Je passe en coup de vent pour vous proposer un happy end !
J'erre.
Tout est blanc autour de moi. Un blanc luminescent, uniforme. Il n'y a ni fin, ni début, ni contour.
Juste ce blanc.
J'ignore si je tombe, si le flotte, si je marche. Je ne me sens pas bouger. Suis-je seulement ? Quand je baisse les yeux sur mes mains, je ne rencontre que le blanc. Infini.
Vais-je rester encore longtemps au milieu de cette immensité ? Le temps s'écoule-t-il, d'ailleurs ? Je me sens seule, c'est insupportable. Y a-t-il quelqu'un pour me sauver ?
J'essaye de hurler, mais ma gorge ne vibre pas, aucun son ne me parvient. Est-ce cela, l'éternité, est-ce cela, la mort ? Je n'en veux plus, sortez-moi de là !
Je ne peux même pas fermer les yeux pour échapper à ce foutu blanc. Où suis-je ? Dans son esprit ? Ailleurs ?
Je reste là, longtemps. Ou peut-être seulement un bref instant.
Je sais juste que quelque chose vient de changer. A peine une impression, même pas une certitude. Je lève le regard et le vois.
Il est aussi perdu que moi, craintif, apeuré. Autour de nous, un kaléidoscope d'images dément se met en marche, nous jetant à la figure que nous avons été, que nous ne sommes plus, que nous n'avons jamais existé.
Ces images… Des larmes me viennent aux yeux. Je les vois tous, même lui, mon créateur, celui grâce à qui j'ai existé, vécu, ri, celui qui m'a aussi détruite. J'éprouve envers lui un mélange d'amour et de haine, de reconnaissance et d'amertume.
Je me vois, nous vois, en train de rire, de nous disputer, de nous déchirer, de nous réconcilier. Je vois nos erreurs, nos réussites. Je peux embrasser toute mon existence d'un seul regard, et c'est douloureux. Nos vies sont si fragiles, si infimes.
Cela en valait-il la peine ? Toute une existence, tant de chagrins, de désespoirs, de larmes, de cœur malmené, pour en arriver là, seule, dans ce blanc infini, hantée par ce que j'ai été et ne serais jamais ? Cela compense-t-il nos rires, nos joies, nos frissons ardents ?
Je n'en suis pas sûre.
Je tourne mon regard vers lui. Lui aussi regarde, larmes aux yeux. Qu'il est étrange que je puisse le discerner, alors que mes mains me sont invisibles. Alors, très cher ? Toi qui a la science infuse, peux-tu me dire si tout cela en valait la peine ?
Mens-moi, je t'en conjure. Dis-moi que oui, convainc-moi. Rassure-moi, prétend que la vie est belle, qu'elle vaut tous les blancs du monde. Dis-moi que cette douloureuse absence de couleur est préférable aux ténèbres. Dis-moi qu'exister vaut mieux que de ne jamais avoir vu le jour.
Nous vivons pour mourir, et c'est triste. Papillons dans la nuit, nous mourrons en silence, sur la flamme ardente qui nous attend toujours au tournant.
Je sais que je ne suis pas la plus maligne, mais finalement, tu ne pourras pas me convaincre. D'ailleurs, me vois-tu ? Es-tu aveugle, toi aussi ?
Tourne les yeux vers moi !
Enfin, tu me vois. Je vois tes yeux s'agrandirent derrière tes lunettes, une flamme de soulagement teinter la tristesse qui les embue. Je tends la main vers toi, et tu fais de même. Je brûle d'envie de te toucher, de sentir ta présence, ta chaleur. Ce blanc me glace jusqu'à l'âme.
Dis-moi, malgré que nous ne soyons que mensonges, avons-nous une âme ? Mathieu nous en a-t-il donnée une ? Répond-moi que oui, je t'en supplie.
« Oui »
Sont-ce des larmes que je sens couler sur mes joues ? Est-ce bien ta voix que j'ai entendue ? Tu as la bouche entrouverte, comme pour parler, et tes yeux s'efforcent de me rassurer. Je pense que je vais te croire.
« Si nous n'avions pas d'âme, nous ne serions pas ici »
Tu détourne le regard, observe les images qui continuent de nous persécuter. Tu es envoûté, blessé par celles-ci. Fasciné, tu les contemple. Qu'y vois-tu, toi ? Que tu ne finiras jamais tes expériences, peut-être. Moi aussi, j'y vois de l'inachevé. Alors, dis-moi, cela en valait-il la peine ?
« Je l'ignore »
Tu admets ton ignorance. Devons-nous en avoir peur ? Tu hausses les épaules, me regarde de nouveau. Je veux te toucher. Comment faire ?
« Je… je ne sais pas »
Peut-être faut-il y croire. S'imaginer en train d'avancer. Je pense que je vais essayer.
« Moi aussi »
Inspiration.
Expiration.
Me voilà tout près de toi. Une vague de soulagement et de bonheur brouille la terreur qui m'habitait depuis ma naissance dans cet univers blanc. C'est pareil pour toi, je le vois dans ton regard. Il est bleu délavé, je ne m'en étais jamais aperçu.
« Le tien tend vers le saphir, je dirais »
Sauf que ça n'a pas de sens… Le saphir à bien des teintes.
« Je trouvais ça poétique… »
Ça l'est, ça l'est.
« Le lagon ? »
C'est plus précis. J'aime bien. Si on fait dans la poésie, alors nous pouvons dire que tes yeux ressemblent à un ciel d'hiver. Un ciel d'hiver bleu. Bleu froid.
Le kaléidoscope s'emballe. J'ai peur.
« Moi aussi »
Je veux te toucher, prendre ta main dans la mienne. Ce n'est plus une envie, c'est un besoin vital, viscéral. Je ne veux pas risquer de te perdre, me retrouver à nouveau seule dans ce banc fendu d'images démentes.
Il suffit d'y croire, dit-on.
Nos mains se heurtent, nos doigts s'entrelacent. C'est triste, non ? Nous n'avons jamais pu nous supporter. C'est dans notre fin que nous trouvons une entente. Mathieu est-il à notre image, brisé en éclats s'entrechoquant violement sans jamais s'unir ?
« J'aurais voulu être là pour ta fin »
Moi aussi. Moi aussi.
Ne me lâche pas.
« Ne me lâche pas non plus »
Quelque chose change à nouveau. Une impression, encore. La sens-tu ?
« Oui »
Différente de la première, mais tout aussi salvatrice. Car sous mes pieds, je sens une surface. Je baisse le regard, et y voit de l'herbe d'un vert éblouissant. Mon cœur déraille.
Je relève les yeux, vois un ciel pâle, un soleil doux, une plaine parsemée d'arbres et zébré d'une rivière. Est-ce cela, le Paradis ?
« Nom de Zeus ! »
Je pense que tu n'en sais rien, et j'en ris. Et mon rire sort de ma gorge, vient à mes oreilles. J'entends ! Je parle ! Je ne me contente plus de penser !
- Nom de… de… Zeus !
Et j'entends ta voix ! Ce sont des larmes de joie qui me viennent, maintenant. J'entends, je parle, je touche et mes mains, enfin, je vois. Nous sommes accrochés l'un à l'autre, comme à une bouée dans une tempête, deux parties d'un seul être qui tentent de ne plus se déchirer.
Tu pleures aussi, tu frissonne de bonheur, presse mes mains entre tes doigts. Après le blanc et les images maléfiques, nous trouvons ici le soulagement qu'aurait dû nous apporter notre fin.
Tu me regarde, souris follement, ôtant ce masque de scientifique froid que je t'avais toujours vu. Et tu ris, toi aussi.
J'ignore ce que nous révélera cet univers. J'ignore si tout cela en valait la peine. J'ignore si Mathieu va bien. J'ignore, enfin, si nous sommes plus que de simples papillons dans la nuit.
Tout ce que je sais, c'est que je ne serais plus jamais seule.
Ça vous a plu ?