Bonjour !
Une autre fable ? Bonne lecture.
Le procès
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La salle de tribunal est comble. Watson, à chaque mouvement de la porte, regarde, épie. Le détective n'est toujours pas là.
Le juge entre, la foule se lève, comme un seul homme.
— On se croirait au spectacle et que les gens sont prêts à applaudir.
Le médecin a sursauté, Holmes vient de se glisser sur le banc à son côté. D'une œillade, le toubib le décrypte. Visage cabossé, œil gauche à moitié fermé, les poings gonflés, encore en sang. Inutile de se demander, il a encore traîné ses démons dans les bas quartiers.
On s'assoit alors que les pérruqués s'agitent, que le marteau tonne pour demander le silence.
Watson, les yeux fixés sur le jury, se penche à peine, murmure à l'oreille, hume l'odeur d'alcool et de transpiration.
— Vous êtes en retard, Holmes.
— J'aime me faire désirer, vous le savez.
Watson rougit, bien malgré lui.
En repensant à nos ébats, vous et moi….
Le marteau reprend sa litanie, la salle vrombit, comme une ruche pleine d'abeilles en colère. Car la guêpe est là, debout devant eux. L'accusé. Le poète. Le scélérat. Le génie.
Holmes se tait, il a ce regard aigu, acéré, qui analyse chaque faciès, chaque grimace, lit sur les lèvres. Tout est là, tout est dit alors que personne n'a encore pris la parole.
Et tout à coup, il se lève, bouscule le monde qui grogne. Watson, un instant indécis, le suit. Et s'excuse du dérangement, voudrait se faire tout petit. Mais on ne voit qu'eux alors que le détective pousse à deux bras les portes et sort, comme on quitte une scène côté jardin, laissant la cour à ses juges, ses avocats et ces étroits d'esprits.
Une fois dehors, le crachin rend les pavés glissant. Claudiquant, le toubib doit forcer sur sa jambe plus douloureuse les jours de pluie, pour rattraper le fuyard. Il peine, il peste, perd quelques longueurs.
— Holmes !
Mais le limier presse encore le pas, se faufile, s'enfuit. Watson a beau faire, il ne peut le rattraper. Il erre dans les rues, seul, un peu anxieux, beaucoup peiné de se faire ainsi abandonner. Il cherche encore un temps sa silhouette dans la rue, puis, de mauvais grâce, rentre au logis.
Le 221 B Baker Street est silencieux. Watson délaisse chapeau et manteau trempés, monte le pas lourd. Dans le capharnaüm du salon, il ranime le feu, lève les mains vers les flammes pour se réchauffer.
Et sursaute quand deux bras entourent sa taille, qu'un torse appuie sur son dos, qu'un menton se pose sur son épaule. Ainsi, il était là, le scélérat !
— Holmes ? Mais que….
— Il sera condamné. La peine la plus lourde, les travaux forcés.
Watson pourrait se récrier, le dédire, mais il sait que c'est inutile. Si Holmes le dit, c'est qu'il sait. Demain, ce sera dans tous les journaux, sur toutes les lèvres, avec ce soupir choqué qui marque chaque point d'exclamation.
— Holmes, c'est la loi, et….
— La loi ?!
Le détective s'écarte brusquement, comme si le toubib l'avait brûlé. Il gesticule, fait les cent pas.
— La loi, crénom ! Nulle justice dans tout ça ! La justice, Watson ! Elle devrait être au-dessus de tout, au-dessus des curés et des esprits étriqués.
Le limier est exalté, trop, pâle comme un mort. Et le toubib a peur, peur pour lui et tout ce qui pourrait arriver. Eux-mêmes, dans le box des accusés. Il fait les deux pas qui les séparent, lève la main, caresse la joue, le pouce s'égare sur la bouche tuméfiée.
— Qu'importe tout ça. Puisqu'il en est ainsi, nous serons hors-la-loi.
Je vous ai cru perdu pendant trois ans, à présent, nul ne pourra nous séparer. Ni Dieu, ni la loi.
Un peu plus tard, en l'an de grâce 1895, alors que les deux corps emmêlés se caresseront sous les draps, Oscar Wilde sera condamné pour acte de sodomie. Sous les huées de la bonne société.
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« Il y a des moments où il faut choisir entre vivre sa propre vie pleinement, entièrement, complètement, ou traîner l'existence dégradante, creuse et fausse que le monde, dans son hypocrisie, nous impose. » Oscar Wilde
Au plaisir...
