Petite note de début d'histoire pour qu'on parte sur de bonnes bases !
Cette fic partait pour être une simple ficlet, mais finalement je me suis un peu laissée emporter haha. Elle ne devrait pas être très longue (je ne pense pas dépasser les trois chapitres) et j'espère réussir à la terminer assez rapidement. Au pire, hésitez pas à envoyer des mps-coup-de-pied-au-cul, ça marche en général.
Ensuite, navrée pour ceux qui attendaient la suite de LŒDC (elle arrive, elle arrive) mais j'avais juste envie de me changer un peu les idées avec une histoire mignonne et légère et paf Blouson noir est née.
Pour finir, le rating M est là pour me permettre d'écrire ce que je veux sans risquer de choquer personne et aussi pour le lemon/smut qui devrait arriver dans les chapitres suivants. Mieux vaut prévenir que guérir !
Bref, bonne lecture ~
Part I - Un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas
La sonnerie de fin des cours retentit et Christa posa son stylo sur sa table avant de s'étirer longuement. Autour d'elle, ses camarades étaient en train de s'agiter, qui pour ranger ses affaires, qui pour sortir le plus rapidement possible de la salle de classe et aller profiter des quelques heures de soleil qui leurs restaient avant le soir. La petite blonde ne se pressa pas, elle, saluant poliment ses amis au fur et à mesure qu'ils s'en allaient, prenant tout son temps pour mettre ses cahiers dans son cartable. En tant que présidente du club de soutien il lui restait encore de nombreuses choses à faire, notamment des papiers à remplir pour l'administration et des annales à scanner et classer pour les élèves, aussi n'avait-elle aucune raison de s'alarmer. Quittant enfin la salle, elle marcha d'un pas tranquille dans les couloirs de plus en plus vides de son lycée. De temps en temps elle croisait une connaissance et s'arrêtait pour échanger quelques mots, prendre de ses nouvelles, lui donner des siennes, l'encourager pour ses études et ses problèmes. Et puis Christa reprenait son chemin, toujours aussi douce et élégante entre les murs de cet établissement dont elle était la reine.
La Reine, drôle de surnom tout de même. Alors qu'elle passait devant les banderoles décorant les allées et dédiées aux clubs sportifs de l'école, la jeune fille se surprit à se demander d'où pouvait bien lui venir un sobriquet pareil. Elle savait qu'elle avait remporté deux années d'affilées le concours de popularité du lycée – sans même y avoir participé – et se doutait que le sang bleu coulant dans ses veines devait y être pour quelque chose, mais tout de même. La Reine, ça faisait tout de suite très pompeux, elle n'avait jamais demandé cela. Levant le regard vers l'affiche rouge et blanche de l'équipe de football, elle lut sans vraiment les voir les encouragements aux joueurs « Go,Titans, Go ! ». Annie Leonhardt, la capitaine des cheerleaders, ferait une bien meilleure reine qu'elle. Ou peut-être Mikasa Ackerman, championne incontestable et incontestée du club de boxe thaïe. Christa adressa un sourire à un professeur qui passait par là, soupirant intérieurement de ce dilemme ridicule qui était le sien. Ils voulaient qu'elle soit la reine ? Eh bien elle serait la reine. De toute façon, ce n'était pas comme si elle avait vraiment le choix. La simple idée de décevoir tous ses camarades l'horrifiait, elle serait sans doute incapable de se regarder en face après un tel drame. Cela faisait bien longtemps que la blonde avait arrêté de vivre pour elle-même et se consacrait uniquement aux autres.
Poussant la porte de son local, elle laissa tomber son masque de sympathie en même temps que le battant se refermait derrière elle, la plongeant dans la semi-obscurité. Allumant la lumière elle se laissa tomber sur la chaise d'un bureau, s'accordant quelques minutes de pause avant de se remettre à travailler. Aux yeux de tous, il n'y avait pas plus parfait que Christa Lenz sur cette Terre – ou du moins dans les 100km alentours. Elle était gentille, serviable, indulgente, intelligente, polie, jolie. Très jolie. Avec ses longs cheveux blonds et ses grands yeux bleus, sa silhouette fine bien que petite. Mais « Christa » n'était qu'une façade. Une peinture plutôt mignonne qui avait pour mission de cacher ce que personne ne devait jamais voir, ce gros trou béant dans sa personnalité tout comme dans son être tout entier. La preuve que la Reine elle-même ne sait pas qui elle est. Décidant qu'elle avait assez donné dans l'introspection pour aujourd'hui, la jeune fille se redressa sur son siège et commença à regarder les feuilles d'exercices et de contrôle qui s'étalaient devant elle, jugeant s'il était utile de les garder ou non. Au moins, rester occupée la tenait éloignée de ses problèmes.
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Il faisait nuit mais le fond de l'air était doux. Quittant l'établissement désormais complètement désert, Christa prit son allure paisible coutumière pour rentrer chez elle, traversant sans frissonner les pelouses sombres et le portail lugubre. Le lycée prenait toujours un air assez inquiétant une fois le soir venu, mais elle en avait l'habitude désormais il ne lui faisait plus autant d'effet que les premières fois. Jetant un coup d'œil à sa montre, elle pesta en constatant qu'il était bien plus tard que ce qu'elle pensait et accéléra sensiblement afin de limiter la casse. Sa mère allait lui tomber dessus, elle le savait, elle le faisait toujours. Il suffisait qu'elle ait ne serait-ce qu'une minute de retard pour que sa génitrice trouve matière à faire un scandale et, en général, la punir de façon aussi ridicule que disproportionnée. C'était à n'en pas douter cette attitude étouffante qui avait incité la blonde à s'investir à ce point dans ses activités de club, lui donnant une excuse pour rejoindre le plus tard possible le domicile maternel. Seulement ce jour-là elle s'était montrée trop zélée et n'avait pas vu l'heure passée, ce qui risquait bien de jouer en sa défaveur. En désespoir de cause, Christa jeta un coup d'œil à une ruelle à sa droite qui coupait le pâté de maison en ligne droite et permettait d'atteindre la route principale bien plus rapidement. L'unique lampadaire qui y clignotait ne rendait pas vraiment le lieu très engageant, mais c'était le seul moyen d'arriver chez elle à temps. Avec un froncement de sourcil déterminé, elle s'y enfonça.
Comme prévu, le coin était glauque à souhait. Des poubelles déversaient leur trop-plein sur le sol autour d'elles, des flaques au contenu douteux parsemaient les pavés, des tags effrayants coloraient les murs. Christa marchait vite, serrant son sac d'une main angoissée alors que son regard n'arrêtait pas de balayer l'espace autour d'elle de peur de se faire surprendre par elle ne savait vraiment quoi au juste. Au loin, elle voyait la lumière de la grand-rue qui se rapprochait. Soulagée à cette simple vision, c'est à peine si elle remarqua que le passage où elle se trouvait s'élargissait progressivement jusqu'à se transformer en véritable petite placette. Trois motards se trouvaient là, discutant bruyamment d'elle ne savait trop quoi, l'un d'eux riant vraiment fort tandis que les deux autres se contentaient de sourire en coin. Il ne lui fallut pas longtemps pour reconnaitre les blousons qu'ils portaient ainsi que les deux ailes qui se croisaient dans leur dos ; les Recon Corps. Elle savait que quelques garçons de son établissement en faisaient partie. Son arrivée ne passa pas inaperçue, malgré tous ses efforts pour se faire aussi discrète que possible, et elle sentit toute l'attention converger sur elle. Dieu qu'elle détestait ça. Continuant de marcher en fixant ostensiblement la lumière devant elle, Christa se surprit à prier pour l'atteindre avant que l'un des hommes ne prenne la parole. Elle était pressée, fatiguée, stressée et sensiblement énervée. Pas besoin de se faire accoster en plus.
« Hé, chaton, je t'emmène faire un tour ? »
Bingo. C'était celui qui riait fort, constata-t-elle d'un rapide coup d'œil, il semblait également le plus jeune et sans doute le plus turbulent de la bande. Ses deux camarades échangèrent un regard apparemment résigné devant son attitude mais ne firent pas un geste pour venir l'aider. La blonde se mordit la lèvre, se contraignant au calme.
« Non merci, répondit-elle poliment. »
Après tout, on ne savait jamais comment pouvait réagir ce genre d'individus. Elle ne voulait pas prendre le risque qu'il devienne violent en l'énervant un peu trop. Le garçon, toujours tranquillement assis sur son bolide, fit la moue devant son refus mais ne se départit pas de son sourire tordu.
« Tu es sûre ? Parce que moi, ça me plairait vachement !
_ J'ai dit non bordel ! »
Et voilà, son masque s'était fissuré. Sur les nerfs comme elle l'était, elle aurait dû se douter qu'elle allait craquer si on la poussait trop à bout. Brusquement inquiète de la réaction de son interlocuteur, elle osa à peine le regarder. Le brun avait une expression surprise, mais pas agressive, puis il se fendit d'un rire amusé qui fit tressauter les petites éphélides qui lui parsemaient le visage.
« Mais c'est qu'elle mordrait ! s'exclama-t-il. »
Christa se sentit rougir sous la gêne et la colère, reprenant son chemin d'un pas rapide. Le rire clair et étonnamment haut perché du garçon l'accompagna tout du long, se répercutant entre les murs pour suivre son ascension. Vexée, elle se retourna juste avant de déboucher dans la rue principale, captant l'attention du jeune motard le temps de lui tirer la langue d'un air courroucé. Geste qui fit redoubler son hilarité tandis que la petite blonde disparaissait dans le flot des passants.
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Les cris enthousiastes s'élevaient dans les gradins, stimulés par les pom-pom-girls qui se mouvaient en cadence sur le bord du terrain. Assise au milieu de la foule, Christa encourageait avec la même ferveur que ses voisins l'équipe de son lycée. En tant que champions de l'Etat ils se devaient d'être à la hauteur de leurs promesses et ce titre prestigieux attirait un nombre conséquent de fans à chacun de leur match. Habillée de rouge et de blanc, la petite blonde scandait avec exaltation les slogans que leurs épelaient les cheerleaders un peu plus bas, suivant de son regard fiévreux la progression du ballon dans le terrain ennemi. A côté d'elle, Sasha hurlait avec plus de force encore, agitant avec frénésie des petits drapeaux aux couleurs des Titans. Au prix d'une course folle, le capitaine finit par réussir à poser le ballon dans la zone d'en-but, provoquant un tonnerre d'acclamations chez les spectateurs.
« Touchdooown ! »
« Braun ! Braun ! Braun ! »
Christa aimait cette ferveur qui se dégageait de chacun lors d'évènement comme celui-ci, ces rares moments où les gens arrêtaient d'être « le lunetteux de la classe de math », « la nana rousse », « le type qui joue du saxo » pour devenir des camarades comme les autres. Des adolescents qui allaient ensemble au même établissement et partageaient les mêmes emblèmes. Sa meilleure amie continuait de s'exciter sur le banc près d'elle, aussi la jeune fille la rejoignit-elle dans ses applaudissements de forcenée. Sur la pelouse, les adversaires tentaient une percée dans le mur impénétrable des Titans tandis que ceux-ci s'évertuaient à récupérer la balle et ainsi les achever. La deuxième mi-temps venait à peine de commencer, mais les vainqueurs étaient déjà tout désignés.
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« 84 à 3, 84 à 3 ! chantonnait Sasha en engouffrant le reste de popcorn tandis qu'elles descendaient les marches des gradins.
_ C'était un beau match, acquiesça la blonde. »
Pour une fois l'équipe adverse avait plutôt bien résisté, réduisant l'écart de points au maximum. Habituellement ils étaient juste totalement démunis face à une équipe junior aussi bien équilibrée, au moins cette rencontre s'était révélée plus intéressante que les précédentes. Les voir se faire massacrer n'était pas vraiment captivant. Elles arrivèrent finalement au niveau du terrain, là où les joueurs faisaient leurs étirements afin de ne pas ressentir trop de courbatures le lendemain. Quelques personnes s'étaient arrêtées pour discuter avec eux ou les complimenter, rendant leur accès difficile. En levant la tête, Christa croisa le regard de Reiner Braun, fullback et capitaine des Titans, qui était en train de faire ses exercices à côté de Bertholt Hoover, le quaterback. Elle connaissait les deux garçons pour les avoir côtoyés tout au long des deux dernières années et elle sourit en dressant les pouces pour les féliciter. Berthold lui sourit en retour tandis que son coéquipier blond se frayait un chemin jusqu'à elle, délaissant ses admirateurs en tous genre. La transpiration lui collait les cheveux sur les tempes et il ne s'était pas encore défait de ses protections, lui donnant une carrure encore plus massive que celle déjà considérable qui était la sienne au naturel.
« Alors les filles, ça vous a plu ? s'exclama-t-il, fier comme un paon.
_ Vous avez été formidables, comme toujours ! répondit Sasha en postillonnant un peu partout.
_ Je suis soulagée que personne ne se soit blessé, ajouta la plus petite, ça aurait été dommage d'entacher une aussi belle victoire. »
Reiner rit doucement, ravi. Il était d'une nature placide, lent à l'emportement et peu avide de louanges, mais il restait un adolescent comme les autres qui aimait voir ses mérites reconnus. En somme, il ne viendrait à l'idée de personne de le targuer d'égocentrisme quand on ne faisait que souligner la vérité. Le jeune homme était un leader né, prompt à encourager et d'un soutien infaillible dans l'adversité. Ce n'était pas pour rien qu'il était la star du lycée.
« Dis, Christa, je me demandais… Qu'est-ce que tu fais après ? »
Sortant soudainement de ses pensées, la blonde se redressa avec un air surpris, fixant son interlocuteur le temps de comprendre. Sa compagne l'avait discrètement désertée, remarqua-t-elle, observant la scène d'un peu plus loin en ricanant comme une commère. Oh elle allait le lui payer. Mais pas maintenant, elle devait d'abord répondre aux avances du fullback.
« On pourrait peut-être aller boire un verre, tous les deux, un truc comme ça ? continua-t-il face à son manque de réaction. Pour discuter un peu, tout ça.
_ Oh, je… Je suis désolée mais ce soir je ne peux pas, s'excusa-t-elle en replaçant une mèche gênée derrière son oreille. J'ai dit à ma mère que je rentrais directement après le match, elle va me faire une crise si je suis en retard… Peut-être une autre fois ? »
Elle avait vu le visage confiant du garçon se décomposer graduellement au fur et à mesure qu'elle parlait, ce qui l'attrista. Elle aimait bien Reiner, mais pour une fois elle était étrangement contente que sa génitrice soit si stricte. Vraiment, elle l'aimait bien, mais… pas dans le même sens que lui. C'était un être merveilleux et beaucoup de filles tueraient pour être à sa place – et elle les comprenait en quelques sortes – mais elle n'était pas attirée par lui, pas comme ça. Parfois, elle se demandait si c'était normal, avant de juste arrêter d'y penser. Il n'était juste pas le bon, voilà tout.
« Bon, d'accord, va pour une prochaine fois. Et je te préviendrai tôt, comme ça tu pourras donner tes horaires à ta mère bien en avance pour qu'elle ne s'inquiète pas ! »
Christa acquiesça en souriant, puis lui dit au revoir tandis qu'il retournait retrouver Berthold avant d'aller se changer dans les vestiaires. Elle poussa un soupir quand sa silhouette eut disparu, se demandant comment elle allait bien pouvoir se sortir de cette situation, quand un bras lui entoura les épaules et qu'une châtaine bien connue lui rit dans l'oreille.
« Héhé, j'en connais une qui a tapé dans l'œil du capitaiiiine, chantonna Sasha.
_ Toi, je te retiens ! C'était franchement pas sympa de me laisser seule avec lui comme ça, rouspéta-t-elle en gonflant les joues. Tu sais bien que je ne le vois que comme un ami !
_ Oui, oui, répondit évasivement sa camarade en lui caressant les cheveux. Mais bon, on sait jamais, parfois les choses peuvent changer.
_ Eh bien pas celle-là. »
La blonde soupira à nouveau, exaspérée, ce qui élargit le sourire de sa voisine. Elles finirent par quitter l'abord du terrain, traversant la cour afin de rejoindre le portail et rentrer chez elle. Sasha était apparemment d'excellente humeur alors que cette brève altercation avait totalement vidé les batteries de la plus petite, la laissant fatiguée et avec le seul souhait de retrouver son lit. Son amie lui parlait avec animation et Christa écoutait et répondait distraitement, occupée à se ressasser les derniers évènements et regarder où elle mettait les pieds. Brusquement, un bruit de moteur lui vrilla les tympans et elle leva la tête juste à temps pour qu'un blouson noir traverse son champ de vision. Arrêté devant l'entrée de l'établissement, le motard discutait avec un garçon portant la même veste que lui et semblait sur le point de partir quand son regard croisa celui de Christa. D'abord surpris, il lui sourit de toutes ses dents avant de mettre sa main en porte-voix et lui crier :
« Ma proposition de hier tient toujours ! »
Alors que l'attention générale se tournait vers elle, la Reine se sentit rougir sans trop savoir si c'était d'énervement ou d'embarras et lui retourna une grimace pour toute réponse. Le motard rit, puis enfila son casque et disparut dans un vrombissement assourdissant. Sur le bord de la route, elle reconnut Jean, un membre de sa classe et également membre des Recon Corps aux ailes qui se déployaient dans son dos. Il la regardait bizarrement. Christa soupira une dernière fois, tandis que Sasha se jetait avidement sur elle en quête de réponses à ses questions. Elle avait mal à la tête.
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Christa attrapa la poignée de la porte, prête à attaquer une nouvelle journée de cours quand sa mère l'interpella. Curieuse, elle se retourna pour voir ce qu'elle avait de si important à lui dire aussi tôt le matin.
« Tu te rappelles que nous mangeons avec ton père ce soir ? Alors ne rentre pas tard, il faudra un peu de temps pour se préparer et je ne veux pas être en retard. »
La jeune fille sentit l'appréhension lui serrer le cœur tandis que toute joie désertait son esprit. Ses deux parents, ensemble dans une même pièce, avec elle au milieu. C'était sans aucun doute la chose qu'elle redoutait le plus au monde et qu'elle se voyait contrainte d'endurer une fois par mois. En face d'elle, la femme qu'elle appelait sa mère ne remarqua rien de sa détresse, continuant simplement de la fixer de son regard pâle en attendant une réponse de sa part. Elle était d'une beauté renversante, mais aussi froide que de la glace. A se demander comment une femme pareille avait pu un jour avoir l'envie de concevoir un enfant. En fait, Christa la soupçonnait de n'avoir accepté que pour faire plaisir à son père et trouver un moyen de le garder auprès d'elle pour toujours. Ce qui avait parfaitement marché puisqu'aujourd'hui ils étaient séparés et ne parlaient presque plus.
« Oui maman, je serai à l'heure, dit-elle dans un souffle. »
Lucie Lenz sembla s'en satisfaire et retourna vaquer à ses occupations, terminant de s'habiller avant de se rendre à son travail. Sans un bruit, sa fille passa la porte et prit la direction de son école.
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Le restaurant était luxueux, comme toujours. Des serveurs propres sur eux déambulaient dans la salle, apportant plats et bouteilles aux clients, arborant un impeccable sourire professionnel. Placés à une table un peu excentrée, Christa pouvait admirer tout son saoul la rue par la vitre à sa gauche. A sa droite sa mère se tenait droite, vêtue de ses plus beaux atours, digne comme la grande dame qu'elle était. En face, son père mangeait sans un mot, arborant avec un rare talent un masque de calme mensonger. La pièce était bercée par le bruit des conversations et des couverts, une musique d'ambiance comblant doucement le vide des discussions, mais ça ne suffisait pas à faire oublier la tension qui régnait entre eux. Entre deux bouchées timides – elle n'avait pas très faim, l'estomac trop noué – l'adolescente jetait des regards furtifs à ses géniteurs. Elle détestait ces moments. Ça finissait toujours mal. De temps en temps, Lucie levait la tête vers son ex-époux mais ce dernier refusait catégoriquement de croiser son regard, lui préférant son assiette. Cette attitude était en train d'énerver sa mère, elle le voyait. La femme n'avait jamais accepté leur séparation, refusant pendant longtemps de signer leur divorce et gardant une rancune tenace envers cet homme qui l'avait rejetée – elle ! Posant brusquement sa fourchette dans un tintement grossier, elle s'essuya les coins de la bouche en faisant attention à ne pas abîmer son rouge-à-lèvre.
« Tu ne me fais pas de compliment sur ma tenue ce soir, Rod ? »
Lord Reiss soupira profondément, posant un regard las sur la beauté qui lui faisait face.
« Ne commence pas, Lucie. Tu sais bien que tu es sublime, comme toujours.
_ Je ne fais rien, répondit-elle en pinçant les lèvres. Juste que tu n'as rien dit, alors je me demande, voilà tout. Peut-être est-ce pour ça que tu es parti.
_ Je t'ai demandé de ne pas commencer, nous ne sommes pas là pour ça. »
La sérénité de son père avait toujours impressionné Christa, presque autant que l'aigreur de sa mère. Ratatinée sur un coin de sa chaise, elle avait arrêté de manger et suivait d'une oreille distraite la dispute en devenir, concentrant son attention sur l'extérieur. Les gens marchaient tranquillement, qui pour rentrer chez soi, qui pour retrouver quelqu'un. Elle enviait leur quotidien si simple, elle qui était prisonnière de sa cage dorée. Elle ne pouvait les contempler que de l'autre côté d'une fenêtre.
« Je t'avoue que je ne sais pas pourquoi nous sommes là, reprit la femme. C'est toi qui insiste pour que nous jouions cette parodie de famille une fois par mois, ça n'a vraiment aucun sens.
_ C'est important, tu sais bien. C'est pour Historia.
_ Elle s'appelle Christa. »
Et voilà, c'était reparti. Rentrant toujours plus la tête dans ses épaules, la petite blonde réfréna son envie de fermer les yeux et faire le vœu de disparaitre. Elle avait déjà essayé maintes et maintes fois et ça n'avait jamais marché. Ses parents avaient toujours eu cette manie de parler d'elle comme si elle n'était pas là, décidant à sa place ce qui était bon ou mauvais pour son existence. En réalité, elle avait surtout l'impression d'être un simple ballon, coincée entre deux joueurs qui tentaient chacun de se l'approprier dans le but de remporter la victoire, sans même se soucier qu'il soit crevé à la fin ou non. Continuant de s'absorber dans la contemplation de la rue, elle souhaita de toutes ses forces que quelqu'un la sauve de cet enfer.
« Quand vas-tu arrêter cette folie ? Son prénom est Historia, je l'ai moi-même déclaré à sa naissance !
_ Et Christa est son deuxième prénom. Je ne vois pas pourquoi elle devrait porter le nom que tu lui as choisis au lieu du mien ! »
Là, un peu plus loin, sur la barrière. Son cœur rata un battement quand ses yeux accrochèrent les deux ailes cousues sur le blouson noir. Le parc était vide, les enfants depuis longtemps rentrés chez eux, uniquement occupé par un groupe de motards en train de rire et discuter. Elle n'eut aucun mal à reconnaitre le teint basané et les cheveux bruns retenus par une broche rouge qui commençaient à lui être familiers.
« Voyons, c'est son prénom, dit son père, comme si répéter suffisamment le fait allait suffire à faire entendre raison à son ex-compagne.
_ Tais-toi, Rod, répliqua-t-elle, venimeuse. Tu as perdu tout droit sur elle au moment où tu as perdu sa garde, en signant ce contrat.
_ Bon sang, je suis son père !
_ Et moi sa mère ! »
Christa se leva dans un raclement de chaise, faisant claquer ses deux paumes sur la table. Ses parents sursautèrent presque, comme s'ils remarquaient pour la première fois sa présence à leur côté, avant de froncer en belle synchronisation leurs sourcils avec colère. Ils n'aimaient pas qu'on les interrompe dans leur dispute. Sans leur accorder un regard et en espérant que ses cils seraient assez longs pour masquer les larmes qui bordaient ses yeux, la jeune fille prit la direction de la sortie. Toute la salle les observait désormais, et il était certain qu'ils seraient le centre des futures conversations.
« Où vas-tu Christa ? gronda Lucie.
Elle ne répondit pas, continuant de marcher d'un pas résolu.
_ Historia, reviens ici !
_ Christa ! »
La voix de sa mère se coupa avec le claquement de la porte derrière elle, l'air frais de l'extérieur lui offrant comme un deuxième souffle. Elle n'avait pas remarqué que l'atmosphère était aussi pesante avant de contraster avec celle de la rue. D'une main, elle épongea l'eau qui menaçait de perler sur ses joues, reprenant doucement le contrôle de ses sentiments. Elle se doutait qu'on ne tarderait pas à venir à sa recherche, sans doute pour la disputer sur son comportement honteux – c'était franchement l'hôpital qui se moquait de la charité – et la ramener chez elle, où elle serait enfermée. Il fallait qu'elle fasse vite. Traversant la route, elle se dirigea d'un air déterminé vers le parc en contre-bas et ses occupants. Alors qu'elle s'approchait, l'attention d'un des motards finit par être attiré et ses camarades se dépêchèrent de l'imiter. C'était sûr qu'avec sa robe pastelle de petite fille de bonne famille et sa tresse française elle devait dénoter. Encore une idée saugrenue de sa mère qui tenait toujours à ce qu'elle soit bien habillée pour ces rencontres, comme pour clamer « Tu vois, je m'occupe bien d'elle, moi ». Jean était là, à l'observer comme s'il assistait à une rencontre du troisième type. Le garçon aux tâches de rousseur aussi était là et il sourit quand elle croisa son regard, ce qui lui fit plaisir en quelque sorte.
« Salut tigresse, l'accueillit-il avec ses risettes coutumières.
_ Emmène-moi faire un tour. »
Sa phrase le prit au dépourvu, elle le vit bien à la mine stupéfaite qu'il arborait. Ce n'était pas vraiment une supplique, ni même une demande, encore moins un ordre. Cela s'apparentait plus à un simple fait. Car au fond, Christa savait qu'il ne refuserait pas. Elle ne pouvait pas se l'expliquer, mais elle le savait.
« Historia ! »
La voix énervée de son père traversa l'espace qui les séparait, la faisant se retourner. Il était encore loin, elle avait le temps. Son interlocuteur avait également suivi son regard, comme tous les autres, et il la considéra avec une lueur étrange qu'elle eut du mal à déchiffrer. Puis, dans un geste fluide, il se laissa glisser de la barrière où il était assis et enjamba sa bécane, en faisant vrombir le moteur.
« Grimpe, lui dit-il en lui tendant son casque. »
Sans demander son reste, elle s'installa derrière lui et glissa la protection sur sa tête, avant d'enrouler ses bras autour de sa taille fine. La moto démarra aussitôt et c'est avec bonheur qu'elle vit s'éloigner la silhouette de son père, jusqu'à ce qu'elle disparaisse cachée par le coin d'un immeuble. Christa ferma les yeux, se laissant aller contre le dos inconnu et pourtant réconfortant, savourant la sensation du vent dans ses cheveux.
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Ils roulèrent longtemps, sans destination ni but. Les rues défilaient autour d'eux, puis les maisons, avant qu'elles ne se fassent de plus en plus espacées et ne laissent place aux champs et aux arbres. Tout du long, Christa garda le visage enfoncé dans la veste de son sauveur, respirant l'odeur de cuir qui s'en dégageait. Doucement le paysage commença à s'éclaircir au fur et à mesure que la moto grimpait la montagne voisine de la ville, dégageant une partie du ciel de la pollution nocturne qui y régnait d'habitude. Le garçon ne dit rien, pas même une remarque piquante, et elle lui en fut reconnaissante. Elle avait l'impression qu'ils pourraient continuer ainsi éternellement, aller droit devant eux sans penser au lendemain, ne jamais s'arrêter tant qu'il y aurait une route sur laquelle rouler et de l'essence à mettre dans le réservoir. Ils cesseraient alors d'être des personnes et ne seraient plus qu'une vague légende de l'Ouest américain, un étrange couple sur une bécane usée qui traverse le pays sans jamais poser pied à terre. Elle ne serait plus Christa, Historia, la Reine ou qui que ce soit, elle pourrait arrêter de faire semblant et d'avoir peur du regard des autres et simplement être elle. La moto bifurqua sur un chemin de terre, l'irrégularité du sol les obligeant à ralentir. La petite blonde leva la tête, tentant de percer du regard le toit de branches qui les surplombait afin de voir les étoiles. Elle n'y arriva pas. Le chemin finit par disparaitre et le garçon coupa le moteur, les laissant seuls dans un silence assourdissant. La forêt bruissait doucement autour d'eux, vivante même au cœur de la nuit.
« Où sommes-nous ? demanda-t-elle en retrouvant le sol avant d'enlever le casque qui lui bouchait la vue et le poser sur le siège du véhicule.
_ Quelque part, loin de la ville. »
Le ton étrange de la voix de son interlocuteur la fit se retourner et elle frissonna devant la lueur qui brillait dans ses yeux. Dans l'obscurité du sous-bois, ils semblaient encore plus noirs que de coutume. Elle n'aimait pas cette façon qu'il avait de la dévorer du regard, tout comme ce calme froid qu'arborait son visage jusque-là si expressif. Il fit un pas et Christa recula par réflexe. Une personne sensée aurait eu peur et se serait enfuie ou au moins mise à hurler, mais pas elle. Elle ne ressentait aucune crainte, sans savoir si c'était normal ou non, juste une espèce d'appréhension. Elle n'avait aucune idée de ce que son compagnon allait faire et ça la mettait mal-à-l'aise. Il continua d'avancer et elle de reculer, jusqu'à ce que son dos se heurte à une surface dure. Avant qu'elle ait pu faire le moindre geste pour se dégager il était déjà sur elle, posant ses mains sur le tronc de part et d'autre de sa proie dans une posture menaçante.
« Tes parents ne t'ont jamais dit qu'il ne fallait pas suivre les inconnus ?
Ses parents lui avaient dit beaucoup de choses, tellement qu'elle se sentait écrasée sous leur poids. Et elle s'était toujours efforcée de les écouter, bien gentiment, jusqu'à ce soir.
_ Si…, souffla-t-elle en réponse.
Les lèvres de son opposant s'étirèrent en un sourire dérangeant tandis qu'il rapprochait lentement son visage du sien. Il faisait si sombre que les taches de rousseur qui le parsemaient se fondaient dans le mate de sa peau.
_ Et que vas-tu faire maintenant ? demanda-t-il tout bas, sa respiration lui chatouillant le nez à chaque mot. Je pourrais faire ce que je veux de toi, te violer peut-être.
_ Non.
L'assurance qu'elle avait mise dans son affirmation étonna Christa elle-même. En face d'elle son agresseur se redressa un peu sous le coup de la surprise, perdant beaucoup de son air menaçant par la même occasion.
_ Et pourquoi ça ? »
La petite blonde se retint de sourire. A la façon dont il avait prononcé sa phrase, on aurait dit un enfant qui boudait parce qu'on lui aurait refusé une friandise.
« Parce que tu es une fille, et parce que tu ne le feras pas tout simplement, répondit-elle calmement. »
Cette fois-ci, la motarde s'éloigna en grommelant, passant une main dans les cheveux fous de sa frange. C'était vrai qu'elle faisait très garçon manqué dans ses vêtements négligés et son énorme blouson, mais la hauteur de sa voix et la finesse de sa taille étaient plus qu'éloquentes. Elle semblait un peu déçue que sa mise en scène tombe à l'eau mais elle reprit rapidement du poil de la bête et pointa un doigt autoritaire dans la direction de la plus petite.
« Tout d'abord, sache que le fait d'être une fille ne m'empêche pas de te violer, en aucun cas, déclara-t-elle avec sérieux.
Christa sentit un peu de sa superbe fondre à cette pensée, des images qu'elle n'aurait jamais pensé envisager un jour lui passant en tête. Elle remercia muettement l'arbre sur lequel elle était encore appuyée de cacher son rougissement dans son ombre.
_ Mais pour la suite, ouais, tu as raison, reprit sa compagne en posant ses mains sur ses hanches, je le ferai pas, c'est pas mon truc. Mais que ça te serve de leçon à l'avenir, on ne part pas en balade avec le premier venu comme ça ! »
Elle resta une fraction de seconde à fixer sa mine faussement énervée et la conviction qui brillait dans son regard, avant qu'un rire sincère et libérateur ne la secoue violemment. Tout ça pour ça ! La jeune fille n'arrivait tout simplement pas à croire que cette inconnue qu'elle avait vue en tout et pour tout trois fois ait monté tout un scénario dans le seul but de lui apprendre la prudence.
« Hé, c'est pas drôle… ! »
Son air vexé ne fit que rajouter à l'hilarité de la blonde qui dû se faire violence pour réussir à arrêter de rire. Des larmes avaient coulé sur ses joues et elle les essuya distraitement en s'excusant pour son comportement. Cela faisait moins d'une heure qu'elle avait quitté le restaurant et pourtant c'était comme si ça n'avait jamais eu lieu.
« Bon, allez, grogna son interlocutrice une fois qu'elle fut revenue au calme, on va pas rester là éternellement. Suis-moi. »
Et sans l'attendre, elle s'enfonça dans la pénombre du bois, marchant d'une allure très assurée pour quelqu'un qui ne devait pas y voir à plus de deux mètres devant elle. Christa lui emboita le pas sans réfléchir, obligée d'aller vite pour rester à sa hauteur. Foutue personne avec des grandes jambes. Les branches craquaient sous leur poids tandis que les animaux se taisaient sur leur passage donnant au lieu une apparence austère et angoissante. Mais la petite lycéenne n'avait pas peur, loin de là. Elle savait qu'elle ne risquait rien, de la même façon qu'elle avait su quand la brune avait menacé de la violer et su quand elle lui avait demandé de l'emmener sur sa moto. Cette conviction était codée dans ses gènes de la même façon qu'un animal sait reconnaître un prédateur ou non. Elle était en sécurité à ses côtés.
Finalement, la silhouette qui la devançait commença à se découper de plus en plus clairement sur le décor alentour et Christa comprit qu'elles approchaient de la sortie de la forêt. Quand la motarde s'arrêta à la lisière pour l'attendre, elle resta un moment à la regarder. Elle observa avec quelle délicatesse la lumière dessinait les contours de son corps, soulignait la ligne de ses cuisses, appuyait le décalage entre ses hanches et son blouson trop grand, magnifiait la courbe de son cou. Comment avait-elle pu ne serait-ce qu'un instant la prendre pour un homme alors qu'elle transpirait à ce point de féminité ? Sans la quitter des yeux, la blonde avança jusqu'à se mettre à son niveau et alors elle vit ce que l'ombre de sa compagne lui avait caché jusque-là. Une courte plage d'herbe s'étendait à leurs pieds avant de finir abruptement avec le bord de la falaise. Au-delà la ville brillait de mille feux dans ses habits nocturnes épousant avec grâce les bords de la vallée où elle se trouvait, alanguie comme une courtisane parée de diamants sur le sofa d'un riche notable. Christa se tourna vers la jeune femme près d'elle, époustouflée, et remarqua que cette dernière se délectait apparemment de son effet. Les étoiles de la cité se reflétaient dans ses yeux noirs.
« Tu connaissais cet endroit ?
_ Tu croyais vraiment que je t'avais emmenée dans un coin pareil par pur hasard ? ricana-t-elle avec un sourire moqueur. Il y a un point d'observation accessible par la route un peu plus haut, mais je préfère la vue d'ici. C'est plus tranquille. »
Sur ces mots elle se laissa tomber dans l'herbe, soupirant d'aise, avant de l'inviter à la rejoindre d'un regard. Pliant avec soin sa robe pour qu'elle épouse ses mouvements, elle se glissa au sol et étendit ses jambes devant elle, s'amusant du contraste entre sa peau ivoire et la nature qui semblait presque noire en comparaison. Pour un peu elle se serait cru dans un film en noir et blanc, un de ceux où la gentille fille des années cinquante rencontre le méchant garçon et sa veste en cuir. Cette idée la fit sourire et elle ne put s'empêcher de jeter un regard en coin à sa voisine pour confirmer qu'elles collaient parfaitement au cliché. Appuyée sur ses coudes, quasiment allongée, la brune semblait presque s'ennuyer. Elle trifouilla vaguement autour dans le but de trouver un brin d'herbe à se caler entre les dents, avant d'abandonner et reporter son attention sur la blonde qui lui tenait compagnie.
« Alors, dis-moi, de quoi t'ai-je sauvée ? Un inconnu offensant ? Un garde du corps encombrant ? Ou juste un oncle trop entreprenant ?
_ Une réunion de famille, répondit-elle en grimaçant.
_ Wow, autant dire l'Enfer sur Terre. Tu devrais m'appeler Dieu pour ça. »
Christa rit tandis que ses mains attrapaient l'élastique dans ses cheveux et s'affairaient à défaire la tresse qui commençait à la tirailler.
« Merci, Dieu.
_ Bénie sois-tu mon enfant, réplica-t-elle avec un air sérieux et un signe de croix qui la fit sourire. »
Le silence revint quelques secondes, ses doigts s'emmêlant dans sa tignasse et tirant dessus sans qu'elle arrive à quoique ce soit. Sa compagne la regardait, étendue sur le côté, la joue posée dans le creux de sa paume. Comme si un spectacle pareil pouvait être intéressant.
« Au fait, dit brusquement la lycéenne, je ne sais même pas comment tu t'appelles.
_ Hm. Je suis Ymir, et toi ? Ah non laisse, je sais ! déclara-t-elle en souriant. Historia c'est ça ? »
La jeune fille cru qu'elle allait s'arracher une mèche tant elle sursauta fort à l'entente de ce prénom. Délaissant son cuir chevelu douloureux et sa coiffure en désordre, elle laissa ses mains retomber dans son giron avant de sourire afin de masquer son trouble à son interlocutrice.
« Eh bien en fait… non, c'est Christa.
_ Ah ? Zut, j'étais persuadée d'avoir entendu le type t'appeler comme ça, là-bas, au parc. Je deviens sourde on dirait ! dit-elle, apparemment dépitée par elle-même.
_ Ah, non ! s'exclama-t-elle, ne voulant pas lui mentir. Il m'a bien appelée comme ça, c'est aussi mon prénom. »
Ymir la regarda sans comprendre, fronçant un instant son sourcil gauche, puis le droit. Finalement, elle se redressa en position assise et croisa les bras, toujours en pleine de réflexion.
« Je comprends pas, déclara-t-elle de but en blanc. »
La blonde se mordit la lèvre inférieure, se demandant comment expliquer la situation bizarre dans laquelle elle se trouvait sans paraître pour une folle pour autant. Elle avait toujours eu peur du regard des autres et de leur jugement, et la simple idée de ce qu'ils pourraient penser d'elle s'ils connaissaient son histoire l'effrayait. En face d'elle la motarde continuait de la fixer, attendant presque patiemment la suite. Et alors qu'elle croisait ce regard vierge de tout préjugé absurde, elle se demanda ce qui l'inquiétait au juste. Quel évènement si terrible méritait qu'elle s'en fasse autant. Prenant une profonde inspiration, Christa se dit que si même aux inconnus elle ne disait pas la vérité alors autant arrêter d'y penser et vivre dans le mensonge pour toujours.
« C'est un peu compliqué mais… disons que j'ai deux prénoms, commença-t-elle, l'un utilisé par mon père, et l'autre par ma mère et plus ou moins tout le monde depuis que je suis inscrite avec au lycée. Du coup, je suppose que tu peux utiliser celui que tu veux ? Vu que toi tu connais les deux… »
La brune la regardait avec de grands yeux écarquillés, apparemment choquée par ce qu'elle venait d'entendre. Voyant son air, la lycéenne tenta de sourire pour détendre l'atmosphère et faire comme si tout ce qu'elle venait de dire était parfaitement normal, mais échoua lamentablement.
« Pourquoi ? »
Ce fut tout ce qu'elle prononça, mais c'était amplement suffisant pour exprimer le trouble qui était le sien. Machinalement, la plus petite recommença à trifouiller dans ses cheveux, s'occupant les mains afin de s'occuper l'esprit et vaguement cacher son malaise.
« Je ne sais pas trop, c'est comme ça depuis si longtemps… En fait, c'est depuis qu'ils ont divorcé. Je crois que ma mère l'a très mal pris et c'est pour ça qu'elle a fait toutes ces demandes administratives pour que j'ai son nom au lieu de celui de mon père, c'est vers là qu'elle a commencé à m'appeler par mon deuxième prénom aussi. J'étais petite tu sais, alors sur le coup j'ai pas trop compris ce que ça signifiait et puis, ben, je m'en fichais un peu aussi, ça n'avait pas l'air important à l'époque. Mais maintenant, c'est de pire en pire et j'ai de plus en plus de mal à savoir quoi faire, comment réagir, comment… »
Plus elle parlait plus ses doigts tiraient de façon désordonnée, lui faisant mal sans qu'elle s'en préoccupe réellement. Ses pensées dérivaient au milieu de ses souvenirs d'enfance et ses problèmes d'adolescente, naviguant en eaux troubles et risquant à tout moment de se faire engloutir par la tempête qui faisait rage. Elle entendit un soupir étouffé, puis le bruit de l'herbe qui glisse sur des vêtements et soudainement deux mains froides se posèrent sur les siennes, les repoussant au loin. Calmement, Ymir s'appliqua à défaire les nœuds dans sa tignasse blonde, la fraicheur de ses doigts lui faisant plus de bien qu'elle ne le croyait possible.
« Doucement, souffla-t-elle de sa voix basse. Tu es dans une situation bien tordue petite tigresse, ça y'a pas de doute. »
Elle acquiesça muettement, fermant les yeux pour mieux savourer le ballet dans ses cheveux. Se concentrer sur son toucher la détendait, chassant au loin tous ses soucis pour la laisser en paix, l'espace d'un instant. Remontant ses genoux contre sa poitrine, elle s'en servit comme d'un oreiller tandis que sa compagne continuait de s'affairer dans son dos.
« Tu préfères lequel ?
_ Hm ? grogna-t-elle faiblement, avant de frissonner quand un doigt frôla sa nuque.
_ De prénom, tu préfères lequel ? »
Christa rouvrit les yeux, les fixant sur la ville en contre-bas mais sans la regarder pour autant, masquée par le voile de ses réflexions.
« Je ne sais pas… Pourquoi ?
_ Si, dis-moi. C'est pour savoir comment je dois t'appeler.
_ Oh, je vois… »
Se redressant dans une position plus dynamique, elle effleura sans le vouloir la jeune femme derrière elle – elle n'avait pas remarqué qu'elle s'était rapprochée à ce point. Les mains dans ses cheveux avaient presque terminé leur travail tandis qu'elle réfléchissait.
« C'est difficile de choisir… Christa est une gentille fille, je suppose. Elle est aimable avec tout le monde, polie avec les professeurs, écoute ses parents, elle fait ses devoirs et a de bonnes notes. Elle a aussi quelques amis et fait partie d'un club pour aider les autres. Elle n'a pas d'ennemis par contre, tout le monde aime bien Christa.
_ Wow, ça sonne terriblement ennuyeux ! Et Historia ?
_ Eh bien… je ne connais pas vraiment Historia. Je veux dire, je n'ai pas été elle depuis tellement longtemps, je ne me souviens plus de ce à quoi elle ressemblait…
_ Hm… »
Maintenant parfaitement démêlée, elle sentait sa chevelure flotter sur ses épaules et dans son dos. Soupirant profondément, elle se laissa aller en arrière, s'appuyant sur Ymir et basculant la tête pour croiser son regard.
« Est-ce que je suis bizarre ? »
La brune semblait gênée, si bien que sa compagne faillit sourire en remarquant le rougissement qui lui brulait les joues. Détournant le regard, elle prit un air sérieux pour masquer son embarras mais ne se dégagea pas de son contact pour autant.
« Carrément, ouais, répondit-elle d'un ton bourru. T'es la fille la plus bizarre que j'ai jamais rencontrée.
Ah… finalement elle avait raison, la vérité n'était pas toujours bonne à dire. Les lèvres tremblantes, elle tenta de faire comme si les mots de celle qu'elle considérait comme une étrangère il y a peu encore ne l'atteignaient pas et posa ses mains dans l'herbe afin de s'en aider pour se relever.
_ Mais c'est cool.
Christa suspendit son geste, attentive.
_ C'est cool, parce qu'on est tous bizarres. Regarde, moi je suis une pseudo-adulte qui traîne avec un groupe de vieux motards totalement pédés, dors en amphi, m'engueule avec ma famille par téléphone mais leur envoie quand même des cadeaux pour Noël, avant d'enfiler mon costume de super-héros la nuit venue et sauver des jolies blondes de leur repas de famille désastreux. »
Complètement abandonnée contre le torse d'Ymir, le visage enfoui dans ses paumes, elle ne savait plus trop si elle avait envie de rire ou de pleurer. La jeune femme aux taches de rousseur posa son menton sur le haut de son crâne et elle la sentit vibrer dans son dos tandis qu'elle se remettait à parler.
« C'est normal d'être bizarre. En fait, c'est plutôt de la normalité qu'on devrait se méfier, parce que quelqu'un de trop parfait ça n'existe pas. »
La lycéenne ne dit rien. Elle se sentait… submergée. Une reconnaissance sans nom s'était emparée de la moindre cellule de son être, entièrement dévouée à sa compagne et avec quelle bonté elle avait réconforté une parfaite inconnue comme elle. Sa bienfaitrice ne s'en rendait sans doute pas compte, mais cette peur la rongeait depuis si longtemps, c'était un poids sans commune mesure qui venait de s'envoler de ses épaules. Maintenant elle allait devoir apprendre à vivre sans, ce serait sans doute long et fastidieux, mais elle y arriverait. Christa voulait exprimer tout cela, expliquer à la motarde à quel point elle la remerciait pour ce qu'elle venait de faire, mais elle n'y arrivait pas. Trop de sentiments, trop de choses, comment condenser tant d'émotion dans une simple phrase ?
« Bon après, j'avoue que sauter sur un mec que tu connais pas et lui demander de t'emmener faire un tour en moto, c'est quand même vaaachement craignos, continua-t-elle sans se douter du débat interne de son interlocutrice. En fait t'as raison, oublie tout ce que j'ai dit : t'es bizarre, on devrait t'enfermer.
_ Hé ! s'exclama la plus jeune aussitôt. »
Se redressant brusquement, elle donna un coup dans le menton d'Ymir qui partit à la renverse, serrant son os meurtri entre ses mains. Elle roula au sol, pestant contre la douleur et lui criant dessus pour savoir ce qui avait bien pu lui passer par la tête bordel ! mais sans y mettre de réelle méchanceté pour autant. Devant ce spectacle grotesque, la petite blonde se mit à rire sans pouvoir s'arrêter pour la deuxième fois de la soirée, remerciant le ciel d'avoir mis une personne pareille sur son chemin. Elle était vraiment heureuse d'être sortie du restaurant, à ce moment-là, heureuse d'avoir eue le courage de désobéir à ses parents et marcher à la rencontre de la brune. Elle ne savait pas comment aurait terminé sa soirée sans elle.
« Je t'ordonne de stopper immédiatement ce foutu rire angélique, ça fait mal ! J'ai failli me mordre la langue par ta faute !
_ Désolée, désolée… Mais tu l'as bien cherché, surtout que c'est toi qui m'as proposée deux fois d'aller faire un tour. C'est toi qu'on devrait enfermer !
_ Uh, coupable votre honneur ! Les blondes sont ma kryptonite ! »
Christa rit à nouveau, sans trop savoir si c'était une blague ou réellement des avances. Mais au fond ça n'avait pas de vraie importance à ce moment précis, elle était juste bien, libérée de ses problèmes et en compagnie d'une… amie ? Oui, d'une amie. La motarde avait arrêté de s'agiter et était maintenant tranquillement allongée au sol, le regard rivé vers les étoiles. Assise à ses côtés, elle regarda un moment sa poitrine s'élever et s'abaisser au rythme de sa respiration, avant de poser sa joue sur ses genoux repliés et l'observer en silence. Elles auraient pu rester comme ça jusqu'au petit matin si Ymir ne s'était pas tournée vers elle, rougissant face à son attention rivée sur elle et sa position qui laissait ses cuisses dénudées.
« T-tu vas finir par attraper froid comme ça, déclara-t-elle en tentant de poser ses yeux partout sauf sur cette peau découverte.
_ Non, il fait bon. On est presque en été tu sais. »
Elle grogna pour toute réponse avant de s'allonger sur le flanc, lui tournant le dos. Il faisait trop noir pour que la jeune fille remarque le rouge qui colorait la pointe de ses oreilles, heureusement. Elle resta un moment dans cette position, se basant sur son ouïe pour deviner les gestes et mouvements de sa compagne, avant de décider que tout ceci était ridicule et se remettre sur le dos. Elle respira à pleins poumons, chassant les cuisses blanches de ses pensées et jeta un coup d'œil timide à sa droite. Christa avait les yeux perdus dans le vague, les lumières de la ville éclairant son visage et éclaircissant ses iris bleutés. La brune resta un moment à la contempler, le souffle coupé, avant de sentir son cœur se serrer devant la solitude qui se dégageait de sa posture. Elle était bien jeune pour avoir déjà ce genre d'expression. Tendant la main, elle lui tapota l'avant-bras du bout du doigt.
« Hé, tu veux que je te ramène ? Tes darons sont peut-être tarés mais il se fait tard, ils vont finir par s'inquiéter.
_ Hm… »
Doucement, comme un flocon de neige descend jusqu'au sol, la blonde se laissa glisser près d'elle, se recroquevillant en position fœtale et posant sa tête contre la sienne.
« Dans une minute, d'accord ? Je voudrais encore un peu profiter de la sérénité qui règne ici avant d'y retourner.
_ … ok. »
Se remettant sur le dos, Ymir arrêta de parler et se mit à compter les étoiles, les cheveux de Christa lui chatouillant la tempe. Si elle voulait rester ici, alors elle resterait ici avec elle. Si elle voulait rentrer, alors elle la conduirait. Quoi que cette petite blonde décide, elle s'exécuterait.
x
« Arrête-toi là. »
Docilement, Ymir amena la moto contre le trottoir et coupa le moteur, replongeant la rue dans le silence dont elles l'avaient tirée. C'était un quartier résidentiel banal, composé de maisons qui se ressemblent toutes et leur jardin plus ou moins personnalisé en fonction des habitants. Christa sauta à terre avant de retirer son casque et de le lui tendre. La brune le récupéra distraitement.
« Tu as peur de me faire voir ta maison, c'est pour ça que tu veux que je te dépose au bout de la rue ? demanda-t-elle avec un sourire en coin faussement débonnaire.
_ Non, c'est juste que ma mère doit être en train de monter la garde derrière la porte, je ne veux pas qu'elle s'en prenne à toi. Et j'avoue que je n'ai pas très envie que tu me voies me faire engueuler non plus. »
Elle rit doucement, mais ça sonnait faux. Face à face, leurs regards se croisèrent sans qu'aucune des deux ne sache quoi dire, toutes deux sachant pertinemment que c'était l'heure de se dire au revoir mais incapable de trouver les bons mots pour. La lycéenne passait son poids d'une jambe à l'autre, apparemment gênée, tandis que sa compagne se triturait les doigts, les avant-bras appuyés sur le guidon de sa bécane. Christa prit une lente inspiration.
« Je crois… qu'il est temps que j'y aille.
_ Oui, je crois aussi. C'était une chouette soirée, ajouta-t-elle avec un sourire.
_ Pour sûr ! sourit la plus jeune à son tour. En tous cas, merci pour tout Ymir. Ce soir, tu as-
_ Nah, tais-toi, j'ai rien fait du tout, la coupa-t-elle en balayant l'air devant elle de sa main. Allez, va te faire botter les fesses maintenant, tigresse. »
Elle ne put s'empêcher de sourire à l'entente de ce surnom idiot – oubliant même de protester que si, elle avait fait beaucoup – puis, avec un dernier signe de main, s'éloigna en direction de chez elle. Elle savait ce qui l'attendait une fois le seuil de la porte passé, mais le regard de sa compagne qu'elle sentait posé sur son dos lui donnait de la force. Aujourd'hui, pour la première fois, elle avait arrêté d'être parfaite. Et ça faisait vraiment du bien.
« Hé, attend ! »
Se retournant, Christa jeta un regard interrogateur à la jeune femme aux taches de rousseur, avant de revenir sur ses pas pour lui demander ce qu'elle voulait. Ymir semblait un peu mal-à-l'aise, mais une lueur déterminée brillait dans ses yeux.
« Est-ce… Est-ce qu'on pourra se revoir ? »
La plus petite cligna plusieurs fois des paupières, le temps d'assimiler la question. Cela lui avait semblé tellement évident qu'elle n'avait même pas pensé à le préciser, mais apparemment son interlocutrice n'en était pas aussi certaine qu'elle. Elle se sentit fondre devant la candeur de sa demande, s'étonnant toujours qu'une créature aussi envoutante puisse se révéler si douce.
« Bien sûr. »
Le visage de la motarde s'illumina aussitôt et la blonde sentit une nouvelle vague de tendresse la submerger de toutes parts. Elle était affligeante d'ingénuité parfois, mais c'était affreusement mignon. Farfouillant dans la poche de son jean, elle finit par en sortir son téléphone portable, sa mine si expressive laissant tout voir de la joie qui l'animait. Christa lui dicta diligemment son numéro, puisqu'elle n'avait pas son propre téléphone sur elle faute de poche où le mettre et lui fit promettre de lui envoyer un sms afin qu'elle ait ses coordonnées. Alors qu'elle allait s'en retourner vers sa maison et le châtiment qui l'y attendait, un souvenir lui traversa soudainement l'esprit.
« Au fait…
_ Hm ?
_ Lequel tu as choisi ?
L'air interrogateur d'Ymir suffit à lui faire comprendre qu'elle devrait préciser si elle voulait une réponse à sa question.
_ De prénom, lequel tu as choisi ?
_ Ah, ça… »
Un sourire énigmatique étira les lèvres de la brune qui prit bien soin de ménager son effet en enfilant son casque et rallumant son moteur. Elle le fit vrombir plusieurs fois, s'assurant ainsi d'avoir bien réveillé tout le voisinage avant de se pencher vers elle et lui révéler :
« Aucun des deux.
_ Quoi ? »
Mais déjà la brune avait démarré en trombe, riant de sa farce et lui faisant un large adieu de la main. Christa resta un moment immobile, pestant contre cette imbécile d'Ymir, avant de se fendre d'un sourire résigné. Tant pis, ce serait pour une autre fois. Inspirant profondément pour se donner du courage, elle reprit le chemin de chez elle. Comme elle s'y attendait, le portail du jardin n'avait pas fini de grincer que déjà la porte d'entrée s'ouvrait à toute volée, dévoilant une Lucie Lenz de fort mauvaise humeur. La jeune fille ne plaça pas un mot tout le temps que dura la dispute, sa mère occupant tout l'espace sonore avec le tableau haut en couleurs qu'elle lui fit de son départ du restaurant, de la honte phénoménale qu'elle lui avait faite, de sa déception profonde envers elle et de tous les commentaires désobligeants qu'avait eu son père après une telle scène. Alors que sa génitrice lui hurlait dessus, la petite blonde avait la tête ailleurs, repensant aux étoiles et à la beauté de la ville la nuit.
Elle fut autorisée à aller se coucher après trente minutes de sermon, avoir reçu l'ordre de ne plus jamais recommencer et été punie par une privation de sortie pour le mois à venir. Se laissant tomber en grognant sur son lit, elle soupira contre son oreiller avant de sentir un objet désagréable lui rentrer dans l'os de la hanche. Se tortillant, elle extirpa son téléphone portable de sous elle et l'alluma en constatant qu'elle avait un message.
[ 'nuit tigresse ]
Christa sourit avant d'enregistrer le numéro d'Ymir dans son répertoire.
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Le lendemain Christa s'endormit en cours, rattrapant malgré elle le sommeil manquant à sa nuit écourtée. Il était si rare qu'elle se couche tard que son corps n'était pas habitué à fonctionner avec moins de huit heures de repos et il le lui faisait insidieusement remarquer. Quand son professeur de mathématiques la réveilla pour lui demander ce qui lui arrivait, elle remarqua qu'il n'était même pas en colère contre elle, juste inquiet. Tout comme ses amis, constata-t-elle après un coup d'œil autour d'elle. La Reine était si appliquée, si parfaite dans son travail et sa vie scolaire, c'était forcément que quelque chose de grave était arrivé pour qu'elle pique du nez de la sorte. Christa se sentit presque blessée par cette vision tronquée que les gens qu'elle côtoyait au quotidien avaient d'elle-même. A croire qu'à leurs yeux elle n'était même plus un être humain, avec ses carences et ses défauts, ils l'avaient élevée au statut de quasi-divinité, forte et inébranlable. Un tel constat aurait dû la faire se gonfler de fierté, mais il ne fit que creuser un peu davantage le gouffre qu'elle sentait se former entre elle et le reste du monde. Quand l'enseignant reposa sa question, Christa sourit avant de s'excuser et prétendre de banals problèmes familiaux, promettant de ne plus recommencer. Il hocha simplement la tête avant de reprendre sa correction d'exercice au tableau, satisfait.
Sasha la cuisina tout le long que dura la pause-déjeuner, s'alarmant de ses cernes et de son comportement en classe. En tant que sa meilleure amie elle connaissait quelques détails sur la relation tendue qu'entretenaient ses parents, même si Christa ne lui avait jamais donné toutes les informations. Une fourchette piquée dans son steak dans une main, un bout de pain dans l'autre, la châtaine s'évertua à lui tirer les vers du nez, lui promettant d'arracher les yeux de la sorcière – c'était ainsi qu'elle appelait Lucie Lenz – si elle avait encore fait des siennes. Bien que touchée par tant d'engouement, la petite blonde se mit en devoir de la rassurer.
« Tout va bien, je t'assure, dit-elle en faisant des gestes apaisants. C'est juste que hier c'était notre grand repas en famille mensuel, tu sais, ils se sont engueulés comme d'habitude et…
Elle hésita. Et je me suis enfuie avec un motard que je ne connaissais pas qui était en fait une motarde, on a passé une partie de la nuit ensemble et je lui ai dit plus de choses en quelques heures pendant qu'elle était en train de me démêler les cheveux que je ne t'en ai jamais dites en plusieurs années. Je ne sais pas ce qui m'a pris, je crois que c'est à cause de ses doigts, ils devaient être magiques ou quelque chose du genre parce que plus ils me touchaient et plus je me calmais et plus je me confiais, ça ne m'était jamais arrivée. Puis finalement elle m'a ramené chez moi et quand ma mère m'est finalement tombée dessus pour me dire mes quatre vérités, eh bien ça ne m'a fait aucun effet parce que j'avais encore la protection magique de ses doigts sur moi et ses mots blessants m'ont glissé dessus sans me toucher et je crois que je ne me suis jamais sentie aussi forte qu'à cet instant.
_ … et je crois que ça m'a un peu tourmentée, parce que j'ai eu du mal à m'endormir après, mais c'est tout. »
Les mots étaient sortis tout seuls et avant qu'elle ne comprenne pourquoi, elle avait menti à sa meilleure amie. C'était comme si elle voulait garder cette rencontre secrète, pour que ses souvenirs d'Ymir n'appartiennent qu'à elle. Mâchant son repas, Sasha la regardait sans ciller et pendant une fraction de seconde Christa cru qu'elle allait la percer à jour, mais elle se contenta de soupirer et poser une main réconfortante sur la sienne.
« Pourquoi tu ne m'as pas appelée ? C'est dans les moments comme ça que ça sert les amis. »
La bonté de sa compagne la fit culpabiliser de lui avoir caché la vérité. Mais bon, après tout, ce n'était pas un bien gros mensonge, et de toute façon elle avait bien le droit d'avoir un jardin secret non ? Souriant doucement, elle serra ses doigts autour de ceux de son amie.
« Désolée, j'y penserai la prochaine fois. »
Son opposante sourit vigoureusement, avant de la relâcher et enchaîner sur des sujets plus légers ayant sans doute pour but de lui changer les idées. Elle monologua un moment sur la cruauté de leurs professeurs, les dernières frasques de son imbécile de petit ami et les quelques nouveautés au sujet des clubs sportifs. Apparemment la capitaine des pom-pom-girls et la championne du club de boxe thaïe se faisaient toujours et encore la gueule tandis que les joueurs de l'équipe de football américain continuaient d'exciter les foules. Et alors que son interlocutrice la questionnait sur l'évolution de sa relation avec le ô combien merveilleux Reiner Braun, Christa laissa distraitement son regard dériver sur son téléphone portable posé sur la table près de son plateau. Pour une raison inconnue, l'absence de nouveau message lui fit se serrer le cœur.
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« Tu peux y aller si tu veux, je finirai tout seul. »
Relevant la tête dans un sursaut, Christa jeta un regard plein d'incompréhension à l'unique autre membre actif de son club. Il la fixait avec ce sourire doux et plein de gentillesse qui était le sien et il lui fallut un moment de plus pour comprendre qu'il avait sans doute remarqué l'état d'esprit dans lequel elle se trouvait. Elle n'avait presque pas avancé dans son travail, relisant cinq fois la même ligne sans la voir, ses yeux se posant bien plus volontiers sur l'écran éteint de son portable que celui allumé de l'ordinateur.
« Je suis désolée, dit-elle embarrassée. Mais ne t'inquiète pas, je vais me remettre à-
_ Tu es là presque tous les soirs, toujours sérieuse, toujours de bonne humeur. Alors, pour une fois que tu n'es pas en forme, repose toi un peu sur moi d'accord ? Sinon je vais vraiment finir par me sentir inutile, finit-il dans un rire. »
Gênée, la jeune fille considéra un moment son compagnon, le détaillant du regard. Marco était, à n'en pas douter, le garçon le plus angélique qu'elle ait jamais rencontré. Il s'était proposé de lui-même quand il avait entendu dire qu'elle ouvrait un club de soutien et ne l'avait jamais laissée tomber depuis. Plutôt grand, athlétique, il aurait aisément pu rentrer dans l'équipe de foot s'il ne lui avait préféré celle de cheerleading. Aujourd'hui encore son choix restait un mystère pour la plupart des élèves du lycée et si les rumeurs sur son homosexualité allaient bon train, plutôt que le harceler à ce propos les autres adolescents avaient préféré le louer pour son choix et en faire un sujet d'envie ; lui, seul homme dans ce harem de beautés au corps de rêve. Christa s'était longtemps étonnée de ce revirement de situation, surtout dans une école où habituellement les différences étaient plus souvent la raison de rejets qu'autre chose, avant de finalement arriver à une conclusion simple. Tout le monde aimait Marco Bodt, avec ses fossettes et ses adorables taches de rousseur. Alors ils avaient tout simplement préféré oublier le problème de son originalité en se voilant la face, gardant ces histoires dans un coin pour quand ils seraient plus grands, plus matures. Ce n'était pas vraiment une solution en soi, mais c'était un début. En face d'elle, le brun continuait de lui sourire et elle dû s'avouer vaincue à son tour. Se levant, elle attrapa ses affaires avec joie et reconnaissance.
« Merci, et encore désolée.
_ Repose toi bien. »
Sérieusement, qui pourrait ne pas aimer Marco Bodt ?
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Elle marchait d'un pas alerte en traversant les pelouses de l'établissement, ses yeux balayant les alentours à la recherche d'elle ne savait trop quoi au juste. La main dans la poche de sa veste, elle tenait serré son téléphone, s'attendant à ce qu'il vibre à tout moment. Elle n'arrivait pas à s'expliquer cette tension qui s'était emparée d'elle, ni pourquoi elle avait tant espéré. Après tout ça ne faisait même pas 24h qu'elle avait donné son numéro à Ymir, c'était normal qu'elle ne l'ait pas encore recontactée non ? A moins qu'elle attende que ce soit elle qui fasse le premier pas ? Elle arriva au portail du lycée et elle sentit son cœur bondir hors de sa cage thoracique quand un blouson noir entra dans son champ de vision. Elle s'arrêta brusquement et le bruit de ses chaussures raclant le sol fit se retourner Jean, qui lui jeta un regard peu amène. Il semblait attendre quelqu'un, mais elle s'en fichait royalement. Ce n'était pas la personne que elle attendait. Reprenant son chemin, elle sentit la déception former une boule compacte dans le creux de sa gorge. Ses pieds suivant seuls la route familière qui la reconduirait chez elle, un nouvel espoir lui gonfla la poitrine quand elle passa devant une ruelle qu'elle reconnut aussitôt. S'engouffrant entre ses murs peu hospitaliers, elle se molesta pour sa stupidité de n'y avoir pas pensé avant. Bien entendu que la motarde devait se trouver là, assise sur le siège de sa bécane, entourée de ses compagnons à l'air aussi menaçant qu'elle. Quand la rue s'élargit jusqu'à former la placette où elles s'étaient rencontrée pour la première fois, la certitude de la voir était si forte que la chute n'en fut que plus grande. Il n'y avait personne, pas même un chat. Se mordant la lèvre sans y penser, Christa se remit à marcher en direction de sa maison.
Le repas se déroula en silence, sa mère étant d'autant plus glaciale qu'elle était toujours en colère pour la veille. La petite blonde lui en fut plutôt reconnaissante, elle qui n'avait de toute façon aucune envie de parler. Elle monta dans sa chambre dès qu'elle eut terminé de débarrasser la table, s'écroulant sur son lit sans même enlever ses chaussures. Elle se sentait comme vidée de toute force ou motivation, avec la seule envie de se rouler en boule et attendre que le jour suivant vienne. Mais au lieu de se laisser aller comme elle le souhaitait, elle se releva et s'attela à la tâche laborieuse de ses devoirs, ce qui eut le mérite de l'occuper au moins un temps. Une fois son dernier calcul bouclé, elle analysa le décor autour d'elle à la recherche d'une nouvelle occupation mais, ne trouvant rien, se décida à se glisser sous sa couette. Il était encore tôt, mais et alors ? Son lit était froid et il lui faudrait un moment pour le réchauffer. Plongée dans l'obscurité, son ouïe affinée parvenait à capter les sons de produisait la télévision à l'étage en dessous, les bruits caractéristiques d'une fusillade de film d'action. Fermant les paupières, elle soupira longuement et attendit que le sommeil vienne la cueillir. Quand elle se leva brusquement, attrapa son téléphone portable posé sur sa table de chevet et ouvrit de quoi écrire un nouveau message. C'était stupide, stupide, stupide. Pourquoi avait-elle attendu toute la journée alors qu'il lui suffisait de se lancer ? Alors qu'elle allait appuyer sur la touche « envoyer », une vibration lui fit trembler les mains en même temps qu'une petite enveloppe apparaissait dans le coin supérieur droit. Elle l'ouvrit avant même d'y penser.
[ ça y est, j'ai trouvé ! ]
[ De ? ]
Elle rougit quand elle réalisa qu'elle avait répondu aussitôt ; bon sang Ymir allait savoir qu'elle était collée à son téléphone, à patienter comme une imbécile ! Christa avait envie de s'énerver, de l'engueuler pour avoir mis tant de temps à lui parler, alors même qu'elle savait que ces sentiments étaient totalement déplacés. Et puis son nom s'était affiché sur l'écran et tout avait disparu. Elle était à peu près sûre que la jeune femme allait se moquer d'elle pour sa réponse si rapide, mais elle était bien trop contente pour s'en soucier réellement.
[ une devinette ! j'ai passé la journée à me demander comment lancer la conversation le plus coolement possible tvois et finalement j'ai trouvé ! une devinette ! (et wow, tu tapes plus vite que l'éclair, je t'ai manquée krrkr ?)]
Quelle idiote. Quelle idiote, quelle idiote, quelle idiote. Pourtant, la petite blonde n'arrivait pas à s'empêcher de sourire alors qu'elle relisait encore et encore le message. Alors comme ça elle n'avait pas été la seule à se prendre la tête toute la journée ? Cette idée lui faisait tout drôle. Et alors qu'elle essayait toujours en vain de décrocher ce foutu sourire de son visage, ses doigts écrivaient tout seuls.
[ Oui. ]
Puis, la réponse tardant à venir :
[ Alors, tu me la racontes cette devinette ? ]
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Les jours suivants se déroulèrent dans une parfaite tranquillité. Christa ayant retrouvé un rythme de sommeil plus habituel elle ne s'endormit plus en cours et le petit incident fut rapidement oublié. Son quotidien retrouva sa normalité, entre les études et les activités extra-scolaires, elle réussit avec brio un examen en géographie qu'elle avait passé son week-end à réviser et s'accorda le luxe de manger en ville un midi plutôt qu'à la cantine comme elles le faisaient en général avec Sasha. Conny, le petit ami de cette dernière, se joignit à elles pour l'occasion et elle passa un réel bon moment – qu'elle cacha bien entendu à sa mère, sa privation de sortie étant toujours d'actualité. Un soir, Reiner vint la voir pour lui proposer d'aller boire un verre et pour la première fois elle fut vraiment heureuse que sa génitrice l'ait punie de la sorte. Le garçon s'en retourna dépité mais jurant de réussir, un jour. Vraiment, c'était comme si rien n'avait changé dans la vie de Christa. A l'exception des sms qu'elle recevait occasionnellement et du regard un peu plus lumineux qu'elle avait à ces moments-là.
Le professeur d'anglais était en train d'écrire une liste de vocabulaire sur le tableau noir que Christa s'appliquait à noter. Jetant un coup d'œil à sa droite, elle retint avec difficulté un sourire en voyant le visage déformé par l'ennui de Sasha. La pause déjeuner venait de se terminer et elle connaissait assez son amie pour savoir qu'elle était en pleine digestion à l'heure actuelle et donc incapable de garder son attention focalisée sur autre chose que ses rêveries. Retournant à sa feuille, elle soupira en songeant au cours qui commençait à peine et la flemme profonde dans laquelle il la plongeait. Une vibration soudaine dans la poche de son pantalon manqua de la faire sursauter et malgré sa curiosité elle résista à l'envie d'attraper son téléphone pour lire le contenu du message qu'elle venait de recevoir. Elle devrait attendre l'intercours, c'était le règlement du lycée qui le stipulait. Son stylo traçant des lettres soignées, elle se tendit brusquement quand son portable vibra pour la seconde fois. Puis la troisième, et la quatrième. Bon sang, qu'est ce qui se passait ? D'habitude Ymir n'était jamais aussi pressée – car il était évident que c'était elle, la petite blonde n'ayant pas donné son numéro à tant de personnes que cela – quelque chose avait dû se produire pour la faire réagir ainsi. Alarmée et vaguement inquiète, elle jeta un regard à l'enseignant pour vérifier qu'il ne lui accordait aucune attention puis, lentement, à gestes mesurés, elle sortit l'appareil de sa poche. Elle avait l'impression d'être une affreuse criminelle, son cœur battant la chamade à la simple idée qu'elle puisse se faire prendre. Dieu que c'était grisant.
[ jeee m'eeeeennuiiiiiiiiiiie ! aiide moiiiiiiiiiiii ! ]
[ pitiéééééééé ]
[ alleeeez, tigreeeesse ! ]
[ heeeeeeeeelp ]
Christa cligna lentement des paupières. Non, elle ne pouvait pas être sérieuse n'est-ce pas ? Le téléphone vibra une nouvelle fois et elle faillit le lâcher sous la surprise, son agitation lui attirant un coup d'œil de son professeur. Elle lui sourit doucement, le temps qu'il se détourne, avant de plonger sur son clavier.
[ je meuuuuurs ]
[ Ymir ! Je suis en cours ! ]
Et voilà, elle venait d'envoyer son premier sms en classe de toute son existence. La motarde avait décidément une très mauvaise influence sur elle. Cette fois-ci, elle ne s'étonna pas quand elle reçut une réponse rapide.
[ et alors ? moi aussi ! et c'est justement pour ça que j'ai besoin de toi pour m'occuper ]
La jeune fille fronça légèrement les sourcils, partagée entre l'inconfort de cette situation et l'intérêt que réveillait Ymir en elle. Etrangement, elle avait toujours imaginé la brune comme une marginale vivant d'air pur et d'eau fraiche, éventuellement avec un travail à mi-temps quelque part, savoir qu'elle était une étudiante comme elle mettait un peu fin à ses rêves éveillés. Adieu cliché, bonjour réalité. Elle voulait en savoir plus, mais l'angoisse d'être découverte et punie restait bien présente dans ses pensées. Un dernier regard à son enseignant et aux choses profondément ennuyantes qu'il expliquait suffirent à la convaincre.
[ En cours de quoi ? Tu étudies quoi exactement ? ]
[ biochimie, et je suis en 1ere année à la fac de sciences. pourquoi ? je pensais pas que ce genre de trucs t'intéresserait ]
Elle se mordilla pensivement l'intérieure de la lèvre, ne sachant trop quoi répondre. Finalement, elle décida de simplement opter pour la vérité.
[ Je suis juste curieuse ! J'ai l'impression que toi tu sais tout sur moi alors que moi je sais rien du tout. C'est pas juste. ]
Des choses que même sa meilleure amie ignorait… Sasha était toujours en train de somnoler sur son bureau, masquant son visage endormi derrière son manuel d'anglais, ce qui la fit sourire.
[ n'iiimporte quoi ]
[ Tu sais dans quel lycée je vais, dans quelle rue j'habite, tu es au courant de toute mon histoire familiale… ]
[ je connais pas ta couleur préférée ]
Gonflant les joues, elle eut du mal à se forcer à la discrétion. Cette Ymir, elle faisait exprès de la faire tourner en bourrique !
[ Roh ! Je suis sérieuse tu sais ! ]
[ pardon haha, mais c'est vrai ! allez, on a qu'à jouer à question-réponse alors, ça fera passer le temps et ça devrait assouvir ta soif de savoir ]
[ Très bien ! Alors, tu as quel âge exactement ? ]
Elle avait fait le calcul rapide dans sa tête déjà, mais elle voulait être sûre. Après tout, peut-être que la jeune femme aux taches de rousseur avait sauté ou redoublé une classe, elle ne pouvait pas le prédire. Mieux valait demander directement à l'intéressée.
[ pile poil la majorité et toi ? ]
[ 16. Ta date d'anniversaire ? ]
[ hé, c'est à moi de poser une question là ! ]
L'énervement manifeste de sa correspondante lui tira un sourire et un rire ténu s'échappa de ses lèvres.
[ Non, tu m'as demandé mon âge, ça compte comme une question ! ]
[ grmmpf, 17 février. c'est bon c'est mon tour là ? ]
Déjà passé. L'idée qu'elle aurait 17 ans avant qu'Ymir ne prenne une année supplémentaire lui procura une certaine satisfaction sans qu'elle sache vraiment pourquoi. Après tout, leur écart d'âge était plutôt minime et… pourquoi s'en souciait-elle au fait ?
[ Oui, à toi ! ]
[ ta taille de bonnet ? ]
Christa s'étouffa avec sa propre salive, juste avant de réaliser qu'une ombre plus imposante la surplombait. Levant les yeux, elle croisa ceux noirs de son professeur d'anglais. A ses bras croisés et sa mâchoire saillante, elle se douta qu'un simple sourire ne suffirait pas à l'amadouer cette fois-ci.
« On ne vous dérange pas trop j'espère, mademoiselle Lenz ?
C'était la première fois qu'un membre du corps professoral la disputait réalisa-t-elle. Pire, c'était la première fois qu'un membre du personnel de l'école la disputait, même le concierge ne lui avait jamais crié dessus parce qu'elle avait marché sur le carrelage qu'il venait de laver. Déglutissant, elle se demanda comment elle était censée répondre.
_ Euh… non ? »
Sasha la regardait avec une mine horrifiée. Elle comprit un peu tard qu'il n'y avait pas de bonne réponse.
« C'est un manque flagrant de politesse, vous savez ? De nos jours, les jeunes se fichent totalement de l'autorité je le sais bien, et que dire du respect dû aux aînés ! Sauf que les parents ne comprennent pas cela bien sûr, ils ne comprennent pas que leur petite tête blonde ne peut résister à l'attrait d'un téléphone et plus tard, quand elle rate ses examens, sur qui cela retombe-t-il ? Sur l'élève inattentif ? Non, évidemment, sur le professeur qui a fait de son mi-
_ Ça va, c'est juste un texto… »
La phrase était sortie avant qu'elle ait le temps de la réfléchir. A côté, les yeux de Sasha lui sortaient presque de la tête, tandis que ceux de l'enseignant jetaient des éclairs. Christa se demanda quelle mouche avait bien pu la piquer, elle ne se savait pas capable de tant d'impertinence, et aux exclamations étouffées elle comprit que ses camarades de classe non plus. Mais ça avait été plus fort qu'elle sur le moment, elle avait ressenti le besoin de s'exprimer, de mettre fin à cette tirade sans queue ni tête qui avait pour unique but de la faire culpabiliser. Oui, elle savait que c'était mal. Mais non, elle n'allait pas rater ses études pour autant. Elle était assez mature pour savoir rattraper ses absences. Elle sentit son portable vibrer dans sa paume, signe qu'Ymir s'impatientait.
« Dans ce cas, je vous invite à aller "textoter" ailleurs que dans ma classe. »
L'ordre était clair, de même que le geste en direction de la porte. Calmement, tout en dignité, la petite blonde ramassa ses affaires et les rangea dans son sac. Elle sentait tous les regards fixés sur elle, mais elle fit en sorte de les ignorer. Voilà, adieu son image de Reine parfaite. Sasha semblait lui mimer des choses mais elle ne comprenait rien, aussi se contenta-t-elle de lui sourire en lui faisant comprendre qu'elles en parleraient à la récréation. Quittant la salle, elle salua poliment avant de fermer la porte en douceur derrière elle. Les couloirs étaient vides et une étrange sensation de puissance s'était mise à couler dans ses veines, lui donnant un sentiment de joie là où elle aurait dû être abattue et déprimée. Sifflant gaiment, elle prit la direction de la cour où le soleil brillait.
[ je suis sûre que c'est du b ]
[ Ça ne te regarde pas ! ]
Crédits : les personnages appartiennent corps et âme à Hajime Isayama, pour aujourd'hui et à jamais.