Je ne suis pas morte ! Ahem, je ne sais pas trop par où commencer, mais je voudrais m'excuser pour cet extrêmement long retard qui était en partie contre ma volonté (vol de mon ordi, perte de tous mes textes, études, exams, etc) et en partie de ma faute (démotivation, flemme, j'en passe). Mais avant tout un grand MERCI aux gens qui ont continué de lire, suivre, favoriser et commenter cette histoire sans se laisser décourager par la date de dernière publication, c'est un peu grâce à vous si cette suite est là aujourd'hui.
Ce chapitre devait être bien plus long à la base, tellement que pendant son écriture j'ai eu peur qu'il le soit trop et ai décidé de le couper en deux (même si ça me brise le cœur). Mais ne vous inquiétez pas, le III.2 est en cours d'écriture et fait déjà 3k mots donc vous ne devriez pas avoir à l'attendre un an (joke parce que le dernier date d'un an)(haha que je suis drôle).
Et je réponds ENFIN aux personnes ayant laissé une review en guest, désolée de ne pas avoir pu le faire plus tôt ! Mlle J'aime tu n'as pas à t'en faire pour la suite puisque le titre en fin du dernier texte était bien celui de la partie 2, pas 3, je l'avais mis là pour ne pas vous mettre la puce à l'oreille sur les évènements. Darki ça me touche que tu commentes contre tes habitudes et espère que le temps d'attente ne t'aura pas trop découragé ! Quant à Rumi, la suite est là, donc suis-je malgré tout pardonnée ?
Sur ce, je retourne à mon clavier.
Part III.1 – Qui sème le vent
Le vrombissement assourdissant du moteur laissa place au calme de la nuit. Aucun insecte ou oiseau nocturne ne faisait entendre son chant alors que Christa se laissait doucement glisser jusqu'au sol. Le crissement du gravier sous ses semelles et leurs deux respirations étaient seuls à rompre le silence. Ymir tendit le bras pour attraper le casque qu'elle lui tendait.
Ymir.
Ymir qui avait enlevé son propre casque et dont les cheveux, encore humides, étaient collés à son visage. Ymir et son débardeur qui avait séché en cours de route, brassé par le vent, et son pantalon toujours mouillé, lui, qui épousait encore un peu trop les formes de ses jambes. Ymir et ses yeux qui étaient brun mais semblaient noir dans l'obscurité, ses yeux qui la fixaient sans relâche depuis qu'elle avait posé un pied au sol. Christa la regardait sans vraiment trop y croire en retour, encore à moitié dans le rêve éveillé qui l'avait occupée une partie de la nuit. Elle se souvenait parfaitement de la douceur de la peau de ses joues, de la sensation grisante de ses doigts sur sa nuque, de la chaleur accueillante de ses lèvres. Mais était-ce réellement arrivé ? Ou n'était-ce que pur fruit de son imagination ? Cependant la façon qu'avait sa compagne de l'observer ne lui permettait pas de douter de la véracité de ses souvenirs, pas même qu'elle ne pouvait hésiter une seconde sur la signification de cette lueur nouvelle et pourtant familière au fond de son regard. Elle le remarquait pour la première fois mais elle avait toujours été là, camouflée derrière un coup d'œil malicieux ou un rictus moqueur, mais belle et bien présente pour qui savait où la chercher. Comment n'avait-elle pas pu s'en rendre compte plus tôt. Dire qu'il avait fallu qu'elle passe à peu de choses de la perdre pour que ces sentiments ressortent, plus crus et indomptables que jamais.
Un sourire étira brièvement les lèvres de Christa alors qu'elle repensait aux événements de la piscine, la façon dont elle avait perdu toute habilité à penser clairement pour juste se suspendre au cou d'Ymir et l'embrasser encore et encore. Plus tard peut-être qu'elle y repenserait en rougissant, gênée de s'être laissée aller de la sorte, mais pour l'instant l'enthousiasme et l'excitation provoqués par le geste étaient encore bien trop présents dans ses veines pour qu'elle se laisse atténuer de la sorte. Même la crampe fulgurante qui lui avait saisit le mollet par la suite ne pouvait influer sur sa bonne humeur et seul le rire expansif qui avait secoué la brune à cette vision et la douceur avec laquelle elle l'avait sortie de l'eau resteraient gravés dans sa mémoire. Ça, et la façon avec laquelle elle avait drapé son blouson noir sur ses épaules avant de la prendre dans ses bras afin de continuer à l'embrasser en la protégeant du froid. Sans doute y seraient-elles encore si une série d'éternuements et le sérieux risque d'un rhume planant au-dessus de leur tête ne les avaient pas décidées à rentrer.
Et les voilà désormais, seules dans la rue, à se dévisager sans qu'un mot ne soit échangé. Au fond d'elle, Christa savait qu'il était temps pour elle de tourner les talons et prendre la direction de sa chambre, mais elle sentait aussi qu'elle pourrait rester plantée là sans se fatiguer jusqu'à ce que le jour se lève. Ses émotions bataillaient dans sa cage thoracique, chacune tentant de se faire entendre plus qu'une autre, donnant pour seul résultat une cacophonie de sensations et le fait qu'elle ne savait trop bien si sa poitrine se serrait ou se décompressait à la vision d'Ymir sur sa bécane. À moins que ce ne soit les deux. En face d'elle la motarde n'avait toujours pas bougé, sereine comme elle l'avait rarement vue. Bien sûr, la lycéenne se doutait bien du chaos interne qui devait également être le sien, mais le calme qu'elle dégageait la troublait tout autant. Depuis combien de temps la jeune femme aux taches de rousseur se battait-elle avec ces sentiments, cette attirance, qu'elle pensait non-réciproque et sans doute indésirable ? Trop longtemps. Mais le soulagement dans son attitude en disait long sur le poids qu'elle avait porté sans oser l'avouer.
Un courant d'air trouva son chemin jusqu'aux cheveux encore mouillés de sa nuque, la faisant frissonner, tandis que le regard d'Ymir jusque là songeur s'éclaircissait pour se fixer sur sa silhouette ténue. Sa bouche s'assécha sans qu'elle puisse rien faire pour l'en empêcher.
« Je pense que je devrais y aller...
_ En effet... »
Christa ne bougea pas d'un pouce, les pieds comme ancrés au sol, incapable de se défaire de cette attention que lui dédiait son interlocutrice encore et encore. Elle ne savait pas comment la quitter. Devait-elle l'embrasser ? Lui faire un vague hochement de tête ? Elle commençait tout juste à redescendre sur Terre et réaliser dans quelle situation elle se trouvait. Ymir lui avait fait clairement comprendre ce qu'elle attendait, ce qu'elle voulait ; elle, et pas juste en tant qu'amie. Mais elle, que voulait-elle ? Nerveusement, la blonde commença à se triturer les doigts.
« P-pour ce qui est de la réponse à ta question, j-
_ Attends, pas maintenant, prends ton temps pour y réfléchir, la coupa-t-elle avec un mélange d'inquiétude et de douceur. Je voudrais... que tu sois sûre de toi, avant de prendre ta décision.
La plus grande souriait doucement, malgré l'angoisse évidente qui était la sienne. Comme sur des charbons ardents, laissant son sort entre ses mains d'adolescente indécise. Christa se sentait à la fois touchée et écrasée par tant de confiance, mais elle décida après une longue inspiration de s'en montrer digne.
_ Très bien, je le serai, promit-elle avec gravité. Tu me laisses jusqu'à quand ? finit-elle néanmoins par demander après une brève hésitation.
_ Rendez-vous vendredi soir, au parc où je t'ai emmenée en balade pour la première fois. Ça ira pour toi ?
_ Oui. »
Elle acquiesça sans réfléchir – peut-être avait-elle quelque chose de prévu ce soir-là, peut-être pas, qu'importe, elle trouverait le moyen d'y être – comptant nerveusement le nombre de jours qu'il lui restait pour se décider. Quatre. Dans quatre jour elle devait avoir fait son choix. Cette brusque pression lui fit l'impression d'un poids sur ses épaules, rapidement allégé par le regard qu'Ymir portait sur elle. Il y avait tant de choses qu'elle n'arrivait pas à lire dans ces iris, tant de peurs et tant d'espoirs. Alors, se rappelant sa dernière résolution, la petite blonde se redressa de toute sa hauteur et lui fit un mince sourire qu'elle espérait apaisant. Quelle que soit la décision qu'elle prendrait, ce serait la sienne et ce serait en toute connaissance de cause. Il n'y avait rien à redouter là-dedans.
« Je vais y aller maintenant.
_ D'accord...
_ A vendredi.
Christa combla l'espace qui les séparait de deux enjambés, se haussant sur la pointe des pieds le temps d'effleurer la commissure de ses lèvres des siennes.
_ Et bonne nuit. »
Elle sourit à la motarde en reculant, savourant les derniers effluves de son parfum qui flottait encore dans ses narines. Cette dernière l'observa un instant, hésitante, et pendant une fraction de seconde elle crut qu'elle allait sauter de sa moto et venir la prendre dans ses bras, au lieu de quoi elle enfila lentement son casque masquant son visage à sa vue. Le moteur lui fit l'effet d'un bruit infernal en démarrant, mais pas autant que le déchirement de l'entendre disparaître au loin.
x
Le portail du jardin grinça affreusement quand elle le poussa, se refusant à être silencieux un jour dans son existence. Christa remonta l'allée à pas de loup, sortant les clefs de sa poche avec la dextérité et la discrétion que seule l'expérience procure. La soirée avait été bouleversante mais elle ne pouvait se laisser aller en toute sécurité avant d'avoir atteint sa chambre. Lentement, elle tourna la serrure avant d'entrebâiller la porte afin de jeter un coup d'œil dans l'entrée. L'obscurité du lieu la rassura ainsi que son silence, ce qui ne l'empêcha pas d'y pénétrer avec toutes les précautions du monde. Refermant soigneusement l'entrée derrière elle, elle retira ses chaussures avant de les attraper et avancer aussi légèrement que possible sur le parquet en direction de l'escalier. Plus que quelques mètres et elle y serait.
« Est-ce que tu me prends pour une imbécile ? »
Le sursaut la prit totalement au dépourvu, lui faisant lâcher un cri étouffé et ses souliers avec. Le cœur battant à toute allure dans sa poitrine, elle se tourna avec ce qui lui restait de sang-froid vers sa mère plantée sous la chambranle de la cuisine. Mal réveillée, en peignoir, sans maquillage et un verre d'eau à la main, Lucie Lenz était sans aucun doute l'incarnation des pires craintes de Christa en cette Terre.
« Maman je-
_ Où étais-tu ? »
En train d'embrasser une fille dans la piscine du lycée.
« Avec Sasha. »
Heureusement pour elle, la petite blonde y connaissait quelque chose en matière de mensonges et faux semblants. La panique lui serrait la gorge et les battements frénétiques de son organe cardiaque lui paraissaient assourdissants mais pour rien au monde elle n'aurait dit la vérité à sa mère.
« Comment ça ? répliqua d'ailleurs cette dernière, le ton peu amène et le regard lourd de menace.
_ E-Elle m'a appelé tout à l'heure, elle, hm, elle a des problèmes, avec, avec son copain et, et elle avait besoin de soutien. Alors je, j'y suis allée. »
Sa réponse avait de toute évidence laissé la femme sans voix, puisqu'elle la fixait avec tout l'horreur que peut éprouver un parent qui vient de constater à quel point sa descendance peut commettre de stupidités. Christa venait de monter cette histoire à l'instant et comblait mentalement les trous qu'elle pourrait contenir. Elle était bancale, mais elle était obligée de s'y tenir maintenant. Il ne lui restait plus qu'à attendre la punition qui ne risquerait pas d'arriver, et prier pour que sa mère ne sente pas le chlore dont elle était encore imprégnée.
« T-tu es allée chez Sasha ? Toute seule ? Et au milieu de la nuit ?! Mais à quoi est-ce que tu pensais bon sang ?! »
La jeune fille se recroquevilla sensiblement sous les cris de sa génitrice, se mordant l'intérieur de la joue sans même y penser. Lucie était furieuse et actuellement en train de faire la liste de tout ce qui aurait pu lui arriver entre ici et la maison de son amie, aller puis retour, avant d'attaquer celle de tous les maux qu'elle lui causait à elle au quotidien et si elle réalisait à quel point c'était dur pour elle de l'élever dans ces conditions, si elle savait tout ce à quoi elle avait renoncé pour le petit bébé rose qu'elle était, à son métier qui lui importait tant et auquel elle s'était décidée à mettre un bémol pour son bien, à la sédentarisation à laquelle elle la forçait avec ses études, aux vergetures sur son ventre qui n'avaient jamais disparues de son corps de mannequin depuis sa grossesse, au cheveu blanc qu'elle avait trouvé le matin même. Elle semblait croire à l'histoire, et c'était tout ce qui comptait.
« Je suis désolée maman... Je ne le referai plus, c'était juste, elle avait besoin de moi et-
_ Donne moi ton téléphone. »
Associant le geste à la parole, elle tendit la main pour recevoir l'objet qu'elle réclamait. Il n'y avait aucun doute possible sur ses intentions, la manière quasi impériale dont elle l'exigeait montrait bien que le refus de sa fille n'était même pas une possibilité. Néanmoins, Christa tenta tout de même de résister.
« Hein ? Pourquoi ? demanda-t-elle, serrant instinctivement le petit appareil dans sa paume.
_ Il est confisqué ! Peut-être qu'ainsi tu apprendras à ne plus répondre à des appels insensés à près de 2h du matin !
_ Mais, maman, c'est...
C'est mon seul lien avec Ymir. Je ne connais même pas son adresse, ni où se trouve sa fac. Pitié.
_ J'en ai besoin, pour l'école ! Je dois bien pouvoir te contacter si jamais il y a un problème, ou un changement d'horaire, non ? »
Fatiguée de ses excuses, Lucie Lenz lui arracha le portable de la main sans aucun ménagement, dans ce qui devait être l'action la plus violente qu'elle ait jamais commise envers son enfant. La lycéenne en resta pétrifiée.
« A partir de maintenant je te donnerai ton téléphone chaque matin, quand tu iras en cours, et le récupérerai chaque soir quand tu rentreras. Plus de sorties. Plus d'heures supplémentaires tard le soir au club. Tu rentres dès que tu termines les cours. »
Christa hocha machinalement la tête, refoulant du mieux qu'elle pouvait les larmes qu'elle sentait monter au coin de ses yeux. Au moins elle l'aurait la journée, ce n'était pas si terrible. Elle espéra muettement que sa mère n'allait pas lire ses messages ; elle n'avait pas eu le temps de l'éteindre avant qu'elle le lui enlève.
« Va te coucher maintenant. »
Ne pas courir se réfugier dans sa chambre lui demanda toute sa volonté. Au lieu de cela, elle ramassa ses chaussures en désordre et monta doucement les escaliers, les épaules voûtées par la soumission, et quand elle l'atteignit c'est avec soin qu'elle referma la porte de sa chambre derrière elle. Avant de se jeter dans son lit et enfouir son visage dans son oreiller. Elle hurla de toutes ses forces et de tous ses poumons, jusqu'à ne plus avoir ni souffle ni cordes vocales. Elle sentait encore la colère et la peur faire trembler ses membres en même temps qu'un massif sentiment d'injustice prenait sa place dans sa poitrine. Mais que pouvait-elle y faire au juste ? Se retournant sur le dos, elle respira profondément tandis que son regard se perdait au plafond. L'odeur de ses cheveux lui rappela la piscine et tout ce qui s'y était passé, son cœur faisant presque aussitôt un bond alors qu'il-y-a à peine quelques secondes il tambourinait de rage impuissante. La contradiction de ses sentiments mêlés lui fit pousser un soupir alors qu'elle sentait la fatigue la gagner, jusque là repoussée par les événements de la soirée. Se déshabillant rapidement et laissant choir ses vêtements à même le sol avec négligence, la petite blonde se glissa entre ses draps avec reconnaissance. Et alors que ses yeux se fermaient contre sa volonté, elle songea que c'était la première fois depuis longtemps qu'elle s'endormait sans le texto de bonne nuit d'Ymir.
x
« Wouah, t'en fais une tête ! »
Christa se contenta de sourire alors que Sasha venait planter un baiser sur sa joue, bien trop consciente des cernes violettes sous ses yeux pour s'en défendre. Sa nuit avait été courte et mouvementée, autant que sa matinée avait été glaciale. Le petit-déjeuner s'était déroulé dans le silence le plus total, ce qui ne changeait pas tellement de d'habitude, les rares regards que jetaient sa mère dans sa direction avaient suffit à eux seuls à le rendre plus inconfortable encore. Au moins avait-elle tenu parole et rendu son téléphone sur le pas de la porte. L'adolescente avait attendu d'être hors de vue de la maison pour se jeter dessus et avait été soulagée de constater qu'aucun de ses nouveaux messages n'avait été ouvert. Elle s'était bien sûr empressée d'expliquer à Ymir son silence de la veille avant de lui réassurer sa présence vendredi soir. Punition ou pas, elle viendrait.
« J'ai pas beaucoup dormi cette nuit, crut-elle bon de préciser avec un fin sourire, comme si ses traits tirés n'en disaient pas assez.
_ Encore un problème avec tes parents ?
Sasha semblait sincèrement inquiète, ce qui la toucha et elle s'en voulut à nouveau de lui cacher toute l'histoire. Mais elle ne se sentait pas prête à la lui raconter, pas encore en tous cas.
_ Non, non. Une banale mauvaise nuit. »
Elle sourit et sa compagne fronça les sourcils, de toute évidence peu ou pas convaincue, mais l'entrée du professeur dans la classe avec les copies corrigées du dernier contrôle l'empêcha de continuer plus loin son interrogatoire. Avec un peu de chance les résultats allaient lui donner suffisamment à penser pour le reste de la journée et la petite blonde pourrait s'en sortir sans rien ajouter.
Ce qui fut le cas, heureusement pour elle. Sa note catastrophique donna de la matière à la brune pour se plaindre, ce dont elle ne se priva pas durant les heures suivantes. Elle avait pourtant révisé dur et était persuadée que l'enseignant les avait purement et simplement sous-notés ce qui était évidemment inacceptable. De son côté Christa en revenait presque à l'en remercier d'être aussi strict car elle n'aurait jamais réussi à résister aux assauts de son amie jusqu'à la fin des cours, pas aujourd'hui. Pas avec les montées, les descentes et tous les loopings que ses organes internes s'amusaient à effectuer en fonction de ses pensées, pas avec ses émotions à fleur de peau et son esprit toujours ailleurs, perpétuellement occupé. Rien que le toucher de la coque de son portable semblait lui donner des frissons et c'est à peine si elle réussit à ne pas se prendre un arbre quand elle aperçut la piscine entre deux changements de classe. Elle renonça d'ailleurs assez vite à prendre ses cours, décrochant invariablement au bout deux ou trois phrases tandis que son crayon dessinait dans le coin de sa feuille sans qu'elle le contrôle réellement.
Elle avait embrassé Ymir. Longtemps et langoureusement. Et elle avait aimé ça. Qu'est ce que ça voulait dire ? Est-ce qu'elle était gay ? Etait-ce pour cela qu'elle n'avait jamais été attirée par personne jusqu'ici, est-ce parce qu'elle regardait le mauvais genre ? Ou peut-être bisexuelle ? A moins que ça ne soit juste qu'une expérience, comme ils disent toujours dans les émissions et les dîners ? Et au-delà de tout cela, qu'est-ce qu'elle voulait faire maintenant ? Devenir sa petite amie ? L'idée de lui tenir la main dans la rue lui semblait étrange, mais celle de pouvoir recommencer à l'embrasser lui plaisait. Et si ce n'était que passager, que physique ? Non, ça, elle ne pouvait en douter, pas quand l'absence de message lui coupait le souffle et qu'une simple vibration du téléphone la ramenait à la vie. Mais être en couple ? Elle n'avait jamais été en couple, elle ne savait pas vraiment comme ça marchait, si c'était vers ça que leur relation les destinait. Être en couple. Avec Ymir. Une fille. L'angoisse l'étreignit dans sa main glacée, la couvrant de sueur froide. Elle devrait le dire à ses amis, elle devrait le dire à ses parents. Il y aurait tous ces regards sur elles, sans arrêt, pleins de jugement, de préjugé, de désapprobation...
« Hé, ça a sonné, tu viens ? »
La jeune fille sortit brutalement de ses pensées, prenant tout juste le temps de se rappeler où elle se trouvait avant de ranger ses affaires avec précipitation. Sasha se moqua légèrement d'elle et de sa tête dans la lune, lui conseillant de faire une bonne sieste en arrivant chez elle. Comme si elle allait y arriver.
Ce qui se produisit néanmoins. Elle s'écroula sur son lit à peine rentrée, n'émergeant qu'à l'appel autoritaire de sa mère au moment du dîner et retourna se coucher aussitôt celui-ci terminé. Après tout, à quoi bon rester éveillée si elle ne pouvait même pas parler avec Ymir ?
Le jour suivant fut pareil au précédant, à cela près qu'elle avait cette fois-ci dormi tout son saoul lui permettant de se torturer mentalement deux fois plus efficacement. Apparemment elle était toujours parfaitement incapable de suivre en cours, ce qui l'aurait sans doute inquiétée pour ses résultats en temps normal mais ne lui faisait ni chaud ni froid sur le moment présent. On était déjà mercredi et elle n'arrivait pas à décider si vendredi venait trop vite ou trop lentement à son goût. Cette constante confusion dans ses propres désirs la fatiguait plus que de raison, lui pompant tout ce qu'elle avait d'énergie et de sociabilité ; heureusement ses camarades commençaient à s'habituer à ses étranges changements d'humeur de ces derniers mois et personne ne vint lui poser de question. Personne sauf Sasha, bien sûr.
Elles étaient installées sur l'un des bancs à l'arrière du lycée, occupées à tuer le temps durant une heure de trou de leur emploi du temps. Généralement Christa profitait de ce créneau pour se rendre au club mais ce jour-là l'activité chaotique de son cerveau l'en avait dissuadée. À la place elle avait préféré tenir compagnie à sa meilleure amie, allongée sur ses genoux, tout en laissant ses jambes se réchauffer au soleil. Il faisait chaud, mais l'arbre au-dessus d'elles leur procuraient un ombrage bienvenu que le vent agitait doucement. Devant elles, en contre-bas, l'équipe de foot s'entraînait malgré les rayons brûlants. Alors qu'elle jouait avec les cheveux de Sasha, elle se dit que c'était sans aucun doute l'instant le plus paisible qu'elle ait connu depuis des semaines.
« Christa ?
_ Oui ?
_ Tu es sûre que ça va ? »
Son cœur rata un battement et sa main s'immobilisa dans son geste machinal, une seconde avant de reprendre comme si de rien n'était.
« Évidemment, pourquoi ? demanda-t-elle ingénument.
_ Je sais pas. Tu parles moins en ce moment, et tu es toujours fatiguée. Je m'inquiète un peu, j'ai peur que... c'est stupide, reprit-elle avec un rire forcé, mais j'ai peur que tu ne me dises pas tout.
_ Tout va bien pourtant, je t'assure ! C'est vrai que j'ai... quelque chose, à régler, à la maison. Mais ce sera bientôt fait et tout redeviendra comme avant.
Elle sourit à sa compagne, désolée de lui cacher la vérité mais encore incapable de la dire à qui que ce soit. Après tout, comment pourrait-elle lui expliquer ce que elle-même peinait à comprendre ? Quand elle saurait elle le lui dirait, elle s'en fit la promesse.
_ D'accord. Tu sais que je suis là pour toi, hein ?
L'affection sincère qu'elle lut dans ses yeux chocolat fit presque oublier à Christa sa décision et elle se maudit d'être une si mauvaise amie. Elle était loin de mériter un être aussi pur.
_ Bien sûr, et moi pour toi. »
Sasha sourit, satisfaite, avant de fermer les yeux et se laisser bercer par les caresses dans ses cheveux. La blonde retint de son mieux le soupir qui comprimait sa cage thoracique et leva la tête pour embrasser le paysage. La brise forcit brusquement, leur apportant les cris et râles du terrain au loin où les joueurs se rentraient dedans sans douceur. Son regard trouva sans peine la carrure imposante de Reiner qui criait ses ordres aux plus jeunes, et celle élancée de Berthold qui s'entraînait encore et encore au tir. Elle les observa un moment sans rien dire, un mélange contradictoire de souvenirs et émotions venant se superposer à la scène.
« Sasha ?
_ Hm ?
_ Comment on sait si on est amoureuse ? Comment c'est ? »
Elle sentit la brune se soulever de ses genoux et elle rencontra son regard suspicieux avec innocence. La jeune fille la scruta longuement, avant d'à son tour jeter un coup d'œil à l'équipe de foot et se recoucher avec un sourire entendu. Christa se doutait parfaitement de ce qu'elle avait en tête mais se garda bien de la contredire.
« C'est une question balèze tu sais, c'est pas facile à décrire, répondit-elle pourtant avec sérieux.
_ Tu veux bien essayer ?
_ C'est pas que je veux pas, j'ai juste du mal à trouver les mots à mettre dessus. En plus, c'est différent pour tout le monde.
_ Oui, mais pour toi, c'est comment ? insista quand même la petite blonde.
Sasha et Conny étaient ce qu'elle connaissait de mieux en question de relation amoureuse, ils étaient l'incarnation même du couple heureux, son idéal, ce à quoi elle tendait.
_ Je sais pas, c'est... c'est... »
Elle fit une pause, le regard perdu à un endroit qu'elle seule pouvait voir. Ses mains brassèrent un moment l'air, comme pour tenter d'illustrer des termes inaudibles, avant de retomber inertes le long de son corps. Christa attendit, longtemps. Tellement qu'elle était sur le point de la relancer quand elle reprit finalement la parole.
« Je dirais que c'est comme être deux, mais en étant qu'un. »
La phrase se fit lentement une place en elle, s'assimilant avec douceur à ce qu'elle savait déjà.
« Ça t'aide ?
Sasha était dubitative, vaguement gênée aussi peut-être, mais son amie hocha imperceptiblement la tête.
_ Oui. »
x
La réponse de Sasha tourna et retourna dans son esprit le reste de la journée. Elle la dépeça, la disséqua, la découpa, l'analysa sous tous ses angles et coutures. Elle testa sa texture, goûta sa saveur, la fit rouler dans sa gorge, courir sur sa langue, résonner dans sa poitrine. Elle la prononça dans un sens, dans l'autre, mot par mot, syllabe par syllabe, mais le doute restait toujours présent en elle. Être deux mais en étant qu'un. Elle arrivait à comprendre, maintenant lui restait à ressentir.
Jeudi se déroula comme mercredi, si ce n'est avec une pression croissante due à l'approche de la date fatidique. Christa abandonna toute velléité d'écouter quoique ce soit en cours et se concentra à la place sur la phrase de son amie et ce qu'elle lui évoquait. C'était un mystère qu'elle devait résoudre, et le plus vite serait le mieux ; elle avait promis à Ymir d'être sûre et il était hors de question qu'elle faille à sa promesse. Alors elle sonda encore et encore ses sentiments, cherchant à y démêler le vrai du faux, fouillant à la recherche de cette graine de certitude qui rendrait tout plus clair, plus simple. En vain.
Elle songea à retourner demander de l'aide à Sasha, un second avis, mais se ravisa. Elle lui avait assez demandé pour le moment, sa pauvre amie dont elle sollicitait l'aide sans même lui donner d'explications en retour. Alors elle chercha quelqu'un d'autre dans son entourage, quelqu'un qu'elle estimait assez pour prendre ses mots en considération, mais aucun de ses camarades de classe ne lui sembla adapté. Bien sûr, Hannah était adorable – et sans doute en couple depuis assez longtemps pour avoir quelques conseils à partager – et Mina était amicale, mais elle ne les connaissait pas au point de leur exposer ses problèmes. Personne ne lui vint à l'esprit et le jour se déroula sans que sa quête ne rencontre le moindre succès, au point que c'est bredouille et confuse qu'elle rentra chez elle ce soir là et d'autant plus paniquée qu'elle se leva le matin suivant. Tellement qu'elle envisagea presque de demander à sa mère, avant d'oublier devant le ridicule de cette pensée. Demander de l'aide à sa mère en amour, n'importe quoi.
Au final, c'est souvent là où on ne l'attend pas que le salut se trouve. Les cours touchaient à leur fin et il allait être temps que Christa rentre chez elle. Rien ne l'effrayait plus en cet instant que la perspective de la soirée qu'elle allait passer, enfermée dans sa chambre à attendre avec angoisse que les minutes défilent jusqu'à ce que ce soit enfin l'heure et qu'elle se faufile par sa fenêtre pour aller rejoindre Ymir. Son cœur se mettait à battre plus fort quand elle arrivait à ce moment-là de l'histoire et elle était bien incapable de savoir si c'était de joie à l'idée de revoir ses taches de rousseur et son sourire tordu, ou d'appréhension à cause de la réponse qu'elle allait devoir donner. Réponse dont elle n'était absolument pas sûre, contrairement à ce qu'elle avait juré. Alors c'est la mort dans l'âme qu'elle prit le chemin de la maison en quittant le lycée ce soir, alternant entre frissons et bouffées de chaleur à chaque pas. Son corps était loin d'être en paix, tout comme son esprit. Et sans doute aurait-ce continué ainsi si une voix ne l'avait interpellée à ce moment précis.
« Christa ! Attends ! »
Elle se retourna, presque soulagée de gagner un peu de temps, mais surtout étonnée. Reiner venait de dire au revoir à ses amis et trottinait dans sa direction, son indéfectible sourire avenant au coin de ses lèvres.
« Salut, ça faisait un moment, lui dit-il en arrivant à sa hauteur.
_ Oh, oui, désolée. J'ai été un peu... débordée ces derniers temps.
_ C'est rien. En fait, je me disais que peut-être tu pourrais venir avec nous un de ces soirs, on se fait souvent des sortes de petites réunions après les cours pour traîner, s'amuser, et... »
La petite blonde arrêta de l'écouter pour juste le regarder parler, observant avec attention toutes les différentes expressions qui passaient tour à tour sur son visage. Reiner avait un charisme impressionnant, il inspirait tant de confiance par son regard fier qu'on la sentait presque s'insinuer en nous par le simple fait d'être en sa présence. C'était un garçon que beaucoup considéraient comme merveilleux, elle comprise. Et pourtant, cet être extraordinaire voulait sortir avec elle. Bien sûr, il ne lui avait jamais clairement dit, mais il n'en avait jamais eu besoin pour qu'elle comprenne ses intentions et fuie à toutes jambes à chaque occasion. Il ne la connaissait même pas, pas vraiment. Et malgré tout il était là, devant elle, à l'inviter gentiment à sortir comme si toutes ces fois où elle était partie presque impoliment n'avaient jamais existé. Pas parce qu'il était collant, mais juste parce qu'il était naturellement bon. Elle se dit qu'il était indéniablement le genre de personne dont l'avis serait digne d'être écouté.
« Est-ce que, l'interrompit-elle soudainement, est-ce qu'on pourrait parler un peu, toi et moi ?
Elle lui sourit et Reiner cligna des yeux sans comprendre, mais apparemment ravi.
_ Oui, bien sûr ! »
Christa désigna un banc d'un mouvement de menton et ils allèrent s'y asseoir. Perdue dans ses réflexions, réfléchissant à comme aborder cette conversation, c'est à peine si elle remarqua à quel point le garçon était nerveux. Néanmoins et avec toute la patience du monde, il attendit sans rien dire jusqu'à ce qu'elle se décide à prendre la parole.
« Pourquoi est-ce que tu t'intéresses autant à moi ? »
Cependant il ne s'attendait sûrement pas à cela et encore moins avec quelle franchise elle lui posa cette question, presque à la limite de la rudesse. Pourtant il n'y avait aucune méchanceté dans ses grands yeux bleus il fut bien obligé de le remarquer, juste une simple incompréhension. Réalisant qu'elle y était peut-être allée un peu fort, ses mots ayant directement suivis sa pensée sans prendre de détour, la lycéenne tenta de radoucir ses propos de peur d'avoir trop brusqué son compagnon.
« Je veux dire, tu me connais à peine, j'ai peut-être les pires défauts, je vais peut-être te blesser, alors pourquoi risquer de t'attacher à moi comme ça ? »
Elle se mordit la lèvre, craignant d'être allée trop loin mais ayant besoin de comprendre plus que tout. En face d'elle Reiner resta muet une seconde, avant de se fendre d'un sourire résigné en se passant une main dans ses courts cheveux.
« C'était si évident que ça ? demanda-t-il sans la regarder.
La jeune fille lui rendit son sourire d'un air désolé, haussant les épaules comme toute réponse.
_ Eh bien, pour répondre à ta question, reprit-il en plantant son regard si sûr dans le sien si troublé, c'est parce que tu me plais. Tu es gentille, intelligente, attentionnée... Je ne vois pas pourquoi je n'aurais pas envie de tenter ma chance avec toi.
_ Mais ce n'est que la partie émergée de l'iceberg ! Je pourrais être la pire de tous, ou tu pourrais juste réaliser que je suis pas si bien que ça et te lasser avec le temps.
_ Oui, peut-être, et alors?
_ Et alors ça ne t'effraie pas ?
_ Je pense surtout qu'on ne peut pas savoir avant d'avoir essayé. Ça ne sert à rien de se monter des films avant même d'avoir fait le premier pas. Peut-être que notre histoire est vouée à l'échec et s'effondrera au moindre obstacle, ou bien peut-être qu'elle vaut la peine d'être vécue et de se battre pour elle.
Christa avait le souffle coupé, la poitrine douloureuse. Un poids immense venait de la quitter et elle devait avoir les larmes aux yeux car Reiner la fixait avec tendresse. Tout lui semblait si simple désormais.
_ Mais pour le découvrir, termina-t-il, il faut d'abord qu'elle commence. »
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La petite blonde laissa la porte claquer derrière elle et se dirigea machinalement jusqu'au bureau de sa mère où elle laissa son téléphone avant de prendre le chemin de sa chambre. Elle crut vaguement entendre Lucie Lenz lui poser une question mais elle ne lui répondit pas, trop prise dans ses pensées pour réellement être à l'écoute du monde qui l'entourait. À peine entrée dans la pièce Christa se laissa tomber sur son lit, bras et jambes en étoile, le regard au plafond.
Elle avait sa réponse pour Ymir. Et tout cela grâce à Reiner.
Bien sûr elle s'en voulait encore de l'avoir utilisé de la sorte pour régler ses histoires de cœur, surtout pour l'éconduire juste après, mais elle ne pouvait s'empêcher de se réjouir d'avoir enfin trouvé la solution à son problème. Il lui faudrait se racheter auprès du garçon, et leur relation en pâtirait sans doute pendant un moment, mais au fond elle était contente d'avoir mis les points sur les i avec lui. Ils ne seraient jamais plus qu'amis et même s'il aurait du mal au début, elle savait qu'il finirait par l'accepter. Car Reiner ne serait pas Reiner sinon.
Roulant sur le côté, un inexplicable sourire aux lèvres, Christa se leva dans la ferme intention de se mettre à son bureau et terminer ses devoirs avant l'heure fatidique de son rendez-vous avec Ymir. Il était hors de question qu'elle se tourne les pouces en attendant et était de toute façon bien trop excitée pour ne rien faire. Elle ouvrait à peine son livre de français que sa mère entrait sans s'annoncer.
« Tu n'es pas encore prête ?! »
Il y avait un soupçon d'énervement dans sa voix, mêlé à cette impatience caractéristique des sorties planifiées. Le pire des pressentiments s'empara de la jeune fille en même temps qu'un souvenir luttait pour refaire surface dans sa mémoire. Oh non pitié non.
« On mange avec ton père ce soir, tu n'as pas oublié j'espère ? »
Si. Elle avait totalement oublié, si. Et son téléphone, enfermé à double tour dans un tiroir du rez-de-chaussée, ne lui permettait aucunement de prévenir Ymir de l'imprévu.
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« Tu es sublime ma chérie. »
Rod Reiss s'avança vers elle avec un sourire affable avant de lui planter un baiser sur chaque joue. Christa fit de son mieux pour lui rendre son accueil chaleureux, masquant avec tout son art la panique qui montait lentement en elle.
Il était déjà 20h30 et elle ne cessait d'élaborer des plans pour fausser compagnie à ses parents depuis qu'elle était montée dans la voiture de sa mère. De l'eau avait coulé sous les ponts depuis sa fugue spectaculaire d'il y avait quelques mois, et si son père l'avait à son tour sermonnée lors du repas suivant il semblait depuis avoir passé l'éponge. Ils n'étaient néanmoins jamais retournés au restaurant bordant le parc où les Recon Corps avaient l'habitude de se retrouver et c'est donc dans un tout autre quartier de la ville qu'ils dînaient ce soir là. La jeune fille avait nerveusement fixé le paysage défilant devant sa fenêtre durant le trajet, cherchant à se repérer et déterminer le chemin le plus simple pour se rendre à son lieu de rendez-vous, et c'est avec soulagement qu'elle avait déterminé qu'elle n'en était pas si loin que cela. Pas plus qu'un quart d'heure de marche environ, dix en courant. Il va sans dire qu'elle comptait courir.
Le plus dur serait sans doute d'échapper à l'attention parentale. Car même s'ils ne le montraient pas, elle savait bien que ses géniteurs la surveillaient avec plus d'insistance qu'auparavant. Leurs repas qui jusque-là s'étaient composés de joutes verbales mesquines entre adultes étaient devenus à la fois plus détendus – grâce à une diminution de remarques acerbes – et plus intenses – à cause des regards scrutateurs qu'elle sentait peser sur elle régulièrement. Ainsi, une situation qu'elle aurait appréciée il y a peu était-elle devenue un véritable traquenard aujourd'hui.
« Alors, comment ça se passe à l'école ?
_ Bien, merci.
_ Ta mère m'a dit que tes notes avaient un peu baissé, est-ce vrai ? »
Depuis quand ses parents se parlaient-ils en dehors de leur dîner mensuel ? Cette information lui fit froid dans le dos. Christa dû utiliser toute sa maîtrise d'elle-même pour s'empêcher de jeter un regard effaré à sa mère, se concentrant pour garder une expression neutre et un peu contrite de petite fille prise en faute. Au moins, Lucie ne lui avait apparemment pas parlé de son escapade en pleine nuit « chez Sasha », sans doute car avouer qu'elle avait à nouveau désobéi entacherait cette stupide façade de mère parfaite qu'elle se plaisait tant à entretenir. Pour une fois, la petite blonde était reconnaissante de son orgueil.
« Oui, j'ai eu quelques difficultés, avoua-t-elle en utilisant tous ses talents d'actrice pour sembler naturelle, mais je vais travailler deux fois plus pour me rattraper. »
Son père acquiesça à ses paroles puis l'arrivée des plats la sauva d'en dire plus.
Elle picora plus qu'autre chose, observant discrètement ses géniteurs par derrière une mèche de cheveux blonds. Maintenant qu'elle n'était plus le centre de la conversation leur vieille rancune commençait à refaire surface, les emportant de plus en plus loin dans leur guerre froide. Elle espérait qu'arrivé à un certain paroxysme elle pourrait s'esquiver sans même qu'ils le remarquent. Bien sûr ils finiraient forcément par s'en rendre compte au bout d'un moment, mais elle se félicitait d'avoir réussi à convaincre sa mère que porter une robe ce soir n'était pas nécessaire et que ses baskets étaient parfaitement adaptées pour un restaurant de luxe, si bien qu'elle serait déjà loin à ce moment-là.
En attendant elle en profita pour observer l'ajustement du lieu. La table où ils étaient installés était un peu à l'écart, sûrement de peur qu'une nouvelle scène éclate, si bien que la porte d'entrée ne se trouvait pas directement dans leur champ de vision. Une fois le coin du mur passé ils n'auraient aucun moyen de savoir si elle était partie ou juste aux toilettes, ce qui devrait lui laisser assez de répit pour mettre de la distance entre elle et eux. Un rapide coup d'œil à l'horloge murale lui apprit qu'il était presque dix heures du soir et la peur qu'Ymir soit déjà partie lui serra le ventre. Si elle voulait la rejoindre, c'était maintenant. Son plan était loin d'être parfait mais c'était le seul qu'elle avait. Il allait marcher. Il le fallait.
Christa se leva avec tout ce qu'elle put de délicatesse mais aussitôt les regards de ses parents furent braqués sur elle, suspicieux. Clairement, ils craignaient – et à raison – qu'elle ne s'échappe à nouveau.
« Où est-ce que tu vas ? lui demanda sa mère avec un froncement de sourcil inquisiteur.
_ Je vais juste aux toilettes. »
Lucie Lenz la fixa sans cligner des yeux et la lycéenne s'éloigna dans un sentiment de malaise. Elle allait tourner après le mur quand sa mère l'interpella à nouveau :
« Christa, les toilettes sont par là, dit-elle en indiquant la direction opposée. »
Son sang se glaça dans ses veines et elle sut au regard de sa génitrice que celle-ci avait percé ses intentions à jour. C'était la seule explication à cet air sur son visage, cette moue qui disait à qui savait la lire « tu m'as déjà fait le coup deux fois, il n'y en aura pas de troisième ». Cependant elle n'avait pas le choix, elle devait partir d'ici coûte que coûte. Sa relation avec Ymir en dépendait. Mais elle ne pouvait bien entendu pas dire cela à ses parents, ils ne comprendraient ni n'accepteraient jamais elle en était convaincue, alors elle devait se débrouiller par ses propres moyens. Elle prit une profonde inspiration et sourit de toutes ses dents.
« Mince, j'allais me tromper, merci. »
Et alors qu'elle s'engageait dans le couloir désigné, elle sentit l'attention de sa mère s'appesantir sur ses épaules.
La petite blonde s'accorda dix secondes pour s'apitoyer sur son sort, se tapant le front de la paume et maudissant sa situation, avant de se reprendre en main et chercher une nouvelle solution. Les deux portes menant aux toilettes des hommes et femmes se trouvaient bien en vue au fond du couloir, mais elle pouvait aussi apercevoir que celui-ci continuait. Elle s'y engagea précautionneusement, ne sachant trop où elle allait atterrir, jusqu'à ce qu'un bruit de vaisselle ne lui parvienne. Quand elle entra dans la petite pièce étouffante le plongeur, du savon jusqu'aux coudes, leva la tête pour la toiser avec un air patibulaire qui la mit mal-à-l'aise.
« Je peux vous aider ? demanda-t-il d'une voix d'où suintait nettement l'agacement.
_ Oh, euh, désolée je me suis perdue, et, euh... »
Elle hésita. Le garçon n'était pas beaucoup plus âgé qu'elle mais son visage plissé par l'énervement ne la mettait pas en confiance. Pourtant il était sa seule chance de trouver une autre sortie, alors elle décida de se jeter à l'eau.
« Je cherchais la sortie. Enfin, une autre sortie, pas l'entrée, se précipita-t-elle d'ajouter. Pour partir sans être vue. Vous n'en connaîtriez pas une ?
A son regard stupéfait, elle ne pouvait dire s'il allait l'aider ou non. Juste qu'il ne s'attendait clairement pas à ce qu'elle lui pose une question pareille. En son fort intérieur, elle pria pour qu'il réponde par la positive. Mais il n'eut pas le temps d'ouvrir la bouche que la porte s'ouvrait dans son dos, la faisant sursauter et laissant place à un serveur aux mains pleines de couverts sales. Il lui jeta un coup d'œil étonné, avant de poser son fardeau et s'adresser au plongeur :
« Une copine à toi Auruo ? Tu sais bien que le patron aime pas qu'on tire au flanc !
_ Oui, désolé, désolé, elle allait partir de toute façon. »
L'autre hocha la tête pour toute réponse avant de disparaître derrière le battant de bois aussi vite qu'il était apparu. Le dénommé Auruo soupira lourdement avant de jeter un regard noir à Christa, qui n'en croyait pas ses oreilles.
« J'espère que t'as une bonne raison pour me mettre dans la panade comme ça. Si tu reprends le couloir il y a une porte « entrée interdite », elle mène vers la réserve et il y a un accès pour les livraisons. Tu peux sortir par là.
_ Merci, mille fois merci ! »
D'un bond elle fut sur lui, lui collant un baiser sur la joue, et la seconde d'après elle était ressortie courant vers l'endroit indiqué. Elle traversa la pièce sombre sans même prendre la peine d'en chercher la lumière et se retrouva dans la rue en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Là, elle prit une minute pour se repérer avant de se mettre à courir de toutes ses forces dans la direction qu'elle pensait être la bonne. Pourvue qu'Ymir l'ait attendue.
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Ses côtes commençaient à la faire souffrir en même temps que le souffle commençait à lui manquer et seule la vision du parc au bout de la rue la fit tenir. Christa combla la distance qui les séparaient à petites foulées, son cœur se contractant de façon erratique dans sa poitrine à cause du manque d'oxygène. Il fallait vraiment qu'elle se remette au sport. Alors qu'elle approchait de l'entrée, le sang battant toujours à ses oreilles, la vision de la bécane garée contre une barrière la fit s'arrêter nette. Elle avait presque oublié pourquoi elle était là et tous les enjeux de cette soirée tant la peur de ne pas arriver à temps l'avait obnubilée. Mais maintenant qu'elle était là, debout devant cette moto qu'elle pourrait reconnaître entre mille, elle se sentit assaillie par tous les souvenirs de sa dernière rencontre avec la propriétaire de l'engin. L'appréhension et la hâte remplacèrent la fatigue, en même temps que le doute se glissait insidieusement en elle pour la dernière fois, vite chassé par les mots de Reiner. Après une lente inspiration, elle pénétra dans le parc.
Les jeux pour enfants étaient plongés dans l'obscurité, à peine éclairés par deux lampadaires qui ne suffisaient pas à eux seuls à couvrir tout le périmètre. Un troisième était éteint, sans doute en attente d'une réparation, et c'est sur le banc à ses pieds que se trouvait Ymir.
Jambes étendues devant elle, tête renversée en arrière, mains négligemment enfoncées dans les poches de son jean, tout chez elle transpirait la tranquillité et pourtant Christa ne l'avait jamais vue aussi tendue. Cette vision lui fit mal, car elle se savait responsable de cette tension qu'elle voyait courir dans ses épaules et dans son ventre, et elle s'en voulue de l'avoir faite attendre si longtemps. Elle fit un nouveau pas dans sa direction et le bruit de la terre battue sous ses semelles du être plus important qu'elle ne le pensait car la brune se redressa aussitôt, la clouant sur place de son regard. Il y avait tant de choses dans ses yeux qu'elle ne put les déchiffrer, le soulagement y étant seul clairement lisible. Ils étaient si sombres et si intenses qu'elle aurait pu s'y noyer.
« Tu es venue. »
Sa voix lui parut plus rauque et elle en frissonna, ne réalisant qu'alors à quel point elle lui avait manqué. Elle voulut lui répondre mais les mots restèrent coincés dans sa gorge en même temps que ses mains se mettaient à trembler incontrolablement. Ymir se leva, dépliant avec mal sa longue silhouette engourdie par l'attente, avant d'à nouveau poser son regard sur elle. Christa sentit l'air s'épaissir autour d'elle, jusqu'à ce qu'elle craque sans même s'en rendre compte et fasse la seule chose qu'elle s'était promise de ne pas faire ; elle se jeta dans ses bras.
« Je suis désolée ! s'écria-t-elle. J'avais totalement oublié que j'avais mon repas mensuel ce soir et j'ai eu un mal fou à m'échapper du restaurant sans que mes parents me voient ! J'ai eu tellement peur que tu soies partie avant que j'arrive...
_ Tout va bien, je ne serais pas partie sans ta réponse. Je suis têtue tu sais ? »
Il y avait un sourire dans la voix de la jeune femme et la lycéenne se surprit à sourire également, le visage enfouie dans son odeur. Néanmoins quand elle releva la tête et se retrouva nez à nez avec elle, le pourquoi de cette situation lui revint brusquement à l'esprit et elle se sépara d'elle avec gêne. Ymir fronça les sourcils avec regret mais la laissa faire, sa nervosité ressortant d'autant plus clairement avec la proximité. C'était peut-être cruel de sa part de la faire languir ainsi, mais la petite blonde était décidée à faire les choses dans les règles.
« Alors, reprit la motarde en se grattant la nuque, tu as pris ta décision ?
_ Oui. »
Voilà, elle y était, c'était le point de non-retour. Après cet instant elle ne pourrait plus faire demi-tour, plus jamais. Ce qu'elle ne comptait pas faire de toute façon.
« Je ne sais pas ce que j'éprouve pour toi, commença-t-elle.
Elle vit la brune se crisper, digne, mais vacillante et prête à tomber. Cette peur infondée au fond de ses iris fit doucement sourire Christa, autant pour la rassurer que par anticipation.
_ Je ne sais pas ce que j'éprouve, répéta-t-elle, mais je sais que je ne supporte pas de passer plus d'une semaine sans te voir, que je deviens invivable après seulement une journée sans te parler, que maintenant... Maintenant tout semble tourner autour de toi.
Ymir la fixait sans rien dire, mais elle voyait à la façon dont sa poitrine se soulevait qu'elle était émue. Elle aussi l'était, encore surprise de ses propres paroles mais convaincue de leur véracité, incapable de s'arrêter maintenant qu'elle avait commencé. C'était si libérateur de dire tout haut ce qu'elle n'avait osé qu'effleurer seule avec sa conscience. Et vaguement embarrassant aussi, si elle en croyait ses joues qui la brûlaient.
_ Ça m'effraie un peu, avoua-t-elle, mais quand je pense à... à tout, à lundi soir... je... Je veux juste pouvoir t'embrasser autant que j'en ai envie. »
Elle était rouge pivoine, elle le savait, et se serait volontiers enterrée vivante s'il n'y avait pas eu le sourire radieux de sa compagne pour la retenir. Et peut-être un peu amusé également, mais tout ce qu'elle retint est qu'il faisait pâlir les étoiles.
« Donc c'est un oui ?
Christa hocha la tête, d'abord lentement puis de plus en plus vite, rayonnant d'une joie mal contenue.
_ Oui. »
En deux enjambées la motarde fut sur elle, ses mains froides sur son visage chaud, à en caresser doucement la peau du pouce. Elle sembla savourer cette sensation une seconde, ou peut-être une heure, la dévorant du regard avec une ardeur qui l'aurait sans doute faite rougir à nouveau si son corps lui obéissait encore. Et puis elle se pencha, l'englobant dans son ombre avant de la capturer de ses lèvres. La petite blonde se haussa sur la pointe de ses pieds, désireuse de prolonger ce contact qui avait trop tardé, s'accrochant aux pans du blouson noir afin de garder son équilibre. Le baiser était tendre, il n'avait pas de raison d'être autrement ; elles auraient tout le temps pour en échanger bien d'autres. Mais pas ce soir.
Christa se sépara d'elle, le temps d'une respiration, avant de l'embrasser à nouveau et s'éloigner pour de bon. Les mains d'Ymir glissèrent de son cou où elles s'étaient nichées pour lui saisir la taille, la ramenant contre elle avec un grognement qui la fit rire.
« Arrête, je dois y aller, tenta-t-elle de se défendre malgré le visage enfoui dans ses cheveux et les bras qui refusaient de la relâcher.
_ Pourquoi ? Il est pas encore minuit et ma moto ne risque pas de se transformer en citrouille.
_ Je ne suis pas Cendrillon ! Et sérieusement, mes parents ne vont pas tarder à lancer les flics à nos trousses si je ne réapparais pas bientôt.
La plus âgée poussa un long soupir avant de se décider à faire un pas en arrière, passant ses doigts dans ses mèches folles avec résignation.
_ Très bien, puisqu'il le faut. Allez viens, je te ramène. »
Puis elle s'éloigna en râlant, grommelant dans sa barbe à propos de ces foutus rabats-joie de darons, entraînant au passage la lycéenne dont la main était coincée dans la sienne. Elle se laissa guider sans protester, observant discrètement le dos de sa compagne et s'amusant de son énervement. Une dure punition l'attendait une fois de retour au restaurant mais même cette perspective ne suffit pas à atténuer le sentiment d'euphorie qui menaçait de faire exploser sa poitrine. Elle avait encore du mal à croire ce qu'il venait de se passer mais n'avait aucun doute que cette soirée hanterait ses rêves pendant longtemps. Ce soir où Ymir était devenue sa petite-amie.