Coucou tous !

Et voilà, le dernier chapitre de cette fanfiction.

C'est bizarre, au moment où je finis cette histoire, d'autres choses se finissent dans ma vie IRL… Le hasard des fois. M'enfin, vous, mon lectorat, vous en serez gagnant

Allez, le dernier Journal des Reviewers :

Love the Original Family : Suite et fin !

Lyna : Oui mais quand ça fini, d'autres choses peuvent commencer

Yuki Otohime : J'espère que cette fin sera à la hauteur de tes attentes !

Tsuki : C'est une chose sur laquelle je me mets un point d'honneur. Je ne PEUX PAS laisser une fix inachevée si je commence à la publier sur

Tifaeris : Un peu de gag, ça fait jamais de mal XD

Neamae : De suite !

lamebrise83 : OMG… Merci pour tous ces compliments, ça me fait plaisir tu n'imagines pas à quel point. Voir que quelqu'un sait voir derrière les pavés tous les petits détails de recherche que j'effectue derrière… Non vraiment, ça me touche vraiment. MERCI !

luneXD : En espérant ne pas décevoir

une fan : Comment ça, la fin ne sera pas publiée ? ^^ Mais si, mais si ! Je serai la plus détestable des auteurs si je vous abandonnais sans avoir le fin mot de l'histoire ! Surtout que de façon générale, je dévoile tous mes mystères au chapitre final, ça serait un comble Certes, la fic a trainé en longueur, c'est parce que 1/ je suis une feignante du postage et 2/ je commence souvent a publier alors que la fic n'et pas finie et du coup, il faut que je continue d'écrire en parallèle pour rattraper Un grand merci pour tes compliments et sache que je suis désolée de vous avoir fait tant attendre

La fin… je HAIS les fins ! Enfin… surtout ce moment qui va clôturer l'histoire en elle-même. Je sais jamais quoi faire car je HAIS la guimauve mais je ne veux pas non plus trucider tout le monde juste pour être tranquille.

Bref, en espérant que la fin vous plaise, RDV après le mot fin pour un PROJET !


Chapitre XV : L'ultime chance

Le silence était si dense qu'il en était presque palpable. Doublé à la pression spirituelle de l'île qui gagnait en puissance, le poids qui pliait sur ses épaules n'en devenait que plus imposant et difficile. Pourtant, il n'en avait que faire. Cette impression d'avoir ses poumons comprimés dans une cage thoracique trop étroite n'était presque plus alors qu'il contemplait sans bouger le corps de Hiyori remuer faiblement mais régulièrement pendant qu'elle respirait. Là était sa véritable ablution psychique pour lui. Il puisait la force nécessaire et le recueillement demandé auprès de celle qui ne l'avait jamais lâché. Chaque seconde qui s'égrenait ne faisait que renforcer sa volonté.

Il releva une dernière fois les yeux vers une pendule qui lui indiqua qu'il ne lui restait que dix minutes avant l'heure du rendez-vous. Ca y est, il y était. Il expira brièvement puis se redressa sur les genoux, l'expression plus adoucie alors qu'il adressait un dernier au revoir à son amie.

_ A tout de suite. J'arrive bientôt, lui murmura-t-il, le revers de ses doigts effleurant la frange de la jeune fille.

Puis il se releva et attacha fermement autour de son cou son inséparable bandana qu'il avait gardé entre ses mains, le temps de sa dernière méditation. Maintenant, il était à bloc.

En quittant la chambre de Hiyori, Yato retrouva Yukine qui l'attendait dans le couloir, adossé contre un mur. Les deux compères s'adressèrent un signe de tête puis repartirent ensemble en direction de la terrasse extérieure. La brise de vent qui vint les accueillir était plus chargée que durant le reste de la journée au point de presque les prendre à la gorge.

La lune et le soleil étaient à présent parfaitement à l'opposé l'un de l'autre. Elle, pleine et dans une semi transparence nacrée ; lui, comme légèrement voilé par un filtre d'argent. Tous deux se détachaient très nettement dans la toile cobalt du ciel, vierge du moindre nuage et de la moindre étoile. L'île tout entière d'Onokoro semblait séparée du reste du monde dans un autre espace-temps dans lequel jour et nuit pouvaient cohabiter ensemble. Et sous cette voûte quasi onirique, l'Arbre-Pilier laissait émaner de lui une énergie bleu dragée éclairant son dense feuillage d'une lueur envoûtante. Les lieux tout entiers eux-mêmes baignaient dans cette aura vacillante. La magie des dieux très anciens était tout autour d'eux et n'attendait qu'à être condensée.

Perdus dans leur contemplation ébahie de ce décor irréel, Yato et Yukine n'entendirent pas tout de suite des pas fouler le parquet derrière eux.

_ Nous y voilà.

Les deux garçons se retournèrent et mirent quelques secondes à se remettre de ce qu'ils virent. Les deux maîtres de cérémonie venaient de faire leur entrée, parés de leurs plus beaux atours.

Tsukuyomi avait revêtu un riche costume qui s'apparentait aux lointains prêtres onmyôjis composé d'une tunique anthracite aux larges manches bordés de fils de nacre sous lesquelles se devinaient d'autres épaisseurs de tissu de couleur blanche ou violette. Sur la poitrine, de part et d'autre des épaules, reposait un fin cordon de soie argenté sur lequel pendait quelques breloques gravées de symboles inconnus. Une grosse ceinture tressée achevée par des nœuds complexes scellait la tunique par-dessus un large pantalon noir bouffant serré aux chevilles. Le dieu de la lune avait troqué ses lunettes parmes non pas pour la traditionnelle haute coiffe noire des maîtres du yin et du yang mais pour un simple diadème qui cerclait son front, une perle d'ivoire en forme de goutte reposant sur la glabelle. Quant à sa sœur, elle n'était pas en reste.

Sa chevelure d'or lacée de filets de perles et de pendeloques brillantes, Amaterasu resplendissait tel un soleil dans un somptueux kimono cérémoniel blanc immaculé dont les multiples couches de vêtements aux tons chauds éclataient parmi les ornements dorés qui ponctuaient son habit ici et là de nœuds chinois ou de pampilles. Le pan du kimono, évasé sur la base, brillait de splendides motifs traditionnels peints de couleur miel. Même la ceinture était scellée par plusieurs obis de différents tons lumineux, ce qui était à se demander comment la jeune femme parvenait à respirer.

Yato garda le silence face à tant de prestance. A les voir ainsi richement vêtus et si imposants, le jeune homme ne réalisait presque que maintenant qu'il avait eu à faire jusqu'à présent avec des dieux millénaires. Mais leurs hôtes avaient été si accessibles avec eux qu'il en avait oublié leur rang. Maintenant, il voyait à quel point Amaterasu et Tsukuyomi étaient puissants et importants.

_ Ah là là… soupira la déesse avec un petit rire gêné qui fit chanter les breloques qui s'entrechoquaient. Tout ce cérémoniel…

_ La tradition, rappela avec sagesse son frère avant de se tourner vers Yato et Yukine. Vous êtes prêts?

Les deux amis opinèrent du chef.

_ Et vous? demanda doucement Amaterasu en se retournant.

Captivés par les auras aveuglantes des deux divinités, Yato et Yukine n'avaient pas vu que derrière Amaterasu se tenaient les jumeaux Murakumo et Kusanagi, habillés de simples kimonos blancs. Ceux-ci répondirent d'un signe de la tête à leur maîtresse qui eut un faible sourire. Yato ne comprenait pas. Les jumeaux allaient aussi participer à la cérémonie?

_ Dans ce cas, allons-y, annonça Tsukuyomi en ouvrant la marche.

Resté en retrait, Yato observa le groupuscule s'avancer vers la plateforme principale marquée des trois cercles placés en triangle équilatéral. Tsukuyomi s'arrêta sur celui de droite (celui au-dessus duqel se tenait la lune), tandis que sa sœur et ses Armes Divines se dirigèrent vers celui du milieu. Elle leur sourit doucement, une main affectueuse sur leur tête puis se recula d'un pas.

Les jumeaux se firent face tandis que leur corps se changeait en une lumière bleutée intense. Les deux boules d'énergie oscillèrent quelques secondes dans les airs puis se fondirent l'une dans l'autre. La lumière s'intensifia et s'allongea sous les yeux ébahis et interrogatifs de Yato et Yukine. Que faisait Amaterasu avec ses serviteurs?

La jeune femme tendit la main vers la lumière et celle-ci éclata en une poussière brillante, révélant une magnifique épée à double tranchant un peu plus courte que la moyenne, dont la garde était toute faite d'onyx et achevée par un nœud chinois doré.

_ Ils… se sont changé en épée unique? balbutia Yukine avec effarement.

_ Ame no Murakumo no Tsurugi… murmura Yato à voix basse.

_ Hein?

Amaterasu leur sourit avec mélancolie alors qu'elle contemplait l'épée entre ses mains.

_ Tu as compris, Yato. Même si nous ne sommes que deux aujourd'hui, les enfants d'Izanagi et d'Izanami forment à la base une trinité…

Le blondinet comprit à son tour. Evidemment. Il manquait le mouton noir de la fratrie, celui qui aurait cherché à le tuer le premier soir : l'enfant terrible Susanô. Mais puisqu'il avait quitté sa famille et que sa présence était requise pour mener à bien la cérémonie, cette place échouait donc à la seule chose qui se rattachait à lui : l'épée qu'il avait offerte il y avait longtemps à sa sœur solaire, l'épée légendaire Ame no Murakumo no Tsurugi.

_ Même si j'ai fait de Murakumo et Kusanagi mes Armes Divines, cette épée n'est pas vraiment la mienne, mais celle de notre frère. Elle est tout ce qui nous reste de lui.

Ses mots respiraient la tristesse en évoquant le manque que l'absence de Susanô avait créé chez la jeune femme. Il était évident que malgré ce qu'elle avait pu dire sur lui, Amaterasu était profondément attachée à lui et regrettait qu'il ne fût pas là en ce jour. La preuve en était qu'elle considérait encore Ame no Murakumo no Tsurugi comme l'arme de son frère, bien qu'il lui en eût fait cadeau. Etait-ce là une façon de croire qu'il était encore un peu parmi sa famille? Des zones d'ombre s'éclairèrent ainsi dans l'esprit du jeune dieu : la colère d'Amaterasu en apprenant que son frère avait fait appel à Nora alors qu'il avait sa propre Arme Divine, l'expression étrangement triste de la déesse quand elle regardait les jumeaux ou encore la présence de ce bassin d'eau en forme de cercle autour de la plateforme cérémonielle. Susanô étant le dieu des tempêtes, son élément devait lui aussi figurer quelque part.

Après ces quelques instants presque recueillis, Amaterasu empoigna à deux mains la garde d'onyx de l'épée et planta cette dernière avec fermeté dans le socle de pierre, tel Merlin isolant Excalibur dans le roc. L'arme se mit alors à dégager une faible aura bleutée tandis que l'eau du bassin se mettait à frémir.

Puis, la jeune femme se dirigea vers le piédestal resté vide et se tourna vers les deux spectateurs silencieux.

_ Nous allons canaliser notre énergie avec celle de l'Arbre-Pilier afin de la faire "décanter" au maximum, expliqua-t-elle. Si nous t'attribuions cette énergie pure directement, ton corps ne le supporterait pas et tu en mourrais. Quand nous te le dirons, tu t'armeras de Sekki et tu planteras sa lame dans le tronc. Ta nouvelle force te sera alors transmise.

Yato hocha la tête, le cœur battant à mille à l'heure. Savoir que l'on allait lui insuffler une puissance qui pourrait le tuer sur le coup était effrayant quelque part. En dépit de cela, il ne ressentait qu'une poussée fulgurante d'adrénaline qui bouillonnait dans ses entrailles.

_ Il nous sera également impossible d'interrompre le rituel, ajouta Tsukuyomi, les mains croisées dans les longues manches anthracite. Puisque Susanô n'est pas avec nous, il nous faudra davantage de concentration.

Yukine déglutit lentement. Il n'osait imaginer ce qu'il se passerait si une énergie spirituelle aussi puissante était relâchée d'un seul coup. Et dire qu'il allait servir d'intermédiaire entre cette puissance - certes délayée - et son maître. Il espérait de toutes ses forces pouvoir tenir le coup. Mais Amaterasu et Tsukuyomi savaient ce qu'ils faisaient… n'est-ce pas?

Sur ces mots, les deux divinités majeures fermèrent les paupières et firent silence. Tout à coup, une onde invisible traversa les lieux de part en part, filtrant au travers de Yato qui en eu presque le souffle coupé.

La cérémonie venait de commencer.

L'atmosphère se fit vide tandis que la lune et le soleil dans le ciel étaient devenus pratiquement indissociables. Tous deux n'étaient plus que deux disques de vermeil pâle transparents dans une toile crépusculaire entre le jour et la nuit. Au contraire, leurs représentants divins rayonnaient de tout leur éclat : la chevelure d'or d'Amaterasu irradiait de la lumière du zénith tandis que la peau éburnéenne de Tsukuyomi s'illuminait d'une douce pâleur argentée. A leurs pieds, l'eau circulait dans le bassin, portée par un faible courant. Plus loin, l'aura magique de l'Arbre-Pilier oscillait tels les battements d'un cœur qui venait de se mettre en marche. Une faible brise balaya l'endroit, transportant avec lui une vague odeur de marée.

Puis, de petites lumières apparurent tout autour du cercle d'eau. Un premier lacet de symboles dorés se traça, secondé par un autre cercle, celui-ci dessiné de lumière argentée. Enfin, l'eau frémissante s'éleva lentement de son réceptacle en un fin rideau aqueux et se referma autour des divinités et de l'épée en un dôme protecteur. Après quelques secondes, la bulle adopta la mesure des variations d'aura de l'Arbre-Pilier et leurs énergies respectives battirent de la même pulsation. Les auras divines et terrestres venaient de s'accorder et de se lier enfin.

_ Je sens presque cette jonction, pensa Yato qui ne savait plus où poser les yeux.

Il aurait juré que s'il avait osé s'aventurer dans l'espace qui séparait la bulle d'eau de l'arbre, il en suffoquerait. Amaterasu ne plaisantait pas quand elle parlait de la dangerosité d'une telle force. Le kami jeta un œil par-delà l'écran aqueux. Les deux divinités étaient devenues de parfaites statues, figées dans une concentration extrême qui devait leur être assez douloureuse. Cependant, si Amaterasu ni Tsukuyomi n'en laissait rien paraître, il ne se reflétait de leur visage serein qu'une intense méditation posée. Dans quelle proportion prenaient-ils en charge la part spirituelle laissée à l'épée Ame no Mura…?

Le jeune homme perdit soudainement le fil de sa pensée qu'il avait dirigée vers le socle de l'épée légendaire. Derrière la lame scintillante, de l'autre côté du dôme d'eau, une silhouette déformée par l'onde observait la scène avec une parfaite indifférence.

_ Que…!

Yato n'eut pas le temps d'esquisser le moindre geste qu'il se retrouva immobilisé, comme retenu avec des chaines invisibles. Son corps tout entier était prisonnier d'une force qui le comprimait de toute part, empêchant le moindre mouvement.

_ Du vent? réalisa-t-il en sentant sa frange onduler sur son front.

_ Merci de m'avoir remplacé, je ne suis pas du genre à rester en place, déclara la voix masculine derrière le dôme.

D'un même mouvement, Amaterasu et Tsukuyomi écarquillèrent les yeux d'effarement et furent vite rappelés à l'ordre :

_ Ne relâchez pas votre vigilance, mes chers aînés. L'Elévation ne fait que commencer.

La silhouette contourna la bulle et apparut enfin. Yato n'avait jamais vu ce jeune homme à la petite vingtaine d'années aux cheveux cachou retenus en queue de cheval. Toutefois, il reconnut sans difficulté ce sweat-shirt sombre et ces yeux bleu safre froids et calculateurs qu'il dardait sur l'assemblée avec un jansénisme peu contenu.

_ Susanô… murmura Amaterasu d'une voix brisée.

Le jeune homme la toisa avec neutralité comme s'il découvrait là une étrangère.

_ Que viens-tu faire ici? demanda Tsukuyomi qui essayait de garder sa concentration pour le rituel.

_ Depuis quand dois-je vous rendre des comptes? répliqua son cadet avec dédain. Contentez-vous de poursuivre cette cérémonie.

Avec toujours autant de flegme, Susanô traversa de sa main la bulle d'eau et fit glisser son poignet le long de la lame d'Ame no Murakumo no Tsurugi. De l'entaille qu'il se fit naquit un fin filet de sang qu'il laissa couler le long de l'acier brillant jusqu'à perler le socle de pierre blanche. Lorsqu'il jugea la quantité versée suffisante, le dieu des tempêtes s'empara de l'arme et la tira de son fourreau minéral.

_ Je suppose que mon sang suffira à prendre le relais, dit-il en contemplant son arme laissée en gage depuis des siècles et des siècles. Cela faisait longtemps, Ame no Murakumo no Tsurugi…

Le dieu n'eût guère le temps de contempler son arme que Yukine explosa, non sans essayer de se débarrasser de ses propres liens aériens :

_ C'est vous qui avez voulu me tailler en pièces l'autre soir ! Pourquoi !

Susanô baissa la lame devant ses yeux pour inspecter le jeune adolescent. Ce dernier eut un mauvais frisson qui lui remonta le long de l'échine. Ce type avait vraiment un regard de tueur sans état d'âme. Ses yeux vous perçait tel des balles de glace.

_ Un simple coup d'essai, répondit le jeune homme comme s'il évoquait le souvenir d'une partie de cartes perdue. Mais je vise plus grand maintenant.

_ Susanô, qu'est-ce que tu veux? Tu n'as pas besoin d'une Élévation, tu es comme nous un dieu primaire, grinça Tsukuyomi entre ses dents.

_ Ne vous occupez pas de moi, comme vous le faisiez jusqu'à présent.

Le dieu des tempêtes avait porté son regard dans l'immensité du feuillage de l'Arbre-Pillier, l'expression indéchiffrable. Pendant ce temps, le cerveau de Yato tournait à mille à l'heure. Ce revirement de situation n'était pas le meilleur. Que venait faire l'enfant terrible de la fratrie en pleine cérémonie d'Élévation? Il voulait qu'elle aille à son terme, mais pour quelle raison? Comme le disait Tsukuyomi, Susanô était déjà un dieu puissant. Cela n'avait pas de sens. Cherchait-il à se venger pour renverser sa famille qui l'avait forcé à s'exiler pendant des siècles?

La contemplation éperdue de Susanô s'évanouit alors que ce dernier fronçait les sourcils.

_ "Aneue", je sens que tu faiblis. Tu ne voudrais tout de même pas que l'essence de l'Arbre-Pillier explose et tue tout le monde, n'est-ce pas?

Elle tressaillit faiblement à cette appellation si nostalgique. En effet, son aînée semblait enchaînée à une douleur muette qu'elle ne se résolvait à exprimer que par un visage blême perdu entre l'effroi et une grande peine. Yato avait compris auparavant que l'exil de son frère avait rendu la déesse malheureuse en dépit de ses silences à son sujet. Il ne pouvait imaginer ce qu'elle devait ressentir à voir un membre de sa famille la trahir ainsi.

La jeune femme secoua un peu la tête afin de se reprendre et plissa davantage les yeux, la concentration poussée à son maximum.

_ Tu étais accompagné d'une Nora, l'autre soir… Pourquoi? Alors que Ame no Murakumo no Tsurugi était ici…

Yato et Yukine furent alors surpris. Cette question, bien qu'elle ne fût pas la plus essentielle, eut l'air d'avoir un peu déstabilisé son destinataire. Le froid mépris de Susanô venait de se craqueler pour laisser voir un visage traversé par plusieurs émotions confuses impossibles à interpréter. Amaterasu avait-elle touché un point important chez son cadet? Si cela était le cas, cette fêlure se referma bien vite car le jeune homme la darda d'un regard de colère presque vexée.

_ Comme tu l'as si bien dit, l'épée était chez vous, lâcha-t-il avant de tourner les talons.

Sur ces mots, la divinité quitta la terrasse cérémonielle pour se diriger en direction de l'Arbre-Pillier sans aucun autre regard à ses captifs.

_ Mais quel…! bouillait Yukine qui se démenait comme un beau diable pour rompre la pression du vent qui maintenait ses bras le long de son corps. Il faut l'arrêter!

_ Que se passerait-il s'il venait à prendre la puissance de l'Arbre-Pillier? demanda Yato avec fébrilité.

_ Nous l'ignorons, reconnut Tsukuyomi dont la voix laissait entendre son impuissance en dépit de son visage fermé par la concentration. Qu'un dieu primaire aille réclamer un nouveau pouvoir était tout simplement inconcevable jusqu'à présent.

_ Il n'est pas comme ça, tenta sa sœur qui voulait garder l'espoir. Il…

_ Il est en train de commettre une folie, Amaterasu! Ne vois-tu pas comme il a changé?

Silence de la part de son interlocutrice qui peinait à ne pas être en proie au désespoir. Il était vraiment perturbant de voir Amaterasu, d'ordinaire si enjouée et rayonnante, à ce point abattue et le sentiment qui se créait alors chez Yato et Yukine ne faisait qu'alourdir le poids qu'ils avaient en eux. Il ne fallait pourtant pas céder à cette sensation de grisaille éternelle, il fallait agir!

_ Je ne le laisserai pas faire, déclara Yato, une étincelle au fond des yeux. Après tout, c'est moi qui ai galéré pendant ces épreuves!

_ Y-Yato… soupira Yukine, une goutte de sueur froide sur la tempe.

Tout en jetant toutes ses forces et son énergie dans tout son corps, le jeune kami appela à lui Sekki, priant pour que la magie de Susanô se soit limitée à une simple concentration d'air autre d'eux. A son ordre, Yukine se dématérialisa en une vive lumière et alla naturellement rejoindre la main droite de son maître qui n'attendit même pas sa rematérialisation. Dans un cri de rage, Yato brisa ses chaînes d'air en même temps qu'il serrait la garde de Sekki dans sa paume, boosté par la présence de son allié.

_ Bien joué, Yukine, félicita-t-il avant de se tourner vers les deux autres dieux. Je m'occupe de Susanô. Maintenez la stabilité du rituel pendant ce temps.

Il n'eut le temps de s'élancer que la voix d'Amaterasu le retint :

_ Yato, s'il te plait…

Elle n'avait pas besoin de finir. Le ton de sa voix était une requête à elle-seule. Il lui sourit doucement.

_ Ca va aller, Amaterasu-sama. On n'ira pas jusque là.

La promesse faite, le kami quitta la terrasse à toute allure, non sans se demander comment parvenir à arrêter un dieu primaire sans se faire tuer.

L'odeur de marée sentie auparavant (et dont la provenance était à présent identifiée) emplissait l'air chargé d'ondes statiques magiques. L'océan lointain qui bordait l'île d'Onokoro s'était soumis au dieu des tempêtes et lui prêtait sa force élémentaire. Penser à cela était d'ailleurs un peu effrayant.

Durant sa course, Yato ne pouvait se défaire d'un sentiment bancal d'incertitude. Quelque chose clochait dans cette histoire et ne pas pouvoir mettre la main sur ce détail le frustrait. Ce qui était en train d'arriver n'était pas logique. Amaterasu et Tsukuyomi avaient déjà procédé autrefois à d'autres Élévations, même si cet événement était rare. Si Susanô voulait le pouvoir, pourquoi ne pas avoir tenté sa chance avant? Pourquoi cette cérémonie-ci en particulier? Quelle était la pièce du puzzle qui manquait? Qu'est-ce que qui lui échappait? Qu'est-ce qui faisait que la situation actuelle n'avait aucun sens?

Le jeune kami arriva non loin de Susanô qui se tenait près de l'Arbre-Pillier, en train de contempler le battement régulier de son aura colorée. A l'approche de son homologue, il se retourna, la lame d'Ame no Murakumo posée le long de ses épaules.

_ Dieu Yato, c'est bien ça? lança-t-il d'une voix blasée et froide. Ne penses-tu pas avoir déjà assez donné avec Inari? Reste tranquille. Ton Arme Divine a déjà eu la chance de ne pas avoir été ma dernière victime, tu devrais abandonner.

Yato pila dans sa course quand il sentit l'aura de Sekki tressaillir dans sa paume.

_ "Dernière victime"? balbutia Yukine avec horreur.

De nouveaux mystères s'éclaircirent dans l'esprit du jeune homme. Susanô avait déjà tué des Armes Divines? Ceci expliquerait alors la présence de Nora. Sans doute ne voulait-il pas souiller la lame de sa propre épée comme nombreux kamis l'avaient déjà fait avant lui et donc, il avait fait appel à une arme tierce pour accomplir la sanglante besogne. D'un autre côté, l'énigme s'épaississait davantage telle la brume d'Ecosse en automne.

_ Pourquoi avoir assassiné des Armes Divines? J'imagine que ce n'était pas l'affaire d'une ou deux seulement, devina Yato en plantant ses iris cyan dans ceux de son interlocuteur. Pour vouloir passer directement à la puissance de l'Arbre-Pillier, c'est que vous devez être lassé. Ou que ces meurtres ne sont plus rentables.

Susanô eut une grimace de mépris agacé en entendant cela, ces mots faisant écho à ceux d'Inari auparavant.

_ Vous mentionnez aussi Inari, ajouta Yato sans le lâcher des yeux. Vous étiez de mèche?

_ Certainement pas, trancha aussitôt le dieu des tempêtes. Ce gamin est complètement fou, il était plus une gêne qu'autre chose. Je me serais personnellement occupé de lui si j'avais pu.

_ Qu'est-ce qui vous a retenu alors?

Le visage de l'homme à la queue de cheval s'assombrit encore plus, le regard davantage terni par une lassitude exaspérée. Ce garçon posait vraiment trop de questions et pas les meilleures de surcroît. Ses raisons ne regardaient que lui et maintenant qu'il touchait au but, il ne laisserait personne se mettre en travers de son chemin. S'il devait une nouvelle fois faire couler un sang divin ou spirituel, même dans l'enceinte sacrée de ses glorieux parents, il le ferait sans état d'âme. Un de plus; un de moins, ici ou ailleurs, il irait jusqu'au bout du chemin qu'il avait emprunté il y a longtemps maintenant.

Après un bref regard vers l'Arbre-Pillier, Susanô soupira.

_ Bien… Au moins, si je t'élimine, je sais que j'aurai le champ libre définitivement.

Le nouveau visage qu'il offrit à ses opposants figea ces derniers un bref instant. C'était le même que celui de la première nuit, celui d'un être qui avait éteint son humanité pour ne plus être encombré. A l'inverse, ces pupilles s'étaient embrasées par une folie mesurée qui calculait déjà avec minutie l'extermination des gêneurs. Susanô venait de délaisser son apparente lassitude pour une détermination inébranlable. Rien ne vacillait ou ne tremblait dans le bleu safre de ses iris.

_ Il est devenu sérieux, murmura Yato pour lui-même.

_ Non? Qu'est-ce qui te fait dire ça? railla Yukine qui sentait ployer sur lui le poids des responsabilités.

La seconde suivante, un éclat d'aciers s'entrechoquant résonna dans l'espace. Susanô s'était littéralement téléporté face à Yato qui ne devait son salut qu'à un excellent réflexe. La pression qui s'exerçait entre les deux lames n'avait rien à voir avec la précédente rencontre des deux bretteurs. Yato devait donner bien plus de force pour ne pas céder de terrain à son ennemi. Celui-ci n'avait pas menti quand il disait que la rencontre au pavillon de son frère et de sa sœur n'était qu'un coup de poker. Dommage pour lui, le jeune dieu était aussi très motivé.

_ J'ai une amie très chère qui attend mes nouveaux pouvoirs, j'ai aussi mes raisons pour vous empêcher de nuire, souffla-t-il entre ses dents et droit dans les yeux glacés de l'autre dieu.

Susanô sembla prendre ombrage de cette déclaration. Une nouvelle lueur de folie le traversa et avec la vivacité de l'éclair, il repoussa Yato d'un puissant coup et l'assainit d'une pluie de lames que le jeune homme tenta de parer du mieux qu'il put tout en reculant. Pourquoi cette soudaine violence?

Une douleur aiguë zébra tout à coup son bras gauche et lui arracha un grognement sourd.

_ Yato, ça va? s'inquiéta Sekki tandis que son maître se dégageait du combat en un bond souple.

_ Ca brûle un peu, mais rien de grave.

En effet, l'air ambiant qui effleurait la blessure qui striait son avant-bras provoquait une douleur vive continue.

_ Le sel de la mer finit par corroder ce qu'il touche, lança Susanô avec neutralité. A la longue, tu voudras qu'on te coupe le bras.

_ J'ai encore du temps avant ça.

Loin de se laisser toucher par l'impudence du kami face à lui, le dieu des tempêtes fendit l'air de sa lame qui fit naître de ces mouvements un puissant courant d'air que Yato se prit de plein fouet. Le réflexe qu'il eut de porter les bras devant lui le sauva d'une nouvelle atroce brûlure corrosive au visage. Hélas, il ne pouvait en dire autant de ses mains. C'était comme s'il les avait plongées dans un bain d'acide. Ses vêtements ne le protégeraient pas très longtemps non plus.

Le temps pour lui de se reprendre, Yato se retrouva saisi par des liens aériens que Susanô guidait de sa propre main. Ses poignets et ses chevilles ne pouvaient plus remuer le moindre muscle. Et avant d'avoir pu dire "ouf", notre héros fut projeté tel un fétu de paille contre le large tronc massif de l'Arbre-Pillier. Le choc fut tel que Yato jura avoir sentit toutes ses vertèbre se briser en mille morceaux en plus avoir des morceaux d'écorce plantés dans la peau. Quelle était la douleur la plus insupportable? Celle de son corps brisé ou celle ressentie par son cerveau qui se pétrifiait d'un soudain contact direct avec la forcé spirituelle de l'arbre? Impossible de savoir, tout son être était paralysé.

_ Quelle folie de se mesurer à un dieu primaire, déclara Susanô en remettant son adversaire sur ses pieds grâce au vent puis le collant contre le tronc. Je suis peut-être le cadet, mais pas le plus faible.

Dans son esprit confus, Yato entendait résonner aux quatre coins de sa tête les appels de Sekki qui lui sommait de se reprendre et de ne pas se laisser faire. Bien que ce fût aussi sa volonté, le jeune homme ne pouvait s'empêcher d'accorder raison à son ennemi. Qu'espérait-il faire face à un dieu de cette trempe? Ils n'étaient pas sur un pied d'égalité et Susanô avait toute l'atmosphère autour de lui pour se battre. Et lui, qu'avait-il pour lui? La détermination vengeresse de Yukine, sa propre expérience des combats et sa volonté inébranlable de revoir Hiyo…

_ Hiyori return's kick!

Une scène indescriptible se déroula avec la lenteur d'une slow motion. Ce cri rageur qui éclata dans le silence. Une silhouette à la longue chevelure chocolat qui fendit les airs tel un ouragan. Le corps de Susanô qui vola plusieurs mètres plus loin la tête la première. Puis un visage devant le sien. Le brouillard commença à se dissiper. Puis des yeux. Grands. Brillants. Inquiets. Deux rubis rose. Ses yeux.

_ Yato ! Yato, ça va? Tu peux encore bouger? demandait Hiyori à toute vitesse en le tenant par les bras.

La vitesse à laquelle son cerveau se remit en marche était prodigieuse. A tel point que Yato se demanda si ce haut débit intellectuel n'était pas la cause de ce qu'il prenait pour un mirage.

_ Hiyori… Tu…

Pas le temps de finir sa phrase que le kami vit du coin de l'œil Susanô se redresser péniblement de l'impact du pied de la jeune fille droit dans son temporal gauche. Sa priorité était de mettre son amie en sécurité.

En deux temps trois mouvements, Yato attrapa Hiyori et profita de la confusion du dieu des tempêtes pour disparaître dans les hauteurs denses et cachées de l'Arbre-Pillier. Il bondit de branches en branches comme il aurait sauté les marches d'un escalier disproportionné, baigné par un silence aussi épais que s'il eût été sourd. Les épais feuillages parme de l'arbre formaient un maillage si serré entre eux qu'ils coupaient aussi bien les bruits que la vue à l'extérieur. Seul le bruissement des feuilles que Yato frôlait dans sa course effleurait le silence quasi-sidéral.

Quand il jugea être monté assez haut d'accès pour Susanô, le jeune homme s'arrêta sur une branche assez large et y déposa sa passagère encore un peu tourneboulée.

_ On a eu de la chance, soupira Hiyori en armant son équilibre une fois sur la branche. A peine je sors de mon coma que je vois que…

Ses mots ne se poursuivirent pas. Yato venait juste d'encadrer son visage de ses mains et la retenait d'un baiser qui fit rougir Hiyori jusqu'aux oreilles, en plus de la paralyser de surprise. Elle sentait ses doigts se refermer un peu dans ses cheveux, à croire qu'il voulait s'assurer que c'était bien elle en face de lui et non un mirage. Ce geste aussi soudain qu'inattendu la coupa du reste du monde au point d'ignorer combien de temps son cerveau se mit en suspens.

Lorsqu'il se sépara d'elle, Yato lui offrit un sourire d'un genre qu'elle ne lui connaissait pas.

_ J'aurais dû faire ça il y a longtemps. Pardonne-moi.

Pfiu! A peine le temps de rebrancher ses synapses que la jeune fille sentait une micro explosion de vapeur lui sortir des oreilles. Elle ne put que se contenter pour l'instant de lui rendre un sourire. Lui aussi lui avait manqué.

_ Susanô veut s'emparer du pouvoir qui m'est normalement destiné, expliqua ensuite Yato avec sérieux. Pourquoi, je ne sais pas, mais il vaut mieux éviter ça. Il ne te trouvera pas ici alors, reste là jusqu'à ce que ça soit fini.

A peine commença-t-il à se retourner que Hiyori le retint par le bras.

_ Ça ira pour toi? Ton adversaire n'est pas n'importe qui, s'inquiéta-t-elle.

Il posa sa main par-dessus la sienne et la serra un peu avec un sourire confiant.

_ Je n'ai peut-être plus l'obligation d'avoir ces nouveaux pouvoirs, mais j'ai retrouvé toutes mes forces maintenant. Merci d'exister, Hiyori.

Au battement de cils suivant, la jeune fille le vit deux branches plus bas, à bondir avec agilité et l'envie d'en découdre. Elle avait confiance en lui, bien sûr, mais elle ne pouvait s'empêcher d'avoir peur pour lui. Elle avait déjà failli le perdre encore il y a peu.

Perdue dans ses pensées et le regard égaré dans l'immensité végétale du dôme feuillu de l'Arbre-Pillier, l'attention de l'adolescente s'arrêta tout à coup sur un élément en contrebas qui tranchait avec l'écorce du tronc et le mauve environnant des feuilles. Elle se pencha prudemment et plissa les yeux avant de les écarquiller.

_ Mais…!

Au pied de l'Arbre-Pillier, Susanô accueillit le retour de son challenger d'une œillade sombre, l'épée posée sur son épaule. Il détailla Yato du coin de l'œil et découvrit à son tour l'attitude changée de ce dernier. Il y a quelques minutes encore, il était à sa merci, presque prêt à abandonner. C'était à présent un fauve qui venait d'atterrir au sol d'un bond agile, une panthère aux iris de glace enflammés qui lui faisait silencieusement comprendre que maintenant, ce n'était plus l'heure de s'amuser.

Le dieu des tempêtes ne put réprimer un petit ricanement.

_ Audacieuse, ton humaine, reconnut-il en se frottant un peu sa joue rougie. Elle a du cran. Un trait que je pensais perdu depuis longtemps.

Yato fronça les sourcils.

_ Elle n'a rien à voir dans notre affaire. Nous voulons tous les deux la même chose alors, réglons ça entre nous.

_ Ça me va.

Les deux bretteurs accordèrent mutuellement un regard furtif à l'arbre gigantesque qui serait le témoin de leur lutte. La pulsation spirituelle se poursuivait avec la même régularité. Il ne restait sans doute que quelques minutes avant que tout ce pouvoir se soit enfin catalysé en son tronc.

Leurs yeux se rencontrèrent en même temps et se dirent la même chose. Yato resserra l'étreinte de sa paume autour de la garde de Sekki.

_ Prêt, Yukine?

Pas de réponse.

_ Yukine…?

_ A-Ah, si… B-Bien sûr, prêt…

Le kami cligna des yeux. Cette voix…

_ Yukine… Ne me dis pas que tu es gêné pour ce qui…

_ Rah, la ferme ! Comment tu crois que je me sentais dans un moment pareil? s'emporta le blondinet, des rougeurs dans la voix. Je n'aime pas tenir la chandelle, voilà!

Petite goutte de sueur sur la tempe du dieu. Oups, il avait en effet complètement oublié son partenaire à ce moment-là. Mais qu'importe, ce n'était pas le moment de parler de ce petit intermède ! En effet, la seconde suivante, Susanô fonçait sur son challenger, prêt à en découdre une bonne fois pour toute. Yato para son coup d'épée de justesse, non sans ressentir une puissante pression spirituelle lui écraser l'aura de tout son poids. Jamais il n'avait eu à se frotter à une divinité majeure, la différence n'avait rien à voir avec ses précédents adversaires. Il s'efforça de tenir bon, soutenant par la pensée son partenaire dématérialisé qui supportait bien pire que lui.

Susanô devina la difficulté qu'éprouvait son opposant et s'en enhardit. Il était perdu.

Une étrange odeur de marée embauma petit à petit l'espace autour d'eux, Yato grimaça. Le sel continuait de brûler sa blessure, c'était acide à un point qui n'allait plus tarder à le faire faiblir.

_ Yato… ! grinça la voix de Sekki dans son esprit. Il est en train de me faire rouiller !

Le kami s'horrifia de constater que la lame de son katana commençait à perdre de son éclat métallique à l'endroit où les lames des armes de touchaient. Là, ça craignait carrément !

Le jeune homme s'attendit à une attaque fulgurante de la part du dieu des tempêtes mais à sa grande surprise, il n'en fut rien : Susanô était en train d'observer quelque chose par-dessus l'épaule de son adversaire avec une expression figée inédite. Cette demi-seconde d'inattention permit au dieu de repousser son ennemi d'un coup de pied avant de filer comme une flèche vers l'Arbre-Pillier. Yato pensa tout de suite qu'il s'agissait de la fin du rituel. C'était pire que cela : Hiyori avait quitté sa cachette en emportant avec elle… une personne ? Le sang du kami ne fit qu'un tour. Elle allait se faire tuer !

Le kami bondit sur ses pieds et se rua de toute sa vitesse à la poursuite du dieu pour l'arrêter avant qu'il n'atteigne la jeune fille.

_ Va-t-en vite, Hiyori ! lui hurla-t-il. FUIS !

La semi-ayakashi semblait pétrifiée sur place, tel le petit mammifère qui voyait fondre sur elle son pire prédateur. Visiblement, elle pensait s'enfuir avec plus de discrétion. Susanô avait-il un radar avec lui ou quoi ? La jeune fille était perdue, coincée entre son besoin de fuir et le passager clandestin qu'elle avait pris avec elle. Et l'aura décuplée de force du dieu majeur qui fonçait sur elle la clouait au sol avec autant d'efficacité que les yeux hypnotiques d'Inari.

_ HIYORI !

L'appel désespéré de Yato lui donna le dernier électrochoc qui la tira de sa sombre torpeur. L'adolescente déposa à la hâte le corps inanimé dans l'herbe qu'elle portait sur son dos et décampa avant de se faire emporter dans les airs par Yato au battement de cil suivant.

_ T'es complètement folle ! fustigea le garçon d'une voix encore blanche.

_ Mais on ne peut pas la laisser ! répliqua son amie en regardant en arrière, effrayée. Je l'ai trouvée inconsciente sur une branche du…

_ Hein ? Mais de qui…

Un simple coup d'œil en arrière l'informa de ses questions. Hiyori avait récupéré et déniché une jeune fille inanimée dont l'âge devait se situer dans la fin de l'adolescence, vingt ans grand maximum. Elle avait une longue chevelure d'un brun sépia brillant qui tranchait violemment avec la pâleur extrême de sa peau, plus blanche que la neige. Etait-elle vivante au moins ? Plus pour très longtemps si tel était le cas, car Susanô se précipitait vers elle... puis s'agenouilla à ses côtés ?

Le dieu inspecta brièvement le corps, murmurant des paroles que Yato et Hiyori ne purent entendre, puis posa la main sur le front de la jeune femme inerte. Le jeune kami craignit pour l'inconnue. Si elle était une gêne, le dieu n'hésiterait pas à… Une minute. Même s'il ne la voyait pas de près, la jeune fille lui fit l'effet d'une lumière dans son esprit. Ces longs cheveux…

_ L'esprit de la cascade ! s'exclama-t-il. C'est elle qui m'a parlé.

Susanô sursauta faiblement en l'entendant et émergea de sa torpeur. Il toisa les deux jeunes gens sur le qui-vive face à lui avant de se pencher de nouveau sur l'inconnue qu'il prit dans ses bras.

_ Qu'est-ce que tu comptes faire d'elle ? lui lança Yato en fronçant les sourcils. Elle non plus, elle n'a rien…

_ Ferme-la, répondit calmement Susanô en se remettant debout.

Il se pencha à l'oreille de l'évanouie, souffla quelques mot à son oreille puis le corps s'évapora dans une lumière blafarde avant de se matérialiser dans la main gauche du dieu en un splendide naginata au manche d'ébène et à la longue lame courbée ornée de gravures d'or.

_ Une autre Arme Divine ? s'étrangla Yukine. Mais il en a combien comme…? Hé… ?

Le jeune homme à la queue de cheval inspecta sa nouvelle arme avec une expression dont Yato ne perdit pas une miette. Il se passait quelque chose. Il brillait toujours dans les sombres iris de son ennemi une flamme d'une vivacité et d'une puissante indescriptible, mais quelque chose avait changé. Ses pensées s'interrompirent à cause de parasites qui fourmillaient dans sa tête. Sekki essayait de lui dire quelque chose.

_ Yato, ce naginata… Cette fille… Elle a une aura étrange…

_ Et que veux-tu qu'elle soit à part une Arme Divine ? Elle s'est transformée, non ?

_ Oui, mais ce qui me perturbe le plus c'est qu…

Une onde électrique et sèche le fit taire comme elle figea Yato. Son corps et sa tête, tout avait été court-circuité par cette subite vague de puissance écrasante. Était-ce l'Arbre-Pillier qui venait d'émettre sa dernière pulsation ? Non, c'était pire que cela.

Notre héros venait de plonger ses yeux dans ceux de l'homme face à lui. Et la tempête qui y éclatait n'avait rien à voir avec ce qu'il avait vu précédemment. Il avait à présent devant lui le vrai dieu de la tempête, celui qui pulvériserait ses ennemis par la simple rafale du vent ou la mer déchaînée. Le fait d'avoir pris en main cette nouvelle Arme Divine venait de déclencher quelque chose chez lui. Et ce quelque chose était d'une violence inouïe.

_ Maintenant, c'est terminé.

Trois mots prononcés dans un calme cristallin et pourtant, un typhon était en train de se lever. Le temps de réaliser que lui et Sekki étaient entre Susanô et l'Arbre-Pillier, Yato perdit de vue son opposant.

_ Hiyori, file ! Yukine, c'est maintenant ou jamais ! Son arme est mal en point, en un coup ça sera bon !

_ Mais… !

_ Je parle de survie, Sekki ! ALLEZ !

Tout se passa très vite. Alors qu'il se préparait à donner tout ce que son potentiel de kami non reconnu lui octroyait, Yato remarqua qu'au lieu de foncer droit sur lui, le dieu des tempêtes semblait vouloir dévier légèrement sa trajectoire. Il comptait foncer droit sur l'arbre sacré et s'accaparer toute sa force ! Si cette magie venait à être relâchée sans être prête, personne n'y réchapperait ! Ce serait donc l'objectif de Susanô ? Détruire le monde originel de sa famille qu'il détestait tant ?

Un bref instant, le jeune homme vit des images flasher devant ses yeux dont le triste visage d'Amaterasu, la si douce et chaleureuse jeune femme qui aimait malgré tout son frère de tout son cœur et qui jusqu'au bout refusait de voir en lui un être pétri de haine et de noirceur. Un peu comme Hiyori l'avait fait pour lui. Ces simples pensées et association d'idées firent bouillir son sang dans ses veines.

Il ne le laisserait pas faire.

Plus que quelques centimètres avant d'arriver à sa hauteur. Il pivota sur ses talons et arma son bras dans le bon angle. Plus le temps de réfléchir.

Tout à coup, une voix paniquée dans son esprit :

_ Yato, son Arme Divine est une humaine !

Son souffle se suspendit une demi-seconde trop tard. La lame de Sekki s'entrechoqua avec violence contre l'acier émoussé du naginata aux gravures dorées. Un bruit de verre brisé.

Susanô coupa sa course aussi subitement que si l'on venait de lui tirer dessus en plein cœur.

Une lumière éclata dans le crépuscule de la clairière.

Lorsque le silence revint le temps avait ralenti sa course. Le gigantesque tronc rugueux millénaire était à quelques mètres à peine de lui et pourtant, Susanô restait pétrifié, le teint livide et les yeux morts devant le corps inerte de la jeune inconnue aux longs cheveux sombres qui gisait à ses pieds. La seconde suivants le réanima de détresse :

_ NOOOOOOOOOOOOOON ! Kushinada !

Il mit aussitôt genou à terre et redressa précautionneusement la jeune fille dont la pâleur extrême aurait pu la faire confondre avec une yuki-onna.

Restés en retrait, Yato, Yukine et Hiyori observaient la scène avec amertume.

_ Je n'en reviens pas, murmura le kami. Une mortelle, en Arme Divine ? J'ignorais que c'était possible…

Loin de tergiverser sur la métaphysique du monde des dieux, l'adolescente à ses côtés voyait davantage l'humanité du tableau devant elle. Tout ce qu'elle voyait, c'était un homme brisé qui serrait contre lui un être précieux.

_ L'Élévation… C'était pour elle, n'est-ce pas ?

Ces paroles firent tressaillir le dieu qui redressa la tête et assassina du regard Hiyori avec une telle haine qu'elle s'en effraya et recula d'un pas. De sa main ouverte commençait à se former une boule de vent grondante.

_ Oui… Oui, c'était pour elle. Et maintenant que vous l'avez tuée, je vais… !

_ Ne crois-tu pas que tu en as assez fait, idiot de frère ?

Une cascade de cheveux dorés lui barra la vue dans un cliquetis de breloques. A la surprise générale, Amaterasu s'agenouilla près de la mourante et lui prit l'une de ses mains raidies. Quelques instants après, elle se tourna vers son frère, perdue dans mille et une questions tandis que celui-ci lui retournait une expression pincée.

_ Mais comment… ! Les vivants ne sont pas… !

Elle se heurta au mur de gel du visage de son cadet. Il n'était pas d'humeur à se faire sermonner, surtout dans ces circonstances. Amaterasu soupira et se reprit.

_ Comment a-t-elle… ? commença-t-elle, la voix étriquée par ce qu'elle redoutait d'entendre.

_ Des âmes d'Armes Divines, avoua-t-il nûment sans détour. Je chassais depuis plusieurs mois maintenant. Mais cela ne lui suffit plus.

Enfin voilà lé vérité tant recherchée. Les meurtres avoués d'Armes Divines, la tentative sur Yukine, l'utilisation de Nora en dépit du fait que Susanô possédait déjà plusieurs armes… Il cherchait à prolonger la vie de sa protégée sans lui faire verser le sang. Mais combien d'innocents avaient ainsi péri ?

Un faible souffle à peine audible fit baisser les yeux des deux divinités. La jeune fille peinait à remuer ne serait-ce qu'un cil et chaque mouvement semblait lui coûter le peu de restant de vie qui lui restait.

_ Su…sa…

Sa voix se mourait. Le dieu posa la main sur sa joue froide et serra son corps un peu plus encore.

_ Je suis là, Kushinada. Ca va aller, tu…

_ Arrête… de… tuer…

Quand elle put ouvrir un peu les paupières, ses jolis yeux vert d'eau étaient comme voilés d'un film opaque. Et elle lui sourit. Ce genre de sourire plein de confiance et de candeur qui pouvait vous tuer de remord. C'était ce qui devait se passer si l'on en jugeait les traits du dieu qui se craquelait de plus en plus sous le poids d'émotions trop souvent enterrées et mises sous silence. Ils ne parlaient plus ni l'un ni l'autre et pourtant ils s'échangeaient entre eux des paroles chargées de sentiments. De son côté, Yato comprenait enfin la visite du mystérieux esprit de la cascade et ses messages. Perdue entre le monde des mortels et des esprits, l'âme de la jeune fille cherchait en vain son partenaire pour lui dire ce qu'elle avait sur le cœur.

Susanô finit par serrer Kushinada contre son cœur, une main dans ses cheveux, la gorge et la mâchoire serrées. Touchée et peinée par ce triste tableau, Amaterasu était perdue. Son frère banni pour ses frasques noires s'était rendu coupable de multiples meurtres et… ? Le fil de sa pensée s'interrompit quand elle remarqua autour du poignet de Kushinada un bracelet orné d'un magatama en ambre, miroir d'une autre breloque en forme de « 9 » doré qui servait de pendentif autour du cou de Susanô. Le soleil illumina son cœur et son esprit.

Susanô était épris de Kushinada. Ou plutôt il en était éperdument amoureux. Et la réciproque n'était pas à prouver non plus. Et ce rayon de chaleur risquait de se dissiper d'un moment à l'autre.

Les lèvres encore pincées, la déesse du soleil tourna un peu la tête par-dessus son épaule.

_ Tsukuyomi?

La peau de perle nacrée du dieu lunaire brillait un peu en retrait dans l'ombre de l'épais feuillage de l'Arbre-Pillier. L'homme rejoignit en quelques enjambées rapides le groupuscule et eut une brève œillade inquisitrice à l'adresse de son petit frère. Ce dernier en prit ombrage.

_ Ah, la belle réunion de famille! Je n'ai que faire de votre pitié et vos bonnes…

_ Parce que ton entêtement et faire souffrir l'esprit de ton Arme Divine en commettant des meurtres vont faire avancer les choses, peut-être?

Yukine et Hiyori firent une petite grimace douloureuse. Tsukuyomi avait vraiment ce côté double face qui pouvait être déstabilisant. Et le fait d'être en contact avec le mouton noir de la grande trinité ne devait pas arranger les choses.

Sans un autre regard pour son cadet, l'homme aux cheveux aubergine posa la main sur le front glacé de Kushinada et ferma les yeux quelques instants durant lesquels tout le monde semblait avoir retenu son souffle.

Quand il rouvrit les paupières, il observa tour à tour la jeune fille puis l'Arbre-Pillier avant de se tourner vers sa sœur encore un peu blême.

_ Ce phénomène est si rarissime qu'il en était devenu un mythe, et pourtant. Cette humaine a réussi à se fondre entre les deux mondes, sans doute du fait de son long contact avec…

_ Boucle-la avec ta science ! Il faut la sauver! enragea tout à coup Susanô dont l'aura faisait de dangereux yoyos entre le calme et l'envie de tout balayer sur son chemin.

L'homme soupira avant d'opiner du chef.

_ Oui, la puissance d'une Élévation pourrait compenser.

La seconde suivante, Yato se sentit tel le comédien qui venait d'entrer sur scène pour sa grande première, les projecteurs braqués sur lui. Tous les regards étaient sur lui, chacun avec des nuances différentes. De l'insistance, de l'angoisse, de la curiosité, de l'impatience. Ils l'élevaient tous directement au rang de juge tout puissant quant au sort de cette innocente qu'il ne connaissait ni d'Eve ni d'Adam? La belle affaire!

Le kami se mordit la joue. Il y avait tellement d'enjeux dans cette décision. La vie de quelqu'un, des relations familiales, sa propre avancée spirituelle. Il était écartelé. Tellement de malheurs avaient été causés par Susanô pour une cause défendable. Il était passé par tellement d'épreuves psychiques ou physiques pour atteindre son but mais pourrait-il se considérer comme un dieu en sachant qu'il condamnait une vie en échange? Il commençait à entendre le sang battre à ses tempes.

Puis il sentit le tissu de sa manche de survêtement se tendre. C'était Hiyori qui se tenait timidement à lui, la tête pressée contre son omoplate.

_ N'oublie pas, lui chuchota-t-elle. Les choix des dieux sont toujours justes.

Yato n'eut le temps de réagir car Susanô venait de remuer soudainement. Il s'était tourné tout à coup vers l'Arbre-Pillier avec la lueur annihileuse de la dernière chance au fond du regard. Il comptait jouer le tout pour le tout dans les microsecondes qui s'ensuivraient.

La voix dure de son aîné le brisa tout aussi rapidement :

_ La distillation est prête depuis un moment mais je l'ai cachée derrière une illusion. N'ais pas la bêtise de croire que je ne l'ai pas sécurisée depuis cet instant.

Le jeune dieu répliqua par un regard féroce empli de haine rancunière. Il avait toujours détesté ce pouvoir illusoire chez Tsukuyomi et encore plus sa propre incapacité à savoir voir au travers. Il maudissait aussi le vague espoir qu'il eut d'y croire un instant.

Yato avait devant lui l'image d'un jeune loup acculé qui était prêt à bondir sur tout ce qui bougeait simplement par instinct de survie et non pour le simple plaisir de tuer. Sauf que sa survie n'était pas réellement la sienne. L'étau sur lui se remit à lui compresser la tête. Cette mortelle n'était rien pour lui, c'était lui qui avait subi tous ces tourments pour en arriver là. Il ne perdrait jamais son objectif de vue, il y avait trop d'enjeux. Et puis, il y avait…

Le fil de ses pensées affolées se ralentit lorsqu'il rencontra les iris fuchsia de Hiyori. Le monde se tut alors.

« Elle va mourir… »

« Tu peux éviter cela. »

« Et tout ce que nous avons vécu tous les trois pendant ces trois jours ? »

« Nous avons tout surmonté. Ensemble »

« Mais… et toi ? La promesse… »

Elle contenta de lui sourire. Le fameux sourire assassin aux lames de culpabilité.

« Je ne comptais pas te lâcher de sitôt de toute manière. Je ne veux pas quitter ton monde maintenant. Je veux rester avec toi ».

Il soupira profondément et sentit ses poings se détendre enfin. Lui non plus ne voulait pas la laisser partir. Pas tout de suite. Ou pas du tout, peut-être.

_ Sauvez-la.

Notre trio assista un peu en retrait à l'achèvement tant attendu de la cérémonie d'Elévation. Yato avait certes fait le sacrifice ultime mais il ne fallait pas lui en demander trop. Il se mentirait s'il disait ne pas ressentir d'amertume. La présence de Yukine et Hiyori près de lui apaisait quelque peu la brûlure, tout comme le fait de voir Susanô participer lui-même aux côtés du reste de la fratrie au transfert d'énergie spirituelle.

Kushinada dans ses bras, le dieu des tempêtes servit de lien entre l'arbre et elle. Il posa la main sur l'écorce luminescente et laissa le fluide traverser son corps pour passer à celui de la jeune femme. Il ne prêta aucune attention à toute cette formidable puissance qui coulait en lui comme l'eau sauvage d'une chute vertigineuse, restant focalisé sur le fluide divin qui rendait les couleurs de la vie au teint de l'Arme Divine. Yato reconnut en son for intérieur que ce tableau était émotionnellement fracassant. Cette expression de Susanô qui revenait lui aussi à la vie, il la connaissait. Il l'avait déjà eue pour la jeune semi-ayakashi à ses côtés. Loin de cautionner tout ce que le dieu avait fait pour la survie de sa compagne, le kami eut conscience de son désespoir. Lui aussi aurait pu massacrer pour sauver de Hiyori si le sacrifice le demandait.

Après de longues minutes, ce fut une ravissante jeune femme au teint de porcelaine délicatement rosé qui ouvrit les paupières, dévoilant des yeux verts d'eau à la fois rieurs et timorés. Son visage s'éclaira d'un grand sourire en découvrant Susanô près d'elle mais le jeune homme fut plus rapide qu'elle et l'embrassa avec une telle intensité qu'il en fit rosir Hiyori et Yukine au point de les faire regarder ailleurs.

En rompant le baiser, le dieu se releva en aidant Kushinada et lui prit les mains, les yeux dans les siens, paré d'une grande solennité.

_ A présent que tu es hors de danger, je te le jure sur mon statut divin. Tu seras l'épouse la plus heureuse de tous les mondes.

Ébahissement général et mâchoires ouvertes tandis que Kushinada hochait simplement la tête, un sourire et des larmes émues au coin des yeux.

_ « Épouse » ? balbutia Amaterasu, sans voix.

Sa belle-sœur nouvellement découverte s'inclina avec respect, un peu embarrassée.

_ Oui. Peu de temps après que Susanô ne vous ait remis Ame no Murakumo no Tsurugi. Pardon de vous l'avoir caché, Amaterasu-sama, Tsukuyomi-sama. Susanô ne voulait pas…

Elle s'interrompit, guettant son taciturne mari qui préférait regarder ailleurs, le nez froncé.

_ A-Ama… ? appela Tsukuyomi, resté près de sa sœur.

Le cadet consentit à sortir de son mutisme et glissa un œil désinvolte vers la déesse qui… le fixait avec de grands yeux humides ? Il se raidit d'un seul coup.

_ Q… !

Trop tard, Amaterasu venait de se jeter sur lui pour l'étreindre avec puissance, secouée de grands sanglots bruyants qui relevaient du cri déchirant du cœur. Elle était comme la petite fille qui évacuait un gros chagrin, sans retenue mais tellement touchante.

Plic.

Yato fronça les sourcils. Il venait de recevoir une goutte d'eau sur le nez.

Plic, une autre.

Il leva les yeux. Le ciel était pourtant clair, débordant des couleurs rouges et violacées d'une aube crépusculaire. Une autre goutte tomba, puis encore une autre, et une autre après. Très vite ce fut une pluie fine et tiède qui baigna la clairière, même en dépit du feuillage dense et épais de l'Arbre-Pillier. Yukine regardait sa paume se mouiller petit à petit de la pellicule aqueuse.

_ C'est agréable, on dirait une pluie d'été.

Tsukuyomi croisa les bras sur sa poitrine et bénit la réunion de sa sœur et son petit frère d'un sourire bienveillant et soulagé. Il était heureux pour elle. Depuis le temps qu'il la voyait traîner le fardeau du bannissement de celui qui autrefois avait été son premier et seul support. Enfin, Amaterasu irradiait de son plus bel éclat.

_ Mes amis, voici le véritable pouvoir de la grande déesse solaire, dit-il doucement. Elle peut mettre à genoux le temps mais aussi les êtres que touche son aura.

Les trois amis ne surent retenir eux aussi un sourire attendri. La première déesse avait le cœur si débordant de lumière et de chaleur qu'elle en faisait pleurer de joie le ciel. Son amour pour ce petit frère indomptable ne s'était donc pas altéré malgré tous ces siècles ? A en juger ses larmes, la belle jeune femme retenait beaucoup de choses depuis très longtemps. Trop longtemps.

_ Je suis tellement heureuse que tu ais pu trouver une forme de paix, Su-chan ! sanglota Amaterasu qui avait attrapé entre-temps Kushinada pour l'étreindre de son bras droit, l'autre retenant toujours Susanô. Si heureuse ! Je… Je craignais que… que tu…

« Su-chan », visiblement remué par cette ancienne appellation aux puissants échos de son passé ne semblait quoi faire face à cette déferlante. Il baissa simplement la tête, presque sans l'oser, sur l'épaule de sa sœur, sa frange voilant son visage. Idiote, elle n'avait pas à lui offrir de rédemption après tout ce qu'il avait fait. Pourtant, ce nom avec cet honorifique, il était le seul à l'avoir jamais eu. Tsukuyomi n'avait toujours eu droit qu'à « Tsu » au plus court. Elle ne l'avait donc pas répudié. Jamais.

_ Merci, aneue.

Kushinada remise d'aplomb de sa terrible épreuve – et après avoir un peu échangé avec Tsukuyomi à propos de son statut particulier de «Traversée» - Susanô décida avec la juste approbation du reste de la fratrie de repartir en exil dès le lendemain accompagné de son épouse. Les crimes qu'il avait commis devaient, comme la première fois, être purgés avant de pouvoir espérer reprendre sa place au sein de la Trinité. Il ne se sentait pas non plus capable de revenir pour l'instant. Il avait besoin d'expier les poids sur son âme par un nouvel isolement et plus que tout (même sans l'avouer ouvertement), il souhaitait vivre pleinement auprès de Kushinada qui n'était plus poursuivie par le temps.

Amaterasu et Tsukuyomi, suivis de loin par Yato, Yukine et Hiyori, raccompagnèrent le couple aux portes de la résidence. Étrangement, l'automne pourtant bien avancé avait pris des allures de fin d'été. Il était très perturbant de presque ressentir le besoin de se mettre en tee-shirt alors que des feuilles aux couleurs mordorées et rouge profond jonchaient le sol de gravillons lisses. L'aura nouvellement boostée de la déesse solaire servait de radiateur à lui tout seul, cela faisait plaisir à voir.

Arrivés au haut portique d'entrée, Kushinada s'inclina profondément.

_ Je vous dois la vie. Je n'oublierai jamais votre bonté, déclara-t-elle avant de se redresser, un doux sourire adressé derrière l'épaule des dieux primaires. Merci à vous aussi, Yato-sama.

Le kami lui rendit un mouvement de tête discret. Savoir que celle qui lui avait « volé » sa gloire mesurait l'importance de son sacrifice le consolait un peu. Et puis, il sentait de très bonnes ondes s'émaner de cette fille. Nul doute que son « pouvoir » sur l'impétueux dieu des tempêtes devait être impressionnant. Le hasard était incroyable parfois.

Restée silencieuse, presque intimidée depuis le début de la matinée, Amaterasu fit un pas en direction de Susanô et lui tendit l'objet longiligne qu'elle tenait. Le dieu reconnut aussitôt cette magnifique épée à double tranchant à la garde d'onyx et achevée par un nœud chinois doré.

_ Je… pensais que tu voulais… hésita-t-elle.

Son frère planta ses yeux safres dans l'or des siens.

_ Elle est à toi. Je t'ai laissé Ame no Murakumo no Tsurugi.

Hiyori ne saurait pas dire pourquoi, mais elle était intimement persuadée qu'il aurait voulu rajouter « pour te protéger ». Sinon, pourquoi ne pas récupérer cette Arme Divine, même s'il avait Kushinada ? Oui, elle en était certaine.

Au jugé du petit sourire sur ses traits, Amaterasu semblait penser la même chose que la jeune fille et accepta de conserver l'autorité sur les jumeaux flegmatiques qui la servaient. Elles les aimait beaucoup, ces deux enfants incapables de rire de ses plaisanteries.

Susanô se tourna ensuite vers son frère aîné et tous deux eurent un dialogue muet compris d'eux seuls. L'échange ne dura que quelques secondes puis le jeune homme fit signe à Kushinada. Elle s'inclina une dernière fois vers le groupe avant de tourner les talons, s'éloignant aux côtés de son divin mari avant de disparaître tout les deux dans une brise de vent salé.

Restée éperdue dans ses pensées, Hiyori ressassait cette histoire de Traversé. Une mortelle avait su surpasser le temps, la mort et les mondes simplement pour vivre la même éternité que celui qu'elle aimait au point même d'en être devenue son arme spirituelle. La transcendance ultime juste pour ne pas perdre…

Un léger coup sur sa tête la sortit de sa torpeur.

_ Arrête ça, lui interdit Yato avec un œil inquisiteur.

_ A-Arrêter quoi ?

_ Ce qui tournait dans ta petite tête à l'instant. Arrête ça.

Ce n'était pas un ton autoritaire ou infantilisant, non, c'était plus comme… un triste conseil. Hiyori regarda avec perplexité son ami rebrousser chemin vers la demeure. Voulait-il lui dire que l'union de près ou de loin d'un mortel et d'une divinité n'était qu'une source de souffrance comme l'exemple qu'ils avaient pu voir ?

_ Yato…

Le kami s'arrêta le pas suivant, les mains dans les poches. Il leva la tête vers le ciel radieux et dépourvu du moindre nuage. Puis il se jeta par terre pour se rouler dans tous les sens en criaillant comme un gamin qui faisait un caprice dans le supermarché.

_ AAAAAAAAAAAH ! Mon Elévatioooooon ! Et mes supers pouvoiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiirs ! Ouiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiin !

Pétrification de honte de ses acolytes avant que Yukine n'embraye directement par des coups de pieds punisseurs à son maître.

_ Je rêve ! Tu te la joues grand prince mais t'es en fait le dernier des opportunistes vénals ! Tu me débectes, j'ai honte de servir un type aussi versatile que toi, maître débile !

_ Maiiiiis… mes épreuves réussies… renifla le kami aux grands yeux mouillés entre deux coups. Ma reconnaissance…

_ La ferme et assume !

Restée spectatrice embarrassée de la scène, Hiyori préféra s'en amuser. Yato saurait faire face à la déception de ne pas avoir pu aller jusqu'au bout de son rituel. A présent qu'elle avait encore un sursis de semi-ayakashi devant elle, elle était rassurée de savoir qu'elle serait aux côtés de Yukine pour remonter le moral à ce kami changeant et pourtant ô combien cher à son cœur.

Ce fut ainsi que le trio prit rapidement la décision de prendre congés de leurs divins hôtes. L'Élévation était achevée – et non, Yato, il n'est pas possible d'en « refaire une petite » - et Amaterasu et Tsukuyomi avaient encore beaucoup à faire de leur côté. Etre des dieux primaires n'était pas de tout repos, leur fonction de « hauts juges » faisait qu'ils avaient beaucoup de surveillance divine à effectuer sur leurs congénères de rangs inférieurs. Amaterasu chercha du mieux qu'elle put la façon de rendre le sourire à son challenger en lui reconnaissant de très grandes qualités indispensables pour un kami.

_ J'avoue que tu as bluffé le sceptique que j'étais, appuya son frère, ce qui constituait un compliment de première catégorie.

_ Vous m'avez aussi un peu aidé à votre façon, lui retourna Yato en s'inclinant.

C'était vrai. En le poussant dans ses derniers retranchements, le dieu de la lune avait fait réaliser beaucoup de choses à Yato. Surtout à propos de la jeune humaine qui se tenait sagement à ses côtés. Quelque part, il avait « sacrifié » la vie normale à laquelle elle avait droit. Il ressentait une pointe d'égoïsme de se satisfaire de la pensée qu'elle ne partirait pas tout de suite. Avait-il le droit de se prétendre plus important que…

_ Continue sur ta lancée, dieu Yato. La voie que tu as choisi d'emprunter est juste.

Yato ne sut quoi répondre et comment interpréter le sourire bienveillant d'Amaterasu. Ce qu'elle venait de dire pouvait signifier tant de choses. Après tout, elle était la déesse du soleil, et si elle en voyait dans son futur, il était bien décidé à ne pas le laisser s'assombrir de sitôt.

_ Promis. Merci à vous.

Frère et sœur laissèrent les trois amis s'éloigner du haut portail tout en leur faisant des derniers signes de la main, le cœur léger et confiants en leur avenir.

_ Tout de même, tu ne prenais pas trop de risque à faire de Hiyori la troisième juge de cette Elévation, s'amusa Tsukuyomi.

_ C'était dans leur intérêt à tous les deux. Parce qu'elle n'aurait jamais cautionné quelque chose qui n'était pas lui et parce qu'il a su s'exposer entièrement sans artifice, même si ce n'était hélas pas prévu.

Il soupira.

_ Ça ira pour eux ? Quand on voit ce qui est arrivé à Susanô et cette jeune femme…

Elle sourit avec espièglerie.

_ J'en suis sûre. Ils sauront veiller l'un sur l'autre sans s'oublier eux-mêmes. D'ailleurs, je sais que Hiyori y travaille déjà…

Une semaine s'était écoulée depuis qu'ils avaient quitté la ferveur de l'Élévation et le cour de la vie avait repris comme s'il ne s'était jamais interrompu. Hiyori avait repris le lycée d'un côté tout en continuant à visiter ses connaissances spirituelles. Elle continuait de donner des cours du soir à Yukine, à la différence que c'était à présent un élève épuisé qu'elle retrouvait à la petite table basse de chez Kôfuku et Daikoku. Le jeune garçon lui avait expliqué que depuis qu'ils étaient rentrés, Yato se démenait comme un fou pour multiplier les missions. Toujours plus, toujours plus contraignantes, toujours plus physiques. Sans parler du fait que dès qu'il voyait un ayakashi, même inactif, le kami s'empressait de l'envoyer ad patres sans chercher à comprendre.

_ J'en peux plus… couina Sekki, le front retombé sur son exercice de géométrie. Il vire au robot sans âme…

Hiyori s'étonna de ce témoignage avant de baisser les yeux avec désolation. Il était vrai qu'elle n'avait pas trop vu Yato depuis leur retour et les quelques fois où elle l'avait croisé, ce dernier n'avait pas l'air du tout dans son assiette. Il était silencieux, fuyant, sombre. Si toutefois quelqu'un s'inquiétait de son état, il feignait d'être une pile d'énergie pour qui tout allait bien.

_ Une part de lui déprime malgré tout… murmura l'adolescente peinée. Il faudrait…

Une petite mélodie électronique interrompit ses pensées. C'était son portable qui venait de recevoir un mail. Quelques « bips » et coups d'œil plus tard, le visage de Hiyori s'éclaira.

_ Yukine-kun, allons chercher Yato.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Les deux amis s'en allèrent chercher leur compère qui était en train de faire l'homme sandwich avec une pancarte devant et dernière lui en plein milieu de la rue. Il cherchait à alpaguer le client potentiel, clamant qu'il pouvait tout faire pour seulement cinq yens. Hiyori prit presque peur en voyant son teint blafard et ses petits yeux creusés par la fatigue. Il était vraiment temps qu'il lève le pied.

_ Moi, j'ai une requête, quémanda la jeune fille en lui lançant une piède de bronze trouée.

Yato bondit pour attraper le précieux sésame avec la souplesse et l'allégresse du chien qui attrapait un frisbee. Effrayant.

_ Rapide, abordable et fi… Hein ? Ah, c'est toi… bouda-t-il en faisant la moue, déçu de s'être fait avoir.

_ Tatata, pas de grimace, gronda son amie. J'ai payé, tu fais ce que je te demande.

_ Et que dois-je faire ?

_ Me suivre. Quelqu'un veut de tes nouvelles.

Bon gré mal gré, le kami emboita le pas de ses amis et les suivit, non sans essayer de continuer à faire sa pub pendant le trajet, ce qui lui valut de se faire arracher la pancarte par Yukine pour la balancer dans les ordures. Trop c'était trop. Ce fut ainsi que leurs pas les conduisirent en dehors du centre-ville. Les rues se faisaient plus calmes, les routes moins larges et parfois dotées d'une simple bande peinte en guise de trottoir. Les boutiques et autres échoppes avaient laissé place à de petites habitations entassées les unes contre les autres, encadrées de poteaux aux longues lianes électriques. Très vite, ce décor parut famillier au kami qui ne tarda pas à enfin le reconnaitre. Cet escalier de pierre entouré d'épais feuillages et surmonté par un gros torii vermillon, c'était l'entrée du temple de la petite Tsukiko Nagumo qu'il avait rencontrée lors de sa première épreuve.

Arrivés en haut des marches, le groupuscule retrouva la grande cour carrée pavée du temple balayée par une brise légère qui parvenait pourtant à faire mugir les sombres profondeurs de la caverne sacrée d'un hululement étrange. Yato se remémora les événements qui avaient agité ces lieux, il n'y avait encore pas si longtemps. Il avait bien failli mourir à l'endroit même où il se tenait et pourtant, ces souvenirs ne lui donnaient que le sentiment d'être plus fort.

_ Yato-nii, Hiyori-nee, Yukine-sempai !

Et l'autre personne qui devait aussi se sentir plus forte depuis cette terrible nuit, c'était cette jeune collégienne aux cheveux mi-longs bruns et au regard fier qui venait les accueillir. La chevelure encore un peu humide, la jeune Tsukiko Nagumo avait dû faire ses ablutions sacrées peu de temps avant leur arrivée. Yato ne retint pas un sourire. Etait-ce lui ou cette gosse avait encore gagné en aura ?

_ Hé, ne serait-ce pas notre mini miko en devenir ? plaisanta-t-il en lui frottant la tête avec affection.

_ Non, moi je serai le cran au-dessus, fanfaronna la fillette avec un clin d'œil malicieux. Je combattrai les démons avec la même ferveur qu'un dieu reconnu par ses pairs primaires.

Le compliment n'eut pas l'effet escompté, il sentit son visage s'affaisser malgré lui.

_ Hiyori-nee m'a tout raconté ! continuait de s'ébaudir Tsukiko en sautillant sur place. Tu as vraiment assuré, c'était épique !

_ Tsuki… Je…

_ Tsukiko-chan, les interrompit doucement Hiyori. Montre-lui.

La fillette opina du chef et pivota sur ses talons tout en faisant un mouvement des bras vers l'arrière. Juste à côté de l'échoppe de talismans se trouvait une petite alcôve presque cachée par les feuillages qui avaient été taillés pour l'occasion. Dans cette alcôve se trouvait une petite bâtisse en bois joliment vernie au toit vert mousse dont l'entrée était gardée par un fin shimenawa de paille, lui-même orné de goheis d'un blanc immaculé. Enfin, sur le socle du petit temple avait été gravé avec délicatesse « Yato-gami ».

_ Tadaaam ! s'exclama Tsukiko dans la fanfaronnade. Bienvenue au temple Nagumo ! T'as intérêt à ramener beaucoup de fidèles !

Gros silence en face. Tous guettaient avec impatience la réaction du principal concerné… qui restait figé. Les yeux grands écarquillés braqués sur le petit bâtiment de bois, la bouche entrouverte de stupéfaction, Yato finit par esquisser un geste en allant effleurer du doigt le socle gravé. Sa main tressaillit un peu à son contact. Ce n'était donc pas un mirage…

Un peu déstabilisés par son manque de réaction, ses amis échangèrent des œillades indécises. Yukine préféra jouer la gentille provocation pour ne pas faire transparaitre le malaise.

_ Hé, sois un peu plus reconnaissant envers Monsieur Nagu… Ouéééé ?!

La vision de larmes striant sur les joues de Yato fit bondir le jeune garçon d'effarement. Il… Il pleurait ? Lui ? Pour de vrai et pas comme un bébé grotesque ? Panique à bord chez les trois amis qui ne s'attendaient pas à une telle vision. Et dis quelque chose au lieu de rester pétrifié comme ça, ça commence à devenir vraiment flippant !

_ Euh… C'est surtout Hiyori-nee qu'il faut remercier, tempéra Tsukiko en lui tapotant le bras. C'est elle qui…

_ Tsukiko-chan, shhh ! essaya de l'arrêter la lycéenne, l'index devant sa bouche.

Elle préférait garder secret sa participation à l'élaboration du temple pour que le kami n'eût pas le sentiment d'avoir droit au simple « lot de consolation ». Une réelle consécration provenant de la part d'Amaterasu et Tsukuyomi aurait été préférable mais elle n'avait pas eu le cœur de laisser son… Elle sursauta et son corps se raidit. Yato venait de se tourner vers elle. La croisée de ses yeux avec les siens fit tout à coup bondir son cœur à une vitesse folle. Il la fixait comme si elle était l'oasis dans le désert, la flammèche dans les ténèbres, l'incarnation du miracle ultime.

_ Ya… ?

Elle se tut au contact des mains du kami qui encadrèrent ses joues et son corps se paralysa. Il avait bougé si vite que cela tenait presque du réflexe. Les deux jeunes gens se dévisagèrent sans pouvoir parler, comme s'ils venaient de se retrouver après des siècles de recherche désespérée. Se retrouver ainsi dans cette position fit rougir Hiyori petit à petit. La dernière fois qu'elle s'était retrouvée ainsi, Yato l'avait…

Fiuut ! A croire qu'il eut la même pensée au même moment, le dieu s'écarta aussitôt, non sans avoir aussi le visage en feu.

_ D-Désolé… balbutia-t-il, une main massant sa nuque.

Il tentait de retenir au maximum l'émotion qui le submergeait, c'était raté. Ses yeux rosissaient de plus en plus sous l'émotion et ses mains peinaient à ne pas trembler. Ce temple, cette symbolique. Tout se mélangeait dans sa tête. Il ne vivrait désormais plus la même terreur que celle qu'il avait découverte auprès de Michi. Sa quête avait atteint un point de sauvegarde primordial. Il ne savait plus quoi penser, quoi dire, quoi faire, son cœur était en train de déborder. Heureusement, le naturel enjoué de Tsukiko prit le dessus et la petite fille finit par lui sauter dessus en riant, non sans lui rappeler qu'elle l'avait déjà connu dans des attitudes plus « cools ».

_ Tu vas voir, si je ne suis pas cool ! rétorqua l'offensé avec énergie. Je vais vous ramener tellement de monde que vous serez sur les rotules ! Et d'abord, je t'embauche tout de suite comme ma miko attitrée !

_ Rien à faire, je suis une exorciste, pas une vendeuse de omamori !

Et les voila engagés dans une gentille course-poursuite sous la surveillance attendrie de Yukine et Hiyori, heureux que la surprise eût fait son effet. Ils n'auraient jamais pu l'imaginer aussi enchanté qu'en cet instant.

_ Dans le fond, il le mérite, avoua le blondinet avec un sourire.

_ Oui. Il s'est beaucoup donné pour cette Elévation.

_ A toi aussi, il s'est un peu donné, non ?

Gros silence bancal pendant lequel ce ne fut pas un ange mais la cavalerie céleste qui passa tandis que Yukine guettait avec suspicion son amie qui rougissait à rendre jaloux un homard trop cuit. Il… Il avait vu ?

_ C-C-C-Ce n'est... !

Le début de balbutiement de la demoiselle n'eut le temps d'aboutir car un étrange sifflement se fit entendre dans l'écho. Un simple regard au-dessus de leur tête suffit : un nuage de marasme sombre était en train de s'élever à quelques pâtés de maisons du temple Nagumo. Une formation d'ayakashis !

_ Allez Sekki, en piste ! Il est temps de prendre notre première mission de dieu officialisé ! s'ébaudit Yato qui bondissait déjà dans les airs, suivi de près par la lumière dématérialisée de son Arme Divine. Hiyori…?

Elle cligna des yeux, étonnée d'être invitée à sa partie de chasse. Le grand sourire à la fois canaille et ravi qu'il lui adressait ne la fit pas hésiter longtemps. Oui, elle avait bien fait et non, elle ne le laisserait pas de sitôt. Elle sentait déjà sa queue ayakashi s'agiter d'excitation dans son dos.

_ Oui !

FIN


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* Attend *

Ah, ça y est ? Vous êtes revenus ? Alors… !

J'espère que mon mystère Susanô x Kushinada vous a plu et vous a donné envie d'en savoir plus sur la légende entourant ce couple véridique (Wikipédia is your friend).

En effet, il s'avère que mes OC (Other Characters pour ceux qui ne sont pas familiers du jargon de fanfiction), he ben, je les aime. Et j'ai tellement pris de plaisir à les intégrer dans cette fic qu'il me taraude un peu l'idée d'approfondir leur histoire.

Le deal est simple : un spin-off spécial Trinité Primaire et l'histoire de Kushinada bien avant Elévation, ça vous brancherait ?

Attention, notez bien que RIEN N'EST ACTUELLEMENT EN COURS ! Je n'ai que des bribes d'idées par-ci par –là mais rien de couché sur le clavier pour l'instant. Il s'agit d'une simple prise de température. Si je vois qu'un nombre suffisant de gens sont chauds… qui sait ?

Au plaisir et merci encore, vous aime !

Cassye