Je réapparais subrepticement pour un texte un peu différent de mon précédent Johnlock. Encore une fois, un spécimen d'écriture "thérapeutique" pour mettre au clair mes sentiments par rapport à la saison écoulée. Je précise dès le départ que cette fic ne va pas s'intéresser en profondeur au "did you miss me?" final, aux conséquences de la mort de Magnussen, aux motivations de Mary par rapport à Sherlock et de Sherlock par rapport à Mary. Ce genre de zones d'ombre qui ne seront (peut-être) éclairées qu'à la saison 4 (et on sait comment sont Moffat et Gatiss, on peut inventer les théories qu'on veut, ils continueront à nous surprendre. Ou nous esquiver). Bref, je me suis penchée principalement sur la dynamique entre John et Sherlock, telle qu'elle a été altérée par les événements de cette saison. C'est une fic de la réconciliation, après ces trois épisodes où ils se sont franchement éloignés l'un de l'autre. C'est clairement du Johnlock. Il sera plus heureux que mon texte précédent.

Enjoy !

Chapitre 1

Bad

-Elle va revenir. Tout le monde finit par toujours revenir. Irene, toi, même Moriarty… Elle va revenir.

Sherlock ne répondit rien. Le ciel était douloureusement bleu au-dessus du cimetière, les ifs sombres poignardaient les nuages lourds comme des couvercles d'ivoire pesant sur un monde aux horizons radicalement réduits par la mort. Il ne répondit rien, les yeux fixés sur les épaules tendues de John, sur sa stature militaire même devant la silhouette glaciale de la pierre tombale nouvellement plantée. John ne pleurait pas, Sherlock ne pleurait pas, et ils étaient seuls devant l'insultant rectangle de granit.

-Elle va revenir.

John se retenait de pleurer. Sherlock se retenait de poser une main sur son épaule.

-Non, John, osa-t-il enfin articuler.

Sa voix s'échappait de ses lèvres étrangement déformée. L'épaule de John fut agitée d'un sursaut et Sherlock comprit sans le voir qu'il pleurait.

Il n'y avait rien à dire.

Il n'y avait rien à faire, réellement.

Et même. Même s'il y avait eu des mots adéquats, même s'il y avait eu quelque chose à faire, Sherlock n'aurait pas été en mesure de les dire, de le faire.

Il pleura longtemps et le ciel ne pleura pas, aucune goutte de pluie ne vint troubler le précis reflet du granit neuf, caresser les lettres dorées du prénom de Mary. Sherlock aurait voulu qu'il pleuve.

-Tu… Tu peux revenir à Baker Street, si tu veux. Ta chambre… Je n'utilise pas ta chambre.

Il toussota brièvement, fronça les sourcils. Tant de peine pour cracher des mots de si peu d'importance.

John secoua la tête. Passa sa main sur son visage. Ne le regarda pas.

-Non. Pas avec Julia.

Non. Bien sûr. Il n'avait pas oublié Julia, il avait juste oublié que son appartement n'était pas équipé pour accueillir un enfant. Donc non. Même s'il aurait voulu, même avec Julia. Mais non.

-Qu'est-ce qu'on va faire sans elle ? murmura John.

-Je ne sais pas.

Sans Mary, sans John, sans Julia, sans rien. Sherlock était habitué à vivre sans rien.

John inspira profondément et s'éloigna. Sans le regarder. Rejoignit Mrs Hudson à l'entrée du cimetière, qui serrait contre elle une toute petite fille blonde aux grands yeux bleus.

Sherlock dénoua ses mains, ses grandes mains qui ne sauvaient aucune vie et qui ne sauveraient plus jamais celle de Mary. Serra les poings, desserra. Cherchant des mots. Même s'il n'avait aucune raison de parler à une pierre tombale qui ne lui répondrait jamais.

-Tu n'avais pas le droit de faire ça. J'ai… J'ai tout fait pour que tu le rendes heureux, et tu… J'ai tout fait pour qu'il soit heureux grâce à quelqu'un qui était tout sauf moi, parce que je ne le rendrai jamais heureux, et tu fais exactement ce que je lui ai fait.

Il avait à peine murmuré. Il repensa au mariage et considéra pour quelques secondes la possibilité de brûler l'aile de son Palais Mental qui contenait ces souvenirs. Juste. Les faire disparaître.

-Qu'est-ce qu'on va faire sans toi ?

La cicatrice sous son sternum était encore sensible au froid et au toucher léger de sa chemise. Cette femme l'aura fait souffrir jusqu'au bout.

Prudemment, il frôla du bout des doigts les lettres qui ressortaient en relief pour les sculpter soigneusement au-dessus de la cheminée de son palais. Sous les escaliers au fond de la chambre matelassée Moriarty s'agitait.

Sherlock quitta le cimetière et vit que le taxi l'attendait encore, Mrs Hudson qui souriait d'un air un peu vide pour Julia, John qui regardait probablement de lointains souvenirs de bonheur tatoués à l'intérieur de ses paupières.

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Par un miracle de Mycroft, Sherlock avait été acquitté pour le meurtre de Magnussen. Sans doute pour services rendus à la Couronne. Il s'était racheté en réduisant à néant la menace qui pesait sur l'Angleterre suite à l'inexplicable retour de Moriarty. Sherlock ne voulait pas savoir. Cela ne l'intéressait plus réellement. Il avait volontairement fait de lui-même un meurtrier pour protéger une femme à présent morte. Puis il avait simplement achevé la tâche qu'il avait commencée : éliminer le réseau de Moriarty. Ce n'était pas plus compliqué ni plus vaste, ce n'était pas calculé, cela n'avait plus d'importance.

Mais c'était pratique de ne plus être un ennemi public. Plus facile d'acheter son café et de débarquer à Scotland Yard.

Les affaires et les énigmes s'accumulaient et s'enchaînaient sans faiblir depuis l'enterrement.

Il ne voyait plus John et l'unique message qu'il lui avait envoyé le lendemain des funérailles était resté sans réponse. Il se demandait s'il dormait bien. S'il mangeait bien. Si Julia souriait. Si John voyait Julia sourire.

-C'est le beau-frère. Vous trouverez l'arme cachée dans le double-fond d'un tiroir de son bureau – typique.

Il quitta la scène du crime avant que Lestrade ait le temps de prononcer une syllabe.

Il avait repéré un café quelques pâtés de maisons plus loin. Café. Bon. Il avait envie de café, tout à coup.

Il avait aussi envie de cigarettes, peut-être d'un peu de coke, un peu de John, un peu d'avant.

Café. C'était déjà ça. Il entra, s'installa, commanda. Son cerveau analysait mécaniquement tout ce qui l'entourait, de la vie sexuelle de la serveuse aux tendances anorexiques de sa voisine de table. Ses doigts pliaient et dépliaient une serviette en papier pour lui donner la forme de l'Opéra de Sidney.

Il reconnut la silhouette de l'homme à la caisse et ne dit rien. Baissa les yeux sur ses mains qui avaient gardé les anciens réflexes d'avant le mariage. L'expression de l'appréhension par l'origami involontaire. Quel atroce témoin il avait fait. Un enfant de trois ans aurait été plus satisfaisant.

-Shellock ? chantonna une voix à côté de lui.

-Julia, répondit-il avec un demi-sourire fatigué.

Et la fillette était déjà assise sur la banquette et John serait obligé de venir la récupérer.

-Elle est où Maman ?

Sa minuscule main serrait l'épaisse toile de son manteau. Du coin de l'œil il fixa ses grands yeux bleus.

-Là où on va quand on a fini son temps sur terre, souffla-t-il.

-On va la revoir ?

-Je ne crois pas, non, marmonna-t-il.

Il regretta aussitôt. Il vit une ombre passer dans le regard de l'enfant, quelque chose se durcir dans son visage.

-Il y a des gens qui croient qu'on peut les revoir, dans très longtemps. Quand nous aussi on… s'en va. Là-bas.

Il leva brièvement les yeux vers le ciel. Julia le dévisagea quelques instants. Des pensées trop grandes pour elle semblaient s'agiter dans son petit cerveau de fillette de trois ans.

-Mais tu le crois pas.

Ce n'était pas une question. Il répondit malgré tout.

-Je crois qu'il te reste ton père, et qu'il faudra faire avec. Ce sera difficile mais on ne peut rien faire de plus. Il y a les gens qui partent, et il y a ceux qui restent.

Julia ferma les yeux. L'effort de réflexion se lisait sur son visage.

-C'est méchant de partir, soupira-t-elle finalement.

Il acquiesça.

-Oui. Mais on ne fait pas toujours ce qu'on veut.

-Qu'est-ce qu'elle voulait ?

-Que vous soyez heureux. Elle vous aimait.

-Sherlock, dit la voix de John.

Calme, maîtrisée.

-Bonjour, John.

Ils prononcèrent à peine quelques mots de plus. La blessure béante laissée entre eux deux par la disparition de Mary ne permettait pas qu'ils se parlent normalement.

S'il y avait jamais rien eu de normal entre eux.

-Viens, Julia, on doit rentrer à la maison.

La fillette sauta en bas de la banquette, ses jambes menues enlacées de bas blancs et d'un jupon bleu. Petite Alice au Pays des Merveilles. Rien de merveilleux en ce monde.

-Shellock peut venir avec nous, Papa ?

Un silence s'installa pendant lequel les doigts de Sherlock broyèrent minutieusement l'Opéra de Sidney.

-Bonne soirée, Sherlock.

-Hm.

La porte de verre tinta en se refermant. Un petit insecte avait profité de la distraction de Sherlock pour se noyer dans son café.

Il ne soupira pas. Il ne repensa pas au mariage. Il ne ressentit ni injustice ni solitude. Il n'eut pas envie de lancer son café à la face du monde, au visage de Mary.

Il n'erra pas à pas lents dans Londres à la recherche de ce frisson du passé, de ce sursaut vital, cette énergie qui parcourait la ville et qui semblait avoir abandonné son corps.

Il ne dormit pas sur le lit glacial que John n'occupait plus depuis six ans.

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Quand il n'avait rien à faire, Sherlock s'asseyait devant la cheminée de son Palais Mental, le museau de Redbeard sur ses genoux.

Il se laissait hypnotiser par les flammes qui dansaient dans l'âtre, déformant les quatre lettres du prénom de Mary.

Quand il n'avait rien à faire, Sherlock redécorait son Palais Mental.

Il retournait les grands cadres où John souriait, immobile sous le verre, irréel, issu d'un passé qui ne reviendrait jamais.

Mais il y en avait tant, et le palais était si grand. Souvent, lorsqu'il revenait sur ses pas, il voyait que les cadres avaient repris leur apparence initiale.

Quand il n'avait rien à faire, Sherlock écoutait Moriarty chantonner dans les sous-sols du palais.

Quand il n'avait rien à faire, Sherlock ne faisait rien. Il s'asseyait au fond de lui-même et regardait d'un air vide tous ces souvenirs qui avaient un jour été heureux.

Si Mary n'était pas morte, John sourirait toujours.

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Nu devant le miroir de sa salle de bain, Sherlock examinait la grande balafre qui courait sur son bras. Il saignait abondamment, mais cela ne semblait pas trop grave.

John l'aurait soigné.

Il nettoya la plaie au savon, tenta de la refermer avec quelques pansements et un bandage qui s'imbiba vite de sang.

Sous son sternum, une étoile pâle lui rappelait qu'il avait survécu à pire.

Il n'aurait jamais cru qu'un cœur pouvait réellement être brisé.

Il n'aurait jamais cru qu'il avait un cœur.

Bref.

Il s'allongea dans le divan, décidé à ne pas dormir, le sang encore échauffé par l'affaire qu'il venait de clore.

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Un matin, Sherlock s'aperçut que Mary était morte depuis six mois.

Il ne pleura pas.

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A suivre...


Voilà pour le premier chapitre ! Il y en aura neuf en tout, et même si l'histoire est déjà finie et écrite, n'hésitez pas à me faire des commentaires (constructifs ou non), rien ne m'empêche de corriger la suite avant de la publier... Merci d'avoir lu, je vous retrouve dans quelques jours ou plus (je n'ai pas encore décidé à quelle fréquence je vais poster mes chapitres...)