Bonjour chers lecteurs! Voici le début de la seconde partie de ma trilogie fromagère : Fondue. Pour une meilleure compréhension, il est très fortement conseillé d'avoir lu la première partie, Raclette, avant de s'attaquer à celle-ci puisqu'il s'agit là de la suite directe.
Encore une fois merci à tous ceux qui me lisent!

"***"

_ Et là je me suis retournée et je lui ai dit… Will ? Will, tu m'écoutes ?

Will releva la tête et décroisa les bras avant de forcer un sourire vers Alana, plantée devant son bureau, les mains posées sur les hanches dans une attitude parfaitement scandalisée.

_ Je t'écoute ! Je t'écoute ! la rassura-t-il en remontant ses lunettes sur son nez. Bon alors, qu'est-ce que tu as répondu à cet imbécile de Chilton ?

Elle lui sourit avant de poursuivre son anecdote. Elle ne semblait pas convaincue par la prestation de Will mais elle allait passer pour cette fois. Après tout, elle était toujours très tolérante à son égard.

Pourtant, Will ne lui avait pas menti. Il avait écouté chacun des mots qu'elle avait prononcé depuis qu'elle était entrée dans sa salle de classe vide, ses talons claquant sur le linoleum usé, au moins dix minutes auparavant. Il avait analysé chacune de ses phrases. Il avait retourné dans sa tête chacune de ses remarques. Il avait décortiqué chaque phase de son discours.

Et… rien.

L'histoire en elle-même n'était pas si alambiquée qu'il ait besoin de mobiliser toutes ses facultés mentales pour l'écouter. Alana revenait juste d'une réunion à Baltimore en compagnie d'une poignée d'autres psychiatres, Frederick Chilton inclus, et elle avait juste besoin de vider son sac quand à la bêtise de ce dernier. Will avait probablement été la première oreille attentive qu'elle avait croisée.

Mais il avait vu là l'opportunité de tester sa santé mentale. Depuis son repas fromager avec Hannibal quelques jours auparavant, Will n'avait cessé de se poser des questions sur son attirance pour le psychiatre. Hannibal était un homme cultivé, raffiné, sophistiqué, attentionné mais aussi terriblement intelligent, drôle, talentueux sans oublier compatissant, élégant, fascinant… Bref, il était bien hors d'atteinte d'un pauvre professeur instable et, il fallait bien l'admettre, généralement pouilleux, comme Will. Du coup, son cerveau compensait en interprétant de manière complètement inappropriée et incroyablement gênante ses discussions avec le psychiatre.

Du moins, il s'agissait là de sa théorie.

Il ne pouvait nier non plus qu'il avait eu, il n'y avait pas si longtemps que cela, un très fort désir pour Alana. Elle l'avait rejeté pour des raisons qu'il était complètement à même de comprendre mais il la considérait toujours comme une très belle femme, intelligente et distinguée et toujours gentille avec lui.

En fait, maintenant qu'il y réfléchissait un peu plus en profondeur, Will réalisait qu'à chaque fois que quelqu'un était gentil avec lui, que ce soit d'abord Alana et à présent Hannibal, il se retrouvait sentimentalement impliqué. Avec un peu de recul, c'était quand même pathétique. Fondamentalement pathétique. Devait-il craindre le jour où Jack Crawford le traiterait avec davantage de compassion ? Il frissonna. De toute façon, ce jour n'était pas près d'arriver.

_ Un problème Will ?

La voix d'Alana le ramena à la réalité. Il secoua la tête.

_ Non, non. Chilton me fait toujours cet effet-là.

Il tentait de rebondir comme il pouvait pour ne pas la froisser, même si ce n'était pas parfait.

_ Chilton te fait frissonner ? demanda-t-elle avec un sourire trop espiègle pour être innocent.

_ De dégoût ! se hâta de préciser Will.

Elle hocha la tête lentement, les yeux toujours brillants mais elle ne le taquina pas davantage. A la place, elle poursuivit son histoire.

Will se gratta la barbe tout en l'écoutant, opinant aux moments opportuns mais les yeux fixés sur le tas de papiers qui encombrait son bureau. Il devait les lire et les noter depuis plusieurs jours mais il était en peu distrait en ce moment. Mais ce soir, oh oui ce soir il le ferait ! Dès qu'Alana aurait terminé ! Et qu'il aurait analysé leur interaction. Et qu'il aurait vérifié son portable au cas où il aurait manqué un message d'Hannibal.

Le psychiatre n'avait pas donné de nouvelles depuis leur dernier dîner et cela inquiétait quand même un peu Will. Même s'il n'y avait pas de raison. La soirée s'était bien passée. Et Will ne s'était pas trop mal comporté. Hannibal n'avait aucune raison de ne pas vouloir le revoir. Enfin probablement pas.

Will pouvait presque sentir la présence de son téléphone dans la poche de sa veste suspendue au dossier de sa chaise. Il l'avait mis sur silencieux pendant son cours. Donc si Hannibal lui avait écrit, il n'avait aucun moyen de le savoir à moins de vérifier. Sa main droite était démangée par l'envie de plonger dans cette maudite poche à quelques centimètres seulement. Mais ça aurait été très impoli vis-à-vis d'Alana.

Elle remarqua bien évidemment son impatience et avec un sourire indulgent, elle se dépêcha de boucler son anecdote.

_ Et tu penses bien que j'ai pris un malin plaisir à refermer avec force et fracas la porte sur son pied et son mocassin à plusieurs centaines de dollars.

Will pouffa et secoua la tête.

_ Tu es mon héroïne ! conclut-il en relevant enfin les yeux vers elle.

Elle haussa les épaules, l'air parfaitement désinvolte.

_ Je l'ai fait plus pour mon plaisir personnel que pour les autres, admit-elle, mais si j'apporte la joie autour de moi, je ne peux que m'en réjouir.

Elle redressa fièrement le menton, un sourire satisfait plaqué sur le visage.

_ Sur ce, conclut-elle, je vais te laisser. J'ai d'autres gens à régaler avec mes anecdotes et je te sens impatient de t'attaquer à ce tas de copies.

Il se mordit la lèvre inférieure, grimaça et attrapa son stylo.

_ Je suis déjà en retard dans mes corrections, admit-il en baissant la tête.

Il la salua d'un petit geste de la main puis elle sortit de la pièce.

Will se retrouva seul dans sa salle de classe. Il reposa son stylo et soupira. Puis il se frotta les yeux en prenant bien garde à ne pas toucher le verre de ses lunettes.

Bon, que pouvait-il conclure de l'expérience de ces dernières minutes ?

Déjà qu'il n'était pas très à l'aise avec l'idée d'avoir utilisé Alana comme cobaye mais c'était la seule option qu'il avait. Et puis il était habitué au fait de « ne pas être très à l'aise ». C'était un peu son mode par défaut.

Ensuite, qu'il avait beau être attiré par Alana, chacune de ses phrases ne paraissait pas sortie d'une accroche de mauvais film porno. Avec Hannibal, il aurait probablement entendu « prendre son pied » à la place de « porte sur son pied » ou encore « jouir » à la place de « réjouir ».

Devait-il en conclure que son cerveau ne lui jouait que des tours lorsqu'il était en présence du docteur Lecter ? C'était une possibilité à ne pas écarter. Après tout, Hannibal avait sur sa vie un impact bien plus grand qu'Alana avait jamais eu.

L'autre possibilité était qu'Hannibal avait vraiment prononcé ces mots pleins de sous-entendues. Mais le fait que l'anglais ne soit pas sa langue natale l'avait probablement empêché de réaliser à quel point ils pouvaient être à double sens. Ou alors, il était trop bien éduqué et raffiné pour même songer à ce genre de chose.

Bref, Will se faisait sûrement tout un plat de quelque chose qui n'était rien du tout pour le psychiatre.

En tout cas, la seule explication qu'il excluait réellement, c'était celle d'une coïncidence. Il y avait vraiment eu trop d'exemples pour que cela ne soit qu'une coïncidence. Cela venait donc soit de lui, soit d'Hannibal.

La dernière option, celle à laquelle il avait peur de songer et qui lui paraissait presque inconcevable, c'était le fait qu'Hannibal l'ait fait exprès. Qu'il avait eu pleinement conscience de l'effet de ses paroles sur Will et qu'il ait continué encore et encore. Mais dans ce cas, pourquoi ?

S'amusait-il de mettre mal à l'aise Will ? Ce dernier en doutait. Hannibal n'était pas ce genre de personne. Et il appréciait Will. Sinon pourquoi continuait-il à le convier chez lui, à lui préparer de délicieux repas, à lui ouvrir sa porte au beau milieu de la nuit lorsque Will était en état de stress intense ? Hannibal ne perdrait pas son temps juste pour le plaisir de se moquer de Will, c'était bien trop saugrenu.

Will ferma les yeux et se concentra. Il respira lentement. Son rythme cardiaque se ralentit légèrement. Il n'avait pas pour habitude de faire cela avec ses proches. Il avait l'impression qu'il s'agissait là d'une certaine forme de violation de leur intimité. Mais là… c'était un cas de force majeure ! Et il n'allait pas se permettre d'aller trop loin dans l'esprit d'Hannibal. Juste en surface. Pour se donner une piste.

Il rouvrit brusquement les yeux.

Je m'appelle Hannibal Lecter, pensa-t-il. J'ai quarante-huit ans et je suis psychiatre à Baltimore. Je suis un ancien chirurgien. J'aime cuisiner, l'opéra et les soirées mondaines. Je suis très pointilleux sur ce que je porte. J'aime ce qui sort de l'ordinaire. Je décore mes assiettes de crânes de petits animaux. J'ai dans ma salle à manger le tableau d'un cygne qui met son bec entre les cuisses d'une femme.

Will se mordit les lèvres et se passa une main sur le visage. Il était en train de perdre sa reconstitution. Il n'avait jamais analysé à quel point Hannibal pouvait être… original sur certains détails de sa personnalité. Les crânes dans les assiettes… bizarre certes. Mais esthétique dans un sens. Le tableau dans la salle à manger… Maintenant qu'il y repensait, il avait presque du mal à se retenir de rire. Mais qui mettait ce genre de choses dans une pièce dédiée à la nourriture ! D'ailleurs la première fois qu'il avait remarqué la peinture, un soir qu'il dînait en tête-à-tête avec Hannibal, il s'était arrêté net au beau milieu d'une phrase. Hannibal avait su exactement ce que Will était en train d'observer dans un mélange de fascination et de dégoût, mais il n'avait pas commenté. Il avait juste souri, de cet énigmatique et discret sourire de côté qui lui était propre et Will avait repris la conversation comme si de rien n'était. C'était probablement de l'art et Will devait bien admettre qu'il n'y connaissait pas grand-chose. Sur le moment, il avait juste trouvé cela…. Atypique.

Bon, avec un peu de recul, il était logique qu'il s'intéresse à l'esprit de Will. Hannibal appréciait ce qui sortait de l'ordinaire, quitte à ce que cela soit un peu déviant des standards de la société. Mais il n'y avait rien de répréhensible là-dedans. Il n'y avait rien non plus qui lui indique pourquoi Hannibal faisait autant de sous-entendus dans leurs conversations.

Il se concentra de nouveau, du moins autant qu'il le pouvait.

J'aime recevoir des invités, poursuivit-il. La personne avec qui je déjeune le plus souvent est l'agent spécial Will Graham. Will Graham est intéressant. Son esprit est unique. J'aime nos conversations. J'apprécie le temps que nous passons ensemble. Pour la première fois, je ressens une réellement connexion avec un autre être humain.

Will se sentit rougir bien malgré lui. Il espérait vivement qu'il analysait correctement Hannibal d'après ce qu'il savait de leurs interactions et pas qu'il était en train de se monter tout seul un genre de fantasme.

Depuis quelques temps, reprit-il, je ressens une attirance de plus en plus grande pour Will Graham. Mais je ne sais pas comment l'exprimer. Will n'est pas familier avec le concept d'intimité. Et j'ai peur de le brusquer. Je ne peux que lui donner des indices…

Will avala sa propre salive et manqua de s'étouffer avec. Il toussa et étudia son bureau à la recherche de son gobelet de café. Froid et de mauvaise qualité. Il s'était habitué à un certain standard depuis qu'il fréquentait Hannibal. Mais au moins, cela l'aida à calmer sa toux. Le point négatif, par contre, était qu'il avait complètement perdu la reconstitution.

Il grimaça.

Il s'était probablement imaginé n'importe quoi.

Hannibal était attiré par lui… Il projetait probablement là son propre esprit. Et puis il ne lui « donnait pas des indices », c'était carrément du rentre dedans à ce niveau là, si vraiment Hannibal le faisait exprès.

C'était très éloigné de la façon dont Will imaginait Hannibal courtiser les gens. Dans sa tête, cela impliquait plutôt des bouquets de fleurs extravagants, des sorties dans des restaurants de haut standing, des poèmes d'écrivains français murmurés au creux de l'oreille, des repas romantiques à la lueur d'un feu de bois… Ok, ça, il l'avait eu… Mais ça ne voulait absolument rien dire !

Will se gratta la barbe. Il n'était pas vraiment plus avancé. Bon, partant du principe qu'Hannibal le faisait exprès et lui donnait vraiment des indices ou quelque chose du genre, comment Will pouvait-il y répondre sans se ridiculiser s'il s'était trompé sur toute la ligne ?

Il porta de nouveau son gobelet à ses lèves mais le trouva vide. D'un geste désinvolte, il le jeta dans la corbeille au pied de son bureau. Le gobelet rebondit sur le bord et tomba à côté.

Will dut se lever pour le récupérer et le jeter avec plus de concentration cette fois au milieu des papiers froissés qui encombraient sa poubelle.

Il se passa une main dans les cheveux.

Tout cela était ridicule. Hannibal était juste un bon ami et Will ne lisait probablement en lui que ce qu'il avait envie d'y lire. Mais il se devait d'être certain. Et il ne se sentait pas vraiment le courage d'aborder cela de but en blanc avec le psychiatre. Hey salut Hannibal ! J'ai remarqué depuis notre dernière soirée que ton attention se focalisait beaucoup sur mon arrière-train. Est-juste une impression ou serais-tu vraiment intéressé par le fait de me… Non, ça n'allait pas le faire… Il devait trouver une méthode.

Les mains solidement plantées dans ses poches, il parcourut son estrade à la recherche d'une idée. De la moindre idée.

Il étudia le bout de ses chaussures usées, le bois blanchi sous ses semelles, le linoléum de mauvaise qualité lorsqu'il atteignit le bord. Il releva même les yeux vers les gradins vides.

Lorsque son téléphone sonna dans sa poche, il sursauta.

« *** »

Hannibal reposa son stylo et étudia la longue liste qu'il venait de coucher sur son cahier spécial « Will Graham ». Il hocha la tête, satisfait.

Hannibal s'était toujours considéré comme un homme organisé. C'est ce qui lui avait sauvé la mise à de nombreuses reprises. Les gens désorganisés finissaient toujours par commettre des erreurs. Ce n'était pas son cas.

Alors, lorsqu'il avait eu besoin de mettre au point son plan d'action qu'intérieurement il appelait « Opération Will Graham [dans mon lit] » (le meurtre, la cuisine et le dessin étaient ses arts, pas la littérature, il avait fait de son mieux en la matière), l'idée d'un cahier dédié à l'œuvre lui était apparu comme la meilleure option. Bien sûr, il ne valait mieux pas que Will tombe sur ce cahier. Ou n'importe qui d'autre des forces de l'ordre d'ailleurs. Ou n'importe qui d'autre en fait. Mais Hannibal ne se faisait pas trop de souci, il était bon à dissimuler les choses, que ce soit ses pensées, un corps ou des résultats médicaux cruciaux.

Quoique pour le moment, il n'y avait pas grand-chose d'incriminant dans le dit cahier.

La page de droite était dédiée à sa liste de points divers et variés pour passer une bonne soirée en compagnie de Will et pousser l'agent spécial à se jeter férocement sur lui pour lui arracher ses multiples couches de vêtements. Hannibal avait d'ailleurs prévu de porter la totale ce soir-là. Un débardeur léger avec au dessus un simple t-shirt blanc puis une chemise, un gilet à, au moins, quatre ou cinq boutons et finalement une veste. Il avait hâte de voir la tête de Will lorsque, de ses mains tremblantes, il retirerait les couches les unes après les autres pour finalement en trouver une et encore une de plus en-dessous. Ca allait être un moment hilarant !

Et il ne craignait pas un coup de chaud. Son initiative de la dernière fois de coupler feu de cheminée et appareil à raclette avait été malheureuse et n'avait eu pour effet que de faire transpirer Will à grosses gouttes. Pour cette rencontre, pas de feu de cheminée, ni de chauffage d'ailleurs. Juste quelques bougies et la toute petite flamme sous le caquelon. Une ambiance très intime mais un peu fraîche. Peut-être que cette fois, Will se jetterait dans ses bras à la recherche de chaleur.

En plus de ses prévisions vestimentaires, Hannibal avait organisé en détail le repas. Comme il l'avait promis à Will, ils allaient rester sur le thème du fromage qui l'avait tant enthousiasmé mais cette fois-ci, Hannibal allait préparer une délicieuse fondue. Trois types de fromage, pas moins ! Mais en quantité raisonnable. Il n'avait pas envie que Will termine une fois de plus gonflé comme une barrique. Accompagné d'une bouteille d'Apremont de l'année. Et de petits pains. Dans la fondue, le pain était aussi important que le fromage. Hannibal avait d'ailleurs, dès la veille, préparé trois types de pain différents. Un pain blanc, un pain complet et pour finir un pain aux noix. Les trois miches étaient en train de sécher dans sa cuisine. Il n'avait pas encore demandé à Will s'il était disponible mais il fallait se rendre à l'évidence, Hannibal était pratiquement le seul ami de Will. Et à moins d'un nouveau meurtre sordide, Will n'avait généralement rien à faire de ses soirées. Hannibal était certain qu'il accepterait avec empressement cette nouvelle invitation. Surtout qu'il avait bien pris soin de ne pas recontacter l'agent spécial depuis leur délicieuse soirée, juste histoire de se rendre plus indispensable encore. Accablé par sa solitude, Will allait accourir vers lui !

Le seul point du menu qui avait accablé Hannibal de doutes était la présence ou non de viande. Traditionnellement, il n'y en avait pas dans la fondue savoyarde, celle qu'il comptait préparer. Mais pour Hannibal, un repas sans viande était comme un opéra sans violon ou un Will Graham sans troubles mentaux, fade et sans saveur. Alors il avait décidé de faire une entorse à la recette de base et de prévoir tout de même un peu de charcuterie maison en accompagnement. Après tout, il lui restait de ce délicieux jambon de plombier que Will avait tant apprécié la dernière fois. Et il avait un magret de « canard » fermier qui avait été un peu trop frais la semaine précédente mais allait se révéler séché à point pour ce repas-ci. Bref, rien de trop extravagant, juste une petite note protéinée pour compléter le dîner.

Hannibal avait également prévu un dessert léger à base de fruits rouges, de glace maison et de crème améliorée par ses soins. Mais il doutait que Will et lui arrivent jusqu'à l'étape du dessert. D'après ses prévisions, Will devrait craquer avant même la fin de la fondue.

Et s'il en était aussi certain, c'est que sa liste comportait aussi un grand nombre de lignes entièrement dédiées aux hilarantes blagues à sous-entendus sexuels qu'il avait préparées ces derniers jours et qu'il ne doutait pas pouvoir caser pendant le dîner.

Pour son inspiration personnelle, il avait dessiné sur la page de gauche un rapide croquis de Will rougissant délicieusement sous ses lunettes trop larges. Ce n'était pas son chef d'œuvre mais le croquis était suffisamment fidèle à l'original pour qu'Hannibal glousse, bien évidemment intérieurement, en imaginant voir là la réaction de Will à chacune de ses boutades.

Ses petites piques de la dernière fois, complètement improvisées, avaient déjà pas mal déstabilisé l'agent spécial alors avec la préparation de plusieurs jours qu'il s'était accordé, il allait être irrésistible.

Très satisfait de lui, il relut une dernière fois son plan d'action, se sentant sourire malgré lui et hochant la tête à chaque ligne validée.

Arrivé en bas de page, il leva la main pour caresser du bout de l'index le visage de graphite de Will. Il était presque… impatient.

_ Mon pauvre Will, murmura-t-il, tu n'as aucune idée d'à quelle sauce tu vas être mangé…

Il se mordit les lèvres pour ne pas rire. Il était vraiment hilarant ! Dommage qu'aussi peu de personnes s'en rendent compte.

Hannibal doutait être un jour attrapé mais si c'était le cas et qu'il était condamné à finir ses jours dans une cellule, il en profiterait pour écrire un recueil de ses meilleures blagues de cannibale, que le monde entier puisse enfin profiter de son génie comique. Ca serait là un grand plaisir, même en cas d'emprisonnement.

Il songeait aussi à publier un livre de recettes mais il doutait de rencontrer un franc succès.

Soupirant, il referma le cahier et passa la main sur la couverture de cuir sombre. C'était un bel objet. A la hauteur de sa quête. De toute façon, pour Will, il ne voulait que le meilleur.

Il se leva de sa chaise et, du plat de la main, lissa son pantalon. Puis il récupéra son stylo, toujours posé sur la table et le glissa dans la poche intérieure de sa veste. Attrapant le cahier à deux mains, il se rendit dans son salon. Il y avait moins de livres ici que dans son cabinet mais il possédait tout de même une très belle collection. Sans hésiter il glissa le cahier entre deux autres volumes sombres parmi lesquels il se fondit parfaitement.

Caché en pleine lumière. Pour lui la meilleure des tactiques.

Il retourna dans sa cuisine et vérifia les derniers préparatifs. Le jambon, largement de quoi faire, le magret, à point, les bougies, longues, fines et blanches, un plein paquet.

Hannibal avait hésité à en prendre des noires mais il avait finalement trouvé ça trop morbide. Il ne voulait pas non plus mettre Will sur ses gardes. Par contre, pour compenser la simplicité des chandelles, il avait prévu des bougeoirs fort élégants, taillés dans des os de gros mammifères. De l'éléphant ou du rhinocéros. Hannibal n'était plus sûr. C'était en tout cas de forts beaux objets.

Il avait également retrouvé en bas de l'étagère du cellier, son caquelon à fondue et deux longues fourchettes taillées dans du bois de séquoia rouge. A la lueur des bougies, Hannibal savait qu'elles paraitraient teintées de sang et il trouvait cette perspective particulièrement délicieuse.

Il retrouva la bouteille de vin qu'il désirait et l'essuya consciencieusement. Elle était récente et n'avait pas encore eu le temps d'être recouverte de poussière mais il voulait que tout soit réellement impeccable. Il plaçait tant d'attentes dans cette soirée.

Il retourna dans la salle à manger pour terminer son inspection. Le ménage avait été fait et la cheminée était à présent rutilante. Hannibal avait placé dans le foyer un nouveau petit fagot de buchettes prêtes à l'emploi. Elles ne serviraient que de décoration cette fois-ci.

Il ne manquait plus que le centre de table, qu'il irait récupérer le lendemain chez le fleuriste, et le fromage. Il avait appelé la boutique de José le matin même pour commander son assortiment et il n'avait donc plus qu'à faire un saut là-bas après le fleuriste pour prendre son paquet et régler.

Tout était parfaitement en ordre. Hannibal avait beau se triturer les méninges, il ne voyait pas ce qu'il pouvait manquer ou oublier. Le tiroir de sa table de nuit avait également été garni du nécessaire au cas où… non, pas au cas où… quand Will craquerait et l'implorerait de passer la nuit en sa compagnie.

Vraiment, une soirée fignolée jusqu'au dernier détail.

Satisfait de lui-même, vraiment très satisfait de lui-même, Hannibal sortit son téléphone de sa poche. Planté devant son écran, il hésita longuement sur le message à taper. Devait-il être intime ? Ou amusant ? Décidant que finalement, il valait mieux laisser Will le plus longtemps possible dans l'ignorance de ce qui l'attendait, il tapa un message uniquement informatif, comme ceux qu'il envoyait généralement à l'agent spécial.

Cher Will, rendez-vous demain, chez moi, à 19h pour un nouveau repas fromager ?

Hannibal n'aimait pas spécialement envoyer des messages mais il savait Will plutôt mal à l'aise avec la notion de téléphone. C'était donc plus simple ainsi. Cependant, il mettait un point d'honneur à toujours rédiger ses messages sans abréviation, ni faute. C'était bien le moins qu'il puisse faire pour marquer son respect à ses interlocuteurs. Il avait horreur de recevoir des messages illisibles. Cela lui agressait les rétines. Il en avait d'ailleurs conservé un ou deux exemples particulièrement irritants et qu'il réservait pour un prochain grand repas.

Son pouce se posa sur le bouton d'envoi. Il prit une grande respiration et cliqua. C'était fait. Il était prêt.

Il resta de longues secondes à regarder son écran dans l'attente d'une réponse. Il avait vérifié l'heure. Normalement Will avait terminé ses leçons mais n'avait pas encore récupéré sa voiture, occupé qu'il était avec la paperasserie. Il n'y avait aucune raison pour qu'il ne lui réponde pas rapidement.

Il sourit quand moins d'une minute plus tard un message arriva. Il ignora le fait que ses mains tremblaient légèrement.

Avec plaisir. A demain.

(à suivre…)