Disclaimer: rien n'est à moi, blablabla
Et voilà, nous nous retrouvons enfin! Est-il utile de repréciser que cette histoire est la suite des Cicatrices du Temps et de L'Armée de l'Ombre et qu'en conséquence, elle sera probablement incompréhensible pour ceux qui n'ont pas lu les deux (ou du moins, vous risquez d'être pas mal perdu si vous n'en avez lu qu'une). Je dis ça en toute gentillesse, pas du tout pour me faire de la pub ou quoi, mais parce que je n'ai pas envie de répondre à un million de questions sur les deux autres histoires (je veux bien répondre aux questions "détail" juste pas avoir à résumer l'histoire à chaque review XD).
Bref résumé de ce qui s'est passé avant :
Dans les Cicatrices du Temps, une tempête magique a secoué le château et renvoyé Severus et Harry dans les années 70. Après avoir été réparti à Serpentard et découvert qu'il s'entendait mieux avec Lily et Severus qu'avec les Maraudeurs, Harry a également découvert qu'il était un horcruxe. Il a appris l'Occlumencie et a commencé à travailler sur ses capacités Animagus avec un succès mitigé. Severus, de son côté, a découvert Harry sous un autre jour et au prix de malentendus divers et variés, le considère désormais comme son propre fils. Il a également fait la paix avec son passé, ce qui a entraîné pas mal de soucis avec ses boucliers mentaux.
Dans L'Armée de L'Ombre: Après la disparition d'Harry, de Severus, de Flitwick et de la chorale, Poudlard et l'Ordre sont sens dessus dessous. Ombrage impose peu à peu son règne tyrannique, poussant les élèves de toutes les Maisons à s'unir dans une Trêve historique. Pas mal d'amitiés se forment, notamment entre les Gryffondors et les Serpentards. L'Ordre se dresse tant bien que mal contre Voldemort mais ce dernier a mis la main sur une potion capable de forcer la transformation des loups-garous, ce qui cause énormément de problème. La vie personnelle des membres de l'Ordre n'est pas non plus épargnée: Remus et Tonks, après plusieurs mois de liaison, mettent brutalement un terme à leur aventure, le clan Weasley peinent à gérer la mort d'Arthur, Albus est de plus en plus hanté par son passé et le poids des décisions à prendre et Sirius, bouleversé par la disparition de son filleul semble s'enfoncer davantage de jour en jour dans la folie, il débute par ailleurs une relation peu réfléchie avec Nyssandra, l'ex-fiancée de Fol'Oeil, vampire à ses heures perdues, elle-même plutôt perturbée. Après une nuit riche en événements au Ministère, Sirius est finalement innocenté, le Ministère passe aux mains de Scrimgeour et un nouveau front de défense se dresse devant Voldemort. Lucius Malfoy, inquiet pour son fils qui s'est plus ou moins ouvertement déclaré contre les Mangemorts, décide de monnayer la sécurité de Draco et de Narcissa contre des informations dont la plus importante est la suivante : il y a un espion au sein de l'Ordre.
Voilà, je peeeense que ça couvre les bases.
J'espère que la suite vous plaira. Ne demandez pas combien de chapitres il y aura, vous me connaissez, je n'en sais jamais rien ;) Pour le moment, les updates ne seront pas régulières, pour cause de concours approchant et de méga stress de ma part.
Ce chapitre et les suivants (jusqu'à nouvel ordre) été corrigés par Elisa (et pas Elisabeth, attention, elle peut mordre si vous vous trompez ;) ) que je remercie pour sa gentillesse. Je rappelle que vous pouvez me contacter sur Twitter ou Tumblr si besoin est, les liens sont sur mon profil.
Je suis ravie de vous retrouver, vous m'aviez tous manqué 3
Enjoy & review!
Le Dernier Secret
There's always another secret.
Brandon Sanderson, Mistborn: The Final Empire
Il y a toujours un autre secret.
Brandon Sanderson, Mistborn: The Final Empire
Chapitre 1 : There's Always Another Secret
La bougie posée sur le bureau tremblota et le vieux sorcier se redressa à temps pour voir la mèche être avalée par la cire fondue. Avec un soupir, Albus Dumbledore posa la plume dont il s'était servi pour parapher les documents urgents que sa sous-directrice avait insisté pour qu'il signe et s'étira dans l'espoir ténu de faire disparaître ses douleurs lombaires.
La pièce était désormais plongée dans la pénombre la plus totale. Les chandeliers et les torches s'étaient éteints les uns après les autres sans qu'il s'en rende compte, ne laissant plus comme source de lumière que la petite chandelle qui flottait en permanence devant sa fenêtre. Il la contempla quelques secondes, cherchant à se souvenir de la voix de sa mère lorsqu'elle expliquait l'importance de cette tradition désuète pour guider les voyageurs égarés – Arianna n'était qu'un bébé dans son berceau à cette époque là… Alberforth tenait à peine debout… – mais le temps avait avalé les intonations de sa voix comme il avalait tout le reste.
À tâtons, il chercha la baguette qu'il avait posée à côté du tas de parchemins, un peu plus tôt dans la soirée, dans l'idée d'allumer un feu et, peut-être bien, de préparer du thé.
Ses doigts se refermaient à peine sur la hampe de la baguette de sureau lorsque la pièce fut totalement plongée dans le noir.
La chandelle s'était éteinte.
Il ne pouvait y avoir qu'une seule explication à cela, ses sortilèges étaient trop précis pour qu'il en soit autrement.
Y croyant à peine, Albus attrapa sa baguette et ralluma les torches, tout en réfléchissant au meilleur moyen de fouiller le domaine pour retrouver Severus et Harry. Il n'avait pas dépassé le coin de son bureau lorsque l'air se mit à crépiter d'une forme de magie ancienne et fragile. Instinctivement, il s'entoura d'un puissant bouclier.
Juste à temps…
Un amas de magie, comme il en avait rarement vu, se forma au centre de la pièce et augmenta en intensité jusqu'à ce qu'Albus décide prudemment de s'abriter davantage. Il appela Fumseck à lui d'un accio et s'accroupit derrière son bureau, le protégeant de son corps du mieux qu'il le put. La… chose au centre de la pièce se mit à pulser, au même rythme que des battements de cœur, et Albus eut à peine le temps de renforcer ses boucliers qu'un affreux bruit de déchirure troubla l'air. Il risqua un coup d'œil mais fut aveuglé par l'éclat brillant de la sphère magique qui occupait la quasi-totalité de son bureau.
Il cilla rapidement, terrifié malgré lui par ce qu'il avait sous les yeux. Était-ce vraiment Severus et Harry qui revenaient ou quelque chose de bien plus terrible ? Il n'avait jamais rien vu de semblable à ce qu'il avait sous les yeux… La sphère semblait très instable. Si elle explosait… Si… Serait-il capable de faire face à cette chose qui n'avait rien de naturel ? Pouvait-il protéger Poudlard ? Les élèves, les…
La sphère implosa.
Pendant une seconde, la lumière dorée envahit la pièce et Albus ne put rien discerner d'autre que cette trame magique absolument inédite. Puis la lueur s'estompa et il aperçut, enfin, ce que la sphère avait laissé derrière elle.
« Harry ! » murmura-t-il, la gorge nouée par l'émotion. « Severus ! »
Il posa Fumseck sur son bureau, ignorant ses pépiements affolés, et se précipita vers le Professeur, qui était le plus près. Severus était allongé par terre, Harry était accroché à une chaise qui s'était trouvée au mauvais endroit, mais ils paraissaient conscients, tous les deux. Ils inspiraient à pleins poumons, comme s'ils avaient été privés d'oxygène pendant une longue période de temps. Ils se débarrassèrent l'un et l'autre maladroitement de leurs sacs-à-dos.
Le vieux sorcier avait presque atteint son espion lorsque ce dernier releva brusquement la tête et, s'appuyant sur sa main gauche, leva la droite d'un geste autoritaire qui aurait été plus impressionnant s'il n'avait pas eu l'air prêt à s'évanouir au moindre effort. Sa paume était profondément entaillée mais la plaie semblait nette et le sang était déjà coagulé.
« Non ! » prévint Severus.
Comprenant immédiatement qu'il y avait un danger, Albus recula jusqu'à buter contre le bureau. Probablement alarmé par le cri, Harry se releva, baguette vaguement pointée devant lui, chancela, visiblement désorienté, puis trébucha et s'écroula à nouveau.
« Pro… Professeur ? » hésita le garçon, avant de rouler sur le dos, la respiration hachée.
Son regard croisa celui de Severus. Involontairement, il eut un mouvement de recul. Qu'était-il arrivé au Maître des Potions ? Ses boucliers mentaux… Le Professeur ne maintint pas le contact visuel suffisamment longtemps pour qu'il le découvre. Imitant l'adolescent, l'homme s'allongea par terre et attrapa le bras d'Harry, très certainement pour attirer son attention. Le geste n'en demeura pas moins étrange, le Mangemort évitait habituellement tout contact physique comme la peste…
« Il reste la partie déplaisante. » annonça Severus, la respiration rapide.
Harry tâtonna jusqu'à attraper la main du Professeur de Potion, toujours posée sur son bras, avant d'éclater d'un rire presque hystérique.
« Évidemment, qu'il reste une partie déplaisante. » répondit le Survivant, au bout de quelques secondes. « Je me disais aussi que je ne m'étais pas autant amusé depuis la dernière fois où je suis mort… »
Ce ne fut pas tant les sarcasmes d'Harry, ou même la teneur de ses propos, que le bref rire rauque que Severus lâcha en réponse qui poussa Albus à s'appuyer plus lourdement sur son bureau. Il n'avait pas entendu son ami rire depuis… Probablement depuis sa scolarité.
L'euphorie du moment, peut-être.
Il ouvrit la bouche, sans savoir véritablement ce qui allait en sortir – il hésitait entre demander des explications et envoyer un patronus urgent à Pomfresh – lorsque de petites billes de lumière, tout aussi dorées que la sphère l'avait été, apparurent. Elles formaient un cercle parfait autour d'Harry et Severus qui gagnait en consistance de seconde en seconde.
« Pitié, ne me dites pas qu'on doit recommencer… » gémit Harry, en apercevant les lumières.
Severus ne répondit immédiatement, mais Albus nota qu'il n'avait toujours pas lâché l'adolescent.
« Respire. » ordonna Severus, une touche d'appréhension dans la voix. « Occlude la douleur, si elle devient insupportable mais, surtout, laisse-les faire. »
Où étaient les insultes ? L'hostilité ? Le mépris mutuel ?
Occluder ? Depuis quand Harry était-il adepte de l'art de l'Occlumencie ? Il était vrai qu'Albus avait envisagé de l'instruire en la matière, surtout depuis la résurrection de Voldemort, mais il n'avait pas nourri de grands espoirs sur les dons éventuels que le garçon pouvait développer pour la matière. Harry était trop entier, manquait de concentration et, il fallait l'admettre, de discipline… Avec du temps, peut-être aurait-il pu…
Soudain, comme si quelqu'un, quelque part, avait appuyé sur un interrupteur, les lumières se séparèrent en deux groupes… Des essaims, songea Albus, on aurait dit des essaims d'abeilles absolument furieuses. C'était de la magie pure qu'il avait sous les yeux, et cette magie était instable. Il comprit ce qui allait se passer une seconde trop tard. Avant qu'il ait pu ne serait-ce que lever sa baguette, les lueurs s'était jetées sur les deux corps allongés au sol et furent comme… absorbées par leurs organismes.
Harry se mit à hurler le premier, comme si on l'avait soumis à un doloris. Severus, lui, serra les dents mais se recroquevilla en position fœtale.
Albus se fit violence pour ne pas intervenir. Severus avait dit de les laisser faire… Les laisser faire quoi, il l'ignorait. Les billes de lumières grouillaient sous leur peau comme des insectes mais il n'osait rien tenter qui puisse les mettre en danger, il n'osait pas approcher, il n'osait pas les toucher…
Il resta immobile, de terribles secondes, à observer deux personnes qui lui étaient très chères se tordre de douleur sur le sol, totalement impuissant.
Puis, alors qu'il allait céder au besoin d'intervenir, quelque chose sembla changer : les lumières diminuèrent jusqu'à disparaître et leur peau se mit à suinter un liquide violet. Il coulait de leurs yeux, de leur bouche…
« Severus ? » appela-t-il, avec inquiétude, mais l'homme ne sembla pas à l'entendre. Le cou arqué, la tête rejetée en arrière, les paupières étroitement fermées, son espion raclait le sol de ses ongles pour s'empêcher de crier. Harry, lui, avait cessé de hurler et, semblait-il, avait évacué tout le poison violet qui avait saturé son organisme. Le corps du garçon parut se détendre petit à petit jusqu'à ce qu'il pousse un léger soupir de soulagement. Le Professeur mit beaucoup plus de temps à arriver au même degré de relaxation.
« Harry ? » appela Severus, avec une extrême fatigue.
« Toujours pas mort. » répliqua le Survivant, comme s'il s'agissait d'une vieille plaisanterie.
« La potion devait quitter notre organisme ou nous aurions risqué l'empoisonnement. » expliqua Severus, sans faire le moindre mouvement pour se relever. « Je l'ai lié au sortilège pour qu'il nous en débarrasse lorsque nous serions arrivés, sains et saufs. »
Severus était couché par terre. Devant un élève. Un élève qu'il détestait. Il était couché par terre et ne faisait pas mine de chercher à cacher cet – excusable – accès de faiblesse.
Albus l'avait déjà vu ramper des grandes portes jusqu'aux cachots plutôt que d'appeler à l'aide, plutôt que d'avoir l'air vulnérable…
« Vous auriez pu m'avertir avant. » râla Harry, sans hostilité réelle. « C'est fini, maintenant ? »
« C'est fini. » confirma Severus. « Nous sommes rentrés. Les effets de la potion et du sortilège se sont totalement dissipés. Nous sommes en sécurité. Vous pouvez approcher, à présent. »
Trop absorbé par la scène absolument aberrante qu'il avait sous les yeux, Albus mit une seconde de plus que nécessaire à comprendre que ces derniers mots s'adressaient à lui. Mettant sa stupeur de côté, il se précipita vers eux, s'accroupissant près de l'adolescent mais posant une main sur l'épaule de Severus.
« Dois-je prévenir Poppy ? » s'enquit-il, avec incertitude.
Ils semblaient aller bien… Ils ne semblaient plus souffrir. Les yeux verts d'Harry le fixaient avec méfiance, mais Merlin seul savait ce qu'ils avaient traversé, alors il ne le prit pas pour lui. Son regard était clair, lucide… Le Survivant avait perdu ses lunettes, nota-t-il toutefois, et portait un uniforme de Serpentard…
Le mystère s'épaississait de minute en minute.
« Severus ? » insista-t-il, lorsque aucune réponse ne vint.
Le Professeur rouvrit brusquement les yeux et Albus se demanda s'il s'était endormi ou s'il avait perdu connaissance. La différence pouvait semblait minime mais si cette potion avait vraiment été toxique…
Il aurait vraiment dû prévenir Poppy, sans demander l'avis de son employé… Mais Severus détestait séjourner à l'infirmerie, cela lui rappelait son adolescence. Et Harry… Harry ne raffolait pas davantage des soins de l'infirmière.
« Je vais bien. » déclara Severus, avant de se redresser prudemment dans un soupir. Il resta assis par terre, toutefois, et ne tenta pas de se relever immédiatement. « Harry ? »
L'adolescent s'assit, lui aussi, mais s'écarta rapidement lorsqu'Albus chercha à l'aider.
« En pleine forme. » mentit Harry, ses doigts se refermant déjà sur la baguette qu'il avait lâché plus tôt. Il jeta un dernier coup d'œil à Albus – sans véritablement croiser son regard, remarqua-t-il – puis se tourna vers Severus – sans non plus totalement tourner le dos au Directeur. « Est-ce que je risque de mettre le feu à mes vêtements si j'essaye de faire disparaitre ce truc ? »
Le Survivant écarta de lui le tissu de sa chemise, imbibé de potion.
Severus émit un bruit amusé qui poussa Albus à tourner la tête vers lui, complètement perdu.
« Te connaissant ? » rétorqua le Professeur. « Oui. »
Harry lui fit une grimace qui, Albus en était sûr, allait pousser Severus à vouloir lui arracher la tête. Il se prépara à intervenir, s'interposer physiquement s'il le fallait, certain que son ami allait reprendre ses esprits et se mettre à vociférer sur son élève, mais… la confrontation à laquelle il se préparait depuis que ces deux là étaient tombés dans son bureau ne vint pas. Au lieu de reprendre le garçon sur son attitude irrespectueuse, Severus agita sa baguette.
En une seconde, leurs vêtements étaient secs et il n'y avait plus aucune trace de la potion.
« Albus. » lâcha finalement Severus, visiblement soulagé et heureux de le voir. Ce qui était plus qu'il ne pouvait en dire d'Harry, s'il devait en juger par son langage corporel. « Si nous nous trouvons pas dans la bonne réalité ou à la bonne période, je suggère que vous nous fassiez préparer des quartiers. Je n'ai ni la patience, ni l'énergie de vous expliquer nos problème de tempêtes magiques, à l'instant. »
Il eut enfin l'impression de retrouver son Maître des Potions. Il ne chercha pas à réfréner son sourire.
« Vous vous êtes faits attendre, mes enfants. » déclara-t-il, avec un sourire ravi, observant tour à tour son employé et leur élève. Aucun d'eux ne paraissait en mauvaise santé… Ils étaient certainement en meilleur état que Filius et sa chorale l'avaient été. « Je suis tellement heureux… Nous craignions que… »
« Il en faut beaucoup plus que ça pour nous achever. » l'interrompit Harry, non sans ironie, en se remettant debout.
Il y avait une fluidité nouvelle dans ses gestes, une certaine… assurance.
Albus fronça les sourcils au moment où Severus accepta la main que l'adolescent tendait pour l'aider à se lever. Le vieux sorcier les imita, son enthousiasme diminuant de seconde en seconde.
Quelque chose avait changé, c'était évident. Il ne fallait pas être un génie pour déterminer quoi, et, malheureusement pour lui, Albus était un génie. L'admiration qu'Harry lui avait toujours vouée avait totalement disparu, elle semblait, à présent, être totalement dirigée vers Severus. Quant au Professeur… Il gardait Harry dans son champ de vision, interagissait avec lui de manière informelle, presque détendue, et s'était placé de manière à pouvoir le défendre en cas d'altercation. La conclusion s'imposait : Severus et Harry s'étaient attachés l'un à l'autre.
Ce n'était pas un développement qu'il avait anticipé, même lorsqu'il s'était aventuré à composer ses plans avec leur éventuel retour en tête.
Il n'était pas certain des ramifications qui pouvaient découler de ce nouvel état de faits inattendu… Il n'était pas persuadé qu'elles soient majoritairement positives…
« Je crois que vous avez beaucoup à me raconter. » déclara-t-il, pour couper court à la tension désagréable qui était en train d'envahir son bureau.
« Combien de temps est-ce qu'on est parti ? » demanda immédiatement Harry, en s'installant sur le fauteuil que lui désigna Dumbledore.
« Professeur. » intervint Severus.
Albus tourna la tête vers lui, momentanément distrait de la rancœur tenace qu'il percevait dans la voix d'Harry. Mais le Maître des Potions ne le regardait pas, il fixait Harry avec insistance. La bataille de volonté dura quelques secondes puis le garçon leva les yeux au ciel, en soupirant.
« Combien de temps est-ce qu'on est parti, Professeur ? » répéta l'adolescent, un peu plus poliment.
Ou, du moins, cela aurait été un peu plus poli s'il n'avait pas été évident qu'il ne s'exécutait que sous la menace.
« Un peu moins d'effronterie ne serait pas malvenu, non plus. » siffla Severus. « Le moment est mal choisi pour émuler le comportement de votre père, Mr Potter. »
Un élan rebelle passa sur le visage du garçon puis fut apparemment maîtrisé. Harry indiqua d'un hochement de tête que le reproche était compris et Severus l'observa quelques secondes de plus avant de, visiblement, considérer l'incident clos et de s'installer sur l'autre fauteuil.
Albus éprouva brusquement le besoin de s'asseoir, lui aussi, et retourna s'installer derrière son bureau, avec l'impression très dérangeante d'avoir, lui-même, changé de dimension. Et il en fallait beaucoup pour le déstabiliser… D'un geste distrait de la main, il fit voler tasses, théière, sucre et lait, laissant le tout se préparer seul.
Severus leva un sourcil, sachant qu'Albus n'aimait pas faire étal de ses prouesses magiques et utilisait généralement sa baguette lorsqu'il avait de la compagnie. Le vieux sorcier répondit à sa question muette par une geste fatigué et l'éclat amusé disparut du regard de son ami, au profit d'une légère inquiétude.
Harry n'avait rien remarqué, trop occupé à caresser Fumseck qui était venu se percher sur son épaule.
« Un peu moins de six mois. » répondit finalement Albus.
Le Survivant parut soulagé et sourit à Severus avec amusement. « Nous ne sommes pas dans une dimension démoniaque et il ne s'est pas écoulé des années. Peut-être que vous allez avoir votre médaille, après tout… »
Le Professeur marmonna quelque chose qui ressemblait à s'y méprendre à « garnement insupportable » mais Albus prétendit ne pas avoir entendu.
« Combien de temps s'est-il écoulé pour vous ? » s'enquit-il, dirigeant sa question vers Severus davantage que vers Harry. Le garçon lui jetait toujours des regards peu aimables lorsqu'il pensait que le Maître des Potions ne regardait pas, toutefois ses intentions ne pouvaient pas être si mauvaises que cela ou Fumseck ne se serait pas laissé cajoler comme il était en train de le faire.
« Environ huit mois. » déclara Severus, en attrapant la tasse de thé qui flottait vers lui. « Sommes-nous les seuls à avoir été touchés par la tempête ? L'épicentre se trouvait dans les cachots, n'est-ce pas ? Mes élèves… »
« Tous vos élèves sont en parfaite santé. » offrit Dumbledore, pour couper court à ses inquiétudes. « Filius et la chorale ont été pris dans la réplique. Il a perdu deux élèves mais est parvenu à rentrer, il y a un peu moins d'un mois. »
« Deux élèves ? » releva Harry, toute trace d'hostilité disparue.
« Cecily Hightower et Benjamin Daggins, quatrième et première année, Serdaigle et Poufsouffle. » précisa-t-il, avec regret. Les réjouissances du retour de Filius avaient été teintées de deuil… Il prit une gorgée de thé pour effacer le souvenir des parents éplorés qu'il n'avait pas su consoler. Il n'existait pas de mots pour alléger la peine que l'on éprouvait à perdre un enfant.
Le garçon avait posé sa tasse sur le bureau, sans y toucher, paraissant heureux de continuer à caresser le phœnix, qui avait sauté de son épaule à ses genoux, et caquetait joyeusement devant l'attention soutenue dont il faisait l'objet.
« Oh. » lâcha le Survivant. « Je ne les connaissais pas… C'est triste. Qu'est-ce qui s'est passé ? »
« Ils ont probablement eu moins de chance que nous. » soupira Severus, en reposant sa tasse sur la coupelle avec la précision chirurgicale qu'il mettait à toute chose. « Il est miraculeux que nous n'ayons pas nous-mêmes fini dans un endroit moins accueillant. »
« Accueillant, il faut le dire vite. » rétorqua Harry, mais Albus eu l'impression que c'était plus pour la forme que parce qu'il le pensait vraiment.
« À ce sujet… » reprit-il, invitant d'un geste Severus à s'expliquer.
Le Maître des Potions passa une main sur son visage, comme pour en chasser la fatigue, puis se tourna vers Harry.
« Je ne pense pas que ta présence soit nécessaire pour ce qui va, sans aucun doute, se transformer en un récit pénible et détaillé. » déclara Severus, avant de jeter un coup d'œil à la pendule au dessus de son bureau. « Le couvre-feu est passé, tes amis doivent être dans la Tour… Si tu veux aller les retrouver maintenant… »
Harry hésita.
« Vous n'allez pas discuter de choses qui me concernent sans avoir l'intention de me les répéter ensuite ? » exigea de savoir le garçon, avant de glisser un autre coup d'œil noir vers lui. « Comme une certaine prophétie, par exemple ? »
Ah. Ainsi, c'était la prophétie qui avait mal disposé Harry à son égard. Il avait réfléchi tant de fois à la meilleure manière de la lui révéler, de lui présenter la situation sous son jour le plus optimiste… Plusieurs fois, ces dernières années, il avait voulu la lui faire entendre et puis… Et puis, il avait manqué de courage. Par bien des côtés, Harry était encore un enfant. Par bien des côtés, Albus avait voulu lui laisser plus longtemps le droit d'être innocent…
Il était encore trop tôt… Qu'est-ce qui avait bien pu pousser Severus à la lui révéler ? De quel droit, la lui avait-il révélée ?
Cependant, il était vrai que le Professeur n'avait jamais cru en cette prophétie, en premier lieu.
« Il s'agit certainement du moment opportun où je vous signale qu'Harry n'ignore plus rien. » déclara Severus, avant de se tourner vers le garçon. « Ce qui n'est, toutefois, pas une excuse pour son impolitesse. N'avons-nous pas discuté des différences entre… »
« Ça n'a rien à voir, Professeur. » coupa Harry, avant que le Directeur ait pu assurer à Severus qu'il était parfaitement capable de reprendre le garçon sur son comportement, sans son aide, s'il le désirait. L'interruption arriva probablement au bon moment parce qu'Albus doutait, à les voir interagir, qu'aucun des deux aurait bien pris sa remarque. Il avait la sensation de flotter dans des drôles de limbes, prisonnier entre ce qui avait été par le passé et le statuquo actuel, sans savoir où était sa place. S'il n'était plus le médiateur entre Severus et Harry, qui était-il pour eux ? « Vous ne comprenez pas ce que la prophétie veut dire ? Pourquoi il me l'a cachée ? Je ne suis qu'un pion pour lui. Et vous aussi ! »
« J'ai fait mes choix, nous avons déjà eu cette conversation. Rien n'a changé. » répliqua sèchement Severus. « Quant à toi, tant que j'ai mon mot à dire, tu ne fais plus parti de leur échiquier. »
Albus leva les sourcils, affichant ouvertement sa surprise. Se prendre d'affection pour Harry était une chose, il pouvait parfaitement le comprendre, surtout au bout de huit mois, mais ce que Severus sous-entendait… Comptait-il lui indiquer, à lui, comment mener sa guerre, à présent ? Il n'était pas certain que la nouvelle dynamique qu'il sentait s'établir entre eux trois puisse fonctionner de manière réaliste. Bien qu'il ait toujours déploré l'hostilité entre Harry et Severus, l'absence de liens entre eux avait toujours joué en leur faveur… S'il suivait la métaphore de cet échiquiers, qu'ils semblaient avoir évoquée plus d'une fois entre eux, les pions de l'espion et du Sauveur étaient disposés aussi loin l'un de l'autre qu'il était possible de l'être… C'était malheureux, cela lui brisait le cœur, et il aurait fait tout ce qui était en son pouvoir pour changer la donne, mais le fait demeurait : dans cette partie d'échec, Harry était un pion clef. Il demeurait sur l'échiquier jusqu'au dernier moment.
« Je ne sors pas de l'échiquier sans vous. » répondit doucement Harry, avec un sourire triste et beaucoup plus de lucidité que Severus. « Vous ne l'avez pas encore compris ? »
Fumseck émit une série de notes mélancolique et donna un petit coup de tête au garçon, qui lui gratta distraitement le ventre. Néanmoins, l'expression du garçon ne tarda pas à s'adoucir, devenant moins sombre, à mesure que le chant du phœnix déroulait sa magie et ramenait l'espoir dans son cœur.
« Harry. » intervint fermement Albus, avant que Severus ait pu faire quelque chose de stupide, comme promettre au Gryffondor un million de choses impossibles... Il ne voulait pas être dans la position de l'homme qui devrait refuser sa liberté à l'un ou son bonheur à l'autre. Les sacrifices qu'il serait obligé d'exiger d'eux, lorsque le moment serait venu, pesaient suffisamment lourds sur sa conscience. « Crois-moi lorsque je te dis que ni Severus, ni toi n'êtes uniquement que des pions que je manipule à loisir. J'ai la plus profonde affection pour vous deux. Je ne pourrais pas davantage tenir à vous si vous étiez de mon propre sang. »
Severus émit un bruit amer et moqueur.
« À vous deux. » insista Albus, mais le Professeur persista à fusiller sa tasse des yeux.
Harry, lui, croisa véritablement son regard pour la première fois depuis leur retour. Comprenant instantanément ce que cherchait le garçon, Albus abaissa suffisamment ses boucliers pour que l'adolescent puisse percevoir la sincérité de ses paroles. Il ne put toutefois s'empêcher, lorsque la connexion fut établie, d'admirer les flammes ardentes qui protégeaient l'esprit de son élève. Peu subtil, assurément, mais efficace. Le barrage ne l'aurait pas arrêté s'il avait véritablement eu l'intention de pénétrer à l'intérieur de son crâne, mais il n'était pas certain d'avoir pu s'immiscer dans sa tête sans être remarqué. Severus n'avait pas chômé, durant ces huit derniers mois.
Il doutait que Voldemort puisse passer facilement ces protections…
« Si je t'ai dissimulé la prophétie, Harry, c'était pour te protéger. » reprit-il, la voix tremblante de franchise. « Je ne voulais pas t'imposer, trop tôt, le fardeau de devoir être l'Élu. Tu avais certainement le droit de savoir et je m'en excuse. Nous avons tous nos faiblesses. La mienne est très certainement l'amour que je te porte. »
Le garçon cessa d'explorer les limites de son esprit, visiblement satisfait par la véracité de ses propos. Albus sentit un énorme poids s'envoler de sur son cœur, sachant qu'il était compris à défaut de pardonné, et ils échangèrent un sourire hésitant. Perdre l'affection d'Harry aurait été terrible…
« Cette prophétie est idiote. » grinça Severus, ses deux mains agrippant les accoudoirs avec tant de force que ses phalanges étaient blanches. « Harry ne sera pas votre Élu. »
Albus se frotta le front, sentant naître une migraine. Il aurait parié que c'était une discussion, voire une dispute, qui serait récurrente au cours des prochains mois et il ouvrit la bouche, tout disposé à expliquer à Severus pourquoi, exactement, il ne pouvait connaître tous les détails de son plan, lorsqu'il croisa le regard d'Harry, par-dessus ses lunettes en demi-lunes.
Et il referma la bouche, sans avoir prononcé un mot de ce discours. L'échange ne dura pas davantage d'une fraction de seconde, mais il fut suffisant pour qu'Albus se détende à nouveau, sans parvenir à se départir d'un sentiment de tristesse.
Il avait lu la résignation dans les yeux d'Harry, l'acceptation. Severus ne voulait peut-être pas croire en la prophétie, mais Harry y croyait. Harry savait. Et, lorsque le moment serait venu, Harry deviendrait l'Élu dont ils avaient besoin.
Harry ne descendrait pas volontairement de l'échiquier, n'en déplaise à Severus.
Et Severus… Oh. Le Maître des Potions évitait sciemment leurs regards. Ainsi, il n'était pas aussi convaincu par ses propres paroles qu'il aurait aimé l'être. Peut-être voulait-il se voiler la face, mais ce n'était pas un comportement que Severus adoptait généralement… Peut-être souhaitait-il protéger Harry, par un mensonge pieux, en espérant trouver une solution plus tard… Peut-être.
Albus sentit son cœur se briser dans sa poitrine. Était-il tragique que ces deux là se soient finalement trouvé alors que l'un, comme l'autre, étaient probablement condamnés, ou bien était-ce une douce consolation qu'il ait enfin trouvé la famille à laquelle ils avaient toujours aspiré ?
« Nous sommes mardi. » déclara-t-il, choisissant de changer le sujet. « Je pense que tu as plus de chances de trouver tes amis dans une certaine pièce, au septième étage, qui… »
« La pièce va-et-vient ? » coupa Harry, perplexe.
Étonné, Albus leva les sourcils. « Je n'avais pas conscience que tu connaissais son existence. »
« Qu'est-il advenu du couvre-feu ? » soupira Severus, avec la contrariété de l'enseignant qui savait qu'il allait devoir remédier lui-même aux problèmes de discipline. « N'y a-t-il plus personne capable de faire respecter le règlement, dans cette école ? De votre part, je n'en attendais pas moins, mais j'espérais que… » Le Maître des Potions s'interrompit, son visage se tordant soudain avec angoisse avant de redevenir le masque lisse et indifférent qu'il était d'ordinaire. L'inquiétude, toutefois, ne quitta pas son regard. Albus tapota nerveusement l'accoudoir, devant ce manque de maîtrise, une nouvelle crainte se rajoutant aux autres. « Minerva ? »
C'était tout à la fois une question et une supplique.
De la même manière que Severus s'était soudain fermé, Harry sembla instantanément se préparer à entendre une mauvaise nouvelle. Dans un moment d'anxiété, il attrapa Fumseck un peu trop fort, s'il fallait en croire le caquètement désapprobateur.
« Minerva est en parfaite santé. » se dépêcha-t-il de les rassurer, sans véritablement comprendre d'où venait cette crainte soudaine. « Elle sera certainement soulagée et heureuse de vous revoir, tous les deux. »
Ils semblèrent souffler avec le même soulagement.
« Qu'est-ce qu'ils font au septième étage ? » demanda Harry, après s'être raclé la gorge.
Un sourire amusé se dessina sur ses lèvres, et Albus lui fit un clin d'œil. « Je n'en ai pas la moindre idée. »
Severus, absolument pas dupe, leva les yeux au ciel.
« Ce qui signifie que vos Gryffondors se sont lancés dans une entreprise dangereuse et idiote et que vous refusez d'intervenir. » Le Mangemort tourna, vers Harry, un regard qui promettait un million d'ennuis s'il s'avisait de désobéir. « Je t'interdis de te laisser entraîner dans une nouvelle Cabane Hurlante. »
Harry eut l'air très amusé par la sévérité soudaine du Professeur.
« Et vous aviez peur de ne pas trouver de raisons de me donner une retenue. » taquina gentiment le garçon.
C'était probablement la première fois qu'Albus voyait un élève prendre la main mise sur Severus, ou, au minimum, ne pas trembler devant ses menaces.
« Oh, à ta place, je ne me soucierai pas de cela, si tu continues dans cette veine, tu auras une dizaine de retenues avant même de quitter ce bureau. » promit le Maître des Potions, de son ton le plus dangereux.
Cela ne parut pas impressionner Harry qui se retourna vers Albus, les yeux pétillants d'amusement.
« C'est long, six mois. » lâcha le garçon, en redevenant sérieux. « Qu'est-ce qui s'est passé d'important ? »
« Eh bien… Voyons… » réfléchit rapidement Albus, dans un sourire. « Sirius a été innocenté. »
Il s'était attendu à une explosion de joie, il fit face à un masque soigneusement étudié. Harry occludait. Et il n'était pas le seul. Severus avait l'air d'avoir avalé un citron entier mais tenait sa langue et dissimulait sa mauvaise humeur soudaine derrière une expression de totale indifférence. La réaction du Professeur n'était pas surprenante, Albus n'avait pas été impatient de le lui apprendre et il appréhendait le moment où le Mangemort découvrirait que, non seulement Sirius avait été libéré, mais, qu'en plus, il était devenu la coqueluche de la communauté magique. La presse se battait pour ses interviews, une cinquantaine de sorcières voulaient l'épouser, et il était, plus ou moins, devenu le visage de la résistance contre Voldemort et le symbole de l'inefficacité du Ministère – un fait que Rufus Scrimgeour ne cessait de lui reprocher, à lui, comme s'il avait eu une quelconque influence sur l'Animagus.
Le manque d'enthousiasme d'Harry, en revanche, était étonnant. Il avait pensé se retrouver assailli par les questions de l'adolescent et, au minimum, deux ou trois suppliques pour que Sirius se retrouve officiellement en charge de sa tutelle… Sirius, lui, ne cessait de ramener le sujet sur le tapis à chaque conversation, en dépit de la réponse négative d'Albus. Le vieux sorcier ne s'opposait pas à ce que Sirius accueille Harry une bonne partie des vacances, mais la tutelle et au moins un quart de l'été appartenaient à Pétunia. Il demeurerait inflexible sur le sujet.
Il espérait sincèrement que Severus aurait la présence d'esprit de ne pas exiger la même chose que Sirius. L'Animagus était un chien fou qu'il pouvait compter sur Remus pour museler lorsqu'il le fallait, mais Severus ? Il n'avait aucun moyen de faire taire Severus, sans ruiner leur amitié. Et il tenait à leur amitié.
« Tant mieux pour lui. » répondit Harry, assez froidement. « Ce n'était pas juste qu'il soit obligé de se cacher pour un crime qu'il n'avait pas commis. »
Severus soupira et parut s'obliger à mettre son déplaisir de côté. Albus n'avait jamais vu l'homme agir ainsi, vraiment… Il ne savait pas s'il devait s'en réjouir ou s'en inquiéter.
« Harry. » déclara le Mangemort, avec une douceur que le Directeur ne lui aurait jamais soupçonné. « Les différences… »
« Je sais. » l'interrompit le garçon, avant de hausser les épaules. « C'est juste que… Je ne veux pas le voir, tout de suite. Je ne suis pas obligé, n'est-ce pas ? »
La question était dirigée vers Severus mais, contrairement à ce qu'Albus aurait pu penser, le Professeur ne s'empressa pas d'accéder à sa demande. Il n'eut même pas l'air de se réjouir du fossé évident qui s'était creusé entre Harry et son parrain.
« Pour tous ses défauts… » hésita le Professeur. « Je suis certain que Black devait être inquiet pour toi. Peut-être serait-il mieux que… »
« Je ne veux pas le voir. » persista Harry. « Pas encore. Professeur Dumbledore ? »
Surpris d'être pris à parti – puisque, apparemment, il n'avait plus guère son mot à dire – Albus leva les mains, paumes vers le ciel, en signe d'ignorance.
« Je peux demander à Sirius d'attendre, évidemment. » déclara-t-il, tout en sachant qu'il faudrait bien davantage que ce genre de demandes pour tenir Sirius éloigné de Poudlard et de son filleul plus de quelques jours. « Toutefois, si je peux me permettre, Harry, le Professeur Snape a raison. Sirius était dévasté par ta disparition, et… »
« Il peut m'écrire. » coupa le Survivant. « Je ne veux pas le voir. On ne peut pas m'y obliger. »
Il jeta un coup d'œil incertain vers Severus, comme pour vérifier qu'aucune loi cosmique ne le forçait à recevoir son parrain s'il ne le voulait pas. Le Maître des Potions sembla débattre, un instant, avec lui-même, puis acquiesça d'un bref hochement de tête.
« Tant que tu ne fuis pas indéfiniment le problème. » avertit, cependant, l'homme.
Harry leva discrètement les yeux au ciel et attrapa finalement la tasse de thé. Il la réchauffa d'un coup de baguette.
« Autre chose d'important ? » s'enquit le garçon, en prenant une gorgée du liquide.
Albus hésita.
Par lâcheté pure, il aurait préféré que la nouvelle vienne de ses amis plutôt que de lui. Hermione Granger la lui aurait certainement apprise avant que Ron Weasley ait pu en pâtir… Il ne voulait pas voir la dévastation dans les yeux du garçon, quand…
« Poudlard a été plutôt animé, ces derniers temps. » plaisanta-t-il, pour gagner du temps. « Je laisse à tes amis le soin de te raconter les détails, disons simplement que nous nous trouvons à court d'un Professeur de Défense contre les Forces du Mal. »
Severus se redressa légèrement, visiblement intéressé. « Et, étant donné que vous voilà très certainement avec deux Maîtres des Potions, la solution est toute trouvée. »
« La malédiction. » rappela Harry, très justement, avant qu'Albus ait pu le faire.
Severus balaya l'argument d'un geste de la main agacé, les yeux brillants de convoitise. « J'ai débuté l'année, autant que je la termine. Je retournerai à mon poste, l'an prochain, dans le pire des cas. Tous les Professeurs de Défense n'ont pas subi le même sort que Quirrell. »
Albus hésita. « Horace n'était pas enchanté par l'idée de revenir à Poudlard. Peut-être, puisque vous êtes revenu, souhaitera-t-il… »
« Slughorn ? » s'exclamèrent, en cœur, Harry et Severus.
Albus dissimula un sourire amusé derrière sa main. Horace ne faisait, décidément, pas l'unanimité. Il ne comptait plus le nombre de fois où Minerva avait prédit qu'il finirait par faire exploser le château – une croyance que semblait partager certains élèves.
Restait la question évidente.
« Comment connais-tu le Professeur Slughorn, Harry ? » demanda Albus, sachant pertinemment qu'ils ne s'était jamais rencontrés.
Harry laissa échapper un grognement dépité.
« Oh, je ne connais pas celui-ci. » admit le Survivant, comme si ça expliquait tout. « Est-ce qu'il s'est amélioré ? »
« J'en doute. » lâcha Severus, avant de se pencher en avant, les mains jointes, les yeux rivés sur Albus. Il avait l'air prêt à s'entendre annoncer une catastrophe. « Première question, dans quel état sont ma salle de classe et mon inventaire. Deuxième question, dites-moi que vous ne l'avez pas nommé Directeur de Maison honoraire, même Minerva aurait été un meilleur choix. Troisième question, combien d'accidents y a-t-il eu et combien de blessés. »
Harry manqua s'étouffer dans son thé, tant il riait.
« Vous savez, Professeur… » remarqua le garçon. « J'admire vos priorités. »
Albus s'attendait à ce qu'Harry écope de la retenue promise, mais Severus était beaucoup trop occupé à le maudire, lui, pour s'intéresser aux commentaires de l'adolescent. Il s'empressa de le rassurer au mieux : sa salle de classe était intacte, Minerva avait, de toute manière, géré bien plus que ce que son rôle exigeait ces derniers mois, et, de mémoire, il n'y avait eu que des explosions mineures et aucun blessé. Severus n'avait toujours pas l'air ravi à la fin de ses explications.
« Ne pensez pas que la présence de Slughorn soit suffisante pour que je renonce au poste de Professeur de Défense. » lâcha tout de même l'espion, une fois certain que ses cachots n'avaient pas subi de dégâts au-delà du réparable.
« Il est génial en Défense. » renchérit Harry. « Meilleur que Remus, même. »
Ce qui, venant du Gryffondor, était le compliment le plus élogieux que l'on pouvait obtenir sur le sujet.
« Éloquent, comme à l'accoutumé. » grinça le Professeur.
Albus hésita. Confier le poste à Severus, en gardant la malédiction en tête, était jouer avec le feu. Mais il commençait à soupçonner que la dimension dans laquelle ils avaient atterris était plus parallèle que démoniaque – elle semblait n'avoir rien eu, en tout cas, de commun avec la jungle décrite par Filius – et que Severus, pour une raison ou une autre, avait déjà occupé le poste durant ces huit mois.
Maudits soient-ils, parce que leurs regards remplis d'espoir, et presque suppliants, étaient plus qu'il ne pouvait affronter.
Il y avait tellement peu de leurs requêtes auxquelles il pouvait accéder…
« Je suppose… » capitula-t-il, dans un soupir. « Que c'est, après tout, la solution la plus logique. »
À défaut d'être la meilleure.
Harry ne chercha pas à contenir son sourire extatique. Severus, lui, adopta une expression qui se voulait nonchalante mais qui dissimulait mal une certaine satisfaction. Et, songea-t-il, qui ne manquait pas de reconnaissance.
Fumseck s'envola brusquement pour retrouver son perchoir, laissant Harry les mains vides.
« C'est tout ce qu'i savoir ? » demanda le garçon, visiblement impatient à l'idée de retrouver ses amis.
« N'as-tu plus besoin de lunettes ? » s'enquit Albus, pour retarder encore un peu le moment où il lui faudrait expliquer que…
Harry haussa les épaules. « J'ai des lentilles. Au départ, c'était pour me déguiser, mais je trouve ça plutôt pratique. »
« Ces passionnantes considérations esthétiques mises à part… » intervint Severus, avant qu'il ait pu demander pourquoi Harry avait eu besoin de se déguiser. « Que nous cachez-vous, Albus ? Je connais vos méthodes, ne l'oubliez pas. »
Il y avait une touche de défi dans la voix du Professeur, de provocation presque. Albus aurait aimé lui dire que tout, dans la vie, n'avait pas besoin d'être un combat, mais il savait que Severus n'accepterait pas la remarque, alors il préféra garder le silence.
« Professeur Dumbledore ? » insista Harry, toute légèreté disparue. « Qu'est-ce qui s'est passé ? »
Malgré tous ses efforts, Albus sentit le chagrin s'afficher sur son visage. Il ne savait pas ce que Severus avait imaginé qu'il leur cachait – un complot ou un autre, sans doute – parce que la suspicion déserta totalement le regard de son espion, au profit d'une profonde lassitude.
« Qui ? » s'enquit le Professeur, simplement.
Harry n'eut pas besoin de davantage pour tirer ses propres conclusions.
« Quelqu'un proche de moi. » lâcha le Survivant, d'un ton monocorde. « Il n'aurait pas autant hésité sinon. Ron et Hermione ? »
Il y avait une telle volonté de se détacher des évènements dans la voix du garçon, qu'Albus prit peur. La manière que Severus avait de gérer les crises et les deuils n'était pas saine, il le lui répétait depuis des années, et si Harry se mettait à l'imiter…
« Mr Weasley et Miss Granger sont tous les deux sains et sauf. » s'entendit-il répondre, sans véritablement savoir ce qu'il allait dire. Quels mots employer ? « Il s'agit de… Il s'agit d'Arthur Weasley, Harry. Je suis désolé. »
Une nouvelle fois, les réactions de ses interlocuteurs le surprirent. Severus resta figé, plusieurs secondes, ce qui n'était pas si étonnant que cela, supposait-il. Arthur était un des rares à n'avoir jamais manifesté aucune hostilité envers Severus – il n'avait jamais été hostile avec personne si ce n'était peut-être Lucius Malfoy, de toute manière – et Albus estimait que les deux hommes avaient eu une relation cordiale. Le Mangemorts s'empressa, pourtant, de se tourner vers Harry avec inquiétude. Harry qui n'avait pas bronché et paraissait s'être refermé comme une huitre…
« Comment c'est arrivé ? » demanda calmement le Gryffondor.
« Ce n'est pas ta faute. » gronda immédiatement Severus, en attrapant l'épaule du garçon. « Sors-toi de la tête le scénario que tu es en train d'élaborer. Tu n'aurais pas pu le sauver. Tu n'es pas responsable. Ce n'est pas ta faute. »
Albus fronça les sourcils, sans suivre le raisonnement du Professeur. Évidemment que ce n'était pas la faute d'Harry… Quoi qu'une partie de lui ne pouvait s'empêcher de se demander ce qui se serait passé si le Survivant avait été là, lorsque l'attaque avait eu lieu… Aurait-il eu une vision ? Seraient-ils arrivés à temps pour sauver Arthur ? Mais les choses étaient ce qu'elles étaient et Harry n'était certainement pas coupable de la mort du patriarche Weasley.
Le regard qu'Harry tourna vers Severus était perdu dans le vague.
« Harry. » insista le Maître des Potions, avec une détresse contenue. « Tu m'entends ? » Le Professeur claqua rapidement des doigts devant les yeux verts sans obtenir de réaction. « Harry, sers-toi de l'Occlumencie. »
« Severus ? » s'inquiéta Albus, à moitié levé de son siège.
L'espion ne lui jeta qu'un bref coup d'œil exaspéré.
« Ne vous était-il pas venu à l'esprit ce que l'épisode du cimetière pouvait avoir de traumatique ? » grinça Severus, avec un mépris et une rancœur palpable. « Il aurait fallu anticiper ce problème-ci avant que la culpabilité ait pu le ronger jusqu'à l'âme. »
Le Maître des Potions fouilla dans ses poches et en extirpa une fiole qu'il décapsula, sans toutefois la donner à l'adolescent qui avait brusquement pâli, la respiration courte et sifflante.
« Respire. » ordonna Severus, en secouant légèrement l'épaule du garçon de sa main libre. « Respire et occlude. »
Harry prit une grande inspiration et cilla plusieurs fois. Ses joues retrouvèrent un peu de leur couleur, il attrapa la fiole que Severus lui tendit et l'avala sans un mot. Albus identifia l'odeur caractéristique des potions calmantes que l'homme fabriquait par la douzaine en période d'examens – pour les élèves, comme pour les professeurs. Il se rassit lentement, observant la scène qu'il avait sous les yeux.
« Harry ? » appela Severus, avec cette tendresse si incongrue chez lui.
Harry continua à papillonner des paupières rapidement, comme s'il luttait pour se maîtriser.
« Papa ? » hésita le Gryffondor.
Albus manqua choir de son fauteuil lorsque Severus répondit par l'affirmative.
« Ça va. » confirma le garçon, à la question du Maître des Potions. « C'est juste… Mr Weasley… Ça m'a rappelé Godric's Hollow et… Ça va, Professeur, je vous jure. »
Des larmes roulaient sur les joues du garçon mais il ne paraissait pas véritablement s'en rendre compte, trop occupé à répéter qu'il allait bien lorsqu'il était tellement évident que ce n'était pas le cas. Harry finit par se lever, éprouvant visiblement le besoin de mettre de la distance entre lui et les regards inquiets que les deux hommes posaient sur lui.
« Je devrais aller retrouver Ron et Hermione. » lâcha le Survivant. « Ils ont dû s'inquiéter pour moi. En plus du reste… »
C'était toute la douleur qu'il s'autorisa à montrer sur le sujet d'Arthur Weasley. Albus eut la sensation qu'entre Harry et eux, il y avait un gouffre de souffrance qu'aucun d'eux n'aurait pu franchir. Et peut-être était-ce aussi bien… Le garçon avait toujours su accepter les coups durs que le destin lui jouait avec aplomb, tout ce dont il avait besoin était de temps et de solitude. S'ils lui donnaient cet espace que l'adolescent réclamait tacitement, à présent…
« Harry. » grinça Severus, en attrapant le poignet du Gryffondor.
Severus ne semblait pas partager ses convictions, ce qui était regrettable parce qu'Albus connaissait Harry et savait ce qui était mieux pour lui. Il connaissait Harry. Et le garçon ne répondrait pas favorablement à ce genre d'incursion dans sa douleur, il fallait lui donner du champ libre, le laisser venir à eux plutôt que d'insister et de l'obliger à…
Harry soupira, avec une exaspération qui sonna fausse aux oreilles d'Albus, mais ne se dégagea pas de la poigne du Mangemort.
« Je ne suis pas responsable. » marmonna le garçon, les yeux rivés au sol. « Je n'aurais rien pu y changer. »
Une expression de profonde lassitude passa sur le visage de Severus. Parce que les mots du Gryffondors étaient tout sauf sincères ? À nouveau, le Maître des Potions le surprit : au lieu de le réprimander ou de le lui faire remarquer, il se contenta de secouer gentiment le bras de l'adolescent.
« Aucun acte inconsidéré. Aucune de ces âneries dont tu as le secret. Si tu t'apprêtes à faire quelque chose qui me rendra furieux, rends-nous service, et abstiens-toi. » énuméra Severus, non sans amusement. « Et, puisque tu le feras tout de même, souviens-toi tout du long qu'il y a probablement une centaine de chaudrons dans les cachots qui attendent d'être récurés. Cela étant dit, j'apprécierai une ou deux semaines de repos supplémentaires avant la prochaine catastrophe. »
L'ombre d'un sourire joua sur les lèvres d'Harry mais le chagrin ne quitta pas son visage.
« Les autres vont poser des questions. » remarqua l'adolescent. « Je garde les gros événements et j'omets les détails ? »
Severus parut étudier sa question plusieurs secondes, son regard noir s'égarant vers Albus comme pour le consulter, avant de se reprendre et de hocher la tête.
« Il semble que nous n'en ayons pas terminé avec nos secrets. » approuva le Mangemort. « Je te fais confiance. » Il était question de davantage, avec cette phrase, que du récit de leur séjour, comprit Albus. « Tu sais quoi dire. »
« La vérité est le meilleur des mensonges. » récita Harry, avec beaucoup trop d'amertume pour quelqu'un de son âge.
Albus s'engonça légèrement dans son fauteuil. Qu'était allé lui apprendre Severus ? Il n'appréciait pas réellement ce discours. Par-dessus ses lunettes en demi-lunes, son regard bleu accrocha la cravate verte-et-argent qui pendait négligemment autour du cou du garçon… Huit mois. Était-ce assez pour absorber les plus fines qualités de Serpentard tout en rejetant les failles ? Il n'avait rien contre la Maison de Serpentard, il pratiquait quotidiennement les vertus que l'on y prêchait, mais c'était le Gryffondor pur souche qu'était Harry dont ils avaient besoin… Les Serpentards avaient tendance à faire passer leur survie et celle de leurs proches avant toute autre chose, Harry devrait être capable de s'oublier lui-même et d'oublier ses amis pour le bien de la communauté magique.
« Bien. » approuva Severus, sans paraître remarquer la désapprobation qui émanait de lui. Comment l'aurait-il pu ? Il ne lui prêtait aucune attention, tout entier concentré sur l'adolescent devant lui.
Harry hésita, clairement partagé entre son envie de quitter le bureau et une réticence évidente à quitter le Mangemort.
« Vous vous rappelez de ce que vous m'avez promis à Noël, n'est-ce pas ? » demanda soudain le Gryffondor. Le regard vert se tourna furtivement vers le Directeur avant de se fixer sur Severus, avec une intensité presque agressive.
Le Professeur ne flancha pas, il se contenta d'hocher une fois la tête. Albus fut soulagé de le voir occluder suffisamment bien pour dissimuler son mensonge. Il ne savait pas ce dont il était question mais, au moins, il fut quelque peu rasséréné sur les capacités de son espion. Ses boucliers avaient soufferts mais ils étaient encore…
« Vous trouverez un prétexte pour me donner une retenue, demain ? » exigea encore l'adolescent, avec une certaine forme de crainte.
Le Directeur n'était pas certain de saisir tout ce qui se tramait devant lui et ça l'irritait davantage de seconde en seconde. Il pouvait comprendre qu'ils se soient attachés l'un à l'autre, mais le comportement d'Harry était très étrange. L'adolescent était très indépendant, obéissait à des codes moraux nobles, ne vivait que pour ses amis, et ne prenait véritablement d'ordres de personne excepté d'Albus… Harry aurait déjà dû quitter le bureau pour courir retrouver les deux autres Gryffondors…
Une nouvelle fois, Severus hocha la tête, ne donna pas de réponse verbale, ce qui était curieux parce que Severus n'était jamais à court de mots.
Albus n'eut pas de mal à comprendre l'origine de ce silence. Le Maître des Potions paraissait aussi anxieux à l'idée de se séparer de l'adolescent que l'était Harry. Ils se dévisagèrent durant une longue minute et, s'il n'avait pas su la chose impossible, le vieux sorcier aurait presque conclu qu'ils communiquaient par télépathie.
Il s'apprêtait à leur rappeler que la nuit ne rajeunissait pas et qu'il aurait aimé des explications, lorsque Harry se jeta brutalement sur Severus. À nouveau, Albus se leva à moitié, baguette en main, persuadé que le Survivant avait attaqué son espion. Sauf que ce n'était pas une attaque. C'était une étreinte farouche et maladroite que le Maître des Potions rendait à l'adolescent avec le même désespoir, comme s'il avait pensé, l'un et l'autre, ne plus jamais se revoir.
Il se rassit, se sentant bêtement exclu. Ni Harry, ni Severus ne lui prêtait la moindre attention et il avait la sensation, depuis qu'ils étaient arrivés, de n'exister qu'en marge de leur petit monde. Il n'avait pas l'habitude d'être relégué en seconde position par l'un ou par l'autre et, curieusement, cela le peinait.
C'était irrationnel et égoïste, il s'en voulut immédiatement d'avoir de telles pensées, mais… tout de même, il ne parvenait pas à se départir d'un certain degré de ressentiment.
« À demain. » lâcha Harry, en libérant le professeur de son étreinte étouffante. Il se tourna vers Dumbledore. « Pour Sirius… Vous lui direz ? »
Albus acquiesça en silence, le regrettant déjà. Ce qu'Harry lui demandait allait être un calvaire…
Toutefois, lorsqu'il vit le sourire sincère que lui adressa le garçon, une partie de la tristesse qui avait teinté leurs retrouvailles s'effaça.
« Merci, Professeur. » offrit le Survivant, avant d'hésiter quelques seconde. « Je suis content de vous revoir. »
« Moi aussi, Harry, moi aussi. » répondit-il franchement, incapable de contrôler la vague d'affection dans sa voix.
L'adolescent jeta un dernier regard à Severus puis quitta le bureau d'un pas déterminé. Albus regarda la porte se fermer doucement derrière lui, cherchant un moyen d'entamer une conversation qui serait probablement déplaisante.
« Dites ce que vous avez à dire, Albus. » soupira le Professeur.
Il étudia son employé plus attentivement qu'il ne l'avait fait jusque là, notant que les cernes qu'il avait arboré au début de l'année étaient moins prononcées à défaut d'avoir disparu, il était également moins squelettique, ce qui signifiait qu'il s'était nourri correctement – une chose qui arrivait peu fréquemment si Albus ou Minerva n'était pas là pour le forcer à le faire – et il émanait de lui une sérénité nouvelle. Severus avait l'air apaisé.
Comment aurait-il pu avoir le cœur de lui reprocher quoi que ce soit lorsqu'il paraissait aller aussi bien ? Albus n'aurait jamais cru qu'une telle chose aurait été possible…
« Je ne peux vous cacher que ma curiosité est piquée au vif. » botta-t-il en touche.
Severus sembla se détendre légèrement, s'étant visiblement attendu à une avalanche de reproches. Le Maître des Potions haussa les épaules.
« L'histoire est probablement moins passionnante que celle de Filius. » déclara le Mangemort, avant de l'observer à son tour avec attention. « Vous avez abusé du filtre de force. Vos mains ne tiennent pas en place. »
Il cessa de pianoter sur l'accoudoir, ne dissimulant pas son amusement. Le reproche avait été délivrée d'un ton bourru et détaché qui aurait pu paraître nonchalant à quelqu'un d'autre, mais Albus le reconnut pour la preuve d'affection que c'était et en éprouva un immense réconfort.
« Je n'ai pu me permettre autant de repos que je l'aurais souhaité, ces derniers mois. » admit-il.
« Dites-moi. » exigea Severus, avec appréhension.
Albus hésita l'espace d'un battement de cœur. Il avait prévu de mettre Severus dans la confidence du 'revirement' de Lucius et de ses informations troublantes à propos d'un espion au sein de l'Ordre, mais c'était avant qu'il ait vu l'état des boucliers mentaux du Mangemort. Combien de temps faudrait-il à Voldemort pour découvrir tous ses secrets ? Il ne pouvait pas risquer de telles informations.
Une version édulcorée des évènements devrait suffire.
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Harry referma la porte du bureau derrière lui, s'éloigna suffisamment pour ne plus entendre les échos de la conversation, puis s'assit sur une des marches. Il posa son front sur ses genoux, s'efforçant de prendre de profondes inspirations et d'occluder au maximum son angoisse et les pensées parasites qui lui soufflaient qu'il venait de perdre Snape-Prince. Snape… Il ne pouvait pas gérer cette idée là pour l'instant.
Pas quand Mr Weasley…
Dire au revoir aux gens qu'il avait rencontré en soixante-quinze, dire adieu à Severus, dire adieu à Lily et à James… Il avait pensé que ce serait le seul déchirement de la journée. C'était déjà tellement affreux de se dire qu'il ne pourrait plus jamais parler à Severus – pas à son ami, du moins – ou à Lily… Ils lui étaient devenus, au cours des derniers mois, tout aussi essentiel qu'Hermione ou Ron, et se séparer d'eux, en sachant qu'il ne les reverrait jamais… Il n'avait pas osé se retourner avant de quitter le passé. Il n'avait pas osé se retourner par crainte de ne pas parvenir à abandonner ce qu'il y avait gagné, mais il n'avait jamais songé qu'il aurait pu perdre quoi que ce soit en quatre-vingt-quinze… Il avait pensé que tout ce qu'il avait laissé derrière lui l'y attendrait sagement, comme un livre oublié sur une étagère que l'on retrouvait au bout de quelques mois ou de quelques années : un peu poussiéreux peut-être, mais identique.
Et voilà que Mr Weasley…
Sa gorge se serra davantage encore et, à nouveau, la panique lui brûla le ventre. Il n'était pas particulièrement fier du moment de faiblesse qui l'avait pris dans le bureau de Dumbledore… Sa vision s'était troublée et les images, affreuses mais si familières, de Voldemort et de ses victimes s'étaient imposées comme elles le faisaient si souvent. Il ne parvenait pas à rattacher le souvenir qu'il gardait d'Arthur Weasley avec les fantômes qui hantaient sa conscience…
Avant Snape-Prince – Snape – Mr Weasley avait incarné, pour lui, le père idéal. Il y avait quelque chose de fabuleux à observer les Weasley en famille. Parfois, Harry, lorsqu'il se tenait en retrait, avait presque eu l'impression de voir une de ces familles rêvées que Pétunia aimait à regarder devant sa télévision. Ils étaient une unité compacte, un amas de rouages qui s'encastraient parfaitement les uns dans les autres… Et, évidemment, le socle familial était le couple formé par Mr et Mrs Weasley… Sans l'un des deux, l'ensemble serait devenu bancal…
La première fois qu'il avait rencontré Mr Weasley, à la table du petit-déjeuner, après leur escapade en voiture volante, l'homme s'était contenté de faire une remarque perplexe comme quoi Harry n'était pas de lui, et ça avait été la fin. Après ça, Harry avait été adopté dans le cercle des Weasley. Le moment était gravé dans son esprit, parce qu'il s'était tourné vers Ron, et…
Ron.
Et Fred et George. Et Ginny.
Quelques mois plus tôt, Harry n'aurait pas pu imaginer leur douleur. Il y avait une très grosse différence entre n'avoir jamais connu ses parents et les perdre du jour au lendemain, cependant, à présent… Il avait la sensation que Lily était morte une seconde fois, perdue à tout jamais. Il avait moins connu James, la douleur était moins vive. Mais Lily…
Ron avait dû être anéanti. Et en plus d'avoir perdu son père, son meilleur ami avait dû se faire du mauvais sang pour lui, se demander où il était, s'il allait bien…
Harry ne pouvait pas effacer la période de chagrin où il n'avait pas été là pour son ami, mais il pouvait, par contre, lui ôter le fardeau de s'inquiéter pour lui. Il isola la douleur provoquée par la mort de Mr Weasley derrière des murs de flammes, ce qui, sans la faire disparaître, la rendrait momentanément supportable, fit de même avec ses sentiments ambivalents pour Sirius et ses inquiétudes vis-à-vis de Snape-Prince – Snape –, puis il prit appui sur le mur pour se relever. Il essuya ses joues, passa une main dans ses cheveux, afin de ne pas inquiéter davantage ses amis par une apparence trop hagarde, et dévala les marches quatre à quatre.
Il courut plus qu'il ne marcha jusqu'au septième étage, s'élançant sans aucune crainte dans les couloirs où les torches s'étaient éteintes, sans même prendre le temps d'allumer un lumos. Après ces derniers mois passés à arpenter le château aux côtés de Sev, il le connaissait comme la paume de sa main. Passages secrets, salles de classe abandonnées… L'école n'avait plus de secrets pour lui.
Le mur qui abritait la pièce va-et-vient était lisse et uniforme, et il le resta même quand l'adolescent fut passé et repassé devant en souhaitant pouvoir entrer. Harry s'immobilisa, se traitant mentalement d'imbécile. Lorsque Snape-Prince et lui utilisaient la salle comme lieu d'entraînement, la porte apparaissait d'elle-même, mais il n'y avait jamais eu personne à l'intérieur lorsqu'ils avaient voulu l'utiliser…
Peut-être aurait-il dû être plus spécifique dans sa requête ? Cependant, Dieu seul savait ce que Ron et Hermione fabriquaient à l'intérieur… Peut-être y avait-il un nouveau mystère dont Dumbledore ne lui avait pas parlé – ça n'aurait pas été la première fois, après tout, que le vieux sorcier lui cachait des choses – et ses amis étaient-ils occupés à le résoudre ? Mais, dans ce cas de figure, la salle sur demande pouvait faire office de laboratoire de potions comme de centre de recherches… Comment deviner ce à quoi ils étaient occupés ?
Il croisa les bras et fusilla le portrait le plus proche du regard. Dans la lumière tremblotante des torches, la cantatrice qui feignait de dormir ferma rapidement ses paupières en acrylique. Dumbledore aurait, tout de même, pu être un peu plus clair dans son résumé des derniers mois. Il sentit le ressentiment, qu'il s'était mis à éprouver pour l'homme depuis son arrivée en soixante-quinze et la découverte de tout ce qu'il lui avait dissimulé, se réveiller et s'agiter dans son ventre. Il s'efforça de penser à autre chose. Le ressentiment ne l'amènerait qu'à se mettre en colère. La colère menait à la fureur. Et, lorsqu'il était furieux, il pouvait sentir l'horcruxe s'agiter, enfler, voire ronronner de contentement devant ces émotions brutales et primaires. Il détestait cette sensation de souillure.
Expirant avec mauvaise humeur, il posa la main sur le mur. Il n'allait tout de même pas attendre dans le couloir que ses meilleurs amis daignent quitter la pièce… C'était trop bête ! Ron et Hermione étaient de l'autre côté de quelques briques et il refusait d'être plus longtemps séparé d'eux. Il ne savait pas de qui les Gryffondors se cachaient mais, lui, n'était pas un danger pour eux et si la salle sur demande avait suffisamment de magie pour répondre aux souhaits, elle devait bien pouvoir le comprendre. Fermant les yeux, il envoya une prière silencieuse à la pièce, l'école et tout ce qui voudrait bien l'entendre.
Poudlard était-elle magique ? Mr Weasley – et il lui fallut renforcer ses boucliers lorsque l'homme lui traversa l'esprit – lui avait dit un jour que certains objets développaient un certain degré de conscience s'ils étaient exposés à la magie suffisamment longtemps. Était-ce le cas de Poudlard ?
Lorsqu'il rouvrit les yeux, sa main n'était plus posée sur un mur de briques mais sur une porte en bois rugueux. Il tourna la poignée avec un immense soulagement, imaginant l'expression de ses amis lorsqu'ils l'apercevraient. Hermione lèverait la tête du livre dans lequel elle serait fatalement plongée avec une expression de surprise presque comique et Ron cesserait de prétendre prendre des notes suffisamment longtemps pour le dévisager, les yeux ronds et la bouche ouverte…
La porte s'ouvrit dans un grincement qui passa totalement inaperçu au milieu du joyeux tohu-bohu qui régnait à l'intérieur.
Harry resta figé sur le seuil, sans véritablement comprendre ce qu'il avait sous les yeux. La salle sur demande s'était transformée en une gigantesque pièce qui ressemblait à celle que Snape-Prince et lui utilisaient parfois pour leurs entraînements, lorsqu'ils étudiaient une question théorique : des mannequins dans un coin, des étagères avec des livres dans un autre, quelques tables, une large cheminée qui occupait tout un pan de mur, et, au milieu de la pièce, un énorme espace réservé aux duels.
Hermione n'était pas plongée dans un livre, elle riait à gorge déployée, assise par terre, trouvant visiblement hilarant d'être désarmée par Luna Lovegood, pour une raison ou une autre.
Ron ne feignait pas de prendre des notes. Il était à l'autre bout de la pièce, en train de taper sur le dos de Draco Malfoy, comme si ce dernier venait de raconter une plaisanterie sans précédent.
Harry cilla une, deux fois, notant, sans vraiment le noter, au milieu d'autres visages inconnus, Ginny qui expliquait à une Serpentard brune comment positionner correctement sa baguette, Fred qui faisait équipe avec Zabini pour combattre George et Lee Jordan, Neville qui rougissait sous les félicitation d'Hannah Abbot, Dean et Seamus qui tournaient autour de Daphné Greengrass, Susan Bones, Lavande Brown, les deux sœurs Patil, et deux autres Serpentards qui s'entrainaient sur des mannequins…
Malfoy leva les yeux au ciel et lâcha ce qui ne pouvait être, vu son expression, qu'une remarque désobligeante. Au lieu de s'emporter, Ron ricana et héla Ginny qui rit à son tour, lorsque la blague lui fut répétée, bientôt rejointe par la brunette qui se tenait à côté d'elle et Luna qui avait visiblement entendu malgré le chahut. Tout ce petit monde se rapprocha pour discuter plus facilement et Hermione attrapa la main que Malfoy lui tendait pour l'aider à se relever, sans même sembler y penser à deux fois.
Harry eut l'impression d'avoir pénétré dans la quatrième dimension – Severus et Lily lui avaient prêté suffisamment de romans de science-fiction pour qu'il n'utilise pas l'expression à la légère. Il fit inconsciemment un pas en arrière, partagé entre l'envie d'exiger des explications et de courir retrouver Snape-Prince pour lui rapporter que, en dépit des apparences, ils s'étaient très clairement trompés de réalité. Il heurta le battant, provoquant un nouveau grincement qui passa inaperçu de tous si ce n'était de Susan Bones qui choisit ce moment pour tourner les yeux vers lui.
« Harry Potter ! »
Elle couina son nom tellement fort que la cacophonie qui régnait, quelques secondes à peine auparavant, s'éteignit brusquement, comme une bougie que l'on souffle. Tous les regards étaient, à présent, rivés sur lui et, outre le malaise qu'il éprouva à se retrouver ainsi au centre de l'attention générale, Harry ressentit un plaisir non négligeable à revoir tous ces gens. La plupart de ces gens. Il se serait avec joie passé de Malfoy.
Ron, Hermione et les Weasley, dans une moindre mesure, lui avaient tellement manqué qu'il en avait oublié ses autres amis… Ceux qui n'étaient pas vraiment assez proches pour qu'il les considère comme de la famille, mais avec qui il appréciait pourtant de passer du temps… Neville, Dean, Seamus… Même Lavande et Parvati…
C'était comme si quelqu'un avait jeté un sort sur la pièce va-et-vient, songea Harry. Ils s'étaient tous figés, là où ils étaient, comme des statues de sel. Hermione, les yeux écarquillés, s'accrochait à la main de Malfoy qui, lui-même, observait Harry avec un air moins que ravi, Ron avait le bras à moitié levé parce qu'il avait voulu tirer la queue de cheval de Ginny, Ginny avait attrapé le poignet de Luna, Luna était probablement la seule personne qui ne le dévisageait pas comme s'il revenait à peine d'une promenade dans une réalité parallèle mais le regardait plutôt avec naturel, comme s'il était simplement parti aux toilettes, l'espace de quelques minutes…
« Ha… Harry ? » balbutia Neville, avec incertitude, brisant le drôle de sortilège.
Un à un, les adolescents, en face de lui, se remirent à ciller et à respirer, se tournèrent les uns vers les autres, en quête d'une explication… Mais toujours en silence. Et Harry devina, confusément, que le silence perdurerait tant que, lui-même, n'aurait pas ouvert la bouche.
« Euh… Salut. » lâcha-t-il. Dans sa tête, il entendit les voix mêlées de Sev et de Snape-Prince qui, en chœur, se moquaient de son manque d'éloquence. « Dumbledore m'a dit que vous étiez là, alors… »
Il chercha le regard de Ron ou celui d'Hermione, mais s'embrouilla dans ses explications, et trouva finalement plus sûr de regarder par terre. Dumbledore n'avait jamais dit qu'il trouverait ses meilleurs amis en train de… De faire quoi, d'ailleurs ? Entraîner une armée ? Parce que c'était bien ce dont il s'agissait, il en aurait mis sa main à couper… Les mannequins, la salle, les livres, les duels amicaux… Si c'était bien ce qu'ils étaient en train de faire, ils s'y prenaient mal. Snape-Prince n'avait pas procédé de cette manière avec lui.
Et Snape-Prince n'avait certainement jamais invité de Malfoy à s'entraîner avec eux… Il ne voyait pas bien ce que le Serpentard faisait là – Zabini et les autres, c'était un autre problème. Zabini ne lui avait jamais causé d'ennuis, Greengrass non plus, et les autres, il ne les connaissait pas. Mais Malfoy ? – à moins qu'ils lui fassent jouer le rôle du Mangemort…
« Pourquoi es-tu déguisé en Serpentard ? » demanda justement Malfoy, le front plissé comme s'il réfléchissait à un mystère insoluble.
La question entraîna un écho en lui, comme un souvenir trop fragile pour être parfaitement saisi… Pendant une seconde, il lui sembla que la salle sur demande disparaissait, laissant derrière elle les piliers de King's Cross et le sifflement d'un train, dans le lointain.
« Longue histoire. » s'entendit-il répondre, de très, très loin.
L'impression de déjà-vu se dissipa lentement, et il échangea, avec Malfoy, un regard dont l'intensité le troubla. Il y avait un rêve délirant de Malfoy sur le quai d'une gare, des limbes, les…
« Harry. » expira finalement Hermione, à bout de souffle.
Il se demanda vaguement si elle avait retenu sa respiration jusque là. Il n'eut que le temps de sourire, à peine celui d'ouvrir les bras et sa meilleure amie se jetait sur lui, avec tant de force qu'il chancela en arrière, ne parvenant à garder son équilibre qu'au prix d'une demi-pirouette. Les bras d'Hermione, autour de son cou, lui coupaient la respiration mais il ne songea même pas à s'en plaindre, serrant la jeune fille aussi fort qu'il le put et respirant à pleins poumons l'odeur si familière de son shampoing.
Il sentit s'apaiser une angoisse dont il n'avait pas eu conscience jusque là.
Il était, enfin, à la maison.
Il rouvrit les yeux, incapable de réfréner son sourire, et cala son menton sur l'épaule d'Hermione pour chercher le regard de Ron dans la foule, pour partager un de ces moments où ils hausseraient les épaules, dans une synchronisation parfaite, et décrèteraient que les filles étaient beaucoup trop émotives et…
Ron n'était plus au même endroit que quelques secondes plus tôt. En fait, Harry eut à peine le temps de froncer les sourcils que son meilleur ami les serrait dans ses bras, tous les deux, sans aucune douceur. Hermione, prise en sandwich, laissa échapper un couinement mi-surpris, mi-désapprobateur, mais Ron refusa de lâcher et, emportés par la force que le garçon avait mis dans son étreinte, ils tanguèrent de droite à gauche, sans savoir s'ils allaient parvenir à rester debout ou s'ils allaient s'écrouler en tas sur le sol. Harry riait au travers de larmes de joie, Hermione pleurait discrètement tout en l'abreuvant de reproches, de questions et de déclarations d'affection, et Ron restait silencieux mais les serrait avec tant de brutalité que le Survivant pensait qu'il ne consentirait jamais à les libérer.
Il n'avait jamais connu d'instant de bonheur plus total que celui-ci.
S'il avait dû choisir un moment de sa vie à vivre et revivre pour l'éternité, il aurait pris cet instant.
L'étreinte lui parut durer des heures, mais ne dut pas être beaucoup plus longue qu'une poignée de minutes. Ron s'éloigna le premier, tirant sur son pull et tentant d'avoir l'air viril comme seul un adolescent de quinze ans pouvait le faire, sans toutefois se départir de l'énorme sourire qui lui mangeait le visage. Puis Hermione se détacha de lui, des larmes plein les yeux mais avec un sourire euphorique.
« Tu nous a fait peur, espèce de crétin. » déclara-t-elle, avec cette affection profonde qu'elle lui réservait.
Il s'apprêtait à répliquer quelque chose de hautement spirituel, lorsqu'il fut à nouveau attaqué par une étreinte vicieuse à la Weasley. À peine eut-il refermé ses bras sur Ginny, que Fred et George se mirent à lui frotter le crâne et à lui ébouriffer les cheveux, comme ils avaient pris l'habitude de le faire lorsque Ron et lui avaient encore été des première année. Ginny fut plus longue à le lâcher que les jumeaux, mais après eux, il y eut Lavande et Parvati, Angelina et Katie, Neville, Dean et Seamus, Lee, Colin, Denis, Susan Bones et Hannah Habbot, Luna Lovegood, d'autres Poufsouffles lui tapèrent sur l'épaule, lui serrèrent la main, des Serdaigles aussi…
Très vite, il se retrouva entouré d'un groupe de personnes, certaines qu'ils connaissaient très bien et d'autres pas du tout, tandis que, à l'autre bout de la pièce, se formait une ligne, ridicule en comparaison de la masse qui orbitait autour de lui. Au centre de la ligne se tenait, bien entendu, Malfoy et, à côté de lui, six Serpentards. Zabini, Greengrass et la brune qui s'était entraînée avec Ginny, à la droite de la fouine, et à sa gauche, une fille et un garçon qui devaient avoir à peu près leur âge – des sixième année, peut-être ? – qui étaient très visiblement jumeaux, et une fille, plus jeune, qui ne devait pas avoir plus de treize ou quatorze ans et qui lui rappelait étrangement quelqu'un, sans qu'il parvienne à déterminer qui.
Les questions pressantes, les exclamations de joie… Tout ça ne tarda pas à s'éteindre lentement lorsque les gens commencèrent à se rendre compte que Malfoy et lui s'affrontaient du regard, avec une hostilité palpable. La plupart s'écartèrent même légèrement jusqu'à ce qu'il ne reste plus que deux fronts : d'un côté, les Serpentards et, de l'autre, Harry et la grande majorité des Gryffondors.
Hermione, qui avait continué à parler sans s'arrêter depuis qu'elle avait lâché Harry, se tut brusquement et un silence chargé se mit à régner dans la salle. Son regard passa du groupe de serpents à Harry et inversement, avec un malaise évident. Ron et les autres, de même, paraissaient gênés. Neville, par contre, avait l'air prêt à en découdre si besoin était.
« Oh, ça suffit ! » s'exclama soudain Ginny, en allant se planter dans le no man's land qui s'étaient formés entre les groupes, bras croisés. « Vous n'allez pas déjà commencer, quand même ! »
Harry la dévisagea, sans comprendre de quoi elle parlait.
« Nous n'avons rien commencé. » déclara la voix puissante de Zabini, de son ton calme, presque méprisant, qu'il affectionnait. « Toutefois… Ce n'est pas que nous soyons pas heureux que Potter ne soit pas mort – encore que, je ne serais pas contre l'idée de le soumettre à un test, afin de vérifier qu'il s'agit bien du véritable Potter – mais, en dépit de sa cravate, il est de notoriété publique qu'il n'est pas un grand admirateur des Serpentards, nous aimerions savoir ce que son retour signifie pour nous. »
Tous les serpents, sans exception, avaient leur baguette à la main.
« Le retour de Potter remet-il la Trêve en question ? » renchérit Greengrass, avec un détachement glacial et savamment étudié, qu'Harry ne put s'empêcher de comparer à celui de Narcissa. Greengrass avait du chemin à parcourir.
« Bien sûr que non. » protesta Hermione. « Rien n'a changé. »
Autour d'eux, il y eut des murmures d'approbation, d'autres de doutes. Hermione réitéra son annonce, plus fort. À côté de lui, Ron soupira discrètement, avant de tapoter son bras pour attirer son attention.
« Dis leur que ça ne change rien. » lui murmura son ami. « Les Serpentards se prennent toujours la tête pour rien. »
Un peu surpris par les propos de Ron, parce que c'était loin d'être l'accueil qu'il avait imaginé, Harry écouta, quelques secondes, le discours dans lequel s'était lancée Hermione. Une grande avalanche de bons sentiments, de serments de loyauté et d'amitié qui ne feraient pas grand bien.
Il ne savait peut-être pas exactement ce qui se passait, mais Harry parlait couramment le serpent désormais – sans même évoquer le Fourchelang – et il avait appris à gérer les Sang-Purs caractériels. Ni l'attitude, ni les paroles des Serpentards n'étaient véritablement hostiles, ils étaient simplement sur la défensive.
Il croisa le regard de chacun des Serpentards, en évitant celui de Malfoy, et n'y trouva aucune animosité. Ils semblaient presque résignés, comme s'ils s'attendaient à être chassés de la pièce sans aucun ménagement.
« Je n'ai rien contre Serpentard. » lança-t-il, à la cantonade. Sa déclaration interrompit Hermione, qui lui jeta un bref coup d'œil, à moitié affectueux, à moitié agacée qu'il lui coupe la parole. « J'y ai même fait un séjour. » expliqua-t-il, avec amusement, en montrant son blason du doigt. « Les dortoirs sont assez confortables et, si l'on connait les bonnes personnes, on peut s'y amuser. »
Sa plaisanterie parut détendre l'atmosphère, certains ricanèrent même à sa plaisanterie. Il se demanda combien avait compris le message caché sous le ton badin… Probablement peu, mis à part les serpents, songea-t-il, en rendant à Zabini son hochement de tête.
« Ombrage n'a pas réussi à briser la Trêve. » déclara Ginny, toujours fermement plantée dans le fossé entre les deux groupes. « On ne vas pas laisser quelques malentendus le faire. L'A.D. n'a pas de Maison, on était d'accord là-dessus. »
Il n'en fallut pas davantage pour que tout le monde se disperse, à nouveau, entourant les Serpentards et les réintégrant dans le petit groupe. L'incident s'en serait probablement arrêté là si Malfoy n'avait pas choisi ce moment pour décider qu'il voulait provoquer une dispute, après tout.
« Qu'est-ce que ça veut dire 'J'y ai même fait un séjour' ? » demanda le Sang-Pur, suffisamment fort pour couvrir les voix de leurs camarades. « Et si tu me réponds encore que c'est une longue histoire… »
« Draco, arrête. » rétorqua immédiatement Hermione, clairement irritée. « Laisse-le respirer, il vient d'arriver, laisse-lui le temps de s'expliquer. »
Le regard gris que le Serpentard tourna vers sa meilleure amie n'était pas des plus aimables et Harry, anticipant une insulte, se plaça devant Hermione, mourant d'envie de sortir sa baguette pour assommer cet idiot. Le sort qui les avait ramenés dans leur réalité lui avait donné l'impression d'être écartelé, déchiré jusqu'à la plus petite de ses particules… Il était fatigué, aurait apprécié de pouvoir savourer ces retrouvailles en paix, et était totalement perdu parce que personne ne lui avait encore expliqué ce que Malfoy foutait là, sans parler de ce qui se passait plus généralement dans cette pièce, alors, non… il n'allait pas laisser le Serpentard lui gâcher plus longtemps la soirée.
« Je n'ai rien à expliquer à cette sale fouine. » grinça Harry, satisfait par la grimace exaspérée de son rival. « S'il n'est pas content, il peut dégager. »
Et, releva-t-il, avec un temps de retard, depuis quand Hermione appelait-elle Malfoy par son prénom ?
« Harry, ne l'encourage pas. » le gronda Hermione, en se décalant de derrière lui, n'appréciant que très peu son accès de galanterie. « Et, toi, ne répond pas. »
La dernière remontrance s'adressait à Malfoy, qui ouvrit la bouche et la referma aussitôt lorsque la main de Zabini s'abattit sur son épaule.
« Peut-être votre petite vendetta pourrait-elle attendre que notre curiosité soit satisfaite ? » intervint le Serpentard. « Si tu es là… Qu'en est-il de Snape ? Est-il vivant ? »
Harry manqua commettre son premier faux pas, mais se reprit avec une facilité désarmante. Mentir était presque devenu une seconde nature, au cours de ces derniers mois… Il leva les yeux au ciel, injecta suffisamment d'aversion dans sa voix, et se lança dans un résumé édulcoré de ses aventures en soixante-quinze. Il se cantonna au strict minimum, promettant, d'un regard, de révéler le reste à Ron et Hermione, plus tard : Snape et lui avaient été renvoyés dans le passé, il avait été réparti à Serpentard, Snape était un abruti mais un abruti suffisamment doué pour les ramener chez eux, ils venaient à peine de revenir, non, il n'avait pas retrouvé la vue miraculeusement, oui, il portait des lentilles de contact, fin de l'histoire.
Lorsqu'il eut terminé son récit, quatre personnes l'observaient comme s'ils savaient pertinemment qu'il venait de leur rapporter un magnifique mensonge enrobé de demi-vérités. Hermione et Ron, il pouvait comprendre. Malfoy, il n'était pas surpris. Mais Ginny ? Il ne pensait pas que Ginny le connaissait suffisamment bien pour le deviner.
« Laissons donc notre héros à ses amis. » lâcha Malfoy, avec dédain, lorsque les autres furent à court de questions. « Je suis certain qu'ils ont beaucoup à se dire. »
À quel moment Malfoy avait-il acquis une telle autorité sur leurs camarades ? Personne ne s'avisa de discuter sa suggestion. Ceux qui s'étaient assis par terre se levèrent, en discutant les évènements de la soirée, Hermione les fit partir par groupe de deux ou trois, en leur indiquant un chemin à l'aide de la carte des Maraudeurs…
Il semblait que ses amis n'avaient pas hésité à se servir dans sa malle. Il ne savait pas trop quoi en penser. D'un côté, il s'agissait de Ron et d'Hermione, de l'autre…
« Qu'est-ce qui se passe ? » demanda-t-il à Ron, dans un murmure, dès qu'ils furent un peu à l'écart du groupe qui se massait à la porte d'entrée. « Qu'est-ce que vous fabriquez ? »
Le Gryffondor secoua la tête et leva les mains, en signe d'impuissance. « Mon pote, je ne sais même pas par où commencer… On pensait que tu étais… Tu es parti pendant… »
« Six mois. » termina Harry. « Dumbledore nous l'a dit. Mais qu'est-ce que Malfoy, fout ici ? Qu'est-ce que c'est que cette Trêve ? »
Avant que Ron ait pu répondre, Lavande s'approcha d'eux d'un air décidé et embrassa langoureusement son meilleur ami.
« Bonne nuit, Harry ! » lança-t-elle, avant de l'étreindre à nouveau. « Je suis vraiment heureuse de te revoir. »
Trop choqué pour faire quoi que ce soit d'autre que la regarder partir de sa démarche sautillante, il finit par tourner vers Ron un regard estomaqué.
« Lavande ? » lâcha-t-il, à court de mots. « Mais… Et Hermione ? Qu'est-ce que… Que… »
Ron rougit jusqu'au bout des oreilles et se racla la gorge.
« Pas mal de choses ont changé, Harry… » hésita le Gryffondor. « Je ne suis pas sûre que tu vas aimer ce qu'on a te raconter. Mais… Putain, tu m'as manqué. »
« Tu m'as manqué aussi. » répondit-il, sincèrement. « Et Hermione, bien sûr. »
Il tourna son regard vers l'endroit où elle s'était tenue, quelques minutes plus tôt, mais elle n'y était plus. Elle avait visiblement délégué aux jumeaux la tâche de donner des routes sûres aux membres de leur petit groupe, et était très occupée à traîner un Malfoy récalcitrant à l'écart de son groupe d'amis. La conversation tout en murmures qu'ils eurent avait l'air animée.
Il n'était pas certain d'avoir hâte d'entendre ce que ses amis avaient à dire.
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Severus conclut son récit, par le détail du rituel qui avait servi de portail, soulagé d'arriver à la fin de son histoire. Comme il l'avait pensé, Albus n'avait pas voulu se contenter d'un résumé hâtif, et il avait passé la dernière demi-heure à raconter, en détails, les huit derniers mois. Le vieux sorcier n'avait même pas tressailli lorsqu'il avait narré ses découvertes les plus essentielles : la situation familiale d'Harry, les visions qui avaient accablé le garçon avant qu'il lui apprenne à fermer son esprit, les horcruxes…
Albus n'avait pas paru surpris par l'existence d'éventuels horcruxes, comme Severus l'avait soupçonné après qu'Harry lui ait parlé du journal de Tom Jedusor, le Directeur avait très certainement su identifier le problème et avait probablement, quelque part dans son bureau, une liste de ces fameux objets maudits. Obéissant à son instinct, il avait choisi de garder pour lui le fait que l'un d'entre eux s'était logé dans l'âme d'Harry, préférant broder une fable autour de la bague qui avait paru ramener le Seigneur des Ténèbres à la vie, lors de la bataille du cimetière.
Il lui dissimula également leurs expériences dans le champ des transformations Animagus.
Il n'eut, en revanche, d'autre choix, que de lui exposer clairement les changements qu'avaient subie sa relation avec l'adolescent. Il ne lui avait rien caché des difficultés qu'Harry avait éprouvé à s'adapter à Serpentard ou à devoir affronter les Maraudeurs, ni de la détérioration à prévoir de ses rapports avec Black et le loup… Il avait insisté et insisté pour que l'adolescent ne soit plus abandonné à son sort comme ça avait été le cas avant que la tempête magique ne les catapulte dans le passé…
Étant donné l'efficacité de ses exigences, il aurait aussi bien fait d'économiser sa salive.
« Eh bien… » lâcha finalement Dumbledore. « Ces derniers mois n'ont pas été plus reposants pour vous que pour moi, semble-t-il. »
Euphémisme, s'il en jugeait par ce que le Directeur lui avait confié. Il était davantage préoccupé par l'idée que le Seigneur des Ténèbres détenait une potion capable de forcer la transformation lycanthrope, que par Son retour public. Cela devait arriver à un moment ou à un autre, et pourquoi pas, à présent ? Sa résurrection fracassante lui avait sans doute permis de recruter davantage de sorciers effrayés ou impressionnés par la destruction du Chemin de Traverse…
Quant au fait que Black ait été innocenté… Une fois son aversion spontanée mise de côté… Il s'agirait, peut-être, d'un atout pour lui sur le long terme. Black réclamerait la garde d'Harry, Albus ne l'écarterait pas indéfiniment et n'avait, de toute manière, pas les moyens légaux de s'y opposer. Harry avait besoin d'un adulte. Black aurait été son dernier choix, mais Black valait mieux que Pétunia.
Au moins, il ne l'enfermerait pas dans un placard.
Et Lupin ne serait pas bien loin pour rétablir un équilibre lorsque Black échouerait à mette en place ne serait-ce qu'une discipline basique…
Ce n'était pas le choix idéal. Mais c'était sa meilleure option.
« Vous disiez que le comportement d'Harry était préoccupant… » reprit le Directeur. « Pourriez-vous développer ? »
Severus fronça les sourcils, observant avec désapprobation la manière dont le sorcier ne pouvait s'empêcher de pianoter sur son accoudoir, jouer avec un objet ou un autre abandonné sur le bureau, ou bien se frotter la barbe. Minerva aurait dû le surveiller mieux qu'elle ne l'avait fait. Albus avait tendance à oublier son âge et à travailler jusqu'à l'épuisement, auquel cas, au lieu de ralentir la cadence, il ingurgitait potion sur potion. Et, en temps que Maître des Potions, il lui incombait, à lui, d'imposer une limite.
Il était clair, vu la façon dont le vieux sorcier était incapable de contrôler ses gestes, que personne ne lui avait imposé de limite ces derniers mois. Et ce n'était probablement pas le seul domaine sur lequel personne n'avait osé émettre de protestations.
« Harry est fragile mentalement. » asséna-t-il, en quittant le fauteuil pour aller se planter devant la fenêtre. Il ne distinguait rien, à l'extérieur, qu'une nuit noire. « La mort de ses parents, la manière dont les Dursley l'ont traité toute sa vie, Quirrell, le basilic, et, bien sûr, le cimetière et la mort de Diggory… » Pour chaque évènement qu'il énumérait, un souvenir surpris dans l'esprit du gamin lui revenait en mémoire. C'était presque trop pour une seule personne. Certainement trop pour un adolescent de quinze ans… « Il pense qu'il est de sa responsabilité de sauver chaque sorcier et créature du monde magique. Il n'accorde aucune importance à sa propre vie. Il est… »
« Ce sont ces drames qui font d'Harry ce qu'il est. » le coupa Dumbledore. « Ils le rendent plus fort. »
Severus pivota avec brusquerie, le claquement sec de ses robes fit piailler Fumseck avec désapprobation. Il ne prêta aucune attention au phœnix, dévisageant le vieux sorcier avec un mélange d'horreur et de dégoût.
« Était-ce là votre objectif, tout du long ? » accusa-t-il, priant pour avoir tort. Parce que s'il avait raison et qu'Albus… « Toutes ces épreuves pour qu'il apprenne à placer le reste du monde avant sa propre vie ? »
Albus soupira et se frotta le front. Il avait l'air vieux tout à coup. Vieux et fourbu.
« Pourquoi ? » siffla Severus. « Vous croyez dur comme fer à cette fichue prophétie. Vous avez besoin de votre Élu. À quoi pourra-t-il bien vous servir s'il persiste à utiliser son corps comme un bouclier humain ? »
Sans rien dire, le Directeur se leva à son tour et se dirigea vers une des étagères. Le souffle court, le Maître des Potions l'observa porter le bout de sa baguette à sa tempe et déposer plusieurs filaments argentés dans sa pensine.
Et, soudain, la réponse lui apparut, évidente dans sa simplicité.
Albus savait.
Il avait découvert l'existence des autres horcruxes, seul… Une fois l'improbabilité de la chose admise, il ne fallait pas beaucoup plus pour relier les signes et en tirer une conclusion à propos d'Harry. Albus savait. Évidemment, qu'il savait. Il l'avait probablement deviné depuis des années. Et Severus était un fou d'avoir pensé pouvoir lui cacher une chose pareille.
Harry pensait que la prophétie signifiait qu'il devait mourir pour que le Seigneur des Ténèbres puisse être vaincu. Visiblement, il n'était pas le seul à partager cette opinion.
« Vous l'avez élevé comme un porc destiné à l'abattoir. » murmura-t-il, sans pouvoir s'en empêcher.
Occupé avec sa pensine, le Directeur continua à lui tourner le dos.
« Je n'apprécie pas énormément vos accusations, Severus. » lâcha Albus, d'un ton menaçant. « Mettons-les sur le compte de votre affection pour le garçon. »
Severus lutta contre l'envie de se détourner, quelques secondes à peine, le temps de se reprendre, de reconstruire ses défenses, de… Il n'osait pas ôter les yeux de la robe prune bariolée d'étoiles argentées que portait le sorcier. Il n'osait pas détendre ses muscles crispés par l'appréhension.
« Par comportement perturbant, j'entendais des absences, ou des pertes de mémoire, peut-être ? » poursuivit Albus, en abandonnant la pensine pour se tourner vers lui. Sa baguette pendait mollement, au bout de son bras, comme s'il avait oublié qu'elle s'y trouvait.
Peut-être était-ce le cas. Dumbledore n'avait pas véritablement besoin d'une baguette.
Severus décala légèrement son bras, de manière à pouvoir sortir la sienne rapidement, si nécessaire.
Il était doué pour prendre des décisions en quelques secondes. Il était doué pour réagir correctement sous pression. Il fit ce pour quoi il s'était entraîné pendant des années et se composa un masque, comme le parfait espion qu'il était. Son expression se fit suffisamment inquiète pour ne pas l'alarmer par un changement d'humeur brutal, mais il y inséra un brin de perplexité qui aurait dû parvenir à détourner ses soupçons. Si Albus prévoyait de sacrifier Harry, à cause de l'Horcruxe, il était dans son intérêt de prétendre ne rien savoir de l'affaire. Manœuvrer dans l'ombre était le meilleur moyen de protéger Harry.
Faire semblant de ne pas savoir ce que le Survivant portait en lui.
« Il n'est pas soumis à l'Imperio, si c'est votre question. » répliqua-t-il. « À quoi riment ces interrogations ? Que craignez-vous ? »
Comme il l'avait anticipé, Albus dénigra de répondre, balayant ses inquiétudes d'un geste.
« Vous en savez beaucoup plus que je ne l'aurais souhaité, Severus. » annonça le Directeur. « Si Voldemort découvre que son secret a été percé à jour, il deviendra impossible d'accéder aux Horcruxes. »
Se forçant à se détendre, il fronça légèrement les sourcils.
« Vous savez où il sont. » déduisit-il. « Mais il pourrait s'agir de n'importe quoi… Comment les avez-vous identifiés ? »
Albus, visiblement incapable de rester immobile, alla cajoler le phœnix sur son perchoir. À force de le gaver de graines, cet animal finirait par exploser.
« Les identifier ne fut pas aussi difficile que l'on aurait pu le croire. » offrit le Directeur. « Et je pense, effectivement, en avoir localisé plusieurs. Je ne suis, toutefois, pas certain de leur nombre. La personne détenant ces informations est, pour le moins, récalcitrante à les partager et plutôt douée en Occlumencie. »
« Et vous n'avez pas songé à… Je ne sais pas… Les détruire ? » grinça-t-il, fatigué de la manière qu'avait l'homme de tourner autour du chaudron. Il y avait un temps où ce genre de joutes verbales l'aurait amusé, ce n'était plus le cas. Pas quand il était question d'un mage noir qui en avait après son fils – élève. La fable était terminée.
« Ce combat n'est pas uniquement le mien. » répondit Dumbledore. « J'espérais qu'Harry revienne. Je compte l'emmener avec moi lorsque… »
« Non. » coupa-t-il, sèchement.
Albus tourna à peine la tête vers lui, sourcils levés. « Pardonnez-moi ? »
Severus obligea sa respiration à ralentir, il devait garder la tête froide. Il devait… Tout ça avait été si facile, avant leur séjour en soixante-quinze… Il ne se souciait que de lui, n'avait d'autre préoccupation que sa propre survie, mentir était naturel, se protéger une nécessité, il y avait peu qu'il rechignait à accomplir pour sa mission tant il était en quête de rédemption… Atteindre l'absolution n'était jamais propre ou facile, cela impliquait d'énormes sacrifices personnels, de faire des choses qui le révulsaient. Il y avait été préparé en retournant au service du Seigneur des Ténèbres, l'année précédente. Mais, à présent ?
À présent, il ne se battait plus pour Lily. Il ne tentait plus d'expier ses fautes, il n'agissait plus par dévotion pour un spectre… Il regrettait ses choix, évidemment, s'en voudrait jusqu'à sa son dernier souffle pour avoir provoqué la mort de Lily, mais, cette culpabilité ne le rongeait plus. Lily l'en avait absout. Il était en paix avec sa mémoire.
S'il était décidé à continuer d'espionner pour Dumbledore, à se battre dans cette guerre, c'était pour Harry et uniquement pour Harry.
« Vous n'entraînerez pas Harry dans votre chasse à l'horcruxe. » ordonna-t-il, jetant au feu toute notion de prudence. « Je vous l'interdis. »
Il ne voulait pas qu'Albus passe plus de temps que nécessaire avec le gamin. Il lui remplirait la tête de tout un tas d'idées chevaleresques qui détruiraient les mois de travail passé à inculquer au garçon la fragile idée qu'il comptait, qu'il n'était pas qu'une arme. Harry devait apprendre à ne pas se sacrifier automatiquement, sans réfléchir. Il le voulait aussi loin de cette guerre qu'il pouvait l'envoyer.
« Vous n'avez rien à m'interdire. » lâcha Albus, sans hostilité, mais sans bienveillance non plus.
La température semblait avoir brusquement baissé de plusieurs degrés et l'atmosphère était devenue oppressante. Severus, pourtant, ne recula pas, ne détourna pas les yeux, et refusa de se laisser intimider.
« Il s'agit de mon fils. » répliqua-t-il. « En ce qui le concerne, je prends les décisions. »
Ces paroles étaient sorties toutes seules et il se rendit compte, un peu tard, de l'erreur qu'il venait de commettre. Ce n'était plus le Dumbledore du passé qu'il avait devant lui.
Le Directeur se redressa légèrement, l'air se mit à grésiller à mesure que sa magie emplissait la pièce. Severus ne lui fit pas le plaisir de trahir le moindre signe de frayeur. Il savait parfaitement combien l'homme était puissant, il n'avait pas besoin d'une démonstration. Qu'il garde ses tentatives d'intimidation pour ses nouvelles recrues…
« Je comprends parfaitement ce que vous pouvez ressentir, Severus, et je suis heureux que vous ayez finalement accepté de baisser votre garde suffisamment longtemps pour vous attacher à quelqu'un. » rétorqua Albus. « Mais Harry n'est pas votre fils. Il n'appartient même pas à votre Maison. Vous n'avez aucune autorité sur lui. Vous n'avez aucun droit sur lui. En ce qui concerne Harry, je prends les décisions. »
Le Maître des Potions serra les dents mais encaissa ce petit discours sans flancher.
« Ne serait-ce pas plutôt à Black de le faire ? » riposta-t-il, toutefois.
Albus parut beaucoup amusé. « Oh, et, à présent, vous voilà du côté de Sirius Black ? Je commence à me demander si vous êtes bien dans la bonne réalité, Severus, je ne vous reconnais pas. »
« Malheureusement, je ne peux pas en dire autant. » cracha-t-il.
L'aura menaçante qui entourait Dumbledore disparut brusquement, comme neige au soleil, ne laissant qu'un vieux sorcier légèrement voûté par les responsabilités et au visage usé par les années. C'était comme deux faces d'une pièce… Lancez-la en l'air et, suivant de quel côté elle heurtait le sol, vous faisiez face à l'une ou à l'autre des personnalités d'Albus Dumbledore : le Maître et le Mentor.
Severus aurait été incapable de déterminer si l'une était plus sincère que l'autre.
« J'aime Harry. » déclara Albus, en retournant s'asseoir derrière son bureau. « Je ne vous permets pas d'en douter. Si je pouvais lui épargner cette guerre, si je pouvais simplement l'envoyer dans un endroit sûr en attendant qu'elle se termine, je le ferais, Severus. Sans une hésitation. »
« Faites-le. » exigea-t-il, en approchant prudemment du bureau. « Cette prophétie idiote a déjà fait suffisamment de victimes. Harry n'a pas besoin de… »
« Voldemort croit à cette prophétie. » coupa Albus. « Il a choisi Harry, il l'a marqué comme son égal. Quoi que je fasse, quoi qu'Harry fasse, Il n'aura de répit que lorsque le garçon sera mort. Le sacrifice de Lily ne lui assure qu'une protection minime, raison pour laquelle Pétunia restera sa tutrice, elle est de son sang. Et Harry m'accompagnera lorsque je commencerai à détruire les horcruxes car il lui faut apprendre à se battre. Aussi regrettable que cela soit et en dépit de mes désirs personnels. »
Exposer ainsi, de ce ton qui le suppliait d'être raisonnable et de comprendre, les faits semblaient clairs : Harry n'échapperait pas à cette guerre. Severus, lui, en tirait une autre conclusion : à moins d'un miracle, Albus ne pouvait pas sauver Harry.
Eh bien, il n'était peut-être pas Albus Dumbledore, mais Severus venait tout juste d'accomplir un miracle en les ramenant, sains et saufs, dans leur réalité. Il pouvait bien recommencer.
« Je l'ai entraîné. » déclara-t-il, en posant ses mains sur le dossier du siège qu'il avait occupé précédemment. Il n'osait pas s'asseoir. S'asseoir l'handicaperait en cas d'attaque. « C'est un naturel. Il suffirait de continuer à l'entraîner au château. Vous n'avez pas besoin de risquer inutilement sa vie. »
Albus l'observa d'un air songeur.
Severus affronta son regard, laissant flotter à la surface de ses boucliers les souvenirs de leurs séances d'entraînement. Harry était doué pour la Défense – et l'attaque, mais, cela, c'était un détail qu'il ne partagerait pas avec Albus.
« Je vais y réfléchir. » offrit finalement le Directeur. « Remus pourrait lui donner des cours particuliers. Il s'entend bien avec Harry. »
Il n'était pas certain que le loup serait spécialement bien reçu mais c'était le meilleur compromis qu'il obtiendrait, alors il tint sa langue et remercia son supérieur d'un hochement de tête.
Seulement, ils n'en avaient apparemment pas terminé avec les conversations pénibles, car Albus se cala davantage dans son fauteuil et joignit les mains sur son ventre. Severus connaissait cette attitude par cœur. C'était celle qu'il adoptait quand il voulait montrer qu'il possédait le pouvoir sur son interlocuteur, l'attitude détachée, presque nonchalante, avec laquelle il traitait tous les indésirables qui lui posaient problème.
« Tout ceci est fort bien, Severus, mais assez parlé d'Harry. » commença le Directeur. « Vous êtes probablement un des meilleurs Occlumens que j'ai eu l'honneur de rencontrer, on pourrait même vous qualifier d'artiste dans ce domaine de compétences… Qu'est-il arrivé à vos boucliers ? »
Ses mains se crispèrent sur le dossier en velours.
Ses boucliers… Il se souvenait encore de la prédiction qu'avait faite Harry lors d'un de leurs premiers cours d'Occlumencie. À force de se servir de ses souvenirs comme boucliers, de tout compartimenter comme il l'avait fait toute sa vie, un jour tout finirait par s'écrouler. Qu'était-il arrivé à ses boucliers ? Harry était arrivé.
« Ils sont tombés. » répondit-il, simplement. Il n'avait aucune envie d'exposer une partie aussi intime de son être à Dumbledore. « Je les ai reconstruits, ils sont tout aussi solides qu'avant. »
Différents, plus subtils à manier, mais tout aussi solides. Il était un virtuose dans la magie de l'esprit. La différence était visible pour Dumbledore parce qu'il persistait à envahir son crâne régulièrement et que Severus résistait toujours un peu avant de prétendre céder à ses attaques. La vérité était qu'Albus n'avait pas plus accès à ses pensées que le Seigneur des Ténèbres.
« Je ne vous cache pas que je ne suis pas convaincu. » répondit honnêtement Albus, avec une inquiétude sincère. « Et, outre le fait que vous en savez beaucoup trop pour ma tranquillité d'esprit, je crains que vous ne soyez pas capable de duper Voldemort dans cet état. »
Severus fit taire immédiatement la graine d'espoir qui germait dans son ventre.
« Vous avez besoin d'un espion. » rétorqua-t-il. « En avez-vous un autre sous la main ? »
Albus ne répondit pas immédiatement. Il réfléchissait en caressant sa barbe, ce que Severus avait toujours trouvé particulièrement perturbant.
« J'ai besoin de quelqu'un de confiance dans les rangs des Mangemorts, c'est vrai. » déclara finalement le Directeur. « Mais je ne suis pas prêt à vous sacrifier inutilement pour cela. Si vous n'êtes pas capable de… »
« Je suis parfaitement capable. » l'interrompit-t-il, avec agacement.
Dumbledore soupira.
« Severus, il me suffit d'effleurer votre esprit pour voir votre amour et votre inquiétude pour le garçon. » asséna Albus. « Que pensez-vous que Voldemort fera lorsqu'il découvrira que vous avez eu Harry à votre merci pendant des mois et que vous ne l'avez pas tué ? Maintenant, imaginez ce qu'il fera s'il s'avère, en plus, que vous aimez son ennemi comme un père ? »
Severus prit une profonde inspiration et, en expirant, fit disparaitre tous ses sentiments et les bons souvenirs liés à Harry au fin fond de son esprit. À la surface, il ne restait plus que les disputes, bagarres et autres moments de rage où l'homme aurait pu étrangler l'adolescent sur place. Les deux moment proéminent restaient le soir où il avait craché au visage d'Harry qu'il ne serait jamais que le fils de James et celui, beaucoup plus vieux, avant même que leur trêve fragile ne se soit transformée en respect mutuel, où il l'avait accusé d'être responsable de la mort de Lily et des autres. C'étaient des souvenirs pour lesquels il se haïssait, mais cela ferait très bien l'affaire.
Affrontant le regard d'Albus, il leva un sourcil, le défiant de trouver à redire à son chef-d'œuvre.
Visiblement impressionné, le Directeur leva les deux mains, sans pourtant se départir d'une expression désapprobatrice. « Je préfère ne pas poser de questions. »
Cela valait probablement mieux.
« Le Seigneur des Ténèbres me punira pour ne pas avoir réussi à m'être débarrassé du gamin mais il ne me tuera pas. Je suis trop précieux. » affirma Severus, avec certitude. « Il a autant besoin d'un espion que vous. »
Dumbledore émit un bruit dubitatif qui fit intérieurement frissonner le Maître des Potions.
Était-il aussi indispensable qu'il voulait bien le croire ? Six mois, c'était long. Le Directeur avait-il trouvé quelqu'un pour le remplacer ? C'était possible. Probable même.
« Êtes-vous certain de votre choix, Severus ? » demanda Albus. « Si vous souhaitez reprendre votre rôle d'espion, mieux vaut que vous alliez Le retrouver dès maintenant. Cependant… C'est votre choix. Je vous offre une porte de sortie. »
Une porte de sortie qui ne se présenterait pas deux fois.
Mais comment découvrir si Harry était en danger autrement ? Comment détenir toutes les informations, celles que Dumbledore dissimulait généralement aux autres membres de l'Ordre ? Comment prendre les bonnes décisions ?
Ce n'était pas un choix. À peine une nouvelle épée de Damoclès au-dessus de sa tête.
« Vous avez besoin d'un espion. » réitéra-t-il, parce que c'était la vérité. Merlin seul savait qui Albus avait dégoté pour le remplacer mais personne ne serait aussi fiable ou aussi doué que lui.
« Qu'il en soit ainsi, dans ce cas. » soupira le Directeur. « Je regrette, Severus, je vais vous demander de garder le secret des horcruxes de votre vie. Il est capital que Voldemort ne découvre pas l'étendue de mes connaissances sur le sujet, ou les vôtres, d'ailleurs. Et, tant que nous sommes sur le sujet, aucun des autres membres de l'Ordre ne doit être mis dans le secret, me comprenez-vous ? »
« Oui. » répondit-il, sans s'embarrasser de discours.
Albus le raccompagna jusqu'à la porte du bureau et serra brièvement son épaule, avant qu'il ne s'en aille.
« Bonne chance. » souffla le Directeur. « Et revenez-nous en vie, Severus. »
Il leva les yeux au ciel, face à tant de sentimentalisme, dissimulant le plaisir qu'il éprouvait à recevoir ces marques d'affection de la part du vieux sorcier. En dépit de tout, ils étaient amis. En quelque sorte. Autant que deux paranoïaques malmenés par la vie, qui n'étaient pas sur le même pied d'égalité, pouvaient être amis.
Severus s'enfonça, sans se presser, dans les couloirs déserts, éclairant son chemin d'un lumos paresseux. Il aurait souhaité retrouver ses appartements, ses affaires, son environnement familier… Il lui fallait sortir dans la nuit glaciale de l'hiver pour affronter un autre mégalomane. Six mois… Ils devaient être, à peu près, en février, il lui faudrait jeter des sortilèges pour se tenir chaud.
Il était tellement fatigué… Les ramener dans leur réalité avait été un coup dur pour sa magie. Le lumos seul lui avait demandé un effort considérable et l'éclat de sa baguette était, pourtant, terne et tremblotant… Il n'y avait plus qu'à espérer que le Seigneur des Ténèbres serait de bonne humeur…
Retour à la case départ, songea-t-il, retour à ces moments d'incertitude où il marchait vers la mort sans savoir si elle le faucherait ce jour là ou si cela attendrait le lendemain.
Il était dans le hall d'entrée lorsqu'il repéra, du coin de l'œil, l'éclat d'un autre lumos.
« Qui va là ? » tonna la voix si familière, alourdie par un accent écossais à couper au couteau. « Malfoy, si c'est encore vous… »
« Minerva. » lâcha-t-il, du bout des lèvres, avant d'avoir pu s'en empêcher.
C'était étrange. Des mois plus tôt, il serait probablement parvenu à enfouir la douleur, à la transformer en colère… Quand Minerva était morte, le soir d'Halloween, il y avait eu trop à faire pour en faire son deuil. Et par la suite… Severus s'était convaincu que ce n'était que provisoire, qu'il la reverrait dès qu'ils seraient rentrés et pourtant…
« Severus ? » hésita la Directrice des Gryffondors.
Dans la pénombre, il la vit agiter sa baguette et les torches du hall s'allumèrent toutes simultanément. Severus baissa sa propre baguette, presque choqué de se retrouver face à elle. C'était comme se retrouver face à un spectre. Un spectre bien vivant, en chair et en os, qui n'était jamais mort.
Il sentit sa gorge se serrer. La Minerva McGonagall de soixante-quinze ne lui avait pas véritablement manqué, elle était beaucoup trop amourachée de ses Maraudeurs pour qu'il l'apprécie, mais celle-ci ? Celle-ci était sa collègue depuis quinze ans, son alliée la plupart du temps lorsqu'il était question d'affronter les décisions discutables d'Albus, et, dans de plus rares cas qu'ils s'empressaient généralement d'oublier, son amie.
« Severus… » répéta la sorcière, d'un ton presque émerveillé, en portant une main à sa bouche sous le coup de la surprise. « Quand… Comment… »
Elle manifestait certainement plus de plaisir à le revoir qu'Albus, ne put-il s'empêcher de remarquer, avec un peu de rancœur.
« Nous venons de rentrer. » annonça-t-il, en détournant la tête. Les yeux perçants de la sous-directrice étaient humide, et, lui, était mal à l'aise de la voir dans cet état. « Et, avant que ne posiez la question, votre lionceau est en un seul morceau. Albus l'a envoyé retrouver ses amis au septième étage, puisque, apparemment, le règlement ne s'applique pas à vos Gryffondors. Je ne devrais pas être étonné, je suppose, mais… »
Il s'interrompit lorsqu'il la vit avancer vers lui d'un pas déterminé.
« Minerva… » gronda-t-il, en guise d'avertissement.
Ça ne la dissuada pas de poursuivre son attaque absolument déloyale.
Elle passa les bras autour de ses épaules et l'étreignit avec beaucoup plus de force que ne devrait en posséder une vieille femme. Elle n'était pas du genre à se laisser aller à ce genre d'effusions, c'était une des choses qu'il appréciait chez elle, ils se ressemblaient sur ce point là. Et pourtant… Pourtant, il ne résista pas à l'envie de l'étreindre à son tour, parce qu'elle était bel et bien vivante. Elle parut surprise qu'il retourne son geste affectueux.
Il ne serait jamais donné en spectacle de la sorte, avant cette petite excursion dans le passé. Tout ça était la faute d'Harry.
Il se détacha, dans un raclement de gorge désapprobateur. Elle se contenta de le toiser avec une affection amusée, refusant visiblement d'être gênée par ses actions. Elle souriait avec tant de bonheur qu'il sentit sa bouche tressauter en retour, ce qu'il prit bien soin de contrôler immédiatement. Le Professeur Snape ne souriait pas.
« Je ne parviens pas à croire que vous alliez aller directement vous terrer dans vos quartiers, sans même me prévenir de votre retour. » lui reprocha-t-elle, en lui assénant une petite claque sur le bras. Les lions et leur violence constante… « Vous devriez avoir honte. Avez-vous seulement idée du sang d'encre que je me suis fait pour vous ? » Elle fronça brusquement les sourcils, l'étudiant plus attentivement, à la lumière des torches. « Êtes-vous blessé ? Avez-vous besoin de voir Poppy ? Je vous connais, Severus, vous pourriez être en train de vous vider de votre sang et convaincre Albus que ce n'est qu'une égratignure, mais je ne suis pas faite du même bois. Inutile de me mentir. Cet idiot ne vous a même pas fait examiner, je me trompe ? Et pareil pour Potter, je parie. »
Severus ne chercha pas à dissimuler son rictus amusé. Albus s'apprêtait à passer un sale quart d'heure, et il aurait aimé être là pour le voir. Les colères de Minerva étaient légendaires pour de bonnes raisons…
« Eh bien ! » s'énerva la lionne, en croisant les bras. « Répondez-moi. »
Elle avait le don certain de lui donner l'impression qu'il avait à nouveau quinze ans. Étant donné ce qu'il venait de vivre, ces derniers mois, ce n'était pas une sensation qu'il aimait ressentir.
« Encore faudrait-il que vous m'en laissiez l'occasion. » répliqua-t-il, satisfait de voir la lueur de contrariété s'allumer dans son regard. Irriter Minerva était son passe-temps quotidien favori, et Merlin, ce que ça lui avait manqué.
Toutefois, il y avait une ligne à ne pas dépasser et, étant donné la manière dont elle tapait régulièrement sa baguette contre sa cuisse, il n'en était plus très loin.
« Je n'ai rien. » capitula-t-il, en levant les yeux au ciel. « Quelques hématomes, tout au plus. »
« Et Potter ? » insista-t-elle, avec inquiétude.
« En un seul morceau. » lâcha-t-il. « Bien que cela soit plus de mon fait que du sien. Il serait temps que vous inculquiez à vos lions que la devise des Gryffondors n'est pas un adage à suivre au pied de la lettre. »
Minerva parut extrêmement amusée. « Oh, attendez d'apprendre ce à quoi se sont amusés vos Serpentards… Il ne s'est pas passé un seul jour, ces derniers mois, sans que je ne regrette votre absence. Je n'ai jamais pu décider si vous seriez horrifié, enragé ou hilare. Potter est allé retrouver Granger et Weasley, vous dites ? Il est bon pour une méchante surprise, le pauvre garçon. »
« Comment cela ? » s'inquiéta-t-il, à deux doigts de faire un détour par les étages pour vérifier que le gamin ne s'était pas déjà enfoncé dans les ennuis jusqu'au cou. « Est-il en danger ? »
« En danger ? » répéta-t-elle, surprise. « Non, bien sûr que non. Que voulez-vous qu'il risque dans l'enceinte de Poudlard ? »
« Oh, je ne sais pas… » ironisa-t-il. « Un enseignant décidé à le tuer, un basilic, un évadé fou furieux, les bon sentiments du Directeur… Faites votre choix. »
Minerva fronça les sourcils, sérieuse. « Que voulez-vous dire à propos du Directeur ? »
Severus n'hésita qu'une fraction de seconde. S'il avait dû choisir une seule personne dans ce château comme confidente, ça aurait été Minerva et certainement pas Albus. Minerva était une lionne jusqu'à la moelle, elle était bien trop noble pour retourner contre lui une information personnelle. Et sa Marque se réveillait peu à peu, le Seigneur des Ténèbres ne tarderait pas à s'apercevoir de son retour, il devait se hâter de le rejoindre avant qu'Il ne le convoque.
Seulement… Si Albus lui avait trouvé un remplaçant, aussi minable soit-il… Aucun des membres de l'Ordre n'aurait trahi leur cause. Ils étaient trop loyaux pour ça. Et pourtant, ça n'avait pas empêché Pettigrow.
Il ne pensait pas que le Seigneur des Ténèbres aurait débauché un membre de l'Ordre. Les risques étaient minimes. Mais il y avait, tout de même, une possibilité qu'il ne revienne jamais à Poudlard, que le mage noir décide qu'il ne valait pas tous les ennuis qu'il lui causait… S'il mourrait, ce soir là, Harry serait seul.
Et ça…
Mais comment tout expliquer à Minerva, en quelques minutes ? Les portraits autour d'eux, dont la plupart les observaient sans vergogne, rapporteraient sans aucun doute la conversation à Dumbledore… Et si Albus pensait qu'il manigançait dans son dos pour soustraire Harry à son influence…
« Rien. » répondit-il finalement. Elle ne le croyait pas, il le voyait à son expression soupçonneuse. « Rien de plus que d'ordinaire, du moins. » Il posa la main sur sa Marque. « Je regrette, je ne peux m'attarder davantage. J'ai d'autres… engagements. »
« Ce soir ? » s'exclama-t-elle. « Mais vous venez juste de… Êtes-vous certain qu'il le faille vraiment, Severus, ou jouez-vous encore les martyrs ? »
En d'autres circonstances, il aurait pu dire la même chose à Harry.
Il ne pouvait pas risquer de laisser Harry sans protection.
Obéissant à son instinct, il étreignit à nouveau sa collègue, ignorant son couinement surpris, et rapprocha sa bouche de son oreille.
« Ne laissez pas Harry retourner chez les Dursley, ils sont aussi mauvais que des Mangemorts. » murmura-t-il, suffisamment bas pour que les portraits ne surprennent pas ses paroles. « S'il m'arrive quelque chose, ne le laissez pas seul. Albus n'est peut-être pas son ennemi, mais il sacrifiera tout pour sa guerre, y compris le garçon. Protégez-le. »
C'était beaucoup demander à quelqu'un qui idolâtrait Albus comme d'autres vouaient un culte à Merlin, pourtant, lorsqu'il lui rendit sa liberté, il vit qu'elle avait compris. Minerva avait toujours été quelqu'un d'extrêmement intelligent et lucide. Albus avait ses défauts, tous ses amis proches le savaient pour en avoir été victime à un moment donné.
Le regard de la sous-directrice s'égara vers les portraits qui décoraient les murs, tout autour d'eux. Elle n'hocha pas la tête, ne répondit pas et n'eut pas l'air de quelqu'un à qui on venait de réclamer l'impossible. Elle se contenta de lui sourire, un peu tristement.
« Soyez prudent, Severus. » lui ordonna-t-elle gentiment.
Il se détourna sans plus s'attarder, empruntant les grandes portes, et fonçant dans la nuit noire. La neige crissait sous ses pieds, la lune, presque pleine, était voilée par d'épais nuages. La Marque brûlait légèrement son bras. Il n'était pas certain de rester en vie plus de quelques heures…
Une nuit comme une autre dans la vie de Severus Snape.
Il regrettait déjà celle de Saevus Prince.
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Remonter les couloirs sombres entre Ron et Hermione avait quelque chose de surréaliste. Ce n'était pourtant pas si inhabituel que cela, pour eux, de se promener dans l'école, après le couvre-feu, l'un d'eux éclairant la carte des Maraudeurs, les autres suivant docilement... Mais il s'agissait tout de même d'aventures exceptionnelles, qu'ils subissaient plus qu'ils ne choisissaient. Dans le passé, ce genre d'excursions avaient été entreprises le cœur battant, les mains moites et avec ce picotement d'excitation que l'on ne ressentait qu'en enfreignant le règlement...
Lorsqu'ils avaient quitté la salle sur demande, Hermione avait à peine jeté un coup d'œil à la carte, avant de choisir un itinéraire. Ron et elle agissaient comme si se déplacer, de nuit, dans des couloirs déserts et mal éclairés, voire carrément obscurs, était tout à fait normal. La routine.
Quoi qu'à en croire le récit que lui avaient fait ses amis, c'était devenu la routine.
Harry ne parvenait pas à intégrer tout à fait ce qu'il avait manqué pendant ces longs mois. Les explications, qu'elles viennent de Ron ou d'Hermione, l'avaient laissé sans voix. La tyrannie d'Ombrage, l'idée d'unir les Maisons, les amitiés fragiles que la Trêve avait engendrées, le retour de la chorale, toute l'histoire du Ministère... Sans parler du fait que ses amis l'avaient pensé mort durant tout ce temps et avaient peu à peu perdu espoir de le retrouver…
L'histoire qu'ils lui avaient racontée était si extraordinaire qu'il avait été presque heureux d'avoir ses propres aventures à partager. C'était un peu idiot, parce que ce n'était pas un concours, mais c'était étrange de se dire que le monde avait continué à tourner sans lui. Il n'avait gardé pour lui que quelques choses: les conditions familiales de Severus qui ne regardaient personne, leurs explorations de la magie Animagus – parce que Snape-Prince lui avait demandé de garder le secret et parce qu'il n'avait pas vraiment envie qu'Hermione lui fasse la leçon, à l'instant – et le fait qu'il portait un horcruxe en lui. Il n'avait pas prévu de le leur cacher mais... dès qu'il avait commencé à expliquer ce qu'étaient le horcruxes et le fait que Snape-Prince et lui soupçonnaient qu'il y en avait plusieurs, le regard d'Hermione s'était mis à briller de cette soif de recherches. Harry n'avait que peu envie de devenir un sujet d'expérience. Et peut-être, aussi, avait-il un petit peu peur que leur regard sur lui change. Il ne savait déjà pas vraiment que faire des silences un peu gênés qui s'étaient immiscés deux ou trois fois dans leur conversation. Il n'y avait jamais eu ce genre de silence entre Ron, Hermione et lui. Cependant, il n'avait jamais, non plus, gardé ce genre de secret.
Pourtant, ils étaient heureux de se retrouver. Ils ne cessaient de s'attraper l'épaule, le bras, la main… Tout pour se prouver qu'ils étaient bien là, ensemble. Vivants et ensembles. La nuit avait des parfums de miracles.
Mais, songeait Harry, dans son coin, tous les miracles avaient un prix.
« Malfoy. » lâcha-t-il, dans un chuchotement, lorsqu'Hermione leur fit signe de s'arrêter pour qu'elle puisse consulter la carte. « Vraiment ? »
« Il n'est pas si terrible que ça, une fois qu'on a appris à le connaître. » répondit Hermione, sur la défensive, en cessant d'inspecter le parchemin à la recherche de Rusard ou d'un professeur. Il était probablement trop tard pour que qui que ce soit patrouille encore, de toute manière. « Il suffit de ne pas faire attention à ses sarcasmes, ses insultes ou son mauvais caractère. »
Harry émit un bruit faussement amusé. « C'est sûr que, dit comme ça, il a l'air charmant. »
Il n'aurait probablement pas dû juger si vite. Après tout, si quelqu'un lui avait dit, quelques mois plus tôt, qu'il aurait été ami avec Severus plutôt qu'avec son propre père… Mais c'était Malfoy. Outre le fait qu'il avait passé les derniers mois à éviter les tentatives d'assassinat de Lucius, il n'avait aucune envie de faire ami-ami avec Malfoy – et quelque chose lui disait, à entendre les Gryffondors parler de lui, qu'ils étaient condamnés à passer du temps ensemble à l'avenir. Le Serpentard était arrogant, bourré de préjugés, et insupportable. Sa simple vue suffisait généralement à lui donner envie de frapper quelque chose… Combien de temps faudrait-il avant que l'un ne tente de tuer l'autre ?
« Je n'étais pas vraiment emballé non plus, au début, tu sais ? » grimaça Ron, visiblement mal à l'aise. « Mais il ne lâchait pas Hermione et… »
« Tu as du culot ! » coupa Hermione, en croisant les bras. « Qui de nous deux est devenu ami avec lui en premier ? Ce n'est tout de même pas moi qui échangeait mes magasines de Quidditch avec lui ! »
À la périphérie de son lumos, Harry vit son meilleur ami grimacer, avant de trépigner d'un pied sur l'autre. Il faisait trop sombre pour qu'il en soit certain, mais il aurait parié que Ron était écarlate.
« Oui, bon… » marmonna le Gryffondor. « Quand il ne se prend pas pour l'élite de la communauté magique, il n'est vraiment pas si terrible. »
« Malfoy se prend toujours pour l'élite de la communauté magique. » répliqua-t-il, avec certitude. « C'est Malfoy. »
Il aurait pu leur rappeler toutes les fois où il les avait insultés, Hermione, Ron ou lui, mais il tint sa langue parce qu'il n'avait que trop conscience d'avoir utilisé le même ton que James et Sirius utilisaient pour répéter à loisir : « C'est Snape. ». Ce qui expliquait tout et rien à la fois.
Il ne savait pas s'il était prêt à donner le bénéfice du doute à Malfoy, mais il n'avait pas véritablement envie de le juger sans savoir non plus.
« Il a changé. » insista Hermione, plus doucement. Elle attrapa sa main et la serra gentiment, comme pour le supplier de comprendre. « Il nous a aidé à sauver Sirius. Il a vraiment changé, Harry, je te le jure. »
Il distinguait à peine le visage de son amie dans l'obscurité mais leurs baguettes éclairaient suffisamment le couloir pour qu'il aperçoive une légère détresse dans son regard. À contrecœur, il soupira.
« D'accord. » lâcha-t-il, en dépit de tout ce que son instinct lui criait. « Je veux bien faire un effort, mais il a intérêt à en faire un, lui aussi. »
« Si vous pouviez tous faire un effort en demeurant dans vos salles communes après l'heure du couvre-feu… » lança une voix familière. « Surtout vous, Mr Potter. À peine rentré et, déjà, vous coûtez des points à notre Maison… »
Les torches s'allumèrent brusquement, laissant les adolescents ciller rapidement sous l'assaut de la lumière. Harry fut le premier à se reprendre. Ou, peut-être, fut-il simplement le seul à ressentir une joie inégalable à la vue de leur Directrice de Maison.
« Professeur McGonagall ! » s'exclama-t-il, avec bien plus d'émotions qu'il ne l'aurait voulu.
Snape-Prince se serait moqué du soulagement et du chagrin que trahissait sa voix. Et pourtant… Elle avait beau se tenir là, à quelques mètres de lui, bien vivante, il ne pouvait s'empêcher de la revoir morte, étendue dans la poussière, cheveux épars et vêtements en lambeaux.
« Mr Potter. » le salua-t-elle, chaleureusement, en lui offrant un de ses rares sourires.
Le chat de Dumbledore.
Le désespoir qu'il avait ressenti quand elle était morte… La douleur. Elle se ravivait rien qu'à la voir là, les dévisager tour à tour avec l'air désapprobateur de l'enseignant qui surprenait ses élèves favoris à enfreindre les règles. Elle était morte. Elle ne l'était pas.
Harry franchit les quelques mètres qui les séparaient et posa une main hésitante sur son bras, à la fois émerveillé et presque effrayé de sentir quelque chose de solide sous ses doigts. Il y avait une énorme boule de chagrin dans sa gorge qui l'empêchait de respirer. Il essaya bien de l'occluder, mais… mettre à l'écart la douleur qu'il ressentait à la mort de Mr Weasley – un sujet que Ron n'avait fait qu'évoquer pudiquement, sans rentrer dans les détails – lui prenait déjà toute sa concentration. Il n'avait d'autre choix que d'affronter le passé. Ou, plutôt, le présent.
« Mr Potter ? » s'inquiéta McGonagall. « Le Professeur Snape m'a assurée que vous n'aviez pas besoin de consulter Madame Pomfresh, mais si vous désirez… »
« Vous êtes morte. » laissa-t-il échapper, dans un murmure. « Là-bas… Voldemort. Je l'ai vu, vous… » Il avala avec difficulté, malgré sa bouche sèche. « Vous êtes morte. »
Le silence qui tomba sur le couloir était à couper au couteau. McGonagall ouvrit et referma la bouche plusieurs fois, sans apparemment trouver que répondre à cette information fracassante, quant à Ron et Hermione, ils se regardaient, communiquant sans avoir besoin de mots.
Son meilleur ami posa une main réconfortante sur son épaule tandis qu'Hermione détachait gentiment ses doigts de l'étoffe épaisse dont étaient faites les robes de la sorcière.
« C'est fini, Harry. » promit-elle « Tu es rentré, maintenant. »
Il lui fallut battre des paupières plusieurs fois avant que les images ne disparaissent. Le cadavre de McGonagall, Dumbledore agenouillé auprès d'elle, les cendres qui volaient partout… Les souvenirs retournèrent à leur place, mais l'envie de vomir ne disparut pas.
Harry s'aperçut qu'il tremblait.
« Tout va bien, Harry. » répéta une nouvelle fois Hermione, les yeux brillants de larmes contenues. Elle glissa sa main dans la sienne. Celle de Ron était toujours posée sur son épaule. Le roux discutait à voix basse avec McGonagall. Harry supposa qu'il était en train de lui faire un bref résumé de ce qui lui était arrivé.
« Je vais vous raccompagner à la Tour de Gryffondor. » décida McGonagall, lorsque Ron eut terminé son récit.
Elle serra brièvement son épaule libre et ils se remirent tous à marcher. Harry, Ron et Hermione étaient tellement serrés les uns contre les autres que le Survivant se demandait un peu comment ils parvenaient à avancer droit. Néanmoins, il ne fallut guère plus qu'une poignée de minutes avant qu'ils atteignent le portrait de la Grosse Dame. Sur l'ordre de McGonagall, le portrait pivota.
Harry avait l'impression que cela faisait des années qu'il n'en avait pas franchi le seuil. La salle commune était identique à celle de ses souvenirs et, pourtant, il ne put chasser une impression de… Il ne savait pas exactement pourquoi, mais, soudain, il avait l'impression de ne pas être tout à fait à sa place. Les lourds tapis, les tapisseries, les portraits, les bannières rouge et or… Tout était terriblement familier et, sans qu'il ne se l'explique, oppressant à la fois. Le feu qui ronflait dans la cheminée rendait l'air étouffant.
Soudain, il se mit à se languir de la moiteur des cachots et des grandes fenêtres qui donnaient sur les profondeurs du lac.
Ce n'était rien, se dit-il, en faisant quelques pas dans la pièce. Il fallait juste qu'il se réhabitue.
« J'aimerai vous voir demain matin, dans mon bureau, après le petit-déjeuner, Mr Potter. » déclara McGonagall. Elle était restée sur le seuil et s'apprêtait visiblement à refermer le portrait derrière elle. « Bon retour parmi nous. Je suis heureuse de vous revoir. »
Il la remercia d'un sourire et se laissa tomber dans un fauteuil dès qu'elle fut partie.
Surréaliste. Tout cela était surréaliste.
Il éprouvait la même impression bizarre de rêve éveillé que lorsqu'il était arrivé en soixante-quinze pour la première fois.
Il laissa son regard dériver de Ron à Hermione, passant de l'un à l'autre sans véritablement y croire, lorsque la jeune fille échoua à réprimer un bâillement. Il était tard.
« Quel jour est-on ? » demanda-t-il, soudain. « Est-ce qu'il y a cours demain ? »
Ron répondit tristement par l'affirmative. Hermione crut bon de préciser qu'il y avait une petite interrogation prévue en potions.
Il doutait que Slughorn ne le force à y participer. Si le sorcier avait apprécié Harry Prince, il avait hâte de voir comment il serait traité en tant qu'Harry Potter. Le Survivant aurait probablement droit à autant d'égards que Lucius Malfoy. C'était ainsi que fonctionnait Slughorn, après tout.
« On devrait aller se coucher. » suggéra-t-il.
Hermione acquiesça, probablement parce que c'était la chose raisonnable à faire, mais parut déchirée à l'idée de le laisser quitter son champ de vision. Elle l'étreignit une nouvelle fois et lui fit jurer de ne rien entreprendre de stupide d'ici au lendemain matin, ce qu'il fit de bon cœur.
Il suivit Ron à l'étage, prenant garde de ne pas faire de bruits pour ne pas réveiller les autres, et fut heureux de trouver son sac à dos au pied de son lit. Il en tira le carnet à dessin que Lily lui avait offert quelques heures – années ? Comment compter, à présent ? – plus tôt et l'enfouit sous l'oreiller.
Ron sortit de la salle de bain, au moment où Harry extirpait de sa malle un vieux pantalon de survêtement et un tee-shirt trop grand ayant appartenu à Dudley.
« Quelqu'un a touché à mes affaires ? » chuchota-t-il, à l'intention de son meilleur ami.
À première vue, il manquait la carte des Maraudeurs qu'Hermione avait emportée avec elle, la cape d'invisibilité, quelques livres, des babioles, et un miroir que Sirius lui avait offert avant la rentrée.
« Hermione a tout ce qui te manque. » répondit Ron, en se glissant dans son lit. « Ombrage faisait des fouilles et confisquait des trucs. »
Il accepta l'explication d'un hochement de tête et passa dans la salle de bain, en se promettant de tout récupérer le lendemain. Lorsqu'il retourna dans le dortoir, Ron dormait déjà à poings fermés. Après quelques secondes d'hésitation, Harry sortit son album photo de sa malle et grimpa sur son lit. Il tira les rideaux, jeta plusieurs sortilèges qui garantiraient que ses cauchemars ne réveilleraient personnes, et, à la lumière de sa baguette, il ouvrit le petit album.
Les photographies que Colin Crivey ou d'autres personnes lui avaient donné et qu'il avait coincées, pêle-mêle, entre deux pages dégringolèrent sur le couvre-lit. Il y en avait une dizaine de Ron, Hermione et lui, quelques unes de l'équipe de Quidditch, deux ou trois au Terrier… Il les mit rapidement de côté pour examiner celles du mariage de ses parents.
Lily, James, tous les autres… Ils avaient tous l'air si vieux sur ces photographies… Harry avait presque l'impression d'observer d'autres gens que ceux qu'il avait côtoyés. C'était comme Severus et Snape-Prince, songea-t-il, en retraçant du doigt le visage de Lily. Il ne restait plus qu'un écho de l'adolescent chez l'adulte… Sa mère, bien que n'ayant pas vingt ans, avait l'air vieille.
Il sortit l'album de dessins et tourna les pages jusqu'à la dernière. Le croquis de Severus, Lily et lui, suffit à lui serrer la gorge. Il retira ses lentilles puis se glissa dans le lit sans lâcher le carnet.
Tellement de choses étaient différentes… Il avait l'impression qu'il était condamné à ne jamais être heureux. Quand il avait été dans le passé, Ron et Hermione lui avaient manqué à en crever et, à présent, c'était Severus et Lily qui… Toutefois, une chose ne changeait pas, il semblait qu'il était destiné à dissimuler des choses à ses meilleurs amis. Pourquoi n'avaient-il pas tout dit à Ron et Hermione ? Il n'avait jamais prévu de leur cacher quoi que ce soit. Ses raisons n'étaient que des excuses… Snape-Prince lui en avait donné l'autorisation, ce n'était pas comme s'il pouvait s'abriter derrière de prétendus ordres comme il l'avait pu pour Sev et Lily… Ce n'était pas la même chose. Il aurait pu leur dire pour l'Animagus et l'Horcruxe, il leur avait bien parlé de la Prophétie… Pourquoi ces secrets alors ? Parce que le premier n'appartenait qu'à Snape-Prince et lui, et le second était bien trop honteux et terrifiant pour qu'il ne le partage. Voilà la vérité, il ne voulait pas que ses amis sachent.
Allait-il leur mentir pour protéger ses secrets ? On finissait toujours par mentir lorsqu'on voulait cacher des choses… Il n'avait jamais menti à Ron et Hermione, avant. Il ne voulait pas le faire. Et pourtant…
Il referma doucement le carnet à dessins, s'allongea à plat dos et ferma les yeux. Deux ou trois inspirations tremblantes puis, prenant son courage à deux mains, il abaissa ses boucliers.
Il s'agit de… Il s'agit d'Arthur Weasley, Harry. Je suis désolé.
La douleur revint le frapper comme un uppercut. Mr Weasley et ses lunettes souvent de travers, son obsession pour les objets de fabrication moldue, son humour, sa gentillesse…
Harry aurait voulu pleurer pour le père de son meilleur ami. Il aurait voulu pleurer ou se mettre en colère ou même détruire quelque chose juste pour le plaisir de trouver un réceptacle à sa souffrance… Il ne parvint à rien faire d'autre qu'à fixer les tentures rouges autour de son lit, en se disant qu'elles n'étaient pas de la bonne couleur.
Mr Weasley était mort et, tout ce à quoi Harry pouvait penser était qu'il avait préféré cent fois être Harry Prince à Harry Potter.
Les secrets d'Harry Prince lui avaient beaucoup moins pesé sur la conscience.