Ses Derniers mots


Chapitre 2 : Les larmes d'un dampile

Cela devait faire des heures maintenant qu'il était recroquevillé tout seul dans la pièce sombre et poussiéreuse. Sa mère avait été emmenée par les villageois. Il avait pleuré et pleuré, espérant que sa mère reviendrait, mais maman n'était pas revenue. Maman allait mourir. Et son père qui n'était pas là, comme toujours. Et lui, que pouvait-il faire ? Il avait promis à sa mère de ne pas bouger d'ici. Mais s'il ne faisait rien, elle ne reviendrait plus jamais, les villageois allaient lui faire du mal !
Du revers de sa manche Adrian essuya ses larmes et se releva dignement. Il savait que tout seul il ne pouvait pas faire grand chose, mais il aimait sa mère par-dessus tout. Il ne pouvait se résoudre à la laisser mourir sans même avoir essayé de l'aider. Quitte à ce qu'il désobéisse à sa mère et qu'il mette sa propre vie en danger.
Déterminé, il sortit silencieusement de sa cachette et se rendit rapidement dans sa chambre. Cérémonieusement il ouvrit l'un des coffres et souleva difficilement un objet oblong enveloppé dans une étoffe rouge vif. Avec précaution l'enfant la fit glisser pour découvrir un magnifique fourreau d'ébène ouvragé et tout incrusté d'or. Son épée. Son père la lui avait offert l'année passée en lui faisant promettre de ne pas l'utiliser avant son seizième anniversaire, pas avant qu'il ne soit un homme.
Adrian fit un peu glisser la fine lame hors de son fourreau et regarda avec admiration la lune venir l'éclairer, la faisant jeter des reflets froids et agressifs sur les murs de sa chambre. Il rengaina son épée et l'attacha à sa ceinture du mieux qu'il put. Elle était beaucoup trop grande pour lui et semblait peser une tonne, mais cela lui importait peu à présent: Il devait sauver sa mère.
Toujours silencieux comme une ombre, il sortit du château de son père et se mit en route pour le village. Ses pas étaient rapides et il semblait à peine toucher le sol gelé. Il ne faisait plus attention au monde environnent, ni au froid, ni aux hurlements lointains des loups, chantant leur mélancolique complainte à l'astre d'argent. Le garçon ne pensait qu'à sa mère, son obsession de la protéger toujours plus grande à mesure qu'il se rapprochait de la bourgade. A ce moment plus rien ne comptait si ce n'était la femme qui l'avait mis au monde. Il accéléra encore le pas lorsqu'il aperçut les abords du village alors que les ténèbres commençaient peu à peu à se dissiper, signe de l'arrivé éminente des premières lueurs de l'aube.
Il pouvait entendre la clameur qui commençait à s'élever du village en effervescence. On aurait dit un jour de fête. Mais ce matin là ce ne serait ni joie ni espoir qu'apporteraient les premiers rayons du soleil Seulement la mort d'une créature formidable et incomprise par les siens.
L'odeur entêtante des humains commençait à affluer dans les narines du dampile. Mais cette senteur qu'il avait toujours trouvée si curieuse et amusante l'écurait à présent. Ces humains puaient Ils puaient la bêtise et la méchanceté alors que sa mère portait comme fragrance la vertu et l'innocence.
La rage menaça de le faire suffoquer lorsqu'il pénétra dans le village humain. La foule s'amassait sur la place principale, et en son centre, tel un sombre colosse fait de bois et de paille, s'élevait le bûcher. Le parfum de la poix fraîchement versée envahissait à présent ses narines, lourde et répugnante. Adrian en eut la nausée.
Personne ne sembla prêter attention à lui lorsqu'il commença à se faufiler parmi les jupes rustiques et les lourds manteaux de laine des gueux. Soudain le brouhaha se fit plus puissant et le jeune garçon se sentit emporté par la populace. Quelqu'un cria à côté de lui. Puis un autre homme hurla à son tour, puis un autre encore, et bientôt ce fut toute la Grand-Place qui scandât en cur des refrains de haine.
" A mort la sorcière !
- Catin du Malin !
- Qu'elle brûle la traîtresse !
- Maudite buveuse de sang ta place est en Enfers !
- Tu crèveras chienne ! Toi et ton bâtard de fils ! "
La colère lui dévorait les entrailles, mais il devait à tout prix se canaliser. Tant bien que mal Adrian parvint enfin à gagner le premier rang, donnant au besoin des coups de coude dans le ventre des villageois.
Le spectacle était effroyable. Attachée les bras en croix sur le bûcher, gisait sa fée, l'amour de sa vie : sa mère Lisa. Pourtant, malgré l'adversité dans laquelle elle se trouvait, elle n'en restait pas moins belle. Sa longue chevelure d'or défaite cascadait en de longues vagues soyeuses sur ses épaules graciles. Elle déjà si fine d'ordinaire, paraissait encore bien plus fragile dans cette affreuse posture, plume flottante dans une robe pourpre déchirée. Son visage de porcelaine maculé de saleté était tourné vers le ciel, lui faisant ressembler à une sainte qui aurait atteint la béatitude.
" Maman ! "
Sa voix frêle se perdit dans l'immense bourdonnement humain qui résonnait sur toute la place. Adrian dégaina alors son épée et se précipita alors au pied du bûcher. Il fut cependant intercepté par deux villageois, qui le désarmèrent facilement et le saisir rudement par les bras. L'enfant se débattit avec fureur mais la poigne des adultes était bien trop forte et il se retrouva genoux à terre.
" Maman ! Maman ! "
Cette fois-ci Lisa l'entendit et détourna lentement le regard de la voûte céleste pour poser sur lui ses yeux clairs et incroyablement paisibles. Elle paraissait si sure d'elle, comme si aucune justice humaine ne pouvait l'atteindre. Et peut-être était-ce d'ailleurs le cas
" Adrian, mon ange Tu m'as désobéit.
- Maman, je suis désolé, mais il fallait que je vienne te sauver ! " L'un des hommes le frappa pour le faire taire, mais l'enfant ne sembla rien sentir.
" Maman ! Je vais te sortir de là et on rentrera tous les deux au château ! Dis-moi oui maman !
- Pardonne-moi Adrian, mais c'est impossible.
- Mais maman " Cette fois-ci les paysans essayèrent de le faire reculer, mais le jeune garçon se dégagea brusquement en assenant un coup de pied dans le tibia d'un de ses gardiens lorsqu'il vit le bourreau mettre le feu au bûcher.
" S'il te plaît maman !
- Je t'aime Adrian "
Les deux hommes réussirent à rattraper de justesse le gamin enragé avant qu'il n'essaye d'empêcher le bourreau d'exécuter la sentence. Malgré tous ses efforts pour leur échapper il ne put empêcher qu'on lui ligote les deux mains dans le dos avec une corde serrée.
" Maman ! " Cette fois-ci les larmes roulaient abondamment sur ses joues pales, allant s'écraser sur son col noirci par la poussière. " Mamaaaaan ! "
Lisa lui sourit alors, ses yeux bleus doux et bienveillants, comme toujours.
" Adrian, je ne te demanderai qu'une chose mon fils. " L'enfant hocha de la tête, retenant difficilement ses cris de douleurs. D'immenses langues de feu commençaient à présent à lécher les pieds maternels et la robe de velours. Mais Lisa ne semblait guère y prêter attention, son regard toujours rivé dans celui de son enfant.
" Tu diras ceci à ton père : Ne hais pas les humains. Si tu ne peux pas vivre avec eux, ne leur cause pas de tord, car cela est déjà suffisamment difficile pour eux. " Elle fit une pause et son sourire semblât soudain plus mélancolique, plus las aussi. " Et dis-lui aussi que je l'aimerai pour l'éternité. "
" Maman " murmura une dernière fois l'enfant entre deux sanglots. Un soldat vint alors en aide aux deux paysans afin de le maîtriser et il frappa l'enfant à la base de la nuque. L'image de sa mère s'embrasant fut la dernière qu'Adrian vit avant de plonger vers l'inconscient.


A Suivre...

Notes :

Wow ! J'aurais mis le temps pour le sortir ce chapitre là. Enfin bon j'en suis plutôt satisfaite ! ^_^ Le prochain sera le dernier et on va enfin voir le Sieur Dracula. Je pense également être un peu plus rapide cette fois-ci pour l'écrire…hem… *air gêné*