jasper les escaliers qui mènent sur la deuxième plate-forme. Celle-ci est au même niveau que l'entrée et le garage qui sont côté colline. La plate-forme, elle, fait face à l'océan et je la découvre avec émerveillement.

-Là il y a deux chambres d'amis, m'explique Jasper en m'ouvrant les portes pour que je puisse jeter un œil à l'intérieur.

Bien sûr, les pièces sont immenses, baignées par la lumière qui les inonde du sol au plafond grâce aux larges baies vitrées.

-Là, c'est la zone de ma mère, je ne peux pas te laisser entrer, mais il y a une suite avec dressing et salle de bain. Et ici,c'est son bureau. Il me désigne la porte en face.

-Elle est ici ? Je demande avec curiosité. Ça serait intéressant de voir à quoi ressemble l'ex-femme de Julian Whitlock.

-Non, elle bosse, elle n'est pas souvent là dans la journée.

Jasper monte un nouvel escalier suspendu et on gagne la troisième plate-forme. Celle-ci donne sur l'océan et sur la rue, traversée en plein milieu par le trou de lumière.

-Ici il y a ma chambre et deux autres chambres d'amis, m'explique-t-il en m'entraînant vers son territoire.

J'entre dans la pièce intime de Jasper avec ce même air fasciné. La décoration est comme dans le reste de la maison, épurée mais chaleureuse. La large terrasse attenante surplombe le plafond de verre de la piscine et plus loin, la vue sur le Pacifiqueest incroyable. Je me penche contre le garde-corps en verre.

-T'as déjà sauté d'ici ? Ris-je en regardant l'eau juste en dessous.

-Ça se fait l'été ! Sourit-il énigmatique en haussant les épaules. Je comprends que c'est quelque chose dont il est fier mais comme c'est une idée complètement stupide vaut mieux qu'il ne s'en vante pas.

-Bon voilà, t'as fais le tour ! Qu'est-ce que tu en penses ?

-Elle est incroyable, je voudrais avoir le quart du talent de ton père !

-Oui, il est fort, c'est certain. Soupire-t-il un peu blasé. J'ai envie de le secouer mais je m'abstiens. En ce moment il est à Dubaï, ajoute-t-il, il fait la tour pour le Four Seasons. Je sens enfin une pointe de fierté dans sa voix.

-Impressionnant ! Ce doit être un sacré boulot !

-Ouais, tiens regarde, c'est les photos du projet. Jasper s'approche, une pochette plastifiée dans les mains.

Je regarde les clichés des différentes reproductions en trois dimensions.

-On a encore du boulot avant d'arriver à faire ça ! Ris-je en contemplant le haut building. Jasper acquiesce et me montre encore quelques représentations. Whitlock étant un de mes architectes préférés je connais la plupart des réalisations que me montre Jasper, mais néanmoins c'est un plaisir d'en discuter avec lui.

Je sais que Jasper est plus intéressé par les bâtiments commerciaux et industriels mais il connaît vraiment bien les projets du prestigieux cabinet de son père. C'est d'ailleurs étonnant qu'il en parle avec autant détachement. J'imagine que si j'étais passionné de médecine, je serais super fier d'avoir comme père le meilleur chirurgien cardiaque de San Francisco. Mais Jasper ne semble pas se rendre compte du talent de son père et à quel point il est une référence dans le milieu.

-Comment il est ? La question me brûle les lèvres.

-Comment ça ?

-Ton père, dans la vie de tous les jours, comment il est ? Humainement parlant.

-Il est complètement dingue ! Rit Jasper en se laissant tomber dans un large fauteuil. Il dort trois heures par nuit, travaille quatorze heures par jour et le reste du temps il fait la fête et se tape des femmes. Pas vraiment un modèle paternel tu vois.

-Tu ne l'apprécies pas ?

-Si ! J'adore mon père, il est juste un peu cinglé et pas vraiment présent. On ne peut pas trop compter sur lui.

Je comprends ce qu'il dit, je sais ce que ça fait de ne pas pouvoir compter sur quelqu'un.

Je continue à tourner dans sa chambre le temps qu'il sorte ses cours. Je regarde les quelques photos accrochées au mur, des souvenirs d'enfance pour la plupart. C'est assez amusant.

Un portrait assez récent attire mon attention. La photo a été prise dans les bois, Jasper ne porte qu'un short en toile jaune et il tient dans ses bras une créature absolument magnifique. Si lui est de face, la jeune femme brune est de profil et s'accroche à son cou comme si elle venait ou allait lui faire un bisou. Elle n'est pas très grande puisqu'elle lui arrive à peine à l'épaule mais elle a des formes à tomber par terre. Des longues jambes très fines, un ventre plat, des seins ronds, bien hauts et elle possède aussi un minois parfaitement adorable. Elle porte un bikini violet qui contraste avec le teint clair de sa peau.

Putain, le veinard… me dis-je intérieurement en détaillant la jeune femme, ses longs cheveux bruns brillants qui tombent dans le bas de son dos, sa cambrure magnifiquement dessinée mais surtout et encore, ses longues jambes.

-Qu'est-ce que ça fait d'avoir de si belles jambes enroulées autour de la taille ? Il se retourne vivement, ne semblant pas comprendre de quoi je parle. Je ris en pointant la magnifique femme sur la photo.

Le regard qu'il me lance me coupe immédiatement l'envie de rire. Visiblement, il ne faut pas plaisanter avec elle. Je ne comprends pas bien pourquoi, d'habitude on déconne facilement sur les femmes. Je vais pour ouvrir de nouveau la bouche et lui demander ce qui cloche avec elle mais son regard glacial me dissuade de continuer dans cette voie.

-C'est ma mère ! Lâche-t-il froidement.