Disclaimer : L'univers de Kuroko no Basket que vous reconnaitrez aisément appartient à Tadatoshi Fujimaki. L'auteur ne retire aucun profit de son utilisation si ce n'est le plaisir d'écrire et d'être lue.

Résumé : l'histoire se déroule dix ans après la fin de leurs études au lycée. Les plus jeunes des personnages ont donc maintenant vingt-huit ans et sont entrés dans la vie active. La vie sépare bien souvent les amis, mais parfois leurs chemins se croisent à nouveau…

J'espère que ça vos plaira. Bonne lecture. ^^


Chapitre 01 – Une journée inoubliable.

Le premier niveau du parking souterrain de l'hôpital Asoka était réservé au personnel. On ne pouvait y accéder qu'avec un badge collé dans un coin du pare-brise. La grille s'ouvrit et Kuroko se dirigea vers un emplacement libre. Une fois sa voiture garée, il prit les escaliers qui débouchaient à l'accueil du service des urgences où il travaillait depuis maintenant quatre ans. Il aurait pu prendre l'ascenseur, mais un peu d'exercice ne faisait pas de mal. Surtout qu'il ne s'agissait que de l'équivalent de deux étages. Il ne prenait son poste que dans une demi-heure, mais il préférait arriver avant. Ainsi il avait le temps de prendre la température des urgences, de dire bonjour à ses collègues, de boire un café et de se changer. A sept heures tapantes, il releva le responsable de nuit qui le briefa rapidement sur les patients arrivés pendant sa cession. Un coma éthylique, un traumatisme crânien suite à un accident de voiture sans trop de gravité, un cas de gastro-entérite aigue sur un enfant de cinq ans, deux blessures à l'arme blanche pendant une bagarre dans un bar d'où la présence de trois policiers. Une nuit plutôt calme, si l'on peut dire. Surtout si l'on considérait que certaines étaient beaucoup plus chargées.

Il consulta rapidement les dossiers avec la force de l'habitude et pour l'instant, il n'y avait rien à signaler. Les choses suivaient leur cours. Vers neuf heures, les secouristes amenèrent une femme enceinte qui venait de perdre les eaux à un mois de son terme, alors qu'elle allait faire quelques courses après avoir laissé sa fille à la maternelle. C'est du moins ce qu'elle avait expliqué aux pompiers.

Kuroko la prit immédiatement charge et fit appeler l'obstétricien de garde. Son ancien entraineur quand il jouait au basket au lycée, Riko Aida. La première fois qu'ils s'étaient croisés, cela remontait à quatre ans maintenant, ils étaient tombés dans les bras l'un de l'autre. Riko était en obstétrique et lui venait de changer d'hôpital pour se rapprocher de chez lui. Sa demande avait été acceptée et il poursuivait son internat dans cet établissement. Au début, il pensait qu'il choisirait une spécialité, mais plus le temps passait et moins il arrivait à choisir. Il voulait juste aider les gens. S'il tombait sur un cas difficile, il faisait appel à un spécialiste, et à chaque fois, il apprenait un peu plus.

Après avoir installé la jeune femme, il l'examina soigneusement du temps que le gynécologue arrive. La patiente était jolie sans être belle. Elle ne devait pas avoir plus de trente ans et ne semblait pas particulièrement inquiète. L'expérience d'une première grossesse certainement. Son col n'était pas dilaté et l'enfant n'était pas placé correctement. Au lieu d'avoir la tête en bas, il était en travers. De deux choses l'une : soit le bébé se mettait dans le bon sens et on pouvait envisager de déclencher un accouchement par voies basses, soit il ne bougeait pas et il fallait alors songer à une césarienne. Maintenant que la poche des eaux était percée, le temps était compté.

- Bon diagnostic, Kuroko, le complimenta Riko. On va la surveiller. Le bébé peut se tourner à tout moment. Si c'est le cas, on déclenchera le travail. Si d'ici deux heures rien ne s'est passé, on la mènera au bloc. Sa famille est prévenue ?

- Elle a donné le téléphone de son mari et on l'a appelé.

- Bon travail. Je la laisse sous ta surveillance. Quoiqu'il se passe, tu me bipes.

- Très bien.

Finalement, moins d'une heure plus tard, le monitoring montra que le cœur du bébé battait irrégulièrement. Le jeune interne bipa Riko qui décida d'une césarienne sans plus attendre. Il attendit patiemment des nouvelles du bloc en faisant le tour de ses patients. Une ambulance amena une urgence cardiaque. Le pompier précisa que pendant le trajet, l'homme de soixante-neuf ans avait fait deux arrêts du cœur mais ils avaient réussi à le récupérer. Immédiatement le malade fut placé dans un box et Kuroko donna ses ordres que le personnel exécuta sans discuter. Personne ne discutait ses consignes. Il était calme, posé, il parlait vite mais clairement et n'avait jamais besoin de se répéter. Lui d'ordinaire si discret, dans ces moments-là, il captait l'attention de tous.

- On l'a stabilisé, dit-il enfin. Appelez la cardiologie et dites-leur que cet homme aura certainement besoin qu'on lui pose des stents au minimum.

- Oui, docteur.

Après s'être assuré que son patient était orienté dans le bon service, il décida de prendre cinq minutes pour boire un café et manger un petit gâteau. La salle de pause était confortable et ne ressemblait pas au reste du service. Elle était plus chaleureuse. Il y avait une table entourée de six chaises, un évier flanqué d'un plan de travail sur lequel il y avait une cafetière, une bouilloire, un four micro-ondes et, à côté, logé dans l'espace restant, un frigo. Au-dessus de l'évier, trois meubles muraux renfermaient des verres, des tasses, quelques assiettes et couverts, le café, le thé, le chocolat, le sucre, le liquide pour la vaisselle et deux éponges. Contre deux des murs, le personnel avait installé deux canapés qui servaient à faire un somme quand le besoin s'en faisait sentir. Entre les deux, un petit meuble bas soutenait une télévision. Trois plantes vertes agrémentaient l'endroit et les deux fenêtres ornées de barreaux en acier ouvraient sur la cour d'accueil des ambulances. On aurait pu croire que ce n'était pas vraiment silencieux, mais le double vitrage atténuait fortement les bruits extérieurs. Plus d'une fois, Kuroko avait réussi à s'endormir d'un profond sommeil sur l'un des canapés.

Il terminait son breuvage chaud quand il entendit les sirènes des camions de pompiers de la caserne voisine. Une collègue urgentiste comme lui, informa le service qu'il y avait un incendie dans un hôtel à quelques rues de chez eux et qu'il fallait s'attendre à recevoir les premiers blessés. Immédiatement le service se mit en branle. Il fallait pouvoir libérer les box occupés dans la mesure du possible tout en continuant à veiller sur les personnes présentes et celles qui attendaient qu'on s'occupe d'elles. Tout le personnel présent fut réquisitionné et en quinze minutes, ils étaient prêts à recevoir les premiers blessés. Tout en ne cessant de surveiller les patients, Kuroko réfléchissait à tous les cas qu'ils allaient pouvoir rencontrer. Un incendie dans un hôtel… Des intoxications par la fumée, des brûlures, des cas de stress, de peur peut-être même d'hystérie, éventuellement des entorses ou des fractures au niveau des jambes et des pieds. Ils avaient tout prévu. Du moins l'espérait-il. Dans ce genre de circonstance, tout et n'importe quoi pouvait arriver et le personnel était prêt à parer à toutes éventualités, mais le stress restait le pire ennemi. Un geste hésitant, un doute et c'était la vie d'une personne qui pouvait s'éteindre. Mais ce qui allait se passer, Kuroko n'y était absolument pas préparé.

Les premiers blessés arrivèrent environ une demi-heure après que les camions de pompiers soient passés. Pour la plupart il s'agissait de personnes qui avaient pu rapidement sortir de l'hôtel et qui étaient venues à pied, légèrement incommodées par la fumée et très effrayées. Elles furent immédiatement mises sous oxygène et décontractant. Les sirènes de la première ambulance résonnèrent dans la cour. Les secouristes sortirent le brancard.

- Jeune femme, trente-deux ans, double fracture ouverte tibia-péroné, annonça le pompier. Tension quinze-huit. On a arrêté l'hémorragie, elle est sous antidouleurs en intraveineuse.

- On y va, box quatre, décida Kuroko. Appelez le bloc et un chirurgien orthopédiste !

Immédiatement, infirmières et infirmiers prirent la patiente en charge.

- Comment ça se présente ? demanda le jeune médecin aux pompiers qui terminaient de remplir le dossier.

- Mal. C'est un vieil immeuble, rien n'est aux normes. On pense à un court circuit électrique, expliqua le premier.

- Ils ont camouflé la décrépitude en mettant du tissu sur les murs, poursuivit le second. Mais en brulant les matériaux dégagent des fumées très épaisses et très toxiques. Ça va être un enfer pour les pompiers.

- Combien d'étages ?

- Une dizaine je pense, reprit le premier secouriste. Pour l'instant, ils essaient de faire en sorte que ça ne s'étende pas aux bâtiments voisins mais il va falloir qu'ils aillent explorer le moindre recoin pour trouver d'éventuels survivants.

- Combien de casernes ?

- La vingt-trois était la première sur les lieux. La trente-huit, la neuf et la onze. Pour l'instant… Aller ! On y retourne.

La valse des ambulances continua et s'intensifia. Les premiers cas de brulures sérieuses arrivèrent deux heures après l'alerte. Il s'agissait de clients qui se trouvaient dans les étages les plus hauts et qui avaient mis plus de temps à sortir puisque les ascenseurs étaient hors-service. Et enfin les cas d'intoxication par les fumées. Certaines personnes étaient gravement atteintes. Non seulement leur sang était saturé de toxines mais quelques-unes avaient les poumons brûlés d'avoir respiré des fumées trop chaudes. C'était le branle bas de combat. Le service des urgences arrivait à saturation bien que les deux autres hôpitaux du secteur aient pris le relais.

Kuroko ne savait pas combien de temps s'était écoulé depuis l'arrivée du premier blessé. Il accomplissait mécaniquement des gestes appris et répétés un nombre incalculable de fois tout en essayant d'y mettre un maximum d'humanité. Il n'était pas non plus un robot sans état d'âme. Au bout de quelques heures, l'état d'alerte sembla se calmer. Les ambulances se faisaient moins nombreuses mais dans le ciel, il y avait toujours un épais nuage de fumée que l'on devinait lourde et dense rien qu'à sa couleur d'un gris anthracite. Il y avait déjà trois pompiers chez eux et qui sait combien d'autres dans les établissements voisins.

Un quart heure. Quinze minutes qu'aucune ambulance n'était venue. C'est à ce moment qu'un dernier cas se présenta. Du véhicule de secours, il vit sortir un brancard. Rien d'exceptionnel. Les deux secouristes le poussaient. Comme d'habitude. Un pompier les aidait. Curieux mais pas inhabituel. Probablement un coéquipier du blessé. Il avait encore sur le dos ses bouteilles d'oxygène et son masque pendait sur sa poitrine. Son visage était noir de poussières et de suie. Pas étonnant. Mais quelque chose alerta Kuroko. Etait-ce la voix du pompier ? Son attitude un peu brusque ? Ou bien ses deux prunelles d'un rouge sombre qui le dévisagèrent avec une expression d'extrême surprise.

- Homme, vingt-huit ans, intoxication par les fumées. Arrêt cardiaque de quelques secondes. Pouls, cent vingt, tension neuf-six.

- Kuroko ? fit le pompier.

- Kagami… Qu'est-ce que tu fais là ?

- C'est… C'est Aomine !

- Quoi ?

- Je l'ai trouvé évanoui au neuvième étage. Un homme à côté de lui portait son masque, il a dû lui donner de l'oxygène.

- Mais ce n'était pas suffisant. On vient de perdre un patient empoisonné par les fumées.

- Je sais pas depuis combien de temps il était là mais, il est resté conscient quelques secondes avant de s'évanouir. Je crois qu'il m'a pas reconnu.

- Tiens, lui dit le médecin en lui tendant une carte. Envoie-moi un message avec ton nom. J'aurai ton numéro et je te tiens au courant.

- D'accord… Hé, l'interpella-t-il alors que son ancien coéquipier s'éloignait, sauve-le. Je t'en supplie sauve-le. Il a sauvé cinq personnes en défonçant un mur à la hache.

- Je ferai tout ce que je peux, je te le promets, répondit Kuroko, surpris par la détresse qu'il lisait dans les yeux de son ancienne lumière.

Il partit rejoindre Aomine et Kagami se laissa tomber sur un siège de la salle d'attente. Pris d'un vertige, il respira dans son masque. Lui aussi avait inspiré de la fumée. Son chef allait certainement l'envoyer faire un bilan médical complet comme le voulait la procédure mais il détestait ça. Kuroko…


Dix ans. Dix ans sans aucune nouvelle. Kagami était reparti aux Etats-Unis avec son père. Ils avaient bien échangé quelques mails pendant plusieurs semaines et puis plus rien. Qu'était-il devenu ? Devant lui, il voyait le visage d'Aomine. Il le regardait, incrédule. Etait-ce bien lui ? Après le lycée, chacun était parti de son côté. Que ce soit ses anciens coéquipiers de la Génération des Miracles ou ceux de Seirin. Les études, la vie les avait séparés. Ils avaient plus ou moins gardé le contact, mais sans plus. Pour finir par se perdre complètement de vu. Il savait qu'Aomine avait fait des études de chimie, Akashi de psychologie, Kise faisait une remarquable carrière de mannequin entre l'Amérique et l'Europe, Midorima… Midorima, il n'en savait rien. Murasakibara non plus. Riko était obstétricienne et elle avait épousé Hyuga, leur capitaine à l'époque. Kiyoshi était devenu kinésithérapeute. Sa blessure au genou l'avait énormément sensibilisé à ce genre de traumatisme chez les sportifs et il avait décidé qu'il pouvait les aider en leur évitant de peut-être commettre la même erreur que lui. Mais comment Aomine était-il passé de la chimie à pompier ? Et Kagami ? Depuis quand était-il revenu au Japon ?

Ils avaient réussi à déshabiller Aomine et Kuroko poursuivit son examen. Aucune blessure si ce n'est quelques contusions pour s'être probablement cogné dans les murs et les meubles de l'hôtel. Il respirait avec difficultés et Kuroko décida de l'intuber. Il lui fallait de l'oxygène à tout prix ! Et des produits qui aideraient son corps à se débarrasser des toxines. Au bout d'une demi-heure de lutte, il comprit qu'il ne pouvait rien faire de plus. Aomine était stabilisé mais inconscient. Pris d'une subite intuition, il attrapa la lampe qu'il avait toujours dans la poche, souleva une paupière et… cette couleur, le bleu si particulier de ses iris… La pupille dilatée ne réagissait presque pas. Aomine sombrait dans le coma. Pas un coma profond duquel on ne revient pas, non. Mais c'était toujours inquiétant. Le cerveau se déconnectait pour permettre aux fonctions physiologiques de mieux faire leur travail. Un coma léger mais qui ne devait pas durer trop longtemps au risque de devenir dangereux.

- On le met en réa, dit-il en ôtant ses gants en latex pour les jeter dans la poubelle.

Il regarda les infirmières pousser le lit et soupira, inquiet. Un café. Il avait besoin d'un café. Il se dirigea vers la salle de repos du personnel non sans s'être assuré auparavant que tout allait bien pour les autres patients. Assis devant sa tasse, il avait le regard vide. Le regard de quelqu'un plongé dans ses souvenirs. Une vibration dans sa poche le fit sursauter. Un sms.

De inconnu :

C'est Kagami. Alors Aomine ?

Immédiatement, il enregistra le numéro dans ses contacts et répondit.

De Kuroko :

Intox sévère par les fumées. Coma léger. J'ai fait tout ce que j'ai pu. Maintenant, ça dépend de lui.

De Kagami :

Ok. Appelle-moi quand tu as fini de bosser.

De Kuroko :

Demain à sept heures.

De Kagami :

Je suis au repos forcé pendant trois jours. Je t'appelle en fin de journée quand tu auras dormi.

De Kuroko :

Non, je t'appelle. Comme ça tu ne risqueras pas de me réveiller. :)

De Kagami :

Ok. A demain.

De Kuroko :

A demain.

Il referma le clapet de son téléphone et termina son café. De l'accueil, il appela le service de réanimation pour avoir des nouvelles d'Aomine. L'infirmière le fit patienter puis l'informa qu'il n'y avait pas de changement. Au moins, ça ne s'aggravait pas songea-t-il en la remerciant. Il dit à son collègue qu'il s'absentait une dizaine de minutes et monta en obstétrique. Riko était avec une maman et il attendit qu'elle eût terminé pour lui expliquer ce qu'il venait de se passer.

- Kagami et Aomine ? s'écria-t-elle, surprise. J'espère qu'Aomine va s'en sortir.

- Ça dépend de lui et de sa volonté de vivre, murmura Kuroko en baissant la tête.

- Il s'en sortira, le rassura-t-elle. C'est un battant. Tu l'as déjà vu baisser les bras ?

- Non, c'est vrai. Mais tu sais aussi bien que moi que la volonté ne suffit pas toujours.

- Oui, mais lui c'est un démon, sourit-elle.

- Bon, j'y retourne. Comment va la maman amenée aux urgences ce matin ?

- Tout va bien, lui dit Riko en posant une main sur son épaule. On a fait une césarienne et elle a un petit garçon de deux kilos neuf cents en parfaite santé. Le trouble du rythme cardiaque était dû au fait que le liquide amniotique ne se renouvelait pas assez vite mais on est intervenu à temps. Tout est rentré dans l'ordre.

- Tant mieux. A plus tard.

- D'accord.

Après avoir regagné sa caserne, Kagami se débarrassa de son équipement et aida ses collègues à ranger et nettoyer le matériel. Comme il fallait s'y attendre, son chef lui imposa trois jours de repos avec obligation d'un bilan médical complet. Il détestait ça, mais c'était la procédure alors il s'y plia. Il se rendit dans un centre médical qui s'occupait, entre autres, des bilans des pompiers, en se disant que plus vite se serait fait, plus vite il serait tranquille. Après quoi, il rentra chez lui. Ça ne lui avait pris que trois heures environ. Radio des poumons, prise de sang, test d'effort et d'endurance. Les résultats lui seraient transmis par mail ainsi qu'à son chef et aux médecins de la caserne qui, en fonction de ceux-ci, décideraient s'il pouvait reprendre son service ou pas.

Il sortit de la douche et chercha un jus de fruit dans le frigo. Il s'installa sur le canapé du salon et envoya un sms à Kuroko pour avoir des nouvelles d'Aomine. Ce n'était pas rassurant mais le médecin ne semblait pas trop inquiet. Normalement, Kuroko n'aurait pas dû lui donner d'informations, mais il s'agissait d'un ancien collègue, un ancien adversaire, un ancien rival.

Tout était donc si ancien ? Kagami n'avait jamais réalisé que tant de temps s'était écoulé depuis leur diplôme au lycée. Ou plutôt, rien ne l'avait poussé à se pencher sur la question. Fallait-il en conclure que depuis tout ce temps, rien de remarquable ne s'était produit dans sa vie ? Quand il y pensait, il avait l'impression de tout ce qu'il avait vécu à l'époque s'était produit quelques semaines auparavant seulement. Mais ça faisait dix ans. Rien de ce qu'il avait fait pendant ce laps de temps n'arrivait à prendre le pas sur les souvenirs qui affluaient à sa mémoire comme un raz-de-marée. Il fut surpris de leur précision. Un tintement le sortit de ses pensées. Un mail du centre médical. Ses résultats étaient bons, rien à signaler mais il fallait qu'il se surveille. Comme d'habitude. Aucune contre-indication concernant la reprise de travail. Il reçut un sms de son chef qui lui ordonnait de rester au repos pendant deux jours encore. Bon. Le chef a toujours raison, n'est-ce pas ? Il fut pris d'une irrésistible envie. Ou un besoin. Il s'habilla d'un survêtement et d'un t-shirt, prit son ballon de basket et descendit se défouler sur un terrain à cinq minutes de chez lui. L'inactivité, ce n'était pas son genre. Et puis transpirer l'aiderait à se débarrasser encore plus vite des toxines qu'il avait encore avoir dans le corps. Kuroko avait dit qu'il l'appellerait quand il aurait fini sa garde et qu'il aurait dormi. Il devait attendre jusqu'au lendemain après-midi au moins. Il était presque minuit lorsqu'il rentra chez lui, épuisé. Il prit une douche et s'effondra sur son lit plongeant dans un profond sommeil sans rêves.

Kuroko termina sa garde en faisant un dernier tour auprès des patients en compagnie de celui qui allait reprendre le service pendant son repos. Il n'y avait pas de cas problématiques, mais tous demandaient une surveillance attentive et régulière. Avant de partir, il se rendit au service de réanimation où se trouvait Aomine. Le médecin en poste lui dit qu'il n'y avait aucun changement. La saturation de son sang en oxygène était encore insuffisante, mais meilleure que lorsqu'il était arrivé. Ce qui semblait être une bonne chose. Il lui demanda de l'avertir immédiatement si quelque chose changeait, en bien ou en mal, arguant qu'il s'agissait d'une très veille connaissance, un collègue de lycée. Le médecin, compréhensif, acquiesça.


Arrivé chez lui, Kuroko se glissa sous la douche. L'eau chaude le détendit et il laissa ses pensées dériver. S'envoler vers un passé heureux, insouciant. Si la veille, quelqu'un lui avait dit qu'il retrouverait ses deux anciennes lumières dans des circonstances aussi inattendues, il aurait éclaté de rire. Kagami et Aomine… Que leur était-il arrivé à ces deux-là pour qu'ils soient devenus pompiers ? Il ne pouvait s'empêcher de les revoir sur un terrain de basket, aussi acharné l'un que l'autre à faire gagner leur équipe. L'un ayant compris l'importance du jeu d'équipe, l'autre ne jurant que par l'individualisme. Deux monstres de combativité que personne ne pouvait arrêter une fois qu'ils étaient lancés. Deux hommes qui avaient marqués son adolescence au fer rouge. Deux hommes avec qui il s'était créé des souvenirs qui valaient tous les trésors du monde. Deux hommes pour qui il avait toujours ressenti des sentiments très forts, des sentiments étranges, ambigus. Il en avait déjà conscience à l'époque et alors qu'il pensait avoir dépassé tout ça, qu'il croyait tout cela enfoui profondément dans un lointain recoin de sa mémoire, tout refaisait surface avec une brutalité incroyable. Un psy lui aurait certainement dit que c'était parce que cette période de sa vie était d'une importance quasi vitale pour lui et que c'était la raison pour laquelle c'était si fort.

Il mangea un morceau et se coucha pour se réveiller vers quinze heures. Il n'avait pas particulièrement bien dormi. Des rêves où il jouait au basket avec ses deux lumières et à la fin desquels il les voyait s'éloigner de lui. Il avait beau courir, il ne les rattrapait pas. Il avait la tête lourde et avala une aspirine. Puis il fit ce qu'il avait promis et appela Kagami. Il espérait qu'il ne le dérangerait pas.

- Kuroko ?

- Bonjour Kagami. Comment tu vas ?

- Ça va. J'ai fait mon bilan, tout va bien.

- Tant mieux.

- Et Aomine ?

- Stable. Sa saturation est remontée, il semble être sur la bonne route.

- Et le coma ?

- S'il continue à remonter la pente, il en sortira très vite.

- Et l'homme qui était avec lui ?

- Décédé. Il avait certainement respiré beaucoup de fumée avant qu'Aomine ne le trouve. On n'a rien pu faire. Vous avez des blessés à la caserne ?

- Trois gars, mais rien de grave. Le plus atteint c'est Aomine.

- Vous êtes dans la même ?

- Non, je suis de la trente-huit et lui de la vingt-trois. Si je passe à l'hosto, on me laissera le voir ?

- Oui, bien sûr. Tu veux qu'on y aille ensemble ?

- Ça me ferait plaisir, répondit Kagami après une seconde d'hésitation.

- Je prends ma prochaine garde demain matin à sept heures. Tu n'as qu'à passer dans la journée et je t'accompagnerai.

- D'accord… Dis…

- Oui ?

- Tu… tu serais libre pour boire un verre ce soir ? Ou un café ? Vers huit heures.

- On pourrait manger un morceau, proposa Kuroko sans réfléchir.

- Bonne idée. Il y a un snack près d'Asoka.

- Le Road 66 ?

- C'est ça. A huit heures ?

- D'accord. On se retrouve là-bas. A tout à l'heure.

- A tout à l'heure…


Assis face à face, les deux hommes se regardaient, un peu gênés et ne sachant pas trop quoi dire. Il y avait assez de bruit dans le snack pour que personne ne les entende discuter. Ils avaient choisi un coin reculé, loin du bar et du passage des deux serveuses.

- J'ai imaginé tout ce que je pourrais dire, commença Kagami, et maintenant je…

- Moi c'est pareil, sourit Kuroko en buvant une gorgée de sa bière.

- Dix ans… C'est long quand même…

- Pourquoi tu n'as plus répondu à mes mails ?

- Je ne sais pas… A chaque fois je devais me dire que j'allais le faire, que je devais le faire, et puis… je ne le faisais pas… et le temps a passé…

Kuroko avait observé son ami alors qu'il arrivait devait le snack. Il n'avait pas vraiment changé. Peut-être était-il un peu plus grand ? Ou bien était-ce une impression ? Mais maintenant, assis devant lui, il remarquait d'autres détails. Kagami n'avait plus rien de l'adolescent d'alors. Son visage avait perdu toutes traces de l'enfance. Il avait devant un homme mature, quelques rides autour des yeux, les joues ombrées d'une barbe d'un jour tout au plus. Et les cheveux toujours aussi beaux. Kuroko avait immédiatement aimé leur couleur.

- Comment es-tu devenu pompier ? demanda le médecin, comprenant parfaitement qu'il était inutile d'insister sur le passé.

- A l'université j'ai perfectionné mon japonais et mon anglais pour être prof. Mais un jour j'ai vu à la télé des pompiers qui tentaient de désincarcérer un homme, sa femme enceinte et leur petit garçon. Il y avait eu une secousse sismique et une partie d'un pont s'était effondré sur la rue en dessous. Ils ont sorti la femme et le gamin et sont retournés avec des pneumatiques près de la voiture pour soulever une poutrelle en acier. Il y avait un pompier avec le père. Il essayait d'arracher le tableau de bord. C'était en direct sur la chaine info. Brusquement, le pneumatique a cédé et la poutrelle a écrasé le père et le pompier.

- Il me semble que je me souviens de ce tremblement de terre, les journaux en avaient parlé.

- J'étais à la fin de mon cursus. J'ai fini mes études mais j'avais été tellement surpris et choqué par ce que j'avais vu que je n'arrivais pas à me le sortir de la tête. Ce gars avait donné sa vie pour en sauver d'autres. Même s'il n'y était pas parvenu, pour moi ce type était un héros. Plus tard, les journalistes ont dit qu'il avait laissé une femme et deux enfants.

- Mais il a aussi sauvé une femme et deux enfants, lui rétorqua Kuroko.

- Oui, c'est vrai… Et alors j'ai décidé que moi aussi je serai pompier. Je voulais aider les autres.

Un silence s'établit entre les deux hommes qui continuèrent à siroter leur bière. Le jeune médecin était surpris. Il ne s'attendait pas à ça. Il n'aurait jamais imaginé Kagami aussi généreux. Pour mettre sa vie en danger pour les autres il fallait un cœur énorme. Et Aomine ? C'était encore plus surprenant.

- Tu étais donc pompier en Amérique ?

- Oui. Il y a trois mois, ma grand-mère est décédée. On est rentré pour les obsèques avec mon père et… et j'ai plus voulu repartir. Je suis entré dans une caserne, la trente-huit et voilà.

- Ton père est reparti ?

- Oui, il a son travail là-bas. Et si un jour, je ne peux plus faire ce métier, je pourrais toujours tenter d'être prof d'anglais, termina Kagami en souriant. Et toi ?

Kuroko s'apprêtait à répondre lorsque la serveuse posa leur commande devant eux.

- Bon appétit, dit-il.

- Toi aussi, bon appétit. Alors, comment es-tu devenu médecin ?

- Comme toi, l'envie d'aider les gens. J'étais plutôt bon en biologie alors j'ai essayé de faire médecine. Et ça a bien marché. Je suis en dernière année.

- Tu vas continuer aux urgences ou tu as déjà une spécialisation ?

- Les urgences. Je n'ai jamais réussi à choisir. La pédiatrie m'intéresse beaucoup mais c'est aux urgences que tout se joue bien souvent. Si on fait bien notre job, les spécialistes ont plus de chances de sauver et de guérir le patient. Enfant ou adulte. Et le basket ? Tu joues toujours ?

- Bien sûr, sourit Kagami. C'est une chose dont je ne pourrai jamais me passer. En Amérique, plusieurs casernes avaient des équipes et on faisait des matchs. C'était très sympa. Ici aussi. Et toi ?

- Je joue sur le terrain près de chez moi, mais je n'ai plus intégré d'équipe. Mes études me prenaient tout mon temps libre.

- Je vois… Ça te manque ?

- Enormément.

- J'ai l'impression que tu as grandi, non ?

- J'ai pris sept centimètres depuis le lycée. La coach pensait que j'avais fini ma croissance, mais ce n'était pas le cas.

- Sept centimètres ? Eh ben ! Moi j'en ai pris qu'un seul.

- C'est que tu avais déjà presque ta taille adulte alors que moi non.

- C'est toi le médecin. Si tu le dis, ça doit être vrai. T'es marié ?

La question laissa Kuroko sans voix. Il ne s'y attendait pas du tout. Et Kagami, l'était-il ?

- Non, j'ai personne. Et toi ?

- Je suis resté deux ans avec une fille, mais elle ne supportait plus mes horaires de dingues et que je parte en intervention au beau milieu de la nuit. Elle a fini par me quitter.

- Nous ne faisons pas des métiers très compatibles avec une vie de famille.

- Mouais, mais pourtant beaucoup y parviennent. J'ai pas mal de collègues qui sont mariés avec des gosses.

- Ils ont trouvé la bonne personne, murmura Kuroko qui ne cessait d'analyser ses réactions depuis un bon moment.

Son cœur battait vite, il avait les mains moites et n'était pas vraiment à son aise. La présence de Kagami le troublait comme lorsqu'il était au lycée. Peut-être plus encore. Il savait très bien ce que cela voulait dire. Ils bavardèrent encore un bon moment de tout et de rien avant de sortir du snack. Ils flânèrent dans la rue et Kagami s'aperçut qu'il était presque arrivé chez lui.

- Tu veux venir boire un verre ou un café ? proposa-t-il.

- Non, merci. Je vais rentrer. Demain je commence à sept heures.

- C'est vrai, tu me l'avais dit. Je pourrais passer dans la journée alors pour qu'on aille voir Aomine ?

- Oui, je te l'ai dit. Viens vers midi. On ira le voir et on mangera un morceau ensemble si tu veux.

- Bien sûr, avec plaisir.

- Bon, je te laisse. A demain.

Le temps sembla suspendre sa course. Ils se regardaient, incapable de détourner les yeux. Toute leur vie de lycéens défila dans leurs esprits. De toute évidence, rien n'était oublié, enterré. C'était encore bien présent et très vivace. A tel point qu'ils le ressentaient physiquement. Kuroko se sentait légèrement trembler et la respiration de Kagami s'était accélérée.

- A demain, finit par dire Kagami dans un souffle.

D'un même mouvement, ils se détournèrent. Kagami tapa le code de son immeuble et regarda une dernière fois Kuroko s'éloigner. Il eut un sourire en remarquant que les passants ne faisaient pas du tout attention à lui. Il était toujours aussi invisible quand il le voulait.

Il accrocha son blouson dans la penderie de l'entrée et se laissa tomber sur le canapé. Les coudes sur les genoux, les mains sous son menton, il revoyait cette soirée. Mais surtout, il analysait ce qu'il avait éprouvé. De la joie, comme un immense soulagement. L'impression d'avoir retrouvé la lumière chaude et brillante du soleil. Le sentiment d'être redevenu un lycéen pour quelques heures. Et que c'était bon. Que ça faisait du bien de retrouver un peu de cette insouciance propre à la jeunesse. Des sentiments oubliés refirent surface. Si à l'époque il ne les avait pas compris, ils existaient bel et bien. Et ils n'étaient pas si éphémères. La preuve, il tremblait simplement en y pensant. Mais ils n'étaient plus des gosses.

- Bon sang, je croyais l'avoir oublié, songea l'ancien as de l'équipe de basket du lycée Seirin.

Il se laissa aller dans le fauteuil et renversa la tête. Mais que lui arrivait-il ? Il n'était plus un gamin. C'était peut-être justement ça le problème. Et Kuroko était devenu si séduisant. Qui aurait cru que ce gosse si discret, sans la moindre présence ni le moindre charisme deviendrait si bel homme. Bien sûr il était déjà très mignon au lycée. Mais passer de mignon à séduisant, c'était assez troublant. Kagami qui croyait ses sentiments disparus devait bien admettre que ce n'était pas le cas. Ils étaient en dormance et jamais ils n'auraient refait surface s'il n'avait pas croisé son ancienne ombre. La vie est vraiment surprenante, parfois. Et cruelle.


De son côté, Kuroko était tout aussi désarçonné. Il se faisait peu ou prou les mêmes réflexions que Kagami. Jamais il n'aurait cru être si près de perdre le contrôle en présence de son ancienne lumière. Mais s'il en avait tellement envie, pourquoi avait-il refusé son invitation ? Parce qu'il avait le devoir chevillé au corps. S'il n'avait pas dû se lever si tôt le lendemain, il aurait sans aucun doute accepté. Et après ? Kagami avait dit qu'il avait vécu deux ans avec une fille, c'est donc qu'il n'était pas de se bord-là. En même temps qu'il laissait le visage du pompier dériver derrière ses paupières closes, un autre se superposait. Celui d'une autre lumière. Sous la douche, il secoua la tête. Les choses se compliquaient dans sa petite vie bien réglée et ordonnée. Mais pourquoi s'inquiéter ? Ce n'était que des retrouvailles entre anciens coéquipiers, non ? Quoi de plus naturel ?

Mais rien n'est naturel ! Son orientation sexuelle en dégoutait beaucoup. Une grande majorité de gens pensait encore que l'homosexualité était une maladie, quelque chose de honteux, de sale. De pervers. Oh bien sûr, certaines pratiques pouvaient leur donner raison, mais il ne fallait pas généraliser. Quelles étaient les idées de Kagami sur le sujet ? Si jamais il faisait un faux pas, il risquait de le perdre définitivement. Et il ne supporterait pas de le voir disparaitre de sa vie une seconde fois. Déjà la première avait été dure à encaisser. Il était resté plusieurs mois enfoncé dans la déprime. Il n'était pas seul, heureusement. Ses amis de Seirin et de la Génération des Miracles avec qui il avait gardé le contact l'avaient bien aidé à tenir le coup sans le savoir. Mais revivre ça encore ? Non. C'était au-dessus de ses forces.

Il régla son réveil à cinq heures quarante-cinq et se coucha. Il pensa que le sommeil le fuirait avec tout ce qu'il avait dans la tête, mais finalement il s'endormit rapidement. Il fit des rêves qu'il aurait oubliés à son réveil…

A suivre...


J'espère que ça vous a plu.