Bonjour et joyeuses Pâques à tous ! J'espère que le papa lapin aura été généreux et qu'il vous aura gâtés en chocolat !

Donc voilà, je vous livre l'épilogue de cette fic, avec une petite larme à l'oeil quand même. Ce projet m'aura occupée un peu plus longtemps que prévu (plus de 10 mois ouille!) donc bon, c'est toujours triste de le finir. Je ne me fais jamais à l'idée de terminer mes fics. Un jour peut-être.

J'en profite pour remercier tous ceux qui sont arrivés là et qui ne se sont pas arrêtés aux premiers chapitres scabreux, bref vous, lecteurs, revieweurs, alerteurs (ça existe ce mot ?), je ne m'attendais pas à ce que cette fic ait autant de succès, donc c'est beaucoup pour mon petit cœur sensible. Merci à ceux qui m'ont encouragée et qui ont supporté mes jérémiades quand j'étais débordée, déprimée ou en manque d'inspiration. Merci, vraiment.

Kezaco pour la suite ? J'ai un projet de longue fic mais je vous avertis, s'il paraît il sera un peu spécial, donc je ne vous en voudrai pas si vous ne me suivez pas sur ce coup-là (mais si vous le faites, c'est encore mieux :D). Il ne sera pas pour tout de suite, pour la simple et bonne raison que j'ai bouclé Le Bandana hier et que je ne l'ai absolument pas commencé.

Je réponds à mes chers revieweurs fantômes :

M&M's : j'avoue avoir eu un gros bug d'inspiration pour « Le phoque chanteur », mais voilà, je voulais un titre d'auberge à la Poney fringant, et j'avais le calendrier du WWF sous les yeux. Et le baiser de fin ça marche à tous les coups, je le savais :D Merci en tous cas d'avoir reviewé !

Honet : hahaha mes fics sont si addictives ? Et bien je suis une vile manipulatrice alors ^.^ D'ailleurs oui, c'est dommage, on trouve pas grand chose en pirate!lock en français, avec un peu de chance j'en inspirerai certains ;D

Bonne lecture !

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Le Bandana et le Fleuret : Epilogue

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Le doux bruit du ressac sur le sable chaud.

Il y avait tellement d'autres choses à écouter : le cri perçant des mouettes, la légère brise dans les cocotiers, le sifflement des oiseaux exotiques au-delà... Mais c'était sur cela qu'ils se concentraient. Enfin, à vrai dire, ils étaient tout sauf concentrés. Allongés sur le sable blanc, à moitié dénudés, ils avaient encore juste assez de souffle pour s'embrasser langoureusement et achever ce qu'ils venaient de faire. Ils n'avaient cure du soleil qui leur brûlait la peau ou du vent qui la leur asséchait ; après tout ce temps passé dans cette jungle épaisse et humide, un peu de lumière solaire n'était pas de refus.

John caressa le corps étendu de Sherlock sous lui. Il pouvait sentir les muscles développés par ces journées d'abstinence où de rares fruits, des racines ou de maigres reptiles avaient composé leur seul menu. Les oiseaux et ces petits mammifères qui ressemblaient à des mangoustes les auraient bien tentés mais il était inconcevable de tirer ne serait-ce qu'un seul coup de feu. Ils ne pouvaient pas risquer de signaler leur position aux patrouilles lancées à leur poursuite – ou à ces clans d'esclaves en fuite prêts à égorger n'importe quoi qui eut la peau blanche – ni de gâcher de précieuses munitions. Abandonner le cheval avait déjà dangereusement aiguillé les soldats vers eux, et ils ne s'en étaient sortis qu'en s'enterrant vivants dans une sorte de cavité dissimulée au sein d'une butte et en s'enduisant d'humus et de feuilles mortes pour passer inaperçus. Une mygale aigrie leur avait ensuite fait abandonner l'idée d'attendre que les troupes se fussent suffisamment éloignées, et la chasse à l'homme avait continué. Ils n'avaient pas eu le choix. Longer la cote aurait été l'option la plus confortable, mais rester à découvert aurait été beaucoup trop risqué. Égarer leurs poursuivants dans la forêt et traverser l'île de part en part était apparu comme la meilleure alternative.

Et puis un jour, plus rien. Tout être humain avait mystérieusement déserté les lieux. Soit leurs poursuivants avaient abandonné les recherches, soit ils avaient été aiguillés sur une mauvaise piste, soit encore ils avaient été rappelés à Kingston par quelque chose de plus urgent. Sherlock et John n'avaient aucun moyen de le savoir. Pas même Sherlock.

John se redressa à moitié, abandonnant les lèvres du pirate. Il resta un moment à admirer son amant, son visage détendu, ses yeux mi-clos, ses boucles perdues dans le sable. Après la perte tragique de son fier couvre-chef, un véritable changement s'était opéré chez le forban. Un matin, celui-ci s'était purement et simplement débarrassé de ses nattes à l'aide d'un petit couteau pour ne garder que ses boucles d'ébènes, vierges de tout ornement exotique, avant d'opter pour un modeste bandana qui n'était autre que le foulard de Harriet. Il avait même boudé l'option représentée par Wiggins, le membre de son réseau qui avait fini par les trouver, deux jours plus tôt, à l'approche de Saint Ann. Manifestement, des denrées alimentaires plus nourrissantes et surtout, surtout, un nécessaire de rasage étaient une priorité plus tangible. Le blond ne savait pas trop quoi en conclure. Peut-être que le pirate tiendrait sa promesse, finalement. Peut-être que le cruel bandit aimait assez son soldat pour renoncer dorénavant au crime.

- Quoi ? dit soudain le pirate, comme s'il s'impatientait.

John s'aperçut alors qu'il était en train de sourire bêtement.

- J'arrive pas à y croire, dit-il.

- Croire quoi ? D'avoir sauvé la mise à un pirate, renié ta patrie avant de...

- De me comporter comme un gamin de vingt ans, dit-il avec un petit rire. De m'être enfui avec toi et d'être devenu un paria, à vivre d'amour et d'eau fraîche dans cette putain de jungle...

- A vrai dire, fit le bandit en faisant mine de réfléchir, nous vivons plus précisément de racines, d'iguanes grillés, d'eau croupie et de...

- C'est une expression, Sherlock, répliqua le militaire en levant les yeux au ciel. Ça veut dire que... oh, et puis tu as très bien compris. S'enfuir, tout abandonner comme ça sur un coup de tête en se fichant des conséquences... Tout ça n'est plus de mon âge.

Le pirate s'assit.

- Tout cela est insensé, dit le forban.

- Absurde, puéril.

- Indigne d'un officier gradé respectable tel que toi.

- J'ai vraiment perdu l'esprit.

- Dois-je donc comprendre que... tu regrettes ?

Le blond tourna la tête vers lui, surpris. La mine du pirate était si incertaine qu'il en eut pitié.

- La seule chose que je regrette, dit-il en se rapprochant de lui et en saisissant son visage dans sa main, c'est d'avoir attendu tout ce temps avoir de regarder la réalité en face. Tu aurais pu choper n'importe quoi et crever tout seul dans cette cellule. Pardonne-moi.

En guise de réponse, les traits du pirate s'adoucirent, et il attira le blond pour l'embrasser. Doucement, longuement, comme le bandit en avait pris l'habitude depuis le début de leur fuite. Pourtant, John ne s'y habituait pas. Il avait l'impression que chaque baiser était plus suave que le précédent, plus attentionné, et celui-ci ne faisait pas exception. C'était peut-être vrai, après tout. Ne venait-il pas de faire ce qui se rapprochait le plus d'une déclaration au pirate ?

Quand le pirate se recula, quatre ou cinq bonnes minutes plus tard, John dirigea son attention vers la mer qui s'étendait en face d'eux, tandis que le pirate posait sa tête sur son épaule.

- J'espère que ce rafiot ne nous fera pas un sale coup, dit le soldat. Qu'est-ce que je donnerais pour une couchette digne de ce nom et pour discuter avec des gens qui n'ont pas directement envie de te tuer.

- Je croyais que tu aimais ça, vivre d'amour et d'eau fraîche dans cette putain de jungle, marmonna le brun en enroulant son bras autour de sa taille.

- Je ne suis pas comme toi, Sherlock, répondit-il doucement. Je ne suis pas habitué à passer mon existence à fuir en ayant à peu près toutes les marines royales au cul. Je... d'accord, j'ai fait des bêtises quand j'étais qu'un garçon écervelé, mais j'avais fini par trouver ma voie. J'ai servi une cause, et j'ai toujours fait ce que l'on attendait de moi. J'ai voulu être irréprochable.

Il fit un geste négligent de la main.

- Maintenant, j'ai trahi mes engagements, et je t'ai trahi toi. Incroyable la façon dont tu penses contrôler ta vie et dont le destin te dit « va te faire foutre ».

Le pirate eut un léger sursaut, signe d'un petit rire.

- Je ne te croyais pas si philosophe, dit-il.

- Moi non plus, répondit-il péremptoirement. Mais... J'ai besoin qu'on se pose quelque part, Sherlock. J'ai toujours voulu me marier (il sentit le pirate se contracter à ces mots), élever des enfants et faire d'autres choses que tu trouverais complètement absurdes, mais je sais que ça ne sera plus possible désormais. Alors, je veux faire quelque chose qui s'en rapproche. Je veux m'installer et gagner honnêtement ma vie. Avec toi.

L'officier déchu posa sa main sur celle du pirate.

- Et comment t'y prendras-tu ? demanda ce dernier en déglutissant.

À ces mots, John se leva. Il se baissa pour saisir son épée de capitaine et s'approcha du bord de l'eau. Là, il se tint de longs instants à regarder l'horizon, serrant le fourreau de la lame dans ses mains. Puis il la lança loin, loin dans l'onde.

- Bravo, John. Tu viens d'anéantir la moitié de nos chances de survie si un échantillon de la garnison de Kingston ou de ses esclaves renégats venait à débarquer.

- Je ne veux plus massacrer des gens, dit celui-ci en l'ignorant. Je veux les soigner.

Sherlock s'allongea à moitié en s'appuyant sur ses coudes.

- Noble tâche, reconnut-il. Donc si je comprends bien, à l'avenir, tu menaceras les gens au fleuret ?

John releva par un sourire.

- Et toi, que feras-tu ?

Le pirate leva le nez au ciel d'un air inspiré en se dandinant.

- Si je tiens compte de la promesse que je me suis engagé à honorer ? Et bien, je n'aurai qu'à me poudrer le nez et à m'habiller quotidiennement de brocard et de velours pour devenir un gentilhomme ennuyeux qui...

Mais il s'interrompit soudain, l'oeil brillant, la bouche toujours entrouverte. Une statue figée. Dans ces moments-là, alors qu'il s'enfonçait dans ses pensées, John savait qu'il était inutile de tenter quoi que ce soit pour le faire réagir.

Il revint s'assoir à ses côtés, mais ne put s'empêcher de marmonner.

- C'est bien beau tout ça, mais je te rappelle qu'on est à sec et qu'il faudra sérieusement songer à trouver un subterfuge pour ne pas payer le capitaine du navire...

- Je ne suis pas obligé d'être comme eux, articula finalement le bandit, un sourire naissant sur son visage.

John cligna des yeux.

- Quoi ?

- Je ne suis pas obligé d'être affable, de tout accepter et de faire des courbettes pour me rendre obligeant. Non. Je peux leur démontrer qu'ils sont tous des idiots.

- Sherlock ! soupira John, désabusé. Tu ne vas pas commencer...

- Mais c'est ce qu'ils sont, John ! Je peux les surpasser, les ridiculiser, les faire tomber de leur piédestal et...

- Sherlock, non, non, non, je te dis ! Pas de ça. Tu vois bien où ça t'a mené la première fois.

- Est-ce que je t'ai promis de me conformer aux conventions sociales, John ?

Le blond soupira de nouveau.

- C'est quoi ton idée ?

- La justice, John. Il n'y a rien de plus corrompu et de plus pourri que le système judiciaire. Bon, sauf peut-être les hautes sphères du pouvoir, mais je laisse à mon frère les chamailleries de ces bouffons abrutis par leur amour-propre.

Le pirate se calma. Ses yeux pétillaient, et un sourire inébranlable vint barrer son visage.

- Le crime offre beaucoup de possibilités. Il est le reflet de la perversion humaine et de tout le génie qu'elle peut mettre en œuvre pour parvenir à ses buts les plus sadiques. Si l'homme est créatif, un malfaiteur intéressé et tenant un minimum à sa vie est une sorte de génie.

- Mais jamais complètement un, fit remarquer le blond.

- J'aimerais en trouver un, un jour. C'est... c'est que la vie de pirate solitaire ne m'a pas permis.

John hocha la tête, pesant le pour et le contre.

- Ça peut être dangereux, tu le sais ça ? lui fit-il remarquer. Entre les criminels qui risquent de t'égorger et les juges que tu vas contrarier, tu ne vas pas dormir toutes les nuits tranquille.

- Parce que maintenant, le danger te fait peur, John Watson ? Tu as beau dire, je ne te donnerai pas quinze jours avant de t'ennuyer de ta petite vie honnête et tranquille.

Vivement, Sherlock le saisit par les épaules.

- Tu es un homme d'action, John. Si tu es là, ce n'est pas là par hasard, à attendre ce bateau qui nous mènera vers notre avenir ou qui nous fera bêtement périr en mer. Ce n'est pas pour rien que tu as choisi d'être soldat, puis capitaine, que tu as tout abandonné pour me suivre quitte à risquer ta propre vie. Le danger, tu aimes ça, tu te dopes à ça pour te maintenir en vie. Crois-moi, tu dépérirais à vivre une petite vie de médecin bien réglée.

- Alors ?

- Alors, ma proposition tient toujours.

John croisa lentement les bras.

- Je ne pourrai pas enquêter tout seul. Devenir un de ces juges stupides et partiaux ou les avoir comme assistants, très peu pour moi. Je m'en tiendrai à des activités de consultant. Mais pour cela, j'aurai besoin des services d'un médecin pour examiner les cadavres, me maintenir en vie, ne serait-ce que pour avoir un avis extérieur. J'ai besoin de toi, John.

John ne réfléchit pas. Ne fit même pas semblant.

- Sois assuré que je ne te lâcherai pas d'une semelle. Pour rien au monde je ne prendrai le risque que tu rechutes ou que tu sois bêtement poignardé par derrière en pleine rue tellement le succès te sera monté à la tête.

Ils restèrent un moment à se fixer et ils surent que, désormais, il n'y aurait aucun Holmes sans Watson ou Watson sans Holmes. Ce serait tout ou rien, point final.

- C'est bien beau toutes ces résolutions, mais ça ne change rien au fait qu'on soit toujours sans un rond, rappela le blond.

- Ce que tu as la mémoire courte, John, je t'avais dit que j'avais un compte en ban...

Au lieu d'achever sa phrase, il resta un moment pétrifié, l'oreille aux aguets. Il fut sur ses pieds en une seconde et braqua son pistolet sur la végétation.

- Qui êtes-vous ? rugit-il.

Aucune réponse. John se leva à son tour et saisit son arme à feu.

- Montrez-vous ! insista le pirate.

- C'est peut-être Wiggins, suggéra l'ex-officier à voix basse.

- J'ai engagé Wiggins pour sa discrétion et ses qualités d'adaptation, celui-là est un vrai troupeau d'éléphants, répondit-il diligemment. Montrez-vous ou je tire au hasard !

Il y eut un silence palpable, puis une voix tremblante se fit entendre.

- Je... je ne suis pas armé...

- Mensonges ! Il faudrait être fou pour s'aventurer sans arme dans cette jungle ! MONTREZ-VOUS !

- Si vos intentions sont pacifiques, il ne vous sera fait aucun mal, tempéra John.

Enfin, une silhouette malingre émergea de la masse de végétation. Si Sherlock avait raison sur l'éventuelle présence d'un sabre et d'un pistolet tous deux accrochés à sa ceinture, l'individu ne paraissait pas particulièrement méchant.

- Lancez votre pistolet à plusieurs mètres sur votre gauche et ensuite nous pourrons discuter, exigea Sherlock.

L'individu s'exécuta sans aucune réticence.

- Bien, j'imagine que vous n'êtes pas venu simplement pour vérifier les rumeurs qui courent à notre sujet à Saint-Ann, interrogea le pirate.

- J'apporte un message, dit l'homme en fouillant dans sa besace. Voyez vous-même ! » Il brandit fièrement ladite enveloppe.

- Un message de qui ?

- Je l'ignore ! Non, je vous assure ! ajouta-t-il alors que Sherlock enclenchait le chargeur. Un homme m'a payé pour que je remette cette missive à Sherlock Holmes et il m'a fait jurer sous peine de mort de ne l'ouvrir sous aucun prétexte !

Sherlock resta un instant silencieux, jaugeant visiblement la situation.

- Mon compagnon va s'avancer et vous lui remettrez le pli, énonça-t-il lentement. Si par malheur vous tentez ne serait-ce qu'un geste pour attenter à sa vie, je vous décoche une balle dans le mollet et je vous pends vivant avec vos propres entrailles au cocotier que vous voyez à votre droite. Suis-je bien clair ?

- Ou... oui !

John leva les yeux au ciel et abattit sa main sur son épaule.

- Promets-moi d'être un peu plus subtil quand nous arriverons à destination, dit-il.

Le soldat ignora son air interrogateur et se dirigea vers le nouveau venu. Il tendit la main pour se saisir de l'enveloppe.

- Cette lettre est destinée à Sherlock Holmes, rappela le messager.

- Et il ne manquera pas d'en faire bon usage, compléta le pirate alors que John lui faisait un sourire de circonstance. Vous pouvez vous en aller.

Alors que Sherlock Holmes suivait l'individu des yeux et du pistolet, John revint vers lui en décachetant la lettre. Il la tendit au pirate qui la déplia d'un geste sec et commença à parcourir les lignes.

- Au risque de me répéter, j'espère que que ce bateau ne lambinera pas en chemin parce que je n'aime pas l'idée que quelqu'un soit au courant de...

- C'est Mycroft, dit Sherlock.

John fronça les sourcils.

- Quoi ?

- Pourquoi, pourquoi faut-il qu'il ait toujours une longueur d'avance sur moi ? s'énerva le cadet en faisant de grands gestes dramatiques. Ses espions sont plus compétents que les miens, c'est ça ? Il s'est infiltré lui-même dans un des clans d'esclaves sauvages pour me pister et...?

- Qu'est-ce qu'il dit ?

- Des banalités : qu'il espère que je vais bien, qu'il a faussé toutes les recherches et envoyé ce beau monde dans la direction opposée et que...

Le pirate s'interrompit. Les yeux ronds, la bouche entr'ouverte de stupeur, comme dans ces rares moments où quelque chose ou quelqu'un arrivait à le surprendre.

- « Greg va bien », articula-t-il.

Mais le pirate, toujours médusé, ou peut-être plongé dans une transe dont lui seul avait le secret, ne semblait pas désireux d'approfondir la chose.

- Greg va bien, répétait-il.

- Et bien, c'est merveilleux ! Je suis soulagé, vraiment. Mais je ne vois pas...

- Pour l'amour du Ciel, John, Greg va bien ! s'écria-t-il soudain en faisant sursauter le blond.

Et il se mit à marcher fiévreusement en grands cercles.

- Greg va bien, Greg va bien, Greg va bien...

Avant de s'arrêter tout aussi soudainement et de joindre ses mains ouvertes en face de son nez.

- Une fois qu'on a éliminé l'impossible, ce qui reste, aussi improbable que cela peut être, doit être la vérité.

- Tu peux traduire ?

Il se tourna vivement vers John et brandit la lettre devant son nez, indiquant le fameux passage du doigt.

- Cette phrase, simple, brève, taciturne, qui ne tient qu'en un paragraphe alors que les autres paragraphes de la lettre sont autrement plus fournis ! Cette apparence insignifiante alors qu'aucune parole ne sort de la bouche de mon frère qui ne soit étudiée, pesée et murie ! Cette application inconsciente à tracer le nom de Greg !

- Oui et al...

- Tu ne trouves pas ça étrange que le Premier ministre anglais se soucie d'un simple homme de main qui de plus se trouve être un pirate ?

- Et bien c'est ton mentor avec lequel tu as passé à peu près la moitié de ton existence, donc non, ton frère pense simplement normal de te donner de ses nouvelles.

- Non, John ! Il sait que je lui aurais juré une haine éternelle s'il s'était avisé de toucher à un seul de ses cheveux, donc Greg avait intérêt à être épargné ! Non, mon frère est en train de s'afficher et ce n'est pas tout, Greg...

- Oh la oh la, attends, de s'afficher ? le coupa l'ex-officier. Tu veux dire que lui et Greg...

- Mais évidemment, John ! Regarde Greg, le gaillard costaud, beau et grisonnant, la fleur de la cinquantaine. Tout ce que Mycroft n'est pas. Tu crois que mon frère y serait resté indifférent ?

- Mais rien n'indique que...

- Oh, je peux te dire que si. Aussi loin que je me souvienne, mon frère était toujours en béate admiration devant ce genre d'homme et tout simplement, il aimait se faire protéger en faisant preuve de son charisme écoeurant. Sinon, comment crois-tu qu'il aurait gravi les échelons ?

- Bon, d'accord, accepta John, Greg et Mycroft sont maqués ensemble. Mais je ne vois toujours pas ce qui te scandalise ?

Sherlock le regarda comme s'il avait un extra-terrestre devant lui : avec toute la stupeur et la compassion nécessaire pour cet être inférieur.

- Tu croyais sérieusement que tu avais pu arriver à me duper tout seul ?

Le pirate recommença à faire les cent pas en le laissant penaud.

- Je savais bien qu'il y avait une inconnue dans le problème « John Watson », mais de là à me douter que c'était Greg, mon bras droit, mon propre... ami qui était derrière tout ça, je n'aurais jamais...

- Oh là, dit John en se plaçant sur son passage et en l'attrapant par les épaules, tu t'arrêtes une seconde et tu m'expliques ?

Le pirate, agacé, se redressa de toute sa hauteur et croisa les bras.

- Durant ta détention, il se peut que tu aies subi une surveillance relâchée, par exemple lors de ma dernière descente à terre alors que j'avais bien précisé à Greg de garder un œil sur toi, ou bien que mes papiers aient été bouleversés par une mystérieuse panique de colombidés, ou encore que tu aies été soumis, indirectement ou non, à l'innocente idée de me faire « changer »...

Le pirate haussa les sourcils tandis que l'évidence s'imposait peu à peu au soldat.

- Mais évidemment, ton esprit était si étroit et ta fierté si palpable que tu n'y as vu que du feu.

- Mais...

- Tu as eu en Greg le complice le plus dévoué et le plus improbable qu'il ait été donné d'avoir, John.

John souffla longuement, luttant pour garder les idées claires.

- D'accord, j'ai été complètement aveugle, j'aurais dû me douter de quelque chose quand Greg m'avait assuré un soir que j'étais en mesure de t' « aider ». Mais quel rapport avec Mycroft ?

- Ils se connaissaient, John, ils se connaissaient bien avant que je n'embarque avec l'objectif de te capturer. Ils devaient être en relation par un nombre subtil d'intermédiaires, et il est même probable que Greg n'ait jamais vu Mycroft ou su exactement qui il était, tellement mon frère tenait à son anonymat. Et tous les deux, ils ont vu en toi une occasion de me faire flancher. Tu as été leur pantin du début à la fin, John.

- Mais attends, intervint John, ne pouvant empêcher le rouge de la honte lui monter aux oreilles, tu es en train de me dire que ton frère n'a pas trouvé mieux que de te faire capturer par la Marine Royale et risquer de te faire pendre pour te ramener à la raison ?

- En gros, oui, c'est ça.

John recula, manquant soudain d'air.

- La vache.

- Mon frère a ses méthodes, j'ai les miennes, dit-il tranquillement.

- Mais qu'est-ce qu'il se serait passé si j'avais refusé son marché, hein ?

- Je serais toujours beau et fringant à parcourir les océans, mais peut-être pas en ta compagnie.

À ses mots, l'ex-officier se pétrifia. La chaleur, l'odeur âcre du sel n'avaient jamais paru si étouffants.

- Quoi ? s'exclama-t-il à mi-voix, cette dernière lui manquant. Tu es en train d'insinuer que si j'avais refusé le pacte, ton frère t'aurait sauvé la vie de toute façon ?

- C'est. Le. Premier. Ministre. Britannique. John, articula le pirate, les yeux mi-clos, peut-être sous l'effet du soleil ou de son air hautain. Et Le. Premier. Ministre. Britannique. Peut tout faire, y compris libérer les ennemis du Roi en les remplaçant par des imposteurs.

- Mais pourquoi ? S'écria-t-il en reculant de nouveau, scandalisé. Pourquoi m'a-t-il fait renoncer à ma carrière s'il avait les moyens de te tirer d'affaire tout seul ?

- Parce qu'il voulait tout ou rien pour moi.

L'ex-officier fronça les sourcils sous l'incompréhension.

- Réfléchis, John. Quand tu aurais été promu vice-amiral, est-ce tu te serais amusé à courir les mers et les criminels avec moi ? Est-ce que tu te serais dit tiens, aujourd'hui je vais mener mes quelques huit cents navires emmerder les Espagnols et demain, je partirai en raid avec Sherlock et on enterrera nos richesses sur une île déserte avant de baiser comme des bêtes dessus au milieu des perroquets et des cocotiers ? Non, John. Si tu avais été gradé, tu te serais marié pour assouvir ton besoin de normalité, tu aurais exécuté son service de manière irréprochable et on se serait vus entre deux sorties dominicales de ton épouse.

Les yeux soudain brillants, Sherlock s'approcha de lui, saisissant doucement sa tête dans ses mains.

- Si tout cela était arrivé, on aurait été séparés d'une manière ou d'une autre.

John, voyant sa vision se brouiller sans doute sous l'effet de ses propres larmes, saisit à son tour la main de Sherlock.

- Et cela, mon frère ne l'aurait toléré parce que cela aurait compromis ma « guérison », dit le pirate avec une pointe de mépris.

- J'aurais loupé ma vie, et je ne m'en serais aperçu que trop tard.

Le regard de Sherlock s'élargit, signe d'un intérêt plus grand que jamais porté à son vis-à-vis.

- Ainsi, la fuite avec le plus vil ennemi de l'Angleterre et le blâme éternel jeté sur ton nom ne rentrent pas dans la définition « avoir loupé ta vie » ?

John se retint de lui rire au nez.

- Non, dit-il à la place avec un sourire sincère.

L'officier déchu lui embrassa affectueusement la tempe et le retint contre lui.

- D'ailleurs, nous ne sommes pas à proprement parler en fuite, ajouta-t-il. Nous sommes juste sur le point d'embarquer pour l'endroit où nous comptons bien nous installer.

Sherlock suivit le regard de John pour tomber sur les voiles qui venaient de l'ouest.

Une fois le canot hissé sur le navire, ils embarquèrent sur la frégate et négocièrent le prix du voyage avec le capitaine. Puis des ordres furent jetés, les voiles tendues et le cap fut mis à l'est. Alors que le navire glissait doucement, John suivit Sherlock qui, en bon capitaine et génie, disséquait en un coup d'oeil l'organisation du bâtiment à travers l'agitation du départ. Il finit par se poster à l'avant et par regarder en direction de l'est. John savait exactement ce qui se passait en lui en cet instant. La claque du vent qui se lève dans ses cheveux, le frisson de son cœur qui s'emballe, le doux vertige de la vitesse qui ne trompe jamais. C'était ce que lui-même ressentait à chaque fois que son navire levait l'ancre.

- Ça ne te manquera pas trop ? demanda-t-il à l'ex-pirate, sachant pertinemment que ce dernier savait de quoi il parlait.

Sherlock tourna la tête vers lui. Son expression impassible s'était muée en un sourire résolu, rayonnant d'audace et de férocité. John comprit alors que le pirate ne changerait jamais. Il continuerait à écumer ses mers et à chasser ses trésors, même si son terrain de jeu était différent. Il resterait Sherlock Holmes le chasseur d'hommes et de vérité, mais en agissant pour une cause différente. Une bonne cause.

D'un geste, le forban abattit ses bras musclés sur les épaules de l'ex-officier.

- Londres est pleine de promesses, John, dit-il simplement en l'attirant à lui.