Rating: K+

Genre: Romance/Drama

Pairing: Hina/Hancock

N/A: Dernier chapitre, mes enfants. Merci à vous d'avoir suivi Feuer frei!, tous autant que vous êtes. Voilà, j'ai l'impression d'être une putain de dépressive en écrivant ça :')

Merci à Ringo, Emo.16 et Loan-Luka pour leurs reviews gentilles!


Le bal perdu

Hina frissonna. Ses lèvres bleues se refermèrent sur sa cigarette. Elle l'alluma avec difficulté, son briquet s'enfuyant sans cesse entre ses doigts tremblants. Écartant les rideaux, elle s'avança sur le balcon, s'accouda contre la rambarde, la tête calée contre sa paume. Elle recracha sa fumée, la regarda monter dans l'air froid. Il faisait encore nuit, un voile d'encre qu'aucune lueur électrique ne souillait. Sa peau se hérissa, l'obligeant à se redresser pour réchauffer l'épiderme de ses bras d'un frottement vif de ses mains.

Elle avait eu des rêves, il y a longtemps. Ils étaient des nuages dans son café, et maintenant, il n'en restait plus rien, juste une tasse vide. La dame de fer avait fait partie de ceux qui avaient été appelés au front les premiers. Fière de porter les bannières de son pays, de ce en quoi elle croyait, de ce en quoi ils -les autres- mourraient. Elle connaissait l'horreur de la guerre, bien sûr, elle y avait déjà été confrontée autrefois. Pourtant, cette impression de salissure, cette sensation d'avoir plongé dans un monde vert-de-gris, lui laissait un goût amer dans la bouche.

Oh, elle s'en était bien sortie, malgré tout. C'est ce qu'elle se disait, se répétait comme un mantra, pour mieux y croire. Le matin, elle vérifiait, point par point, si elle était toujours complète, si ses jambes n'étaient finalement pas restées sur un champ de batailles, ses mains sur une poitrine désespérément immobile, ses orbites sur ces tas de chair morbides, ses oreilles avec les cris des corbeaux.

Elle avait été rapatriée lorsqu'un obus explosé trop près lui avait détruit les tympans. Son monde était étrangement plus calme, mais plus vide ; creux. Mille fois plus dangereux, aussi. Aux aguets, elle promenait un regard fou sur chaque recoin que lui permettait d'apercevoir sa vue, avant de pouvoir détendre un court instant ses muscles ; respirer.

Quand elle fermait les yeux, elle revoyait l'image d'un petit bal perdu, qui aurait oublié son nom au milieu des ruines. Un petit bal perdu où tournait sans cesse un couple, qui ne s'inquiétait ni des balles, ni des bombes. Qui dansait dans un cercle mécanique ; les poupées métalliques d'une boîte à musique. Qui valsait, dévoilant le motif d'une robe moins floue au fil des accords d'un air fantôme, qui chantait juste pour ces amoureux du bal perdu. Elle ne distinguait pas leur pupilles, peut être étaient-ils aveugles, mais leur sourire irradiait, tellement fort qu'il blessait. Dans un sursaut de douleur, ses paupières se levaient d'elles-même, pour la laisser échapper au rythme entêtant de la valse, qui sortait des sillons tracés dans son cœur, ses tripes et ses tempes.

Les rideaux bruissèrent délicatement. Hina ne releva pas, embrassait sa cigarette comme si sa vie en dépendait. Une silhouette douce se coula vers elle, tout en langueur. Si il y avait eu quelqu'un d'autre pour assister à la scène, peut être aurait-il noté combien ses traits paraissaient étranges, comme à demi-effacés ou à peine esquissés. Elle colla son visage masqué de sa longue chevelure ébène contre le dos de l'ex-militaire, qui eut un léger sursaut avant de détendre à nouveau ses épaules en voyant une main pâle, presque translucide s'agripper à sa hanche. Son nez quelque part entre ses omoplates, elle ne bougeait plus.

Hina fumait. L'autre restait. Hina aurait bien aimé parler, mais elle se sentait terriblement maladroite, incapable d'évaluer si sa voix lui obéirait réellement, alors elle se taisait. Une vibration remontant le long de sa colonne l'avertit que ce n'était pas grave, que la conversation continuait. Qu'elle réponde ou pas n'était pas l'enjeu, sa présence suffisait.

Elle jeta sa clope dans le vide, observant le dernier éclat orangé du bâtonnet qui se consume. Se retournant, elle saisit le menton de sa compagne, repoussant les mèches sur sa joue tendrement. Elle plongea ses yeux dans les siens, pour se cacher sa hideur.

Elle l'aimait. À vrai dire, elles s'aimaient toutes les deux, c'était ce qu'elles faisaient de mieux.

Pourtant, la femme de métal ne pouvait s'empêcher de frissonner quand elle voyait cette peau trouée, déformée, ce sourire désormais tordu. Elle frémissait en pensant à ce que son amante avait autrefois été, et ce qu'elle était devenue. Elle avait été belle, non!, magnifique, somptueuse, sérénissime, divine. Sous l'orage, tout lui avait été enlevé d'une giclée d'acide. Elle n'était plus qu'un monstre effrayé par sa propre laideur. Elle pleurait parfois, tard, quand elle croyait qu'Hina ne la regardait pas. Hina ne disait rien, Hina venait la serrer dans ses bras, pleurer avec elle. Pleurer pour ce qui avait disparu, pour ce qui restait, pour ce qui viendrait. Pleurer parce qu'elles étaient en vies, sans savoir vraiment si elles devaient s'en réjouir ou s'en affliger.

Leurs mains s'entrelacèrent, gentiment. Le bal perdu restait dans les ruines, avec ce couple qui dansait, cet air qui chantait. Elles n'essayèrent pas de le fuir, juste de se faire à son rythme. Il faisait froid, et elles valsaient, parce qu'elles étaient soulagées d'être vivantes, un soir de plus. Hina hésita un instant, avant de, doucement, glisser quelques paroles de sa voix étranglée, un peu tremblante. La femme-qui-fut-belle hocha la tête, remua les lèvres. Le son ne parvint pas jusqu'aux oreilles sourdes mais Hina n'en avait pas besoin pour savoir ce qu'elle pouvait signifier. C'était quelque chose qui s'entendait avec le cœur, à grands coups de flux et de tambourins.

Ce soir encore, elles se contentaient de s'aimer du mieux qu'elles le pouvaient, dans leur étrange désespoir serein.