SPOILERS : SLG N°85

Salut les Geeks est la propriété exclusive de Mathieu Sommet.

We stand proud and broken

Prologue – Ceux qui restent

SPOILERS : SLG N°85

Salut les Geeks est la propriété exclusive de Mathieu Sommet.

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Prologue – Ceux qui restent

Voilà près d'un mois que son maître était parti.

Oh, pour lui, le temps ne s'était pas écoulé en ces termes. Les jours et les heures étaient un concept abstrait pour la gente féline, qui contemplait le monde à travers un prisme de Whiskas, de siestes bien méritées, de pelotes de laines évidées et de ronronnements gracieusement accordés à ses esclaves, quand elle ne snobait pas ceux-ci en s'astiquant les parties à coup de langue. Oh, et de plans de conquête du monde, mais Wifi était encore un peu jeune pour ça.

Toujours était-il que le temps avait passé. Dangereusement passé. Il avait dû déchiqueter ses sacs de croquettes avec ses petites griffes pour se nourrir, et puiser de l'eau dans des réserves insoupçonnées, dont l'usage usuel était particulièrement inadapté. Quant à sa litière…Ugh, il ne voulait même pas y penser. Mais tout cela était une preuve de plus que quelque chose clochait. Cette disparition n'était pas normale. Même lorsque son humain décidait de s'éclipser, il le gratifiait de nombreuses caresses, et il ne le laissait jamais seul toujours sous la surveillance des Autres.

Mais les Autres aussi étaient partis. Ils avaient quitté la pièce principale, celle où les lumières étaient insoutenables, et où son maître s'agitait devant le moyen de communication des Maîtres Chats à la renommée internationale. Pour des raisons insignifiantes, allant chercher leurs consommations personnelles. Et ils n'étaient jamais revenus.

Le maître les avait cherchés, évidemment. Les avait appelés, avait crié leurs noms. Et il était sorti dans le hall, les appelant toujours. Jusqu'à ce que le rat n'ouvre une porte.

Les poils du félin se hérissèrent, et il sentit ses griffes sortir par réflexe. Le rat, avec cette odeur de poudre et de poussière, ce sale rat qui était responsable de cette insupportable situation !

Avec un coup de patte rageur, Wifi envoya valser le sac de croquette vide. Ses réserves s'épuisaient. Il fallait faire quelque chose.

Sautant souplement du placard ouvert au comptoir de la cuisine, il se déplaça à pas feutrés et à bonds silencieux jusqu'à la porte interdite. Celle qui menait vers l'extérieur. Il avait plusieurs fois voulu s'aventurer à l'extérieur, miauler après son maître, mais les hurlements à glacer le sang qui résonnaient jusqu'à l'intérieur l'avaient découragé. Néanmoins, la situation était critique.

Passant sa petite patte le long de la porte mal fermée, il glissa ses griffes dans l'entrebâillement, et s'acharna à tirer. Au bout de quelques secondes, le lourd bois céda, et il se glissa dans le hall encore allumé. Aussitôt, les cris reprirent, aigus, empreints de désespoir. Mais ils semblaient... plus faibles. Tentant de calmer son petit cœur battant, le chaton se dirigea avec hésitation vers la porte qui semblait vibrer. Or, lorsqu'il fut arrivé à une distance plus faible de la porte, les hurlements cessèrent, laissant place à un silence surpris. Inspirant, le matou allait s'approcher encore un peu, lorsqu'une chose noire et poilue se colla au maigre espace entre porte et sol, brassant bruyamment l'air et le faisant sauter en l'air. Se réceptionnant sur ses griffes, il allait s'enfuir à toutes pattes, prêt à chercher une autre sortie, quand un nouveau cri retentit. Non, pas un cri…Un…jappement ?

Immobile, il fixa la chose qui reniflait toujours, un sentiment de familiarité le saisissant. Un nouveau cri, plus bruyant, plus intense, retentit à travers la porte qui trembla, et…

Une bête de trois fois sa taille, au pelage rêche et boueux, et à l'énorme truffe surmontant des babines aux crocs démentiels. Un grognement sourd, en un langage primitif, exhalant des relents âcres mais familiers qui paralysaient son esprit.

_Viens jouer, lapin tout doux. Courir ! Moi attrape !

Une main douce et ferme retenant le monstre tandis que lui-même s'évadait dans les bras de son maitre qui pestait bruyamment.

« Peace, gros, il est pas méchant. Allez viens Capsule, il est trop petit pour jouer. »

Capsule. Le monstre de l'Autre, celui dont la perpétuelle odeur de fumée faisait tourner la tête, mais qui lui grattouillait toujours le ventre et qui ne grommelait pas quand il utilisait son couvre-chef comme matelas.

Hésitant, mais convaincu de sa déduction, il vint se coller à la porte, frissonnant de dégoût quand le museau froid se fixa près de lui, reniflant ses poils.

_Tu es Capsule, c'est ça ?

Le jappement suivant était plein d'enthousiasme, mais fut suivi d'un grognement étouffé, qui fit tendre l'oreille au chaton. Visiblement, le monstre avait du mal à parler, et il ne fut guère surpris de l'épuisement dans la voix craquelante de celui-ci lorsqu'il se décida à articuler.

_Toi Wifi. Peluche du maître. Mais pas maître ! Aucun maître, longtemps !

_...Je suis un chat, corrigea le félin un brin offusqué. Et oui, ça fait longtemps qu'ils sont partis. Je suppose que tu n'as plus beaucoup à manger, c'est ça ? Voir plus du tout ?

_Oui ! Non !

Quoi ? Confus, et légèrement exaspéré par ce qui s'annonçait être un dialogue de sourds, il allait interroger sèchement le monstre quand les mots de ce dernier, emplis de désespoir, le firent s'arrêter net.

_Pas partis ! Pris ! Volés ! Emmenés !

_Tu les as vu ?

_Oui ! Pas pu…

Le gémissement évocateur qui suivit était si douloureux qu'il attira la compassion du chaton. Le monstre était primitif, mais dans la même situation que lui. Voir pire, car il avait assisté à la scène.

_C'est pour ça que tu hurlais ? Tu voulais rentrer ?

_Sortir. Sortir pour aide.

…Des vagues souvenirs qu'il avait de son arrivée dans le duplex, il lui semblait effectivement qu'une autre porte barrait la sortie. Porte qui s'ouvrait vers l'intérieur : Capsule ne pouvait pas l'ouvrir. Comme la porte interdite, qu'il fallait pousser vers l'extérieur, et non l'inverse.

_Je peux sortir. Nous faire sortir…

_Oui !

_Mais pour aller où ? Ça fait tellement de temps, le maître doit être loin, et je ne sais pas où chercher de l'ai-..

_Moi sais ! le coupa l'autre d'un ton péremptoire et empressé. Humain-cheveux, proche !

L'humain à la tête en arbre à chat, celui sur lequel il ne devait pas faire ses griffes ? C'était sans doute une bonne idée, ils étaient tout le temps fourrés ensemble, après tout, et l'étrange et dégoûtant compagnon de l'Arbre à Chat semblait comprendre ses paroles, ou au moins ses intentions…

_Et homme-djembé, comme maître, avec autre comme autre maître, lui loin mais lui aide ! Et humain sans poil ! Et –

_D'accord, d'accord, j'ai compris, il y a des humains utiles qui connaissent le maître. Je nous fait sortir, et tu nous y emmène, d'accord ?

Un aboiement enthousiaste lui répondit, et il contempla la porte. Plus particulièrement la clenche. Saint Nyan Cat, Saint Grumpy Cat, pourvu qu'il ait la force…

S'écartant de quelques pas, il banda ses muscles, et se concentra intensément, sa petite queue battant l'air alors que son arrière-train remuait sans son accord. Allez, allez, allez…

En une détente qui aurait fait la fierté de toute son espèce, Wifi s'élança dans les airs et se rattrapa à la clenche, qui s'actionna sous son poids. Glissant inélégamment alors que la porte s'ouvrait sous le choc, il s'apprêtait à se recevoir douloureusement sur le béton quand un museau le rattrapa au vol, le faisant glisser sur un amas de poils fauves avant qu'il n'atteigne le sol, amortissant sa chute.

Reprenant ses esprits, le chaton détailla avec attention son sauveur inopiné Capsule était maigre, ses côtes presque apparentes sous les poils rêches, et sa truffe était dangereusement sèche. Visiblement, l'eau n'était pas aussi facilement accessible au dehors.

Se redressant lentement, le chaton étudia les environs avec attention. La cour était déserte, sa majeure partie plongée dans l'ombre gigantesque du van multicolore garé au soleil couchant, mais le portail était bien visible. Ainsi que sa clenche en fer blanc, épaisse et parfaitement en place. Ça allait être du sport. Mais il fallait bien ça, pour aider le maître.


« Putain, je vais vous tuer, bande de connards ! Je vais vous faire tellement de trous que vos anus auront perdu leur fonction ! »

« Allez gros, tu sais que ce sont des mensonges ! Des déformations de la vérité d'une société capitaliste réfractaire à la diversité ! »

« J't'en prie, n'arrête pas de croire en nous... Personne crois en moi à part toi… »

_Croire…Peut-être que je suis comme ces barjos qui ont des hallucinations…

« Nous ne sommes pas des hallucinations causées par l'abus de substances illégales. Mais les psychotropes que tu ingurgites déforment effectivement la réalité, ils t'empêchent de constater notre existence ! »

Le jeune homme, assis sur son canapé – était-ce vraiment le sien, d'ailleurs ? – la tête dans les mains, une expression douloureuse sur le visage, se leva brutalement et se mit à hurler, ses yeux bleus remplis de désespoir fouillant la pièce.

_ALORS SI VOUS ÊTES REELS, POURQUOI VOUS N'ÊTES PAS LÀ, HEIN ? APPARAISSEZ ! MONTREZ-VOUS, BORDEL DE MERDE !

Mais seul le silence lui répondit.


Dans une pièce remplie de moniteurs de surveillance, un homme au visage marqué par l'âge sourit, remettant ses lunettes en place avant de porter un dictaphone à ses lèvres.

« Bien, le sujet commence enfin à douter de la véracité de ses apparitions. Je suggère d'augmenter la dose d'un demi-milligramme à la prochaine prise, avant d'entamer le traitement de choc. Nous touchons enfin au but…Un encéphalogramme complet sans stimuli -…»

_Docteur Strauss ? Qu'en est-il des autres sujets ?

Une voix féminine, sèche et sans tonalité, interrompit ainsi ce qui s'annonçait comme le début d'une tirade médicale, et sa source s'attira de ce fait un regard noir, avant que ledit docteur ne sourisse, soudain enjoué.

_Le patient zéro répond favorablement au traitement. Dites au conseil que je recommande l'extraction d'un autre sujet problématique.


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