Chers tous, pardon pour ce long délai; prise par trop de boulot au bureau et trop de fatigue le soir.

Vous avez été formidables, patients et constructifs dans vos commentaires. Je mets aujourd'hui une fin à cette historiette, parce que je n'ai pas envie d'aller plus loin pour celle-ci, juste pour le plaisir d'ajouter des chapitres. J'ai fait le tour de ce que je voulais y mettre.

Tout d'abord, un grand merci à:

Leelou67, pour m'avoir écoutée patiemment lui lire mon histoire et me corriger quand ça faisait "trop adulte" :-)
et aussi à :

Audrey 1986

Caloub38

Caskett Hopeful

.course

Caskett71

Celine02

Chatlibre, maintenant que l'histoire est complète, tu peux enfin la lire :-)

Choriane

Cissou75

DrWeaver

Elynaa

Ewilan

Fanseries66

Laetitialfw

Lille 76

Litany Riddle, tu vois, c'était pas Angst!

Manooon

Marielol25

Marionpc84

Marlou11

Mia-caskett

Mistyarrow

Rhysel derynis

Sabby78

Snoozpower

Soron

TeskilaKiwi

virtualJBgirl, tes commentaires m'ont guidées plus que tu n'imagines ;-)
***

Chapitre 12

- Je t'assure, ma chérie, c'est un endroit absolument idyllique !

- Je veux bien te croire, mais je n'ai pas les moyens d'habiter dans un endroit pareil !

Martha et une amie devisent calmement autour d'un cocktail martini/vodka. L'amie en question, Charmaine, vient de signer pour un nouveau contrat dans une super production hollywodienne. Considérant le fait qu'elle enchaîne les rôles à succès depuis plusieurs années maintenant, elle vient juste de s'offrir une superbe propriété en bord de mer. Une maison de quinze pièces – sinon ça fait trop m'as-tu-vu, affirme-t-elle – mais elle ne tarit pas d'éloges sur l'endroit. Elle a apporté un petit album photos qui montrent sa nouvelle acquisition sous toutes les coutures, depuis le salon/salle à manger de 55 mètres carré en passant par les chambres à coucher plus spacieuses les unes que les autres, dont l'une d'elles donne directement sur une terrasse débouchant sur un jardin en pente menant directement … à l'océan.

Richard vient de terminer un chapitre quand il décide de rejoindre les deux femmes. Il se sert un grand bol de crème glacée qu'il noie sous une montagne de crème fraîche et vient s'asseoir sur le fauteuil en face de sa mère. Elle feuillette l'album posé sur ses genoux et il voit dans ses yeux une lueur d'envie en même temps qu'un peu de tristesse.

Il est certain qu'elle se dit « si seulement je pouvais avoir une maison comme celle-là ! »

Il la fixe un long moment et songe que, s'il devient effectivement célèbre un jour, il aura les moyens de lui offrir une belle maison, pour qu'elle n'ait plus à galérer d'un contrat à l'autre, comme elle le fait ces temps-ci.

Martha sent sur elle le regard insistant de son fils et lève les yeux.

« Richard, viens voir comme c'est beau. »

Le garçon se lève et vient s'asseoir sur l'accoudoir à côté de sa mère.

Elle referme l'album et le rouvre à la première page et, pour Richard, c'est le choc !

Jamais il n'a vu quelque chose d'aussi beau, en effet. Il aime la façade qui donne sur l'océan, avec ses deux arches et toutes ces petites fenêtres, ces montants blancs qui lui donne un petit air colonial, cette immense terrasse couverte sur la gauche, cet escalier gigantesque qui descend sur une pelouse interminable, cette terrasse ronde plus petite, à droite, le ciel limpide qui couvre de son bleu protecteur cet îlot de verdure et surtout, les voisins… très lointains. La maison semble totalement isolée. Ça ressemble aux yeux du gamin à un havre de paix où il doit faire bon écrire en toute quiétude.

Il feuillette les pages et n'en finit pas de s'extasier en silence. Cette demeure semble un rêve totalement inaccessible pour un petit garçon comme lui, et encore plus pour sa mère, qui galère de pièces de théâtre en petits rôles dans l'une ou l'autre comédie musicale locale.

Si seulement… se dit-il… juste avant de se promettre intérieurement : le jour viendra !

Il s'imagine, confortablement installé dans une chaise longue, ses cahiers d'écriture à portée de main, sa mère sur la chaise longue d'à côté, en train de lire le dernier opus des aventures de ses héros, une petite table basse entre eux où sont posés les cocktails que le majordome vient de leur servir.

Puis il divague complètement et voit surgir des ondes une sirène élancée, à la chevelure brune lui descendant jusqu'à la taille, moulée à souhait dans un maillot une pièce noir. Elle marche lentement vers lui, sourit et…

- Richard ? Tu rêves ?

Le garçon sort brusquement de sa torpeur.

- Heu, non,… enfin, oui… elle est vraiment magnifique, cette maison !

- N'est-ce pas ? Charmaine a proposé de nous y inviter cet été. Ça te plairait ?

Richard peine à dissimuler son enthousiasme.

- Oh oui, beaucoup, dit-il d'une voix qu'il veut posée et calme, pour cacher le délire qui vient de l'assaillir.

- Alors, c'est dit, annonce Charmaine d'une voix guillerette. Vous serez mes hôtes fin juillet. Désolée, mes chéris, je ne peux vous y inviter plus tôt, je suis en tournage tout le mois de juin et juillet sur la côté ouest… Mais, attendez, j'y pense…

Richard retient sa respiration.

- Et si je te donnais un double des clés, Martha. Tu pourrais y aller quand tu veux avec Richard.

Martha hoche la tête.

- Enfin, Charmaine, c'est trop gentil, je ne voudrais pas…

- Tu ne déranges pas. Et puis, j'y trouve mon avantage aussi, tu sais de cette manière, la maison semblerait occupée plus souvent… ça éloignerait les cambrioleurs… même si je suis persuadée que le quartier est très sûr là-bas.

- Je ne sais comment te remercier.

- Tu n'as qu'à remplir de frigo, c'est tout. Le reste, c'est offert par la maison, dit Charmaine d'un ton un peu pompeux.

Richard commence de nouveau à divaguer et imagine tout ce qu'il pourrait faire dans cette maison. Elle ressemble à un petit paradis pour lui.

***
17 novembre.

Katherine est tout excitée c'est son anniversaire et ce soir, elle va bien sûr fêter ce jour joyeux avec ses parents. Elle s'attend à recevoir, peut-être, sa tenue de judo. Et puis plein d'autres choses dont elle a parlé, sans en avoir l'air, avec sa mère.

Mais ce à quoi elle ne s'attend pas du tout, c'est le présent au fond de la cour de récré. Richard est là, comme tous les jours, debout, les mains dans le dos, un petit sourire aux lèvres. Elle s'avance vers lui, lui rend son sourire.

- Salut ! Qu'est-ce que tu caches derrière ton dos ?

- C'est une surprise.

- Pour moi ? demande-t-elle, soudain très curieuse.

- Ben oui, c'est pour … ton anniversaire.

- Cooool ! C'est quoi, c'est quoi ?

A présent, elle est très impatiente.

Richard sort les mains de derrière son dos et lui tend un petit paquet rectangulaire avec une grosse bosse au milieu. La petite fille prend le paquet avec précaution, comme s'il s'agissait du cristal le plus fragile. Elle va s'asseoir au fond du préau et garde un moment le paquet sur ses genoux.

- Je peux l'ouvrir maintenant ?

- Si tu veux.

Katherine n'attendait que ce feu vert: elle déchire le papier cadeau, mal plié sur les coins. Richard a fait de son mieux pour l'emballer soigneusement mais le papier dont il disposait était trop épais pour être plié avec facilité.

Les deux enfants n'ont pas remarqué que Billy les observe du coin de l'œil, comme très souvent. Généralement, il se contente de tourner à distance respectable, tel un vautour attendant de fondre sur une proie désormais sans défense. Richard a toujours eu pour lui un regard qui en disait long et qui signifiait clairement « Tu t'approches ? Tu t'en prends une ! ». Pourtant aujourd'hui, il semble attiré tel un insecte par la couleur du papier cadeau – ou est-ce simplement qu'il en a assez de ne pas passer à l'action? Sa manœuvre d'approche est lente et méthodique, pour ne pas être trop vite dans la ligne de mire des deux enfants.

Katherine a fait une boule avec le papier cadeau et s'exclame derechef en voyant ce qu'elle tient dans ses petites mains :

- Wow ! Il est mignon !

Elle tient à présent un petit dauphin en peluche, couleur bleu clair. Elle se caresse la joue avec le petit animal et affiche un large sourire, aux anges.

- Je suis content qu'il te plaise.

- Il faut que je lui donne un nom.

- Ah ?

- Toutes mes peluches ont un nom, tu sais ?

Richard ne peut s'empêcher de rire.

- Te moque pas !

- Je ne me moque pas. Tu vas l'appeler comment ?

- Sais pas. Je te dirai quand j'aurai trouvé.

Elle regarde ensuite la deuxième partie du présent. C'est un petit cahier. Elle l'ouvre et reste bouche bée. Sur la première page s'étalent en grand les mots:

« Espionne toujours – par RR».

- C'est pas vrai, tu l'as fini ?

- Pas vraiment, enfin… presque… je n'arrive pas à faire une fin. Mais j'aimerais que tu me dises si ça te plaît.

- WOW, c'est super cool !

Elle commence à feuilleter les premières pages et quelques instants plus tard, elle s'arrête soudain et relève la tête.

- C'est pas vrai !

- Quoi ?

- C'est fait exprès, les initiales de ta russe ?

Richard se sent rougir.

- Ben… c'est comme tu veux…

- Comment ça, « comme je veux » ? Tu t'es inspiré de moi ?

- Un tout petit peu, avoue Richard, en la regardant dans les yeux, un petit sourire coquin au coin des lèvres.

- T'es pas gêné !

- Te fâche pas, elle est super, elle a de la jugeote, elle est forte, tu verras, elle est sympa.

Kate referme le cahier d'un geste sec.

- Tu aurais pu me demander, quand même !

- Je ne savais pas que les écrivains devaient demander la permission de créer leurs personnages.

- Ben si, surtout si ces écrivains prennent des gens qu'ils connaissent.

- T'es vraiment fâchée alors ?

Kate soupire à fond, puis fixe Richard avec insistance. Son regard est froid, mais sa bouche dit le contraire.

- Bon, faut que je le lise pour savoir, je suppose.

- Tu ne seras pas déçue, je t'assure. Mais…

- Mais quoi ?

- Je ne suis pas très doué pour l'intrigue, il y a pas mal de dialogues et des descriptions de paysage et tout ça, mais c'est difficile d'imaginer des aventures comme celles des bouquins policiers.

- On verra bien, fait Katherine, le menton relevé en signe de défi.

- Tu peux y écrire des notes, si tu veux, j'ai laissé une marge à chaque page, comme ça, tu me diras ce que tu penses de ce que j'ai déjà écrit.

- T'es sûr ? Je peux écrire dedans ?

- Oui, pas de problème, ça me ferait plaisir d'avoir ton avis.

- OK, ça marche !

Le lendemain, elle court au fond du préau où un Richard Rogers l'attend, impatient.

- Dis-donc, Monsieur l'Ecrivain, on peut dire que t'es plutôt doué ! annonce Katherine en brandissant le cahier.

Richard respire un grand coup. Elle a lu son « œuvre ».

- Alors… tu as … aimé ?

- Oh oui ! Elle est pas mal, ton espionne, en fait. Mais je la trouve un peu trop polie.

- Ah oui ? Comment ça ?

- J'sais pas, elle parle comme un de nos profs, ses phrases sont très intelligentes… je sais pas si les espions parlent comme ça. En tout cas, dans les films, il arrive souvent aux méchants espions de dire des gros mots.

- Mais Katinka est bien élevée ! s'insurge-t-il.

- Peut-être, mais elle fréquente des mauvais, alors, je trouve que si elle veut se faire respecter et traiter comme un des leurs, elle devrait parler comme eux, non ?

- Justement, non. Elle reste égale à elle-même, je ne veux pas qu'elle devienne méchante.

- Elle tombe amoureuse du gentil espion, mais t'as pas fini l'histoire. Ils vont finir par se marier, tes deux héros ?

- Sais pas encore… peut-être…

- Ce serait plutôt cool. Mais tu devrais y mettre plus de bagarres, et des morts, et plein de trucs comme on en voit à la télé, des gadgets, tu sais, ils ont toujours de super gadgets pour se sortir de situations pas possibles…

Richard sourit. Décidément, elle a autant d'idées que lui.

Concentrés sur leur conversation, ils n'ont pas vu Billy s'approcher en douce, derrière Katherine.

De façon totalement inattendue, il se rue sur la petite fille, lui dérobe le cahier et s'enfuit comme un dératé à l'autre bout de la cour, entouré par sa bande.

Richard fonce tel un fauve à sa poursuite. Katherine crie, de rage, sur Billy.

A peine Richard a-t-il rattrapé Billy qu'il se lance à corps perdu sur lui et le cloue au sol. Il reprend le cahier de force, le glisse, plié en deux, dans la poche de son blouson et se relève.

- Ne t'avise jamais plus de recommencer, crétin !

Billy se relève et est immédiatement entouré de ses copains. Le petit groupe fait front à un Richard isolé. Mais ce dernier relève le menton, prêt à l'affronter.

- Tu me cherches, Rogers ?

- Pas vraiment, mais si c'est la bagarre que tu veux, viens donc, mais tout seul. Je n'ai pas peur de toi.

- Voilà ta petite copine qui vient… Elle vient te sauver, dit Billy d'un ton faussement plaintif, se moquant des deux amis.

- Laisse-la tranquille, tu m'entends ?

- Ooh, pauvre petite Katherine, elle a besoin d'un chaperon, on dirait !

Billy continue son imitation de petit enfant apeuré.

Richard le toise, prêt à bondir, les poings serrés. Billy le remarque.

- Vas-y. Te gêne pas !

Mais Richard ne bouge pas. Katherine l'a rejoint.

- Viens, lui dit-elle, c'est un idiot, il n'en vaut pas la peine.

- Qui est-ce que tu traites d'idiot, toi, l'emmerdeuse ? lance Billy.

Katherine s'approche de Billy. Elle le dépasse d'une demi-tête, mais cela ne semble pas du tout impressionner le gamin. Richard retient son amie par le bras.

- Viens on s'en va.

Tandis qu'ils s'éloignent, tournant le dos à la bande, Billy se rue soudain vers Katherine dans l'intention évidente de la gifler, mais Richard l'a senti venir, se retourne et lui colle une baffe magistrale. C'est le signal qu'attendaient le reste de la bande pour intervenir. Il s'ensuit un échange de gifles et de coups de poings entre Richard et Billy, tandis que les copains de ce dernier tournent autour de Katherine pour tenter de l'impressionner et de la faire pleurer. Mais elle leur tient tête et tente de leur échapper pour porter secours à son ami.

En vain. Lorsque le surveillant s'approche, Richard est assis à califourchon sur le ventre de Billy et fait pleuvoir les coups sans s'arrêter.

- Tu vas nous foutre la paix une bonne fois pour toutes, petite vermine !

- Ça suffit ! Debout tous les deux ! tonne le surveillant.

Les deux garçons échangent encore quelques coups avant de se relever péniblement.

Le surveillant se tient devant eux, les poings sur les hanches.

- Chez la directrice, tous les trois, tout de suite ! gronde-t-il en les fixant à tour de rôle, lui, Billy et Katherine.

- Mais elle n'a rien fait ! s'exclame Richard.

- Tous les trois, TOUT DE SUITE !

Les enfants échangent un regard mauvais et se dirigent vers l'entrée, sous l'œil interloqué des autres enfants dans la cour.

- C'est pas juste ! pleure Katherine. Elle n'avait pas à te renvoyer.

- C'est pas grave. C'est juste pour quelques jours. Ça te laissera le temps de terminer mon histoire : comme ça, on pourra en discuter à mon retour.

- Je suis désolée, Richard. T'avais pas à prendre tout sur toi, tu sais ?

- Hé… lui murmure-t-il en lui donnant un petit coup de coude amical, les amis, c'est fait pour ça, non ?

Katherine a envie de pleurer, mais elle parvient à retenir sa peine, pour Richard, et sa colère, envers Billy. Ce dernier a été renvoyé également pour quelques jours.

- Allez, tout ira bien, à la semaine prochaine ?

- OK, dit Katherine d'une petite voix, en reniflant. Tu promets ?

- Je promets quoi ?

- De revenir.

- Bien sûr, t'inquiète pas.

Il s'approche d'elle et l'embrasse doucement sur la joue.

- Je serai là pour toi… toujours.

Il s'éloigne avant de montrer qu'il est aussi triste qu'elle.

- Tu n'es qu'un menteur, crie-t-elle. Tu m'avais promis !

- Ce n'est pas de ma faute, je te jure. Ma mère vient de signer un contrat sur la côte ouest.

- Mais tu m'avais promis de rester avec moi ! pleure Katherine, incapable à présent de retenir ses larmes.

- Pleure pas, Kate, je suis vraiment désolé.

Il ne sait quoi lui dire pour la réconforter.

- Je t'écrirai. Et toi, tu m'écriras.

- J'aime pas ça, écrire.

- Alors, tu apprendras, hein ? Dis, tu m'écriras ?

- Non ! C'est trop injuste ! Et tiens, dit-elle en lui tendant le cahier, tu peux le garder, j'en veux plus.

- Garde-le, c'est un cadeau. Je te promets de revenir pour terminer l'histoire, qu'est-ce que t'en dis ?

Katherine renifle un grand coup.

- Tu… tu promets ?

- Juré ! Et je te le dédicacerai spécialement !

- C'est vrai ?

- Promis juré !

- Tu vas pas m'oublier en Californie ?

- Jamais.

- Tu resteras mon ami ?

- TOU-JOURS ! prononce Richard très lentement, d'une douce voix.

Lorsque Richard se retourne une dernière fois pour regarder le grand portail d'entrée de l'école, les émotions se bousculent dans son cœur. Il sait que Katherine va lui manquer, énormément. Il sait qu'il va terminer ce livre, pour elle. Pour lui. Car il s'est promis de devenir un excellent écrivain. Il n'en veut pas à sa mère de l'arracher à son environnement, maintenant qu'il a enfin trouvé le moyen de sortir de sa bulle. Il n'en veut pas à la Directrice d'avoir pris des sanctions à son égard, il ne regrette qu'une chose, c'est de ne pas avoir pu continuer de mettre la pâtée à Billy.

Il sent au fond de lui un tiraillement douloureux, comme si on lui avait tordu les tripes. Il s'est lié d'amitié avec une petite fille formidable et il se jure au fond de son cœur qu'il ne l'oubliera jamais.

Il sourit tristement en voyant le nom de l'école qui s'étale en grandes lettres par-dessus le portail. Il vient de trouver son nom de plume. Il se fera connaître de tous et reviendra vers "sa" Katherine dès que possible.

Le jeune garçon grave dans sa mémoire le nom de l'école : « Castle Bridge ».

Dans quelques années, il écrira sous le nom de Richard Castle.

Vingt-deux ans plus tard…

Une femme flic, grande, élancée, cheveux courts, allure plus que décidée, s'avance vers une petite table derrière laquelle est assis un homme, belle prestance, la quarantaine élégante, très séduisante même. Il a posé ses lunettes de soleil sur un coin de la table. En face de lui, une pile de livres fraîchement sortis de chez son éditrice, où son nom s'étale en grand. Il attend que de nombreux admirateurs viennent faire dédicacer leur exemplaire.

Deux mariages, deux divorces. Actuellement, il est seul, sentimentalement parlant, même si les jolies filles se bousculent au portillon. Il se sent si désoeuvré, mais n'en montre rien. Dans son existence qui paraît idyllique aux yeux de ses admirateurs, il est pourtant très seul, blasé, fatigué de toutes ces marques de condescendance, de ces fans qui se bousculent pour admirer l'homme qu'il est… enfin, qu'il semble être. Il donne le change, oh combien, de façon outrageusement trompeuse. Il attend autre chose de la vie. Il attend quelque chose de vrai, de vraisemblable. Il a décidé de mettre un terme à l'engrenage infernal de l'écriture mécanique, de la publication, de la promotion en public. Il lui manque la profondeur de la vie réelle. Il se dit qu'il en a ras-le-bol de n'écrire que ce qu'attend son éditrice, et non des récits basés sur des faits plus tangibles.

- Où voulez-vous que je signe ?

La plupart des femmes séduisantes qui se présentent devant lui arborent un généreux décolleté, provocantes à souhait, le rire exagéré, la posture aguichante. Il en a marre, signe avec un sourire ravageur, n'attend qu'une chose, c'est de se retrouver chez lui et trouver une solution à l'enfer qu'il vient de faire déferler sur sa carrière. Il vient de commettre un meurtre. Il vient de mettre un terme brutal et définitif à la vie d'un homme qui le fait vivre depuis de nombreuses années. L'ouragan s'est abattu sur son monde. Que va-t-il faire cette nuit ? Dormir du sommeil du juste ? Tenter de trouver une échappatoire ?

Il appose ses autographes à la pelle, sur des peaux offertes, appétissantes, sur des couvertures de livres, sur n'importe quoi, il s'en fout.

Il répète à l'envi le même baratin à la personne suivante, sans même lever les yeux :

- Où voulez-vous que je signe ?

Il décapuchonne son marqueur indélébile, prêt à apposer sa signature, quand soudain, il voit apparaître sur la table, juste sous ses yeux, un objet qu'il avait cru oublié depuis longtemps. L'objet est jauni, quelque peu frippé. Un cahier, marqué d'une pliure dans son milieu. Sur la couverture s'étalent des lettres qui semblent tracées par une main d'enfant.

Il sourit. Caresse le cahier d'une main presque tremblante.

Son cœur se met à battre plus vite. Sa respiration s'accélère. Se pourrait-il … ? Aurait-il droit à ce cadeau tombé du ciel ? Aurait-il la chance, en levant les yeux, de voir ce qu'il désire voir, parce qu'il n'a jamais oublié ? Parce que la vie l'a entraîné dans une direction qu'il n'avait pas prévue. Parce que sa carrière l'a obnubilé si longtemps. Parce qu'il a longtemps été et est encore un impénitent coureur de jupon, entre deux mariages.

Ces lettres qui s'affichent devant lui seraient-elles le signe que, peut-être, le destin va lui donner la chance de réparer son absence ?

"Espionne toujours. par RR."

Où voulez-vous … - il lève les yeux, lentement, pour savourer ce moment précieux – que je… - elle est là, c'est elle, sans aucun doute, toujours aussi belle, haltière, élancée, la même flamme au fond des prunelles – signe ?

- Plutôt que de signer, si vous terminiez cette histoire-ci ?

Cette voix, si sûre d'elle-même, il l'aurait reconnue entre toutes s'il n'avait déjà reconnu la femme qui se tient devant lui, un petit sourire moqueur au coin des lèvres.

- Pour ça, j'aurai besoin de ma muse favorite. Pensez-vous que la personne qui m'a inspiré le début de cette histoire accepterait de m'aider à la terminer, avant que je n'en commence une nouvelle ?

THE END