Le Problème Final

I

Londinium

Note de l'auteur : Me voici de retour pour une cinquième fic! Très différente des précédentes, ça faisait longtemps que cette idée me trottait dans la tête. J'espère que ce premier chapitre vous plaira et vous donnera envie d'en savoir plus. Bonne lecture!

Disclaimer : Star Trek, ses personnages et son univers ne m'appartiennent pas et je ne touche aucune rémunération pour mes écrits.


Deux semaines s'étaient écoulées depuis que nous avions quitté Génnisi, laissant derrière nous Karl Johnson, en lui souhaitant tout le bonheur possible. Nous nous dirigions vers un système solaire inexploré susceptible d'abriter une planète habitée, pour tenter un premier contact. La manœuvre était inévitablement délicate, puisque nous ne savions pas à quoi nous attendre. Mais, c'était ce qui m'attirait le plus, dans l'idée de partir cinq ans dans l'espace. La raison principale de ma présence ici. Favoriser l'échange entre les peuples, m'enrichir encore et encore, ouvrir plus grand mon champ des possibles. Et savoir que ma famille, les personnes présentes sur la passerelle, sur ce vaisseau, avec moi, ressentaient ce même frisson, cette même envie, comme un écho que se répercutait à l'infini, me donnait l'impression d'être invincible.

Installé dans mon fauteuil de commandement, je regardais l'immensité de l'univers sur l'écran principal. En apparence calme et maître de la situation, je trépignais en réalité d'impatience. Elle me semblait loin l'époque où mon obsession nouvelle pour les oreilles d'un certain Vulcain m'empêchait de me concentrer. Au rappel de ce souvenir, je me tournai vers Spock qui m'observait déjà, une petite étincelle d'amusement dans le regard. Un léger rire m'échappa. Personne ne s'interrogea sur ma santé mentale, ils avaient fini par s'habituer à nos échanges silencieux. Soyons clairs, Spock était capable de me faire perdre mes moyens rien qu'en étant présent dans la même pièce que moi. J'avais juste appris à faire la part des choses.

« Nous sommes en approche, Capitaine. » M'apprit Sulu.

En effet, les différents astres, qui gravitaient autour d'une même étoile, apparurent sur nos radars. Elles étaient au nombre de sept. Nous nous approchâmes de l'une d'entre elles, qui possédait visiblement une atmosphère, avant de nous placer en orbite haute, à environ 35 786 kilomètres, pour ne pas être repérés. Je demandai à Chekov un scanne complet.

« Planète de classe M, Keptin. Je détecte énormément de signes vitaux, elle est donc incontestablement habitée. Population humanoïde, époque présumée : équivalent de la fin de notre XIXème siècle. Je ne vois rien d'alarmant. » Me rapporta-t-il.

« Nous allons donc devoir descendre sans nous faire remarquer. J'adore l'époque Victorienne ! » M'enthousiasmai-je, en me levant.

« Cette fois, je viens avec vous et ce n'est pas négociable. » Intervint Bones, qui se trouvait avec nous, curieux de voir à quoi ressemblait notre nouvelle destination.

« J'aimerais vous accompagner également, Capitaine. » Me demanda Nyota. « La situation semble sans danger et je souhaiterais étudier leur dialecte sur place. »

Je les regardai, l'un après l'autre. Je n'étais pas dupe, mais ne vis aucune raison de refuser. Ils étaient compétents dans leurs domaines après tout.

« Très bien. Allons-y. » Dis-je, en incitant Spock à nous suivre d'un signe de tête.

Nous montâmes tous les quatre dans le turbolift, direction la salle de téléportation. Mais avant, nous devions nous changer. L'Enterprise était équipé de toutes sortes de vêtements, de toutes les époques, pour pallier aux besoins de ce type de mission. Je n'avais pas encore eu l'occasion de me servir de cette botte secrète et j'aimais me déguiser. Je jetai mon dévolu sur un costume trois-pièces bleu foncé, une chemise blanche, des chaussures et un foulard noir que je nouai autour de mon cou. Un chapeau melon assorti vint compléter ma tenue. Fier de moi, après m'être admiré dans un miroir, je me tournai vers Spock, tout sourire. Son élégance me laissa sans voix. Il portait une chemise d'un vert impérial rehaussée d'un frac(1) noir, une cravate large nouée lâchement et retenue par une épingle émeraude et un pantalon sombre. Il était magnifique. Il ne manquait qu'une chose pour parfaire le tout. Je m'emparai d'un haut-de-forme et le vissai sur sa tête, en prenant bien garde d'y glisser délicatement ses oreilles. Il se munit d'une canne avec un pommeau en argent. Je l'observai allègrement, complètement scié.

« Tu aurais pu vivre dans ce siècle, dans une vie antérieure. »

« Merci, T'hy'la. Tes vêtements te mettent également très en valeur. » Me répondit-il.

« Quand vous aurez fini de vous congratuler, vous pourriez peut-être m'aider ? » Railla Bones.

Affublé d'un costume cuivré et d'un couvre-chef similaire au mien, il n'arrivait manifestement pas à nouer le nœud papillon gris qu'il avait choisi. Retenant un rire moqueur, je lui portai assistance. Une fois fini, je relevai mes yeux sur lui et me rendis compte que ses yeux étaient fixés sur un point, par-dessus mon épaule. Il semblait figé sur place. Je me retournai pour voir ce qui le captivait tant et un sifflement admiratif m'échappa. Nyota venait de sortir d'une cabine. Elle tourna sur elle-même, fit voler les drapés noirs de sa jupe bordeaux. Un bustier sombre, porté sur une chemise carmin, mettait sa poitrine en valeur. Une capeline(2) aux bords larges, ornée de rubans, coiffait sa chevelure brune qu'elle avait ramassée en chignon. Des gants gris, décorés d'un bracelet en velours rouge, habillaient ses mains fines et un tour de cou assorti rehaussait son teint bronzé. Elle était si belle et paraissait si heureuse, que je ne pus que prier pour la condition des gens de couleur ne soit pas la même que sur Terre, durant ce siècle.

Notre arrivée en salle de téléportation ne passa pas inaperçue. Les membres d'équipage qui passèrent dans le couloir à ce moment-là et Kyle derrière son poste, restèrent sans voix. Nous nous matérialisâmes dans une ruelle, à l'écart des voyeurs. Immédiatement, nous nous fondîmes dans la foule, dans une large rue. Ouvrant la marche, Bones offrit son bras à Nyota, qui le prit en souriant. Ses manières d'un autre siècle semblèrent les amuser. J'échangeai un rapide regard avec Spock, avant de décider de faire de même, et au diable les conventions moyenâgeuses. Il hésita, dubitatif, puis accepta simplement l'invitation en calquant son pas sur le mien. Nous évoluâmes ainsi, durant une bonne heure, nos pieds martelant le pavé humide, zigzaguant entre les nombreux badauds, évitant que les fiacres(3), tirés par leurs chevaux, ne nous renversent. Le tout, en prenant discrètement le maximum d'informations en camouflant le mieux possible nos appareils. Nous eûmes droit à quelques œillades curieuses de passants qui apercevaient, par moments, l'écran d'un tricordeur ou entendaient le son de l'analyseur médical. Mais aucun ne sembla trouver étrange de voir deux couples, interracial comme homosexuel, se promener l'air de rien. Plus improbable encore, nous en croisâmes, nous-mêmes, sur notre chemin. Comme ces deux jeunes femmes, trois rues plus haut, qui s'affichaient sans gêne. C'était comme regarder un de ces vieux films remplis d'incohérences et d'anachronismes. Sauf que cette fois, l'idée me réjouit. Apparemment, ce peuple, quel qu'il soit, n'avait pas fait les mêmes erreurs que le mien. Ils n'avaient peut-être pas notre technologie, mais ils étaient plus avancés sur bien d'autres points.

Je me fis la réflexion que j'avais peut-être parlé trop vite, quand notre environnement changea lentement, mais sûrement. Les pavés se firent rares, au fur et à mesure que nous avancions, et très rapidement, nous évoluâmes dans une rue boueuse et mal entretenue. Nous étions manifestement, dans un quartier plus défavorisé que les autres. L'avenue se rétrécit, les gens flânaient beaucoup moins, étaient plus éparses. Le seul véhicule hippomobile qui croisa notre route fut un cab(4) qui avait vu de meilleurs jours. Certaines choses ne changeaient jamais donc. Malheureusement. Tous les peuples de l'univers semblaient devoir absolument passer par une très longue période monétaire, avant de comprendre que l'argent était un poison. Un hurlement déchira soudainement l'air, m'arrachant à mes réflexions. Nous nous précipitâmes vers l'origine du bruit.

Une foule s'était regroupée dans une ruelle. Bones nous devança, criant, à qui voulait bien l'écouter, qu'il était médecin et qu'on le laisse passer. Il ouvrit un passage et nous nous y engouffrâmes à sa suite. Mais presque immédiatement, il se retourna pour empêcher Nyota d'approcher. Elle ne voulut rien savoir et se dégagea pour voir par elle-même. Je m'approchai à mon tour et la vision qui s'offrit à moi me retourna l'estomac. J'en avais vu d'autres, mais on ne s'habituait jamais vraiment à la mort. Spock regarda par-dessus mon épaule et resta stoïque face au corps sans vie d'une jeune femme. Je pouvais compter sur lui pour garder la tête froide et, bien entendu, sur mon meilleur ami pour être professionnel. Uhura s'était figée, une main sur la bouche. Le rouge du sang qui s'écoulait de la gorge tranchée contrastait violemment avec le gris du sol mouillé. Les yeux grands ouverts, une expression d'horreur encore présente sur son visage, la victime semblait fixer le ciel. Léonard attrapa le bas de sa robe tachée de boue qui s'était relevée durant l'agression, et la rabaissa sur les jambes frêles, pour lui rendre un peu de dignité. Puis il procéda à un examen rapide de la dépouille.

« Elle est morte, Jim. » Se sentit-il obligé de préciser, même si cela était évident.

J'allais répondre, quand on m'écarta brutalement du passage. Un homme habillé d'un uniforme incontestablement officiel, certainement un policier local, nous incita à nous disperser pour que lui et ses collègues puissent investir la scène de crime. On nous obligea à reculer et l'entrée de la ruelle fut bouclée.

« Je suis docteur ! » S'exclama McCoy, quand on l'escorta un peu sèchement vers la sortie.

« Il est évident que cette femme n'a plus vraiment besoin de vos services, monsieur. Nous vous remercions d'avoir piétiné les indices et touché au corps. » Railla le jeune agent qui le tenait par le bras. « Mais, nous avons notre propre légiste. » Conclut-il, en le poussant vers moi.

Je le retins, avant qu'il ne riposte, et lui ordonnai de se taire, pour ne pas nous faire trop remarquer. Un homme d'âge mûr, aux cheveux grisonnants, nous dépassa pour pénétrer sur les lieux. Son long manteau de pluie claquait au vent à chacun de ses pas, lui donnant une certaine prestance. Je l'identifiai comme étant l'équivalent d'un inspecteur. Il se pencha sur le corps, un air profondément ennuyé sur le visage, puis soupira de lassitude, en se tournant vers un de ses subalternes. Nous étions trop loin pour distinguer leur conversation.

« Il vient de lui dire que c'est la troisième victime en une semaine et que ça ne peut plus durer. Que ça ne lui plaît pas, mais qu'il va falloir demander l'aide d'un individu dont il ne précise pas l'identité mais qu'apparemment ils connaissent très bien tous les deux, puisque l'agent semble comprendre de qui il parle. » Nous apprit Spock.

J'avais oublié que son ouïe était bien plus développée que la nôtre.

« Que faisons-nous, Jim ? » Me demanda Bones.

« Nous attendons, pour le moment. Je suis curieux d'en savoir plus. Ils ont apparemment un tueur en série sur les bras. » Répondis-je.

« Je ne pense pas que ce soit une bonne idée de s'en mêler, T'hy'la. » Me conseilla mon compagnon.

« Et laisser des innocentes de se faire assassiner ? » M'indignai-je.

« C'est intolérable, mais la prime directive… »

« … fait parfois plus de mal que de bien, Spock. » Le coupai-je. « Nous resterons discrets. » Le rassurai-je.

« Très bien. Mais attendons d'abord l'arrivée de l'inconnu qu'ils comptent appeler en renfort. » M'accorda-t-il.

« D'accord. » Acceptai-je.

Nyota s'était réfugiée dans les bras de Léonard. Le temps vira à la pluie et elle n'était pas assez couverte. Nous patientâmes un long moment, parmi les badauds, après qu'un policier soit monté dans un fiacre pour aller prévenir l'homme que l'inspecteur l'avait envoyé chercher. Un crachin froid trempa nos tenues en quelques minutes et je relevai vainement le col de ma veste pour empêcher l'eau de s'insinuer dans mon cou.

Au bout d'une interminable demi-heure, le véhicule revint enfin. Le jeune agent descendit, suivit de deux individus. L'un était grand et longiligne, habillé d'un costume de tweed sombre, d'un long manteau gris et d'un chapeau assorti qu'il remit sur sa tête en sortant. Quand il s'approcha suffisamment, je pus voir son visage étroit, son front large, ses cheveux noirs, ses sourcils épais. Son nez était fin et ses lèvres minces. Des yeux d'un gris particulièrement saisissant, venaient éclairer ses traits quelque peu froids. Son acolyte était tout son contraire, autant que moi pour Spock. De taille moyenne, beaucoup plus en muscle, il restait tout de même très élégant. Ses épaules et son cou étaient larges, sa mâchoire carrée et une moustache, aussi blonde que ses cheveux, trônait fièrement sous son nez. Son regard semblait bienveillant, son air avenant. Il suivit de près celui qui devait certainement être son collègue ou son ami. Ils passèrent tous les trois devant nous, et si le policier et le blond ne nous accordèrent pas la moindre attention, le brun se figea en nous apercevant. Ses yeux nous observèrent, comme s'il nous scannait, durant de longues secondes, s'attardant tout particulièrement sur Spock. S'il garda un apparent stoïcisme, il était évident qu'il avait remarqué des détails chez nous, qui le laissèrent perplexe. Il fit un pas vers nous, comme fasciné, mais l'inspecteur l'interpella de loin. Sur le coup, je me dis que j'avais dû mal entendre.

« Si tes oreilles sont défaillantes, alors les miennes aussi. » Pensa mon compagnon.

« C'est absurde. » M'exclamai-je à voix haute, sans m'en rendre compte.

À cette remarque solitaire et en apparence incompréhensible, l'homme, qui nous examinait toujours, afficha un air clairement surpris. Son acolyte le rejoignit, visiblement contrarié, et posa une main sur son épaule pour attirer son attention.

« Holmes ! Que faites-vous ? Nous sommes attendus. »

« J'arrive. » Répondit-il simplement, en concédant à le suivre.

Je restais tout bonnement bouche bée, incapable de réagir face à une telle aberration. Cette mission promettait finalement d'être des plus passionnantes.


(1) Variante de la queue-de-pie. Se termine par des basques en pointe comme la queue-de-pie, mais n'est pas court devant.

(2) Sorte de chapeau à larges bords.

(3) Véhicule hippomobile ancien, en général fermé, à quatre places et quatre roues.

(4) Voiture hippomobile, ancêtre du taxi moderne, typique de l'Angleterre du XIXe siècle, à deux roues, deux places, et couverte.