Résumé : Un des plus beaux jours de la vie de John tourna rapidement au cauchemar.

A lieu un an après Adventures in Adolescence. John a 17 ans, Sherlock en a 16. On est en 1986.

Note de l'auteur :

Avertissement : rapports sexuels non-explicite entre mineurs, homophobie, maladie mentale (réelle et simulée), mention de maltraitance envers des enfants.

Vous vous souvenez quand j'ai dit que cette partie sera moins axée sur l'intrigue ? Je me suis trompée.

Merci à tous pour tous vos commentaires sur Adventure in Adolescence. Vous êtes géniaux !

Note de la traductrice : Et voilà on embarque pour la deuxième partie. Un grand merci à ceux qui vont continuer avec cette histoire, merci pour vos encouragements sur AiA et j'espère que cette partie vous plaira tout autant.

Edit: chapitre maintenant relu et corrigé par Tshu !


Sins of our father partie 2 : A paper house

Chapitre 1

...

La rose était posée au bord de l'oreiller de John, l'accueillant lorsqu'il ouvrit les yeux au son strident de son alarme. Il frappa son réveil et prit doucement la fleur. Quelqu'un avec des doigts délicats l'avait créée avec un seul bout de papier rouge. Quand il la retourna, une clé épaisse tomba sur le lit. Elle a été soigneusement peinte de la même couleur rouge sombre que la fleur.

Il balaya sa chambre des yeux, mais il n'y avait aucun autre signe d'intrusion. Pas comme s'il s'attendait à voir quelque chose. Sans aucun doute l'effraction avait été facilitée par le fait que l'intrus avait sa propre clé, que John lui avait donné il y a quelques mois. John voulait désespérément résoudre le mystère de la clé tout de suite, mais il avait cours et il était trop proche de la fin pour commencer à sécher maintenant.

« Harry ! » Il frappa à sa porte alors qu'il se dirigeait vers la douche, sifflant en chemin.

« Qu'est-ce qui te met de si bonne humeur ? » demanda-t-elle avec amertume au-dessus de son bol de céréales.

« Je suis juste de bonne humeur. » Il la resservit en jus d'orange.

« Eh ben arrête. C'est agaçant. »

Même sa mauvaise humeur perpétuelle le matin ne pouvait pas assombrir son état d'esprit. Sherlock lui avait donné quelque chose sans raison apparente. Le même garçon qui ignorait les anniversaires et les fêtes et qui détestait tout ce qui détenait un soupçon de sentimentalité, avait donné à John le meilleur cadeau qu'il avait : une énigme.

A l'heure du déjeuner, il pensait qu'il l'avait résolue. La peinture avait une certaine brillance qui ne pouvait être que du vernis. Cette exacte couleur ne pouvait renvoyer qu'à une seule personne. Il était intrigué par le pourquoi et n'avait toujours aucune réponse quand il eut fini les cours pour la journée. Prendre le chemin habituel vers l'Academy n'allait pas. Si John était impatient de commencer, alors Sherlock devait probablement être proche de l'explosion. Il voudrait voir John commencer immédiatement.

La résidence des Holmes n'était jamais devenue un lieu familier pour John. Peu importe combien de fois il avait rejoint Sherlock là-bas ou trainé dans sa chambre, il y avait une ambiance étrange dans cet endroit. Peut-être que Sherlock ressentait la même chose car il invitait rarement John. C'était certain que ni l'un ni l'autre n'était désireux de s'embrouiller avec le père de Sherlock. Aujourd'hui, alors que John appuya sur la sonnette, il pria intérieurement pour que ce ne soit pas M. Holmes qui réponde.

« Qui est-ce ? » La voix de la bonne appela à travers la porte.

« Salut Jeannette. C'est John. Je peux entrer une minute ?

- J'ai peur que Sherlock ne soit pas là.

- Ce n'est pas grave. Il m'a demandé de passer prendre quelque chose pour lui.

- Evidement. » La porte s'ouvrit, une Jeannette exaspérée le fit entrer. « Je te jure que ce garçon pense que tu es son esclave.

- Ça ne me dérange pas. » Il se dirigea vers la chambre de Sherlock pour corroborer son mensonge, attendant que Jeannette retourne à sa tâche ingrate de combattante de poussières.

Quelques minutes plus tard, il redescendit l'escalier en direction de la chambre de malade de Mme. Holmes. Elle n'attendait plus ici maintenant, la mort lui faisait la cour à l'hospice. John avait réussi à convaincre Sherlock d'aller la voir une fois, mais après avoir vu son corps comateux, Sherlock avait violement déclaré qu'il refusait de prétendre qu'un corps qui ne pouvait plus que respirer se souciait de sa présence d'une manière ou d'une autre. Ils avaient quitté l'hospice et marché sans but pendant des heures, en silence. Pas une seule larme n'avait coulé, mais John ne doutait pas un instant de la peine de Sherlock.

Peu importe le jeu que Sherlock avait commencé à jouer aujourd'hui, il avait voulu l'inclure d'une certaine manière. Cette chambre contenait plus de trace d'elle que n'importe où dans le reste de la maison. Dès qu'il entra, il vit la deuxième rose délicate reposant sur le lit d'hôpital, juste là où une main élégante avait autrefois été tendrement entretenue.

Il la ramassa et la retourna. Rien n'en sortit. Fronçant les sourcils, il regarda autour du lit, mais il n'y avait pas d'autres indices. Détestant faire ça, John arracha doucement les pétales de la fleur. Il y avait une suite de chiffres griffonnés au bout. Il passa un doigt par-dessus, essayant d'en trouver le sens. Ce n'était pas une date ni un numéro de téléphone. Des coordonnées. Remontant les escaliers au pas de course, il attrapa une des nombreuses cartes de Londres annotées de Sherlock. Doucement, il traça la longitude et la latitude.

« Trouvé. » John sourit. « Toujours aucune idée du pourquoi »

Le métro était bondé, mais John le remarqua à peine alors qu'il tentait de replier la rose dans sa forme originale. Comme beaucoup de chose, il pouvait voir comment Sherlock avait fait, mais il était incapable de reproduire le résultat. Il décida de demander un jour à Sherlock de lui montrer, seulement dans le but de voir ces doigts minutieux travailler sur une tâche aussi futile et belle.

Quand il émergea dans la faible lumière de l'hiver, il scruta la rue. Pas de Sherlock, mais une vitrine attira son attention. Au milieu des pains et des brioches, une rose rouge avait éclos. Il entra dans la boutique. Elle était presque vide, à l'exception d'un homme énorme derrière le comptoir qui lançait un regard meurtrier à la caisse, appuyant sur les boutons comme s'ils pouvaient mordre.

« Heu, excusez-moi. » John zigzagua entre les étagères d'huile d'olives et de biscuits. « Ça peut paraitre bizarre, mais est-ce que la fleur dans la vitrine est pour moi ?

- Ah ! Tu dois être l'ami de Sherlock ! » L'homme passa de meurtrier à joyeux en un clin d'œil. « Il a dit que tu passerais. Mais il pensait que tu mettrais plus de temps à arriver jusqu'ici.

- Vraiment ? » John leva les yeux au ciel. « Donc la rose est pour moi ?

- Oh non. Il a dit que c'était une vraie alors ça ne marcherait pas. Aucune idée de ce qu'il voulait dire, mais il m'a laissé ça. » Fouillant sous le comptoir, le boulanger sortit une troisième rose en papier. Elle était blanc cassé. « Et il a dit que tu voudrais peut-être cela. »

John prit la rose dans une main et le pain au chocolat encore chaud dans l'autre. Ça sentait bon. Il a sauté le casse-croute qu'il prenait habituellement après les cours et maintenant il était presque l'heure du diner.

« Merci, vraiment. » Il mordit dedans.

« C'est moi. Sherlock est un bon garçon. Il a découvert que mon ancien employé volait derrière mon dos, tu imagines ? hissa l'homme. Maintenant je dois comprendre comment marche cette foutue machine moi-même. Toujours mieux que de se faire arnaquer par un punk à deux sous. »

John s'échappa de la boutique après avoir écouté pendant cinq atroces minutes le boulanger se plaindre de la machine. Fourrant le dernier morceau de pain au chocolat dans sa bouche, il tourna son attention vers la troisième rose. En plus de la couleur, la fleur avait aussi plus de pétales. Pourquoi ces différences ?

Il parcouru la rue des yeux, vérifiant chaque vitrine même s'il était peu probable que Sherlock se répète. A force d'errer, il se retrouva au coin opposé de la rue et leva les yeux vers le panneau indiquant son nom. Les autres piétons s'écartèrent du garçon riant tout seul au coin de la rue.

Sherlock affirmait que les cours d'histoire transmettaient l'ignorance, se moquant de John pour son intérêt pour la matière. Ça devait donc être un acte de grande dévotion pour lui de se rappeler assez de détails ennuyeux pour donner à John une rose blanche à York Street. (1) C'était avec une confiance nouvelle que John compta les pétales, devinant qu'elles cachaient une adresse. Le numéro 5 était un immeuble vieillissant, les quelques marches à l'avant un peu émiettées. Une série de sonnettes était accrochée à côté de la porte, la plupart des noms flous, rayés ou écrits par dessus.

« D'accord. » Il pouvait toutes les essayer jusqu'à trouver la bonne, mais ce n'était pas jouer le jeu.

La fleur lui avait déjà donné toutes les informations qu'elle possédait, donc l'indice devait être sur les sonnettes. Aucune des étiquettes ne semblait plus récente que les autres. Il vérifia les vis de la plaque de métal pour voir s'il y avait des rayures ou des signes d'altération puis vérifia chaque sonnette. Fronçant les sourcils, il examina chaque nom. A sa plus grande surprise, la dernière étiquette pour l'appartement 8D, toute aussi délavée et jaune que les autres, comportait un nom écrit au-dessus d'un autre qui était en effet très familier : ''Watson''.

« C'est quoi ce bordel ?! » Il appuya dessus. Un verrou automatique s'ouvrit, le laissant entrer dans le hall. Ça sentait vaguement le curry et l'encens. L'ascenseur émit un petit grincement et s'ouvrit sur un bruit métallique.

Le trajet jusqu'au huitième étage était plutôt instable et il était plutôt content de sortir de l'ascenseur et d'avoir survécu à cette expérience. Il n'y avait que quatre portes, chacune avec un signe distinctif. De la musique bruyante filtrait de sous la porte du 8A quand John passa devant, et il était presque sûr d'avoir senti une odeur de marijuana flotter près du 8C. La porte du 8D était fermée. Il fouilla dans sa poche à la recherche de la clé vernie de rouge. Il dut forcer un peu pour la faire rentrer. Le vernis l'avais rendu un poil trop large, mais c'était certainement la bonne clé. Triomphant, John ouvrit la porte.

L'appartement était à peine plus grand qu'un timbre-poste, et il semblait encore plus petit à la vue de la quantité de trucs entassés dedans. Des équipements de chimie encombraient la kitchenette, entrant en compétition avec les piles de livres. Ceux-ci étaient empilés sur le sol jusqu'à un bureau qui semblait beaucoup trop cher dans l'appartement délabré. Sa surface était étonnement propre, comportant seulement une machine à écrire élégante. Le seul placard avait été rempli de vêtements, mais seulement du côté gauche, laissant le droit parfaitement vide. Un lit dominait le reste de l'espace habitable, recouvert de draps blancs et d'une couette rouge. Assis sur le lit, comme un empereur surveillant son royaume chaotique, se trouvait Sherlock.

« Salut, catastrophe, dit John avec un sourire. Alors, c'est quoi tout ça ?

- Je pensais que c'était évident. » Sherlock lui fit signe et John réduisit la distance qui les séparait. « Tu n'arrives pas à deviner ?

- On dirait que tu t'es trouvé un appart'. Comment ? Pourquoi ? » Il s'assit sur le lit, prenant ses pommettes tranchantes entre les mains pour pouvoir embrasser Sherlock comme il devrait toujours être embrassé : minutieusement et passionnément. Ça dura plusieurs merveilleuses et désordonnées minutes avant que John ne se recule suffisamment pour laisser Sherlock répondre.

« Notre appartement, annonça Sherlock. Ou tu pensais que la machine à écrire était pour moi ?

- Je me demandais justement. » John balaya du regard le minuscule espace. « Notre appart'… Je dois demander à nouveau. Comment ? Pourquoi ?

- Tu as surement remarqué que c'était proche de King's College. Comme ça on n'aura pas besoin de rester dans d'horribles chambres sur le campus avec des lits séparés.

- On ? demanda John faiblement. Sherlock…

- Je me suis inscrit. » Une autre rose apparut dans les mains de Sherlock. John pouvait y distinguer quelques mots dactylographiés et un timbre familier. « J'ai dit à mon père que si je n'avais pas le droit d'entrer à l'université cette année, j'organiserais un scandale international.

- Tu pourrais aller partout, protesta-t-il. Cambridge, Oxford… partout.

- Prétentieux et surfait, coupa Sherlock brusquement. Pas un seul endroit ne pourrait m'apprendre quelque chose maintenant. J'ai seulement besoin d'un endroit qui me laisse assez tranquille pour mes expériences.

- Je… On ne commence pas avant des mois. Ce n'est pas… comment tu payes pour ça ? Comment on est supposés continuer à payer ?

- Un compte en banque a été ouvert pour quand je commencerais l'université. » Sherlock posa la quatrième rose dans les mains de John. « J'ai convaincu l'avocat de la famille qu'être accepté était la même chose.

- Bien sûr. » John rit, bouleversé et à bout de souffle. « Je ne peux pas emménager avant la fin du semestre.

- Moi non plus alors.

- On dirait bien que tu l'as déjà fait.

- Seulement quelques bricoles. » Sherlock montra la pagaille d'un geste de la main.

« Ma mère va remarquer qu'il n'y a qu'un seul lit.

- Pourquoi ? Elle ne vivra pas ici.

- Non, mais elle va me rendre visite. Tout comme Harry.

- Oh, vraiment ? » Sherlock fronça les sourcils. « Oui. Elles passeront. Bien sûr. Ca a une importance ?

- Je vais devoir lui dire. » Avec un soupir, John reposa sa tête contre le mur. « Je ne sais pas du tout comment elle va réagir.

- J'espère que mon père fera un arrêt cardiaque. » Un sourire malicieux traversa le visage de Sherlock. « Oh, tu devrais être là quand je lui dirai. Avec ton air peu recommandable.

- Ça serait génial », approuva vaguement John, tournant et retournant toujours la situation dans sa tête. Il pensait avoir des mois pour trouver une solution. Et pourquoi est-ce que Sherlock avait pris la peine de trouver cet endroit si tôt ? Il devait savoir que John ne pouvait pas se lever et partir de chez lui. Quelque chose à voir avec le jour alors, quelque chose de spécial. « Sherlock, est-ce que c'est notre anniversaire ?

- Oui, bien sûr. » Sherlock plissa les yeux. « Pourquoi je ferais ça sinon ?

- Je ne savais pas, admit John. Ca fait de moi un petit-ami terrible, je sais mais… comment je pouvais deviner ? Tu déteste tous ces trucs. Tu ne voulais même pas me souhaiter un joyeux anniversaire.

- Les anniversaires n'ont aucun sens. » Avec les lèvres serrées, Sherlock se releva du lit pour regarder par la seule fenêtre, sale, de l'appartement. « Tu n'as pas à donner ton avis sur le jour de ta naissance, ce n'est pas important ou imprégné de plus de pouvoir que n'importe quel autre jour. Ca marque seulement le passage du temps.

- Mais pas les anniversaires de couple ?

- Ils ne sont pas arbitraires, dit Sherlock d'un ton sec. Tu m'as fait une promesse. Je t'ai fait une promesse. On a rendu le jour important.

- C'est… la chose la plus romantique que je n'ai jamais entendu, en fait, dit John, un peu sans voix. Je suis désolé de n'avoir pas pensé à te prendre quelque chose.

- Ça n'a pas d'importance », murmura Sherlock, mais il permit à John de se lever pour le prendre dans ses bras.

- Ca a de l'importance, répondit John fermement. Merci. Pour… tout. J'ai adoré cette journée. J'adore cet horrible appartement. C'est merveilleux.

- C'est seulement légèrement horrible », corrigea Sherlock, la tension quittant ses épaules. « Je ne suis pas romantique. N'attends pas ça de moi.

- Tu as abandonné Oxford et m'a offert une machine à écrire et un appartement. Et des roses. Désolé, trop tard pour tout reprendre. » John s'avança pour embrasser le bout de son nez. « La crédibilité de ton cynisme est ruinée, Cupidon. Comment je vais faire pour rivaliser ? J'ai envie de faire quelque chose de ridicule maintenant, comme t'acheter une ramette de papier et construire une maison avec.

- Je préfèrerai beaucoup que tu m'emmènes au lit », grogna Sherlock et tous les poils du corps de John dressèrent.

« Oh merde. Le lit. Sherlock. Comment je vais m'en sortir avec les études si je t'ai toi et un lit et de l'intimité à portée de main tout le temps. » Il gémit, se mettant déjà au travail pour retirer la chemise de Sherlock. « Je vais foirer.

- Idiot. » Sherlock poussa John en arrière sur le matelas. « Comme si j'allais te laisser. »

Ils avaient appris à se connaitre pendant l'année passée, mais ils n'avaient jamais eu le luxe d'autant d'intimité avant. Cela donnait un cocktail grisant et ils n'eurent aucune retenue. Dans la foulé, transpirants et exultants, ils se blottirent dans les draps frais et John se sentit proche de l'explosion de joie.

« Je vais lui dire ce soir », décida-t-il, déposant des baisers le long de la courbe douce de la clavicule de Sherlock. « Tu nous as donné un endroit où nous réfugier si elle réagit mal.

- Pourquoi ce soir ?

- Parce que je suis heureux et que j'en ai marre de mentir. Sais pas. Elle va se demander où j'étais. J'étais censé être à la maison pour le diner. » Le creux de la gorge de Sherlock avait un goût plus salé que le reste de son corps. « Je veux être honnête avec elle. »

Il leur fallut encore une heure pour se préparer, partager une douche dans la cabine étroite en prenant leur temps pour se laver. Quand ils furent finalement habillés, Sherlock tint la veste de John ouverte pour lui. Faisant glisser ses bras à l'intérieur, ils furent brièvement pressés l'un contre l'autre. Sherlock enfouit son nez dans les cheveux courts de John.

« Promet moi, demanda-t-il.

- Je te promets », jura John et l'entraina à contrecœur vers la porte.

C'était au moment où ils passèrent la porte d'entrée et que sa mère le fixa avec un regard furieux, que la réalité de ce qu'il allait faire le frappa. Vraiment heureux que Sherlock soit là avec lui, il redressa les épaules.

« Salut, maman.

- Où étais-tu ? » La déception transparaissait dans sa voix. « Ça m'est égal que tu restes dehors un peu plus tard, mais pourquoi tu n'as pas appelé ? Honnêtement, ce n'est pas ton genre, Johnny. Bonjour, Sherlock.

- Bonjour Emma.

- J'ai pas vu l'heure passer. » John se balança d'un pied sur l'autre nerveusement. « Maman, il y a quelque chose que je dois te dire.

- Je t'écoute.

- C'est seulement que… » John prit une profonde inspiration. « Je suis avec Sherlock. Ca fait quelque temps et je pensais que tu devais savoir parce qu'on a décidé d'habiter ensemble l'année prochaine. »

Elle le regarda avec un air ahuri.

« C'est mon petit-ami », essaya une nouvelle fois John.

« Johnny… » Elle expira, tremblante et d'une voix étouffée. « Tu… tu es tellement jeune ! Tu ne peux surement pas être… tu n'es pas homosexuel.

- Sais pas. Je le suis probablement en fait. Ou plutôt ça n'a pas d'importance parce que je ne sors pas avec une fille. » Il haussa les épaules.

« Tu en as parlé avec le Dr. Taylor ?

- Non. Pourquoi je le ferais ? Ce ne sont pas ses affaires.

- Je ne peux… tu dois lui en parler. Tu ne peux pas juste… Johnny. Ce n'est pas toi ! Tu n'es pas anormal.

- Comment tu le saurais ? » Il cria vicieusement, à tel point qu'il pouvait sentir Sherlock sursauter légèrement derrière lui. L'acide et la bile commencèrent à bouillir en lui. « Tu n'es jamais à la maison ! Si je ne restais pas debout pour t'attendre, je ne te verrais jamais. Je dois imiter ta signature sur les papiers d'autorisation et sur mes interros tout le temps. Tu ne sais même pas ce que j'aime manger. Alors peut être que je suis anormal. Peut-être que je le suis depuis des années et que tu n'es jamais restée assez longtemps pour le remarquer.

- Johnny… » Elle commença à pleurer et John déglutit difficilement, résistant à l'envie de la consoler. « Je dois subvenir à nos besoins. Je ne peux pas juste… est-ce que tu me reproches le fait que tu… sois comme ça ?

- Je ne te reproche rien. Il n'y a rien à reprocher. Peut-être que je ne suis pas celui que tu pensais que j'étais mais je ne suis pas… fou ou quoi que ce soit. » Il tendit le bras en arrière pour attraper la main de Sherlock, cherchant du réconfort dans son étreinte. « Je suis désolé si ça te fait du mal, mais ça n'a rien à voir avec toi, vraiment.

- Comment tu peux dire ça. » Elle se mit vraiment à pleurer maintenant, avec d'horribles sanglots. « Je suis ta mère.

- Parce que c'est vrai. Ce n'est pas ton choix.

- C'est mon choix tant que tu vis sous mon toit. » Elle se leva, la colère prenant le pas sur les larmes. « Tu as fait ça juste sous mon nez. Dieu seul sait ce que tu as fait à Harry avec toutes ces… sottises.

- Je ne lui ferais jamais rien. » Les yeux de John se plissèrent avec furie. « Elle ne savait pas pour Sherlock et moi. Même s'il passe plus de temps avec elle que toi ! »

Elle recula comme frappée, posant une main sur la table de la cuisine pour se stabiliser.

« Sors. » Elle semblait infiniment fatiguée. « Je ne peux pas te voir là maintenant.

- Très bien, répondit-t-il d'un ton cassant. Je prends seulement quelques vêtements et j'y vais.

- Johnny non ! » La porte de la chambre d'Harry s'ouvrit brusquement et elle se jeta sur lui. Elle enroula solidement ses bras autour de sa taille. « Ne me laisse pas ici.

- Personne ne laisse personne. » Il posa une main sur sa tête, lissant les cheveux encore une fois impeccablement coupés par Sherlock. « Je vais juste partir pour quelques jours.

- Ne me laisse pas seule. » Elle tordit ses mains dans son pull.

John regarda sa mère, les larmes coulant sur son visage, puis Sherlock qui était resté bizarrement silencieux pendant toute cette épreuve. Son visage ne laissait rien transparaitre. John croisa son regard puis inclina sa tête vers Harry. Après une courte pause, Sherlock haussa les épaules et secoua la tête.

« Bien. Fais un sac pour la nuit. Tu viens avec nous. » Il la poussa vers sa chambre.

- Quoi ! » Emma essaya d'attraper Harry alors qu'elle passait à côté d'elle en courant. « Tu ne feras pas ça !

- Essaye de m'en empêcher. » Il suivit Harry, vérifiant qu'elle prenait bien un uniforme pour l'école le lendemain et un pyjama pour la nuit. Quand elle eut fini, Sherlock apparu, portant déjà le sac à dos de John.

« John Hamish Watson, si tu quittes cette maison avec elle, que Dieu me vienne en aide !

- Dieu est une illusion Mme. Watson, dit Sherlock gravement pendant que John prit Harry dans ses bras et la porta pour sortir de l'appartement. Aidez-vous vous-même si vous le pouvez. »

La porte claqua avec une horrible finalité derrière eux. Harry était devenue trop grande pour être portée il y a des années et normalement elle aurait fortement protesté à toute tentative, mais ce soir elle ne fit qu'enfouir son visage dans le cou de John. Il regarda Sherlock d'un air hébété pendant qu'il hélait un taxi. Le trajet vers l'appartement était maussade, Harry s'accrochant à John et refusant de parler. Il laissa sa tête retomber en arrière contre le siège, souhaitant avoir attendu après tout.

« Et si elle ne me laissait pas revenir ? murmura-t-il. Je n'aurais pas dû dire tout ça.

- C'est fait. » Sherlock le regardait de profil. « Les regrets sont inutiles. De toute façon elle te laissera revenir à la maison, tôt ou tard.

- Comment tu le sais ?

- Je suis un génie. » Sherlock sourit légèrement.

Même s'il se sentait complètement épuisé, John savait qu'il ne dormirait pas. Après un peu d'exploration, il trouva une bouilloire dans les placards en désordre et fit du thé. Harry se recroquevilla sur le lit, mais c'était difficile de dire si elle dormait vraiment. A défaut d'autre chose, John s'appuya contre le plan de travail. Sherlock était occupé à la petite table de cuisine, s'agitant avec des tubes à essai.

« John, dit Sherlock quelques temps plus tard.

- Mm ?

- Tu entends ça ?

- Entend quoi ? » Il écouta attentivement. Il y avait des sirènes gémissantes dehors. « Je n'entends rien avec tout ce bruit.

- L'ascenseur. Ils viennent là-haut.

- Qui ?

- La police ! »

La porte trembla sous les coups d'un poing la martelant, ponctuant la déclaration sifflante de Sherlock. Perplexe, John se pencha en avant pour ouvrir avant que Sherlock ne puisse l'arrêter. Deux policiers en uniforme se tenaient de l'autre côté. Un avait l'air profondément mal à l'aise alors que l'autre avait un air suffisant assez troublant. John se rappela péniblement de Moran.

« John Watson ? demanda celui à l'air suffisant.

- Je… ouais. C'est moi. Je peux vous aider ?

- Où est Harry Watson ?

- Elle est juste là-bas. » Il fit un geste vers le lit. « Je… qu'est-ce que c'est que tout ça ?

- Vous avez été accusé de kidnapping et vous venez de confirmer que l'enfant en question est avec vous ». L'agent ricana. « On vous emmène.

- Harry est sa sœur, coupa Sherlock. Il l'a emmenée avec le consentement de sa mère et seulement pour la nuit. Ce n'est pas vraiment du kidnapping.

- Vous êtes Sherlock Holmes ?

- Ca dépend de pourquoi vous demandez.

- Il est ici les mecs ! dit le flic dans sa radio. Rappelez-vous, il est probablement armé.

- Je ne le suis probablement pas, protesta Sherlock. Et même si je l'étais, je ne suis pas assez stupide pour utiliser une arme contre un agent de police.

- Bon à savoir. » L'autre policier soupira. « Donne nous tes poignets alors, gamin. »

Prudemment, John mit ses poignets derrière son dos, le claquement sec des menottes résonnant à ses oreilles. Deux hommes costauds en uniforme blanc passèrent à côté de lui. Ils agrippèrent Sherlock qui se débattit de leur poigne.

« Lâchez-moi ! » Comme une bête enragée, Sherlock donnait des coups de pied et fit grincer ses dents. Une aiguille apparut et s'enfonça dans la peau lisse de son bras.

« Hey ! » John se jeta en avant, stoppé par la poigne de fer des bras d'un officier autour de ses épaules. « Qu'est-ce que vous faites ? Vous ne pouvez pas faire ça !

- Votre ami a un fichier psychiatrique assez fourni pour tout un quartier et il est probablement impliqué dans un crime violent. » Le flic suffisant détourna John de l'appartement, le trainant pratiquement jusque dans le hall. « Il va directement en établissement psychiatrique.

- John », appela Sherlock puis perdit connaissance comme si toute la vie maniaque, vicieuse l'avait quittée d'un coup. John entendit vaguement Harry commencer à crier alors qu'on l'avait tirée dans le couloir et jetée dans l'ascenseur.

Des mains brutales l'emmenèrent à l'arrière d'une voiture puis disparurent à nouveau dans le bâtiment. Seul dans la voiture, il grogna de colère. Il n'y avait pas de poignées aux portes et ses mains étaient inutiles, ses poignets déjà irrités à force d'essayer d'enlever les menottes. Quand ils sortirent Sherlock du bâtiment sur une civière, quelque chose de vital se cassa à l'intérieur de John. Il se recula pour donner un coup à la porte avec ses deux pieds dans un rythme brutal et insensé. La voiture était légèrement secouée sous son attaque. Une femme dans un costume froissé conduit Harry hors du bâtiment et vers une autre voiture. Il redoubla d'effort, s'appuyant sur une réserve de force qui lui était inconnue. Aucune énergie n'était gaspillée en cris ou en pleurs, seuls deux pieds s'afféraient contre le métal.

L'agent plus amical revint finalement, ouvrant la porte au moment où John allait donner un autre coup et il faillit alors tomber par terre. Un bras fort le rattrapa.

« Calme-toi, gamin, s'il te plait. Ta mère nous a expliqué ce qu'il s'est passé quand on l'a contactée. Il y a eu un malentendu avec le père de ton ami, c'est tout. On va juste t'emmener pour quelques formalités administratives et régler tout ça, d'accord ? » Il avait une voix solide et stable et, malgré lui, John écouta. « Ta sœur rentre tout droit chez ta mère.

- Sherlock ? » supplia-t-il, regardant l'ambulance s'en aller. « S'il vous plait ne les laissez pas l'emmener.

- Ce n'est pas nous, gamin. Son père a orchestré ça. Ça n'a rien à voir avec un crime, vraiment. On l'aurait juste emmené avec toi. Quelque chose ne va définitivement pas. » L'officier fronça les sourcils. « Ecoute, je ne devrais pas te raconter tout ça.

- Alors pourquoi vous le faites ? » John se rassit dans son siège. Il n'y avait plus d'autre choix maintenant.

« Parce que tu te bats comme un diable pour protéger les gens que tu aimes. J'admire ça », dit l'officier sèchement en lui tapotant l'épaule. Ça lui rappelait douloureusement son père et il se déroba presque sous le contact. « Je vais t'emmener et m'occuper de toi à partir de maintenant. Désolé pour mon chef, c'est un con.

- Ouais, on peut dire ça », cracha John, regardant le trottoir d'en face où le flic béat se disputait avec un passant. « Vous avez le droit de dire ça ?

- Non, mais tu ne vas pas le répéter, hein ?

- Non. » C'était probablement une tactique pour le manipuler, mais John était trop fatigué pour s'en soucier. Sa haine pour tout ce qui touche la police pouvait être mise de côté pour un moment. « Je suis John Watson. Mais vous savez déjà ça.

- Agent Lestrade. » Il avait un sourire chaleureux, mais John n'avait rien à offrir en retour. « Tu penses qu'on peut aller au poste sans que tu ne détruises ma voiture ?

- Ouais. » John se réinstalla dans son siège. « Très bien. »

Effectivement, Lestrade ne laissa personne d'autre s'approcher de John une fois arrivé au poste. Le sergent s'en était allé immédiatement, et plusieurs intermédiaires avaient été chassés d'un signe de la main. Il n'y avait pas de cellule, seulement une pièce avec une table et deux chaises. Lestrade amena un verre d'eau, un stylo et de la paperasse. Il expliqua à John qu'il devait écrire une déclaration, qu'aucunes charges n'étaient retenues contre lui et qu'il serait libre de partir dès que tout ça sera fini. John remplit les petites cases et fit une déclaration d'à peine un paragraphe, hébété. Il n'admit pratiquement rien.

Ca semblait être des heures plus tard, heures que John passa à regarder les murs, nauséeux et en colère, quand Lestrade réapparut. Cette fois John était autorisé à le suivre à travers les longs couloirs vers la sortie.

« Vous savez quelque chose à propos de Sherlock ? » demanda-t-il comme ils approchèrent la porte qui lui rendrait sa liberté. On aurait dit qu'il pleuvait à l'extérieur. C'était de circonstance.

« Ce n'est plus de mon ressort maintenant. » Lestrade fronça les sourcils. « Ça n'a jamais vraiment été une question juridique pour commencer. Quelqu'un de très fort tire les ficelles.

- Son père le déteste. » John passa une main à travers ses cheveux qui étaient inconfortablement gras. Il voulait dormir pendant un siècle et se réveiller hier matin. « Sais pas comment il a découvert ce qu'il s'est passé. Ma mère a dû… ça n'a plus d'importance maintenant.

- Tiens, prends ça. » Lestrade déposa un carré de papier dans la main de John. « Si tu as besoin d'aide, tu appelles.

- Pourquoi vous vous en souciez ? » demanda-t-il amèrement, même s'il déposa la carte de visite dans sa poche.

« C'est ton petit-ami, n'est-ce pas ? » La voix aimable était devenue un murmure, mais ne devint pas menaçante.

« Ouais. Et alors ? » John le fixa avec un air de défi.

« Alors je comprends.

- Oh. » John se balança légèrement sur les talons.

« Seulement je ne pense pas avoir été aussi courageux que vous. » Lestrade fixa quelque chose au-dessus de l'épaule de John, perdu pour un moment. « J'aurais dû l'être. Maintenant il y a une fille et une bague. Restes qui tu es, gamin. Tu es sur la bonne voie.

- Um. » John se gratta l'arrière de la nuque. « Ouais. Bien.

- Mais vraiment. Appelle.

- Merci. » Il sortit sous la pluie.

Avant que John n'ait le temps de réfléchir à l'endroit où il allait aller, il remarqua un homme dans un costume impeccable, debout dans un coin sous un parapluie noir. Derrière lui une voiture noire discrète attendait. Se rendant compte qu'il n'avait pas le choix, John traversa pour se tenir dans le cercle parfait que formait la chaussée sèche sous le parapluie.

« Où est-il ? demanda John.

Je ne sais pas. » L'admettre tordait le visage de Mycroft en une parodie de honte. « Père ne veut pas me le dire, il ne répond pas à mes appels. J'ai envoyé des gens chercher.

- Tu sais, Sherlock disait toujours que tu n'avais aucune idée d'à quel point votre père était dérangé, mais je ne l'ai jamais cru. Je ne sais pas ce qui est pire, qu'il ait eu raison et que tu sois à ce point stupide, ou qu'il ait eu tort et que tu aies laissé ça arriver.

- Sherlock n'est pas en possession de tous les faits. » Mycroft balaya une peluche invisible de sa manche. « J'ai fait en sorte qu'il ne sache pas tout. Cette conversation peut être longue, je préfèrerais l'avoir dans la voiture. Je peux te déposer quelque part ? »

Pendant un affreux moment, l'esprit de John devint blanc. L'hystérie ne te va pas, John. La voix de Sherlock émergea dans son esprit. Mets tes émotions de côté et réfléchis.

« Tu peux m'emmener chez ma mère, puis ne déposer à la maison ? demanda-t-il.

- A la maison ?

- Notre appartement. » Il releva le menton, croisa ses bras sur sa poitrine et se prépara pour une dispute.

« Bien sûr ». Mycroft ouvrit la porte de la voiture et John se glissa à l'intérieur en premier.

« Alors parle maintenant. Qu'est-ce que Sherlock ne sait pas ?

- Pourquoi je te le dirais si je ne lui ai jamais dit ? » Mycroft leva un sourcil.

- Ne joues pas à ça, pas maintenant. » John se massa les tempes. « Tout ce que je veux c'est le sortir de l'endroit où l'animal que vous appelez ''Père'' l'a enfermé.

- Et si je pensais que c'est là qu'il devrait être ? » demanda-t-il de manière presque expérimentale, mais ça frappa John comme un coup de poing dans l'estomac.

« Il n'est pas plus fou que toi ! grogna John. Ils vont… mon Dieu Mycroft, ils vont noyer sa brillance et sa folie dans les médicaments et la thérapie jusqu'à ce qu'il devienne réellement cinglé !

- J'ai bien conscience de la gravité de la situation. » Le ton formel avait entièrement quitté la voix de Mycroft. « Je suis le plus âgé après tout. Père n'a jamais été un homme chaleureux, mais il était toujours intéressé. Il aimait me défier avec des jeux bizarres, des énigmes de logique. Ca a seulement pris une tournure sadique quand il est devenu clair que j'étais meilleur que lui. Chocs électriques, médicaments handicapants… les détails ne sont pas importants. Mais sois assuré que j'ai combattu dans la guerre contre Evelyn Holmes pendant la plus grande partie de ma vie.

- Je suis désolé. » John expira. « Sherlock n'est pas au courant ?

- Non, bien sûr que non. » Mycroft tourna lentement le manche de son parapluie. « Tu sais aussi bien que moi que les responsabilités d'un grand frère sont lourdes.

- Mais tu l'as laissé. » John n'abandonnerait jamais Harry, ne la laisserait pas être élevée par un monstre.

« Seulement à partir du moment où il a été assez fort pour se défendre lui-même. » Le parapluie tourna, hypnotisant et grave. « Et jamais complètement. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour le sortir de là, John, mais ça ne suffira peut-être pas. Père est son tuteur légal et il y a une liste sur l'état mental de Sherlock beaucoup trop longue pour crier au scandale.

- C'est moi qui ai fait ça, réalisa John. C'est de ma faute. J'ai tout dit à ma mère et elle a appelé ton père. Si je n'avais rien dit, il n'aurait pas eu cette dernière excuse.

- C'était inévitable. Tu as raison, j'ai ignoré à quel point les choses se dégradaient. Je pensais que le compromis tiendrait.

- Le compromis ?

- J'ai promis d'aider Père dans ses aspirations politiques à condition qu'il laisse Sherlock tranquille. » Mycroft laissa échapper un doux souffle d'air, l'équivalent d'un cri chez quelqu'un d'autre. « Je pensais que son désir de pouvoir sur le monde l'emporterait sur sa volonté d'avoir le pouvoir sur ses fils. J'ai fait une grave erreur de calcul. Qu'il ait eu l'occasion de te discréditer et de couvrir ses actions avec une parodie de légitimité ne sont que des détails. »

En dehors de la voiture, le monde continuait de tourner. Les premières lueurs grises de l'aube emplissaient les rues. Vingt-quatre heures plus tôt, John s'était réveillé avec une rose sur son coussin. Ca semblait être il y a tellement longtemps.

« Sherlock avait tort, dit John doucement.

- A propos de quoi ? » Le parapluie cessa ses rotations.

« Il a dit que jamais personne ne se soucierait de toi, mais c'est des conneries, dit John farouchement. Tu l'aimais assez pour le garder en sécurité, pour le protéger malgré tout. Ce qui fait que je me soucie de toi, beaucoup.

- Vraiment ? » Mycroft jeta un regard par la fenêtre, quel que soit la réaction qu'il ait pu avoir, celle-ci était perdue. « Tu ferais bien de donner ton numéro à ta sœur.

- Je n'ai pas de numéro.

- J'ai pris la liberté de faire installer une ligne téléphonique dans votre appartement. » Il fouilla dans la poche de sa veste pour en sortir un petit carnet relié en cuir et arracha une page à la fin. En la lui tendant, John remarqua le léger tremblement de la main de Mycroft. « J'appellerai quand y a du nouveau.

- Ça sera quand ? » Il l'enfonça dans sa poche avec la carte de Lestrade.

« Je devrais savoir dans un jour ou deux. Il n'y a pas beaucoup d'endroits discrets, et aucun n'est assez discret pour me retenir longtemps. » Mycroft lui donna ce qui ressemblait à un sourire. « C'est ce bâtiment, je crois. »

Ca l'était. John prit une profonde inspiration et se prépara à se lancer à nouveau sous la pluie. Une main sur son épaule l'arrêta.

« Je pense que tu veux peut-être ça. »

Un petit parapluie fut poussé entre ses mains et John l'ouvrit avec reconnaissance. La couleur rouge sang empêcha les remerciements de sortir de sa bouche. John jeta un regard noir à Mycroft qui le regardait sans comprendre. John essaya de lire quelque chose sur son visage mais ne trouva rien. Etait-il possible que même Mycroft tombe parfois dans le sentimentalisme, ou était-il en train de se moquer de Sherlock et par extension de John ?

« Parfois un parapluie est seulement un parapluie. » Mycroft lui fit un signe. « Je n'ai pas toute la journée, John. »

John monta les escaliers, douloureusement conscient de répéter la même démarche que la veille. Sherlock lui avait seulement prit des affaires pour la nuit, mais maintenant il voulait emmener tout ce qu'il pouvait porter. Il n'avait pas l'intention de revenir de sitôt, peut-être même jamais. Tout comme elle l'était déjà il y a douze heures, sa mère était assise à la table dans la cuisine, une tasse de thé froid devant-elle.

« Johnny ! » Elle sauta sur ses pieds comme pour l'embrasser, puis hésita devant son expression colérique. « Je suis tellement contente que tu ailles bien.

- Comment tu as pu faire ça ? » Il voulait cette étreinte. Il voulait se glisser dans ses bras et se faire réconforter. C'était une trahison profonde pour lui que la dernière source d'affection parentale qu'il lui restait lui ait été enlevée.

« Je ne savais pas où vous alliez ! » Elle déglutit difficilement. « J'ai mal réagi et je voulais… oh Johnny je suis tellement désolé. Tu as lâché une bombe et je…

- Tu as appelé le père de Sherlock, » dit John platement, refusant d'être indulgent. « Je t'ai dit à quel point il était horrible et tu l'as quand même appelé.

- Je pensais que vous étiez peut-être allés chez lui. » Elle soupira. « Tu as pris Harry et je… je ne sais pas ce que j'ai pensé. J'étais trop contrariée pour réfléchir correctement. Il semblait tellement gentil au téléphone, et puis la police m'a appelé…

- Ils me l'ont enlevé. » Il passa à côté d'elle. « Ils l'ont emmené. Ils l'ont drogué et si son frère n'était pas là je ne saurais même pas par où commencer à chercher. Alors je m'en fiche un peu de ton excuse. Je vais donner mon numéro à Harry puis je vais prendre mes affaires et partir.

- Johnny, s'il te plait, tu dois comprendre…

- Non, maman. Je ne dois pas. » Il entra dans la chambre d'Harry, refermant la porte derrière lui. « Tu es réveillée ?

- Ouais. » Elle sortit la tête de sous les couvertures, les cheveux en bataille. « Comment était la prison ?

- Ennuyant. » Il l'embrassa sur le front et copia le numéro que Mycroft lui avait donné sur un de ses cahiers. « Je dois y aller. Je ne peux pas t'emmener cette fois, mais je te promets que je reviendrai dès que j'aurai trouvé Sherlock.

- Il a de gros problèmes, c'est ça ?

- Je crois. »

Elle reposa sa tête contre sa poitrine et il l'enlaça pendant un moment. La fatigue commença à se faire sentir, alourdissant ses paupières. A contrecœur, il s'écarta.

« Appelle-moi si tu as besoin de moi. Je ne peux pas te promettre de décrocher tout de suite, mais continues d'essayer.

- Je t'aime » confia-t-elle doucement. Ce n'était pas une famille qui disait cela souvent. Ca ne faisait pas partie de leur routine au coucher ni lors des aux revoir le matin avant l'école. Maintenant qu'il y pensait, il n'était pas certain de se rappeler la dernière fois qu'il l'avait dit à quelqu'un.

« Moi aussi je t'aime. » Il l'embrassa une dernière fois puis sortit.

Sa chambre ressemblait à un pays étranger. Il sortit un sac de voyage de sous son lit et le bourra de vêtements. Puis il remplit son sac de cours avec les histoires qu'il avait écrit paresseusement ces derniers mois et quelques livres de poche, même s'il ne se sentait pas capable de se concentrer assez pour lire. C'était tout ce qu'il y avait à prendre. L'incendie avait détruit la plupart de ses anciens souvenirs, et il n'y en avait pas beaucoup de nouveau. Il souleva le tout et se dirigea vers la porte. Sa mère n'était plus là.

La voiture noire l'accueillit et en silence ils traversèrent la ville jusqu'à York Street. L'attention de Mycroft était tournée vers son carnet et c'est tout ce dont il était capable de faire pour rester éveillé. Quand ils arrivèrent, il sortit sans un au revoir. Le parapluie rouge l'amena à la porte sans une seule nouvelle goutte d'eau sur ses vêtements encore trempés. Quand il sortit la clé colorée de sa poche, il vit qu'elle avait bien exactement la même couleur que le parapluie.

L'appartement était toujours en désordre, rendu pire par les deux sacs remplis de John. Malgré sa fatigue, il accrocha et plia soigneusement ses vêtements dans l'espace que Sherlock avait laissé pour lui. Après avoir déposé ses livres sur une des piles tordues déjà existantes, il céda finalement. Il se glissa dans le lit qui avait traitreusement perdu l'odeur de Sherlock et tomba dans un sommeil agité.

Il rêva de l'incendie pour la première fois depuis des mois et se réveilla en nage. Titubant dans la salle de bain, il se recroquevilla lamentablement sous le jet chaud de la douche. Il utilisa le shampooing et le savon de Sherlock, comme s'ils pouvaient lui procurer une armure contre le monde. Aucun habit de Sherlock ne lui irait, mais il pouvait porter son odeur.

La personne venue installer le téléphone dans l'appartement a également laissé de la nourriture de base pour combler le vide laissé par tout ce que Sherlock avait l'habitude d'acheter. Ses crampes d'estomac obligèrent John à manger même si tout avait le goût sciure. Sa montre proclamait qu'on était au milieu de la matinée, même si le ciel pluvieux suggérait un une heure plus tardive.

Le téléphone sonna. Il se précipita dessus, faisant presque tomber parterre un objet en verre contenant un produit chimique.

« Allô ? » Il avait le souffle coupé, tenant l'appareil d'une seule main

« J'ai une adresse, dit Mycroft vivement. Tu vas pouvoir lui rendre visite dans deux jours. Les trois premiers, personne ne peut le voir. Même pas Père. Règlement de l'établissement.

- Bien… Très bien. » Deux jours de plus. Qu'est-ce qu'ils allaient faire à Sherlock en deux jours ? Il frissonna. « Comment je peux le faire sortir ?

- S'il te plait, n'essaies pas de jouer au héros. Vous serez traqués et irez vraiment en prison, John. Sherlock est encore un mineur aux yeux de la loi, et un dérangé en plus de ça. » Quelqu'un était en train de parler à Mycroft en arrière-plan, une douce voix féminine. « Merci Sydney, ça ne sera pas nécessaire.

- Je vais le faire sortir, d'une façon ou d'une autre. » John reposa finalement l'appareil. « Qu'est-ce que tu suggères ?

- Tu connais les méthodes de mon frère, John. Applique-les. Je te rappelle encore une fois qu'essayer de faire s'évader Sherlock est voué à l'échec. Tu dois te concentrer sur des méthodes légales. Je ferai de mon mieux pour te fournir tout le soutien nécessaire. » Mycroft parlait simplement, comme s'il commandait un café, mais John savait reconnaitre la peur dans la voix d'un Holmes quand il l'entendait. Mycroft était terrifié.

« Tu n'es pas seul cette fois, dit John fermement. Je te tiendrai au courant. »

Il raccrocha en souhaitant avoir un plan pour soutenir ses propos. Il s'assit sur la chaise de bureau et glissa une feuille de papier blanche dans la machine à écrire, sans aucune intention de taper quelque chose. Sherlock lui avait acheté une machine magnifique, et ses doigts s'attardèrent sur les touches pendant un bref moment, admiratif et triste.

« Pas le temps pour ça. » Il se secoua. « Réfléchis. »

Le problème était que John connaissait les méthodes de Sherlock, mais il n'avait pas son intelligence. Il ne pouvait pas sortir de nulle part des tactiques pour mener une guerre psychologique ou voir des choses cachées pour les autres. Son apport venait dans le feu de l'action. Il pouvait se battre relativement bien et être brutal quand c'était nécessaire. Pendant quelques minutes il considéra tuer ce bâtard.

Ne soit pas idiot John. Tu serais le suspect principal après la scène d'hier. La voix cassante de Sherlock lui dit de se reconcentrer et il s'accrocha à elle. De plus, je doute fortement que tu sois capable de préméditer un meurtre.

« Non… je suppose que non. » C'était une chose de tuer pour protéger Sherlock, dans le feu de l'action. Mais c'était autre chose de commettre un meurtre prémédité. Qu'elle était alors l'alternative ?

C'est mon tuteur légal. C'est ça que tu dois changer.

« Comment on peut changer ça ? » John se frotta le visage. Ce dont ils avaient besoin c'était de prouver qu'Evelyn Holmes était un parent inapte. Quelque chose de gros avec beaucoup de preuves. Ce que Mycroft lui a confié était peut-être suffisant, mais il en doutait. Pas des années après et sans preuves.

Une recherche allait devoir suffire dans un premier temps. Il alla à la bibliothèque. Les visionneuses de microfilm se tenaient comme des sentinelles alors qu'il fouillait dans la liste des journaux. Une fois qu'il eut rassemblés les bons microfilms auprès d'un employé à l'air ennuyé, il commença. Des articles récents lui donnaient une idée de la puissance qu'Evelyn Holmes était en train de gagner. Il se trouvait à la périphérie de tous les évènements, avec une opinion ou une citation tranchante sur chaque sujet. De nombreuses photos le montraient proche de tout le monde, des experts locaux jusqu'au Premier ministre. Déconcertant, mais pas utile. John creusa plus loin.

D'abord il trouva l'annonce de la naissance de Sherlock, puis celle de Mycroft. La formulation des deux était presque identique, comme s'ils avaient seulement pris la peine de changer le nom et le poids quand Sherlock était né. Encore plus loin en arrière, il trouva un article sur le mariage de Diane Turner, connue dans le milieu huppé, à Evelyn Holmes, nouveau venu. Il y avait plusieurs paragraphes dédiés à la famille Turner, mais presque rien sur celle de Holmes, hormis la phrase ''les parents d'Evelyn sont malheureusement décédés'' et une autre à propos de la difficulté d'être orphelin.

Il n'y avait rien avant ça. John passa une main sur ses yeux. Est-ce que c'était une impasse ou est-ce qu'il y avait plus la derrière ? Quelqu'un devait savoir d'où venait Evelyn avant d'arriver à Londres et de séduire une belle et riche femme. Content d'avoir de la monnaie dans sa poche, John rendit le microfilm et commença à copier assidûment les coordonnées de tous les ''Holmes'' se trouvant dans l'annuaire de la bibliothèque. C'était déprimant à quel point le nom était commun, mais il pouvait commencer avec la ville puis aller plus loin. Ça lui donnait quelque chose à faire dans tous les cas. Il avait l'impression d'être productif.

Il décida d'appeler à partir du téléphone de l'appartement, au cas où quelqu'un essayerait de le joindre. Une liasse de papier dans la main, il s'installa sur le lit, le téléphone sur les genoux et commença son travail. Il dépassa sa timidité après le vingtième appel et ses paroles devinrent automatiques après le quarantième.

« Bonjour, mon nom est John Watson. Je suis à la recherche la famille d'Evelyn Holmes.

- Mauvais numéro.

- Désolé ! »

Il s'arrêta à contrecœur à onze heures, après s'être fait crié dessus par plusieurs retraités qui n'étaient pas content d'être interrompus au moment du coucher. Sans rien d'autre à faire, il se glissa sous les couvertures et envisagea d'entrer par effraction dans la maison des Holmes. Il s'imagina fouiller dans les tiroirs et trouver juste la bonne photo ou la bonne lettre.

Va dormir, John. Sherlock se faufila dans son esprit. Père ne serait jamais assez négligeant pour laisser des preuves dans la maison. Il est clair que la fatigue affecte ton processus de réflexion déjà diminué.

« Comment je suis censé dormir ? » grogna-t-il, se retournant dans son lit. « Tu es quelque part là dehors, blessé, et je… merde… je suis tellement seul sans toi. »

Il n'y eu aucune réaction, pas de réponse magique. Se blottissant contre un oreiller, il ferma les yeux sur un monde trop vide et s'assoupit.

Rien ne semblait mieux le matin. Le temps maussade continua pendant qu'il téléphonait et téléphonait et téléphonait. Il parla à un nombre infini de personnes, laissa des messages sur les répondeurs et imagina un réseau de Holmes fermant collectivement leur porte comme s'ils savaient ce qui allait arriver. Le miracle arriva après un déjeuner à bâton rompu, composé de thé et de pain grillé. Le téléphone sonna.

« Allô ? » Il cala le combiné entre son oreille douloureuse et son menton.

« Je suis Amélia Holmes, vous êtes John Watson ? » Une voix de femme, âgée et fluette souffla à travers le téléphone. « J'ai reçu un appel bizarre d'un cousin éloigné ce matin. Avez-vous laissé des messages pour trouver des informations ?

- Ouais, oui ! » Il se reprit. « Effectivement. Je suis désolé de vous déranger, mais j'essaye de trouver des informations sur…

Evelyn. » Elle l'interrompit d'une façon si familière que le souffle de John se coupa. « J'aimerai vraiment savoir comment vous êtes tombé sur ce nom.

- Je fais des recherches généalogiques pour un ami. » Après tout, ce n'était pas vraiment un mensonge. « Son père lui a dit que ses parents étaient morts, mais mon ami aimerait vraiment rencontrer des membres de sa famille.

- Mort », répéta-t-elle avec une raideur dans sa voix. Je pense que quelque part là-dedans quelqu'un vous a menti. « C'est Evelyn Holmes qui est mort et c'était il y a plus de quarante ans.

- Peut-être que c'est un autre Evelyn. Parce que celui que je connais et bel et bien en vie.

- C'était le fils de ma sœur. Je me rappelle très bien du jour de sa mort, jeune homme.

- Serait-il possible de parler à votre sœur ?

- Vous êtes le bienvenu sur sa tombe, si vous voulez. » Elle toussa. « Je suis toute seule en ce moment. Mon ingrat de fils ne me rend jamais visite et ma fille est décédée il y a trois ans. C'est une chose terrible, perdre un enfant. »

Sherlock ne suivait jamais son instinct. Il ne sautait jamais aux conclusions. Il voyait tout. Mais John n'était pas Sherlock

« Votre fils… il n'est pas par hasard très grand avec des cheveux noirs et des yeux bleus clairs ?

- Oui. Ça ressemble à Mycroft », dit-elle d'un ton suspicieux. « Pourquoi ? Qu'est-ce qu'il a fait cette fois ? »

Ego. Sherlock avait dit que c'était la raison de la chute de Moran. Le père Holmes en avait assez pour faire couler un navire. Assez pour appeler son premier fils comme lui, même s'il ne revendiquait plus le nom.

« Mme. Holmes, serait-ce possible que je vienne vous parler face à face ? » Demanda-t-il avec impatience. « Je pense que vous pourriez résoudre une véritable énigme pour moi.

- Si vous savez quelque chose à propos de mon fils…

- Ce n'est rien d'urgent. Juste une théorie. S'il vous plait ?

- Vous me ramènerez des fleurs. Des fleurs chères », exigea-t-elle et John s'étouffa un peu. « Toutes les autres femmes de mon club de tricot aiment parader à propos de leurs petits-enfants devant moi. Ça serait bien d'avoir quelque chose à leur balancer à la figure pour une fois.

- Oui, m'dame. » Il hésita puis se lança. « Ça vous dérangerait de ne pas dire à votre fils que je viens ? J'aimerais que ça reste une surprise.

- Je suis vieille, pas stupide. » Elle toussa à nouveau, cette fois d'une façon plus sévère. « Heureusement, je m'ennuie également. Vous avez piqué ma curiosité. »

Studieusement, John prit son adresse et lui promit d'arriver le surlendemain. Il continua d'appeler le reste des Holmes sur sa liste, mais il était sûr d'avoir trouvé la bonne personne avec Amélia. L'idée aurait été de lui rendre visite plus tôt, mais il pouvait difficilement renoncer à voir Sherlock. Blotti dans un nid de couverture, il passa une nuit agitée et fut réveillé pendant de longues heures.

Mycroft téléphona à neuf heures.

« Je t'envoie une voiture pour dans une heure. » Apparemment ils sautaient le ''bonjour'' maintenant. « Tu es inscrit comme étant un cousin. Ton nom pour la journée est David Saulson. Tiens compte de ce qui t'entoure. Sans aucun doute Père a déjà charmé ou soudoyé les infirmières pour qu'elles lui rapportent tout.

- Tu sais comment il va ?

- Les rapports que j'ai reçus suggèrent qu'il est dans un état catatonique. Prépares-toi. »

Ce ne fut pas avant que John soit une nouvelle fois inconfortablement assis dans une voiture noire passe partout, son esprit cherchant une distraction, qu'il repensa à son pseudonyme pour la journée. Les Watson n'avaient jamais été religieux, mais son père lui avait occasionnellement lu des histoires pour enfants tirées de la bible. Il se souvenait vaguement du jaloux roi Saül, son fils Jonathan et le brave David. Mycroft ne semblait pas être du genre à s'inspirer de la bible, mais qui sait ? Peut-être qu'il y avait un sens là-dedans. Peut-être que Sherlock trouverait ça amusant.

L'établissement ne ressemblait pas du tout à ce qu'il avait prévu. Ça ressemblait plus à une maison privée qu'à un hôpital. Quand il entra dans le hall d'accueil, une infirmière agréable le salua de derrière son bureau en noyer. Elle lui fit signer un registre puis l'escorta en haut d'un magnifique escalier vers une petit pièce où toute prétention de gentillesse disparue. Il y avait des barreaux aux fenêtres et un certain nombre de personnes, toutes habillées avec les mêmes pyjamas, avaient un visage d'une tristesse permanente, comme des statues que les infirmières surveillaient avec des yeux perçants

Assis dans un fauteuil roulant devant une fenêtre se trouvaient une personne avec des boucles noires ébouriffées et familières. Il fallut beaucoup de retenue à John pour ne pas traverser la pièce en courant. Il prit son temps, tirant une chaise près de là où Sherlock s'était installé. Que ce soit à cause d'un sédatif ou de quelque chose de plus sinistre, Sherlock ne ressemblait en rien à lui-même. Fatigués et vides, ses yeux étaient ouverts mais vitreux alors qu'ils regardaient distraitement par la fenêtre.

« Salut, catastrophe », murmura John.

Sherlock ne réagit pas du tout à sa présence. Seulement le pouce de sa main gauche bougea de manière irrégulière. John la couvrit de sa main, le frottement de l'ongle de Sherlock sur sa paume était étrangement rassurant. A voix basse, John commença à raconter les évènements des deux derniers jours à Sherlock. Une infirmière passait le balai à proximité. Surpris, John se tourna pour regarder par la fenêtre, essayant d'afficher une expression neutre.

Il sursauta. Le visage de Sherlock se reflétait dans la vitre, immobile et calme, mais ses yeux prirent vie, scannant le visage de John dans la vitre avant de se stabiliser, ce qui donnait l'impression que leur regard se croisait. Sherlock lui fit un clin d'œil, tellement rapidement que John fut presque sûr qu'il l'avait imaginé.

« Espèce de brillant bâtard. » John expira, incroyablement calme et immobile. « Catatonie mon cul. Tu es en train de les tromper en allant Ailleurs »

John supposa que l'endroit où il allait dans sa tête pouvait lui donner un air catatonique. Plongé dans ses pensées, Sherlock pouvait se désactiver. Sa présence de la pièce était presque nulle, on pouvait lui jeter un coup d'œil sans le voir. John avait longtemps surnommé ça ''l'Ailleurs'' et essayait de ne pas se fâcher à chaque fois que Sherlock le laissait pour plonger dans son esprit mystérieux et complexe. Aujourd'hui, la colère n'avait pas lieu d'être. La chaleur envahit la poitrine de John et, pendant un moment, il fut presque étouffé par ce qu'il ressentait.

« C'est probablement le pire moment auquel je peux penser pour te dire ça pour la première fois, et tu le sais déjà, mais je crois que je dois te le dire quand même. » Le ton faible et secret était parfait pour la confession. « Je t'aime. »

Les mouvements du pouce gauche de Sherlock augmentèrent, s'enfonçant profondément dans la paume de John. Il grimaça, ouvrit la bouche pour protester, puis la ferma aussi vite. Sherlock ne faisait jamais rien au hasard. Le mouvement n'était pas inconscient. Il traçait des lettres.

J. E. T. E. P. R. O. M. E. T. S. Chaque lettre était soigneusement tracée sur la peau de John.

« Moi aussi. » John résista à l'envie de l'embrasser, mais ce n'était pas passé loin. « Je vais te sortir de là Sherlock. Vraiment. Je vais vérifier ce que j'ai trouvé demain. Je suis loin d'être aussi bon que toi avec ça, mais j'ai de l'aide.

- M. Saulson ? » L'infirmière de la réception réapparut. « Encore deux minutes.

- Oui, très bien. » John soupira, attendant qu'elle s'éloigne un peu avant de croiser à nouveau le regard de Sherlock dans la fenêtre. « Fais ce que tu as à faire pour éviter que tout ça ne t'affecte. Ça sera bientôt fini. Puis on rentrera à la maison. »

A.T.T.E.N.T.I.O.N.D.A.N.G.E.R.E.U.X. La griffure du X se transforma en une caresse. John serra la main sous la sienne avec tendresse, avant de se lever et d'aller affronter le monde qui les séparait. Il aurait aimé dire qu'il était assez stoïque pour ne pas regarder en arrière, mais c'était un mensonge. Quand il jeta un regard par-dessus son épaule, Sherlock n'avait pas bougé. Il fixait la cour où un groupe de corbeaux était venu se percher.


(1) La rose blanche était l'insigne de la maison de York au Moyen-Age